Cet article consacré à la Société de Saint-Léonard (Outils) et à ses locomotives, constitue un développement du chapitre correspondant publié dans l'étude de synthèse « 125 ans de construction de locomotives à vapeur en Belgique » (Bulletin de l'institut Archéologique Liégeois, t. LXXXVI, 1974).
Les grandes étapes du développement de la firme, les tendances principales et les individualités remarquables de la production des locomotives sont évoquées chronologiquement.
Les sources principales sont constituées par la collection des fiches publicitaires illustrées de la firme (env. 200; les croquis d'anciennes locomotives reproduits par Jacquet d'après dessins originaux, et aujourd'hui conservés en Hollande; le Recueil Financier de Bruylant (à partir de 1893; la liste de construction des locomotives; les procès-verbaux d'épreuves et autres documents de l'Administration des Mines et de la Province de Liège; des études techniques publiées en leur temps; de nombreuses photographies. Une collection de plans d'usine, d'environ 800 unités, dont une centaine de plans d'ensemble de locomotives réalisées, est en la possession de plusieurs amateurs ferroviaires. Elle est malheureusement inaccessible.
L'image est reine: il y a donc été recouru au maximum possible dans le cadre de cet article. La sélection a été rigoureuse. Dans un même ordre d'idées, il n'a pas été possible d'aborder systématiquement l'étude de tous les types de locomotives, de la situation financière de l'entreprise, des listes de construction, des autres productions de la firme. Des renvois ont été faits à des illustrations déjà publiées.
(Bull. IAL t. LXXXVI ci-dessus; « Nos inoubliables Vapeur « publié voici quelque dix ans, par « LE RAIL», organe de la SNCB.)
Il reste permis d'espérer la publication intégrale des fiches publicitaires de SL, des croquis de Jacquet, de la liste de construction, des caractéristiques principales, et peut-être même, un inventaire des plans préservés. Ceci n'exclut pas la mise à fruit de la mine d'articles à sujets de portée plus limitée, envisageables dans le cadre de la production de SL. ( Souvenir de la Vapeur », n° 10.)
Il. HISTOIRE DE LA SOCIÉTÉ
1. JEAN-HENRI REGNIER
Le fondateur de la Société de Saint-Léonard est né à Forge Thiry-lez-Theux, le 16 avril 1800, dans une famille de cultivateurs.
En 1815, il est apprenti à la fabrique de Biolley, à Verviers, et ensuite chez un serrurier-menuisier.
En 1818, il entre aux établissements Poncelet-Raunet, fabricants de limes et d'acier fondu, à Liège. Jean-Nicolas Poncelet, né en 1763 dans les Ardennes françaises, mit au point, en collaboration avec l'un de ses frères, un procédé d'élaboration industrielle de l'acier fondu (1). En 1784, il épousa Elisabeth Raunet, veuve d'un maître de forges à Givonne. Il installa ses établissements place Saint-Barthélemy, à Liège en 1802. En 1809, il fut choisi par l'abbé Dony pour diriger la fonderie de zinc érigée par ce dernier au faubourg St-Léonard, en vue de la production de ce métal suivant son procédé. Il semble que cet ancien établissement aurait été englobé dans le domaine des nouveaux ateliers de St-Léonard.
En 1820, J. H. Regnier est chargé de l'équipement des ateliers de la Monnaie à Utrecht. A son retour, en 1821, il épouse la fille de son patron. Le mariage fut célébré le 9 août, devant le bourgmestre Frédéric Rouveroy. L'acte nous révèle que J. H. Regnier, âgé de 21 ans révolus, est fils mineur du cultivateur J. B. Regnier et de dame Judith Orban, que son épouse Anne-Eugénie-Galatée Poncelet est née à Sedan. 26 ans plus tôt, que les 2 futurs époux, ainsi qu'un des témoins, le commis François-Joseph Patin de Faulcourt sont domiciliés au n° 610 de la rue porte Saint-Léonard. L'épouse signe Galathée Poncelet; elle est la seule à présenter une écriture assurée. Les parents de l'époux ont envoyé un acte notarié de consentement. Enfin, le nom est orthographié RENIER par tous.
Après cela, J. H. Regnier dirigera la fabrique de son beau-père, qui compte environ 80 ouvriers. Il fonde aussi une autre usine à Aix-la-Chapelle.
A la mort de son beau-père, il reprend les ateliers, avec 130 ouvriers, et s'associe pour cela avec Charles Desoer, J. A. de Donnéa et Joseph Cajot. Les deux derniers fournissaient le capital, tandis que les deux premiers faisaient apport de leur savoir-faire et des locaux de la fabrique d'acier de Saint-Léonard (1826). Ce contrat d'association est conservé au Musée de la Vie Wallonne. En 1836. M. Desoer se retire. L'usine de Liège a un personnel de 210 ouvriers; celle d'Aix, de 120. Regnier-Poncelet associe ses frères à cette dernière. Cette même année, il fonde la Société de Saint-Léonard. Bientôt, ses établissements auront plus de 500 ouvriers et formeront de nombreux apprentis (de 30 à 40 par an).
Jusqu'en 1839. la fabrique Regnier fut la seule aciérie de Belgique. Regnier-Poncelet participa aux divers aspects de la vie économique et urbaine il fut notamment juge au Tribunal de Commerce, membre de jurys, de la commission de réception des armes, major de la Garde Civique de Liège et président du Conseil d'Administration de l'Ecole industrielle. La rapidité de la progression technique et sociale du futur directeur de St-Léonard révèle ce qu'a pu être le génie de cet homme, reconnu de tout son entourage et concrétisé dans les missions de plus en plus importantes qui lui furent confiées et dont il s'acquitte avec le succès que l'on sait. Regnier-Poncelet est décédé à Chalsèche-lez-Pépinster, le 2 décembre 1873, après avoir, lui aussi, transmis la direction de ses établissements à son gendre.
2. LA SOCIÉTÉ ANONYME DE 1835
Le 27 mai 1825. le sieur Regnier-Poncelet passait l'acte d'acquisition de la première partie des terrains situés au n° 1 de la rue St-Léonard, en bordure des fossés de la prison, en vue d'y établir des ateliers. Il y fabriquerait des outils à partir de sa propre production d'acier (période de l'association avec Desoer). La bonne qualité de ses produits lui valut une renommée justifiée et assura la bonne marche de ses affaires. Leur extension l'engagea, en 1835. à constituer une société anonyme. Ses statuts sont enregistrés dans l'acte du 13 février 1836, approuvé par l'arrêté royal du 29. (Bulletin Officiel 1837, n° 93). Diverses modifications mineures y furent apportées par des actes du 8 avril 1839 (Bull. Off. 1839, n° 38) et du 17 juillet 1856 (Moniteur 1er août 1856). La nouvelle société commençait ses activités le 15 février 1836, pour une durée allant jusqu'au 30 décembre 1925. La dénomination en était Société de Saint-Léonard, pour la fabrication du fer et de l'acier et pour celle des outils et machines.
Parmi les cas prévus de dissolution de la société, notons celui résultant d'un bilan où il est constaté que le capital social est réduit de moitié. L'assemblée générale devra régler le mode de liquidation.
Le fonds social fut fixé à 1.200.000 F. représentés par 1200 actions de 1.000 F chacune. Le sieur Regnier-Poncelet apportait:
1) Un terrain enclos de murs, situé au faubourg St-Léonard, faisant l'angle d'un bastion de la prison sur les fossés, longeant d'un autre côté la rue du faubourg St-Léonard, adossé au nord à différents jardins et cotillages, et au levant à M. Berryere, distillateur, autrefois la dame veuve Luggers. Le tout mesurant approximativement 1 bonnier 60 perches.
2) Les bâtiments élevés sur le dit terrain, consistant en une maison d'habitation de maître, bâtiments de fabriques, fonderies, forges et tous autres.
3) Les machines, outils, modèles, matières premières en fabrication ou fabriquées, sur les lieux, suivant inventaire.
4) Son industrie, sa clientèle, deux brevets d'invention pour faulx et boîtes de voitures à réservoir d'huile pour routes en fer.
Il s'engageait en outre à apporter l'intégralité de son soin à la direction de cet établissement, pendant au moins les dix premières années. Pour cet apport, il recevait 600 actions.
De son côté, la banque (de Belgique) apportait un capital de 600.000 F contre les 600 autres actions. Ce capital serait affecté à parfaire l'établissement et à servir de capital roulant.
Les actions jouissent d'un premier dividende annuel de 5 % sur le bénéfice réel de la société.
Les comptes et bilans sont faits par l'administration, le 30 avril de chaque année, et remis â l'assemblée en vue de l'approbation. Il doit être tenu compte de la dépréciation de l'avoir social.
L'article 14 nous informe de la répartition des bénéfices: après prélèvement du premier dividende de 5 % au profit des actionnaires, le surplus est réparti ainsi qu'il suit
1) 15% pour former un fonds de réserve, pour couvrir les pertes imprévues;
2) 16 % pour l'administration
3) 1 1/2% pour les commissaires;
4) 14% pour servir à l'amortissement des actions et des dettes sociales et à l'extension de l'établissement.
L'excédent sera réparti entre les actionnaires par forme de dividende. Les tantièmes des administrateurs et commissaires ne seront pas inférieurs à 1.000 et 200 F.
Le directeur jouira d'un traitement annuel de 7.000 F et du logement dans l'établissement. Ce traitement sera de 10.000 F aussi longtemps que M. Regnier-Poncelet demeurera directeur.
L'assemblée générale, composée des actionnaires détenant au moins 5 actions est réunie annuellement, le premier samedi de juin, à Liège. Les actionnaires ou leurs mandataires ne peuvent détenir plus de 5 voix (une voix étant attribuée par tranche de 5 actions).
Le gouvernement a la faculté de nommer 1 ou 2 commissaires spéciaux, pour prendre connaissance des livres et opérations de la société et pour veiller à l'exécution des statuts.
L'administration de la société est réglée comme suit:
ART 16. L'administration et la gestion de la société sont confiées à cinq administrateurs assistés d'un directeur-gérant.
La société sera surveillée par trois commissaires, dont la mission sera de prendre en tout temps, soit individuellement, soit à plusieurs, connaissance des livres, comptes, opérations de la caisse, de la correspondance, des procès-verbaux des séances du conseil d'administration, et généralement de toutes les affaires de la société, de vérifier le bilan et de faire rapport â l'assemblée, tant de cette vérification que de l'exercice de leur surveillance.
La nomination des commissaires, dont les fonctions seront triennales, se fera, pour la première fois, par l'assemblée générale ordinaire de la société de l'année 1857 ils sont toujours révocables par elle.
A la fin de chaque année sociale, et pour la première fois le 1er samedi de juin 1860, les fonctions des commissaires cesseront, et il sera pourvu à leur remplacement par l'assemblée générale qui se réunira à la même époque.
ART. 17. Les administrateurs sont nommés et révocables par l'assemblée générale, leurs fonctions seront quinquennales. Successivement chaque année, le 1er samedi du mois de juin, les fonctions d'un des administrateurs cesseront.
L'administration choisit dans son sein un président.
ART. 18. Le directeur gérant est nommé par le conseil d'administration; il est révocable par l'assemblée générale sur la proposition du conseil ou après avoir entendu ce conseil, il ne peut être administrateur.
ART. 19. Par dérogation aux articles précédents, sont nommés administrateurs:
MM. Ch. De Brouckère, directeur de la banque, président; Regnier-Poncelet, fabricant; le comte Vilain XIII, administrateur de la banque; Ch. Dubois, banquier à Liège; J.B. Kauffman, directeur du trésor de Liège.
Le sieur Regnier-Poncelet est, en outre, nommé directeur.
ART. 20. Les administrateurs délibèrent en conseil sur tout ce qui concerne la société.
ART. 21. Aucune délibération ne peut avoir lieu, aucune résolution ne peut être prise par moins de trois membres; les minutes seront signées par tous les membres présents
ART. 22. Le directeur est chargé d'exécuter toutes les résolutions du conseil d'administration, de lui rendre compte de toutes les affaires et de lui soumettre toutes les propositions qu'exigeront les intérêts de la société. Il est, en outre, chargé de la surveillance et de la direction de toutes les exploitations et de tous les travaux, ainsi que des ventes et achats.
ART. 23. Les actions judiciaires sont suivies au nom de la société, poursuite et diligence du directeur-gérant
ART. 24. Tous les actes journaliers d'administration sont signés par le directeur: ceux qui engagent la société sont en outre visés par le président ou par l'administrateur, agissant en vertu d'une résolution du conseil.
ART. 25. Le directeur-gérant fait les fonctions de secrétaire du conseil et il a voix consultative au conseil.
ART. 26. En cas d'empêchement du président ou du directeur-gérant, il sera remplacé par un administrateur, spécialement désigné à cet effet par le conseil d'administration.
ART. 27 Le conseil d'administration de la société se réunit une fois au moins par mois, soit à Liège au siège de la société, soit à Bruxelles, sur convocation du président. La réunion au siège de la société est obligatoire une fois au moins sur deux. Le conseil peut, en outre, être convoqué extraordinairement par son président.
ART. 28. Les administrateurs et commissaires ne jouissent d'aucun traitement fixe, il leur est alloué tous frais compris, aux premiers 16 p.c. et aux seconds 1 1/2 p.c. des bénéfices, comme il est stipulé à l'article 14.
La réputation de la nouvelle firme, très tôt établie, l'invite à se spécialiser dans les constructions mécaniques: textiles, houillères, machines-outils, machines à vapeur de tous types, dont les locomotives et les bateaux. La nouvelle société livra sa première machine à un moulin à farine liégeois, le 27 avril 1836. Quatre ans plus tard, elle entamait la livraison des locomotives à l'Etat Belge. Le bateau à vapeur « L'Espoir », destiné au transport des voyageurs entre Liège et Namur, fut lancé en 1842.
Regnier-Poncelet dirigea effectivement la société jusqu'en 1865. La direction fut alors confiée à son gendre J. Vaessen, qui occupa ce poste jusqu'à sa mort, survenue en 1880. Son nom est resté attaché à un dispositif facilitant l'inscription en courbe des locomotives, et aux balbutiements des premières machines pour tramways. Son successeur fut O. Bihet.
à suivre...
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