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PLANS DE LIEGE

Ph. LECOUTURIER

Liège - Site primitif

1930 - publiée dans "Liège, Etude de géographie urbaine" - 239 pages

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PREMIERE PARTIE
(p. 15 à 114)

L'ORIGINE ET L'EVOLUTION GEOGRAPHIQUE DE LIEGE

CHAPITRE PREMIER

A. - La position géographique de Liège ( non transcrit )

...

B. - Le site de Liège

A présent que nous connaissons les traits géographiques généraux de l'agglomération liégeoise actuelle et de ses environs immédiats, - traits qui, jusqu'à un certain point, aident à saisir quelques-unes des raisons qui peuvent expliquer l'importance de ce centre urbain - demandons-nous quelles sont les conditions géographiques locales qui ont déterminé son emplacement et favorisé son développement.

Caractérisons donc l'état topographique du site avant la création de la ville (1).

Plusieurs éléments sont en présence: l'amphithéâtre de hauteurs dominant la ville, l'épanouissement de la vallée avec le méandre de la Meuse, la confluence des cours d'eau et des vallées et enfin la vallée secondaire de la Légia mettant en relief l'arête de Publémont.

Nous examinerons successivement chacun de ces fadeurs pour distinguer, parmi eux, ceux qui ont joué le rôle d'élément de fixation.


1.- Topographie des versants

a) Versant de la rive gauche.

Le versant gauche, courbe concave du grand méandre liégeois de la Meuse, descend en pente abrupte vers le fond de la vallée. Il est sectionné d'entailles profondes mais étroites, qui portent aujourd'hui le nom symbolique de fonds. Tels sont, en les énumérant du Sud au Nord, le fond du Laveu, le vallon de la Légia, le fond des Tawes et le fond Jolivet.

Le rebord du plateau apparaît ainsi disséqué en une série de replats plus ou moins étendus; le long de la Meuse se succèdent du Sud au Nord le plateau et la terrasse de Cointe, les hauteurs de St-Gilles et de Burenville, le plateau de la Citadelle et les hauteurs de Ste-Walburge, les terrasses de Tribouillet et de Bernalmont.

Le plateau de Cointe, partie en terrasse de la crête de St-Gilles et Bois d'Avroy, que contourne une large boucle de la Meuse, s'avance vers le Sud-Et sur une longueur de plus de deux kilomètres. Le fleuve, distant au pont de Sclessin de 1 kilomètre environ du versant Sud du replat, s'en rapproche fortement vers la bure du Val Benoît où 150 mètres à peine le séparent du bas du coteau; puis la Meuse, à Fragnée, s'éloigne à nouveau, en se dirigeant vers le Nord.

Le flanc Sud du plateau et entaillé de vallons assez profonds. Le plus important débute vers 150 mètres à Petit Montegnée et dévale vers le Sud, vers Tilleur; c'est un véritable ravin qui accentue encore le caractère de crête du promontoire.

L'autre versant, entre St-Maur et le Laveu, et moins entamé et plus régulier; les courbes hypsométriques, rapprochées les unes des autres, assurément, n'ont plus l'allure très dentelée qu'elles offraient au Sud.

La dénivellation entre la vallée mosane, occupée par la cité, et le plateau et assez brusque.

En partant du pied de la crête, à 6 mètres d'altitude, on s'élève rapidement par des pentes schisteuses et boisées jusqu'à un premier palier qui se trouve à la cote moyenne de 125 mètres.

Les graviers que nous y observons dénotent un dépôt fluviatile abondant. Nous nous trouvons là à un niveau de terrasse (2).

Cette plateforme occupe toute la largeur du promontoire et s'allonge vers le Nord-Ouest; bientôt l'altitude se relève pour atteindre 140, 150 et même 160 mètres en quelques buttes d'étendue très restreinte, isolées les unes des autres par de faibles creux.

Plus loin, l'apparition d'un îlot de crétacé annonce l'approche de la Hesbaye; la crête s'étale, se redresse encore légèrement et c'et par une base assez large qu'elle se rattache au plateau hesbignon.

Le fond du Laveu s'ouvre entre les hauteurs du Bois d'Avroy, au plateau de Cointe, et celles de St-Gilles.

Orienté Sud-Ouest-Nord-Est, c'est-à-dire perpendiculairement à l'axe de la crête de Cointe, il entaille les schistes houillers déterminant ainsi une coupure profonde et étroite. Elle a moins de 100 mètres de largeur et débouche dans la vallée de la Meuse à une altitude de 65 mètres environ. En se dirigeant vers le Sud-Ouest, on peut suivre ce fond sur plus d'un kilomètre de longueur. On le remonte par une pente douce d'abord, jusque vers 90 mètres d'altitude, puis, jusque vers 175 mètres, à la houillère du Bois St-Gilles, par un abrupt très accentué.

Les hauteurs de St-Gilles qui se continuent vers le Nord par les hauteurs de Burenville, s'étendent entre le ravin de Tilleur et l'entaille du Laveu de direction à peu près parallèle mais opposée. Elles constituent le rebord avancé du plateau qui, longeant le méandre de la Meuse, se coude brusquement à angle droit pour se diriger vers le Nord-Nord-Est.

La pente vers le fleuve et moins rapide qu'au plateau de Cointe bien que très forte encore, puisqu'elle accuse une dénivellation de 75 mètres pour 700 mètres de distance à vol d'oiseau.

Cette surface largement ondulée se relève insensiblement vers l'Ouest pour atteindre 185 mètres vers Montegnée.

Des hauteurs de Burenville se détache un promontoire étroit s'avançant vers le Nord-Est, marquant ainsi une nouvelle modification dans l'orientation du flanc de la vallée de la Meuse: c'est l'arête du Publémont.

Au-delà de cet éperon, la coupure de la Légia s'ouvre vers le fleuve. Elle est la plus profonde et la plus importante parmi toutes les entailles de la rive gauche (3).

Le plateau de la Citadelle domine d'une centaine de mètres environ, la plaine alluviale sur laquelle il tombe d'un seul jet, par un rebord escarpé qui s'allonge depuis la vallée de la Légia, jusqu'au fond des Tawes.

La surface du replat, recouverte de Crétacé, fortement entamée par l'érosion régressive de ravins latéraux à la Meuse, se rétrécit rapidement vers l'intérieur du pays, vers le Nord­Ouest, accusant ainsi une forme quasi triangulaire.

Le fond Pirette, entaille latérale s'avançant de la rive gauche du vallon de la Légia vers le Nord, limite le plateau à l'Ouest; le fond des Tawes, orienté Est-Ouest le borde au Nord.

Témoin réduit d'une surface structurale autrefois plus étendue, la plateforme de la citadelle perchée à 160, 165 mètres, semble ainsi s'isoler de la Montagne Ste-Walburge, proéminence étroite qui se détache du plateau hesbignon.

Au-delà du replat, le sol se relève assez rapidement vers le Nord-Ouest pour atteindre bientôt 200 mètres, point culminant du territoire liégeois, en deux petits mamelons séparés par la route de Liège à Tongres. Le limon hesbayen, en couche assez épaisse qui les recouvre, nous permet de les raccorder à la fertile plaine de l'Ouest.

Le fond des Tawes et une coupure profonde qui s'allonge de l'Est vers l'Ouest, dans le houiller et recule le bord du plateau de près de 2 kilomètres jusqu'à la Montagne Ste-Walburge.

Le vallon est étroit avec des flancs en pente raide, accusant une dénivellation de plus de 50 mètres.

Les versants sont eux-mêmes attaqués par le ruissellement; c'est ainsi que la rive gauche est sectionnée d'une entaille latérale que l'on peut remonter jusqu'au Thier-à-Liége, à travers les schistes houillers.

Le plateau de Tribouillet séparé de la vallée par une pente raide, se maintient à 125 mètres d'altitude moyenne, ce qui nous permet de le raccorder comme niveau à la terrasse de Cointe.

Le fond Jolivet étroit mais profond, isole ce replat de Tribouillet de celui de Bernalmont tout proche et de même altitude.

Tous deux appartiennent à la vaste terrasse de Pontisse, s'étalant largement vers le Nord et bordant la Meuse à l'Ouest. Ils en constituent les avancées les plus méridionales.

Les dépôts quaternaires qui recouvrent ce niveau sont analogues aux cailloux roulés ardennais du plateau de Cointe; comme eux, ils reposent sur le houiller qui affleure sur le versant abrupt de la vallée de la Meuse et sur les flancs des vallées secondaires qui festonnent le bord de la terrasse.

Le fond Jolivet, orienté Nord-Sud dans sa partie inférieure et Nord-Ouest-Sud-Est dans sa portion supérieure, se rapproche ainsi de la tête du ravin du Thier à Liège et isole à peu près complètement la terrasse de Tribouillet.

Cette dernière et rattachée à l'Ouest au plateau hesbignon par une côte abrupte où apparaissent les assises crétacées. Elle fait s'élever rapidement le niveau de la plaine limoneuse à 165 mètres.

Ainsi, tous les replats que nous avons vu se succéder sur la rive gauche du fleuve, en périphérie de la ville, représentent ou bien des lambeaux du plateau hesbignon que l'érosion a facilement et profo­dément disséqué sur ses bords, ou bien des témoins d'un niveau de terrasse de la Meuse.

b) Versant de la rive droite.

Si nous passons à la rive droite, le relief présente le même façonnement que sur le flanc gauche mais cette fois, c'est en courbe convexe que le coteau s'avance vers le fleuve.

Le large feston ainsi dessiné s'emboîte admirablement dans le creux du versant opposé.

Une pente assez forte, un peu moins accentuée cependant que celles observées à l'Ouest, nous conduit à un vaste palier où s'élève l'ancienne forteresse de la Chartreuse.

Dès Robermont nous notons la cote 125 mètres et l'altitude se maintient sensiblement pareille jusque vers Belle Flamme et Malveau pour s'élever un peu vers les Petites-Bruyères.

Puis, au Sud, c'est la descente rapide par Grivegnée ou Chênée, vers les vallées de l'Ourthe et de la Vesdre.

Vers l'Est, si nous suivons la grand'route de Liège à Herve, le sol se redresse lentement d'abord pour atteindre Bois de Breux puis brusquement vers Beyne-Heusay et Fléron, centres à partir desquels le relief devient plus accidenté, plus heurté.

Comme les terrasses de Cointe et de Pontisse, de même niveau, l'ample plateforme de la Chartreuse et recouverte de graviers analogues, comme composition, aux dépôts sur la terrasse de la rive gauche.

Nous nous trouvons donc encore en présence d'une terrasse de la Meuse. Cette terrasse de la Chartreuse et particulièrement étendue puisqu'elle se prolonge, en amont, jusque près de Chênée.

c) Les Terrasses.

L'étude des deux versants de la Meuse dans l'agglomération liégeoise nous a permis d'y reconnaître, tant sur la rive droite que sur la rive gauche, à 125 mètres d'altitude moyenne, des replats bien caractéristiques: ceux de Cointe, de Tribouillet et de la Chartreuse. Partout, nous l'avons constaté, ces terrasses offrent le même aspect: elles sont recouvertes de cailloux roulés assez grossiers (q 2 n de la carte géologique) reposant en couche assez épaisse sur un soubassement de schistes ou de grès houillers.

Ces graviers ressemblent beaucoup, comme composition, à ceux du fond de la vallée; parfois une couche importante de limon les recouvre à son tour (4).

Certains de ces cailloux peuvent être exceptionnellement volumineux; on peut observer à Cointe le très gros bloc de quartzite revinien, noir avec veines blanches, de près de deux mètres cubes, provenant des Ardennes françaises (5). Il a été entraîné là avec des cailloux plus petits. iM. Fourmarier en signale un autre à Trou-Souris près de Grivegnée (6).

D'autres, d'origine analogue et presque aussi volumineux, se rencontrent encore à Genck.

Ce n'est donc pas une exception: il s'agit bien là d'un niveau général de terrasse, dénommé fréquemment le niveau de Cointe, le seul d'ailleurs qui soit bien démontré (7).

Le régime des terrasses, le long du fleuve, n'est pas le même suivant que l'on envisage la partie située en aval ou en amont de Liège.

En amont, M. le prof. Fourmarier n'admet en réalité qu'un seul niveau de terrasse: le niveau de Cointe qui intéresse spécialement Liège.

La terrasse inférieure n'est autre, en effet, que la plaine alluviale où, lorsque le pouvoir de transport du fleuve n'est pas complètement annihilé, lors de très fortes eaux, la Meuse transporte ses cailloux; ce n'est donc pas là un vrai niveau de terrasse.

La terrasse supérieure correspond au cailloutis Onx de la carte géologique, souvent appelée gravier blanc vu la prédominance de quartz blanc dans ce dépôt.

Ces cailloux, beaucoup plus petits et mieux roulés que ceux de la Meuse, ont une composition très différente de celle des cailloux des autres terrasses ou des dépôts du fond de la vallée. M. Fourmarier les considère, à la suite de M. Lohest, comme un produit de remaniement, comme un cordon littoral du pliocène supérieur et nullement comme appartenant à une terrasse de la Meuse.

La terrasse de Coine, au contraire, se retrouve tout le long de la vallée de la Meuse à Dinant comme à Namur, à Huy comme à Liège et nous pouvons y rattacher les terrasses des affluents de la Meuse.

En aval de Liège, il et souvent question de trois niveaux de terrasses, alors qu'en réalité on n'en retrouve que deux. A Maestricht, on parle d'une terrasse inférieure mais elle correspond à la plaine alluviale et n'est pas un vrai niveau de terrasse.

Viennent ensuite une terrasse moyenne à 20 mètres au-dessus du niveau de la Meuse et une terrasse supérieure, à 60 ou 70 mètres.

La terrasse supérieure de Maestricht est bien recouverte d'alluvions mosanes et se raccorde parfaitement à la terrasse de Cointe.

Quant à la terrasse dite " moyenne ", elle peut s'observer jusqu'aux portes de Liège, à Hertal et à Jupille notamment, où sa base se trouve 3 ou 4 mètres au-dessus du fleuve.

La désignation de terrasses supérieure, moyenne et inférieure nous semble donc erronée tant à l'aval qu'à l'amont de Liège.

Les profils que nous établissons transversalement entre le versant gauche et la Chartreuse marquent clairement les deux terrasses ainsi que la rupture de pente assez brusque qui succède au replat.

Ces terrasses haut perchées pouvaient-elles attirer les hommes et devenir l'élément primitif de fixation du centre urbain?

Elles offraient une étendue suffisamment vaste pour permettre l'établissement d'un groupement humain (8).

Elles avaient, en outre, l'avantage d'être à l'abri des inondations. Nombre de villes doivent ainsi leur origine à la présence d'une terrasse fluviale.

Il semble que les hommes, à Liège, n'ont apprécié que bien tard ces promontoires élevés.

Le ravitaillement en eau potable devait cependant y être possible puisqu'aujourd'hui encore, malgré le drainage opéré par les charbonnages, les sources qui descendent des hauteurs donnent une eau assez abondante et de nos jours, la commune de Herstal, par exemple, s'alimente en eau potable à la terrasse de Pontisse. D'autres raisons ont donc dû empêcher les hommes de se fixer sur les terrasses de la Meuse; sans doute faut-il songer au fait que ces sites découverts, fortement battus par les vents, ont un climat plus rude et aussi, à la facilité avec laquelle certaines de ces terrasses sont accessibles du plateau, d'où leur peu de valeur comme site de défense.


2. - Les cours d'eau

Pour comprendre les avantages et les inconvénients que présentent pour Liège ses cours d'eau, il et nécessaire d'en préciser les caractères et les rapports.

a) Régime de la Meuse.

L'irrégularité du régime de la Meuse, dépend avant tout de l'alimentation fluviale si différente l'été et l'hiver.

L'été est, chez nous, la saison la plus pluvieuse et le plateau ardennais d'altitude élevée accuse un maximum sensiblement supérieur à celui des autres régions belges.

Malgré la plus grande abondance des précipitations estivales, c'est à cette saison précisément que correspondent des maigres prononcés. L'évaporation et la végétation absorbent en effet la plus grande partie de l'eau tombée.

En hiver, par contre, l'infiltration, seule cause de perte des eaux, est plus réduite encore sur ce sol imperméable.

La déclivité du terrain provoque un écoulement rapide et il en résulte des crues fortes et soudaines.

C'est là un phénomène général à tous les affluents de la Meuse en Ardenne; les moins importants d'entre eux peuvent accuser d'énormes variations de débit. Ainsi « le débit de la Lomme à Rochefort, souvent inférieur à un demi mètre cube par seconde, atteint lors des crues jusque 80 mètres cubes par seconde » (9).

On ne s'étonne pas, dans ces conditions, de ce que le rapport entre le minimum et le maximum de débit du fleuve lui-même soit de 1/20, de beaucoup supérieur à celui du Rhin qui ne se chiffre que par 1/6.

Le bassin français de la Meuse n'exerce qu'une influence très réduite sur le régime du fleuve en Belgique.

Pierrot fait tout d'abord remarquer que les hauteurs de pluies recueillies dans la partie centrale du bassin sont bien plus fortes que celles relevées dans la partie méridionale de ce bassin (10)

Bien que la moitié environ du bassin drainé par la Meuse en amont de Liège soit en territoire français, l'importance des crues nées en France est amoindrie par suite de la perméabilité ou de la semi-imperméabilité du sol. Jusqu'à Mézières, elles conservent « les caraéères de modération propres à l'hydrologie des calcaires lorrains » (11).

Elles n'ont donc que peu de retentissement sur la montée des eaux à Liège, qui dépend presque exclusivement des crues des affluents ardennais.

La Meuse et l'Ourthe ont ainsi produit, au cours de l'histoire, de redoutables inondations qui ont maintes fois ravagé la ville.

Tous, nous avons encore présent à la mémoire le terrible désastre provoqué dans toute l'agglomération liégeoise par la crue, particulièrement dévastatrice, du 1er janvier 1926.

De nombreux travaux de rectifications et d'endiguements, exécutés à la suite d'inondations antérieures, devaient, croyait­on, protéger les Liégeois et les délivrer du menaçant fléau. La catastrophe récente a prouvé que le fleuve n'avait pu encore être définitivement dompté.

Le plan (12) ci-contre montre l'importance de la zone inondée qui correspond assez exactement à la plaine alluviale.

D'une façon générale, le lit majeur s'est étendu jusqu'aux collines qui bordent le fleuve, sauf à l'aval de Liège-Fonderie où l'inondation s'est arrêtée au canal de Liège à Maestricht.

On a pu évaluer à 345 millions de mètres cubes la quantité d'eau emmagasinée sur les deux rives du fleuve dans l'agglomération liégeoise.

Le territoire inondé représentait, pour la ville seule, 425 hectares, dont, 215 sur la rive gauche de la Meuse et 210 sur la rive droite.

La crue de 1926 a dû son extraordinaire violence au caractère très pluvieux de décembre.

Les précipitations atmosphériques avaient été assez abondantes au cours de tout le mois, de sorte que le sol se trouvait saturé d'eau lors de la reprise des pluies à la fin de l'année. Ces dernières ont été exceptionnellement intenses et leur hauteur totale a dépassé en 5 jours, la moyenne du mois entier pour la Belgique.

La situation s'aggrava par le fait que ces pluies s'étendirent à la plus grande partie du bassin hydrographique de la Meuse, et qu'elles furent accompagnées d'un brusque relèvement de la température.

Ces précipitations torrentielles provoquèrent une crue rapide et violente des affluents - crue qui, par suite de la différence de pente, précédait le passage du flot de la Meuse au point de confluence. Ainsi le flot de l'Ourthe a devancé le maximum de la Meuse et de l'Ourthe réunies, à Liége-Fonderie, d'une trentaine d'heures.

Le décalage semble avoir été moindre cette fois que lors des précédentes grandes crues, ce qui a contribué à l'ampleur extraordinaire de la montée des eaux à Liège.

Le matin du 1er janvier, au moment du maximum de la crue, la cote du fleuve atteignait, à Liége-Fonderie, 62 mètres, soit 4 m. 70 au-dessus de l'étiage. On a estimé que le débit du fleuve devait être alors de 2950 mètres cubes à la seconde, alors que le Service des Ponts et Chaussées français ne renseigne que 1500 m sec. à Givet, le 31 décembre à 18 heures.

Le graphique ci-contre (p. 39) donne très bien l'allure de la crue à Liége-Fonderie. Il fait ressortir la vitesse de la montée et la durée plus longue de la décrue.

A dessein, nous nous arrêtons assez longuement à ce désastre de 1926 parce qu'il présente réellement tous les caractères des crues calamiteuses de la Meuse. Nous pouvons les résumer ainsi: inondations hivernales brusques, souvent imprévues, avec montée rapide du flot, courtes mais intenses et très dévatatrices.

La plupart des grandes crues de la Meuse et de l'Ourthe ont été des crues d'hiver: 22 décembre 1880, février 1850, décembre 1740, janvier 1643, février 1571, débâcles d'hiver encore en 1543, 1533, 1408.

En 1880 comme en 1926, l'amplitude exceptionnelle du flot de la Meuse à Liège, était due à la crue du fleuve, aggravée par celle de l'Ourthe et de ses affluents, surtout la Vesdre. Ce sont uniquement des pluies persitantes qui avaient provoqué le désastre.

M. l'Ingénieur en Chef Debeil écrivait à ce sujet « Une pluie abondante et parfois torrentielle qui ne cessa de tomber depuis la nuit du samedi 18 jusqu'au lundi 20 décembre au matin, ne tarda pas à faire sentir son influence sur le régime des eaux. Tous les affluents de la Meuse gonflèrent avec une telle rapidité que le mardi 21 décembre au matin, la Vesdre et l'Ourthe atteignaient leur niveau maximum » (13).

L'écluse d'Avroy renseignait le 19 décembre à 8 h. du matin 61.00, et le 22 décembre à 3 h. du soir 63.72.

En 1850, alors que les travaux de dérivation de la Meuse (14) n'étaient pas effectués, « les quartiers d'Avroy et du Centre situés sur la rive gauche et le quartier de l'Est situé sur la rive droite, étaient non seulement submergés, mais subissaient en outre les effets nuisibles d'un flot rapide s'engouffrant sans relâche dans toutes les rues et ruelles » (15).

Les crues sévissaient plus cruellement encore aux époques reculées. Sous Reginard, de grands travaux furent effectués pour défendre la cité contre les eaux courantes (16).

Nous savons, par l'Histoire, que l'inondation de 1643, la plus forte dont les Annales aient transmis le souvenir, emporta le pont des Arches et le pont d'Amercœur.

Gobert (17) nous retrace les nombreuses vicissitudes de ce dernier que l'Ourthe, démesurément grossie par des pluies abondantes ou par la fonte des neiges, détruisit maintes fois au cours des siècles.

Les chroniqueurs nous disent que des crues exceptionnelles en 896 et 1314 renversèrent églises et maisons, ensevelirent les vivants et déterrèrent les morts (en 1185) (18), obligèrent à naviguer dans les rues (en 1374 et en 1540 notamment) (19).

Les liégeois ont noté à certains édifices publics, quelques hauteurs d'eau atteintes lors des grandes crues anciennes.

C'est ainsi qu'un pilier de l'abside de la Cathédrale St-Paul, porte des traits gravés dans la pierre. On peut y comparer le niveau des eaux en 1571, 1643, 1740, 1850 et 1926. Ces hauteurs, mesurées au-dessus du pavement atuel, sont respectivement de 0 m 83, 1 m 30, 1 m 20, 0 m 83 et 1 m 10. On se figure aisément l'importance de la nappe d'eau qui recouvrait alors tout le quartier de l'Ile.

A l'annexe de l'Hospice des Orphelins, rue du Vertbois, un trait sur l'un des jambages d'une porte montre le niveau de la crue de 1740 à 1 m. 43 au-dessus du seuil. Le 1er janvier 1926, l'eau atteignit au même endroit 1 m 49.

La ville a donc été bien des fois submergée par les eaux depuis l'époque moderne, l'a même été, encore, après l'exécution des travaux de rectification et d'endiguement de la fin du 19e siècle, que la crue récente de 1926 vient de révéler nettement insuffisants.

Aussi tout un programme nouveau, déjà en voie d'exécution, a-t-il été élaboré pour faciliter l'écoulement des eaux de crue: rectification de la Meuse à l'aval de Liège, endiguement des deux rives depuis le pont d'Ougrée jusqu'à Liège-Fonderie.

C'est un peu à regret que l'on voit disparaître le beau fleuve derrière de nouvelles et longues digues de béton, si élevées le long de certains quais (20) qu'elles masquent entièrement la vue de l'eau.

Notons encore:

L'approfondissement du fleuve qui fera disparaître le relèvement du fond provoqué par les apports abondants dus au régime torrentiel de l'Ourthe.

« Le fond du fleuve présente une bosse s'étendant du pont du Val St-Lambert au pont de Wandre et dont la hauteur atteint environ 1 m 50 Liége-Avroy " (21).

La création en Ardenne et dans les vallées des affluents de la Meuse de barrages-reservoirs pouvant retenir partiellement et temporairement les eaux de crue.

Ces barrages-réservoirs offriront de plus l'avantage de régulariser le débit de la Meuse et d'augmenter son débit d'étiage.

« En amont de Liège, dans le bassin indutriel qui s'étend jusqu'au delà du pont du Val St-Lambert, les inondations sont devenues de plus en plus fréquentes et graves à la suite des affaissements consécutifs au déhouillement ».

En 1925-1926, les eaux d'inondation ont atteint 5 m 50 de hauteur dans la rue principale de Seraing (22).

A Liège même, l'affaissement est beaucoup moins marqué, car il y a très peu de terrains concédés dans la plaine alluviale. La présence d'épaisses couches de graviers empêchait l'exploitation à l'origine.

Plus tard, lorsque les procédés pour traverser ces couches perméables ont été découverts, la ville était déjà trop importante pour que l'on put songer à exploiter dans la plaine alluviale, mais on l'a fait dans une très large mesure à l'amont et même à l'aval.


b) La Meuse et l'Ourthe.

La Meuse et l'Ourthe ont à Liège des « allures presque montagnardes » dont on s'étonne un peu à première vue, quand on songe qu'elles sont toutes deux des rivières de plateaux et de basses montagnes.

C'est surtout aux mouvements généraux qui ont affecté le sol de la région, qu'elles doivent ce caractère de cours d'eau à régime irrégulier et roulant des eaux rapides.

Dès son confluent avec la Semois, la première rivière ardennaise, la pente kilométrique de la Meuse s'élève de 0 m 255 à 0 m 44.

Elle se maintiendra telle jusque Hastière, à l'entrée du dévonien supérieur, pour s'abaisser à 0 m 39 entre cette localité et Liège (23)

Les hauts plateaux, au sol imperméable, sont sillonnés d'un chevelu très serré de ruisseaux et de rivières de forte pente, qui peuvent se transformer brusquement en torrents à la suite de pluies intenses ou de rapides fontes de neige.

Tous les affluents, en amont de Liège, accusent à des degrés divers, ce caractère torrentiel.

La pente kilométrique est de 1 m 50 pour la Semois, de 4 m 20 pour la Lesse; de 9 m 50 pour le Hoyoux qui dévale à travers le plateau du Condroz par de nombreuses cascatelles; en 1893 ses eaux montèrent de 2 mètres en une heure; le soir de cette crue, elles rentraient dans leur lit (24).

Seule la Sambre, sensiblement parallèle aux lignes hypsométriques, a un cours plus lent.

L'Ourthe qui rejoint la Meuse à Liège, a une pente kilométrique moyenne de 2 m 80 qui, heureusement, diminue de plus de moitié dans son cours inférieur (25). Elle amène dans le fleuve les eaux d'affluents importants, l'Amblève et la Vesdre dont les pentes respectives sont de 3 m 10 et de 3 m 50 au kilomètre. (Elle absorbe également une foule de cours d'eau de moindre importance que la pluie fait naître dans tous les creux si nombreux du massif primaire) (26).

Affluent belge de la Meuse, le plus important par l'étendue du domaine drainé, l'Ourthe, par l'abondance des matériaux charriés, porte la pente kilométrique du fleuve à 0 m 42 après le confluent.

La Meuse, à Liège, est à présent (27) un fleuve large, coulant dans une vallée profonde.

Son lit mineur y et de 140 mètres contre 80 à son entrée en Belgique; son altitude, de 100 mètres encore à la frontière, n'atteint plus que 55 mètres dans la traversée de la ville.

Fleuve au cours violent en hiver ou en période de pluies, il présente aujourd'hui encore jusqu'à Maestricht, un obstacle sérieux à la navigation.

Des travaux nombreux, canalisation, écluses, barrages, ont dû être exécutés pour le rendre utilisable en amont de Liège.

Normalement, en aval de la ville, la navigation s'effectue par le canal latéral de Liège à Maestricht et non par la Meuse.

A cet inconvénient s'ajoute l'irrégularité du régime qui, nous l'avons vu, a provoqué de tout temps des crues hivernales souvent imprévues et dévastatrices.

Les catastrophes se font heureusement plus rares grâce aux nombreux travaux effectués de nos jours; mais l'inondation désastreuse de 1926 a montré que le fleuve n'avait pu encore être définitivement maîtrisé. Représentons-nous la Meuse et l'Ourthe d'autrefois, libres et livrées à elles-mêmes et nous comprendrons combien fréquemment la large dépression liégeoise devait être le jouet des irrégularités de leur régime. A la moindre crue, les rives et les îles basses, enserrées entre les nombreux bras du fleuve et de la rivière, devaient disparaître sous les eaux.


3. - La plaine alluviale

La Meuse qui, entre Namur et Liège, coule vers le Nord-Est, change brusquement de direction, en cette dernière ville, et se dirige vers le Nord.

Ce coude s'explique en partie par un déplacement vers le Nord du rivage de la mer, déplacement dû à un mouvement tectonique qui a eu pour conséquence une émersion plus importante de notre pays.

Une seconde cause, plus importante peut-être que la première doit être cherchée, selon Lohest, dans l'existence d'une vallée Sud-Nord qui, antérieurement, permettait l'écoulement des eaux de l'Ourthe vers le Nord, à une époque où la Meuse ne passait pas à Huy.

Une érosion plus intense, dans les schistes houillers tendres, accrue encore par l'arrivée de l'Ourthe, a été la conséquence de ce recul du rivage maritime vers le Nord et de cet affaissement du niveau de base. C'est ce qui nous explique l'altitude très basse de la Meuse à Liège. Le fleuve y présente un autre caractère: c'est un élargissement très marqué.

Au Sud, là où se fait la jonction, la plaine alluviale s'étend en effet de l'usine à cuivre et à zinc, sise à la limite de la commune de Grivegnée, jusqu'à la place des Franchises près de la gare des Guillemins.

Plus au centre, la plaine est plus large encore et s'étale du boulevard de la Sauvenière jusqu'au chemin de fer de Liège à Visé.

Le vaste fond liégeois et dû partiellement aux méandres que faisait autrefois la Meuse entre Sclessin et Jupille et, en partie, au confluent de l'Ourthe qui a creusé, dans le flanc droit de la vallée, un débouché très large.

Une esquisse rapide du site de confluence fera ressortir que c'est également à l'allure capricieuse des cours d'eau qu'il devait son aspect primitif.

La Meuse et l'Ourthe - cette dernière bien plus que le fleuve - ont par suite de leur caractère torrentiel, un énorme pouvoir de transport et charrient de grandes quantités d'alluvions arrachées aux plateaux élevés d'amont. A son embouchure, l'Ourthe a même provoqué un relèvement du fond du fleuve. La diminution de la pente ainsi que la rencontre des deux courants favorisent le dépôt de ces matériaux et expliquent la marche divagante des deux rivières dans la plaine liégeoise.

Véritable plaine, en effet, que ce vaste épanouissement à fond plat et marécageux où la Meuse serpentait et se divisait en bras multiples enserrant des îles alluvionnaires, où l'Ourthe fortement ramifiée, déterminait, elle aussi, un archipel d'îles basses.

Des accumulations un peu plus importantes de graviers et de boues, fréquentes lors des crues, favorisaient les hésitations des rivières incapables de déblayer et amenaient souvent la formation de nouveaux bras.

Iles et méandres devaient ainsi se modifier sans cesse en même temps que s'accroissait l'épaisseur des alluvions.

Les déplacements successifs se marquent d'ailleurs par la présence d'importantes couches de graviers, à stratification entrecroisée, reposant sur le houiller. Elles constituent le sous­sol de la portion de la ville établie dans la plaine alluviale telle qu'elle s'étendait autrefois (28).

Ainsi, lors des fouilles de la place St-Lambert, les géologues ont reconnu, à 6 ou 7 mètres de profondeur, des alluvions mosanes (voir coupe p. 46). Le professeur Max Lohest écrit à ce sujet (29):

« La couche inférieure (i) et formée de cailloux roulés provenant, des collines de l'Ardenne et du Condroz. C'est incontetablement un dépôt amené par la Meuse.

La couche de limon gris (b) a vraisemblablement la même origine. Elle contient quelques coquilles (Hélix) en mauvais état de conservation.

Donc, à une époque très reculée, un bras de la Meuse occupait l'emplacement actuel de la place St-Lambert. »

Selon M. Fourmarier (30), l'épaisseur des dépôts de graviers du fond des vallées, est assez variable. Il l'évalue « de 6 à 9 mètres en moyenne pour la vallée de la Meuse » et il estime qu'elle peut atteindre plus de 15 mètres dans la vallée de l'Ourthe.

Le même auteur nous renseigne sur la composition de ces dépôts: « Ce gravier est formé principalement de cailloux de roches ardennaises avec des silex, des cherts carbonifères; le quartz blanc y domine ainsi que les quartzites cambriens et les grès du dévonien inférieur. La grosseur des cailloux et très variable: on rencontre parfois des lits d'argile intercalés dans le gravier (31).

Essayons de nous rendre compte de l'aspect de la plaine alluviale au moment de la création de la cité.

Les modifications profondes apportées à la physionomie de la ville sont de date récente. Nombre d'artères portent encore aujourd'hui des noms évocateurs de la topographie d'autrefois. L'étranger s'étonne de rencontrer en plein centre, loin de tout cours d'eau, des rues se dénommant du Pont d'Ile, Vinâve d'Ile, du Pont d'Avroy, St-Jean en Ile, du Pont Mousset, etc.

C'est que la métamorphose à Liège a été radicale, comme les gravures et les plans anciens l'attestent.

Autrefois la Meuse, arrivant de Sclessin, se divisait en deux branches principales au Petit Paradis, à Fragnée: la première se dirigeait vers le Nord en suivant approximativement le cours actuel; la seconde empruntait l'avenue Blonden d'aujourd'hui (voir carte hors texte, en couleurs).

Cette seconde branche bifurquait à nouveau au bas de la rue des Augustins: un bras, cotoyant la partie gauche du boulevard Piercot actuel, s'en allait vers Cheravoie; l'autre, le méandre qualifié rivière d'Avroy, longeait le pied de la crête du Publémont et arrivait également en Cheravoie après avoir parcouru les boulevards d'Avroy inférieur, de la Sauvenière et la rue de la Régence.

Une infinité de ramifications se détachait de ces grands méandres et augmentait le danger des inondations dans cette plaine basse entièrement submersible.

Deux grandes îles, à peine plus élevées que le bras d'eau qui les entourait, s'étalaient ainsi sur la rive gauche de la Meuse actuelle. Leur sol alluvionnaire, gravier recouvert de limon, et les fréquents débordements du fleuve, expliquaient leur caractère marécageux et leur végétation broussailleuse.

La plus septentrionale, de forme irrégulière, dénommée l'Ile, était de beaucoup la plus vaste.

Elle s'étendait entre la Meuse, la rue de la Régence, les boulevards de la Sauvenière, d'Avroy et Piercot d'aujourd'hui,

La seconde, très allongée et légèrement arquée, occupait partiellement le parc d'Avroy et le quartier des terrasses, dont les liégeois sont si fiers.

Toutes deux étaient d'un relief assez uniforme.

La partie de la ville qui constitue à présent le quartier de l'Ile, ne compte d'ailleurs que des rues particulièrement plates.

La cote de nivellement (32) de 1851 donne pour le sol, vis-à-vis de Vinâve d'Ile, 62 m 100; celle de 1871, 62 m 311, la différence s'expliquant par un exhaussement dû aux pavages successifs.

Le niveau du sol primitif devait donc être bien inférieur encore.

La Cathédrale St-Paul et l'église St-Jacques, toutes deux, monuments très anciens, se trouvent à hauteur de la voirie actuelle, voire même légèrement en contrebas.

Il et certain que des constructions de pareille importance, au moment où elles furent érigées, devaient être surélevées par rapport au sol alluvionnaire.

Les conditions topographiques de la rive droite n'étaient guère plus favorables.

Le territoire compris entre l'Ourthe actuelle (dérivation) et la Meuse était, lui aussi, sillonné de nombreux bras de la rivière, qui découpaient irrégulièrement le sol en une série d'îles basses (33) plus ou moins vastes; plus en amont vers Grivegnée et Angleur, l'Ourthe formait de nombreux bras, remblayés aujourd'hui, comme elle en dessinait aussi dans la partie de la ville plus en aval, au Longdoz notamment. Les rives du fleuve aussi bien que les îles alluvionnaires ne pouvaient guère, à une époque reculée, offrir un abri sûr aux hommes. La plaine alluviale devait éloigner plutôt qu'attirer les peuplades primitives.

A l'origine, Liège n'a donc pas été une ville de la Meuse. Elle ne constitue nullement en cela une exception.

A part Maestricht qui, dès son origine, se révèle comme bourg de pont et de passage de la Meuse, les grandes agglomérations mosanes ont commencé par éviter le fleuve (34).

Le cas n'et d'ailleurs pas particulier à la vallée de la Meuse (35).

Faut-il conclure que la ville ne pouvait retirer aucun avantage de sa proximité du fleuve?

On songe en premier lieu à la circulation. On sait qu'un certain trafic existait dès l'époque romaine.

« La Meuse, écrit M. Cumont (36) vit se développer une navigation active et profitable. C'est par ce large chemin mouvant que les Tongres exportaient surtout leurs produits. Le port principal où les vaisseaux venant de l'Océan rencontraient les bateaux descendus de l'intérieur était alors Vechten (Fectio) près d'Utrecht. Les Tongres avaient un comptoir dans ce grand entrepôt du Nord ».

Mais la navigation n'intéresse pas seulement la Meuse inférieure.

Le fleuve constituait, dès l'époque romaine, une route de pénétration assez importante, voie qui en réunissant le Nord et le Sud, a d'ailleurs, selon M. F. Rousseau (37), contribué à la prospérité économique de l'ancienne « civitas Tongrorum » devenue dans la suite le diocèse de Liège. Plus tard aux époques mérovingienne et carolingienne « les bourgs de la Meuse, Dinant, Namur, Huy, Maestricht, d'origine romaine, ont été le siège d'ateliers monétaires ».

Il y en eut un à Liège également sous Charlemagne.

N'est-ce pas là l'indice d'une certaine activité commerciale et c'est un fait connu qu'alors les marchands se servaient essentiellement des rivières.

« Le commerce mosan prit au XIe siècle un développement considérable. Ce commerce se trouvait orienté surtout suivant la direction du cours de la Meuse, en amont comme en aval.

D'autre part, il débordait au loin vers l'Europe centrale. Les marchands mosans pénétraient jusque dans la vallée du Danube; ils fréquentaient la grande foire d'Enns où ils se trouvaient en contact avec des marchands de Russie. Ce fait explique la découverte en Russie de nombreuses monnaies du XIe siècle frappées à Dinant, à Namur, à Huy et à Maestricht " (38).

Ces marchands sont signalés aussi, à la fin du Xe siècle, sur le marché de Londres et à Liège, ils sont déjà une puissance sous l'évêque Otbert, vers la fin du XIe siècle,

Dès le XIIIe siècle, Liège exporte vers la Flandre des dinanderies et du bois de construction. « Une charte de 1244 nous apprend, en effet, que les arbres des Ardennes étaient flottés par la Meuse jusqu'en Hollande puis de là amenés par l'Escaut jusqu'en Flandre » (39).

Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, la houille intéressait déjà le commerce fluvial.

Depuis, le trafic n'a cessé de s'accroître, grâce aux travaux exécutés pour améliorer la navigation sur le fleuve.

Quant au trafic sur l'Ourthe, il a toujours été médiocre.

Cet attrait que la Meuse a exercé sur les hommes ne nous éclaire cependant nullement quant au site primitif de la ville.

Alors que Maestricht, Dinant, Namur, Huy ont connu à l'époque romaine une réelle animation - ce sont les plus anciens portus de la Belgique - Liège et resté plus longtemps dans l'ombre et semble n'avoir acquis quelque importance que plus tardivement, sous le coup d'événements politiques et religieux.

On signale, en 712, le transport du corps de St-Lambert, de Maestricht à Liège, qui se fit en remontant le cours de la Meuse avec 2 haltes à Lanaye et à Hermalle-sous-Argenteau (40).

La Meuse, tout en ayant exercé une attraction certaine dès les temps très lointains, n'a pas été pour Liège l'élément primitif de fixation de l'agglomération urbaine.

Nous verrons le fleuve agir plutôt sur une localité déjà fixée pour la déplacer.

Que dire de l'utilisation de la Meuse et de l'Ourthe comme force motrice ?

Pendant longtemps, les bras du fleuve et des rivières actionnèrent des moulins à farine et à tan, des makas et des martinets pour le travail des métaux (41).

Mais ce n'est pas là un facteur particulier à Liège et nombreuses étaient les usines primitives dans toutes les vallées ardennaises. Ici encore les hommes eussent pu hésiter entre bien des emplacements avant que de fixer leur choix.

On pourrait invoquer encore l'alimentation en eau potable.

La présence des schistes houillers, constituant un niveau imperméable sous les graviers de la Meuse, permet la formation d'une nappe superficielle.

Si l'eau des graviers a été reconnue pure (42) elle peut cependant être facilement contaminée par suite de la faible profondeur de la nappe. On peut rencontrer parfois une eau potable dans des nappes plus profondes (43). Une couche très perméable de graviers, emprisonnée entre deux couches qui l'étaient moins, a même pu donner quelquefois des eaux jaillissantes; mais c'est là une exception.

L'alimentation possible en eau potable ne représente en tout cas pas un élément suffisant pour expliquer la localisation d'un groupement humain au bord du fleuve.

Résumons les caractères géographiques primitifs du fond de la vallée: un sol bas et marécageux, un dédale de bras se déplaçant aisément, une multitude d'îlots graveleux recouverts de broussailles et souvent noyés sous le flot impétueux de la Meuse ou de l'Ourthe. Ce sont là les conditions d'un emplacement plutôt médiocre où les " rapports nuisibles " semblent l'emporter sur les " rapports utiles ".


4. - La Légia

Il nous reste à envisager le vallon latéral de la Légia, cet affluent en apparence si peu important et qui, nous le verrons, a joué le rôle primordial dans la formation de la Cité.

Ce ruisseau, ignoré de beaucoup de Liégeois et dont on ne retrouve plus trace dans la ville contemporaine, avait-il donc des vertus si précieuses pour attirer les hommes?

La Légia descendait de l'Ouest des hauteurs d'Ans et dévalait vers la Meuse déterminant ainsi une des nombreuses entailles sectionnant le rebord du plateau.

Mais ce vallon de la Légia, de beaucoup le plus important, tant par la largeur que par la longueur, est de tous les " fonds " de la rive gauche, celui qui pénètre le plus avant vers l'intérieur du pays.

Parallèle au fond des Tawes, il a sur celui-ci le très grand avantage de déboucher dans la vallée de la Meuse au centre de la plaine alluviale.

Il est de tous les ravins latéraux celui qui occupe vis-à-vis de la vallée principale la position la plus favorable.

De direction Ouest-Est dans sa partie supérieure, la vallée s'infléchit légèrement vers le Sud-Est pour reprendre bientôt une orientation Sud-Ouest-Nord-Est dans sa section inférieure.

Si la Légia a disparu, comme cours d'eau à l'air libre, et si la création d'artères récentes a effacé presque complètement les dernières traces du modelé primitif, il et assez aisé, grâce aux renseignements que nous fournissent l'histoire et la toponymie, de reconstituer le trajet du ruisseau en territoire liégeois.

a) La Légia, de la source au pied de Pierreuse.

Gobert fait remarquer que l'absence complète de texte ne permet pas de préciser l'emplacement exact des sources de la Légia.

La source de Coqfontaine contituait selon lui " la venue d'eau la plus éloignée territorialement parlant ". Il ajoute que " toutes les autres sources naturelles qui grossissaient jadis le cours de la Légia et dont le souvenir et transmis par d'anciens écrits, venaient à leur tour d'Ans uniquement " (44).

Le bassin d'alimentation du ruisseau devait être assez vaste. On pourrait le limiter approximativement par une ligne joignant Glain. Bolsée, la station d'Ans Est, la Houillère des Français et le faubourg Ste-Walburge.

L'épais manteau crétacé de Hesbaye repose sur une couche imperméable d'argile hervienne. Une nappe aquifère puissante s'est ainsi formée à la base de la craie (45).

Le sillon mosan et le ravin latéral de la Légia interrompent brusquement la couche crayeuse et des sources jaillissent le long de la coupure.

La Légia était ainsi toujours abondamment pourvue d'eau. Nous en avons la certitude puisque, sur les 5 ou 6 kilomètres de son parcours, le ruisseau pouvait activer de nombreux moulins.

Louvrex, sur sa carte figurative de la Légia (46), en mentionne 7 ou 8 en territoire liégeois et 6 à Ans.

L'existence de ces usines était si spéciale à l'endroit, qu'un hameau notable d'Ans a pris le nom générique de ces moulins. Ainsi également s'etait-il fait que Ans a été appelé communément Ans et Moulins depuis le XIIe siècle au moins jusqu'à la fin du régime princier " (47).

La toponymie nous a conservé le souvenir de ces moulins primitifs. Nous retrouvons à présent une rue des Meuniers là où la Légia alimentait des mouIins à farine. Le cours d'eau portait d'ailleurs à cet endroit le nom de " rieu des Meuniers ". Plus en amont se trouvaient les moulins du Doux-flot et de St-Laurent. En aval la Légia actionnait encore le moulin des Bons­Enfants et celui au Brâ (à l'angle de la place du Marché et de la rue Ste-Ursule).

Ainsi ces moulins nous permettent de retracer le cours du ruisseau.

Arrivant du plateau où près de sa source elle portait le nom de rewe, la Légia au moment de pénétrer dans la ville se qualifiait " li riwe de Duflohe " (48), puis parcourait le faubourg Ste­Marguerite, à l'emplacement de la rue Ste-Marguerite actuelle sous le nom de " riwe Ste-Marguerite " ou de " riwe bas " (49), (sans aucun doute parce que le niveau du cours d'eau s'abaissait assez sensiblement vers cet endroit).

La Légia continuait à descendre vers la Meuse en suivant approximativement la rue Agimont, la partie inférieure de la rue de l'Académie et la rue de Bruxelles d'aujourd'hui (50) puis atteignait le pied de Pierreuse.

Quels étaient les caractères du cours d'eau liégeois?

La dénivellation entre les hauteurs d'Ans, région des sources de la Légia et la vallée de la Meuse est assez marquée: 150 mètres environ d'une part et 60 mètres à peine d'autre part, ce qui fait un écart de 90 mètres environ que le ruisseau franchissait sur un espace très court.

La pente n'était cependant pas uniforme. Régulière d'abord, elle devenait un peu plus forte et c'est par une dénivellation assez brusque que la Légia inférieure débouchait dans la vallée de la Meuse.

La vallée latérale était en somme légèrement " suspendue " par rapport à la plaine alluviale.

Le courant devait nécessairement être très rapide. Sur une partie de son trajet la Légia se dénommait même le " Bouillon " à cause des remous caractéristiques qu'elle produisait (51).

Des eaux abondantes et vives s'écoulant sur un sol relativement tendre devaient creuser et enfoncer profondément leur talweg.

La vallée de la Légia était donc assez encaissée.

Alors que les plateaux périphériques se maintiennent à 180 mètres en moyenne, le fond de la vallée descendait à une centaine de mètres au haut de la rue Ste-Marguerite pour s'abaisser à 78 ou 79 mètres environ au niveau de la rue Agimont (52).

Non seulement les versants encadrant le vallon sont abrupts, mais ils sont de plus sectionnés d'entailles secondaires. Le ravin de Molinvaux et le fond Pirette, particulièrement importants, sont à signaler sur la rive gauche. Ils délimitent le plateau de Xhovémont, replat étroit de même altitude que la montagne Ste-Walburge à laquelle il se soude.

Sur la rive droite, la Légia inférieure est bordée d'une crête typique, étroite et allongée: c'et le Publérnont qui sépare le vallon de la Légia du méandre d'Avroy très peu distants l'un de l'autre dans cette section de leur cours.

La Meuse en Sauvenière avait pu, en effet, entamer et refouler profondément la rive concave du plateau.

La Légia, d'autre part, avait creusé une entaille profonde de sorte que le Publémont surgissait comme une protubérance bien marquée.

Ce promontoire se détache du plateau de Burenville, à hauteur de la caserne St-Laurent, à une altitude de 110 à 115 m.

Large d'environ 300 mètres à sa base, le Publémont s'avance vers le Nord-Est en se rétrécissant et en s'abaissant lentement jusque vers 75 mètres. Il se terminait autrefois à proximité du palais actuel, mais toute cette section inférieure de la crête a disparu depuis les transformations radicales opérées dans ce quartier liégeois (création du square Notger notamment).

Par contre du haut de la tour St-Martin le promontoire apparaît nettement encore avec un abrupt prononcé vers la vallée de la Meuse; la dénivellation est très sensible entre les rues du Mont-St-Martin qui longe la crête et le boulevard de la Sauvenière qui remplace l'ancien bras de la Meuse. C'est par des degrés que l'on accède, aujourd'hui encore, de l'une à l'autre.

Une pente plus douce sépare l'arête du Publémont du vallon de la Légia; l'opposition est, en effet, beaucoup moins forte entre le Mont-St-Martin et la rue Agimont qui occupe le fond de la vallée.

Si l'on se tourne vers le Sud-Est, on voit le promontoire s'élargir et se relever pour se confondre bientôt avec le plateau.

L'éperon de Publémont contitue ainsi un observatoire remarquable d'où l'on domine les deux vallées.

b) La Légia, du pied de Pierreuse à la Meuse.

Après la rupture de pente signalée dans le cours inférieur de la Légia, le ruisseau s'étalait dans la plaine alluviale et rejoignait le fleuve par la place St-Lambert actuelle.

Le cours d'eau n'étant plus emprisonné entre des versants, les eaux s'étalaient librement et c'est par plusieurs bras assez changeants que la Légia atteignait la Meuse.

Ce cours primitif fut d'ailleurs détourné vers l'Est dès le début des temps historiques.

Passant alors derrière le palais, le ruisseau gagnait la place du Marché où il s'appelait " li riwe des Pessecours " (53), alimentait le moulin au Brâ, puis gagnait l'emplacement de l'Hôtel-de-Ville et rejoignait la Meuse après avoir longé la rue actuelle de la Madeleine.

Le débit de la Légia était assez régulier avec, cependant, de brusques à coups lorsque les eaux pluviales, qui pouvaient ruisseler abondamment sur les pentes schisteuses des versants, gonflaient le ruisseau. La présence des ravins latéraux d'où les eaux pouvaient dévaler avec violence, expliquait aussi le caractère parfois capricieux du régime.

La Légia, comme la Meuse, a provoqué de graves inondations que nous relate l'histoire.

Un débordement de la Légia et mentionné en 852.

En 1118, la Légia a brisé ses ponts et renversé maintes constructions (54). L'année suivante, en avril, les eaux boueuses descendirent par Pierreuse et les hauteurs voisines et s'abattirent sur la cité (55). C'était en période de crue que les alluvions charriées par la Légia ou amenées par les vallées secondaires, devenaient particulièrement abondantes.

Celles-ci, vu leur origine, étaient constituées surtout par des éléments fins auxquels venaient s'ajouter des cailloux de schiste arrachés au soubassement primaire.

Ces alluvions se distinguent parfaitement des apports mosans.

Selon les lois de l'érosion fluviale, les dépôts n'ont pu s'effectuer abondants que dans le cours inférieur de la Légia et, en particulier, là où le vallon latéral débouchait dans le large sillon de la Meuse, c'est-à-dire à l'emplacement de la place St-Lambert actuelle.

Les fouilles effetuées à cet endroit en 1907 ont déterminé la présence d'un lit de quelques centimètres de tuf avec cailloux de schiste houiller et d'une couche de limon brun de 1 m 30 d'épaisseur (voir la coupe de la page 46).

Selon le géologue Max Lohest, le tuf de la place St-Lambert représente un dépôt formé dans le lit de la Légia ou dans un étang qu'elle alimentait.

Ses eaux contenaient en effet du Ca CO 3 en dissolution puisqu'elles provenaient particulièrement des terrains crétacés de la Hesbaye.

Le limon et les cailloux ont été amenés par les eaux de la Légia au détriment des hauteurs avoisinantes (56).

C'était surtout lors de pluies torrentielles que les dépôts étaient abondants.

Le même auteur signale qu'il y a une vingtaine d'années, la place St-Séverin fut, à la suite d'un orage, recouverte en certains points de près de 1 mètre de limon (57).

Des faits analogues ont dû se produire avec autant d'intensité à une période plus ancienne.

C'est immédiatement au sortir de la Légia dans la vallée principale, que les alluvions s'accumulaient en grande abondance. Les dépôts se sont étalés pout s'abaisser en pente douce vers le fleuve, constituant ainsi un vaste cône de déjection.

Ce cône très surbaissé débutait à l'endroit où la Légia débouchait dans la grande plaine alluviale, c'est-à-dire au pied de Pierreuse, au haut de la place St-Lambert actuelle, pour s'étendre au delà de celle-ci jusqu'à l'ancien bras de la Meuse vers St-Denis et Cheravoie. La déclivité du sol nous est une première preuve de l'existence du cône.

L'aspect topographique primitif a certainement subi des altérations, mais la pente générale vers le Sud-Est n'en est pas moins sensible aujourd'hui encore: 71 mètres à l'angle Nord­Ouest du Palais, 66 mètres au centre de la place St-Lambert, 64 m 50 l'entrée de la rue Gérardrie, 64 mètres vers St-Denis.

L'importance des alluvions de la Légia, à la place St-Lambert, est encore une donnée décisive; on y a mesuré plus de 4 mètres d'épaisseur d'alluvions dont une couche de 1 m 30 déposée entre l'époque néolithique et la période romaine.

Le cône ne put continuer à se développer puisque la Légia fut, par la suite, détournée de son cours.

Une autre preuve encore nous et donnée par la forme caractéristique en arc concave vers le Sud du tronçon inférieur du méandre d'Avroy. Il semble bien que les accroissements successifs du cône ont refoulé peu à peu ce bras de la Meuse vers le Sud tout en l'obligeant à diminuer de largeur.

C'es le cône de déjection de la Légia, facteur géographique insignifiant en apparence, qui a donc joué le rôle essentiel dans la fixation de la ville.

Les avantages de ce site étaient en effet multiples.

1) On se trouvait près de la Meuse tout en évitant le labyrinthe d'îles basses et marécageuses.

2) La surélévation sensible, du cône, sept mètres au moins, mettait les hommes à l'abri des inondations du fleuve, sans les protéger toutefois contre celles de la Légia, heureusement moins fortes.

C'était là un grave inconvénient. Notons cependant que c'et vers le milieu et surtout vers le bas du cône que les eaux s'épandaient en période de crue. Le haut du cône était ainsi un peu plus favorisé.

3) Le rétrécissement de la largeur de la Meuse devait en faciliter la traversée et permettre de gagner l'Ardenne et l'Allemagne.

Arrivons en au vallon lui-même. Il se terminait, nous l'avons vu, entre St-Pierre et St-Servais.

La vallée était relativement large quoique profonde. Elle s'ouvrait entre l'escarpement de Pierreuse auquel succédait la côte de Hocheporte d'une part et le flanc du Mont St-Martin de l'autre.

C'était là un site admirablement protégé et très à l'abri des vents froids du Nord.

De plus, le versant de Pierreuse, exposé au soleil, constituait un adret remarquable très vite apprécié des hommes et où, au fur et à mesure du défrichement, se sont établies les cultures. Plus tard cet adret sera surtout occupé par des vignobles. Ceux de Hocheporte, de la Montagne Ste-Walburge, de Volière et de Pierreuse datent au moins du XIIIe siècle. Ceux deVivegnis, plus à l'Est, sont même mentionnés dès le IXe siècle (58).

Les versants boisés de la Légia offraient encore aux habitants primitifs, leur bois abondant, avantage qui n'était certes pas à dédaigner.

D'après Gobert, le terme même Légia ne serait que la transformation de "Luicha ", eau du bois (59), étymologie d'ailleurs sujette à caution.

Les forêts de Glain et des hauteurs de Ste-Marguerite n'étaient-elles pas également proches et facilement accessibles.

Voilà les hommes très abrités et bien pourvus d'eau, de bois et plus tard de champs.

Mais il fallait songer aussi et avant tout à se protéger contre les incursions fréquentes des envahisseurs.

Le site, à ce point de vue encore, était des meilleurs.

Le cône n'était-il pas tout à fait proche de ce promontoire de Publémont dont l'étroitesse et l'escarpement des versants faisaient un site choisi pour la défense.

Les hommes pouvaient donc s'y réfugier rapidement en cas d'attaque. De plus, en longeant la crête, ils atteignaient facilement le plateau pour pénétrer dans cette Hesbaye au limon fertile mis en valeur dès l'époque préhistorique.

Un ensemble de fadeurs géographiques propices à la construction d'une agglomération humaine se trouvait ainsi réuni sur ce petit emplacement dans les environs de la gare du Palais actuelle.

La Légia inférieure, son cône de déjection et la crête de Publémont, constituaient donc un endroit relativement favorable à l'établissement d'un campement humain.

L'interprétation des faits historiques et archéologiques nous permettra d'affirmer, dans la suite, que cet emplacement fut bien le berceau de l'agglomération liégeoise.



CHAPITRE II

 


A. - Les origines de la bourgade de Liège

Depuis quand le site occupé par la ville de Liège actuelle est‑il habité et quel est le cadre géographique des toutes premières habitations humaines dans ce site ?

Tel et le double problème que se pose d'abord le géographe. Pour le résoudre, nous avons à notre disposition, d'une part, des données de la préhistoire et de l'histoire et d'autre part des faits géographiques qui, dans les premiers temps de l'installation humaine, ont certainement joué un rôle important.

Quelles sont les certitudes que nous apportent les sciences historiques ? (60).

Nous pouvons les grouper en résultats des fouilles et faits historiques, que nous envisagerons successivement.


1. - Les fouilles

L'archéologie fournit des renseignements très précieux quant aux premières traces d'occupation humaine sur le territoire liégeois.

Lors de fouilles exécutées en 1907 sous la place St‑Lambert, nous y avons fait allusion déjà, on reconnut successivement à des profondeurs de plus en plus grandes par rapport au niveau actuel de la voirie, les fondements de l'ancienne cathédrale St Lambert, les assises notgériennes de la fin du Xe siècle, puis des substructions d'une villa romaine et enfin, à 4 m. 30 sous le sol actuel, un fond de cabane néolithique de 6 mètres sur 3.

Cette dernière découverte permet d'affirmer que le sol liégeois était habité à l'âge de la pierre.

Suivant les suppositions des archéologues, l'emplacement de la place St Lambert était alors occupé " non par une habitation isolée, mais par une agglomération analogue selon toute vraisemblance à celles d'Omal ou de Jeneffe " (61), villages néolithiques hesbignons constitués par des groupes de cabanes. Onze emplacements ont ainsi été reconnus sur le territoire de la commune de Les Waleffes (62); chacun d'eux a des dimensions restreintes, variant de 3 mètres sur 1 m 25 à 6 mètres sur 1 m 6o, mais comme ils sont distants l'un de l'autre, l'ensemble de l'agglomération pouvait s'étendre sur un espace de 30 à 40 mètres carrés environ (63).

Le fond de cabane néolithique liégeois reposait sur une couche de limon brun, apport de la Légia et était recouvert d'un dépôt analogue de plus 1 de m 30 d'épaisseur (voir croquis) au‑dessus duquel se trouvaient les substructions romaines.

La villa de la place St‑Lambert (64) avec ses pièces, ses couloirs et son hypocaute était une résidence rurale spacieuse, bâtie, elle aussi, sur le milieu de la place, à 3 mètres environ sous le niveau de la voirie d'aujourd'hui.

Cette villa ne se trouvait sur aucune des voies primordiales, ni même secondaires, du réseau routier romain (65).

Elle était même assez éloignée de l'axe principal, la grand­route de Bavai à Cologne qui, parcourant les hauteurs, unissait le Nord de la Gaule et les pays transrhénans.

C'est à Maestricht que la grande voie romaine traversait la Meuse. 

C'est d'ailleurs à cette situation avantageuse au point de vue des relations générales et à son rôle de pont que la cité hollandaise dut sa naissance et son développement primitif. Cette suprématie sur route, Maestricht la garda très longtemps.

Rattachée seulement par quelques diverticules à ses voisines plus célèbres de Jupille et d'Herstal, en relation aussi avec Tongres par la vieille voie à laquelle on accédait par Pierreuse, la villa liégeoise devait rester à l'arrière pendant toute la période romaine.

Gobert fait remarquer que cette villa belgo‑romaine était isolée ou à peu près et le resta pendant plusieurs siècles (66), jusqu'au martyr de St‑Lambert (67).

Quant aux assises de l'église notgérienne, consacrée en 1015 (8), elles voisinaient avec de nombreux sarcophages et caveaux dont celui d'Albert de Cuyck, mort en 1200.

Toutes ces substructions médiévales témoignent évidemment de la très grande importance de ce coin du territoire liégeois dès le XIe siècle.


2. - Les données des historiens

Lors de la chute de l'empire, la puissante voirie romaine favorisa les invasions; dès le Ve siècle, le flot des Germains se répandit en Gaule et, bien que située à l'écart des grandes voies romaines, la villa liégeoise fut ravagée par les barbares.

Le site redevint-il solitaire comme certains historiens le prétendent? Les invasions n'eurent-elles pas, au contraire, pour conséquence une destruction complète de tout ce que l'homme avait créé - la continuité d'habitat n'impliquant pas nécessairement l'occupation permanente du même endroit exactement?

Il serait très difficile d'affirmer.

Le fait et que pendant deux siècles on n'entendra plus parler de ce site mais, à la fin du VIIe siècle, l'on y retrouvera fixée une petite agglomération, premier embryon cette fois de la grande ville moderne.

Quel a été le point de départ de ce Liège chrétien des premiers âges, de celui qui s'est rebâti après les grandes invasions franques? Les historiens ont essayé de résoudre ce problème que complique évidemment le manque absolu de sources relatives à l'emplacement exact de ce Liège primitif.

Kurth (69) nous dit " Le vallon de la Légia, au point précis où il va déboucher dans les terres basses, présentait aux premiers colons tous les charmes d'un emplacement salubre, d'un sol fertile et d'un site agréable. A l'abri des exhalaisons marécageuses qui montaient alors de la vallée, protégé contre les souffles du Nord par le puissant rideau de forêts qui couvrait ses hauteurs, encadré de collines aux pentes douces et aux contours arrondis, traversé enfin dans toute sa longueur par les ondes limpides d'un cours d'eau qui le vivifiait de son murmure et de son sourire, cet heureux coin de terre semblait marqué d'avance pour devenir le séjour d'une colonie nombreuse et prospère ". Dans La cité de Liège, le même auteur confirme son opinion: " Le berceau de Liège, nous venons de le dire, doit être cherché précisément à l'endroit où le Glain s'échappant de l'étroit goulot qui le canalisait, se déversait dans la Meuse avec laquelle il allait confondre ses eaux " (70).

Magnette (71) s'exprime ainsi " Le berceau de la future capitale de la principauté ecclésiatique liégeoise doit être cherché à l'endroit précis où, en face du confluent de la Meuse et de l'Ourthe, vient se perdre dans les eaux du fleuve aux multiples bras, un clair ruisseau descendu des hauteurs de l'Ouest. "

Pour Gobert (72) " notre cité a eu son berceau au pied de Publémont sur les bords de la Légia à son confluent avec la Meuse ".

Si nous reprenons les textes de ces historiens au point de vue géographique nous voyons que, si tous trois considèrent le rôle de la Légia dans la création de la cité, leurs conclusions manquent de précision. Kurth place le village de Liège dans la vallée inférieure de la Légia à son débouché dans la vallée de la Meuse sans cependant signaler l'existence du cône de déjection de la Légia.

Pour Magnette, le site géographique de Liège doit être cherché au bas du cône de déjection.

Dans le texte de Gobert nous relevons même une contradiction: le pied de Publémont et le confluent de la Légia avec la Meuse sont deux choses distinctes.

Il est vrai que la distance qui sépare ces points est en somme minime. Les historiens se sont arrêtés aux raisons générales expliquant l'origine de la cité et puisque la tâche ne leur incombait pas, n'ont pas approfondi la question géographiquement.


3. - L'enceinte de Notger.

La première enceinte de la cité, attribuée par erreur à St Hubert, est l'oeuvre de Notger (972-1008), le véritable fondateur de la principauté liégeoise.

Trois historiens liégeois: G. Kurth, Th. Gobert et F. Lohest se sont spécialement intéressés à la question des fortifications notgériennes. Les citations que nous retrouvons dans leurs travaux ne laissent aucun doute sur l'existence de l'enceinte (73) qui date donc de la fin du Xe siècle.

Le plan ci‑contre, emprunté à Lohest, fait ressortir les divergences de vue des trois auteurs quant au tracé des remparts surtout dans la partie Nord‑Ouest de la ville.

Tous trois sont d'accord pour reconnaître que Notger n'engloba pas l'île dans les murs, probablement parce que ce quartier n'était encore que très peu habité, peut‑être aussi par ce que le bras de la Meuse qui l'entourait lui était un rempart suffisant et parce que la Sauvenière, propriété du chapitre cathédral, ne pouvait être comprise dans la cité (74).

Les fortifications notgériennes s'étendent en longueur de St Martin à Hors‑Château.

Par suite du relief du sol, elles se présentent sous deux aspects différents: d'une part, le système de défense du Mont St‑Martin, refuge de l'évêque et dernier lieu de résistance à l'ennemi; d'autre part, la protection des maisons et des habitants de la cité en plaine.

C'est selon la thèse récente de Lohest, le château‑fort de Liège, le système en montagne du Mont St‑Martin et le système en plaine avec " ses fossés inondés, ses tours et ses portes fortifiées " (75).

Les murs de la cité "suivaient sensiblement les limites sinueuses de la partie plane du plateau et l'espace ainsi obtenu était large en amont et s'amincissait en aval suivant la topographie du Mont St Martin jusqu'au pont de Ste Croix qui permettait seul de ce côté d'entrer par ce pont dans l'enceinte même de la cité.

En haut le château, castrum ou claustrum avec les bâtiments, magasins, logements, donjons, l'église St‑Martin et plus tard St‑Remacle dit en Mont.

En bas c'était l'ouvrage avancé, le propugnaculum (cité par le Vita Notgeri), ouvrage isolé lui aussi, en temps normal peu habité par les gardes indispensables " (76).

Lohest réfute ainsi les tracés de ses prédécesseurs: Kurth, qui conduisait les remparts au‑delà de St‑Servais et les dirigeait ensuite vers les côteaux de Vivegnis et Gobert qui, descendant du fossé de St‑Martin s'avançait dans le vallon de la Légia et englobait St‑Séverin.

Pour Lohest, les murs longeaient la rue de Bruxelles (ancienne rue Neuve), enserraient tout le quartier de Pissevache, puis par la rue derrière le Palais, atteignaient la rue Hors‑Château,  traversaient Férontrée fermée par la porte Hasselinne, gagnaient la Meuse, suivaient la rive du fleuve puis, par la Poste actuelle et St‑Denis, longeaient l'ancien bras de la Meuse.

A quelles conclusions les archéologues et les historiens, se basant sur les résultats des fouilles et sur les faits historiques, arrivent‑ils relativement aux origines de Liège?

Nous pouvons les résumer ainsi.

Le soi liégeois a été occupé au moins dès l'âge de la pierre polie; quelques familles vinrent se fixer place St‑Lambert.

A l'habitat néolithique succéda vraisemblablement un habitat celte, puis une villa belgo‑romaine. Le site devient après les grandes invasions le domaine public des rois francs.

Ces populations les plus anciennes dont on ait connaissance sur le sol de la ville actuelle, ne peuvent pas être considérées comme les ancêtres des Liégeois, leurs habitats successifs n'impliquant nullement une permanence absolue dans l'occupation du sol.

Ce n'est qu'au VIIe siècle qu'une petite colonie, qui en prospérant deviendra Liège, s'établira définitivement sur les bords de la Légia.

Suivant les historiens, le territoire, en dehors duquel on ne peut placer les premières habitations des Liégeois, comprend, selon la dénomination d'aujourd'hui, la place St‑Lambert, le palais du gouverneur, la rue de Bruxelles, la gare du Palais, la place St‑Pierre. Cette étendue et d'ailleurs complètement englobée dans la première enceinte de la cité.

Les traits géographiques du site vont nous permettre, en apportant quelques précisions, de serrer le problème de plus près.

Le village néolithique liégeois s'est fixé place St‑Lambert, c'est‑à‑dire sur le cône de déjection de la Légia ou plus exactement sur le cône de déjection en formation et encore peu élevé.

C'est la partie centrale de ce cône qui représente le tout premier site d'habitat ou qui est, du moins, le seul reconnu ce jour.

Le cône de déjection continua à s'accroître rapidement, recouvrant d'une couche épaisse de limon les substructions néolithiques.

C’est encore le milieu du cône qui doit être considéré soit comme le point de départ de l'habitat belgo‑romain, soit comme occupé effectivement par la population belgo‑romaine.

Mais en est‑il encore ainsi lorsqu'il s'agit de l'emplacement de ce Liège naissant au VIIe siècle, après que les invasions eurent sans doute réduit en ruines la villa belgo‑romaine et que les alluvions eurent enseveli les substructions de cette villa ?

Le territoire dans lequel, pour des raisons historiques, il doit s'inscrire, correspond géographiquement au cône de déjection de la Légia, à la partie inférieure de la vallée de ce ruisseau et à l'extrémité de l'arête de Publémont.

Des considérations d'ordre surtout géographique nous font émettre l'hypothèse qu'il faut envisager comme berceau de la ville de Liège, non plus le cône de déjection mais plutôt la vallée tout à fait inférieure de la Légia entre le versant de Pierreuse et le versant de St‑Pierre, là où précisément va commencer à s'épandre dans la vallée fluviale un amas de limon et de terre: le cône de déjection de la Légia.

Le débouché de la rue de Bruxelles près de la gare du Palais actuelle, pourrait marquer le centre de ce village primitif.

A cet endroit, la vallée de la Légia était suffisamment large que pour permettre l'établissement des habitations qui pouvaient même s'écarter de la rive.

Elles jouissaient là d'un abri bien plus efficace, surtout contre le vent du Nord, que si elles s'étaient fixées sur le cône de déjection.

N'étaient‑elles pas, en même temps, plus proches des coteaux bien exposés au midi et si favorable aux cultures ?

Les habitants ne pouvaient‑ils pas aussi se mieux protéger contre les inondations de la Légia là où les eaux s'écoulaient encore dans un seul lit? Sur le cône de déjection, au contraire, elles se divisaient en plusieurs bras plus difficilement maîtrisables et naturellement divagants lors de chaque crue du ruisseau.

Ajoutons à cela la certitude, pour les hommes, de trouver une eau claire en abondance et la possibilité de l'utiliser aussi comme force motrice, ce qui ne pouvait plus guère se faire sur le cône de déjection.

Enfin, le voisinage immédiat du Publémont - qui autrefois s'allongeait bien plus fortement vers le palais qu'aujourd'hui - site de défense d'où l'on dominait les deux vallées et où l'on pouvait se réfugier en cas d'attaque, n'était pas un des moindres avantages offerts par ce vallon inférieur de la Légia (77).

La conclusion laquelle nous conduit ce raisonnement géographique, c'est qu'il y a eu vraisemblablement deux points de départ: le premier, le centre du cône de déjection de la Légia, site néolithique et belgo­romain; le second, la vallée tout à fait inférieure de la Legia, là où débute le cône de déjection, véritable site du premier" village Liégeois ".

Quel est le nom de cette agglomération primitive?

Les formes les plus anciennes connues pour désigner la bourgade sont Leudico, Leodio, Leodicum, Leodium.

Elles datent du VIIIe siècle et se retrouvent dans la biographie de St‑Lambert. La forme Légia n'apparaîtra qu'au Xe siècle (78).

Leodium transformation de Leudico et une forme qui rappelle l'ancienne condition du hameau primitif.

Il était, à l'époque des rois francs, un " vicus leudicus c'est‑à‑dire un bourg public (79).

Propriété des souverains et non d'un seigneur, il sera donné aux évêques de Tongres probablement par un roi franc de la fin du VIIe siècle. Et lorsque l'autorité territoriale des évêques se constituera peu à peu, par suite de nombreuses donations, le terme " vicus publicus " cessant de répondre à une réalité ne sera plus employé (80).

 


B. - Liège, village

 

Suivons le développement géographique de la petite bourgade. Très modeste à l'origine, c'est à des événements historiques et religieux qu'elle devra ses premiers et minimes accroissements. C'est d'abord l'assassinat de St‑Lambert (à la fin du VIle siècle ou au début du VIlle siècle), le premier évêque qui résida à Liège.

Le séjour du prélat mais plus encore son martyre ont contribue aux premiers progrès du bourg naissant.

C'est ensuite la translation des restes de St-Lambert à Liège - dans un sanctuaire édifié place St-Lambert à l'endroit du martyre - fait mémorable car il eût pour conséquence (81) le transfert du siège épiscopal de Maestricht dans la cité wallonne dès 720.

St Hubert, successeur immédiat de St Lambert, s'établit ainsi à Liège sur un sol dont il devint le maître absolu (82).

Sous le coup de ces événements, on verra l'agglomération prendre quelque importance.

L'arrivée d'un clergé plus nombreux et l'afflux des chrétiens venant prier sur le tombeau de St Lambert expliquent un premier accroissement de la population et partant du nombre des maisons.

Plusieurs tendances, toutes en dépendance étroite avec les caractères topographiques du site, se marquent dans l'extension de la cité.

Après une occupation plus intense de la vallée inférieure de la Légia et du haut du cône de déjection, la bourgade s'étale peu à peu et gagne la partie inférieure des versants voisins: le bas de Pierreuse et l'extrémité de la crête de Publémont.

Ce site de défense, entre la Meuse et la Légia, à l'abri des inondations possibles du ruisseau a peut‑être même été habité dès avant le commencement du VIlle siècle.

La construction par St Hubert d'une église dédiée à St Pierre, à l'extrémité du Publémont, est, en tout cas, une preuve certaine d'un développement assez notable de la cité dans cette direction.

Liège comptait ainsi, à cette époque, trois églises: sur le cône de déjection, St‑Lambert, modeste temple où furent déposées les reliques, et Notre Dame aux Fonts, église paroissiale, baptistère; sur l'extrémité du promontoire rocheux, St‑Pierre. En outre un palais épiscopal avait été construit à l'emplacement du palais de justice actuel.

Les limites de la bourgade étaient cependant encore très réduites puisqu'elle était comprise entre le versant de Pierreuse et le bas du cône de déjection d'une part, entre la place du Marché et la rue St‑Hubert d'autre part.

Le IXe siècle est malheureusement funeste à la petite cité, puisqu'il lui apporte deux désastres: une inondation dévastatrice de la Meuse en mai 858 (83) qui détruit maisons et murs et emporte hommes et bêtes, puis un incendie par les Normands (84)

Le petit village liégeois se relève cependant vite de ses ruines et une nouvelle tendance à l'accroissement se marque par l'occupation du bas de la pente St- Walburge entre Pierreuse et le fond Pirette. Une nouvelle église, St Servais, se construit vers 940, un peu à l'écart de l'agglomération selon la thèse de Lohet et jutse à la limite de la cité, suivant Kurth.

Liège continuant à se peupler et à se développer, va s'étendre bientôt dans une troisième direction, vers l'Ouest, en remontant encore plus haut sur le Publémont.

L'érection de la Collégiale St‑Martin, en 960, sous l'épiscopat d'Eracle, est une preuve de l'importance croissante du promontoire.

Il semble bien d'ailleurs que l'évêque eût l'intention de faire de St‑Martin, la cathédrale puisqu'il fit bâtir son palais épiscopal à côté de cette église. A moins que ces constructions ne s'expliquent par un désir du prélat de posséder un palais mieux situé pour la défense. Mécontents des intentions de leur évêque, les Liégeois vinrent piller sa demeure, briser son cellier et le vin de Worms coula sur la pente abrupte de la Sauvenière, vers la Meuse (85).

Notons cependant que l'agglomération était loin de s'étendre en tant que territoire bâti jusqu'à St Martin.

Lors de l'avènement de Notger, successeur d'Eracle, en 972, Liège était encore un modeste village cantonné aux abords de la Légia, une petite bourgade ouverte à laquelle seul un siège épiscopal assez imposant donnait quelque renom.


C. - Liège, cité fortifiée

Notger, le premier prince‑évêque (86) de Liège, va par son titre et par son influence considérable, assurer la prospérité de la petite cité dont il fera la capitale de l'Etat liégeois.

La fin du Xe siècle et marquée par un fait capital dans l'extension géographique du centre primitif: pour la première fois, il est réellement et définitivement attiré vers le bas, vers la vallée principale. Le fleuve commence, pour Liège, à être sérieusement utilisé comme voie de communication et malgré le danger de ses crues violentes, les hommes s'en rapprochent.

Cette tendance se manifeste déjà à la fin de l'épiscopat d'Eracle. On voit les Liégeois s'installer peu à peu dans le quartier de l'Ile, emprisonné entre les bras du fleuve et compris entre l'emplacement actuel des boulevards Piercot, d'Avroy, de la Sauvenière et de la rue de la Régence.

Bientôt une première église s'y élève; la collégiale St‑Paul commencée sous Eracle, se terminera sous Notger.

Liège sera redevable à son évêque de plusieurs grands travaux. Le plus mémorable et la création de la première enceinte qui fera du village resté jusqu'alors ouvert aux envahisseurs (87) une cité fortifiée.

Nous avons signalé précédemment le tracé de ces fortifications notgériennes. Rappelons qu'elles s'étendaient de St‑Martin à Hors‑Château et du versant de Pierreuse au bras de la Meuse. L'Ile n'était pas englobée dans cette première enceinte liégeoise qui, malgré cela, reculait sensiblement les limites de la bourgade.

Quel était l'aspect de la petite cité si bien enfermée dans ses remparts?

Si l'extérieur prend, sous Notger l'allure d'une ville fortifiée, l'intérieur garde encore les caractères du village. Les maisons clairsemées sont séparées par de grands espaces vides, terrains vagues ou champs (88).

Une seule grande chaussée le traversait ainsi que le château, de part en part, de l'Est à l'Ouest, de la porte Hasseline en Féronstrée à la porte St‑Martin, donnant accès à la grande chaussée St‑Laurent tracée sur la hauteur. C'étaient là les portes principales.

On pourrait citer encore la porte du Vivier s'ouvrant au petit port du Vivier et commandant le passage de la Meuse.

Nous savons qu'un autre port existait à la Sauvenière, puisque Notger pour en faciliter l'accès aux bateaux, fit approfondir le bras du fleuve (89).

Le prince n'assainissait‑il pas ainsi les rives tout en assurant, en même temps, une meilleure défense du quartier de l'Ile.

Celui‑ci, ainsi que le hameau de la Sauvenière et les faubourgs de St‑Servais, St‑Séverin et Hors‑Château s'étendaient en dehors des murs de la cité.

Dans l'intérieur, la sage administration de Notger valut de multiples embellissements à la ville: une nouvelle cathédrale remplaça l'ancienne église construite par St‑Hubert; bâtie au même endroit elle s'augmenta d'un cloître. Au voisinage de St‑Lambert, Notger fit élever un nouveau palais.

Les deux monuments furent ainsi définitivement fixés sur le cône de déjection.

Entre les deux bâtisses s'établit le Vieux Marché.

Sur le Publémont, le prince évêque ordonna l'érection de l'église Ste‑Croix que l'on pouvait considérer comme la terminaison de la cité. Selon Anselme " le sol environnant continuait d'être en bonne partie livré à la culture et le resta après la mort de Notger " (90).

Le prince fit aussi achever et compléter St‑Martin et St‑Denis dont le rôle dans la défense est apparent.

Des progrès se marquent dans les industries et la construction. Les maisons se multiplient puisque la population s'accroît, et la cité se développe.

Le clayonnage fait place à la pierre que l'on tire, au moins en partie, des carrières de grès houillers qui se trouvaient en Pierreuse et même au Mont St‑Martin (91).

Le quartier de l'île, plaine basse et marécageuse que l'on avait tendance à occuper déjà sous Eracle, est devenu plus habitable et s'annexe à la cité.

Il reste cependant relativement isolé par ce que dépourvu de ponts. Le prince évêque y fait achever St‑Paul, y crée St‑Adalbert, seconde église paroissiale et St‑Jean, près de la rivière, comme bastion avancé.

C'est uniquement autour de ces églises que se groupent les maisons. Plus à l'Est, vers l'église St‑Jacques d'aujourd'hui, le quartier de l'île reste couvert de taillis.

Quant à la rive droite du fleuve, elle et encore déserte.

Liège avait aussi grand renom au point de vue intellectuel, car l'évêque s'intéresse au développement des sciences et organise les écoles publiques (92).

Ainsi, à la mort de Notger en 1008, Liège apparaît uniquement cité de la rive gauche de la Meuse, attachée intimement encore à la vallée secondaire de la Légia et à son cône de déjection.

L'attraction du fleuve va s'accentuant. N'a‑t‑il pas d'ailleurs acquis quelque importance comme voie navigable?

Liège sera lui‑même mentionné comme centre de commerce au Xe siècle (93).

Il et probable que le bourg abritait déjà des marchands dès la fin du règne de Notger, mais le rôle commercial de Liège reste très effacé jusqu'au XIe siècle.

Les multiples églises extra et intra‑muros, montrent que c'en surtout l'influence religieuse qui reste prépondérante pendant toute la première phase de la vie de la cité.

Ni socialement, ni juridiquement, ni économiquement elle n'en encore une vraie ville, mais elle le deviendra promptement dès les premières manifestations de la renaissance économique (94).



CHAPITRE III


Liège depuis l'époque de Notger jusqu'à la fin du 13e siècle

Jusqu'au XIlle siècle, l'enceinte notgérienne ne sera pas modifiée et cependant la ville va croître et se peupler peu à peu sous l'impulsion de facteurs nouveaux tant d'ordre général que local.

Dès le début du XIe siècle s'ouvre une période d'activité commerciale en corrélation, nous disent les historiens (95), avec une certaine évolution juridique et une augmentation sensible de la production agricole. Or, cette dernière est la conséquence logique de la " tendance à la concentration urbaine " (96)

Partout, à Liège comme ailleurs, les villes se peuplent d'immigrés venus des territoires ruraux.

Mais à Liège, plus qu'ailleurs, l'apport des campagnes et grand, parce que favorisé par les avantages qu'offrait la résidence dans une capitale ecclésiastique.

Les agrandissements de la ville se résument par l'occupation plus effective du territoire englobé dans l'enceinte notgérienne et par l'accroissement des faubourgs.

Les caractères géographiques du site, une fois de plus, marqueront leur empreinte dans cette double extension de la cité.

A l'intérieur des murs, un nouveau quartier se forme à l'extrémité Est de la ville, au voisinage du fleuve si longtemps évité.

C'est le Novus vicus, le quartier Neuvice (97), qui s'étend entre la place du Marché actuelle et la Meuse. Sa création nécessita de grands travaux d'exhaussement du sol afin de protéger les rues et les bâtisses nouvelles de cette zone riveraine très basse, contre les envahissements des eaux. Ces travaux furent exécutés sous Réginard vers 1030.

Nous avons vu déjà, qu'à l'époque de Notger, plusieurs faubourgs s'étaient constitués en dehors de l'enceinte. Ils vont continuer à se développer et à se peupler si fortement que bientôt, en beaucoup d'endroits, les remparts ne marqueront plus la limite de l'agglomération mais seront emprisonnés entre la ville et les faubourgs.

Cet état de chose a pour conséquence l'abandon des travaux d'entretien et de réfection des fortifications notgériennes qui, en certains points, n'ont vraiment plus leur raison d'être.

Par contre une nouvelle enceinte plus vaste s'impose qui mettra la cité agrandie et de plus en plus prospère, à l'abri des attaques possibles du dehors.

L'extension des remparts nécessita la création d'impôts que la population, désireuse de se sentir plus en sécurité, dût accepter (98)

Cette deuxième enceinte construite au début du XIIIe siècle, n'intéresse que le Nord et l'Est de la cité.

Le nouveau mur partait du fossé de St-Martin qui avait pu être maintenu, se dirigeait vers Ste-Marguerite où l'on établit la porte Ste-Marguerite, puis traversant la Légia, montait vers la porte dite " Hocheporte ", escaladait la montagne Ste-Walburge par une troisième porte (99) " la porte Ste-Walburge ", et atteignait ainsi la " Païenporte ". Les fortifications allant de Hocheporte à Païenporte étaient achevées en 1204 (100).

L'enceinte descendait ensuite le coteau de Vivegnis en face de la rue du Nord actuelle (porte Vivegnis dont les vestiges sont toujours en place), puis, après la coupure de la porte St Léonard, arrivait à la Meuse.

Un mur s'élève en même temps sur la rive droite.

Partant de la Meuse, il se dirige vers le premier bras de l'Ourthe qu'il longe pour rejoindre bientôt le fleuve, entourant ainsi une minime partie du quartier actuel d'Outre-Meuse.

Le tracé des nouveaux remparts nous permet de préciser les accroissements de Liège depuis la fin du Xe siècle.

En effet, se trouvaient ainsi englobés dans la ville: 1° le faubourg établi dans la vallée de la Légia et dans la vallée qui vient de Xhovémont et du Fond Pirette actuel; 2 le faubourg St-Servais (d'après Lohest); 3° tout le versant Sud de la montagne Ste-Walburge; 4° le faubourg de Hors-Château aux maisons groupées autour de St-Barthélemy, dont la construction fut terminée en 1016.

Ces diverses extensions de la ville sur la rive gauche montrent la tendance de l'agglomération liégeoise à s'étendre davantage dans la vallée de la Meuse et à remonter de plus en plus celle de la Légia.

Un autre fait capital attire notre attention: c'est l'occupation de la rive droite du fleuve, restée déserte jusqu'à la fin du Xe siècle

Le quartier d'Outre-Meuse commence bientôt à se peupler de liégeois, surtout dans la section voisine de la Meuse, la plus proche par conséquent du centre de la cité. C'est un passage d'eau qui, au début, unit les deux rives.

Bien vite, par suite de sa situation favorable, le nouveau quartier se développe et la nécessité s'impose de faciliter les communications entre la cité et la rive droite de la Meuse.

Vers 1030, le passage d'eau et remplacé par un pont.

" Après avoir surélevé le sol de la place du Marché et de la voie dite, depuis lors, rue du Pont (101), l'évêque Réginard construisit au terminus de celle-ci un pont sur le fleuve, le pont des arches, le plus ancien de la ville.

Cette construction occasionnera comme complément immédiat l'érection du rempart d'Outre-Meuse qui vient d'être indiqué " (102).

Grâce aux fortifications et au pont, le quartier d'Outre-Meuse et recherché et acquiert rapidement une grande importance.

Passons aux accroissements des faubourgs.

Notons que, dès avant le commencement des travaux de la deuxième enceinte, la cité en dépasse les limites.

En effet, le quartier de l'île, qui s'ébauchait déjà sous l'épiscopat de Notger, voit sa population augmenter rapidement et devenir très active. Les maisons se groupent de plus en plus nombreuses autour des églises.

A l'extrémité de l'île se bâtit dès 1017 l'abbaye St-Jacques. On utilise pour cette construction comme pour beaucoup d'autres le grès houiller que l'on trouvait sur place. Nous avons signalé déjà l'exploitation de Pierreuse.

Ce grès houiller s'effritant rapidement a donné à la partie romane de St-Jacques, cet aspect de ruine si caractéristique pour toutes les vieilles églises liégeoises.

Comme pour le quartier d'Outre-Meuse, il devient urgent d'unir l'île au centre de Liège si l'on ne veut pas retarder le développement de ce faubourg important.

Deux ponts sont jetés sur les bras de la Meuse vers 1050.

Le pont d'Ile, qui permettra les relations avec la cité, et le pont d'Avroy, qui conduira vers l'extérieur (103).

En périphérie se créent de nouveaux faubourgs; la contruction de diverses églises n'en est-elle pas une preuve (104)?

Vers l'Ouest, le haut du Publémont, au-delà de St-Martin, se couronne de l'abbaye St-Laurent fondée vers 1030.

Vers le Sud s'étend le territoire d'Avroy, très vaste mais peu habité encore au XIe siècle. L'église Sainte-Véronique y existait cependant dès 1034.

A cette époque, " Avroy quoique érigé en localité distincte, se trouvait incorporé dans le domaine de l'Eglise de Liège "(105). Dès le milieu du XIIIe siècle, il peut être considéré comme faisant partie de la banlieue liégeoise (106).

On accédait au faubourg d'Avroy par le pont d'Avroy que prolongeait la rue St-Gilles, voie principale.

Aussi favorisa-t-elle le peuplement de tout le territoire entourant St-Chritophe, dont les origines doivent être contemporaines de celles de Ste-Véronique.

On estime à 1500 habitants la population du faubourg de St-Christophe vers le milieu du XIIIe siècle (107).

Au-delà du faubourg St-Christophe s'étendait le faubourg St-Gilles, dont l'importance est due à une voie de communication vers le Condroz par Tilleur.

L'église St-Gilles, qui selon les documents anciens fut commencée vers 1083, était alors tout à fait en dehors du faubourg (108).

Vers le Nord-Ouest s'étaient développés les faubourgs St-Séverin et Ste-Marguerite.

On lit dans jean d'Outremeuse (109) à propos de l'évêque Eracle:

" Comprist et commanchat à ordiner en honour de St-Sevrien une englise parochial par dessous St Servais bien loin hors de la citeit desous l'englise St Martin où ilh y avoit I beal farbol al entré de bois de Glain ".

C'est ce bois de Glain qui avait été vendu en 1204 (110) pour parer aux frais de la construction des nouveaux remparts.

C'est donc de cette époque que datent les défrichements qui ont permis l'extension des faubourgs St-Servais et Ste-Marguerite, tous deux prolongements de quartiers intra-muros complètement transformés dès le début du XIIIe siècle, lors du tracé de la rue Neuve (aujourd'hui disparue et remplacée par la rue de Bruxelles) sur un tronçon de mur notgérien et lors de la création de la nouvelle porte Ste-Marguerite. Vers le Nord, la porte Ste-Walburge donne accès au faubourg Ste-Walburge.

Vers l'Est on voit s'élever, au-delà de la porte St-Léonard, les églises St-Léonard et, plus loin encore, Ste-Foy. Mais ce quartier assez à l'écart du centre de la cité restait peu habité.

Enfin, au-delà de la Meuse, sur la rive droite, en dehors des remparts d'Outre-Meuse, se crée le faubourg d'Amercœur où, dès 1072, s'érige St-Remacle.

Le faubourg d'Amercœur proprement dit, fort fréquenté par les Liégeois, comprenait non seulement l'importante rue d'Amercœur qui conduisait vers l'Allemagne, mais encore la rue Sous l'Eau, la rue Basse-Wez et les terrains voisins " (111).

Un pont, le pont d'Amercœur, jeté sur l'Ourthe, unissait le faubourg au quartier d'Outre-Meuse. Sa création remonte, selon la plupart des historiens, à 1072. Selon Gobert même, il serait contemporain du Pont des Arches.

Le premier pont était en bois, mais dès le XIIIe siècle, la pierre était utilisée du moins pour les assises.

Au cours du XIIIe siècle, la ville s'est donc considérablement agrandie et s'est entourée d'une ceinture de faubourgs dont les deux plus peuplés et plus actifs sont les quartiers de l'Ile et d'Outremeuse. Aussi ces territoires sont-ils repris dans une troisième enceinte construite dans la seconde moitié du XIIIe siècle.

Les nouveaux remparts englobent une extension considérable d'Outremeuse. Nous les voyons suivre divers bras de la rivière: Gravioule, Berbu, Biez des grandes oies, puis l'Ourthe elle-même, pour rejoindre la Meuse à la Tour en Bêche.

Une nouvelle porte se perce sur la rive droite, c'est la porte d'Amercœur, à l'extrémité de la grande voie traversant le quartier d'Outremeuse.

Sur la rive gauche, les nouveaux murs longent la Meuse en face de Tour en Bêche, contournent le monatère St-Jacques, suivent tout le bras du fleuve le long d'Avroy et de la Sauvenière, jusqu'au coude de St-Jean en face de la Tour des Bégards.

Les remparts remontaient ensuite jusqu'à St-Martin et passaient un peu à l'Ouest du mur Notgérien.

Deux nouvelles portes furent construites dans cette seconde section de l'enceinte: d'abord la porte d'Avroy, qui commandait le passage du pont d'Avroy vers les faubourgs St-Christophe, St-Gilles et d'Avroy, ensuite la nouvelle porte St-Martin percée également dans le dernier rempart.

Et voilà cette fois la ville ceinte de fortifications qui se maintiendront telles pendant plusieurs siècles.

L'extension considérable des quartiers de l'Ile et d'Outre­meuse montre que, de plus en plus, le rôle joué par le fleuve, dans le développement de la cité, devient prépondérant.

Liege peut se qualifier à présent de ville de la Meuse.

Quelle est donc la physionomie de la cité à la fin du XIIIe siècle?

Le centre reste la place St-Lambert, vers laquelle convergent en étoile plusieurs routes importantes.

La grande chaussée de l'époque notgérienne existe toujours et s'est prolongée à l'Est vers la porte St-Léonard et la vallée de la Meuse; à l'Ouest, par la porte St-Martin, elle conduit vers la Hesbaye. Vers le Sud-Est, c'est la route d'Allemagne; par le Marché, elle atteint la rue du Pont, traverse la Meuse au pont des Arches, puis se continue par la rue Puits-en-Sock et la Chaussée des Prés vers le pont d'Amercœur. Elle gagne ensuite le plateau de Herve et de là se dirige vers l'Allemagne.

Vers le Sud-Ouest, une voie traverse la cité et atteint le pont d'Ile, puis conduit à la porte d'Avroy et au pont d'Avroy pour gagner ainsi St-Gilles et au-delà, la vallée de la Meuse et le Condroz.

Vers le Nord, par Pierreuse et la porte Ste-Walburge, la route aboutit à la vieille voie de Tongres.

Dès le XIIIe siècle, l'importance du carrefour liégeois apparaît déjà nettement.

Essayons de nous représenter l'aspect de Liège à la fin du XIIIe siècle.

La ville était loin d'occuper tout le territoire circonscrit par la dernière enceinte.

De grands espaces cultivés, boisés ou même marécageux, des jardins nombreux et des vignobles (112) existaient toujours à l'intérieur des murs.

Ainsi le quartier d'Outre-Meuse ne présentait un caractère urbain qu'au voisinage de la Chaussée d'Allemagne; ailleurs ce n'étaient que prés et champs et ils persisteront pendant plusieurs siècles. De même sur les versants de Pierreuse et de la Citadelle, une large bande de sol, vide de maisons, isolait l'agglomération bâtie de l'enceinte.

La cité s'est cependant sensiblement accrue depuis l'épiscopat de Notger.

La sécurité qu'offraient les remparts pour les commerçants et les bourgeois, les avantages nombreux réservés à ceux qui vivaient à l'intérieur de l'enceinte et, de plus, le profit que l'on pouvait tirer de la présence dans la cité, d'un clergé très nombreux, étaient autant de facteurs qui devaient attirer les éléments du dehors.

Aussi les habitants des campagnes affluaient-ils vers la ville.

Celle-ci s'était donc développée peu à peu, librement mais sans plan méthodique.

Depuis l'incorporation du bourg de la Sauvenière dans la cité, Liège comprenait six quartiers ou " vinâves ": le Marché, Neuvice, Férontrée, St-Servais, l'Ile et Outre-Meuse.

La ville avait assez belle allure avec ses cours d'eau, ses monuments et ses multiples églises.

Outre plusieurs collégiales, elle ne comptait pas moins de 24 églises paroissiales; il y en avait 13 dans la cité, dont Notre­Dame aux Fonts la plus ancienne et St-Servais.

L'Ile en possédait quatre, dont St-Adalbert, la première.

Sur la rive droite, il y avait deux églises dans le quartier d'Outre-Meuse et plusieurs extra-muros dans les faubourgs.

Les églises, les propriétés spacieuses des seigneurs et du clergé, les bras du fleuve restreignaient fortement l'étendue habitable, ce qui explique la physionomie particulière des rues: voies étroites et tortueuses, se terminant le plus souvent en arvaux (113), où se pressaient les petites maisons du peuple et des artisans.

Ces constructions en clayonnage, aux toits de chaume (114) avec étage en saillie, contrastaient singulièrement avec les hôtels seigneuriaux en pierre.

La population était surtout dense dans l'ancienne cité notgérienne et dans l'Ile et, nous dit Kurth, "elle débordait jusque sur le fleuve, car le Pont des Arches et le Pont d'Ile étaient occupés par des maisons ".

Ce fait était assez courant à l'époque médiévale (115).

C'est aussi parce que le pont était une voie de passage de toute importance que des maisons s'y établirent, le plus souvent des boutiques. " Les fourbisseurs d'épées étalaient sous les auvents des maisons bordant le Pont d'Ile " (116).

Le suffixe " trée " était fréquemment employé pour désigner ces voies médiévales. Nous rappelons: Férontrée, Badastrée, Chodelistrée, St Johanstrée. Le suffixe " rue " était également utilisé dès le début du XIlle siècle: on disait " en Mairniérue, Pêcheurue, Tanneurue, Sclaideurue. C'est de cette même période que date l'arrivée des premières eaux alimentaires au cour de la cité.

Primitivement, nous l'avons constaté, les Liégeois s'alimentaient aux eaux de la Légia.

Plus tard, au XIIIe siècle, une source surgissant au fond St-Servais fournissait l'eau potable que l'on conduisit à la place du Marché.

A la fin du XIIIe siècle, ce sont les " eaux amenées des hauteurs de Ste-Marguerite sortant de l'areine dite de la cité qui sont utilisées à Liège (117).

A la même époque, la population comprend trois groupes importants: 1e le clergé; 2e les patriciens, aristocratie dirigeante ne vivant pas d'un travail manuel et comprenant les propriétaires et les marchands; 3° les petits ou gens de métiers, patrons et ouvriers.

Le prince-évêque et son entourage, les ecclésiastiques du chapitre cathédral, des chapitres des collégiales et des communautés religieuses, les prêtres des églises paroissiales, constituaient parmi la population liégeoise, un groupe important se distinguant socialement des autres habitants.

Ce monde religieux avait certainement des exigences plus grandes et plus variées que la masse de la population, tant pour la nourriture que pour le costume et l'habitation.

Bien vite ce surcroît de bien-être parmi les classes aisées allait entraîner une amélioration du genre de vie de tous les habitants. Ainsi se développèrent le commerce et l'industrie.

Les nouveaux venus de la campagne - et leur nombre allait grandissant - devenaient tout naturellement des artisans et des " mercatores " ou marchands.

Les activités diverses se déployaient pour satisfaire les besoins sans cesse renouvelés d'un groupement social qui s'accroissait. Ainsi, comme le fait remarquer Pirenne, pendant plusieurs siècles, le petit peuple tirera " en grande partie sa subsistance de l'entretien du clergé " (118).

Ces conditions expliquent les caractères particuliers de la vie économique liégeoise: l'industrie liégeoise qui se développe dès le Xe siècle, garda primitivement un caractère local et l'exportation n’y joua, à l'origine, qu'un rôle plutôt secondaire.

Plusieurs métiers importants (ils formeront plus tard les 32 bons métiers de la ville) se retrouvent à Liège à cette époque et de très anciens noms de rues les évoquent.

L'industrie drapière était localisée en " Féronstrée "; la rue sur les Foulons et l'impasse des Drapiers en sont une survivance. Cette industrie n'a jamais atteint à Liège l'essor qu'elle a pris dans les villes flamandes.

La laine de Hesbaye, utilisée ordinairement, était peu appréciée et les draps liégeois étaient destinés uniquement aux besoins locaux. Il faut ajouter cependant que les laines fines d'Angleterre arrivaient à Liège puisque les " halliers " en faisaient un commerce important (119).

Féronstrée, comme le nom l'indique, était, en même temps, le centre de débit des Produits Sidérurgiques qui se vendaient également dans les environs du Pont des Arches.

Il y avait des febvres, des fondeurs et des batteurs en grand nombre dans le quartier de l'Ile, où ils confecfionnaient des armes blanches et des ustensiles métalliques divers (nous songeons à la rue Lulay des Febvres).

Il y avait encore dans ce même quartier abondamment pourvu en eau, des tanneurs, mais ils se transporteront bientôt outre Meuse.

La grande forêt ardennaise fournissait à volonté les écorces à tan. La tannerie avait donc pu se développer à Liège comme dans les villes voisines de l'Ardenne, mais la tannerie liégeoise avait excellente renommée en Europe, et ses produits étaient les plus recherchés, même jusque dans les foires de Novgorod (120).

Les pêcheurs étaient localisés en amont du pont des Arches, en Pêcheurue et sur quelques îles en aval.

Les vignerons eux-aussi étaient très nombreux dans la cité. Le vin constituait une des branches importantes de l'industrie liégeoise. Il était très apprécié à l'étranger (121).

Dès le XIe siècle, en effet, les documents signalent déjà de nombreux vignobles sur les coteaux bien exposés (122). Ainsi les vignobles de St-Laurent, qui existaient déjà au commencement du XIe siècle, furent agrandis en 1036. Sous l'ancienne abbaye de St-Laurent, un endroit s'appelle encore actuellement la " Vigne ".

Dans le vallon de la Légia, la vigne date du XIlle siècle.

Le coteau de la citadelle, au-dessus de la rue Hors-Château actuelle, était déjà planté de vignes au XIe siècle.

Plus loin, mais touchant aux vignobles de Hors-Château, s'étend le coteau de Vivegnis; c'est là, pour ainsi dire, le berceau de la viticulture au pays de Liège; dès 830, nous y trouvons des vignes et, depuis lors, on n'a cessé d'y cueillir du raisin.

L'abbaye de St-Hubert, le chapitre St-Lambert, l'abbaye de Gembloux, celle de St-Jacques, la collégiale St-Barthélemy, possédaient sur ce coteau quelques vignobles; le reste était la propriété de bourgeois de Liège, membres du bon métier des vignerons.

Les vignes de Vivegnis étaient les meilleures de la région. Ce n'et que de nos jours que la culture en a été abandonnée et que ce terrain a été transformé en jardins légumiers et en fraisières (123).

Plus au Nord, il faut signaler, enfin, les vignobles de la colline du fond des Tawes qui datent du début du XIIIe siècle.

La vigne y était encore cultivée il y a peu d'années et cette partie est connue sous le nom de vigne des Bayards (124).

Tous ces vignobles ont évidemment nécessité des défrichements importants sur ces coteaux autrefois couverts de bois. Ces travaux n'ont été possibles qu'à la suite d'une colonisation plus intense de l'intérieur de la ville.

Signalons encore les houilleurs. Dès la fin du XIIe siècle, l'exploitation du charbon de terre se pratiquait sur les propriétés des monastères autour de la Cité. Les premières fosses furent creusées en Publémont dans les propriétés de l'abbaye de St-Laurent (125).

Au XIIIe siècle, les houilleurs constituent déjà un groupement assez sérieux puisque des exploitations de " hoie " se font déjà vers le Nord. Mais c'et surtout dans les siècles qui suivront que l'industrie houillère acquerra toute son importance.

Ainsi divers corps de métiers bien constitués existaient à Liège au 13° siècle et représentaient une proportion notable de la population.

Nous venons de le constater, les membres d'une même corporation professionnelle, avaient tendance à se cantonner dans une même rue ou dans un même quartier. Le fait n'était cependant pas général ou exclusif. " Non seulement " dit Gobert (126) dans telle voie donnée, des artisans exerçaient un métier autre que celui rappelé par la voie, mais des travailleurs de ce métier se trouvaient disséminés un peu partout ".

La Loy muée du 9 octobre 1287, stipulant que " li povres puist demorer deleis le riche et li riche deleis le povres " (127) nous donne un autre trait original de la façon dont se groupaient les habitants (128).

En n'importe quel quartier de la ville, patrons et artisans, riches et pauvres, voisinaient et ce au plus grand profit du bien-être de la masse. La présence à Liège d'un nombre relativement élevé de corps de métiers, assurait déjà à la ville, dès le XIIIe siècle, un des caractères propres aux centres urbains: une grande division du travail.

Grâce à elle la production augmenta rapidement.

Aussi les échanges se multiplièrent et les relations commerciales avec la campagne d'abord, avec l'extérieur ensuite, se développèrent peu à peu.

C'est vers l'Allemagne à laquelle la Lotharingie est alors solidement rattachée, que s'orienta d'abord le commerce non seulement de Liège, mais encore des autres villes de la principauté (129).

Par la vallée de la Meuse ou par la route de terre, dès le XIe siècle, les marchands liégeois arrivaient à Cologne et de là pénétraient vers le centre de l'Allemagne.

C'est ensuite vers la Flandre que se portera le mouvement commercial liégeois.

Cette modification s'explique par " l'affaiblissement constant de l'influence allemande sur le pays après la guerre des Investitures (130), et surtout par l'attraction de plus en plus forte qu'exercent les ports de Flandre, véritables marchés internationaux à partir du milieu du XIIe siècle.

« En 1198, Renier de St-Laurent raconte que l'on amena pour la première fois en ville, cette année-là, du vin de La Rochelle et cette mention nous atteste l'existence de relations avec la Flandre où ce vin arrivait par mer en quantité ».

Au XIIIe siècle, la liste des marchandises importées à Bruges, mentionne l'évêché de Liège comme fournissant " toutes oeuvres de cuivre faites et de baterie et grant meirrien ".

L'exportation liégeoise vers la Flandre comprend donc à cette époque, la dinanderie et le bois de construction.

Une charte de 1244 nous apprend, en effet, que les arbres des Ardennes étaient flottés par la Meuse jusqu'en Hollande, puis de là amenés par l'Escaut jusqu'en Flandre (131).

Par suite du régime du fleuve et de la difficulté de la navigation, le commerce d'amont est beaucoup moins florissant que le commerce d'aval.

On signale au XIe siècle, dans le relevé des droits du Comte de Namur à Dinant, les bois de construction, de chauffage, les métaux, les vins charriés sur la Meuse.

Huy et Dinant sont ainsi en relation avec Liège. Or, Dinant peut rivaliser avec les villes flamandes puisque ses produits se rencontrent sur tous les marchés.

Comparée à l'activité commerciale extraordinaire des cités de la Flandre, la vie économique de Liège, sans grand rayonnement au dehors, paraît bien peu intense encore.

Cependant la ville ne manquait pas de capitaux et, à côté du clergé et des artisans, comptait de riches patriciens, les uns propriétaires de houillères, les autres marchands. Il y avait en effet à Liège, trois professions aristocratiques: les halliers, les viniers et les changeurs. Tous faisaient le commerce de gros (132), dédaignant les produits indigènes, pour ne s'occuper que de la vente des marchandises étrangères.

C'est ainsi que les halliers liégeois devaient leur fortune au trafic des draps fins de Flandre, et des laines anglaises.

De même les viniers ne vendaient que les crus étrangers; vins du Rhin, d'Alsace, de Bourgogne, du Bordelais. La vente des vins liégeois était faite par les vignerons eux-mêmes.

Quant aux changeurs, ils se livraient au trafic de l'argent au lieu de faire le commerce des marchandises. S'ils étaient peu populaires en ville, ils avaient bon renom à l'étranger et leur commerce était très lucratif.

Les " mercatores leodienses " étaient très connus (133).

En conclusion, à la fin du XIIIe siècle, Liège apparaît un centre urbain bien développé, jouissant à l'abri de son enceinte fortifiée, sous la tutelle de l'évêque-prince, d'une administration autonome et de privilèges particuliers, vivant surtout du commerce et de l'industrie.

Elle est ce que Pirenne (134) appelle " une personnalité collective privilégiéee ".



CHAPITRE IV


Liège de la fin du 13e siècle jusqu'à nos jours

Le territoire de Liège est encore peu étendu, à la fin du XIlle siècle, quoique la création d'une nouvelle enceinte se soit imposée pour incorporer quelques faubourgs nouveaux.

Les fortifications médiévales vont se maintenir sans aucune modification jusqu'au XIXe siècle, époque des premières grandes transformations et début des énormes accroissements modernes de la cité.

On s'étonne, à priori, de ce long arrêt dans la croissance du centre urbain.

L'évolution de la ville pendant la première phase de son existence, sa situation géographique favorable, faisaient en effet prévoir des progrès rapides et constants dans son développement.

Les causes de ce ralentissement anormal dans la vie urbaine doivent être cherchées dans les troubles politiques et les désastres nombreux qui accablent la cité pendant cinq siècles.

Pendant ces mauvaises périodes, des luttes civiles, des guerres, des épidémies dévasteront et ruineront la ville.

De courts intervalles de paix et de calme entre les crises aiguës et prolongées, permettront à la cité de se détendre et de se refaire momentanément.

L'évolution historique et politique de Liège a donc joué un rôle capital et presque exclusif au cours de toute cette période. Il ne nous appartient pas d'en retracer ici tous les détails (135) mais nous en évoquerons les traits généraux indispensables pour la compréhension de cette stagnation, voire même parfois de ce recul dans l'évolution géographique de la cité jusqu'au siècle passé.

A) Suivons d'abord la vie de la ville à l'intérieur des remparts et voyons les quelques modifications qui s'y sont produites.

Le XIVe siècle marque à Liège le début de la lutte des classes, " phénomène de croissance " que chaque commune médiévale connaîtra à son heure (136).

La rivalité entre les grands et les petits est particulièrement âpre et longue dans cette cité que son rang de capitale avait rendue plus puissante. Il suffit d'évoquer le " Mal St-Martin ", le tragique combat du 3 août 1312 qui fait triompher le parti populaire.

Aux conflits d'ordre intérieur s'ajoutent les luttes de Liege contre son prince-évêque.

La cité aspirait à s'émanciper totalement de l'autorité princière, rêvait de devenir comme Aix-la-Chapelle et Cologne, ses voisines, ville libre impériale, mais elle échoua dans ses tentatives et dut rester ville épiscopale.

Cette longue lutte entre le prince et la cité ne fut interrompue que par de courtes périodes de paix au cours desquelles la ville essayait de se relever et de prospérer.

Elle eut malheureusement à souffrir de la terrible épidémie de peste de 1348.

Bien plus que le XIVe, le XVe siècle sera funeste à la cité liégeoise. Il débute par une nouvelle épidémie de peste suivie, vers le milieu du siècle, d'une désastreuse famine.

Mais c'et à sa situation politique entre la France et la Bourgogne, ses voisines puissantes mais rivales, que Liège devra les pires catastrophes.

Pendant trois quarts de siècle, alors que l'anarchie la plus complète règne à l'intérieur, la cité subira les attaques répétées des armées étrangères.

Dès 1408, la bataille d'Othée met fin aux libertés liégeoises, que les habitants essaieront par la suite de reconquérir péniblement une à une. Plus tard, Philippe le Bon, dans le but d'étendre son influence sur la principauté de Liège, obligera les Liégeois à accepter, comme prince-évêque, son neveu Louis de Bourbon, personnage faible et entièrement à la dévotion des ducs de Bourgogne.

Sous son épiscopat, les plus grandes calamités assailleront la ville, car " le long duel de la couronne de France et de la Maison dc Bourgogne " aura les plus graves retentissements sur l'histoire de la cité (137).

Nous songeons aux désastres de Montenaeken en 1466, de Brusthem en 1467 et à l'épisode dit des six cents Franchimontois qui conduiront finalement la ville à sa perte.

Le duc Charles le Téméraire exigera, en effet, en 1468, la mise à sac, le pillage et la destruction complète de Liège.

Systématiquement, les différents quartiers furent incendiés, l'enceinte en grande partie démolie, les fossés comblés et le pont des Arches détruit (138).

Le perron, symbole d'indépendance, si cher aux Liégeois, fut enlevé et transporté à Bruges.

Selon Kurth, 4000 à 5000 personnes trouvèrent la mort dans cet horrible massacre et tout le reste de la population, estimée à 70.000 habitants en y comprenant les faubourgs (139), avait fuit terrifiée.

Après le sac de la ville, il ne restait que la cathédrale, quelques églises, trois abbayes et les demeures du personnel ecclésiastique que le duc avait épargnées. Un an après sa destruction, Liège ne comptait guère que 360 maisons, la plupart occupées par des gens d'église (140).

Jusqu'à sa mort, en 1477, le duc s'acharnera contre la malheureuse cité en ruines, l'empêchant de se relever et de renaître librement.

De telles crises ne pouvaient être favorables au développement d'une agglomération urbaine.

Aussi l'aspect d'ensemble ne se modifie-t-il guère du XIIIe au XVe siècle.

Quelques améliorations heureuses sont cependant à signaler: d'abord l'utilisation de plus en plus générale de la pierre dans la construction, ensuite le pavage des rues, travail déjà commencé à la fin du XIIIe siècle (141) et enfin l'arrivée de l'eau potable, par des conduits souterrains, aux fontaines de la cité (142).

Malheureusement, comme dans toutes les villes du Moyen âge, la propreté et l'hygiène laissent beaucoup à désirer.

La Légia continue de couler à ciel ouvert au milieu des habitations et la population négligente y jette ordures et détritus.

La ville ne possède pas encore d'égouts; aussi les ruelles étroites, sont-elles encombrées de résidus de toute sorte.

Ajoutons à cela la malpropreté due au transport du fumier et à la circulation du bétail, puisque la population continue de s'adonner partiellement à la vie agricole (143).

L'on ne s'étonne plus, dans ces conditions, de voir les épidémies ravager la cité.

Une période aussi troublée ne pouvait guère favoriser non plus l'essor économique.

L'industrie houillère et l'armurerie sont les seules industries qui prennent quelque extension.

A la fin du XIVe siècle, l'industrie charbonnière occupait dans la cité de 1600 à 2000 ouvriers (144).

Les fosses, à l'origine, étaient généralement peu profondes; parfois même l'exploitation se faisait à ciel ouvert ou par des procédés peu compliqués. Peu à peu il fallut atteindre les couches plus profondes ce qui nécessita le creusement de galeries.

L'armurerie avait également une certaine importance et les ouvriers liégeois fabriquaient alors des épées, des dagues et des couteaux.

Le commerce d'exportation reste fatalement très modeste.

Le XIVe siècle vit cependant se multiplier les transactions commerciales avec le port d'Anvers qui, plus tard, remplacera les cités des Flandres et en particulier Bruges dans le trafic avec les villes mosanes.

C'est par Looz que passait le chemin qui mettait en communication la ville de Liège avec la grande ville de l'Escaut " (145).

En amont de la ville, une barque marchande traînée par des chevaux, assurait journellement les relations entre Huy et Liège.

Reprenons l'évolution de la ville après la mort du Téméraire.

Dès l'avénement de Marie de Bourgogne, Liège répara ses désatres, mais ne profita pas cependant du sac de 1468 pour se moderniser.

Les exilés, rentrant groupe par groupe, les maisons se restaurèrent une à une, sans aucun souci d'un plan d'ensemble ou même d'un alignement. Les rues restèrent étroites et tortueuses; l'administration parvint seulement à obliger la population à les maintenir en état de propreté.

L'Hôtel de Ville, l'Antique Violette, fut reconstruit et le pont des Arches rendu à la circulation.

En juillet 1478, le perron rapporté de Bruges se dressa à nouveau sur le marché, à la grande joie des habitants; grâce à l'aide que ceux-ci apportèrent à la cité, les remparts purent être réparés et dès 1491, l'enceinte était complètement rétablie.

Malheureusement le calme fut de courte durée et le XVe siècle se termina sous les La Marck par des pillages et des massacres.

Il fallut attendre l'intronisation du prince Erard de la Marck (146), en 1506, pour voir la ville jouir enfin d'une paix profonde et durable.

Homme d'Etat et administrateur habile, protecteur des arts et des sciences, l'évêque s'efforça de rendre à la cité appauvrie, son importance d'autrefois.

Le XVIe siècle valut à Liège plusieurs travaux d'intérêt public et quelques édifices nouveaux.

L'extraction des calcaires du Carbonifère supérieur se pratiquait déjà en maints endroits dans la vallée de la Meuse et les pierres arrivaient facilement à Liège par le fleuve. Il en était de même des calcaires du jurassique déjà largement exploités en Lorraine. Aussi ces pierres plus claires étaient-elles de plus en plus employées dans la construction en remplacement des grès sombres du houiller.

Les ajoutes ou les restaurations faites à certains monuments, à St-Jacques par exemple, montrent très bien ces étapes dans l'utilisation des matériaux.

Sous Erard, Liège s'enrichit du merveilleux Palais, célèbre encore de nos jours et d'un arsenal, la Tour en Bêche élevée au bord de la Meuse en 1538.

Un peu partout dans la cité, des maisons se construisent, Occupant les espaces libres et diminuant de plus en plus l'étendue des terrains réservés aux cultures.

C'est dans le quartier longeant le fleuve, depuis le pont des Arches jusqu'à la rue Hongrée, où se dressait la porte de la cité, que s'opèrent à cette époque les plus grandes transformations.

La plus importante est la création de plusieurs quais.

Ceux de la Goffe et de la Batte, dès 1549, s'étendaient jusqu'à la porte Hongrée, remplaçant avantageusement la petite berge étroite, non pavée et souvent submergée, existant en bordure des propriétés riveraines du fleuve.

Deux édifices, précieux pour le commerce, la Halle aux Viandes - dite Boucherie, - et la grande Halle aux grains, contenant les balances officielles pour le pesage, ornèrent bientôt les nouveaux quais.

Tous ces travaux nécessitèrent la démolition de quelques vieilles maisons de la rue " Sur Meuse aux Tindeurs " au nom si évocateur.

Au XVIe siècle, d'ailleurs, la plupart des drapiers avaient quitté les environs de la Batte pour s'intaller définitivement Outre-Meuse.

Le quai de la Batte se borde bientôt de belles bâtisses, maisons à saillies avec étages en encorbellement (147).

Bien vite le nouveau quai prit de l'animation: il devint le siège de la foire annuelle et du marché aux bestiaux. De plus, un certain nombre de marchands de légumes y fixèrent leurs étalages.

Liège, ainsi ressuscité, prospérait affirmant à chaque occasion - entrée des princes dans la cité, réception de souverains étrangers - par des festivités grandioses, son rang de capitale.

Le XVIle siècle, avec le règne des princes bavarois, ramena malheureusement le désordre.

Des émeutes graves éclatèrent fréquemment entre les partisans du prince, les Chiroux et les Grignoux, amis de la France.

Un peu plus tard, les guerres de Louis XIV porteront à Liège un nouveau et rude coup : le bombardement de 1691 (148).

Une armée, commandée par le marquis de Bouffiers, s'empara de la Chartreuse et incendia tout le quartier d'Outre-Meuse et le faubourg d'Amercœur. Toute la partie de la ville, comprise entre la place du Marché et l'Université, fut également détruite.

Le XVIIe siècle apporta cependant quelques sérieux embellissements à la cité.

La reconstruction du pont des Arches, détruit lors de la désastreuse inondation de 1643, entraîna une reédfication partielle du cours de la Meuse, en ville, et la création de nouveaux quais, ceux de St-Léonard, de la Ribuée et de sur Meuse.

Pour réprimer les mouvements démocratiques, on construisit la citadelle dominant et menaçant la cité.

Après le bombardement de 1691, Liège se releva rapidement mais, cette fois, les magistrats, d'accord avec l'autorité princière, intervinrent afin que la reconstruction ne se fit plus au hasard.

Elle valut à Liège de grandes améliorations, tant au point de vue topographique, qu'au point de vue hygiénique.

Les quartiers rebâtis prirent une toute autre allure: les rues y furent élargies, élargissement hélas bien insuffisant de nos jours; des maisons plus spacieuses qu'aux siècles précédents, des hôtels construits entièrement en brique et en pierre (149) s'y alignèrent avec un réel souci de la perspective.

Le marbre venait de faire son apparition: les marbres noirs de Theux, les marbres rouges de Frasnes, s'utilisaient dans la construction, mais surtout dans la décoration. On les retrouve notamment dans le portique et dans les petits autels renaissance de St-Jacques.

De nouvelles fontaines se dressent en divers quartiers. Celle de la rue Hors-Chateau existe encore aujourd'hui.

L'usage des puits se généralisa lors des forages pour l'extraction de la houille.

Des galeries dénommées " areines " durent être creusées pour faciliter l'écoulement des poches d'eau et permettre l'exploitation des veines de houille ainsi ensevelies. Les eaux des areines bâtardes se perdaient dans le sol ou dans la Meuse. Les eaux des areines franches, au contraire, alimentèrent à peu près toutes les fontaines publiques de la cité pendant plusieurs siècles (150).

Les areines et les multiples puits privés assurèrent ainsi aux Liégeois une précieuse alimentation en eau potable.

Le XVIlle siècle voit se poursuivre les embellissements de la ville: création de superbes promenades le long du fleuve, érection de grands édifices religieux ou civils, apparition de l'éclairage public.

Au moment de la révolution française, Liège, toujours emprisonné dans son enceinte, et devenu une ville luxueuse et très vivante.

Sa population est évaluée à 58.260 habitants en 1790 (151), abstraction faite des faubourgs.

Les maisons à étages, que dominent d'innombrables clochers et par-dessus tout l'élégante flèche de la cathédrale St-Lambert, ont peu à peu empli l'espace compris entre les remparts.

Le quartier de l'Ile est entièrement occupé mais, derrière lui, Avroy reste une vaste plaine peu habitée, mais cultivée.

Le long de la rivière d'Avroy, on crée dès 1710, le quai d'Avroy tant admiré par le tsar Pierre le Grand, lors de sa visite sept ans plus tard.

Ce bras du fleuve conduit journellement encore la barque de Huy à l'embarcadère du pont d'Avroy et, de temps à autre, quelques petits bateaux marchands.

Au Nord, l'ancienne " cité " n'a guère changé d'aspect. On y retrouve les églises d'autrefois, le marché avec le perron. Elle s'est enrichie cependant d'un nouvel hôtel de ville.

A l'extrémité de la ville apparaissent bientôt les belles allées ombragées de Coronmeuse, continuation de la promenade St-Léonard.

De l'autre côté du fleuve, Outre Meuse forme toujours une agglomération isolée, mais à présent très peuplée.

Le merveilleux plan en relief, exécuté à l'échelle du 1/1200e, par G. Ruhl Hauzeur (152), nous montre très bien l'aspect de la noble cité de Liège en 1730.

Il est regrettable que l'auteur ait laissé de côté la vallée de la Légia, dont l'importance dans la formation du site fut considérable.

Les différences d'altitude auraient pu être également mieux observées: le cône de déjection de la Légia, par exemple, n'apparaît pas du tout, mais, à part ces deux critiques de détail, le travail et remarquable.

Le panorama de la cité et des plus pittoresques. On y suit l'ancien cours de la Meuse qui se divise en nombreux bras au Pont d'Ile; on y remarque les vieux moulins sur bateaux ancrés dans le fleuve.

Sur la rive droite on retrouve les biez sinueux de l'Ourthe. Trois beaux quais ombragés contrastent parmi les nombreuses (153) rues étroites et souvent tortueuses encore.

Des groupes compacts d'habitations, émergent les clochers et les tours qui dominent Liège, tels d'innombrables mâts. On y distingue l'élégante flèche de St-Lambert qui devait disparaître peu de temps après.

Les murailles percées de portes monumentales, courent autour de la ville comme à la fin du XIIIe siècle.

Si les désastres répétés, qui ont accablé la cité pendant cinq siècles, l'ont maintenue à l'étroit dans ses remparts, ils ne l'ont pas empêchée de s'étendre extra-muros.

Les faubourgs du XIIIe siècle se sont développés et quelques petites agglomérations nouvelles se sont constituées autour de la ville.

Leur extension, bien que retreinte, s'explique partiellement par l'importance prise par l'agriculture, en périphérie du centre urbain, les champs se faisant de plus en plus rares à l'intérieur de la cité. Elle et due encore à l'influence des grandes routes qui convergent vers la ville et à l'attrait qu'exerce cette dernière.

Au Sud, la plaine d'Avroy, couverte de cultures et de jardins, et traversée par quelques ruelles et sentiers, au bord desquels s'élèvent deci delà des habitations isolées.

Au Sud-Ouest, St-Gilles et devenu un faubourg très actif, grâce à sa situation favorable aux abords du pont d'Avroy.

A l'Ouest, Ste-Marguerite s'est allongé en bordure de la route de Hesbaye.

Au Nord-Ouest, Xhovémont et Ste-Walburge restent des agglomérations très peu importantes, aux maisons encore clairsemées.

Vers le Nord, Ste-Foy et Coronmeuse se sont accrus lors de la création des belles promenades le long du fleuve.

A l'Est, Amercœur est devenu le faubourg le plus important et le plus populeux. Comme St-Gilles, il a pris un caractère quasi urbain. Plus loin, de part et d'autre, quelques groupes de maisons marquent l'ébauche des futurs quartiers du Longdoz et de Cornillon.

Toutes ces petites agglomérations qui entourent la cité, sont autant de groupements qu'elle pourra s'adjoindre lorsque disparaîtront ses remparts ou qui, en tout cas, favoriseront son extension à l'avenir.

Débarrassée des soucis et des menaces de l'extérieur, la ville put prospérer librement. Elle y fut puissamment aidée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par Velbruck, prince populaire, esprit très éclairé et ami du progrès.

Secondé par l'autorité communale, il favorisa l'instruction par la fondation de nombreuses écoles gratuites et du grand collège, par la création de cours professionnels et théoriques. Le prince protégea également les beaux-arts; Liège lui dut une école gratuite de dessin, une académie de peinture, sculpture et architecture, des expositions annuelles, une association pour le progrès des arts (154), sciences et lettres.

Avec la sécurité, l'industrie redevint florissante.

L'industrie minière, déjà si renommée en Europe, acquit, dès le début du siècle, un surcroît d'intensité grâce à l'utilisation des " pompes à feu ", précurseurs de la machine à vapeur employée d'ailleurs dans les charbonnages liégeois, un demi siècle plus tard (155).

L'armurerie, à son tour, prit un nouvel essor lors de l'introduction de la fabrication de l'acier, produit jusqu'alors importé.

Selon Gobert, " les manufactures d'armes dont les produits étaient réputés les meilleurs du monde, employaient six mille ouvriers " (156).

Il faut signaler encore des clouteries très prospères, des tanneries et des manufactures de draps non moins florissantes.

Une grande liberté de travail avait remplacé les règlements tricts des métiers.

Le commerce, marchant de pair avec l'industrie, avait lui aussi fortement progressé, et des relations nombreuses s'étaient établies avec l'étranger.

A la fin du XVIIIe siècle, une dernière crise devait ébranler Liège, une fois de plus.

Les idées nouvelles apportées par la Révolution française de 1789, lui valurent quelques années de tourmente politique et sociale.

De nombreuses églises furent pillées, dépouillées et désaffectées (157). Plus de vingt d'entre elles, furent démolies dans l'espace d'un quart de siècle.

L'imposante cathédrale St-Lambert fut détruite par décret de la convention nationale liégeoise, en février 1793. La démolition ne s'acheva qu'en 1819, par le nivellement de la place St-Lambert (158).

Des réquisitions multiples appauvrirent la ville, qui eut à souffrir, de plus, de brigandages et de vols.

En 1794, les Autrichiens restés à la Chartreuse, bombardèrent la ville pendant deux mois. Le quartier d'Outre-Meuse fut détruit. Plus de 200 maisons y furent incendiées.

En 1795, lorsque la principauté fut incorporée à la France, Liège devint simple chef lieu du département de l'Ourthe; sa superficie n'était alors que de 215 Ha, 75 a.

Malheureusement, les dévastations se poursuivirent et, en quelques années, la ville se trouva ruinée et l'industrie momentanément décadente.

La population avait fortement diminué. Une note de la municipalité atteste que sur les 8797 maisons des 5 arrondissements de la commune, 605 sont inhabitées (159). En peu de temps, le nombre des habitants était tombé de 58.260 (chiffre de 1790), 45.426.

Sous Napoléon, un seul grand travail d'utilité publique fut réalisé à Liège: c'est le comblement du bras de la Sauvenière sur la moitié de sa largeur. Le nouveau quai, dénommé quai Micoud (160), prolongeait très agréablement la promenade d'Avroy et se terminait à la place dite du Théâtre.

Cette dernière, comme plusieurs autres d'ailleurs, occupait l'emplacement d'anciennes églises ou propriétés religieuses trop détériorées pour pouvoir être restaurées.

C'est le cas notamment encore pout la grande place où se trouvait autrefois l'église des jésuites Wallons, qui a été remplacée par la salle académique de l'Université.

Dans le dédale des rues de la cité, promenades et places devenaient autant de larges clairières bien aérées et ombragées, très appréciées des Liégeois.

Napoléon favorisa aussi l'industrie.

Premier consul, Bonaparte créa la célèbre fonderie de canons, jugeant à cette fin la situation de Liège - en relation facile avec la France et au centre d'un riche bassin houiller, - tout à fait favorable, tant au point de vue industriel que militaire.

La bonne réputation de l'établissement valut, pendant très longtemps, à la cité, le monopole presque exclusif de la fabrication des bouches à feu. La fonderie travailla d'abord pour la France, puis après Waterloo, pour les Pays-Bas.

Empereur, Napoléon favorisa les recherches de Dony, créateur de l'usine du faubourg St-Léonard " où il retirait par de nouveaux procédés, le zinc métallique des calamines: origine des établissements considérables de la Société de la Vieille-Montagne " (161).

A la chute de l'Empire français, Liège, toujours à l'étroit dans ses murailles, entre dans une nouvelle phase de son évolution géographique: c'en est fait de la stagnation, des alternances de progrès et de recul.

Une ère de transformations profondes va s'ouvrir qui, sous l'impulsion de conditions économiques nouvelles, va faire de Liège la ville importante d'aujourd'hui.

La métamorphose de la ville et due en très grande part au changement radical opéré dans l'industrie et les moyens de locomotion par la vulgarisation et le perfectionnement de la machine à vapeur, par l'utilisation des forces électriques auxquelles s'ajoutèrent de multiples découvertes scientifiques.

Cette véritable révolution économique eut pour conséquence immédiate, la naissance de la grande industrie et le développement des voies de communication, les deux facteurs primordiaux de l'essor prodigieux des agglomérations urbaines aux XIXe et XXe siècles.

Sur ces causes capitales d'accroissement, s'en greffèrent d'autres d'importance secondaire, mais nullement négligeables.

L'introduction du régime de la concession dans les mines (code de Napoléon, loi du 21 avril 1810), l'organisation des travaux publics et du cadastre (lois des 16 septembre 1807 et 27 juillet 1808), l'expropriation pour cause d'utilité publique (162) (loi du 8 mars 1810) favorisèrent également les transformations heureuses de la ville.

Sous le Régime hollandais, les autorités eurent non seulement le souci de favoriser le développement des sciences et des arts comme le prouvent la création de l'Université en 1817, l'érection du Théâtre Royal de 1818 à 1820, et du Conservatoire de Musique en 1828, mais elles poursuivirent activement la modernisation de la ville.

Bientôt, la proclamation de l'indépendance de la Belgique, lui ouvre de nouveaux horizons.

Tout d'abord, les remparts, déjà fort négligés, perdent totalement leur raison d'être et disparaissent peu à peu.

On n'en retrouve que quelques rares traces dans la ville actuelle (163)

Puis, avec l'établissement des chemins de fer et des gares, commence l'ère des accroissements rapides et prodigieux qui se poursuivront jusqu'à nos jours.

Tandis que la ville s'étale et tend peu à peu à emplir la vallée, des travaux s'exécutent, entretemps, à l'intérieur, en vue de l'aménagement des anciens quartiers: comblement des bras de la Meuse et de l'Ourthe, création de boulevards et de rues nouvelles, construction de ponts.

La seconde moitié du XIXe siècle et marquée par trois épidémies successives de choléra et une terrible inondation, désastres qui éprouvent fortement la ville, mais entraînent heureusement pour elle, par compensation, des transformations salutaires.

La première épidémie de cholera de 1849, en provoquant la mort de près de 2000 habitants, montre l'impérieuse nécessité de veiller à l'hygiène générale de l'agglomération et d'assainir les anciens quartiers par trop insalubres.

Deux retours consécutifs de la maladie, causant à nouveau de sérieux ravages (1546 décès en 1854-55 et 2628 en 1866), obligent les autorités communales à une vérification et une amplification du système des égoûts, ainsi qu'à une surveillance plus étroite de la salubrité publique.

C'est ce qui nous explique la métamorphose radicale de plusieurs vieux coins de la ville et l'amélioration de son alimentation en eau potable.

Elle se basait jusqu'alors: 1° sur les eaux de la nappe alluviale superficielle et des arênes drainant les terrains houillers; 2° sur le débit de quelques sources descendant vers la vallée et de quelques galeries alimentaires de peu d'importance creusées dans le crétacé du plateau.

La production totale était de 1000 mètres cubes par jour environ, vers 1850 (164), quantité absolument insuffisante.

Aussi, dès 1863, l'administration entreprend-t-elle, dans la nappe aquifère du massif crayeux situé entre la Meuse et le Geer, le creusement de galeries absorbantes dirigées Est­Ouest, et d'une galerie collectrice amenant les eaux vers Liège.

Vers 1870, ces installations amènent en ville, 8000 mètres cubes d'eau en moyenne. Depuis lors, diverses extensions ont porté cette venue à un chiffre variant entre 23.000 et 31.000 mètres cubes (165)

Un nouveau projet basé sur le drainage de la région Ouest de la Hesbaye, est à l'étude.

A la suite de la crue désastreuse de février 1850, le gouvernement est amené à entreprendre les importants travaux de reédification et de dérivation de la Meuse.

La forte courbe que le fleuve décrivait à hauteur de la rue Paradis, et redressée et un large bras d'eau, traversant les prés de la Boverie, va rejoindre le cours primitif au débouché du boulevard Piercot actuel.

Un bassin, dit du Commerce, et creusé dans l'ancien lit de la Meuse.

Vers la même époque, le développement de l'industrie sur la rive droite, oblige à la suppression de nombreux bras de l'Ourthe et au creusement de la dérivation.

En quelques années, le plan de la ville se trouve ainsi complètement transformé.

Après avoir urbanisé tout son territoire dans la plaine alluviale et s'être étendue jusqu'aux collines qui l'encadrent, la ville a essaye de tirer parti des hauteurs voisines et de nouveaux quartiers ont surgi sur les plateaux périphériques.

Une autre ressource s'offrait encore et la ville n'a pas hésité à la mettre à profit: un accroissement en plaine, vers le Nord, en empiétant sur le territoire des communes limitrophes.

Liège vient d'acquérir tout récemment, en vue de l'exposition de 1930, une partie de Bressoux, de Jupille et d'Herstal, en tout 343 hectares.

Cette dernière extension sur la rive droite de la Meuse, en aval de la ville, sera des plus importantes pour son essor économique futur.

Ainsi, les extensions successives dans la ville lui ont permis, en moins d'un siècle, de tirer parti de tous les éléments de son site, et ont porté sa superficie actuelle à 2242 Ha, 76 a, 10 c.

Elles ont fait de Liège un centre dont la puissance s'accroît journellement sous l'impulsion d'une industrie et d'un commerce sans cesse plus prospères.


DEUXIEME PARTIE

LA VILLE DE LIEGE D'AUJOURD'HUI (non transcrit)

Ph. Lecouturier
Docteur en Géographie


(1) Nous utiliserons pour cette description, les désignations toponymiques actuelles.

(2) La question des terrasses sera reprise ultérieurement.

(3) Le rôle primordial que ce vallon a joué dans la naissance de la ville de Liège nous oblige à en faire une étude détaillée dans un paragraphe suivant. Nous y rattacherons également le Publémont.

(4) Ce limon est même parfois exploité pour la fabrication des briques. Voir à ce sujet, l'article sur la terrasse de Pontisse de H. FORIR et de M. LOHEST. Annales Soc.Géol. de Belgique, t. 23 1895-96, pp. 146 et suivantes.

(5) Ce bloc de quartzite a été, lors de la réfection des avenues du parc de Cointe, déplacé sans motif bien sérieux et déposé dans une pelouse à l'intersection des avenues de Cointe, du Hêtre et de la Laiterie, à une altitude sensiblement supérieure à celle qu'il occupait dans l'avenue de la Laiterie, où une pierre, encastrée dans l'accotement, signale sa position première.

(6) Texte explicatif du levé géologique de la planchette de Chênée, P. FOURMARIER.

(7) On distingue le plus souvent trois niveaux principaux de terrasses pour la Meuse: les terrasses inférieure, moyenne et supérieure. Mlle HOT veut même distinguer dans la vallée de la Meuse, un beaucoup plus grand nombre de terrasses. (Voir Beiträge fur Hydrographie der Ardennen. Francfort, 1916).

(8) Certains quartiers de Liège ne s'y sont‑ils pas fixes récemment.

(9) F. KRAENTZEL et P. MAHY, Géographie de la Belgique et du Congo. Bruxelles, Office de Publicité, 1925, p. 33.

(10) J. A. PIERROT, Le Bassin de la Meuse. Etude hydrologique et Géologique (Annales de l'Association des Ingénieurs sortis des écoles spéciales de Gand, 1890-91). p. 55.

(11) DEMANGEON, V, Op. cit., p. 8

(12) Ce plan nous a été très aimablement communiqué par M. Van Wetter, Ingénieur en chef, Directeur des Ponts et Chaussées, à Liège. Il a bien voulu nous autoriser aussi à prendre connaissance des rapports relatifs à la crue de 1926, rédigés par les ingénieurs de son service et adressés à M. le Ministre des Travaux Publics. C'est à cette faveur particulière que nous devons les renseignements précis que nous donnons à ce sujet.

(13) Rapport sur la crue du 22 décembre 1880 par M. DEBEIL, Ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées, à Liège.

(14) La dérivation de la Meuse a notablement diminué l'impétuosité des eaux dans la traversée de la ville.

(15) M. DEBEIL, rapport cité.

(16) E. M. O. DOGNEE, Liège: Origines, Histoire, Monuments, Promenades. Bruxelles, 1888, page 44.

(17) Th. GOBERT, Liège a travers les âges, t. II, 1925, p. 38 et 39.

(18) E. M. O. DOGNEE, Op. Cit., p. 8.

(19) Annales Sancti Jacobi Leodiensis, p. 45.

« Tanta inundatio aquarum facta est Meuse Aprili in civitate Leodiensi in ea parte que dicitur extra castrum, ut multos submergeret, et mortuorum corpora diluvium aque de sepulchris erueret ».

(20) C'est le cas, p. ex., au quai de la Ribuée, près du Pont des Arches et au quai de Rome (ancien quai de Fragnée). A Seraing, les digues montent jusqu'au niveau du 1er étage des maisons.

(21) Commission Nationale des Grands Travaux. 2e Sous‑Commission. Aménagement de la Meuse et de la Sambre. Rapport du 6 avril 1927.

(22) Commission Nationale des Grands Travaux. Note du 31 mars 1927.

(23) Ces chiffres sont empruntés à J. A. PIERROT, Op. Cit.

(24) A. DEMANGEON, Op. cit., p. 8.

(25) Voir à ce sujet L. PAUWEN, Nivellement de haute précision d'une partie de l'Ourthe supérieure et étude de son creusement. Bruxelles, Lamertin, 1926.

(26) J. A. PIERROT, Op. Cit., p. 20.

(27) Nous lui opposerons l'aspect primitif au paragraphe suivant.

(28) En creusant une cave pour le presbytère de St‑Jean, on a trouvé plusieurs lits de graviers et de limon superposés Le quartier de l'Ile par DUVIVIER.

(29) M. LOHEST, Les fouilles de la place St-Lambert au point de vue géologique. Annales de la Société Géologique de Belgique, t. 35, 1907-1908, p. 61.

(30) Texte explicatif du levé géologique de la planchette de Chênée, P. FOURMARIER. Rapport consulté au Service Géologique de Belgique.

(31) Texte explicatif du levé géologique de la planchette de Chênée, P. FOURMARIER, p. 6.

(32) G. DUMONT, Des affaissements du sol produits par l'exploitation houillère, 1871. Mémoire adressé à l'Administration de Liège.

(33) Des îles se forment fréquemment dans les endroits où une vallée s'élargit grâce aux alluvions apportées par les rivières. Ces îles sont appelés « auges » à Fribourg (voir Fribourg et son site géogr., P. GIRARDIN, Bull. Soc. neufch. de géogr., t. 20, 1909-1910, p. 117 à 118 et « Glière » en Savoie. Les bras s'appellent des « brassières » R. BLANCHARD, Grenoble.

(34) F. NICOLAS, L'évolution géographique de la ville de Namur. Travaux du Séminaire de Géographie de l'Université de Liège, fasc. XVI, 1926, p.1. « La cité de St‑Urbain » arrosée par la Meuse, suivant la vieille formule livresque, apparaît nettement " ville de la Sambre ".

(35) J. BRUNHES, Géogr. humaine, 1925, p. 171. « Les inondations violentes dans les vallées de puissants fleuves non endigués comme l'était jadis le Rhône, ne permettaient pas aux hommes de placer leur centre d'habitation dans les parties basses des thalwegs et ce facteur restrictif soulignait l'action influente des moindres accidents topographiques. »

(36) F. CUMONT, Comment la Belgique fut romanisée. Bruxelles, Lamertin, 1919 2e éd., page 30.

(37) M. F. ROUSSEAU, Conservateur aux Archives Générales du Royaume a étudié la question de l'importance historique de la Meuse avant le XIlIe siècle. Son travail, paraîtra incessamment.

Quelques idées générales ont été résumées dans le compte rendu d'une communication faite par l'auteur. Voir Revue Belge de philologie et d'histoire. Bruxelles, Les Editions Robert Sand, t. V, 1926, p. 1180 et ss.

(38) F. ROUSSEAU, Op, cit., p. 1181.

(39) H. PIRENNE, Esquisse d'un programme de l'histoire économique du Pays de Liege. Annales Fédér. Archéol. et histor. de Belgique, XXIe session, Liège, 1909, t. II, p. 18‑30.

(40) J. DEMARTEAIJ, St‑Hubert, sa légende, son histoire, Liège 1877.

(41) Voir " plan figuratif des Trente‑deux tours ou moulins et usines situés sur le cours de l'Eau d'Ourte, ainsi que sur les branches répandues dans le quartier de la ville nommé Outremeuse.

A. HOCK, Liège au XIXe siècle, Liège 1885.

(42) Cette eau a même été utilisée lors de l'exposition de 1905.

(43) E. VAN DEN BROECK et A. RUTOT, Etude géologique et hydrologique des galeries d'eau alimentaires de la ville de Liège. Bull. de la Soc. belge de géologie, 1887, t. 1, p. 245.

(44) GOBERT, Op. Cit., t. I, 1924, p. 57 et 58.

(45) C'est dans cette nappe que sont établies actuellement les galeries d'eaux alimentaires de la ville de Liège.

(46) LOUVREX, Recueil des Edits, t. 2, 1750, p. 266.

(47) GOBERT, Op. Cit., t. I, p. 58.

(48) et (49) H. S. M., reg. du XVIe siècle, f. 10 (extrait de Gobert, t. I, p. 57).

(50) LOUVREX, sur sa carte figurative de la Légia, indique encore les rues anciennes: rue Agimont, rue de la Table de pierre, et la Neuve rue, qui ont été depuis remplacées par les artères plus importantes que nous signalons.

(51) GOBERT, Op. Cit., t. I, 1924, p. 57.

(52) Evaluation approximative d'après les cotes communiquées par M. Pot. DE BRUYNE, Ingénieur en chef du Service Général des Travaux de la Ville, en tenant compte aussi de la surélévation produite par les pavages successifs.

(53) Th. GOBERT, Eaux et fontaines publiques à Liège depuis la naissance de la ville jusqu'à nos jours. Liege, Cormaux, 1910, p. 27.

(54) Chronica Lobbiensi chronicon rhytmicum Leodiense. Edition J. Alexandre, 1882, p. 157:

De Diluvio. Secuta est plaga diluvii; Die quae est septima Junii; Timuimus urbis excidium; Pro communi peccato omnium; Pontes fregit et aedificia; Rivus noster cui nomen Leggia; Submersi sunt septem vel amplius.

(55) Annales Sancti Jacobi Leodiensis, Edition J. Alexandre, 1874, p. 45‑47.

(56)M. LOHEST, Les fouilles de la place St-Lambert au point de vue géologique. Annales Soc. Géol. Belg., t. 35, 1907-1908, p. 62 et suivantes.

(57) Idem, p. 64.

(58) J. HALKIN, La culture de la vigne eu Belgique. Bull. Soc. Art et Histoire, Liége, t. IX, 1895, p. 89 et suivantes.

(59) Th. GOBFRT, Op. cit., t. 1, 1924, p. 56.

(60) L'étude de l'évolution géographique de la ville nous oblige à des incursions fréquentes dans le domaine historique. Dans les pages qui suivent nous avons fait appel surtout aux travaux de G. KURTH: Les origines de la ville de Liège. Notger de Liege et la Civilisation au Xe siècle, Paris, 1905, 2 vol. La Cité de Liege au moyen âge. - Th. GOBERT, Liège à travers les âges. - H. PIRENNE, Histoire de Belgique.

(61) M. DE PUYDT, Le fond de cabane néolithique découvert â Liege sous la place St‑Lambert. Annales Féd. Archéo. Hist. BeIg., Liège, 1909, p. 33 à 48.

(62) M. DE PUYDT, Les fonds de cabanes de la Hesbaye. Bull. Soc. Anthr. de Bruxelles, t. 26, 1907.

(63) Voir aussi M. DE PUYDT, Considérations générales sur les fonds de cabanes néolithiques de la Hesbqye. Ann. Féd. Arch. Hist. Belg., 21 session. Congrès de Liege, 1909, t. II.

(64) P. LOHEST, Une villa belgo‑romaine. Fouilles de la place St‑Lambert à Liege en 1907. Ann. Féd. Arch. Hist. BeIg., compte‑rendu de la 21, session, Liège, 1909, p. 411 à 422.

(65) Voir les cartes de F. CUMONT, Comment la Belgique fut romanisée, p. 13. Voir aussi: Fr. HUYBRIGHTS, La voirie aux époques romaine et franque. Annales des travaux publics de Belgique, 5e fascicule, 1913.

(66) Th. GOBERT, Liège è travers les âges, t. I, p. z.

(67) J. E. DEMARTEAU partage cet avis. L'Ardenne belgo‑romaine, 3e édition, 1911, p. 69 et 70: " L'isolement de l'établissement belgo‑romain fut relativement plus grand que celui de la bourgade néolithique. La voie qui de la Hesbaye se dirige vers Ombret, laissait de côté à l'Est le val de la Légia; de même que le chemin romain qui de Jupille par Fléron et Soiron, atteignait la forêt de Theux près d'Ensival, s'en écartait absolument et la laissait à l'Ouest ".

(68) Ii s'agit, comme on sait, de la seconde cathédrale de St Lambert, érigée par Notger (972-1008) en remplacement de la première qu'avait élevée St Hubert (première moitié du VIIIe siècle).

(69) G. KURTH, Les origines de la ville de Liège. Bull. Soc. A. et Hist. du Dioc. de Liège, t. II, 1882.

(70) G. KURTH, La Cité de Liège, t. I, p. 3. On voit que, selon Kurth, la Légia, en ces temps lointains, se serait appelée le " Glain ".

(71) MAGNETTE, Précis d'histoire liégeoise. Liège, Vaillant‑Carmanne, 2e édition, 1924, p. 13.

(72) Th. GOBERT, Liège à travers les âges, t. I, 1924, p. 17.

(73) Voir en dernier lieu F. LOHEST, Le château‑fort de Liège. Liège, Bécard, 1927, P. 15‑16.

(74) " Savenier... petitte vilhe fours des murs ", J. d'Outremeuse. voir BORGUET, chroniques belges inédites.

(75) F. LOHEST, Op. Cit., p. 10.

(76) Idem, p. 24.

Nous nous rallions à l'avis de cet auteur quant au tracé des fortifications. La séparation absolue qu'il établit entre la cité et le château semble cependant un peu forcée.

(77) La découverte des restes de l'église notgérienne au centre de la place St‑Lambert, témoigne, nous semble‑t‑il, en faveur de cette hypothèse quant à l'emplacement du site primitif: une construction semblable demandait un certain espace libre d'habitations. A moins que d'admettre la destruction d'un groupe d'entre elles, ce qui paraît peu vraisemblable, il faut rejeter la possibilité, pour l'agglomération chrétienne de se fixer sur la partie centrale du cône de déjection et de reprendre ainsi comme habitat celui occupé successivement par les néolithiques et belgo‑romains.

La bourgade n'avait pu choisir non plus le bas du cône, endroit trop dangereux par ce que proche du fleuve, peu abrité, pouvant facilement être inondé lors des crues de la Meuse et probablement marécageux ou pouvant pâtir des débordements de la Légia.

(78) Voir à ce sujet G. KURTH, Les origines de la Ville de Liège, p. 32. - Th. GOBERT,

Liège, à travers les âges, t. I, 1924, p. 3. A. VINCENT, Les noms de lieux de la Belgique, Bruxelles, Librairie Générale, 1927, p. 37.

Signalons l'hypothèse de Kurth suivant laquelle le Liège celte et même le Liège chrétien des premiers âges aurait pu s'appeler Glain (Glanis) du nom du ruisseau dévalant des hauteurs d'Ans. KURTH, La cité de Liège, t. I, 1909> p. 2.

Signalons, en passant, la double orthographe actuelle: l'orthographe académicienne avec è et l'orthographe traditionnelle avec é (du terme wallon Lidje).

(79) G. KURTH, O. cit., p. 42.

(80) Le mont St-Martin anuel, désigné il y a peu de temps encore par Publérnont " dans le langage populaire, s'appela pendant tout le moyen âge le Mons publicus ". Voir GOBERT, Op. Cil., t. I, p. 45-46 et KURTH, O. Cit., p. 45.

(81) La cause vraie de ce transfert du siège épiscopal ne doit‑elle pas plutôt être cherchée dans la situation dangereuse de Maestricht sur la route des invasions et dans le désir des évêques de quitter un centre marchand ancien et d'en fonder un nouveau, plus en sécurité, sur la voie fluviale dont ils pressentent la valeur future? Peut‑être les évêques voient‑ils aussi un avantage à se rapprocher des palais carolingiens établis à Jupille et à Herstal.

(82) Voir à ce propos G. KURTH, Notger de Liège et la civilisation au Xe siècle, p. 18.

(83) Th. GOBERT, Op. Cit., t. 1, p. 10.

Un chroniqueur contemporain, Prudence de Troyes, relatant une inondation produite à Liège (in vice Leudico) au mois de mai 858, à la suite de pluies torrentielles, note que les eaux emportèrent maisons, murs de pierre, édifice même, pèle‑mêle avec hommes, bêtes et débris de tous genres jusqu'à l'église St Lambert, où le fleuve grossi lui aussi démesurément, recueillit ces tristes épaves

(84) GOBERT, Op. cit., t. I, 1924, p. 205.

Les cruels Normands en 881 pénétrèrent à Liège sans être retenus par le moindre obstacle ".

(85) G. KURTH, Les origines de la ville de Liège. Bull. Soc. arch, et d'Histoire du Diocèse de Liège, t. II, 1882, p. 57.

(86) C'est par la charte du 6 juin 980 qu'Othon II reconnut l'autonomie du pays liégeois et décida que le titre de prince accompagnerait celui d'évêque de Liège.

(87) Nous avons signalé déjà la destruction de Liège par les Normands en 882 - En 954, il fut envahi encore par les Hongrois qui y commirent de graves dégâts. Voir F. LOHEST, Le chateau-fort de Liège, 1927, p. 9.

(88) C'est là un trait commun à toutes les villes médiévales; voir à ce sujet P. MEURIOT, Des agglomérations urbaines dans l'Europe contemporaine. Paris, Belin, 1898, p. 333.

(89) Il ne peut nullement être question de la création du bras comme le pensent certains historiens. Il s'agit là tout simplement d'un méandre que le fleuve avait tendance à abandonner. Le caractère abrupt du versant de la rive gauche en est une preuve.

(90) GOBERT, Op. Cit., t. II, 1925, p. 12.

(91) Certaines caves de la rue du Mont St‑Martin sont creusées dans le grès houiller et sont particulièrement favorables à la formation du Bourgogne.

(92) « Liege » nous dit Kurth, « fournissait des maîtres savants à l'étranger et des évêques à plus d'un diocèse ».

KURTH, La Cité de Liège. 1909, t. I, p. 50.

On peut rappeler encore l'éclat jeté au XIe siècle par l'école cathédrale fondée par Eracle et autour de laquelle rayonnaient les écoles des collégiales et des monastères.

Voir H. PIRENNE, Esquisse d'un programme d'études sur l'histoire économique du Pays de Liège. Annales Féd. Archéol. et Hist. de Belg., Liège, 1909.

(93) H. PIRENNE, Les villes belges du Moyen âge, p. 90.

(94) Toutes les cités et tous les bourgs de l'époque carolingienne ont joué un rôle essentiel dans l'histoire des villes. H. PIRENNE, Op. Cit., p. 70.

95) H. PIRENNE, Les villes du Moyen âge, p. 74.

(96) L. VERRIEST, L'origine et le développement de nos villes au Moyen âge, p. 43 et suiv.

S'il ne s'agit là que d'une " tendance ", d'une " première étape d'agrégation ", nous croyons au contraire qu'à Liège le développement urbain s'est manifesté plus tôt que dans les autres cités par suite de l'importance de la ville comme centre épiscopal. Liège, à la mort de Notger, n'en était plus à ce premier stade.

(97) Une rue dite Neuvice existe aujourd'hui encore dans ce quartier.

(98) Le terrible incendie de 1185 avait détruit plusieurs églises et le palais. La ville, très éprouvée, avait utilisé ses ressources à réparer le désatre.

Le produit des taxes étant insuffisant, on le complète du montant de la vente des dernières parcelles de la forêt de Glain, en partie propriété de la ville.

Voir GOBERT, t. I, 1924, p. 22.

(99) F. LOFSEST, Le chateau-fort de Liège, p. 63.

(100) Th. GOBERT, t. I, 1924, p. 22.

(101) La rue du Pont, sinueuse et étroite, a gardé de nos jours son caractére archaïque.

(102) Th. GOBERT, t. I, 1924, p. 19.

(103) C'est le souvenir de ces aspects primitifs que nous gardent, aujourd'hui encore, les dénominations rue du Pont d'Ile et rue du Pont d' Avroy.

(104) L. VERRIEST, OP. cit., p. 42. On peut dire à priori, je crois, que là où l'on crée une église paroissiale, il commence à y avoir ou il y aura bientôt une agglomération d'habitants. A peine établie d'ailleurs, une paroisse devient un centre d'attraction ".

Voir aussi L. LAHAYE, L'origine des paroisses de Liège. Bull. Inst. Arch. Lieg., t. XLVI.

(105) GOBERT, t. II, 1925, p. 83.

(106) De là, comme dans tontes les autres communes de la banlieue, quelque connexité avec la cité: droit pour tous les habitants d'exercer un métier quelconque dans la cité et ailleurs. GOBERT, t. II, p. 86.

(107) GOBERT, Op. cit., t. II, p. 87.

(108) Liège, capitale de la WalIonie, p. 67.

(109) BORMANS et BORGNET, Chronique de Jean d'Outremeusee, t. IV, p. 128.

(110) F. LOHEST, Le château-fort de Liège, p. 68.

(111) GOBERT, Op. Cit., t. II, p. 38.

(112) La Loy muée du 9 octobre 1287. Voir RAIKEM, P0LAIN et BORMANS, Coutumes du Pays de Liège, Bruxelles, 1870-73, 2 vol., t. I, p. 410. « S'alcuns entre en jardin d'Aultruy ou en vingne par violence ... »

(113) " Ces arvaux ou passages voûtés avaient un but de défense. En temps de guerre ou de trouble, on fermait ces arcades par des chaînes en fer qui s'adaptaient à des anneaux scellés dans les murs. Elles étaient renfermées souvent par des barricades qui obstruaient entièrement la voie ". Th. GOBERT, Op. Cit., t. I, p. 25.

(114) On en retrouvait encore dans le centre de la cité vers le milieu du XIXe siècle.

(115) BLANCHARD, signale le même fait à Grenoble. Grenoble, p. 62-63.

(116) M. DOGNÉE, Op. cit., p. 46.

(117) GOBERT, Op. cit., p. 25.

(118) H. PIRENNE, Esquisse d'un programme d'études sur I'histoire économique du Pays de Liège. A. F. A. H. B., 1909, p. 25.

(119) St. BORMANS, Le bon métier des Drapiers de Liège. Liège, 1866, p. 14.

(120) BORMANS, Le bon métier des Tanneurs. Liège, 1863, p. 127.

(121) Th. GOBERT, Op. Cit., t. I, 1924, p. 21.

(122) Voir l'étude détaillée de J. HALKIN, La culture de la vigne en Belgique, p. 91 et suivantes.

(123) J. HALKIN, Op. cit., p. 93 et 94.

(124) J. HALKIN, Op. cit., p.95.

(125) G. KURTH, La cité de Liège, t. II, p. 217.

(126) Th. GOBERT, t. I, p., 26.

(127) Coutumes du Pajs de Liège, RAIKEM et BORMANS, t. I, p. 407.

(128) Ce fait n'est pas particulier à Liège. Voir P. MEURIOT, Les agglomérations urbaines de l'Europe contemporaine, p. 417.

« Dans les villes de jadis, étant donné le peu de place qu'occupait l'outillage industriel, patrons et ouvriers vivaient les uns à côté des autres; la différence sociale était atténuée par un fait matériel, la vie en commun de chaque jour ».

(129) H. PIRENNE, Esquisse d'un programme d'études sur l'Histoire économique du Pays de Liège. A. F. A. H. B., 1909, p. 22.

(130) H. PIRENNE, idem, p. 23.

(131) H. PIRENNE, idem, p. 23.

(132) Le commerce en gros était une profession aristocratique dans les villes du Moyen âge. KURTH, La cité de Liège, p. 159, t. I.

(133) La " Cantatorium " nous signale en1082 les mereatores leodienses prêtant de l'argent à l'évêque pour l'acquisition de Chevigny. Karl HANQUET, Etude critique sur la chronique de St Hubert, dite « Cantatorium ». Bruxelles, Office Public. 1900, p. 121.

(134) H. PIRENNE, Les villes du moyen âge. p. 185.

(135) Voir à ce sujet G. KURTH, La cité de Liège au moyen âge. - H. PIRENNE, Histoire de Belgique.

(136) G. KURTH, Op. Cit., t. I, p. 161.

(137) " Sans la rivalité de la France et de la Bourgogne, l'histoire de la cité ne se présenterait pas à nous avec un cortège de péripéties tragiques qui lui assigne son caractère spécial parmi les communes du moyen âge " G. KURTH, La cite de Liège, t. III, p. 2.

(138) Si le pont d'Avroy ne subit pas le même sort, c'en que les Hutois s'en retournèrent chez eux se refusant à accomplir la destruction commandée par le duc.

(139) GOBERT, op. cit., t. I, 1924, p. 30.

Cette estimation de 70.000 à 80.000 habitants à l'époque du Téméraire nous parait exagérée. L'auteur n'est d'ailleurs pas conséquent avec lui-même.

Dans le même volume, au chapitre La population de Liège " (p. 191), il signale divers relevés notamment celui de Brassinne se basant sur un document fiscal de 1651 et qui conclut, en prenant une moyenne faible de 5 habitants par maison, à une population de 37.835 habitants sur 7567 maisons pour la ville et les faubourgs.

En tenant compte du « tassement des locataires dans les maisons », Gobert prend 7 habitants par maison comme moyenne, et arrive pour la même époque au chiffre de 52.633 habitants. Or cela se passe deux siècles après le sac de la ville, alors que celle-ci s'en certainement développée.

La « Crenée » de 1470 accusait pout Liège et ses faubourgs 2.000 feux donc à peu près 10.000 habitants. A. HANSY, La « Crénée » générale du pays de Liège en 1470 et le dénombrement des feux. Bull. commis. Royal Hist.. T. LXXI, 1902, p. 67 à 106.

(140) GOBERT, t. I, 2924, p. 33.

(141) G. KURTH, La cité de Liège, t. II, p. 246.

(142) En 1285, la Conseil s'est occupé déjà d'amener l'eau à la fontaine du marché. G. KURTH, Op. cit., t. II, p. 162.

(143) G. KURTH, Op. Cit., t. II, p. 247.

(144) G. KURTH, Op. Cit., t. II, p. 215.

(145) IDEM, t. II, p. 206.

(146) C'est le prince qui, après Notger, a laissé le plus de souvenirs glorieux en la cité. Th. GOBERT, t. 1, 1924, p. 35.

(147) Voici la description de la Batte que donne Philippe de Hurges, qui visita Liège en 1615. Extrait des voyages à Liège et à Maestricht, Liège, 1872, p. 133: « Ce qui se voit de plus beau en ceste encongneure est le quay, l'église St Barthélemy, la maison du pagador Curtius et celle du poids. Quant au quay qui est comme l'estappe et le marché ou se deschargent toutes denrées venues par eau, il est fort large et bien pavé, tout muré de grosses pierres de taille et à fond de cuve du costé de la Meuse, excepté quelques endroits laissés ouverts sur le passage de ce qui se charge sur les barques ou descharge ou pour la commodité des lavandières et autrement; où se voient de forts beaux degrez qui servent selon la bassesse ou la creute (crue) des eaux; et dure ce quay depuis la pointe septentrionale de la ville jusques le Grand pont: qui est une distance de mille pas, large de cent ».

(148) « La maison de ville et touttes les maisons situées dessoubs la tour de St Lambert, furent entièrement bruslées, de mesme que presque toutte la rue de Sur Meuse et touttes les maisons le long de Meuse et alle Goffe, en sorte que l'on comptait neuf cent trente deux maisons jusqu'à rez terre et cinq cent dix-sept bombardées sans compter les églises »

GOSSUART, Manuscrit fin du 18e siècle. N° 1152, f. 187-188. B. U. L.

(149) La maison Curtius, datant d'ailleurs de la fin du XVIe siècle déjà, est un très beau spécimen de l'architecture liégeoise de cette époque.

(150) Voir à ce sujet GOBERT, Eaux et fontaines publiques à Liège, p. 34 et suivantes.

(151) GOBERT, t. 1, 1924, . 43.

(152) Conservé à la Bibliothèque de l'Université de Liège.

(153) 245 rues, selon GOBERT, t. 1, 1924, p. 42

(154) Velbruck accorda notamment son appui au célèbre compositeur liégeois Grétry.

(155) Voir GOBERT, t. T, 1924, p. 41.

(156) Idem.

(157) St Paul fut transformée en écurie puis en abattoir en 1793 par les soldats de Dumouriez.

(158) Pol De BRUYNE, Le développement de la ville de Liège, Administration et Urbanisation des grandes agglomérations, n° 25, p. 347.

(159) voir GOBERT, t. I, 1924, p. 43.

Citons aussi le chiffre de P. CLERGET qui évalue la population de Liège, en 1801, à

50.000 habitants. P. CLERGET, L'Urbanisme, Etude historique. géographique et économique. Bull. Soc. Neuchâteloise de Géog., XX, 1909-1910, p. 220.

(160) Actuellement boulevard de la Sauvenière.

(161) E. DOGNÉE, Op. Cit., p. 127.

(162) Pol De BRUYNE, Ingénieur en chef de la ville de Liège (Op. cit., p. 347), considère même 2 périodes bien distinctes dr transformation; la première, de 1815 à 1850, où " des travaux importants sont exécutés sans le secours de l'expropriation par zone "; la deuxième de 1850 à 1900, où cette procédure rend d'inappréciables services ".

(163) On peut voir encore les restes de la porte Vivegnis dans la rue de ce nom.

(164) Voir E. VAN DEN BROECK et A. RUTOT, Elude Géologique et Hydrologique des galeries d'eaux alimentaires de la ville de Liège. Bull, de la Soc. belge de géologie, 1887, p. 247.

(165) L. BROUHON, Service des eaux de la ville de Liège. - Liège, capitale de la Wallonie, p. 202.

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