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THEATRE DE LIEGE

Histoire du théâtre de Liège

par Jules MARTIGNY


INTRODUCTION


Est-il un sujet plus discuté que le théâtre? Non seulement au point de vue purement artistique mais encore historique. Que n'a-t-on pas dit de l'art et des artistes? Chacun en parle à l'envi sans que le plus souvent il ait cru devoir s'entourer des renseignements nécessaires puisés à des sources authentiques. Combien de personnes discuteront l'origine et la marche d'un théâtre, les talents d'artistes en renom, sans avoir consulté aucun document, mais en se fiant exclusivement à une mémoire plus ou moins fidèle ou à des jugements erronés ou injustes.

Que de fois, en effet, dans des conversations sur le théâtre, j'ai entendu émettre inconsciemment des opinions ou contradictoires, ou fausses, par des personnes qui n'avaient qu'un tort, grave il est vrai, celui de se fier exclusivement aux ouï-dire.

Ce sont des opinions semblables, trop souvent accréditées, qui m'ont conduit à entreprendre le présent ouvrage, basé sur des documents absolument authentiques, résultat de recherches arides et patientes.

Commencé d'abord pour mon édification personnelle, sans l'intention de le publier, ce travail a fini par prendre corps et a paru assez intéressant à maintes personnes compétentes, auxquelles je l'avais communiqué, pour m'engager à le livrer à l'impression.

C'est donc sur les instantes sollicitations de plusieurs amis que je soumets au public ce recueil, sans nulle prétention littéraire, où sont passés en revue tous les faits saillants ou dignes de remarque, relatifs à notre théâtre, depuis son origine jusqu'à ce jour et où le lecteur trouvera avec facilité des renseignements précis qui sont éparpillés dans des publications rares ou difficiles à consulter. Je m'estimerai particulièrement heureux si ce livre est utilement consulté par les amateurs.

J'adresse ici mes vifs remerciements à toutes les personnes qui ont bien voulu m'aider dans les longues et nombreuses recherches que j'ai été obligé d'entreprendre, et spécialement à M. Alex. Dupont, auteur du Guide dramatique belge, pour les renseignements importants qu'il m'a fournis; à M. Léonce Digneffe, le bibliophile distingué, qui a mis à ma disposition avec une extrême complaisance, ses nombreuses et rares collections de journaux et de documents manuscrits; enfin à M. Léon Bethune qui m'a confié les originaux des vues reproduites dans cet ouvrage.

Liège, Février 1887
J. Martigny.


Principaux ouvrages ou documents consultés.

Gazette ou Journal de Liège (Desoer), de 1764 à 1886.

La Feuille sans titre, 2 vol. 1er Février au 31 Décembre 1777.

Gazette de Liège (Latour), de 1794 à 1824.

Le Troubadour liégeois (Delloye), de 1796 à 1809.

Le Mathieu Laensberg, de 1824 à 1828.

Le Politique, de 1828 à 1841.

L'Industrie, de 1831 à 1841.

La Tribune, de 1841 à 1862.

La Meuse, de 1855 à 1887.

Le Foyer, de 1865 à 1887.

Registres aux recès de la cité de Liège, de 1735 à 1793. (Université.)

L'Observateur des spectacles, par de Chevrier, 1761-62. (3 vol.)

Collection de programmes du Théâtre de Liège, de 1825 à 1887.

Correspondance et documents manuscrits, ayant appartenu à la société des actionnaires, propriétaire du théâtre de 1817 à 1854.

Annuaire dramatique belge, de 1839 à 1847. (9 vol.)

Scénologie de Liège, par F. Rouveroy, 1844. (1 vol.)

Dictionnaire lyrique, de F. Clément. (1 vol.)

Bulletin administratif de la Ville de Liège de 1847 à 1886.

Histoire du Théâtre français en Belgique, par F. Faber. (5 vol.)



Jusqu'a présent, aucun document officiel n'a pu fournir la date exacte de l'origine du théâtre à Liège. J'entends par origine le moment où le théâtre s'est fondé d'une façon à peu près régulière. Jusqu'au commencement du XVIIIe siècle, Liège avait eu peu de divertissements de l'espèce, ayant toujours été sous le coup de désastres et de guerres continuelles.

Les divers auteurs qui ont traité ce sujet ont puisé leurs renseignements dans un manuscrit intitulé: Annales des progrès du théâtre, de l'art musical et de la composition dans l'ancienne principauté de Liège, depuis 1738 jusqu'à présent (1800), par M. Hamal, neveu de Jean Noël (in-4 de 118 p.). Or, ce manuscrit que j'ai consulté n'a pas été fait, comme je le croyais, au jour le jour, mais est un résumé des souvenirs de l'auteur et de quelques notes recueillies par ci par là et contenant, comme j'ai pu m'en convaincre, assez bien d'erreurs; comme celles-ci se sont propagées et que je tiens avant tout à donner à ce travail toute l'authenticité possible, j'ai cru bon de rectifier, autant que j'ai pu le faire, les faits énoncés erronément.

Ce document fait donc remonter l'origine du théâtre vers l'année 1718, alors que les sieurs FALCAS et Gamba CURTA vinrent s'établir en ville. Je n'ai rencontré dans les archives de l'Etat aucune trace de ces deux entrepreneurs à cette époque; un fait viendra à l'appui de mon assertion: d'après les registres de l'état-civil, Gamba Curta, qui mourut à Liège en 1768, était âgé de 67 ans, par conséquent en 1718 il avait 17 ans et il est peu probable qu'à cet âge il pût entreprendre la direction d'une troupe quelconque; d'un autre côté, la supplique de Gamba Curta demandant de s'établir en ville date de 1737, ainsi que nous allons le voir.



1735

UNE BARAQUE SUR LE PARAPET DE LA BATTE


En vertu d'un octroi en date du 5 août 1735, un sieur PIROTTE, entrepreneur, et Mme ARMAND, comédienne, avaient obtenu l'autorisation d'ériger une Baraque pour la comédie sur la Batte. C'est le premier document officiel qui nous fait connaître un établissement de ce genre, aussi sans l'affirmer davantage, peut-on constater que c'est le premier jalon posé pour donner l'essor aux établissements qui se sont suivis depuis.

Cette installation en bois, toute primitive, était située le long du parapet de la Meuse, à côté du bureau du poids, au Braz, et vis-à-vis de la place où se tient actuellement le marché aux fruits.

Elle servait à deux usages: on y jouait des farces italiennes et on y vendait des drogues. Ce n'était pas à proprement parler un théâtre, car il n'y avait aucun luxe de décorations ni de costumes.



1737

UNE BARAQUE EN BOIS SUR LE QUAI


Deux ans après, Gamba Curta obtint du prince-évêque Georges Louis de Bergh, un octroi ainsi conçu:

" Georges Louis etc

" Nous ayant été très humblement supplié par Charles-Antoine Lazare Gamba Curta, opérateur, de lui accorder la permission ou faculté de s'établir dans notre cité de Liège, pour y exercer tant icelle que dans les autres villes de notre domination, sa science et vendre et débiter ses remèdes, tant internes qu'externes à tous nos sujets qui auraient recours à lui, dont les bons effets en sont connus par les certificats authentiques de ses médicaments; à ces causes, voulant condescendre favorablement à sa requête, nous avons déclaré et permis comme par les présentes déclarons et permettons que le dit Gamba Curta s'établisse dans notre capitale pour y exercer son savoir et débiter ses remèdes, défendant sérieusement à quiconque de nos sujets de l'inquiéter ou le molester à cet égard, car telle est notre volonté.

Donné sous notre scel secret en notre cité de Liège le 5août 1737. "

Cette pièce authentique nous indique donc l'arrivée de Gamba Curta à cette époque.

Celui-ci fit construire une nouvelle baraque toujours sur la Batte, mais un peu plus loin que la précédente, en face de la rue Hongrée. Ce théâtre, que l'on peut considérer comme le second qui s'installa à Liège, obtint quelque succès. Il était mieux aménagé que le précédent et l'on y jouait toujours des farces italiennes tout en y vendant des drogues. Gamba Curta occupa cette baraque au moins pendant 3 ans. En 1759, il fut attaché à la cour de l'éminentissime cardinal de Bavière; après cela, il vécut en rentier, vint se fixer à Liège, rue Soeurs-de-Hasque, où il mourut le 21 mars 1768, âgé de 67 ans, et fut enterré dans l'église de Saint-Martin-en-Ile sous les noms de Charles-Antoine Lazare dit Gamba Curta, veuf de Barbe Wetzlerin.



1740

UN THEATRE EN BRIQUE


Vers l'année 1740, deux entrepreneurs, les sieurs Leroy et Defresne firent construire sur l'emplacement occupé précédemment par Gamba Curta un nouveau théâtre, cette fois en briques et bonne charpente, beaucoup mieux disposé et pourvu de décorations et de loges. Toutefois cette salle conserva le nom de Baraque pendant tout le temps qu'elle exista.

Je ne sais si les représentations furent très régulières ni quels sont les directeurs qui l'exploitèrent pendant les dix premières années, aucun document officiel n'a pu me donner de renseignements à ce sujet. Ce que j'ai pu constater, c'est que le spectacle se trouvait fréquemment interrompu par les cris et les querelles des spectateurs, à ce point que le prince-évêque Georges Louis dut réprimer le tumulte par l'ordonnance suivante, en date du 3 décembre 1742.

" Son Altesse voulant pourvoir de son autorité contre tout ce qui pourrait occasionner du désordre pendant la représentation des spectacles qui se donnent présentement au public sous sa protection et sauvegarde, défend à tous et quelconque de telle qualité qu'il soit, de troubler ou interrompre les acteurs et d'empêcher les spectateurs de jouir tranquillement du spectacle, soit par cris, sifflements, querelles, bruits extravagants ou autrement, à peine de trois florins d'or d'amende et d'être puni en rigueur selon l'exigence du cas.

Défend pareillement aux domestiques dont les maîtres ou maîtresses ne sont pas à la comédie, de se présenter au spectacle, et aux autres de se trouver ailleurs que dans la place qui leur est destinée, à peine, en cas de bruit, de désordre ou d'impertinence, d'être saisi et mené tout de suite à la garde pour y être puni selon les circonstances. "

On peut juger, d'après ce dernier paragraphe, que le théâtre commençait à être suivi vers cette époque et que les personnes de distinction ne se faisaient pas faute d'y assister.

En mai 1744, la troupe ambulante des comédiens français de Calais et Dunkerke vint donner une représentation de: Le Feu d'artifice ou le nouveau Paris, comédie en 3 actes très nouvelle, sur les affaires du temps.

Le 13 juin 1744, Gamba Curta, qui avait renouvelé sa supplique au nouveau prince-évêque Jean Théodore, la vit accueillie tout aussi favorablement. Je n'ai rencontré toutefois aucun document officiel qui me permette d'assurer qu'il était alors le directeur du spectacle.

Au mois de novembre de la même année, le sieur d'Hannetaire, qui faisait partie de la troupe qui exploitait le théâtre, avait composé un Divertissement nouveau de chants et de danses qui fut exécuté le 9 à l'occasion de la fête du prince-évêque Jean Théodore. Le ballet était dirigé par le sieur Boudet, les principaux acteurs étaient Boudet fils et Mlle d'Hannicourt.

Dans le cours de ce divertissement, Melpomène déclamait ces vers :

Qu'ici toute ma cour honore
L'auguste nom de Théodore
Par les accents les plus flatteurs
C'est à nous à chanter sa gloire
Qui s'augmente par la victoire
Qu'il remporte sur tous les coeurs

Un italien nommé Nicolini, de passage à Liège pendant l'été de 1745, avec une troupe d'enfants, donna à la Baraque quelques représentations qui eurent beaucoup de succès, à en juger par l'empressement du public qui occupait toutes les places dès 4 heures de l'après-midi. Ces petits artistes jouaient des ballets, des pantomimes et des opéras. Ce fut la première troupe d'enfants qui parut à Liège.

Le public n'avait guère tenu compte des ordonnances rendues précédemment, car le prince-évêque dut les renouveler en ajoutant au nouveau mandement: " Qu'il y ait quatre sentinelles placées au parterre, lesquelles devront admonester ceux qui feront du bruit ou du désordre et les faire sortir à coups de bourrades en cas d'opposition. "

Je n'ai plus aucune trace de spectacle jusqu'en 1749. Le 8 août de cette année, le sieur Jean-Benoit Leclair fut autorisé par un octroi à représenter la comédie dans la cité jusqu'au jour des cendres de l'année 1750. L'année suivante, le même Leclair ayant obtenu du prince-évêque un nouveau privilège, mais n'ayant pu s'entendre avec les propriétaires de la Baraque, demanda au conseil de la cité l'autorisation de pouvoir occuper les greniers de la douane située sur la Batte et qui avaient autrefois servi à cet usage, tout en lui continuant l'octroi. Les magistrats ne purent lui accorder l'usage des greniers, mais ils furent d'avis d'entendre le suppliant ainsi que les propriétaires, les sieurs Leroy et Defresne, et par accord fait le 26 octobre 1750, ils firent l'acquisition de la salle de la comédie " telle qu'elle se trouve avec tous les matériaux qui y sont de quelle nature et qualité ils puissent être, sans rien réserver ni excepter pour la somme de 2500 florins.

La salle fut alors louée au sieur Leclair le 1er novembre 1750, moyennant certaines conditions suivantes:

1° La location est de soixante ducats, payables six ducats par représentation, pour sûreté desquels il laissera ici le magasin des habits de la troupe; il pourra représenter 3 fois par semaine ou même davantage jusqu'au jour des cendres de l'an 1751 et c'est à commencer au jour de la Saint-Martin, 11 de ce mois.

2° Que les trois jours de représentation à faire par semaine seront les dimanche, jeudi et samedi.

3° Que le sieur Leclair sera chargé de se pourvoir des décorations nécessaires pour ses pièces et ballets.

4° Que MM. les bourgmestres et conseillers auront leurs entrées libres pour leurs personnes dans quelle place il leur plaira vacquer.

5° Qu'en cas s'il survient quelque difficulté le sieur Leclair se soumet et se rapportera au dire de MM. les bourgmestres et conseillers.

6° Que le siège principal de la troupe sera à Liège et que ce ne sera que par détachement qu'elle ira représenter à Maestricht.

7° Que le sieur Leclair sera obligé aux mêmes réparations.

8° Que le sieur Leclair oblige sa personne et ses biens et effets pour sûreté des articles ci-dessus énoncés. „

A partir de cette époque, tout entrepreneur de spectacle ne pouvait donner de représentation à la salle de comédie appartenant à la cité s'il n'avait obtenu un octroi délivré par le prince- évêque et ratifié par le conseil de la cité.

Après plusieurs demandes, le directeur obtint par un recès ou délibération en date du 22 janvier 1751, l'autorisation de donner des bals masqués ou non; à cet effet, il avait fait construire un plancher mobile qui se plaçait dans la salle. Vers le mois de février, le directeur étant redevable au conseil de la cité d'une somme de cinquante ducats, qu'il n'avait pu acquitter, fut informé qu'il y serait pourvu par recours d'huissier, mais le 22 février, n'ayant pas satisfait à cette injonction, le Conseil chargea le commis-général Defresne "de se rendre de grand matin à la maison appartenant à la cité où se joue la comédie sur la Batte, pour y reprendre la clef et faire changer les serrures et rapporter les effets appartenant à la cité qui sont portatifs, savoir: les chaises, bancs et autres effets, s'il y en a. "

Le théâtre resta libre jusqu'au 16 avril, jour où l'autorisation fut de nouveau accordée à Leclair " de pouvoir faire ses représentations parmi donnant dix-sept escalins par chaque représentation à payer chaque fois d'avance. "

Soit que Leclair ne fût pas administrateur, ou que la situation ne lui fût pas favorable, il est certain qu'il ne fit pas de trop brillantes affaires, à en juger surtout par le recès du 11 juin 1751 qui accordait sur leurs demandes aux comédiens Lainé, Garnier et Dubois l'usage gratuit de la salle de la comédie pour y donner quelques représentations à leur profit pour subvenir à leurs dépenses, attendu que le sieur Leclair les avait abandonnés sans leur payer leurs gages et émoluments.

Le 18 août 1751, le Conseil accordait à un nommé Bonaventure Fisty joint Jean Perghen l'autorisation de donner avec sa troupe italienne de danseurs, danseuses et voltigeurs de cordes, des représentations pendant l'espace de quinze jours. Dans cette troupe se trouvait un nommé Cara Mustapha qui dansait sur le fil d'archal. Après ceux-ci, deux virtuosi de musique de la première classe d'Italie obtinrent de donner quelques concerts à dater du 30 août.

Le 4 octobre 1751, le Conseil, sur la demande du sieur Christophe Hennikenne, lui accorde " la place de concierge de la maison où se joue la comédie pour en prendre soin et veiller au feu, sans aucun gage, mais seulement pour salaire la place du café avec soumission de se conformer aux ordonnances du Conseil en cas qu'il y eut quelques arrangements à prendre avec le directeur de la troupe de la comédie. "

Un sieur Laminne, qui avait obtenu l'octroi du prince-évêque, écrivit au directeur de la troupe des comédiens de Valenciennes pour venir donner quelques représentations; le conseil lui accorda l'autorisation le 6 octobre moyennant le prix d'un ducat par chaque jour de représentation. Cette troupe ne resta pas longtemps en ville, car le 29 du même mois, l'autorisation fut accordée au nommé Jean-Baptiste Toscany s'intitulant artificier de S.M. le roi de Pologne, pour donner 5 ou 6 représentations " parmi consignant et payant un ducat à chacune à condition qu'il ne pourra rien détériorer ni faire de feux d'artifices qui pourraient gâter les ornements par la fumée ou autrement. „

En séance du 26 novembre 1751, le Conseil loua la salle de la comédie à un sieur Princen, pour un terme de 3 ans, moyennant 600 florins bb' annuellement, " le présent louage durant à l'échéance du 1er mai de chaque année, voire que les seigneurs bourgmestres et conseillers auront des billets gratis pour se rendre à la comédie. "

Princen occupa la salle à partir de cette date; mais je n'ai connaissance d'aucune représentation donnée sous sa direction. Par ordre de MM. les bourgmestres et conseillers de la noble cité de Liège, le commis-général Defresne fut chargé le 22 mars 1752 de dresser un inventaire de tout ce qui se trouvait à la maison de la comédie afin de l'enregistrer et d'en envoyer copie au sieur avocat Princen, locataire de la dite maison.

Cette pièce très curieuse vaut la peine d'être reproduite, car elle nous fera connaître les détails de la salle. Nous respecterons les termes dans lesquels elle est écrite, mais non pas l'orthographe qui était par trop fantaisiste.

" Notulle ou répertoire fait par moi soussigné, par ordre de MM. les bourgmestres et conseillers de la noble cité de Liège.

Commençant au théâtre, j'ai trouvé: six grands chandeliers de bois doré avec chacun 8 chandeliers de fer blanc.

Item. — dans la dite maison 3 étuves avec leurs buses.

Item. — un neuf Braizer avec les armes du prince, fait par la veuve Coclers, posé sur une rame.

Item. — 10 coulis propres à attacher les décorations et un entre-deux de wères dans le fond du théâtre.

Item. — 4 bancs bourrés de cuir.

Item. — 2 échelles, savoir: une grande et une plus petite dont une se trouve au théâtre, l'autre dans l'orquesse.

Item. — au-dessus de l'étuve posée sur le théâtre derrière les coulisses il se trouve une espèce de plancher construit avec sept planches de fâwe(hêtre) et trois wères carrées; tous les escaliers tant pour monter au théâtre que dans les loges sont en très bon état de même que le pavé et la charpente du théâtre.

Item. — derrière les dits coulis à gauche, au-dessus de l'escalier, il se trouve une loge où les comédiens s'habillent, construite de planches et wères de même que la couverture, une table, une armoire et un porte-manteau, porte et serrure.

Item. — douze chaises avec les fonds couverts de clajots.

La loge de Sa Sme Eminence se trouve en bon état, tapissée et plafonnée de même que la descente d'icelluy.

II s'y trouve 9 loges avec 2 bancs dans chaque, tapissées de cuir et de plus les dites loges sont tapissées et plafonnées; il y a une porte à chaque avec serrure, six clefs; au-dessus des dites loges il se trouve une frise qui règne de chaque côté d'un bout à l'autre.

Item. — derrière les loges du côté de la rivière, il s'y trouve 2 loges où les comédiens s'habillent, construites de planches et de wères avec portes, serrures et clefs et table dans chaque et une autre planche et dans une deux porte-manteaux avec les pommes tournées.

Dans l'amphithéâtre, il s'y trouve six bancs de planches avec leurs marche-pieds et entourés de wères et planches; le paradis entouré de planches et les assemblements de wères, l'escalier en bon état.

Le parterre pavé de bonnes planches de chêne avec la charpente nécessaire, de même que le plafond avec des toiles qui couvrent le dit parterre et une partie du théâtre.

Dans l'orquesse, il s'y trouve une planche en forme de pupitre avec une machine propre à mettre les lampions et un banc sur toute la longueur, porte et clichette, le tout entouré de planches et wères pour les attacher; de même que dans le parquet dans lequel se trouvent 4 bancs bourrés de cuir sur toute la longueur avec les marche-pieds de planches, poêle, serrure et clefs.

Item. — dessous les loges du côté de la rivière, il s'y trouve 2 loges où les comédiens s'habillent, dans chaque desquelles se trouve une table, porte et serrure, et sont pavées de planches.

Item. — dans le magasin contigu, il s'y trouve un banc et un porte-manteau avec des chevilles en bois, poêle et serrure; joignant le dit magasin il se trouve un urinal de bois entre le dit magasin et le lieu; item trois de pierre avec leurs colières.

Dessous l'amphithéâtre se trouvent 2 loges où les comédiens s'habillent avec table et pavé de planches.

Dans la place où le café se tient il se trouve une espèce de table et au-dessus d'icelle des potales (niches) avec 3 planches, un banc et un bac de bois.

Item. — dessous le théâtre se trouvent 2 trappes avec leurs tambours l'un desquels a ses cordes et l'autre est sans cordes.

Item. — 4 châssis de vitre avec leurs volets.

La Montagne qu'on a fait pour représenter Samson; je n'ai trouvé aucune planche ni pièces de bois.

Toutes les autres clefs que celles ci-dessus mentionnées sont dans les mains du sieur Monard.

(signé) B.-L. Defresne. „

En séance du 6 octobre 1752, le conseil accorde au sieur Délestre de faire ses représentations de théâtre. Il est probable que ce fut Princen qui sous-loua la salle à celui-ci, car à cette époque il en était toujours locataire; ce ne fut que le 5 janvier 1753 que, d'accord avec le Conseil, il renonça à la location en faisant enregistrer sa renonciation au grand greffe.

Delestre y resta jusqu'au jour des cendres de l'année 1753. Le lundi des fêtes de Pâques François Ferrari, entrepreneur de l'opéra italien, obtint la permission de représenter à la salle de la comédie; il ne donna que 2 ou 3 représentations. Après lui, un autre directeur, le sieur Nicolas Huau obtint aussi l'usage gratuit de la salle pour donner des représentations pendant l'été à dater du 15 juin 1753. Puis le 30 juillet, reparaît François Ferrari qui obtint un nouvel octroi pour représenter jusqu'à révocation tout en donnant comme de coutume des billets gratis aux seigneurs bourgmestres et conseillers.

Par son octroi du 12 octobre, le Conseil accorde au sieur Burnonville, directeur d'une troupe de comédie, l'usage de la salle jusqu'au jour des cendres de l'année 1754. Ce fut pendant sa direction que parut le célèbre violoniste de Crémone, Dominique Ferrari, d'une très haute réputation. Il donna un concert dans les derniers jours du mois d'octobre. Le prix des loges était de huit escalins (l'escalin valait 10 sous ou 60 centimes), prix très élevé pour cette époque.

Quelques jours après, un autre artiste, Jacinthe Spinola donna aussi un concert, mais il ne nous apprend pas de quel instrument il jouait.

A peu près vers cette époque, le Conseil ayant entendu le rapport de MM. les conseillers députés, au sujet de 2 balcons à faire construire aux deux côtés du théâtre, ordonne la construction de ceux-ci, défendant au directeur d'abonner aucune loge qui demeureront à l'usage des personnes qui s'y trouveront les premières.

Le 2 septembre 1754, deux directeurs d'un opéra italien, les sieurs Crosa et Resta, obtinrent un octroi pour pouvoir représenter jusqu'au mois d'octobre suivant; mais par suite du succès qu'ils obtinrent, ils furent autorisés à continuer jusqu'au jour des cendres de l'année 1755. Cette troupe représentait les meilleurs opéras italiens, entre autres La Serva padrona (La Servante maîtresse), opéra en 2 actes de Pergolèse.

André-Ernest-Modeste Grétry, notre célèbre concitoyen, né à Liège le 11 février 1741, avait alors près de 14 ans; il assista à la première représentation de cet opéra. Son père avait obtenu, pour lui, des directeurs, une place à l'orchestre où il assista pendant toute l'année aux représentations, souvent même aux répétitions. Parmi les pièces italiennes qui eurent encore du succès, nous citerons la Finta cameriera, op. 2 a., de Latilla.

A Crosa et Resta succéda un nommé d'Orval qui avait dirigé précédemment le théâtre de Maestricht et qui prit possession de celui de Liège en vertu d'un octroi lui accordé le 7novembre 1755.

Après lui vint un nommé Pierre-Jacques Hiboux, directeur d'une troupe de comédiens, qui commença ses représentations à dater du 8 octobre 1756. Pendant ces deux années, je ne sais si les représentations furent bien régulières, toutefois je n'ai connaissance d'aucune autre troupe ayant paru sur le théâtre.

Le 19 novembre, le Conseil, trouvant l'établissement d'un concierge inutile, déclare de le révoquer, " entendant que l'entier usage de la comédie serve aux comédiens et que les clefs se remettent au greffe à la fin du spectacle. "

Le 19 octobre 1757, Mme Pompeati, directrice d'une troupe de comédiens, obtint de pouvoir représenter jusqu'à révocation, et dans sa séance du 25 novembre, le Conseil autorise le sieur Antonio Perellino de donner des opéras à la salle de la comédie pour les jours que Mme Pompeati ou tous autres entrepreneurs d'une troupe de comédiens ne représenteront pas. Il faut croire que ces représentations alternatives se firent du tort, car le 20 décembre le Conseil renouvelle l'autorisation accordée à Mme Pompeati, ordonnant au sieur Perellino d'évacuer la salle et de reprendre les effets qu'il peut y avoir en reportant les clefs au grand greffe, pour qu'elles puissent être de suite remises à la dite dame Pompeati.

Celle-ci continua donc à donner des représentations et des concerts qui eurent beaucoup de succès. On s'accordait à dire que c'était la musicienne la plus parfaite que l'on eût entendue depuis longtemps. Elle donna un bal qui eut lieu le 26 janvier 1758.

Le 12 mai de la même année, Mlle Schmeling, âgée de 8 ans, donna un concert vocal et instrumental qu'elle renouvela le 18.

Puis le 23 octobre, les sieurs Jean Leclair et Jean-François Deltour, directeurs d'une troupe de comédiens et d'opéristes, obtinrent le privilège pour l'année 1758-59. Il est probable que le sieur Leclair était le même que celui que nous avons vu précédemment, car il eut encore maille à partir avec ses artistes et avec le Conseil qui, le 9 février, lui retirait la location gratuite de la salle et l'invitait à se présenter à la séance du lendemain pour convenir du prix à fixer par chaque représentation, et à ce défaut de faire reprendre les clefs; le 12 février, on lui continua l'usage gratuit moyennant deux pistoles comptant pour être distribuées en charité.

Ce fut sous leur direction que l'on donna, le samedi 3 mars 1759, la première représentation de La Femme philosophe, comédie nouvelle de M. Teisserenc, " qui n'a été représentée nulle part. " On la vendait le soir à la comédie au prix de 15 sols argent de Liège.

Puis, le 12 mars, les directeurs ayant abandonné leurs artistes, ceux-ci obtinrent de jouer encore quelques représentations pour leur propre compte.

Le 4 avril, eut lieu un concert donné par le sieur de Hey d'Amsterdam, célèbre violoniste. Le prix des places était de 3 escalins pour le théâtre, loges et parquet, 1 escalin au parterre. Le public, à cette époque, se plaçait encore sur la scène.

Dans le répertoire de l'année, nous trouvons: Les Ensorcelés, o.-c.; Ninette à la Cour, parodie 3 a.; Le Peintre amoureux de son modèle, op.2 a.; La Bohémienne, comédie de Favart.

Après cela, la salle fut occupée, à dater du 15 octobre1759, par un nommé Dorbeval, directeur d'une troupe de comédiens et d'opéristes (lemot opériste signifiait artiste d'opéra). Celui-ci conserva sans doute la direction toute l'année, mais je ne vois la trace d'aucune représentation, sauf un concert donné, le lundi 14janvier 1760, par les sieurs Turlet et Lebeau qui exécutèrent plusieurs solos et concertos de violon et de basson.

Nous voyons ensuite de passage un sieur Baron, directeur d'une troupe d'enfants, qui jouaient l'opéra et dansaient des ballets. Il obtint l'autorisation en séance du Conseil du 31 octobre 1760, mais il ne dut pas rester longtemps, car le 9 décembre il est remplacé par le sieur Pitrot, directeur d'un opéra italien; celui-ci fit encore moins long feu que le précédent, attendu que le 22 décembre il cède la place à François Boutet dit Monvel, directeur d'une troupe de comédiens français. Ce dernier continua probablement jusqu'au commencement de l'été de 1761, car le 11 juin, le Conseil ayant actuellement besoin de la salle de comédie déclare révoquer la permission accordée ci-devant aux comédiens de représenter dans la dite salle, ordonnant que la présente soit insinuée au directeur.

L'octroi fut continué au sieur Monvel qui occupa la salle toute l'année 1761-62.

L'Observateur des Spectacles, de M. de Chevrier, qui date de cette époque, nous fournit beaucoup de renseignements sur cette année, nous allons les lui emprunter:

" 1er janvier 1762. — Le sieur Monvel, directeur du spectacle, ne jouit point des avantages que son zèle, les talents de son épouse, excellente tragédienne et femme très décente, devraient lui mériter; il y a d'ailleurs dans sa troupe ce qu'on trouve à Paris même, du bon, du médiocre et du mauvais; on a donné en dernier lieu avec assez de succès, Les fausses Confidences, de M. Marivaux; l'excellent rôle du valet a été rempli par le sieur Feuillée, fort bon comique s'il voulait grimacer moins et dîner peu les jours qu'il paraît sur la scène. "

" 1er février 1762. — Ce théâtre touche à sa décadence et le directeur, victime de ses dépenses et de son zèle, voit tous les jours le public et les acteurs déserter son spectacle.

Le sieur Monvel ne se flatte point d'avoir une troupe brillante telle que celle qu'on voit, ou du moins qu'on devrait voir dans les villes où il y a des abonnements fixes, qui fondent un théâtre et assurent un bien-être décidé aux directeurs; malgré cela, il s'aperçoit que la disette d'acteurs engage les directeurs à profiter de son malheur, pour lui débaucher les médiocrités qui lui restent.

Le sieur Godard qui jouait les rois, etc., est allé à Wezel, le second comique accompagné de presque quelque chose, je veux dire d'une figurante, s'est jeté à Gand. Mlle d'Aubigny part pour Marseille, enfin cette troupe est prête à essuyer une séparation totale, ceux qui feront l'acquisition de Mme Monvel et de son mari seront les moins à plaindre.

Zaïre, Iphigênie en Tauride, Le Comte d'Essex, n'ont pas fait tout le plaisir que le public pouvait en attendre, et on a vu avec peine que Mme Monvel cédait tous ses rôles à Mlle Gauthier qui lui est fort inférieure quoiqu'elle soit bien éloignée d'être sans talent.

Le ballet n'y est pas brillant, depuis le départ du sieur Poloni, le sieur Oreti, frère de cette jolie créature à qui la figure et la danse ont valu tant d'argent à Londres, s'est érigé en maître de ballet.

Mlle Sequeval, première danseuse, promet assez, mais elle ne réussira jamais qu'à l'aide d'un bon maître et des juges sévères, on voudrait que sa tante ou sa duègne lui fît entendre que la propreté est le premier accessoire au théâtre. "

Le troisième article nous indique que c'est un " honnête chanoine " qui est chargé de la critique théâtrale, puis il nous fait connaître quelques autres artistes:

" Monvel, directeur, joue les premiers rôles et chante fort joliment dans le gracieux.

Mlle Monvel joue les grands rôles dans les deux genres.

Mlle Gauthier la double.

Mlle Chavannes joue les soubrettes.

Mme Daubigny, soeur du fameux Préville du théâtre français de Paris, joue les mères et les caractères.

Mlle Villeneuve double les soubrettes et fait tous les petits rôles que les bouche-trous remplissent dans les troupes de province. "

" 1er mars 1762. Notre théâtre, tout chancelant qu'il est, se soutient encore et il ira tant bien que mal jusqu'à Pâques, grâce aux efforts du sieur Monvel qui mériterait d'être mieux secondé, mais de quoi diantre aussi s'avise-t-il de faire venir de Bruxelles le sieur Neuville pour relever son théâtre? Cela n'est pas adroit, et cet acteur dont la bouche est toujours empâtée, n'est bon tout au plus que pour servir de paillasse dans une parade de Bienfait ou de Nicolet, ses premiers maîtres.

Un nouvel acteur nommé Monménil, d'une figure assez bien tournée, pourrait réussir s'il était moins froid, son jeu est sensé, mais on croirait qu'il a établi son théâtre sur les glaces de la Sibérie. Les demoiselles Landois ont exécuté depuis quelques jours des opéras-comiques qui laissent quelque chose à désirer. "

Cet article était terminé par une lettre de la demoiselle Ville neuve, adressée à L'Observateur pour protester contre la qualification dont le bon ecclésiastique l'avait gratifiée en l'appelant bouche-trou.

Le dernier article nous donne encore le nom de deux artistes, M. Desmarets et Mme Neuville, et nous apprend que dans la nuit du 3 au 4 avril, le directeur abandonna la partie en s'enfuyant avec la recette; les artistes alors se dispersèrent: Mlle Sequeval partit pour Arras; Mlle Gauthier et Villeneuve furent engagées à Munich; Mlle Monvel eut un engagement de 3600 livres à Toulouse et Mlle Chavannes se contenta de mille francs en Languedoc.

Une des causes qui écartait le public du théâtre c'est qu'il ne se croyait guère en sûreté dans cette salle qui, comme nous allons le voir, n'était pas trop solide. Par ordre du Conseil, une visite avait été faite le 9 décembre 1761 par deux architectes afin de constater s'il y avait du danger et d'en faire le rapport. Il est à supposer qu'à ce moment le danger n'était pas à craindre, puisqu'on y laissa Monvel pendant toute la saison et qu'un octroi, en date du 25 octobre 1762, accorde l'autorisation à Denis Dubois pour représenter l'opéra italien comique, mais finement et simplement, jusqu'à révocation. Je ne sais combien de temps il y resta, toutefois ce ne fut que le 10 juin 1763 qu'une seconde visite fut ordonnée à la salle de la comédie, et le rapport des architectes, en date du 17 juin, nous apprend:" qu'après visite faite, ils ont trouvé qu'elle était hors-plomb en plusieurs endroits, menaçant ruine et dangereuse pour le public; outre qu'elle gêne la navigation et porte préjudice au commerce; en conséquence, le Conseil ordonne de la faire démolir au premier août prochain. „ Voilà donc la salle condamnée; des affiches annoncèrent l'adjudication avec cession des matériaux au plus offrant. En séance du Conseil du 12 août 1763, les sieurs Pinchar et Léonard Bouille obtinrent l'entreprise au prix de 450 florins. Cette salle, la troisième, avait donc eu une existence de vingt- trois ans.



1767

L'ANCIENNE DOUANE


Quoique le goût du théâtre fût déjà entré dans les moeurs et les habitudes du peuple, les magistrats ne se hâtèrent pas de la reconstruire. On attendit 4 ans avant de s'arrêter à un projet. Liège resta donc privé de spectacle pendant ce temps. Ce ne fut que dans la séance du 7 février 1767 que le Conseil " voulant procurer au public l'agrément d'une salle de spectacle et satisfaire par là à une demande presque générale, considérant d'ailleurs qu'une comédie, avec l'agréable doit procurer à la ville et à ses habitants un avantage et profit très considérable, et n'ayant trouvé d'autre emplacement propre et moins coûteux, pour l'économie des deniers de la cité, que le dessus de la douane qui à anciennement servi pour cet usage, vu aussi le plan présenté par l'architecte Digneffe déclare de l'agréer, requérant les seigneurs bourgmestres de vouloir donner leurs soins pour qu'il soit sommairement exécuté, d'autant plus que les dits seigneurs bourgmestres veuillent bien faire l'avance de l'argent nécessaire pour l'exécution du dit plan sans aucun intérêt. "

Ce bâtiment de la douane, représenté par le dessin ci-contre, avait été construit vers 1574. Il se trouvait situé sur la Batte, à cinquante pas de l'ancienne salle, près de la rue St-Jean-Baptiste, entre les rangées de maisons du quai et le parapet de la Meuse, laissant une voie carrossable de chaque côté. Il s'étendait sur une longueur d'environ 38 mètres. L'entrée du public faisait face au pont Maghin, l'escalier des artistes se trouvait en face de la rue St-Georges; du côté de la ville était l'entrée de la douane et des magasins.

Le plan portait sur la transformation du second étage du bâtiment pour l'approprier en salle de spectacle. Cette salle était assez réussie; de coupe elliptique quoiqu'un peu longue pour sa largeur, elle contenait deux rangs de loges et un vaste paradis; un parterre debout pouvant contenir 3 à 400 personnes, avec quelques bancs attachés au mur dans le pourtour; il existait un parquet garni de banquettes, qui fut agrandi en 1772 au détriment de la scène. Des termes qui soutenaient les deux rangées de loges et reposaient sur le plancher du parterre furent réduits en 1777 en colonnes au rez-de-chaussée et en pilastres cannelés aux loges.

Deux grandes loges d'avant-scène à devantures bombées et recouvertes de velours étaient destinées, celle de droite au prince-évêque et aux chanoines; celle de gauche aux bourgmestres et conseillers; elles étaient garnies de glaces et girandoles et ornées de cariatides qui semblaient supporter le cintre. Sous ces grandes loges se trouvaient des baignoires à grillages fixes. La scène suffisamment profonde pour sa largeur était assez bien machinée.

Afin de dégager la salle on avait construit des couloirs en encorbellement de chaque côté du bâtiment. Les décorations de la scène avaient été peintes par le fils du célèbre chevalier Servandoni, architecte à Paris; elles avaient coûté 2453 florins 2 sols, compris dans la dépense totale. Le rideau peint par le peintre liégeois Coclers représentait Thalie écrivant et dépeignant les mœurs. La salle était chauffée au moyen de braises placées dans des enfoncements pratiqués dans deux massifs de maçonnerie de 60 centimètres de hauteur, construits aux deux côtés de l'axe longitudinal de la salle. Les loges d'artistes étaient chauffées de la même manière.

L'éclairage était aussi primitif que la chaufferie, il n'y avait pas de lustre au centre de la salle, des plaques de fer blanc avec chandeliers étaient appliquées aux pilastres qui séparaient les loges; on employait le même système pour les coulisses et les chambres d'artistes; la rampe était éclairée au moyen de caisses oblongues où brûlaient des mèches imbibées d'huile, qui toujours donnaient de la fumée et dégageaient souvent une odeur très désagréable. Ce ne fut que vingt ans plus tard, en 1787, qu'on fit usage des lampes à l'Argant ou quinquets qu'on venait d'inventer à Paris.

L'éclairage de la salle avait donné lieu à l'emploi de moucheur de chandelles; l'individu chargé de cette besogne venait à chaque entr'acte, armé de son instrument (la mouchette) enlever l'énorme champignon qui couronnait la chandelle. On comprend le bel éclairage que cela devait faire lorsque l'acte se prolongeait outre mesure, et la distraction que cela procurait aux spectateurs suivant la façon plus ou moins adroite dont s'acquittait de son travail le moucheur en question.

Cette salle avait coûté la somme de 33,859 florins 7 sous 1 liard (41,158fr.38c.), laquelle ne fut remboursée totalement que dans le courant de l'année 1777 aux bourgmestres Charles Walthère van den Steen de Jehay et Léonard Bernard de Hayme de Bomal qui en avaient fait l'avance.

Le sieur Denis Dubois, qui avait occupé le dernier l'ancienne salle, avait déjà obtenu le privilège du prince-évêque en date du 9 mai 1767, lequel fut ratifié par le Conseil le 24 juillet suivant. La salle lui était accordée gratuitement moyennant se conformant aux conditions lui indiquées en donnant caution réelle et suffisante.

Le chapitre des conditions contenait 16 articles dont nous citerons les principaux.

1° Le directeur devra procurer une bonne troupe, pour représenter les tragédies, comédies, opéras et toutes pièces de caractère des bons auteurs et bien châtiées, de même que des bons sujets en état de pouvoir exécuter des ballets, ainsi que les meilleurs musiciens propres et suffisants à former son orchestre.

2° Que la dite troupe devra être rendue à Liège, complète assez à temps pour pouvoir représenter précisément à la Toussaint.

3° Il sera obligé de donner au moins 3 représentations par semaine les mardi, samedi et autre jour à déterminer par le magistrat, il ne pourra exiger que trois escalins pour les premières loges et parquet, 2 escalins pour les deuxièmes et dix sous pour le parterre.

4° Il devra donner des bals publics à l'instar des autres villes et devra se contenter de quarante sous par tête pour entrée.

5°Il devra commencer à 5 heures précises à peine d'un louis d'or d'amende, lequel sera compté pour être appliqué aux pauvres secrets ménages.

6° Il devra éclairer la salle, soit pour bals ou pour représentations, à ses frais par autant de bougies bien conditionnées et sans mélange que l'on posera de lustres ou chandeliers à bras, comme aussi de bien chauffer les places qui lui seront désignées par le magistrat.

Histoire du Théâtre de Liège. — 1767. 27

8° Il devra donner d'abord à la Toussaint la liste de tous les sujets qui composent sa troupe, et sera obligé de délivrer au commencement de chaque mois au magistrat, une note des pièces qu'il voudra faire représenter dans le courant du même mois.

12° Que d'abord après chaque représentation ou répétition, avant que le concierge ne ferme les portes, il devra faire exactement la visite de toutes les places où il y aura eu du feu, et veiller à ce qu'il soit bien éteint, de même que les bougies, conséquemment que dans le cas d'incendie il sera obligé de réparer sommairement à ses frais tous les dommages.

13° Il lui est défendu d'accorder l'usage de la même salle à quelle autre troupe que ce soit, comme musiciens de passage, sauteurs, baladins, danseurs de corde, etc.,de même que pour tous jeux de hasard.

15° Le magistrat se réserve le pouvoir d'interpréter les présentes conditions et d'en ajouter des ultérieures en cas qu'il le trouve à propos pour le bien-être du public et de la salle de la comédie auxquelles le sieur Dubois sera obligé de se conformer entièrement de même qu'aux précédentes, à peine d'un louis d'amende pour chaque défaut applicable comme dessus, outre toute autre obligation.

16° Il est en outre conditionné que si le sieur Dubois était en défaut d'accomplir les conditions sus-reprises, le magistrat pourra, ipso facto et sans aucune formalité, lui révoquer l'usage de la prédite salle de comédie, sans que le dit sieur Dubois puisse exiger aucun désintéressement pour quelles causes, raisons ou prétexte que ce puisse être.

A tout quoi il s'est librement soumis en plein conseil. „

(Signé) Denis Dubois. „

Les travaux purent être achevés dans l'espace de six mois; le sieur Digneffe, architecte, reçut pour ses plans, voyages, vacations et autres devoirs la somme de 100 ducats.

La salle fut inaugurée le 19 septembre 1767 par un grand concert suivi d'une représentation de Li Voëge di Chaudfontaine, opéra liégeois dû à Jean-Noël Hamal, maître de chantres à la cathédrale de St-Lambert.

Le début de la troupe eut lieu le 17 octobre suivant par deux opéras français. Le sieur Dubois s'était adjoint comme associé un nommé Bernardi; ils firent un compliment d'ouverture ainsi que cela se pratiquait à la Comédie italienne de Paris. Cet usage s'est conservé jusqu'en 1836, année où M. Sanse, qui était alors directeur, fit paraître son discours dans un prospectus en même temps que le tableau de sa troupe.

Pourl'année1767-68, je n'ai trouvé aucune trace de spectacle ni d'artistes. Je sais seulement que le sieur Daigueville était danseur et maître de ballet.

Un des privilèges que le parterre de l'époque s'était octroyé, était de se tenir couvert avant comme après le lever du rideau, et il ne souffrait pas que l'on se couvrît aux loges ou au parquet, le rideau eût-il été baissé.

Le sieur Dubois dut avoir aussi plus d'un démêlé avec le Conseil de la cité par rapport aux conditions de son bail, car je vois dans plusieurs recès qu'on le fait comparaître en séance pour fournir les explications nécessaires à ce sujet; on dut même lui retirer l'autorisation. Le 8 avril 1768, sur une nouvelle supplique, on lui accorde de représenter, en se conformant aux conditions prescrites et payant par chaque représentation un carolin ou louis d'or. Ces représentations durèrent jusque fin juin.

Le mercredi 15 juin, grand concert donné par le sieur Frizieri, musicien italien aveugle depuis l'âge de un an et futur auteur de la musique des Souliers mordorés; il exécuta sur le violon et sur la mandoline plusieurs morceaux de sa composition. Il mourut à Anvers en octobre 1825, âgé de 85 ans.

L'année suivante 1768-69 fut administrée par Denis Dubois seul.

Le 17 octobre, le conseil requiert les seigneurs bourgmestres de faire achever la loge de S. A. C. et emplette de lustres de cristal de même que tout ce qui sera nécessaire à la salle de comédie dont le paiement se fera hors le louis qui se paie par représentation. Le jeudi 8 décembre, représentation au profit de M. et Mme Fleury, artistes de la troupe; on donna Les Moissonneurs, o.-c.3 a., de Duni et Le Diable à quatre, o.-c. 4 a., de Philidor.

Le 10 décembre, autre représentation au profit de Mme Deresmond: Iphigénie enTauride,tr. 5 a.; L'Oracle,c.1 a.,dans laquelle son fils âgé de 9 ans et sa fille âgée de 7 ans remplirent un rôle.

Depuis que Grétry avait quitté Liège pour donner essor à son génie, il avait parcouru Rome et s'était arrêté à Paris qui lui offrait toutes les ressources nécessaires; le bruit de ses triomphes n'avait pas tardé à pénétrer jusqu'à ses concitoyens, et l'on était désireux d'entendre une de ses productions. Ce moment tant souhaité arriva et le 26 janvier 1769, on donna la première représentation de Le Huron, opéra-comique en 2 actes, paroles de Marmontel, musique de Grétry. C'était le premier ouvrage que ce célèbre compositeur avait fait représenter à Paris, le 20 août 1768, et qui fut pour lui un coup de maître. Cette représentation prit la tournure d'une solennité. La mère de Grétry, veuve depuis six mois, et ses enfants y assistèrent dans la loge des magistrats. La représentation fut splendide et le succès des plus grands. Cet opéra fut représenté trois fois de suite, la troisième au bénéfice de M. Marion, artiste de la troupe.

Le 26 janvier 1769 est une date mémorable dans les annales liégeoises. Grétry ne devait pas en rester là; il allait bientôt marcher à grands pas dans la voie glorieuse qui l'a placé au premier rang des créateurs de l'opéra-comique.

Dubois continua ses représentations jusqu'au milieu de l'été.

Le 17 septembre, grand concert vocal et instrumental donné par M. et Mme Sirmen, componistes et joueurs de violon, et M. Zappa, violoncelliste. Mme Sirmen était élève du fameux Tartini, de Padoue. Ils donnèrent un second concert le 21, le prix des places était ainsi fixé: premières loges et parquet 4 escalins, secondes loges 2 escalins, parterre 1 escalin.

La direction échut ensuite au sieur Marion pour l'année1769-70. On remania en partie les conditions faites à Dubois et on y fit des additions. La salle lui était louée moyennant un louis pour chaque représentation depuis la Toussaint jusqu'au carême et un demi-louis en d'autre temps, payable chaque fois avant le commencement de la représentation en mains d'un préposé du magistrat.

Si, pendant l'été, l'entrepreneur ne tenait pas sa troupe à Liège, et que pendant son absence il se présentât quelques concerts à donner ou autres spectacles passagers, qui auraient besoin de la dite salle, le conseil restait en droit d'en pouvoir disposer.

Dans les clauses additionnelles, nous remarquons:

30 Histoire du Théâtre de Liège. — 1769.

1° Il est entendu que la loge principale demeure expressément pour Son Altesse et sa cour.

2° La loge magistrale est pareillement réservée, comme de coutume, pour les seigneurs bourgmestres régents.

4° Pour que l'on n'abuse point de la dite salle, il ne pourra y loger personne sous quel prétexte que ce soit.

5° L'une des propretés essentielles qui incombera à l'entrepreneur sera de faire nettoyer soigneusement les pissoirs, et y jeter de l'eau tous les jours de représentation une heure avant le spectacle ou avant le bal, comme aussi de veiller à ce qu'il n'y ait ni ordure ni puanteur sous le théâtre.

6° L'employé que le magistrat a autorisé, sera gardien des clefs de la salle de la comédie et devra par lui-même en ouvrir les portes en temps de chaque répétition ou représentation, comme aussi les refermer soigneusement après néanmoins avoir fait chaque fois une visite exacte de toute la salle, et reconnu que les foyers et lumières soient tellement éteints, qu'il n'y ait aucun risque d'incendie, voire aussi pour prévenir de plus en plus le malheur du feu, qu'il ne sera permis de faire des amas de bois ni de houille dans les endroits chauffés, mais qu'on devra y en faire porter au fur et à mesure qu'on en aura besoin. "

Il est fâcheux qu'on n'ait pas toujours scrupuleusement observé les précautions ci-dessus relatives à l'incendie, on n'aurait pas eu à déplorer le désastre arrivé dans la nuit du 1er janvier 1805 et dont nous parlerons en temps utile.

Marion ouvrit la saison le 18 novembre 1769 par L'Usurier gentilhomme, o.-c. 1 a., et Le Triomphe de l'Amour filial, tr. 5 a.

Cette fois, nous ferons la connaissance de quelques artistes:

MM. Dubourneuf, Marion, Cotte, de Bersac, Terodac, Locherie, et Durand, danseur.

Mmes Dubourneuf, Cotte, Clarys aînée, Clarys fille, et Mlle Compin, danseuse.

Le mercredi 29 novembre, MM. Stametz, frères, musiciens de S.A.S. Electorale Palatine donnèrent un grand concert instrumental avec le concours du sieur Blavier, flûtiste et musicien de l'orchestre, puis le 26 décembre, d'Hannetaire, que nous avons vu précédemment et qui était alors comédien du prince de Lorraine, vint jouer le rôle de l'Avare dans la comédie de Molière; il obtint beaucoup de succès, car il resta trois semaines et représenta successivement: Le Père de Famille, c.5a.; Les Menechmes, c.5a.; Le Glorieux, c.5a.; Turcaret,c.5a.; L'Orphelin de la Chine, tr.5a.; Le Misanthrope, c.5a.; Le Comte d'Essex, c.5a. Il rendit tous ses rôles avec une vérité et un naturel dont on fut généralement satisfait.

Le mardi 13 février 1770, le sieur Degreville, " qui n'a point encore paru en ville, " joua dans Les Fourberies de Scapin, c.5a., et dans La Surprise de l'Amour, c.3a.

La clôture eut lieu le mardi 27 février au profit du sieur de Bersac; on donna Rodogune, tr.5a., et Les Vendanges de Suresnes, c.1a. Entre les deux pièces, Mlle Dubourneuf, âgée de 6 ans, dansa une allemande avec le sieur Cadet. Le spectacle se termina par Le Jardinier ardennais, grand ballet-pantomime.

Cette année avait été exclusivement consacrée à la comédie et à la tragédie. La note payée par le directeur au profit de la cité, pour chaque jour de représentation et bal, s'élevait à 984 florins et 15 sous.

La direction fut continuée à Marion qui s'associa avec de Bersac pour l'année 1770-71.

Ils firent l'ouverture le samedi 27 octobre par Gabrielle de Vergy, tr. 5 a., et Rose et Colas, o.-c. 1 a.; le compliment fut prononcé par M. Marion. La troupe avait pris le titre de: les Comédiens associés français et opéras-bouffons.

Le 10 novembre, un nommé Zaneboni, noble vénitien, joua un concerto de mandoline.

La première représentation de Le Tableau parlant, o-c.1 a., musique de Grétry, eut lieu le samedi 17 novembre et la première de Luette, o.-c. 1 a., également de Grétry, fut donnée le 25 du même mois.

Une production due à la plume du directeur. M. Marion, vit le jour le 5 décembre; c'était Le Bouquet ou le Pécheur heureux, c. 1 a., avec ariettes, dont la musique avait été composée par MM. Bernardiere et Calais; ce dernier faisait partie de la troupe en qualité d'acteur et de chef d'orchestre.

Trois concerts furent donnés les 2, 16 et 30 janvier 1771 par M. Schetky, célèbre violoncelliste, accompagné de Mlle Cesary, chanteuse italienne.

Un nouvel opéra de Grétry, Sylvain, o.-c. 1 a., fut encore représenté le 12 janvier 1771. Cela faisait donc trois ouvrages nouveaux de ce célèbre compositeur, en moins de deux mois; puis la clôture eut lieu le mardi 12 février par Les deux Chasseurs et la Laitière, o.-c. 1 a., et Gustave, tr. 5 a., de Piron.

Parmi les principaux opéras représentés nous citerons :

Le Tonnelier, o.-b.1a.; Mazet, o.-b.2a.; Le Cadi dupé, op.1a.; Le Déserteur, o.-c.3a.; L'Aveugle de Palmyre, op.2a.; Le Devin du village, o.-c. 1 a.; La Servante maîtresse, o.-b. 2 a.; Toinette et Toinon, o.-b. 2 a. Les directeurs, par suite des faibles recettes que leur procuraient les dimanches et les jeudis, avaient obtenu de ne payer qu'un demi-louis pour les représentations des dits jours.

L'année 1771-72 n'eut pas, je crois, de directeur fixe; le 7 février 1772, le Conseil accorde la salle gratis au sieur Charles Bernardi directeur d'une troupe de comédiens, prenant en considération le peu de temps qu'ils ont à représenter et leur célérité pour se rendre à Liège, " mais pour cette fois seulement, attendu qu'au futur le paiement se fera comme ci-devant." Il ne donna donc alors que quelques représentations, partit ensuite pour Spa et revint prendre possession de la salle au commencement de novembre.

Parmi les artistes, voici les noms que j'ai rencontrés:

M M. Hebert, d'Allaincourt, Calais, Landois, Montrose. Mme Bernardi, Fleury, Everard.

Pendant l'été, quelques changements furent faits à la salle, un recès du 27 octobre 1772 nous les fait connaître:

" Le Conseil déclare d'être convenu avec Arnold Jennin, maître menuisier, présent et acceptant, que parmi quarante-cinq florins bbt une fois payés, qu'il sera obligé d'employer sommairement les ouvriers pour raccourcir de trois pieds le théâtre de la salle de spectacle appartenant à la cité, le remettre en état, faire une nouvelle ouverture pour le souffleur, transposer la séparation du parquet d'avec l'orchestre, où le dit Jennin devra pratiquer une entrée pour les musiciens, y poser une porte à ses frais; qu'il sera également tenu d'allonger le pavé jusqu'au théâtre, construire et poser dans le parquet deux rangées de bancs prêts à être bourrés pour lesquels les bois et planches lui seront fournis par la cité; le tout quoi le dit Jennin devra exécuter en conformité du plan dont il a inspection sous la direction du beaumester Drion, le dit ouvrage achevé et agréé par M M. les députés du magistrat, les prédits quarante-cinq florins bbt lui seront comptés par le rentier Degrady. "

Bernardi avait obtenu l'octroi, en date du 30 octobre, aux conditions précédentes; de plus, il devait "accorder l'entrée libre aux seigneurs du magistrat pour se placer où ils trouveront à propos et cela attendu l'avantage qu'il résultera au directeur par l'augmentation de deux nouvelles rangées de bancs au parquet sans qu'icelui puisse exiger rien au delà du prix fixé pour le parterre, parquet, premières et secondes loges, à l'exception du prix de l'entrée des bals pour lesquels il devra exiger trois florins bbt au lieu de deux, sans qu'il puisse y laisser entrer d'autres personnes à plus bas prix et ce parmi payant pour chaque représentation et bal un louis en mains du beaumester Drion."

Ayant fait la même réclamation que ses prédécesseurs relativement aux dimanches et jeudis, et ensuite par la grande dépense à laquelle il était tenu en raison des appointements d'un grand nombre d'acteurs de premier rang de tous genres qu'il s'était procurés, comme aussi d'un brillant orchestre, outre le gage de quantité de personnes et autres frais journaliers ainsi que par le prix modique fixé pour les premières places, le Conseil réduisit le prix par représentation à deux louis par semaine en hiver et un louis en été.

Bernardi prit donc la direction pour 1772-73 et la conserva pour 1773-74; pour cette année, non content de la réduction qu'il avait obtenue, il voulut faire supprimer complètement la redevance, par l'entremise du prince-évêque, mais le Conseil répondit " qu'il était très mortifié que dans l'excessive détresse de la caisse publique, il ne puisse y déférer, cependant pour témoigner autant qu'il est en lui combien il serait charmé d'obliger Son Altesse, déclare de résilier l'entrée qu'il s'était réservée par son recès du 18 octobre dernier. "

Pendant ces deux années, je n'ai pu trouver aucune trace de représentations ni d'artistes.

A dater du 5 mai 1774, les Comédiens français et opéras-bouffons, sous la direction du sieur Cressent, vinrent donner quelques représentations. Le 10 mai, ils représentèrent Bastien et Bastienne, parodie du Devin du village, exécutée par les enfants du sieur Cressent. Le 10 juin, concert dans lequel Mlle Beyer exécute des solos de violon, Mlle Cressent chante une ariette du Bouquet dé l'Amitié; M. Beyer chante plusieurs airs en s'accompagnant de sa guitare et le sieur Maedermote chante une ariette de basse-taille.

La troupe alors se rendit à Spa où elle joua pendant tout l'été, puis le directeur, ensuite de l'octroi du 28 mars lui accordant la salle jusqu'au carême de l'an 1775, revint à Liège pour commencer la saison d'hiver.


1774 - 75.

Il fit l'ouverture le 29 octobre par Lucile, o.-c.1a., de Grétry et Beverlei, tr. 5. a.

Le 20 novembre, 1re représentation d'un nouvel ouvrage de Grétry: Zemire et Azor, o.-b.4a.

Le 28 janvier 1775, nouvelle production indigène: 1re représentation de: Le Triomphe du sentiment, c.3a., mêlée de chant et de danses, par Joseph Bertrand pour les paroles et Hamal jeune pour la musique. De nouvelles décorations avaient été peintes pour la circonstance par les sieurs Defrance et Racle. Cette pièce eut 4 représentations consécutives. La quatrième fut donnée le 10 février au profit de l'auteur qui avait fait tous les frais de mise en scène. On termina la représentation par L'Aveugle clairvoyant, c.1a.; les frères Blavier exécutèrent un concerto pour deux haut-bois. Le prince-évêque avait honoré cette représentation de sa présence.

Le sieur Cressent ne devait pas être fort soigneux car à plusieurs reprises le Conseil dut lui faire des remontrances pour l'obliger à accomplir les conditions stipulées et surtout relative ment au nettoyage de la salle que l'on dut plus d'une fois faire exécuter à ses frais.

Il eut encore, le 27 février, un démêlé avec un de ses artistes, le sieur Dalincourt, et faute de trancher la difficulté il fut sur le point de se voir retirer les clefs de la salle.

Les représentations se poursuivirent jusqu'au commencement du mois de mars.

Jusqu'à ce moment, les journaux de l'époque ne nous avaient fourni que fort peu de renseignements concernant les affaires théâtrales. A dater de cette année, la Gazette de Liège commence à indiquer les spectacles à peu près jour par jour et à donner quelques comptes rendus; nous en profiterons donc à l'occasion.

Aucune représentation ne fut donnée pendant la saison d'été.

Pendant le mois d'octobre 1775, Madame Bierthe, née de Offhuys, obtint l'autorisation de donner concert tous les mercredis en payant un demi-carolin par chaque représentation. En séance du 30 octobre, le Conseil accorde l'usage de la salle de spectacle et de toutes les décorations et effets y reposant au sieur Rozelli, directeur d'une troupe de comédiens français et d'opéra, en se conformant aux conditions stipulées dans le bail qu'il signa le 2 novembre.


1775 - 76

Il fit l'ouverture de la saison le samedi 4 novembre, par Lucile, op.1a.; La Servante maîtresse, op. 2 a., et La Surprise de l'amour, c. 3 a.

La salle lui avait été accordée dans les mêmes conditions, sauf qu'il n'avait à payer qu'un demi-louis par représentation, mais pour les cas où il ne se servirait pas pour l'orchestre, des musiciens désignés à la liste qui lui sera délivrée et signée par les seigneurs bourgmestres régents, il sera tenu de payer un louis par chaque représentation.

Parmi les artistes composant la troupe, je ne trouve que les noms suivants:

M. et Mme Mainville; M. et Mme Duvernet; Mlle Thomassin et M. Lehr, maître de musique et conducteur de l'orchestre. Dans la séance du 6 novembre, le Conseil ordonne au beaumester de fournir 12 chaises de bois à la comédie pour l'usage des acteurs, tant au foyer que dans leurs loges. Il ordonne en outre, à l'officier des archers d'envoyer chaque jour que les acteurs répètent leurs rôles à la salle de spectacle, un archer en tenue, " pour empêcher que les personnes qui n'y sont pas nécessaires, s'y trouvent, à peine d'encourir par le directeur dix sous bbt d'amende pour chaque personne qu'il aura laissé entrer. "

Le dimanche 19 novembre, première représentation de Les deux Avares, o.-c. 2 a., musique de Grétry. Les productions de ce célèbre compositeur commençaient à avoir la vogue, car quatre autres nouveaux opéras furent encore représentés pendant cette même année, le 9 décembre: La Rosière de Salency, o.-c. 3 a.; le 23 décembre, La Fausse Magie, o.-c. 2 a.; le 6 janvier, L'Amitié à l'épreuve, o.-c. 2 a., et le 20 janvier, Le Magnifique, o.-c. 3 a.

On voit que le Directeur vouait un culte tout particulier aux ouvrages de Grétry.

Le vendredi 24 novembre, concert donné par les sieurs Landiny, flûtiste de S.A.R. le duc de Parme, Faucant aîné, violoniste, et son frère, chanteur.

Nouvelle production indigène: Nicette ou l'école de la vertu, c.3 a., due à M. le commissaire du Perron pour les paroles et à M. F. de Lange pour la musique. Cette pièce vit le jour le 13 février 1776 et n'eut que cette seule représentation.

Un sieur Aufresne, comédien français, vint ensuite donner 4 représentations du 23 au 27 janvier. Il joua dans Le Père de famille, c.5a.; Adélaïde Duguesclin, tr.5a., et Le Bourru bienfaisant,c.3a.

Le Directeur fut appelé en Conseil du 26 janvier 1776, relativement au prix des places qu'il avait augmenté ; il lui fut ordonné de rétablir les prix ordinaires, savoir: 3 escalins (1fr.80) pour les premières loges et parquet; 2 escalins (1fr.20) pour les secondes loges, et 1 escalin (0 fr. 60) pour le parterre, faute de quoi on lui retirerait l'usage de la salle de spectacle.

La clôture se fit le mardi 20 février, par La belle Arsène, o.-c.4a. Rozelli se rendit à Spa pendant l'été. Il eut son octroi renouvelé en date du 5 octobre pour la saison.


1776 - 77.

La troupe avait pris le titre de Comédiens ordinaires de la principauté. L'ouverture eut lieu le lundi 4 novembre, par L'Amoureux de quinze ans ou la double fête, o.-c. 3 a., musique de Martini, et Le Tableau parlant,o.-c.1a.

Cette date coïncidait avec la fête patronale de S.A.C. Charles Velbruck, prince-évêque régnant. Le Directeur avait choisi un spectacle de circonstance et il eut lieu de s'en féliciter, car le public répondit en foule à son appel. Le prince-évêque y assista dans sa loge.

Quelques petits changements furent faits au 2" acte de la pièce à ce sujet; voici ce que nous renseigne le journal:

" Acte 2e de L'Amoureux de quinze ans:

" Lorsque tous les villageois, représentés par tous les acteurs et actrices de la troupe en général, eurent, ainsi qu'il est dit dans la pièce, présenté leurs bouquets au seigneur, l'actrice qui jouait le rôle de Babet dit, répondant aux remerciements du seigneur: Ah Monseigneur est bien bon... Cela allait bien mieux ce matin... Je recommencerions bien, mais c'est que j'avons encore quelque chose à dire.

Au même instant un jet d'eau qui était au milieu du jardin, que représentait la décoration, se métamorphosa et l'on vit s'élever à sa place les armes de S.A., tranchées par la lettre initiale de son nom, V, au-dessus desquelles apparaissait le nom de Charles en transparent, ainsi que la lettre V, l'écusson était surmonté de la couronne et porté par deux Génies, l'un repré-sentant le zèle et l'autre l'amour.

Tous les berceaux de fleurs qui avaient été apportés par les acteurs se changèrent aussi en devises, que l'actrice qui jouait Hélène lut en faisant les applications convenables. "

DEVISES.

Le zèle a choisi chaque fleur
Le plaisir conduit son ouvrage
Simplicité dans notre hommage
Sincérité dans notre cœur
De leur accord tout est l'image

Alors tous les acteurs et actrices adressant la parole au public lui chantèrent en chœur:

C'est chez vous
Qu'on a cueilli les bouquets les plus doux
C'est chez vous
Nous n'en sommes point jaloux.

Puis après un duo, l'actrice qui jouait le rôle de Lindor offrit au seigneur un verre à facettes auquel était attaché un papier contenant les vers suivants, qui furent lus par l'acteur qui les reçut:

Ce verre a l'heureux avantage,
De multiplier nos plaisirs
En reflétant cent fois l'image
De ce qui flatte nos désirs.
Charles servez-vous en pour voir le zèle
Que nous avons à vous fêter,
Vous verrez qu'il s'y renouvelle;
Puissions-nous comme lui chaque an le répéter.

Toutes les allusions de cette petite fête furent unanimement saisies et applaudies par le public.

Le 7 janvier 1777, nouvel opéra de Grétry: L'Ami de la maison, o.-c. 3 a.

Puis le 23 janvier, un sieur Dubus reparut dans le rôle de Colin de l'opéra Les Sabots; il reçut du public les applaudissements les plus flatteurs qui furent réitérés, lorsque cet acteur, pénétré de reconnaissance, trouva moyen de l'exprimer dans l'impromptu suivant qu'il chanta sur l'air :

Vive l'amour, vive le vin.

Messieurs vous plaire est tous mes vœux
Quand j'y parviens je suis heureux
Oui, c'est le bonheur de ma vie
Quand on a votre compagnie.
Adieu douleurs, adieu soupirs
En travaillant je les change en plaisirs
En vous voyant je les oublie.

Le lendemain, il joua une pièce de clavecin de sa composition et chanta des couplets en s'accompagnant de sa guitare. La saison se termina vers le milieu du mois de février.

Parmi les principaux opéras représentés, nous citerons: Les Souliers mordorés, o.-c. 2 a.; La Colonie, o.-c.2 a., de Sacchini; Ali et Rezia, o.-c. 3 a., de Gluck; Le Diable à quatre, o.-c. 1 a., de Philidor; Julie, o.-c. 3 a., de Dezède.

Le successeur de Rozelly fut un nommé Michel Billion dit Billioni. Il dut obtenir son octroi dans le courant de février 1777, car le 26 du même mois il engageait une demoiselle Dalainville pour faire partie de sa troupe à dater du lundi de Quasimodo de l'année 1777, jusqu'au samedi veille des Rameaux de l'année suivante1778, moyennant la somme de soixante livres de France par mois; toutefois, je n'ai pas retrouvé de traces de cette artiste.

Billioni fit l'ouverture, le jeudi 10 avril, par L'Amitié à l'épreuve, o.-c. 3 a., et un grand ballet de sa composition. Il avait précédemment exploité le théâtre de Maestricht après avoir été maître de ballets à l'Opéra-comique et à la Comédie italienne de Paris. Sa femme avait acquis une certaine célébrité comme danseuse et actrice à la Comédie italienne, où elle débuta à l'âge de huit ans. Ce fut à Bruxelles qu'elle épousa Billioni. La troupe que celui-ci présenta était assez convenable. La Feuille sans titre, qui s'imprimait à Liège à cette époque, donne quelques détails intéressants sur les artistes; nous n'hésitons pas à les résumer ici:

" Le sieur des Bruyères a l'inexpérience d'un commençant; il produit une sensation vive par la beauté de son organe, mais la voix est dure dans le chant, brusque dans le débit. Le sieur Goyer, le héros de notre théâtre, sait tirer bon parti des restes d'une belle voix; quelle entente de la scène! quelle vivacité de jeu! quelle intelligence dans son débit! quelle précision dans les gestes! Le sieur Dufour, le colin et premier amoureux, montre dans ses rôles de l'intelligence, de l'âme; son jeu a de la noblesse et il sauve la faiblesse de sa voix par le goût qu'il met dans son chant.

Mlle Dufour, cette femme charmante et comme actrice et comme chanteuse a reçu de la nature tout ce qu'il faut pour plaire au théâtre; elle excelle dans les rôles qui n'exigent que du naturel, des grâces, de la finesse; il y a des nuances dans son jeu, de l'accent dans son débit, de l'expression dans sa figure; la douceur et l'étendue de sa voix, la variété de ses modulations, excitent les plus vifs applaudissements. Cette actrice joint à ses autres talents, celui de toucher supérieurement du clavecin. L'articulation nette et distincte est un des principaux mérites de la dame Linguet que la réunion de plusieurs talents rend précieuse au public; danseuse vive et légère, elle est encore applaudie comme artiste agréable. La seule actrice de ce théâtre qui paraisse s'attacher à se bien caractériser est la dame Wolff, chargée de l'emploi des duègnes. Mlle Dubus, la seule qui nous soit restée du spectacle de l'année dernière, réunit aux agréments de la jeunesse, de la figure et de la taille un organe flatteur, net et sensible. La demoiselle Tabari joue avec succès les rôles d'enfants. Cette actrice joint du talent à une figure très agréable, elle atteint à peine son troisième lustre, et les grâces l'ont formée pour le théâtre. "

Nous rencontrons encore les noms du sieur Durant possédant une voix pleine et sonore, surtout dans les tons bas, puis la demoiselle Opreuil ayant une voix agréable et brillante, ensuite la demoiselle Desvigne et le sieur Bernardy pour les danses nobles et de caractère, les demoiselles Linguet et Cerfontaine avec les sieurs Vincent et Grimaldy pour les danses vives et enjouées; ils exécutaient les différents ballets avec toutes les grâces, la légèreté et la précision qu'on était en droit d'attendre d'eux. L'une des chroniques nous apprend aussi que l'on peut assurer sans s'éloigner de la vérité que l'orchestre est un des meilleurs de l'Europe.

Dans la représentation du 20 mai, où l'on donnait Les Souliers mordorés, o.-c. 2 a., Mme Dufour y parut dans le costume le plus exact des jolies strasbourgeoises. Elle fut applaudie avec l'enthousiasme qu'elle était sûre d'exciter dans une assemblée de connaisseurs sensibles, l'un d'eux lui adressa les vers suivants :

A Madame Dufour, jouant le rôle de Mme Socle dans Les Souliers mordorés.

Jadis sons des noms différents
Vénus avait des Temples:
Que ne peut-on dans notre temps
Suivre ces bons exemples?
En votre honneur on bâtirait
Un joli sanctuaire,
Et sur la porte on écrirait
A Vénus cordonnière.

Par M. D....

Le 31 mai, on donnait Les Fêtes béarnaises, ballet nouveau de la composition de Billioni. La clôture eut lieu dans la première semaine du mois de juin; après, le directeur partit pour Spa. Il faut croire que Billioni n'avait guère réussi pendant les deux mois qu'il avait joué ici, car le prince-évêque Velbruck, qui était grand protecteur des arts et s'intéressait vivement au théâtre, écrivait au chevalier de Chestret à Spa, en juin 1777: " je vous recommande Billioni et sa troupe, pour laquelle je m'intéresse; j'espère qu'il sera plus heureux qu'à Liège. "

Ce fut à dater du 13 juin de cette année, que: " voulant faire cesser les plaintes continuelles des personnes qui assistent au spectacle, tant dans les premières que secondes loges, lesquelles sont considérablement gênées par rapport à la grosseur des termes, le Conseil ordonne de les faire changer à moindre frais que faire se pourra. "


1777 - 78

A son retour de Spa, Billioni vint ouvrir la saison au commencement de novembre, sans que j'aie pu trouver la date exacte. Son répertoire se composait de tragédies, comédies et opéras.

Vers la fin de décembre, on annonçait comme devant passer sous peu, L'Hommage du cœur, opéra nouveau en 2 actes de la composition de M. Dubus, mais il est probable qu'il ne fut pas représenté, car les journaux n'en parlèrent plus.

Une représentation qui n'eut pas non plus de suite, était celle- ci annoncée par la Gazette de Liége:

" Les comédiens français et italiens se proposent de donner la semaine prochaine (fin février), Le Légataire universel, pièce en 5 actes de Regnard suivi du Fleuve d'oubli, petite pièce du nouveau théâtre italien, dans lesquelles pièces jouera le sieur Landois de Môcans, ci-devant comédien de S.M. Britannique, lequel a paru depuis sur le théâtre de cette ville à deux diverses fois, toujours comblé des bontés du public et honoré de ses suffrages. Il jouera le malade Géronte dans la première pièce et Arlequin dans la seconde. Cet acteur, âgé de 70 ans et retiré du théâtre depuis dix, ne reparaissant qu'aux sollicitations réitérées de nombre de personnes de cette ville et nommément de qualifiées, réclame leur bénévole et généreuse indulgence pour l'encourager et qu'il parvienne s'il est possible à leur donner la satisfaction qu'il désire leur procurer. "

Le motif de cette abstention se trouvera dans cette autre annonce publiée le 2 mars:

" L'Administration des spectacles établie par Son Altesse dans sa principauté de Liège, notifie aux créanciers du sieur Michel Billioni, ci-devant directeur des dits spectacles, que jeudi 5 mars 1778, depuis huit heures du matin jusqu'à midi et depuis deux heures après-midi jusqu'à six heures du soir, ils pourront se rendre à la maison de M. le conseiller et bailli Jacques, autorisé par Son Altesse demeurant près la porte St-Léonard à effet de délivrer et y vérifier les états de leurs prétentions relatives aux dits spectacles pour ensuite prendre les arrangements convenables. "

Comme on le voit, le directeur venait d'être déclaré en faillite, il dut donc suspendre ses représentations en même temps que ses payements. Ce ne fut toutefois que dans la séance du 20 avril qu'il fut révoqué par le Conseil.

A dater du 23 mars, le sieur Hendrick obtint la salle gratuite ment pour y donner quelques concerts.

Le 27 avril 1778, l'usage de la salle fut accordé à M. de Lezaack, conseiller intime de S.A., nommé par sa dite Altesse, commissaire-administrateur des spectacles et bals publics. Il forma une nouvelle troupe qui s'intitula: Les comédiens français et italiens de la principauté de Liège, et donna une série de représentations du 13 mai au 27 juin, composées de comédies, drames et opéras.

Parmi les artistes se trouvaient: MM. Natte, St-Albin, de St-Preux; Mmes de Villemont, St-Albin, et Mlle Thenard, comédienne ordinaire du Roi. M. de Lezaack partit alors pour Spa pour y passer la saison d'été, puis en Conseil du 6 novembre, ensuite d'un nouvel octroi, il obtenait encore l'usage de la salle, jusqu'à révocation, pour la saison.


1778 - 79.

Il fit l'ouverture le samedi 7 novembre, par Le Cadi dupé, o.-c. 1a., et Le Glorieux, c.5a.

En sus des artistes précédents, je vois figurer les noms de MM. Alexandre, Goyer, Moreau; MMmes Alexandre, Delille; Mlles Dubelloy et Vincent; M. Louis Sola, maître de musique. On avait coutume, comme nous l'avons vu, de donner chaque année des bals ou redoutes, qui avaient lieu le mercredi; à cet effet, un buffet était établi dans la salle du café. Un sieur Ropicquet, qui en avait obtenu l'entreprise pour cette année, nous fait connaître qu'on ne mourait ni de faim ni de soif à ces joyeux rendez-vous.

Voici ce qu'il annonçait dans la Gazette du 28 décembre 1778:

" Le sieur Ropicquet avertit qu'on trouvera aux bals et redoutes, à la salle de la comédie, toutes sortes de rafraîchissements servis par plusieurs garçons, avec la plus grande exactitude et propreté; on y trouvera des salades à la Provençale, jambons, poulets froids, langues fourrées, gelées d'oranges ou de citron en gobelets; glaces de plusieurs espèces, bouillons chauds, potages à la semouille d'Italie excellent pour les personnes qui ont fort chaud; il y aura diverses sucreries et tablettes rafraîchissantes, faites par paquets de 5 sous la pièce, dans chaque il y aura des devises; des fruits à l' eau-de-vie de plusieurs espèces. Le sieur Ropicquet espère, par l'attention qu'il portera pour que tout soit servi dans la plus grande propreté, mériter la confiance des Mrs et Dames du bal. Il y aura, pour la commodité des Seigneurs et Dames, un buffet au bout du théâtre dont le passage ne sera pas interrompu comme de coutume par un nombre infini de domestiques avec des falots. Il s'y trouvera des vins de liqueurs de différentes espèces, et autres vins de même que des gants d'homme et de femme. "

Ces porteurs de falots étaient les valets des personnes de qualité venant attendre leurs maîtres soit au bal, soit au spectacle, afin de les guider dans l'obscurité, l'éclairage public n'existant presque pas à cette époque.

A propos des artistes, nous trouvons une petite note très curieuse qui les concerne:

" Apprenant avec surprise que les comédiens et autres personnes attachées à la troupe, s'émancipent de sauter d'une loge à l'autre tant pendant la représentation qu'avant et après, et voulant remédier à tel abus, empêcher que les comédiens et les comédiennes ne se trouvent confondus dans les loges avec les bourgeois, attendu qu'il y a une loge qui leur est destinée; le Conseil leur défend très sérieusement de ne plus sauter de leur loge dans celle qui se trouve vis-à-vis, non plus que se trouver dans aucune autre, ordonnant à l'officier et archer de faire retirer ceux ou celles qui contreviendront au permis, ensemble que la présente soit affichée à la porte de la loge des dits comédiens et insinuée à M. de Lezaack, administrateur des spectacles pour l'observance d'icelle ordonnance. "

Les représentations continuèrent jusqu'à fin février, comprenant toujours des comédies, tragédies et opéras.

La direction passa alors au nommé Nicolaïe dit Clairville. Celui-ci était noble et appartenait à la famille de Tournon.

Il obtint son octroi en date du 3 avril et le conseil lui accorda l'usage de la salle le 14 mai. Il fit débuter sa troupe le lendemain, par La belle Arsène, o.-c.4a., et La Paysanne curieuse, op.1a.

Le 28 mai, eut lieu la première représentation de Le Jugement de Midas, o.-c. 3 a., musique de Grétry, puis la clôture se fit le 29 juin, après quoi la troupe se rendit à Spa.


1779 - 80

Clairville revint de Spa pour ouvrir la saison d'hiver le 6 novembre, par Le Jugement de Midas, o.-c. 3 a., et Sylvain, o.-c. 1a.

Le 20 novembre, on donna la 1re représentation de Les deux Femmes, drame en 5 actes et en vers, dû à la plume de M. le chevalier de St-Peravi, orateur de la Société d'Emulation. Cette pièce avait vu le jour à Spa, le 24 août précédent.

Sur la demande de Clairville, le Conseil lui fit remise du demi- louis qu'il devait payer par chaque représentation, mais seulement pour le mois de novembre. Le 27 de ce mois, avait lieu la première représentation de L'Amant jaloux, o.-c. 3 a., musique de Grétry.

La Galette du 24 janvier 1780 nous donne connaissance d'une autre demande que le directeur avait adressée au Conseil de la cité:

" Le sieur Clairville, entrepreneur des spectacles de la principauté de Liège, connaissant combien la nation serait charmée de voir rendre un hommage public et permanent au célèbre liégeois qui a enrichi la scène française de tant de chefs-d'œuvre, vient d'obtenir la permission de placer son buste sur l'avant-scène de notre théâtre.

Grétry semble mériter le même honneur qu'on a rendu à Dijon aux célèbres Rameau et Crébillon, dont les bustes ornent l'avant-scène du théâtre de la ville qui les a vus naître.

L'érection du buste de Grétry se fera le 28 janvier 1780, de la manière suivante:

" On exécutera l'ouverture de l'opéra Le Jugement de Midas. Le théâtre représentera le Parnasse; on y verra le buste de Grétry parmi Apollon et les neuf sœurs. On chantera des paroles, parodiées sur l'air du quatuor de Lucile, Où peut-on être mieux, etc.

Ensuite Apollon et les neuf sœurs escorteront le buste jusqu'au lieu où il sera placé à demeure en chantant des paroles parodiées sur le chœur: Dieu d'amour, etc... des Mariages samnites.

Le buste étant placé, trois muses chanteront des paroles parodiées sur l'air du superbe trio de l'Amant jaloux... quelle reconnaissance. Après ce trio, Midas entrera avec ses protégés Pan et Marsias, chantant le trio du Jugement de Midas: Non, non, cela n'est pas possible... arrangé pour le sujet. Apollon renversera Midas au pied du piédestal du buste et on chantera le quatuor de L'Amant jaloux... Hélas, hélas! il gémit, il soupire, etc .

On finira par un grand chœur tiré des œuvres de ce célèbre auteur dont les paroles seront parodiées pour le sujet. „

Cet article était le résumé d'un drame lyrique intitulé Le Second Apollon, composé pour la circonstance par le sieur Alexandre, comédien de la troupe. Nous donnerons maintenant la distribution afin de faire connaissance avec la plus grande partie des artistes.

PERSONNAGES:

ACTEURS:

Melpomène.

Thalie.

Erato.

Terpsicore.

Euterpe.

Calliope.

Polimnie.

Clio.

Uranie.

L'Amour.

Apollon.

Mars.

Silène.

Mercure.

Midas.

Marsias.

Pan.

Dom Diègue.

Mme Villemont.

Mme Alexandre.

Mme de Rozière.

Mlle Delille.

Mme James.

Mme Brunet.

Mlle Alexandre.

Mme St-Albin.

Mme Durand.

Mlle Pauline.

M. Monfort.

M. de Rozière.

M. Moreau.

M. Turbot.

M. Goyer.

M. St-Albin.

M. Alexandre.

MM.Dalincour et Durand

Outre ces artistes, il y avait encore Mme Clairville et M. Clairville, cadet.

Cette représentation, qui eut lieu le 28 janvier, ainsi qu'elle avait été annoncée, fut complétée par la sixième représentation de L'Amant jaloux, o.-c.3a.

Le sieur Alexandre reçut du Conseil de la cité la somme de six louis pour la composition de son drame lyrique.

La Gazette du 30 janvier rend compte en ces termes du succès de cette soirée:

" ...Jamais il n'y a eu pareille affluence de spectateurs à notre théâtre, et jamais pièce n'a été reçue avec plus d'applaudissements. Le morceau: Où peut-on être mieux et l'instant où le buste est couronné de lauriers, ont surtout fait éclater l'enthousiasme patriotique que cet artiste si justement célèbre inspire à ses concitoyens.

L'idée de placer son buste dans ce divertissement sur l'avant-scène de notre théâtre, a d'abord fait naître celle de lui ériger un monument plus durable, en faisant sculpter ce buste en marbre. On proposait à cet effet une souscription; mais le magistrat régent a seul voulu en avoir la gloire, et a chargé de l'exécution le sieur Evrard, avantageusement connu par quantité de morceaux précieux. „

L'annonce du spectacle du 2 février était ainsi conçue:

" Le sieur Alexandre, comédien ordinaire de la principauté, ayant comme la plupart de ses camarades une représentation à donner à son bénéfice, présentera au public, aujourd'hui mercredi 2 février, une comédie en prose et en 5 actes de sa componsition, intitulée Sophie Vercourt. Elle sera suivie des Précieuses ridicules, comédie en 1 acte.

La salle des spectacles n'ayant pu contenir la foule empressée à venir voir le triomphe national en la personne du citoyen justement couronné vendredi 28 janvier 1780, on redonnera demain jeudi 3 février ce spectacle délicieux pour les bons patriotes et les amateurs des arts. "

La clôture eut lieu le lundi 7 février par Le Jugement de Midas, o.-c.3a., et L'Amant jaloux, o.-c.3a., qui atteignait sa huitième représentation.

Le 14 février, le sieur Gondorff, hongrois, vint montrer des expériences de physique et de mécanique.

Le lundi 13 mars, M. Feretti, maître de chapelle de Naples, sa femme et son fils, donnèrent un grand concert; ils chantèrent tous les morceaux de L'Amour militaire, opéra-comique de la composition de M. Feretti.

Samedi 22 avril, grand concert vocal et instrumental, donné par Mme James, artiste. Le prix des places pour ces deux dernières soirées était le même que pour la comédie.

La saison d'été fut exploitée par une troupe s'intitulant: Comédiens ordinaires de la principauté et dirigée par le sieur Goyer, qui faisait partie du théâtre depuis trois ans.

Il fit l'ouverture le lundi 15 mai, par La fausse Magie, o.-c.2a., et Le Maréchal-ferrant, o.-c. 1 a., et continua jusqu'au 1er juillet en donnant une série de 15 représentations composées en grande partie d'opéras et de comédies. La troupe se rendit ensuite à Spa comme d'habitude. Parmi les artistes, nous rencontrons Fabre d'Eglantine et sa femme, dont nous parlerons tantôt.

Trois concerts furent encore donnés dans le courant de l'été; le jeudi 27 juillet et les vendredis 1er et 22 septembre, avec le concours de MM. Pieltain frères, natifs de Liège, musiciens de Mgr le prince de Gueménée; Brahy, chanteur; Blavier aîné et Banneux (symphonie concertante); Decortis, violoncelle; Dumoulin, chanteur, et Charles Stamitz, compositeur.

La Gazette du 20 septembre 1780 contenait cette annonce:

" Le buste de M. Grétby, que les seigneurs bourgmestres et conseillers régens avaient fait sculpter en marbre blanc, étant achevé, il sera placé au théâtre de cette cité samedi prochain 23 septembre. La troupe des comédiens ordinaires de la principauté de Liège reviendra de Spa pour représenter ce jour-là et le lendemain 4 opéras de ce célèbre artiste. "

Le spectacle du 23 se composa de L'Amant jaloux, o.-c. 3 a., et Lueile, o.-c.1a. Le compte rendu de la soirée la résumait ainsi:

" Le buste de notre célèbre compatriote Grétry, sculpté comme il a été dit dans le temps par le sieur Evrard, a été placé hier au théâtre de cette cité. Il est parfaitement exécuté d'après l'excellent modèle fait à Paris par le sieur Pajou. Le buste est du plus beau marbre blanc d'Italie; le piédestal est en partie de marbre noir avec l'inscription: Gretry. Leodius sub consulato deVivario et de Fossoul.

Le moment où la toile levée a montré le buste aux spectateurs a été celui des acclamations réitérées et des applaudissements les plus vifs. Les âmes froides que l'amour des beaux-arts n'échauffa jamais ne pourraient se faire une idée de la satisfaction qu'inspirait l'hommage public rendu aux talents de M. Grétry.

Cet hommage, le premier dans ce genre dont la nation ait honoré un de ses artistes, est bien propre à exciter l'émulation... Entre les deux pièces représentées par les comédiens, M. Fabre d'Eglantine a lu un poème de sa composition intitulé: Le Triomphe de Grétry, qui a été généralement goûté. "

Ce Fabre d'Eglantine, qui acquit plus tard une si triste célébrité, avait, paraît-il, encouru la disgrâce de son directeur par sa mauvaise tête et s'était fait chasser du théâtre. Lorsqu'il apprit qu'on allait couronner le buste de Grétry, il composa en huit heures une épître de cent quarante vers et, armé de son manuscrit, s'élança sur la scène, et parvint à se faire écouter. Son récit n'est interrompu que par les transports de la plus bruyante ivresse et achevé au milieu des applaudissements.

Dès lors son sort fut changé, les magistrats et le peuple demandèrent au directeur d'oublier le passé et de rendre son état au comédien.

Celui-ci reçut de la cité la somme de cinq louis pour son poème et le sieur Evrard quatre-vingts pour la confection du buste.


1780 - 81

Goyer conserva la direction pour la saison et fit l'ouverture le samedi 4 novembre, par Le Huron, o.-c. 2 a., et L'Amant bourru, c.3a.

Les artistes dont j'ai connaissance sont: MM . Bonneval, Fleury 1re haute-contre, Fabre d'Eglantine; Mm" Dumorand, Verdier, James et Fabre d'Eglantine.

Le 24 novembre, concert donné par MM. Pieltain frères, avec le concours de M. Dalincourt, chanteur.

Du 19 au 28 décembre, le théâtre resta fermé par suite du décès de S.M. l'Impératrice douairière et reine apostolique Marie Thérèse.

Le vendredi 26 janvier 1781, concert donné par MM. Lochon, Fleury et Antony, musiciens du roi de France.

Il est probable que vers cette époque Fabre d'Eglantine dut abandonner le théâtre, car nous trouvons dans la Gazette de Liége du 5 février:

" Magasin d'habits de théâtre, et soixante partitions d'opéras les plus récents et les plus souvent joués, avec les parties séparées de chaque opéra à vendre. S'adresser au sieur d'Eglantine, chez le sieur Monard, sur la Batte à Liège. "

A dater du mercredi 14 février, les petits comédiens du sieur Bernardi, par accord avec les comédiens de la Principauté, donnèrent une série de neuf représentations pour clôturer le 27 février.

Voici quelle était la composition de cette troupe d'enfants, qui était sous la direction de Mme Fleury, fille de Bernardi, l'ancien directeur. (Non transcrit)

Les opéras qu'ils représentèrent furent les principaux ouvrages de Grétry: Le Tableau parlant; La Rosière de Salency; Sylvain; Le Jugement de Midas; L'Amant jaloux; Zémire et Azor; Les Mariages samnites, et non pas comme le dit l'auteur de l'Histoire du Théâtre français en Belgique, des opéras qui ne furent créés qu'en 1783, 1784, 1785 et 1789. Ils obtinrent beaucoup de succès pendant le peu de temps que durèrent leurs représentations.

Le lundi 26 mars, concert donné par M. Kar, 1er violon de S.A.R. le duc des Deux-Ponts, et le 5 avril, autre concert donné par le sieur Brahy, musicien de la très illustre cathédrale, avec le concours de M. Blavier aîné qui joua un concerto de hautbois, et une dame amateur qui chanta des ariettes françaises et italiennes.

La nouvelle troupe des comédiens de la Principauté, sous la direction des sieurs Dufresnel, Dupuis et Moreau, débuta ensuite le jeudi 26 avril 1781, par Le Légataire universel, c. 5 a., et Le Médecin malgré lui, c. 3 a. M. Dupuis joua dans les deux pièces. Ils ne donnèrent pour commencer que la comédie et la tragédie; l'opéra ne débuta que le jeudi 31 mai, par suite du retard dans l'arrivée de Paris, de Mlle Le Brun, première chanteuse. La clôture eut lieu le mardi 19 juin, par Le Déserteur, o.-c.3a., et Le Legs, c. 1 a.; après quoi, la troupe se rendit à Spa.


1781 - 82

Les mêmes directeurs revinrent faire l'ouverture de la saison d'hiver le samedi 3 novembre par Sylvain, o.-c.1a., et Le Père de Famille, c. 5 a. L'usage de la salle leur avait été accordé gratuitement en Conseil du 5 novembre. La troupe avait pris le titre de: Comédiens associés de la principauté de Liège. Vers cette époque, le sieur Dufresnel fit paraître un volume intitulé: Essai sur la perfection du jeu théâtral, etc... par Dufresnel, comédien en province. Cet ouvrage, imprimé à Liège, sans nom d'imprimeur, se vendait chez Monard, receveur de la comédie. L'auteur reçut le 22 novembre, du Conseil de la cité, la somme de 50 florins pour l'impression de son volume.

Le 21 novembre, MmeVerdier née Prévot, qui faisait partie de la troupe, mourut chez M. de Bersac, l'ancien directeur et artiste, et qui depuis s'était établi dentiste en ville.

Le lundi 3 décembre, concert vocal et instrumental donné par M. Durand, de la maison du roi de France et premier acteur du Grand Opéra de Paris. Mlle Le Brun, MM. Dumoulin et Brahy chantaient dans ce concert. S.A. le prince-évêque l'honora de sa présence. Le 10 du même mois, M. Durand chanta le rôle du Huron dans l'opéra de Grétry.

Lundi 31 décembre, première représentation de: Les Evénements imprévus, o.-c.3a., musique de Grétry.

A l'occasion de la naissance du dauphin, un sieur de Valbray, artiste de la troupe, fit représenter, le jeudi 3 janvier 1782: L'heureuse Nouvelle, c.1a., ornée de vaudevilles de sa composition.

Voici quelle était la distribution: (Non transcrit)

La scène se passe dans une maison de paysans des environs de Liège.

La pièce était dédiée à Mgr le prince-évêque de Liège et aux Etats du pays de Liège. On en donna une seconde représentation le mardi 8 janvier; celle-ci fut honorée de la présence de Son Altesse. Cette année fut assez suivie, elle se termina le lundi 11 février, par Aristote amoureux, op.1a., et La Comédie sans titre,c.1a., dans laquelle M. Dupuis remplissait 5 rôles différents.

Le vendredi 1er mars, concert donné par M.Hennevaux, musicien de la très illustre cathédrale, avec le concours de MM. Guillaume, alto; Decortis, violoncelle; Baneux, clairon; Biécrin, violoncelle; Faucant, symphonie concertante, et Heyben, jouant sur le cistre. Les prix étaient les mêmes que pour la comédie.

Vint ensuite la Troupe des Comédiens français et italiens, sous la direction de MM. Lehr et Crécy. Ils obtinrent aussi la salle gratis par recès du 3 avril 1782. Le début des artistes se fit le samedi 27 avril, par Les Mariages samnites, o.-c. 3 a., de Grétry, orné d'un nouveau supplément du même auteur, et La Gageure imprévue, c.1a.

Les comédiens jouèrent les principaux opéras du répertoire et quelques nouveautés, et clôturèrent le 11 juin par Myrtil et Licoris, op.1a., et Le Tableau parlant,o.-c.1a.

Le 12 juillet, la Gazette de Liége portait une annonce ainsi conçue:

" Les comédiens français de Maestricht donneront mardi prochain, 16 juillet, une seconde représentation au bénéfice du sieur Vallier, de Tircis et Céphise ou le Loto d'amour, opéra en 3 actes, paroles du dit sieur Vallier, acteur de la troupe, musique du sieur Vanden Broeck, musicien de l'orchestre. Cette pièce ornée de tout son spectacle et généralement redemandée, fut universellement applaudie à la première représentation; elle n'a pas été donnée sur aucun théâtre étranger, elle sera précédée de la Partie de chasse de Henri IV. On commencera à six heures et demie. "


1782 - 83

MM. Lehr et Crecy ouvrirent ensuite la saison d'hiver le dimanche 3 novembre, par Félix ou l'enfant trouvé, o.-c. 3 a. Le sieur Gramont de Rozelly, s'intitulant comédien ordinaire du roi, était en représentation. C'était notre directeur de 1775.

Voici quelle était la composition de la troupe : (Non transcrit)

Comme on peut en juger, c'était une troupe complète et un orchestre composé de musiciens d'élite.

Grétry, qui revenait pour la seconde fois dans son pays, fut très fêté par ses concitoyens qui organisèrent une représentation en son honneur. Voici comment la Gazette de Liége rend compte de cette soirée, donnée le 21 décembre 1782.

" Hier au soir, M. Grétry se rendit à la salle des spectacles, et fut conduit à la Loge Magistrale où Mrs nos Bourgmestres et régens le placèrent au milieu d'eux. Les comédiens donnaient son charmant opéra de: L'Amant jaloux, précédé d'un divertissement analogue à la présence de M. Grétry, et composé en majeure partie de celui qui avait été représenté il y a deux ans, à l'installation de son buste dans l'avant-scène du théâtre. A la fin de cette pièce, un transparent où était écrit: Vive Grétry, traversa le haut du théâtre, s'arrêta au-dessus de la Loge Magistrale, et en s'ouvrant, remit à Mrs les Bourgmestres régens, un bouquet qui fut présenté par eux au nom de la Patrie à l'illustre Artiste.

Les applaudissements, les acclamations de la plus nombreuse assemblée qu'on eût jamais vue à notre théâtre, avaient éclaté au moment de son entrée; ils redoublèrent et furent répétés vingt fois. M. Grétry, aussi cher à ses amis par sa modestie et par l'aménité de ses mœurs, qu'il l'est par ses talents, aux amateurs des beaux-arts, fut vivement touché de ces honorables témoignages de l'attachement de ses concitoyens, et sa sensibilité fit l'éloge de son cœur. Il assistera encore ce soir au spectacle qui sera honoré de la présence de Son Altesse. "

Le lundi 23, après une séance donnée à la Salle d'Émulation, en l'honneur de Grétry, l'Illustre maître se rendit au théâtre où l'on donnait La Fausse Magie, o.-c. 2 a., et Le Jugement de Midas, o.-c. 3 a.

Accueilli par les plus vifs applaudissements, il dit en termes émus combien il regrettait de ne pouvoir répondre au désir de ses concitoyens, en prolongeant son séjour à Liège.

L'annonce de cette soirée portait en effet: "que c'était la dernière fois que le spectacle jouirait de la présence du célèbre auteur. " Elle ne disait malheureusement que trop vrai. Grétry partit à deux heures du matin pour Bruxelles et ne revint plus dans sa patrie. Il mourut à Montmorency le 24 septembre 1813, en léguant comme souvenir, son cœur à la Ville de Liège. (Voir en 1828 les fêtes qui furent données à cette occasion au théâtre.)

Le 25 février, 1" représentation de: Aucassin et Nicolette, op. 3 a., musique de Grétry.

Cette année fut encore féconde en nouveautés importantes, citons entre-autres: Orphée, op. 3 a., musique de Gluck.

La clôture eut lieu le mardi 4 mars, par Pourceaugnac, c. 3 a., et Le Maréchal-ferrant, o.-c. 2 a. travesti, dans lequel les rôles d'hommes étaient joués par des femmes et vice-versa.

Mme Crecy joua le rôle du maréchal, Mme Marchand celui du cocher, Mme Duvernet celui d'Eustache, Mme Delisle celui de Bastien, M. Duvernet celui de Jeannette, M. Julien celui de Claudine.

On n'organisa aucune saison d'été, pendant cette année; je ne trouve aucune trace de représentations théâtrales, mais en revanche une quantité de concerts.

Les 13 et 27 mars, deux concerts donnés respectivement par les sieurs Guillaume et Hennevaux, tous deux musiciens de l'illustre cathédrale.

Le 7 avril, le sieur Zaneboni, musicien italien, donna un concert vocal et instrumental, dans lequel il jouait sur le cystre et la mandoline des rondeaux et sonates de sa composition.

Le 26 avril, concert par M. Kar, maître de concerts du duc des Deux-Ponts.

Le dimanche 27 avril, grand concert vocal et instrumental:

Nouvelle ouverture de M. Hamal jeune. Li Ligeois égagy, opéra- burless es deux pârteies, mettou ès musïk par feu M. Hamal. Entre les deux parties de l'opéra, nouveau menuet avec six variations à solo pour différents instruments. — Prix de la comédie.

Dimanche 24 août, concert donné par le magistrat, en l'honneur de M. Jean-Hubert Vincent, qui venait d'être proclamé premier de la célèbre Université de Louvain.

Les dimanche 31 août, mercredi 17 et dimanche 21 septembre, trois concerts donnés par Mme Mara, cantatrice de LL. MM. le roi et la reine de France, avec le concours de M. Mara, violoniste et du célèbre Kreutzer, violoniste.

Enfin, le 26 octobre, dernier concert de la saison, donné par le sieur Thommès, musicien de la chapelle du roi.


1783 - 84

Mrs Lehr et Crecy conservèrent la direction pour l'année et ouvrirent la saison le lundi 3 novembre, par La Fausse Magie, o.-c.2 a., Le Dépit Amoureux, c.2 a., et un divertissement dansé par M. Vincent et Mlle Deriché.

Les artistes étaient en grande partie ceux qui avaient figuré dans la troupe précédente. Ils avaient pris cette année le titre de Comédiens de la Principauté de Liège.

Dans la séance du 12 décembre, le Conseil députe MM. les conseillers pour faire part à leurs chambres respectives,

" que notre concitoyen Grétry a dédié à sa patrie l'opéra L'Embarras des richesses, qui a été placé à la Bibliothèque publique, et de témoigner combien il serait satisfaisant pour le magistrat si la généralité voulait le mettre à même de lui faire parvenir les effets de sa reconnaissance en lui accordant les trente-deux métiers, seule récompense qui paraisse digne d'un talent aussi distingué. "

Cette année fut encore très importante; plusieurs nouveautés furent montées, citons entre autres: Renaud et Armide, trag. lyr. 3 a., musique de Sacchini, jouée le 24 janvier 1784, et Colinette à la Cour, o.-c.3a., de Grétry, dont la 1re représentation fut donnée le samedi 14 février.

La clôture eut lieu le mardi 24 février par la 4e représentation de Colinette.

Pendant cette saison, le Conseil accorda à différents particuliers l'autorisation de faire arranger à leurs frais, les loges qu'ils occupaient à la salle de spectacle. Parmi ces personnes, nous avons rencontré les noms de M. le comte de Liedekerke, M. le baron de Moffarts, M. de Mélotte et Mme d'Aigremont.

Le 17mars, MM. Pieltain et Guillaume donnèrent un concert vocal et instrumental.

Les 31 mars et 5 avril, deux soirées données par le sieur Charles Gondorff, professeur de physique, mathématiques et mécanique. Il présentait un Turc qui lui arrivait de Constantinople, chantait à la turque et faisait plusieurs tours.

Mrs Lehr et Crecy ouvrirent ensuite une saison d'été qui commença le 24 avril par La bonne Fille, o.-c.3a., et Les trois Frères rivaux, c. 1 a., mais elle fut brusquement interrompue le 1er mai par suite de la mort du prince-évêque Charles Velbruck, ce qui occasionna un deuil général tant ce prince était chéri. Il était l'ami des beaux-arts et des belles-lettres, et avait fondé le 29 avril 1779 la Société d'Emulation qui s'installa dans l'ancienne Salle des Redoutes.

Cette Société, qui existe encore aujourd'hui, a célébré en 1879, par des fêtes brillantes, le centenaire de sa fondation. (Voir cette date.) Les artistes donnèrent une dernière représentation le 22 mai, puis se rendirent à Spa.

Les 24 et 26 juin, concerts donnés par le sieur Morigi, chanteur du Grand Opéra de Londres, et sa fille; ils chantaient des airs italiens et anglais.

Le mercredi 21 juillet eut lieu l'élection de César Constantin François comte de Hoensoroeck d'Oost en qualité de prince-évêque successeur de Velbruck. A cette occasion, les comédiens revinrent de Spa, pour représenter La Fausse Magie, o.-c. 2 a., et L'impromptu liégeois ou la fête nationale, pièce en 1 acte de circonstance, pleine de grosses louanges et assez pitoyable, par un auteur anonyme.

Le 23 juillet, concert par M. Amantini, premier chanteur de la reine de France.

Le 23 août, le nouveau prince fit son entrée au palais des Princes-Evêques; on renouvela les réjouissances et les comédiens revinrent encore représenter le soir même une nouvelle pièce de circonstance en un acte, entremêlée de patois liégeois, ayant pour titre: Apollon chez les Eburons, par M. de Rose Croix (A. J. Havé), et dont voici la distribution: (Non transcrit). La scène est dans un village des Éburons devant la porte du mayeur.

Histoire du Théâtre de Liège. — 1784-1785. 57

Le 1er septembre, grand concert du sieur Tommès, sur un nouveau forte-piano, puis le 23 octobre, des musiciens italiens venant de Maestricht donnèrent une représentation de: Le Philosophe ignorant, op.-b.3a., et le 28, une seconde composée de: Le nouveau Maître de musique, op.-b. 2 a. A la fin de la pièce, M. Bussoni et Mme Ferraglioni chantèrent des ariettes italiennes.


1784 - 85.

MM. Lehr et Crecy n'ayant pu terminer honorablement leur saison de Spa, les artistes se réunirent en société sous la régie de Clairançon. Celui-ci s'associa ensuite avec Dupuis, et tous deux obtinrent du prince-évêque un octroi en date du 21 octobre, pour entreprendre la saison.

Ils firent l'ouverture le jeudi 4 novembre, par Ninette à la cour, o.-c. 2 a., et Les Plaideurs, c. 3 a.

Le 23 novembre, Mme de la Sablonne, qui faisait alors partie de la troupe de Maestricht, vint en représentation.

Le 6 décembre, grand concert donné par les frères Boeck, de Vienne, célèbres virtuoses sur le cor de chasse. Le 14 décembre, 1re représentation de L'Epreuve villageoise, o.-c. 2 a., musique de Grétry. Jusqu'au 1er février 1785, la troupe avait conservé la dénomination de Comédiens associés de la principauté. A partir de cette date, elle prit le titre de Comédiens privilégiés. Le même jour on donna la première représentation de: Le Mariage de Figaro, c. 5a., de Beaumarchais. A ce propos, les directeurs firent insérer la note suivante:

" Les directeurs associés ont l'honneur de prévenir le public que pour procurer plus de facilité pour cette représentation, ils feront mettre dans l'orchestre des bancs pour augmenter le parquet, et ils supplient qu'on se dispense de monter au théâtre, vu le grand embarras que cette pièce exige, qui ne pourrait être jouée s'ily avait du monde dans les coulisses, étant obligé d'y placer l'orchestre. "

Il est probable qu'à cette époque le public avait encore accès sur la scène.

Cette saison se continua sans encombre jusqu'au 8 février, jour où l'on fit la clôture par Les deux Amis, c.5a.

Cette année, il n'y eut pas non plus de représentation d'été. Quelques artistes seulement qui s'étaient déjà fait entendre les années précédentes, donnèrent encore quelques concerts.

Le jeudi 6 octobre, un spectacle extraordinaire fut annoncé en ces termes:

" Grand spectacle royal de France, représenté par la troupe des grands sauteurs et danseurs de Louis Port, dit l'incomparable Hercule. On y fera 500 tours de force, d'équilibre et d'adresse qu'on n'a jamais vu en cette ville. Mme Hercule, la jeune Espagnolette, le petit Paillasse et le petit Jupiter amuseront agréablement. On verra des sauts périlleux en avant et en arrière, le saut du tonneau, la grande danse sur le fil de fer, les grandes forces de l'Hercule, du roi, et de la grande pyramide d'Egypte. "

Cette troupe donna une seconde représentation le 16.


1785 - 86.

La direction passa ensuite aux sieurs Lauberti et Dupuis pour l'année.

Ils avaient obtenu le privilège le 7 octobre et firent débuter leur troupe sous le titre de: Comédiens de la Principauté, le jeudi 3 novembre, par L'Honnête criminel, dr. 5 a., et Les Rivaux amis, c.1a.

Le Journal ne nous fait connaître que quelques noms d'artistes: MM. Dalincourt, Dupuis, Lauberti, Pâris; Mme Bellegarde et Mlle Defoye.

Le 16 novembre, représentation donnée par le sieur de Léon, professeur de magie noire, pensionné du roi de France.

Le 10 janvier 1786, première représentation de: Le nouveau sorcier, o.-c. 3 a., paroles de M. Dubuisson, musique de M. Paris, liégeois et maître de musique de l'orchestre de la comédie.

Le 28 janvier, autre genre de production: L'Homme noir ou le spleen, c. nouv. 2 a., de M. Gernevald, avec un nouveau dénouement, par un amateur de cette ville.

Le Barbier de Séville, o.-c.4a., musique de Paisiello, fut joué le mardi 31 janvier; puis le 23 février vit encore éclore une production indigène: L'Anglais à Paris, c.3a., par un amateur de la ville qui ne se fit pas connaître.

La clôture eut lieu le mardi 28 février, par Le droit du Seigneur, o.-c. 3 a., et Crispin brûlé, c. 1 a.

Par exception, j'ai pu connaître la composition complète du spectacle de cette saison. On avait donné 72 représentations comprenant 36 opéras et 47 comédies et drames. L'abonnement comptait quatre mois et demi à 14 représentations par mois.

Absence complète encore de saison d'été. Deux redoutes seulement organisées les 25 et 28 avril, respectivement par les sieurs DUCHESNE et DURAND.

Le 3 mai, le Conseil accordait la salle au sieur Charles Bernardi qui avait obtenu le privilège d'exploitation le 24 avril précédent. C'était l'ancien directeur de 1771 à 74. Il ne donna que deux seules représentations d'opéras, les 6 et 7 mai, et partit ensuite pour Spa.

Le 14 juin, le sieur Durello, danseur italien, donna une académie de danses.

Bernardi revint alors avec la troupe suivante pour ouvrir la saison.


1786 - 87.

Ouverture le mardi 7 novembre, par Blaise et Babet, op. 2 a., et Le Déserteur, dr.3a.

Ainsi que dans la plupart des villes de Belgique, le célèbre aéronaute Blanchard vint faire une ascension à Liège. Au retour de cette ascension, le 30 décembre, il assista à une représentation théâtrale, dans une loge qu'on avait garnie à cette occasion. Aussitôt qu'il parut, le parterre l'accueillit par les cris de " Vive Blanchard! " on le couronna et on lui récita des pièces de vers. Le 5 janvier 1787, à son bénéfice, première représentation de Richard Cœur de Lion, o.-c. 3 a., musique de Grétry, suivie d'un bal. Le samedi 27 janvier, Le Mariage d'Antonio, o.-c.1a., musique de Mlle Lucile Grétry, fille du célèbre compositeur; cette production n'obtint que le succès d'estime que l'on pouvait accorder à l'œuvre d'une enfant de 13 ans. La clôture dut avoir lieu vers le 10 février. Le dimanche 30 septembre, spectacle assez extraordinaire renseigné en ces termes:

" Expérience aérostatique parle sieur Enslen, ingénieur physicien, de Strasbourg. Une charmante nymphe de huit pieds de proportion, sera remplie de gaz en moins de 6 minutes en présence des spectateurs, et ensuite abandonnée à elle-même. Soutenue par ses propres forces elle s'élèvera majestueusement, planera avec beaucoup de grâce en côtoyant les loges et en faisant tout le tour de la salle; et quoique placée dans des directions opposées, jamais elle ne perdra son équilibre. Ses traits délicats et expressifs, sa taille fine et légère, sa riche et brillante draperie, tout en elle intéresse et imite la nature à s'y méprendre. „ On verra en même temps richement déployés, dilatés et illuminés sur le théâtre, le fameux cheval Pégasse, monté par Persée, lancé dernièrement en l'air à Spa; Diane dans un char de triomphe tiré par des cerfs, et d'autres morceaux inimitables dans leur genre. "

Ce spectacle si nouveau avait intéressé le public qui était accouru en foule.

A celui-ci, succéda un autre spectacle royal de variétés amusantes offert par le célèbre Bonthoux de Lorget, physicien et mécanicien, pensionné de S.M. Louis XVI. Le succès le décida à donner deux autres soirées le 25 octobre et le 2 novembre.


1787 - 88.

Bernardi conserva la direction pour l'année suivante et ouvrit la saison le 3 novembre, par La Fausse Magie, o.-c.2a., et La Coquette corrigée,c.5a.

Le 21 novembre, première représentation de Le Comte d'Albert et sa suite, o.-c.3a., musique de Grétry.

Le vendredi 7 décembre, grand concert par le sieur Caffro, professeur de hautbois, pensionnaire de S.M. le roi de Naples.

Un nommé Aupré, natif de Maestricht, donna les 17, 21 et 24 février 1788, trois représentations de ses expériences physiques. On y voyait le Tombeau de Mahomet, et dans les intervalles deux musiciens étrangers jouaient plusieurs morceaux de musique sur le cor en différents genres.

Le 23 février, grand concert de harpe donné par Mlle Woos, harpiste.

Pour cette année encore la clôture ne fut pas indiquée; il en fut de même à chaque direction de Bernardi. Les représentations mêmes n'étaient publiées que de temps en temps, sans suite régulière.

Le 11 avril, Mlle Gerardi, chanteuse italienne, donna un grand concert.

Vers cette époque, l'orchestre s'était sans doute émancipé d'une façon toute exceptionnelle, à en juger par la curieuse note sui vante:

" Le 4 septembre 1788. — Le Conseil ayant vu avec satisfaction, la conduite honnête et respectueuse qu'ont tenue envers le magistrat les sieurs Decortis l'aîné et Prévot, tous deux musiciens de l'orchestre de la comédie de Liège, lors de l'arrivée de la cabale, complotée entre huit violons du dit orchestre, inventée uniquement à dessein de forcer le magistrat à mettre les violons de leur goût, requiert MM. les Bourgmestres et Conseil futur, de vouloir maintenir l'année prochaine les deux susnommés dans leur poste comme étant deux sujets fidèles et attachés au service de leur maître, et lesquels ont paru mériter notre recommandation. "

Les 18 et 21 octobre, Mlle Scoteschi, première danseuse italienne, pensionnaire de la Cour de Parme, donna un spectacle de danses en 3 genres différents.


1788 - 89.

Le 8 mai 1788, l'octroi avait été accordé au sieur N. Malherbe, et son épouse, directeurs d'une troupe de comédie pour diriger la saison

Ils firent l'ouverture le lundi 3 novembre, par Adélaïde du Guesclin, tr.5 a., et Le Babillard, c.1a. La troupe avait pris le nom de: Comédiens français. Le Journal ne nous fait connaître que très peu de noms d'artistes: M M . Malherbe, directeur, Pâris, Dorsonville et Hardel.

Mlle Malherbe, Dorsonville et Dumenil.

Le 10 décembre, le chevalier Pinetti, célèbre professeur de physique, donna une séance de prestidigitation, etc. Un jeune nègre âgé de 9ans, le sieurGeorges-Frédéric-Augustus Bbidgtower, se fit entendre dans un concert vocal et instrumental le 29 décembre. Puis un sieur Palatini " désirant se faire connaître " donna, le 8 janvier 1789, après le spectacle, ses jeux étonnants de l'Académie des chevaux turcs et autres exercices et diverses expériences dans un nouveau genre.

Le 31 janvier, première représentation de Fort belle et Destelle, ou le triomphe de la reconnaissance, comédie-féerie faite par un artiste de la troupe, car la seconde représentation se donna au bénéfice de l'auteur.

Clôture le mardi 24 février, par Les Trois Sultanes, c.3a., ornée de tout son spectacle et couronnement.

Le 14 mars, le sieur Baneux, musicien de l'orchestre, organisa un grand concert vocal et instrumental composé de 70 musiciens.

Il paraît qu'à cette époque, les mœurs se trouvaient singulièrement relâchées, et qu'on attribuait au théâtre les nouvelles causes de dépravation qui depuis un an s'étaient propagées dans la ville. Aussi les curés s'en émurent-ils, et se flattant d'avoir su se préserver du scandale au milieu de la corruption générale, tinrent une assemblée ou concile et adressèrent une requête au prince-évêque. Six d'entre eux, le doyen à leur tête, furent députés pour la lui présenter, et obtinrent la permission de la lire devant lui.

C'est du moins ce que nous apprend le Journal général de l'Europe, dans divers articles parus au mois d'avril 1789 et d'où nous extrayons ce qui suit:

" Il doit être connu à V. A. combien l'histrionisme a gagné dans notre cité depuis la fatale érection du théâtre. C'est là l'époque de la décadence des mœurs, et du triomphe du libertinage.

Ce théâtre même, dont l'innocence et la sainte pudeur ont eu également à souffrir par la représentation de pièces proscrites ailleurs, Figaro, Tarare, L'Inconséquent, et autres vilénies et impiétés semblables, et contre lequel le zèle des pasteurs, éclairé par des faits multipliés ne cesse de se récrier, ne suffit pas aujourd'hui à l'insatiable volupté. Il s'est élevé depuis un an au milieu des calamités publiques, une jeunesse effrénée qui, montée d'abord sur des tréteaux dans un grenier, s'est exercée dans l'art funeste de fomenter les passions et d'attiser le feu dévorant de l'impureté

...

Les comédiens de profession ont accueilli ces adeptes, ils ont couronné celui d'entre eux qui réussissait le mieux dans le mimisme, et le lâche! n'a pas rougi de figurer sur leur théâtre.

...

Il est donc plus que temps à l'approche de la solennité de la Pâque, d'opposer une puissante digue à ce débordement funeste. Les sacrés canons et nos principes théologiques, excluent de la participation des sacrements, les comédiens de profession qui refusent de renoncer au théâtre. Ne doit-on pas regarder cette troupe naissante sous un aspect aussi infâme, non moins dangereux, et plus contagieux encore.

C'est pourquoi nous supplions V. A., pour qu'en sa qualité d'Évêque, elle fasse publier le dimanche de la Passion de cette année, un mandement ou un ordre par écrit, qui autorise les curés à refuser la communion pascale aux suppôts de ces théâtres bourgeois. Ce sera le moyen d'arrêter le cours du mal, et c'est la grâce que nous demandons avec la plus vive instance, pour l'avantage temporel et spirituel de nos ouailles, pour l'acquit de notre conscience et pour l'honneur de la religion qui attend ce coup de vigueur de la part de ses ministres... "

Toutes ces foudres de l'Église et cette demande d'excommunication, étaient lancées contre des sociétés 'de jeunes gens, qui jouaient la comédie sur des théâtres particuliers, et notamment contre le sieur Gaspard, un amateur liégeois qui, pendant l'hiver, s'était produit sur le théâtre de la Batte et avait donné deux représentations, l'une au profit des pauvres, l'autre au profit des prisonniers, et dans lesquelles il avait joué: Adélaïde Du Guesclin et Le Cid,tr.5a.

Aussi dans un autre article fut-il défendu contre ces fureurs ecclésiastiques.

L'auteur de cet article reproche au journal de s'être laissé facilement persuader par ces égoïstes atrabilaires, qui censurent, qui désapprouvent et tiennent pour vraie gloire d'insulter au talent et de le persifler. Si M. Gaspard, dit-il, s'est élevé au-dessus du préjugé, cette infraction nous a prouvé la noblesse de ses sentiments. M. Gaspard a rendu les deux rôles de Vendôme et du Cid dans le plus grand vrai; mais par une fatalité attachée à la faiblesse humaine, le talent eut toujours des ennemis, il vient d'en faire l'expérience dans sa patrie, où il se trouve insulté par ceux-là mêmes qui devraient le respecter.

Réparez le mal que vous avez fait par ignorance, aux yeux d'un public éclairé qui n'est point la dupe de l'animosité, et qui s'écrie encore en tressaillant du plaisir que cet amateur lui a fait :

" Si M. Gaspard s'est attiré des ennemis, c'est pour avoir versé 2500 florins dans le sein de l'indigence. "

Un autre article protestait contre l'excommunication et donnait comme exemple la conduite tenue par feu M. Hamoir, curé de St-Jean-Baptiste.

" Le théâtre public étant dans sa paroisse, la plupart des acteurs et actrices y demeuraient: le digne ecclésiastique les visitait, les prêchait, les engageait à faire leurs pâques, les mariait, catéchisait leurs enfants; il n'invoquait pas la réunion des deux puissances pour les excommunier; il ne les injuriait pas; il croyait que le véritable esprit de la religion prescrit la clémence et la charité, etc... "

Le mandement demandé parut, mais ne fut pas aussi sévère qu'on l'eût désiré; il ne fut pas question d'excommunication, mais bien d'employer la douceur pour ramener cette portion d'âmes qui courait à sa perte.

Le directeur suivant fut un nommé Guilminot Dugué qui avait obtenu l'exploitation par un octroi en date du 16 avril 1789. Il ouvrit un abonnement d'un mois à commencer du 22 avril, avec les artistes suivants: (Non Transcrit)

M. et Mme de la Rivière, qui avaient été engagés au début, n'ayant pu se rendre immédiatement à leur engagement, le directeur fit venir de Marseille M. et Mme Montrose, en même temps que les premiers arrivaient; de sorte qu'il se trouva avoir deux premiers chanteurs et deux premières chanteuses. Il termina le 26 mai, par Richard Cœur de Lion, o.-c.3a.

Une nouvelle troupe d'enfants parut encore vers la fin de l'été; du 15 au 26 septembre, elle donna une série de 5 représentations, qui se composèrent des opéras suivants: Nina, ou la folle par amour, o.-c.la..; La Dot, o.-c.3a.; Les Deux petits Savoyards, o.-c. 1a.; La Belle esclave, o.-c.1a.; Blaise et Babet, o.-c.2a.; Les Trois fermiers, o.-c.2a.; Richard Cœur de Lion, o.-c.3a.; Les Solitaires de Normandie, op. v. 1 a.

Puis le même directeur entreprit avec la troupe suivante, la campagne d'hiver.


1789 - 90.

Directeur: Guilminot Dugué. Ouverture le samedi 3 octobre, par Azémia, ou les sauvages, o.-c. 3 a., et Céphise, ou l'erreur de l'esprit, c. 2 a.

A cette époque, on était encore sous l'impression de la révolution qui avait éclaté en France au mois de juillet, et à Liège le 18 août, aussi le directeur mettait-il à profit toutes les occasions qui se présentaient d'exciter le patriotisme de ses abonnés.

Il fit représenter, le 10 octobre: La Prise de la Bastille, fait historique pris dans les journaux et tel que l'action s'est passée en France, avec les décorations analogues au sujet. Plusieurs autres productions de circonstance furent encore données, telles que: La Liberté rendue, Les Evénements, Le Dragon de Thionville.

Le 15 octobre, M. Pâris eut un différend avec son directeur, par suite d'un mauvais compliment qu'il avait reçu du parterre, la veille il avait refusé de jouer dans Les Femmes vengées, et on l'avait menacé de le jeter en bas du théâtre. Il assurait au directeur qu'il jouerait le lendemain dans la dite pièce parce qu'il l'avait promis au public, mais qu'il ne paraîtrait plus au théâtre de Liège; toutefois, comme il était à la pension du sieur Dugué, il se déclarait prêt à partir pour Maestricht, ou tout autre endroit qui lui serait désigné. Les acteurs italiens, pensionnaires ordinaires de Monsieur, frère du roi de France, donnèrent le 16 décembre une représentation de: Del Avaro innamorato, op. 2 a., de Anfossi.

Le jeudi 4 février 1790, on jouait L'Obstacle imprévu, ou l'Obstacle sans obstacle, c. 5 a., dans laquelle le sieur Ropicquet, amateur, le même que nous avons vu tenant le buffet des redoutes, remplissait le rôle de Pasquin.

A l'occasion de la fête du roi Frédéric-Guillaume de Prusse, on organisa le 10 février, une représentation extraordinaire composée de: Les deux Pages, comédie tirée d'un trait d'anecdotes arrivé au roi de Prusse, et Le Siècle d'or, comédie de circonstance par un amateur inconnu.

Le 13 mars, nouvelle production indigène, 1re représentation de: Le Sentiment liégeois, ou le vœu de la patrie, divertissement en vers mêlé de vaudevilles et analogue aux circonstances, suivi de: Philoctète, tr. 5 a., et La Mélomanie, o.-c. 1 a. Cette représentation était donnée au bénéfice de Mme Dorval et M. Belval, artistes de la troupe de Maestricht. M.Gaspard, dont il a été question précédemment, jouait Philoctète.

Le lundi 29 mars, concert spirituel par M.Caffro, professeur de hautbois, pensionnaire du roi de Naples.

Jusqu'à cette époque, la saison s'était toujours terminée vers la fin de février ou commencement de mars. Cette année, les représentations furent autorisées pendant le carême.

Clôture le mardi 27 avril, par la 1re représentation de: Le Triomphe de la Liberté, ou Guillaume Tell. " Cette pièce, analogue aux circonstances, sera ornée de tout son spectacle, combats, embrasement de l'arsenal de Gesler, tyran qui depuis longtemps „ accablait la Suisse sous le poids de la tyrannie, et qui devient enfin victime de la liberté. M. Gaspard y remplissait encore le principal rôle.


1790 - 91.

La direction passa ensuite à deux artistes qui avaient fait partie de la troupe précédente, le sieur Hardel et Mme Dorsonville. Ils ouvrirent la saison le mardi 9 novembre, par L' Orpheline, c. 3 a., et Le Pessimiste, ou l'homme mécontent de tout, c. 1 a.

Je n'ai pu obtenir beaucoup de renseignements sur la troupe ni le spectacle pendant cette exploitation. Je n'ai rencontré que les noms de M. Ansoult et de Mme de la Sablonne, 1re chanteuse dont le bénéfice avait lieu le 4 mars.

Les représentations durent se prolonger au moins jusque fin mars, car le 21 on donnait encore Raoul sire de Créqui, op. 3 a.


1791 - 92.

Malgré l'édit du prince-évêque Constantin-François, daté du 21 février 1791, et qui interdisait les attroupements ainsi que les représentations de pièces de comédie, Mme de la Sablonne obtint un octroi pour l'exploitation du théâtre et fit l'ouverture de la saison le jeudi 3 novembre, par Les Evénements imprévus, c. 3 a., et Le Mariage secret, op. 1 a.

Les journaux de l'époque s'occupant beaucoup plus des questions politiques, qui passionnaient tous les esprits pendant ces années de troubles, négligeaient de parler du théâtre, il s'ensuit que les renseignements sont très rares et ne nous apprennent pas grand'chose.

Je trouve toutefois la première représentation de : Raoul barbe bleue, o.-c.3a., musique de Grétry, donnée le 16 janvier 1792.

Les représentations durent se produire cependant assez régulièrement, car le 24 février le Conseil, considérant que l'abonnement n'a plus lieu, accorde gratis à Mme de la Sablonne l'usage de la salle de la comédie pour donner une représentation au profit des pauvres, après néanmoins déduction des simples frais.

Dans la même séance, il ordonne aux musiciens de se conformer aux conditions de l'orchestre, de se trouver au théâtre au quart avant cinq heures et d'y jouer pendant les entractes à peine d'être privés de leur paiement.

Le prince-évêque Constantin-François Hoensbroeck étant mort le 17 juin 1792, eut pour successeur François-Antoine-Constantin-Marie, COMTE DE MÉAN.

Pour cette circonstance, une pièce fut imprimée à Liège en 1792. Elle portait pour titre: La triple fête, ou l'heureux voyageur, comédie dramatique faite à l'occasion de la nomination de Son Altesse Celsissime le prince de Liège, en prose et en deux actes, par M. Dutaillys, acteur de la troupe de Liège.

Je n'ai pu trouver aucune trace de représentation, cependant la distribution suivante, indiquant le nom des artistes, nous donne rait à supposer qu'elle fut représentée.

PERSONNAGES. (Non transcrit)

Le 1er acte se passe au bord de la mer; le 2e, dans une salle du château.

Le sieur Degreville avait aussi fait une pièce de circonstance intitulée: L'Impromptu du cœur, ou la nomination du Prince de Liège, mais elle ne fut pas représentée.

Le 5 octobre, le Conseil accordait encore la salle jusqu'à révocation à Mme de la Sablonne, aux mêmes prix, clauses et conditions que l'année précédente, le magistrat exigeant surtout que l'on commence les représentations à 5 heures précises.


1792 - 93.

L'ouverture de la saison eut lieu le 20 octobre, par Adélaïde Du Quesclin, tr. 5 a., et La Bonne mère,c.1a.

M. Gaspard, liégeois, paraissait encore dans la tragédie. Les représentations se suivirent irrégulièrement, la directrice qui avait beaucoup à compter avec les idées du moment, dut s'adjoindre un certain Rozan d'Mazilly, en qualité d'associé, afin de tenir tête aux esprits échauffés par les événements, comme on le verra par le fait suivant, qui prouve jusqu'à quel point les principes des Jacobins étaient en faveur.

Liège,ce 1erfévrier 1793,
l'an 2me de la République française.

Au Directeur de la Comédie.

Depuis plusieurs jours, citoyen, vous annoncez au public que vous allez donner incessamment la représentation de Raoul Sire de Créqui. Je vous préviens en vrai républicain, que si différents passages de cette pièce, qui ne sont propres qu'à apitoyer les citoyens faibles sur le sort que vient d'éprouver Louis Capet, notamment celui où le sire dit dans sa prison: qu'il meurt pour son roi; je vous préviens, dis-je, que si ces passages ne sont pas changés, vous serez regardé comme ayant voulu attenter à la tranquillité publique; alors vous pouvez être sûr d'avance que je vous dénoncerai à la Convention nationale.

Je suis votre concitoyen.

LEBLOND,

Capitaine de la 5e compagnie du 1er bataillon
de volontaires du département du Pas-de-Calais.

Cette lettre d'un cynisme révoltant, car ce fait se passait huit jours après l'exécution du roi Louis XVI, avait été insérée dans la Gazette de Liége du 4 février. La réponse, qui en était le digne pendant, fut transmise par la même voie, dans le numéro du 6.

"Au citoyen Leblond, capitaine de la 5e compagnie du 1er bataillon de volontaires du département du Pas-de-Calais.

Cher concitoyen, si mes associés et moi vous étions connus plus particulièrement, et si vous eussiez assisté à la représentation du Déserteur, opéra que nous avons donné la semaine dernière, vous auriez vu avec plaisir que nous avions prévu à tout en changeant totalement tout le dénouement de cette pièce, qui était bien plus inconstitutionnelle que le passage que vous citez dans Raoul Sire de Crèqui, quoiqu'il le soit aussi; mais un mot ou une phrase sont bien plus aisés à changer que la moitié d'un acte entier. Je conclus donc de là, mon cher concitoyen, que vous vous seriez épargné la peine de nous avertir par la voie du journal.

Nous ne pouvons cependant qu'approuver votre civisme, en vous priant d'être bien convaincu que nous sommes aussi bons républicains que vous, et que nous saisirons toujours avec empressement l'occasion de prouver notre zèle pour la chose publique.

Je suis votre concitoyen,

ROZAN D'MAZILLY,

Directeur associé du spectacle français de Liège,
membre de la société des Amie de la Liberté et de l'Egalité d'Orléans, affilié à celle de Paris,
etc.,et soldat de la 35e compagnie de la section des Gravilliers, département de Paris.

Liège, le 4 février 1793, l'an 2me de la République Française et de l'Egalité.

Cette affaire n'eut pas d'autre suite, le directeur continua ses représentations et clôtura le 21 mars, par Richard Cœur de Lion, o.-c. 3 a.


1793 - 94.

Pour cette saison, je n'ai connaissance d'aucune direction ni d'artistes. Ces années ayant été très tourmentées par les événements politiques, il est fort probable que les représentations n'eurent pas lieu.

Le 1er septembre 1794, deux pétitions étaient parvenues à la municipalité, l'une du citoyen Marchand, ancien directeur de l'orchestre, l'autre de la citoyenne de la Sablonne, l'ancienne directrice, toutes deux tendant à obtenir la direction du théâtre pour la campagne suivante.


1794 - 95.

Le 6 septembre, la municipalité accorda la direction du spectacle à la citoyenne La Sablonne, pour la saison et jusqu'aux pâques prochaines.

Les artistes dont j'ai retrouvé les noms pour cette année étaient:

MM. Desvignes, Duperche, Delys, Paris, St-Réal, St-Franc, Mmes Desvignes, Delys et Pinsart. Ouverture, le 5 novembre, par L'Amant statue, op.1a., et La Femme jalouse, c.3a.

Les représentations se suivirent assez régulièrement, composées comme toujours, d'opéras et de comédies. Une soirée extraordinaire fut donnée le 31 décembre, au profit de malheureux incendiés et se composant de: La Nourrice républicaine, ou les plaisirs de l'adoption, pièce de circonstance suivie d'un grand concert.

Le lundi 11 mai, le sieur Coulon, tambour-major de la garde nationale, donna une exhibition de ses talents qu'il annonçait en ces termes: " 1° Un solo de timbales; 2° le trot et le galop des chevaux; 3° battra avec les yeux bandés faisant sauter les baguettes en l'air en accompagnant lamusique; 4° battra avec une seule baguette derrière et devant; 5° battra les nouveaux réveils de la patrie qui ont été inventés à Paris; 6° donnera un bruit de guerre qui expliquera le coup de canon et la mousqueterie et d'autres différents jeux qui surprendront les spectateurs, après quoi il y aura redoute. L'entrée à 5 livres. "

La saison se termina le 24 mai, par L'Epreuve villageoise, o.-c. 2 &.; Le Souper des Jacobins, v. 1 a., et Le Maréchal-des-logis, pantomime. D'après un document que j'ai rencontré, le sieur Paris dut diriger le spectacle dans les derniers temps, car dans la séance du 10 prairial an 3 (29 mai 1795), la municipalité lui accordait la faveur suivante:

" Sur la pétition du citoyen Pâris, entrepreneur des spectacles, relativement à une décoration qui doit se trouver dans la maison de l'émigré d'Assembourg; l'administration, considérant que la décoration dont il s'agit reste étendue dans un grenier où elle est détériorée par la poussière et rongée par les rats, et qu'elle est de peu de valeur, arrête, que les acteurs du spectacle de Liège pourront s'en servir provisoirement, etc "

Le sieur Pâris continua alors la saison d'été en recommençant les représentations le jeudi 9 juillet, avec les mêmes artistes, plus MM. Teaumarin, Duprato, Doligny, Duras, Mmmes Périgny et Teaumarin. Le prix des places était fixé comme suit: 1es loges, 15 livres; secondes, 7 liv. 10 sols; parterre, 5 livres.

Le 18 juillet, on rendait Le Déserteur, remis à la scène actuelle et en 4 actes, les trois premiers musique de Monsigny, le quatrième musique des citoyens Plu et Desplaces.

Le 2 septembre, 1re représentation de: La Caverne, op. 3 a., musique de Lesueur. C'est la distribution de cette pièce, imprimée à Liège, qui nous a fait connaître les artistes.

Je n'ai pu trouver la date de clôture de cette saison, de même que celle d'ouverture pour l'année


1795-96.

La troupe s'intitulait: Société des artistes dramatiques et lyriques, toujours composée des mêmes éléments.

La saison fut assez importante, sans toutefois offrir rien de remarquable.

Le 1er avril, le sieur Comus, physicien, donna une soirée qu'il renouvela le 4 du même mois. La période d'été commença le 3août. Le 17, au bénéfice de Mmes Desvignes, on donna la 1re représentation de: Panurge dans l'île des lanternes, o.-c.3a., musique de Grétry, orné de plusieurs pas et danses de caractère d'une décoration lanternoise, d'un naufrage, marches, costumes, etc.

Le 14 septembre, bénéfice de M. et Mme Delys, La Fée Urgèle, o.-c. 4 a., nouvellement remis au théâtre avec des augmentations, musique des citoyens Cherubini, Duni, Philidor et Grétry, avec un ballet dans lequel le citoyen Brout, danseur des Italiens, exécuta plusieurs pas seuls et de deux. Une décoration nouvelle avait été peinte par Durieux, artiste de la troupe.

Le 17 octobre, bénéfice de Marchand, directeur de l'orchestre; le citoyen Osmonde, fils aîné, exécuta un concerto de violon de Mestrino et le citoyen Blavier, un concerto de hautbois d'Otto Vandenbroeck. La troupe continua jusqu'à fin octobre et se reconstitua toujours sous le même titre pour la saison


1796-1797.

Ouverture le jeudi 3 novembre, par La Fête de la cinquantaine, o.-c.2a., et La Gageure imprévue, c.1a.

Par l'article suivant, daté du 5 novembre 1796, le Troubadour liégeois nous fait faire connaissance avec la nouvelle troupe :

Toujours à la vieille salle, au second étage de la douane Celsissime, bien loin des trois quarts de la ville, les plus peuplés de gens à qui peut convenir l'amusante école des mœurs, des manières, du langage et du bon goût. La fumée de la houille et les brouillards de la Meuse avaient depuis vingt ans fait disparaître le décor de cette salle et rendu toutes pareilles les décorations du théâtre. La malpropreté et les petites gentillesses du vandalisme, l'ont achevée de peindre: n'aurait pas tort qui la nommerait todion.

Espérons que des ruines de St-Lambert (et des fonds de la tréfoncerie) s'élèvera bientôt un Odéon digne de la majesté du peuple liégeois, et tout à l'entour de cet odéon, les philosophes républicains retrouveront un forum à la romaine ou à la grecque, pour y promener l'instruction publique; les négociants ou agioteurs, une bourse; les belles, un palais-égalité; les désœuvrés, un café; les politiques, des arbres de Cracovie; les charlatans, des tréteaux; les enragés révolutionnaires, des tribunes et chacun des commodités.

Ah! ce sera magnifique et pas cher. En attendant ce beau projet et bien d'autres, qui passent par la tête des génies à l'ordre du jour et à la journée, voici l'état actuel des artistes dramatiques et lyriques composant la troupe de Liège. (Non transcrit)

La première représentation de: Roméo et Juliette, op.3a., musique de Steibelt,eut lieu le mardi 29 novembre 1796.

Le 1er décembre, au bénéfice de M. Pâris et Mmme Pinsart: La Religieuse forcée et le bon curé de Spa, dr. en 3 a. tiré de Mélanie de La Harpe et qui pourrait bien être attribué à Duperche.

Deux artistes de l'Ambigu-comique de Paris, MM.Gourrier et Couttelier vinrent jouer dans Les Indiens en Angleterre, c. 3 a., le 29 décembre, au bénéfice de Desvignes.

Celui du sieur Teaumarin et de sa femme née Vauclin, donna l'occasion d'entendre, le 6 février, Le Vannier et son seigneur, c,1a., ornée de pantomimes et d'une lutte à la hache par deux amateurs. Dans un intermède, le jeune Osmonde exécuta un concerto de violon et le jeune Vauclin, âgé de 12 ans, frère de Mme Teaumarin, une sonate de violoncelle.

Clôture le samedi 25 mars, au bénéfice de Leroy, par Le Jeune sage et le vieux fou, op. 1 a., Cêphise, ou l'erreur de l'esprit, c. 2 a., et La Mort du chevalier d'Assas, pantomime du théâtre d'Audinot, ornée de combats et évolutions militaires, et dans laquelle trois artistes du théâtre d'Audinot remplirent les principaux rôles. M. Delval, artiste du théâtre de Lille, joua dans la comédie.

Après cela, les artistes partirent pour Cologne.

Le dimanche 7 mai, Grand bal de la Paix, dont l'entrée était à 25 sous. Un maître de danses était chargé d'indiquer les figures. Le 29 mai, grande redoute aux mêmes prix pour célébrer la Fête de la reconnaissance.


1797-98.

La saison fut encore exploitée par la même société composée de

MM. Desvignes, Delorme, Bronvel, Harel, St-Franc, Duperche, Deligny; Mmes Desvignes, Laporte, St-Albe, Eloy, Duperche, Deligny mère, Deligny fille.

Le spectacle d'ouverture dut avoir lieu vers la fin d'octobre, car le 31 on donnait: La Forêt noire, ou le fils naturel, pantomime en 3 a. du théâtre d'Audinot, et dont les principaux rôles furent remplis par des artistes de ce théâtre, précédé de: Les Deux chasseurs et la laitière, o.-c. 3 a. Entre les deux pièces, les citoyens Gourrier et Couttellier et une citoyenne dansèrent la nouvelle anglaise et un pas de trois.

Le spectacle du 22 janvier était annoncé en ces termes:

" Les Artistes du Théâtre de Liège donneront aujourd'hui, 3 pluviôse an 6 (22 janvier 1798), au bénéfice du citoyen Delorme, une représentation d'Alzire, ou les Américains, tr. en 5 a., de Voltaire, suivie de: L'Amour et la paix, com. nouv. en 3a., mêlée „ de chants, ornée d'une fête en l'honneur de la paix, de danses, illuminations, évolutions militaires et décorations analogues par un artiste du théâtre. Ce spectacle sera terminé par le Chant du retour, musique de Méhul, paroles de Chénier, lequel chant fut exécuté au Directoire, lorsque Bonaparte porta la ratification de la paix. Les principes de l'auteur de cette comédie sont ceux d'un ami de la paix, du bonheur de son pays et de la réunion de ses concitoyens, c'est-à-dire qu'elle ne contient rien d'offensant pour qui que ce soit. "

L'auteur de cette pièce était le sieur Delorme, qui se fait connaître par la voie du Journal du 28 février, en se défendant d'une apostrophe qu'il avait adressée aux spectateurs:

Le 17 mars, Delorme s'octroya un nouveau bénéfice en compagnie du sieur Bronvel; on donna: Les Amours de Bayard, dr. 4a., et Le Roi de Cocagne, c. 3a., de Legrand, à laquelle le dit Delorme avait ajouté un 4e acte. Cette pièce était ornée de chants, de danses, d'évolutions militaires, d'un combat de Cocaniens, armés de jambons et de la cérémonie d'abdication du roi de Cocagne.

L a pièce se terminait par le quatrain suivant:O vous sexe charmant que suivent les plaisirs,
De vos yeux on invoque en ce jour la puissance.
Accordez à ces jeux un regard d'indulgence
De l'auteur, des acteurs, comblez tous les désirs.

La clôture se fit le 8avril, par Nina, o.-c.1a.; Le Présent, c.1 a., et Le Faux talisman, c. 1 a.


1798-99.

Les mêmes artistes continuèrent une saison d'été assez irrégulière. Vers le commencement de septembre, la troupe se reconstitua pour ouvrir la saison

La Société, toujours sous le même titre, se composait des artistes suivants:

MM. Desvignes, Duperche, Deligny, Durand, Durieux, Troy, Buée St- Réal, Aubert, St-Franc, Harel, Beguin;

Mmes Desvignes, Duperche, Dupont, Aubert, Troy, Deligny mère, Deligny fille.

L'ouverture eut lieu le 23 septembre, par La Soirée orageuse, o.-c. 1 a., et Le Festin de Pierre, c. 5 a.

Le15 novembre, un avis inséré dans le Journal, annonçait que le Bureau de bienfaisance ferait percevoir un décime par franc en sus du prix d'entrée, en exécution de la loi du 7 frimaire an V (27 novembre 1796).

Au bénéfice de Mme Troy, le jeudi 29 novembre, pendant la représentation de: Loddiska, op. 3 a., le feu prit aux vêtements de la bénéficiaire, qui faillit être brûlée vive pendant l'embrasement général du dénouement de cette pièce. Elle en fut quitte heureusement pour quelques brûlures sans gravité.

Le sieur Comus, artificier et physicien, donna deux séances, les 3 et 5décembre, il terminait la soirée par Le Triomphe de la liberté, feu d'artifice de sa composition. Il en donna une 3e, le 4 février suivant.

Le 9 décembre, le citoyen Duperche, artiste de la troupe, fit représenter à son bénéfice: Laruelle, ou le martyr de la liberté, dr. 3 a., de sa composition. Cette pièce mettait en scène l'un des plus sanglants épisodes de l'histoire liégeoise.

Il donna encore le 3 janvier 1799, une autre production de son crû: Abelino, ou la conspiration de Venise, dr. 5 a., en prose, imité de l'Abelino de Kotzebue.

L'année se clôtura le 28 mars, par Gulnare, op. 1a.; Le Traité nul, op.1a., et Cadet Roussel au café des aveugles, farce en 2a., au bénéfice de Mmes Desvignes et Durand. Entre la 1re et la 2e pièce, le citoyen Denis exécuta un concerto de violon.

Ainsi que l'année précédente, quelques artistes restants s'associèrent avec d'autres de la troupe de Maestricht pour exploiter la saison d'été.

Parmi les nouveaux venus nous remarquons:

MM. Gobert, Dumanoir, Fauve, Fleury, Ancelin, Francville;

Mmes Gobert, Gilliot, Francville, Mlles Troy et Adélaïde Duclos.

Mlle Ad. Deligny, à l'occasion de son bénéfice donné le 18 juin 1799, lança pour la circonstance l'invitation suivante :


INVITATION.

Assemblage chéri, galant aéropage,
Où triomphe le sentiment,
Dont la délicatesse et le discernement
Furent toujours l'heureux partage;
Si je puis me flatter du plus faible talent
C'est à vous que je dois un si grand avantage.
Vous-même m'avez dicté Les ris, les jeux, le badinage,
Daignez combler ces traits de générosité
En récompensant votre ouvrage.

Le dimanche 14 juillet, le célèbre Kreutzer, de passage à Liège, assista à la représentation du soir, composée de: Paul et Virginie, opéra de sa composition.

Le lendemain, on lui adressait les vers suivants:

Quoi, nous le possédons et Liège l'harmonique,
Ne résonnerait pas de ses sons enchanteurs!
Quoi, mes concitoyens du dieu de la musique
Invoqueraient en vain les talents créateurs,
Lyre novice, ô toi délices de ma vie,
Fais entendre à Kreutzer les vœux de ma patrie
Il te transportera l'émule de Grétry. —
L'entendrai-je; ô désir. — Dis, il est accompli.

Le 19 juillet, Kreutzer assista à une seconde représentation dans laquelle il conduisit l'orchestre pour l'exécution de: Lodoïska, opéra également de sa composition. Il joua aussi le solo de violon qui commençait le 2e acte.

Enfin, pour se rendre aux vœux exprimés parles vers ci-dessus, il organisa le concert suivant, le lundi 29 juillet.

1re PARTIE.

1. Grande symphonie de Haydn.
2. Ariette par le citoyen Loncin.
3. Concerto de violon, par Kreutzer.
4. Ariette par le citoyen Lefebvre.
5. Quintette obligé par Kreutzer, Garnier, etc.

2e PARTIE.

1. Grande symphonie de Girowetz.
2. Ariette par le citoyen Fleury.
3. Concerto de hautbois, par Garnier.
4. Ariette par le citoyen Francville.
5. Le concert sera terminé par des petits airs nouveaux, exécutés par les citoyens Kreutzer et Garnier.

Ce concert obtint un grand succès.

Les représentations continuèrent jusqu'au 8 septembre. A cette date, quelques-uns des nouveaux artistes venus se réunirent pour faire l'ouverture d'une nouvelle salle, située rue St-Étienne, mais cette entreprise n'eut qu'une durée tout à fait éphémère, car environ six semaines après, la troupe cessa toute exploitation et l'on vendit le matériel existant.


1799-1800.

Les autres artistes se reconstituèrent encore en société pour la saison et firent l'ouverture le vendredi 13 septembre, par Le Sourd et l'aveugle, c. 1 a., et L'Aubergiste des Alpes, c. 3 a.

Les artistes étaient en grande partie les mêmes que ceux qui avaient figuré dans les quelques troupes précédentes:

MM. Desvignes, Duperche, St-Réal, Dumauoir, St-Franc, Gobert, Aubert, Geoffroi, le jeune Gobert, âgé de 7 ans;

Mmes Desvignes, Duperche, Dupont, Gobert, St-Réal, Deligny mère, Ad. Deligny.

M. Petit, directeur de l'orchestre.

Le sieur Desvignes commençait sa dixième année au théâtre de Liège.

L'impôt du décime par franc qui avait été établi l'année précédente, fut suspendu jusqu'à nouvel ordre à dater du 26 septembre.

Le 22 octobre, une production d'un anonyme vit lejour: Le 30 Vendémiaire de l'an VIII (22 octobre 1799), ou Bonaparte à Fréjus, impromptu nouveau en 2 actes, mêlé de couplets, chœurs, etc. Le 2 décembre, les artistes firent paraître une note ainsi conçue:

" Plusieurs personnes ayant paru désirer le complément de la troupe des artistes dans les deux genres, ils s'engagent à faire venir dans l'espace d'un mois, les sujets nécessaires, en proposant à cet effet un abonnement de 150 personnes à raison de 12 francs pour les hommes et 9 francs pour les dames, par 12 représentations. "

N'ayant pu réunir le nombre de personnes suffisantes, ils ne donnèrent pas de suite à leur projet.

Le 11 février, première représentation de: Derviche, ou l'île des femmes, comédie de Ste-Foix, arrangée par Modave, musique de Bodson, musicien de l'orchestre, et donnée au bénéfice de ce dernier.

Les œuvres indigènes furent assez fréquentes cette année. Pour son bénéfice, Duperche produisit encore une nouvelle traduction: L'Enfant de l'amour, ou quelles peuvent être les suites de la séduction, c. 5 a. et en prose, donnée le 22 février 1800.

Le 3 avril, au bénéfice de M. et Mme Gobert, on joua: Léonore, ou la lettre de cachet, c.3a., par un citoyen de cette commune.

A dater du 5 avril, les artistes se dispersèrent, quelques-uns qui étaient restés en ville firent la clôture le 20 avril, par La Forêt de Tolède, c. 1 a., Mathieu Laensbergh, ou les prophéties du grand Nostradamus, pantomime en 2 actes à grand spectacle, et L'Aimable folie parisienne, ou l'arrivée d'un jeune homme à la mode, op. vaud. nouveau, fait par un artiste de cette commune, qui ne peut être autre que Duperche, qui se trouvait être le grand fournisseur de la troupe.

Le directeur de la Troupe des jeunes artistes de Paris, de passage à Liège, annonçait qu'avec la permission des autorités constituées il ferait l'ouverture de son spectacle, composé d'opéras, comédies et ballets, le 15 juin 1800, par Alexis, op. 1 a., Orello, com. héroïque e n 2 a., et Les Caprices de Galathée, ballet anacréontique. Le lundi 14 juillet, cette troupe donna une pièce intitulée: Le 14 Juillet de l'an VIII, ou l'heureux avenir, v. 1 a., dû à la plume des citoyens Matrat et Derival, français habitant Liège.

Voici l'appréciation qu'en donne H. Delloye dans une revue qu'il publiait à cette époque :

" Les citoyens Matrat et Derival ont régalé les Liégeois d'un Heureux avenir, qui n'a pas été fort heureux le 14 juillet de l'an VIII. Cet impromptu en 1 acte, mêlé de chants et de vaudevilles, avait été appris dans le jour par des acteurs chargés d'autres études. L'ensemble manquait à la première représentation, mais à la seconde, le public a été parfaitement dédommagé et tous mes compatriotes partagent sa reconnaissance, envers les aimables auteurs français de la bonne roche, Rosatis de la meilleure société. "

Le 9 août, le directeur du spectacle prévient le public que, d'après la préférence accordée par la mairie au citoyen Aubert, il est forcé de quitter cette ville avec sa troupe, qui emporte avec elle la reconnaissance la plus pure des bontés dont le public l'a constamment honorée, et le regret sincère de ne pouvoir lui prouver par de nouveaux efforts et son attachement et son zèle.

Le 23 septembre, pour fêter l'anniversaire de la fondation de la paix, une société d'amateurs organisa une représentation composée de: Le Déserteur, o.-c. 3 a., et Le Bûcheron, ballet-pantomime.

Voici quelle était la distribution du Déserteur: (Non transcrit)


1800-1801

La nouvelle troupe qui se reconstitua pour l'année fut cette fois sous la régie du sieur Pierre Martineau dit Teaumarin. C'était le même artiste qui avait figuré dans la troupe de 1796-97.

Cette année encore, je n'ai pu trouver trace de spectacle, ni d'artistes jusqu'au 1er janvier.

Du 1er au 5 février, le citoyen Volange et sa société, comprenant Mme Volange, danseuse de Bordeaux, MM. Mérienne et Lefebvre, danseurs, donnèrent 4 représentations composées de ballets, etc...

Le 14 février, grand concert organisé par des amateurs et des artistes-musiciens au profit de ces derniers. Ce concert réunissait 160 instrumentistes distingués. Le conseiller d'état Redon, le préfet et sa famille qui y assistaient, partagèrent l'enthousiasme général des Liégeois en applaudissant à l'ensemble de l'exécution et au choix des morceaux.

De l'avis des connaisseurs, c'était sans contredit le plus beau concert que l'on eût encore donné en cette ville; l'orchestre se trouvait placé en amphithéâtre sur la scène. M. Henchenne en avait la direction. MM . Anciaux, Loncin, chanteurs amateurs, et Osmonde, fils, violoniste, s'y firent entendre .

Dans la soirée du lendemain 15 février, Mlle Sophie chanta les couplets suivants composés par le citoyen Constant, fils.

Nos alliés dans l'allégresse
S'honorent tous du nom français,
Nos ennemis dans la détresse
N'ont plus d'espoir que dans la paix.
Au premier feu perdant courage
Ils fuient ab hoc et ab hac,
Abandonnant armes et bagages
Jusqu'à leurs pipes de tabac.

Bonaparte par sa vaillance
Obtient le titre de vainqueur,
II mérite par sa clémence
Celui de pacificateur.
Bientôt d'accord sur les principes
Allemands, Russes et Français,
Chanteront en fumant leurs pipes
Vive Bonaparte et la paix.

La publication de la paix donna lieu à plusieurs productions indigènes; l'une d'elles, représentée le 22 février, sous le titre de: La Redoute liégeoise, impromptu patriotique, fut accueillie froidement par le public.

Une autre intitulée: La Paix, faite par M. Savanté, capitaine français, fut représentée le 31 mars. Cette pièce contenait des couplets frais et ingénieux.

La saison se clôtura le dimanche 12 avril, par Zémire et Azor, o.-c. 4 a.

Ce spectacle était donné à l'occasion du passage des troupes russes.

Le 9 mai, le citoyen Paris, régisseur de la nouvelle troupe qui n'est point celle destinée pour le spectacle de l'hiver prochain, annonçait qu'il donnerait 3 représentations.

Puis, le 4 juin, la Société des artistes dramatiques et lyriques qui avait obtenu l'agrément de la Mairie, de jouer pendant le courant de l'hiver prochain, débuta par L'Ami de la maison, o.-c. 3 a., et L'Epreuve villageoise, o.-c. 2 a.

Cette société, qui était encore sous la régie de Teaumarin, se composait des artistes suivants:

MM. Teaumarin, Marcel, Duprat, Pinçon, St-Franc, Théodore, De Laporte, Prost, Mercier, Belleville ;

Mmes Teaumarin, Bocquet mère, Bocquet fille, Belleville, Sauvage, Ponsignon, Pinçon, Dorval, Rainville.

M. Ponsignon, maître de l'orchestre.

Le citoyen Seigne, sa femme et ses enfants, artistes de Paris et qui depuis un an étaient venus se fixer à Liège, donnèrent à partir de cette époque, des danses et ballets de différents caractères. Ils continuèrent ce genre de divertissement, secondés parfois par quelques-uns de leurs élèves, pendant environ une quinzaine d'années.

A cette époque, l'abonnement était de 144 livres pour chaque loge de 8 personnes à 14 représentations par mois. Première représentation de: Les Deux Journées, o.-c.3a., le 20 juin 1801. Deux décorations nouvelles avaient été peintes pour la circonstance par M. Cabpay, artiste peintre liégeois.

Les représentations se poursuivirent jusqu'au 23 septembre. Ce jour-là, qui était l'anniversaire de la République, on donna Le Déserteur, o.-c. 3 a. La salle fut comble; les principales loges contenaient les militaires incommodés par d'honorables blessures; ces loges étaient décorées d'inscriptions et de lauriers.


1801-02.

Les artistes se rendirent alors à Verviers, où ils jouèrent tout le temps de la kermesse, puis revinrent à Liège pour faire l'ouverture de la saison le 24 octobre, par Maison à vendre, op.1a., et Gulnare, o.-c.1a.

Le 1er opéra était donné pour la première fois; deux décorations nouvelles avaient encore été peintes, mais cette fois par Lovinfosse, également peintre liégeois.

La troupe se composait toujours des artistes qui avaient débuté au mois de juin, et auxquels vinrent s'adjoindre MM. Lefebvre et Beaulieu et Mme Roland. M. Teaumarin en avait toujours la régie.

Un chroniqueur de l'époque nous fait connaître son appréciation sur les talents de sa femme: " Mme Teaumarin rappelle une élève de Thalie, c'est une actrice spirituelle et aimable, qui commande l'estime publique par ses mœurs et ravit le suffrage universel par ses talents. "

Le lundi 9 novembre, à l'occasion de la fête de la paix, représentation gratuite à 3 heures de l'après-midi. On représenta une comédie faite pour la circonstance, mais je n'ai pu en trouver ni le titre ni l'auteur. Les deux grandes loges d'avant-scène étaient réservées aux militaires blessés; le soir, il y eut grand bal organisé par la Mairie; 400 billets avaient été distribués aux fonctionnaires. Le préfet y parut au milieu de ses convives.

L'hiver dut être très rigoureux cette année, car le19 janvier on fit relâche relativement aux grands froids, et afin de donner le temps de placer des feux qui chaufferont la salle et les corridors, ainsi que deux foyers qui seront ouverts au public.

A la soirée du 24 janvier, un spectateur d'avant-scène s'étant permis de placer son chapeau sur le buste de Grétry, fut vertement réprimandé par le parterre auquel il dut en quelque sorte faire des excuses.

La soirée du 27 février, composée de: La belle Arsène, o.-c. 4a., et Le Délire, o.-c.1a., était donnée au bénéfice de M. Ponsignon, chef d'orchestre.

Le compte rendu nous informe que jamais recette ne fut plus brillante que celle du maître de musique, si l'on en juge par la quantité de spectateurs; les coulisses du théâtre étaient même garnies de monde, et pour parler en termes de l'art, la chambrée

était plus que complète. En bas de l'annonce du spectacle se trouvait une note avertissant le public que, pour le grand bal du mardi 2 mars, on pourrait se procurer toute espèce de costumes dans les loges d'artistes.

Le citoyen Belleville, artiste de la troupe, qui s'était permis d'apostropher le public, reçut de l'autorité la notification suivante:

"Le Maire, vu les plaintes des citoyens présents au spectacle du 13 mars, sur la conduite du comédien Belleville, qui s'est permis de tenir des propos et d'apostropher le public d'une manière indécente, arrête:

1° Le comédien Belleville ne pourra plus, à dater de l'insinuation du présent arrêté, paraître sur la scène du théâtre de Liège.

2° Il est ordonné aux directeurs de spectacle d'en interdire l'entrée au comédien Belleville, auquel le présent sera envoyé dans le jour. "

Plusieurs artistes ayant réclamé en faveur de leur camarade, chargé d'une nombreuse famille, l'interdiction ne porta que pour dix jours, à charge par lui de témoigner au public par des excuses le regret de lui avoir manqué dans lasoirée du 13.

Clôture le samedi 3 avril, par La Mélomanie, o.-c.1a.; Le Tombeau de Turenne, c.5a., et Les Cent êcus, c.1a.Le citoyen Beaulieu, artiste de Paris, jouait dans cette représentation qui était donnée à son bénéfice.

Cette saison dut être assez brillante, à en juger par le nombre et l'importance des opéras représentés et dont voici les titres:

Maison à vendre, o.-c. 1 a.; Gulnare, o.-c. 1a.; Le Prisonnier, o.-c. 1 a.; Adolphe et Clara, o.-c. 1 a.; La Fausse Magie, o.-c. 2 a.; Le Calife de Bagdad, o.-c. 1 a.; La Servante maîtresse, o.-c. 2 a.; La Maison isolée, o.-c. 2 a.; Les Deux journées, o.-c. 3 a.; Marcelin, o.-c. 1 a.; La Rencontre en voyage, o.-c. 1 a.; Le Trompeur trompé, o.-3. 1 a.; Lodoïska, op. 3 a.; Sophie et Moncars, o.-c. 3 a.; L'Opéra-comique, o.-c. 1 a.; Léon, ou le château de Monténéro, o.-c. 3 a.; Ambroise , o.-c. 1a.; Les Dettes, o.-c 2 a.; L'Épreuve villageoise, o.-c.2 a.; Renaud d'Ast, o.-c.2a.; Le Secret, o.c.1a.; L'Irato,o.-c.1a.;Pierre le Grand, o.-c.1 a.; Les Visitandines, o.-c. 2 a.; Azémia, o.-c. 3 a.; Les Deux petits Savoyards, o.-c.1a.; Montano et Stéphanie, o.-c.3a.; Raoul sire de Créqui, o.-c.3a.; L'Ami de la maison, o.-c.3a.; La Mélomanie, o.-c.1a.; LeTableau parlant,. o.-c. 1a.; L'Amant jaloux, o.-c. 3 a.; Roméo et Juliette, op. 3a.; Le Trente et quarante, o.-c. 1 a.; Alexis et Justine, o.-c. 2 a.; Félix, ou l'enfant trouvé, o.-c. 3 a.; Raoul Barbe Bleue, o.-c. 3 a,.; Le Grand deuil, o.-c. 1 a.; Sylvain, o.-c.1a.; Le Tonnelier,o.-c.1a.; Zoraïme et Zulnare,o.-c.3a.; Les Prétendus, op. 1a.; Le Déserteur, o.-c. 3 a.; Zémire et Azor, o.-c.4 a.; Marianne, o.-c. 1a.; Ariodant,o.-c.3a.; Les Deux chasseurs et la laitière, o.-c.1a.; La Dot, o.-c.3 a.; Le Comte d'Albert, o.-c.3 a.; La Caravane du Caire, op. 3 a,.; Adèle et Dorsan, o.-c.3a.; Sargines,o.-c.4a.; Le Major Palmer, o.-c.3a.; Le Traité nul, o.-c. 1a.; Le Petit matelot, o.-c. 1 a.; La Soirée orageuse, o.-c. 1 a.; Didon, op.3a.; Le Délire,o.-c.1a.; La Belle Arsène, o.-c.4a.; Béniowsky, o.-c.3a.; Le Magnifique, o.-c.3a.; La Caverne, op.3a.

Soit en tout 62 ouvrages dont 10 nouveautés.

Pendant l'été, il n'y eut pas de troupe permanente, la saison fut exploitée par divers artistes de passage.

Le 10 avril, la troupe du sieur Garnier, directeur de l'opéra-bouffon de Paris, donna: Le Voyageur allemand, c. 3 a.; Défiance et malice, c. 1a., et Les Liaisons dangereuses, c. 1 a.; les intermèdes étaient remplis par des physiciens.

Le prix des places était fixé comme suit: Loges 45 sous; secondes 36 sous; parterre 18 sous. Du 21 juillet au 1eraoût, les Artistes dramatiques et lyriques du Théâtre de Maestricht, viennent donner 4 représentations composées d'opéras et de comédies.

Puis le 1er septembre, Il signor Moldetti, célèbre virtuose italien, et Mlle Ducharme, réunis à d'autres artistes, donnèrent un concert- spectacle composé de: La Jeune Hôtesse, c.3a., et l'Original, c.1a.

Voici ce qu'ils promettaient, d'après les termes de leur programme:

"Au lever du rideau, il signor Moldetti chantera un duo à voix de femme et de haute-contre de la célèbre Bellington; entre les deux pièces, un duo de la Molinara, musique de Paisiëllo, avec accompagnement d'orchestre. Il terminera le spectacle par un trio tiré de l'opéra-buffa du célèbre Métastase, à voix de femme haute-contre et basse-taille, suivi d'un cantabile à voix de femme, avec accompagnement de mandoline, imité à s'y méprendre par le seul moyen de la bouche.

Ce virtuose réunit à un goût supérieur, un gosier d'une flexibilité tellement rare que trois des voix les plus belles et les mieux prononcées, ne produiraient pas un autre effet que celui qu'il offre dans l'exécution de ce trio.

Le public ayant souvent été trompé par les affiches, nous le prévenons qu'avec nous, il aura la liberté de reprendre le prix de son billet, fût-ce à la fin du spectacle, si cet exposé n'est pas rempli en rigueur.

Le prix des places est à l'ordinaire. "

Les 3 et 5 septembre, ils donnèrent deux autres représentations avec le concours du sieur Luchesi, professeur de piano venant de Spa.

A ceux-ci, succéda le sieur Horsonville, ancien directeur de l'Impromptu-comique, qui donna une soirée composée de trois vaudevilles en 1 acte, le 12 septembre. Ensuite deux concerts donnés les 19 et 23 septembre, par Meyer, musicien et chanteur de l'Electeur Palatin, qui imitait avec la bouche seule, tous les instruments à vent, et faisait entendre de la même façon le chant de cent oiseaux.

Pour finir la saison, on eut du 17 au 21 octobre des expériences de physique par le célèbre Delcour, qui était accompagné d'une troupe exécutant des exercices d'agilité. Dans cette troupe, se trouvait la Jeune Malaga (Françoise-Catherine Benefand, dite Malaga, qui naquit à Paris, le 18 janvier 1786. Elle débuta en 1796 au Théâtre Mareux, dans une troupe de danseurs connue sous la dénomination de Troupe de la Jeune Malaga). Le spectacle se complétait par les exercices du " véritable africain, monté sur un cheval et qui exécutait à l'entour du théâtre le grand équilibre de l'échelle brisée. " Paillasse faisait le grand saut de la planche en feu d'artifice.

Les prix étaient ceux de la comédie, les militaires payaient demi-place.


1802-03

La nouvelle troupe constituée, toujours sous la régie du sieur Teaumarin, n'attendait que le départ de ces équilibristes pour faire l'ouverture de la saison le 23octobre, par Le Major Palmer, o.-c.3a., et LesAmants protées, op.-v. 1 a.

Les principaux artistes étaient les suivants:

MM. Teaumarin, Lemaire, Chevalier, Lefebvre, St-Franc, Humbert, Moliny, Taillet;

Mmes Teaumarin, Humbert, Roland, Bocquet mère et Sophie Bocquet.

M. Ponsignon, maître de l'orchestre.

Rien de bien extraordinaire n'est à signaler pendant cette saison.

Le 16 avril, le sieur Lefebvre donnait pour son bénéfice: Pizarre, ou la conquête du Mexique, grand mélodrame historique en 3 actes, suivi de: Le Temple de la paix, grand feu d'artifice de théâtre. Le citoyen Félix, chef de musique de la 94e demi-brigade, prêtait son concours en jouant un concerto de clarinette.

Le citoyen Lefebvre avait adressé le quatrain suivant aux dames:

Daignez le protéger et remplir son attente,

Les grâces sur vos pas embelliront ces lieux.

Mais tel brillant que soit le feu qu'il vous présente

Il ne peut égaler l'éclat de vos beaux yeux.

La clôture eut lieu le lendemain 17 avril, par Ma Tante Aurore, o.-c.2a., et Une Folie, o.-c. 2a.

Le 20 avril, le sieur Leclercq organisa un grand concert exécuté par une centaine de musiciens, et dans lequel on entendit une cantate à deux chœurs et à deux orchestres.

Cette année avait encore été très complète car elle comprenait 92 représentations composées de 62 opéras, et 35 comédies, drames ou vaudevilles.

La saison d'été s'ouvrit alors le jeudi 5mai, par La Belle Arsène, o.-c. 4 a., et Adolphe et Clara, o.-c. 1 a.

C'était toujours la même troupe renforcée de:

MM. Désiré, Juliot et Derval; Mmes Désiré, Ribon et Caron;

M. Vauclin, maître de l'orchestre.

Ce dernier était le frère de Mme Teaumarin et s'était déjà fait entendre dans la soirée du 6 février 1797.

M. Dubus, artiste de Rouen, joua dans les soirées du 19 mai et 6 juin. C'est le même que nous retrouverons directeur du théâtre en 1821-22.

Le 4 et le 6 juin, le célèbre Palatini, vénitien, exécuta plusieurs expériences de physique et magie.

Le premier consul Bonaparte, qui, vers cette époque, faisait une tournée dans les provinces du Nord, arriva à Liège le 1er août 1803. A cette occasion, on organisa de grandes réjouissances. Un concert-spectacle fixé pour le lendemain ne put avoir lieu, Bonaparte ayant dû quitter Liège plus tôt qu'il ne croyait, par suite de graves questions politiques. Ce concert fut remis au dimanche 7août, et était composé comme suit:

1re Partie.

1° Ouverture à grand orchestre.
2° Air du Sacrifice d'Abraham, par Mlle Manent.
3° Symphonie concertante de cor et de harpe, exécutée par MM. Fred. Duvernoy et Dalvimare.

2me Partie.

1° Ouverture à grand orchestre.
2° Concerto de violon exécuté par M. KREUTZER.
3° Scène d'Ariodant chantée par Mlle Manent.
4° Trio de la composition de M. Kreutzer, exécuté par l'auteur et MM. Duvernoy et Dalvimare.

Une pièce de circonstance avait été faite à l'occasion du passage du Premier Consul par Fournera St-Franc et Moliny, artistes du théâtre, mais elle ne fut pas représentée. Elle portait pour titre: Le Génie français, ou amour et reconnaissance, impromptu épisodique en 1 acte, mêlé de vaudevilles, orné de tout son spectacle et terminé par un hymne à grand orchestre, ballet et feu d'artifice. L'hymne était de la composition du citoyen Vauclin, maître d'orchestre; les ballets du citoyen Seigne, professeur de danse.

Le lundi 22 août, grand concert instrumental donné par M. Charles Schneyder, professeur d'harmonica.

Entre la 1re et la 2eme partie, une société, passant par la ville pour se rendre à Amsterdam, donna conjointement: Le Diable à quatre, pantomime impalpable à l'instar de Londres.

" N.B. Après le concert, M. Schneyder se fera un véritable plaisir de montrer aux Messieurs et Dames, l'instrument dit l'Harmonica, pourvu qu'on ne touche pas aux cloches. "

Le 27, il donna un 2e concert; le prix était fixé à fr.1-50.

Du 11 au 27 septembre, 3 représentations données par M. Vivier de Saint-Aubin, artiste de Paris, successeur des fameux Comus et Pinetti.

Puis ensuite, M. Sainval, autre physicien, donna 4 séances du 2 au 9 octobre. Son programme, qui tendait à produire les illusions les plus agréables, était composé de la manière suivante: "

1° Du feu de Bengale ou la lumière du soleil.

2° Des effets de la pompe pneumatique par une combinaison de gaz.

3° D'une expérience frappante, démontrant la puissance surnaturelle d'un regard savamment dirigé, phénomène le plus étonnant de la sympathie, suivie d'autres expériences nouvelles et variées et terminées par la fantasmagorie ou apparition d'ombres et fantômes, telles que firent les anciens savants et prophètes, pour rendre leurs oracles et s'inscrire dans la postérité.

On verra Ariston sortant d'un puits; le Premier Consul tenant les rênes du gouvernement sur son char de l'immortalité; Diogène cherchant un sage; Vénus sur une escarpolette de dames, précédée des bacchantes et danseurs; la Nonne sanglante; divers spectres, fantômes et prestiges de toute espèce.

Ces séances obtinrent un très grand succès.


1803-04.

La troupe de retour de Spa, ouvrit alors la saison le samedi 29 octobre, par Marianne, o.-c.1a., et Le Dissipateur, c.5a.

Elle était composée des éléments suivants:

MM. Teaumarin, Humbert, St-Franc, Moliny, Dorval, Lefebvre, Juliot, Désiré, Lemoule;

Mmee Teaumarin, Humbert, Moliny, Désiré, Adèle Moliny, Sophie Moliny, Bocquet mère, Sophie Bocquet, Lefebvre.

M. Vauclin, maître de musique.

Le 3 décembre, ballet-pantomime, intitulé: Les Bûcherons, de la composition de Seigne.

Une œuvre indigène voit encore le jour, le 14 janvier 1804: L'Aveugle par amour, ou la femme à l'épreuve, c. 1 a., composée par un amateur de la ville.

Au bénéfice de Seigne, le 28 janvier, dans un nouveau ballet de sa composition, les citoyens Fleury et Germain, du 26e régiment de chasseurs, dansèrent les principales entrées.

La clôture eut lieu le dimanche 15 avril, par Le Mariage secret, op. 2 a., et Le Pèlerin blanc, d. 3 a.

La troupe se rendit encore à Spa pendant l'été et abandonna la salle à quelques artistes de passage.

Le 5 mai, vint M. Garnier, directeur et administrateur de l'opéra-bouffon de Paris, et M. Érasmus et sa compagnie réputée la plus extraordinaire de l'Europe pour la danse et les exercices d'agilité. Ils donnèrent: Défiance et malice, v. 1 a., et Frosine, v. 1 a. M. Erasmus remplissait les intermèdes et terminait la soirée par le saut du tremplin en franchissant une ligne de 24 hussards.

Le 7 mai, 2e représentation dans laquelle on donna: Le Char infernal, composé de 130 pièces d'artifice. Erasmus y sautait au milieu des flammes.

Puis, vers la fin de l'été, une troupe s'intitulant: Les Comédiens ordinaires de S. M. l'Impératrice, et arrivant d'Aix-la-Chapelle, s'arrêta à Liège, pour y donner 4 représentations les 13, 14, 15 et 16 septembre, lesquelles se composèrent de: Le Collatéral, c.5a.; Le Vieillard et les jeunes gens, c.5a.; Le Vieux comédien, c.1a.; Le Voyageur, c. 3 a.; Les Conjectures, c. 1 a.; La Petite ville, c.4 a.; M. Musard,c.1a.

La troupe comprenait les artistes suivants:

MM. Picard, Picard jeune, Vigny, Clozel, Barbier, Bosset, Valcourt;

Mmes Picard, Molière, Pelicier, Beffroy, Adeline.

M. Picard était l'auteur de la plupart des pièces jouées ci-dessus.

C'était vraiment une bonne fortune que le passage imprévu de ces comédiens, car ils étaient remarquables par le talent de chaque acteur et le bel ensemble qu'offrait leur réunion. Dans la représentation du 13, où l'on avait joué Le Collatéral, à la fin de la pièce, l'ingénieux Picard en s'adressant au buste de Grétry, placé sur un des côtés de l'avant-scène, chanta le couplet suivant, qui fut couvert d'applaudissements et redemandé par tous les spectateurs.

Pour suivre l'impératrice
Nous avons quitté Paris.
Le destin toujours propice
Nous conduit en ce pays.
Nous saluons ta patrie,
Toi, de Glück heureux rival,
Et du dieu de l'harmonie
Le charmant collatéral.


1804-05.

Pour la cinquième fois, la troupe intitulée: Société des artistes dramatiques et lyriques, toujours sous la régie de Teaumarin, revint de Spa pour faire l'ouverture de la saison le 21 octobre, par Euphrosine et Coradin, o.-c. 3 a., et Les Prétendus, op.1a.

Elle se composait des artistes suivants:

MM. Teanmarin, d'Harcourt, Humbert, Lefebvre, Lemaire, Moliny, Fleury;

Mmes Teaumarin, Humbert, Désiré, Fleury, Lemaire, Bocquet, Bocquet fille, Sophie, Pauline et Adèle Moliny ;

MM. Saigne, Roland et Fleury, danseurs.

M. Vauclin, maître de l'orchestre.

Dans la soirée du 22 novembre, à propos du départ du général Loison, qui était délégué pour assister à Paris aux fêtes du couronnement de l'empereur Napoléon, Mme Désiré chanta un couplet de circonstance qui avait été composé par Moliny.

La cérémonie du couronnement avait provoqué des réjouissances dans tous les pays qui se trouvaient sous la domination de l'empire. A Liège, elles eurent lieu le dimanche 2 décembre 1804. Parmi ces réjouissances, il y eut le mariage de la jeune fille dotée par S.M.I. en présence de toutes les autorités civiles et militaires. Après l'union des époux devant l'officier de l'état-civil, ceux-ci se rendirent à la cathédrale et de là revinrent à l'Hôtel de ville, où un dîner de 50 couverts avait été préparé. A l'issue de ce dîner, ils assistèrent au spectacle qui était gratuit et composé de: La Rosière de Salency, o.-c.3a., e La Dot, o.-c.3a.Une loge avait été décorée et préparée pour les recevoir. Cet usage se continua chaque année jusqu'à la chute de l'empire.

D'après un compte rendu publié dans la Gazette de Liége de Latour, du 1er janvier 1805, et duquel je prends quelques extraits, nous pourrons connaître la valeur des principaux artistes:

" ...Par exemple, qui ne serait enchanté de l'étendue de voix de Mme Humbert, de la clarté, de la précision qu'elle déploie dans presque tous ses rôles, surtout dans les airs de bravoure? Le chant de M. Lefebvre a plus d'un trait de ressemblance avec celui de l'inimitable Elleviou. M. Lemaire a étudié avec soin Solié, dont il a choisi les rôles, et approche souvent de son modèle... Mlle Bocquet, ce talent naissant qui n'attend qu'un grand maître pour se déployer avec éclat, et qui promet une des premières virtuoses de la scène lyrique, a chanté avec beaucoup de goût et de méthode.

Mme Teaumarin est née pour les rôles de séducteur ou de coquette. Elle se surpasse dans celui de Lindor et de Verseuil. Je voudrais la voir ainsi toujours à sa place; je voudrais que des intrigues de coulisses ne privassent pas souvent le public du plaisir de voir dans certains premiers rôles, une de ses compagnes qui le rendrait infiniment mieux qu'elle.

Je vous adresserai quelques autres observations.

Je vous salue.

L'Observateur du parquet. "

Comme on pouvait l'espérer par cette note, la saison promettait d'être assez brillante. Il ne put malheureusement en être ainsi. Ce jour même, 1er janvier, on donnait: Les Deux journées, o.-c.3a., et Les Etrennes, ou l'heureux quiproquo, c. 1 a.; ce devait être hélas la dernière représentation donnée à ce théâtre. Peu après la fermeture des portes, vers 2 heures du matin, le feu prit à une loge d'artiste par suite du charbon allumé qu'on avait négligé d'éteindre, et consuma entièrement la salle. Le même chroniqueur nous fournit les renseignements suivants:

"Au moment où je me disposais à rendre justice aux artistes infortunés du Théâtre de Liège, leur dispenser le tribut d'éloges qu'ils avaient si bien mérité dans l'exécution de deux pièces jouées hier à ce théâtre, le son funèbre de la cloche d'alarme vient m'annoncer le fatal événement de l'incendie, qui réduit les sociétaires à un état déplorable. Ces infortunés ont non seulement perdu tout le produit d'une moisson abondante que leur promettait la saison, mais l'espoir et tous les moyens de pourvoir désormais à leur existence. Tous les costumes et magasins ont été la proie des flammes, tout le fruit d'un travail pénible de vingt années a péri dans un instant. Je vous invite, Monsieur, à faire promptement un appel aux âmes bienfaisantes pour subvenir aux besoins de tout genre, qui vont accabler des artistes estimables et devenus si respectables par le malheur. Chargés pour la plupart d'une nombreuse famille, seuls appuis d'enfants en bas âge ou de vieillards chargés d'infirmités, que vont devenir tant d'infortunés au milieu d'une saison rigoureuse et si éloignés encore des engagements de leur profession...

D'après les renseignements exacts que j'ai pris, il paraît que les pertes faites par cette terrible catastrophe, se réduisent à la ruine totale des artistes du théâtre. Dans les accidents qui accompagnent ou suivent les incendies, un seul travailleur a eu une jambe et un bras cassés par la chute d'une poutre détachée par la flamme.

Les citoyens de la ville se sont portés en grand nombre aux endroits où le feu menaçait le plus les maisons voisines; les gendarmes, les vétérans, le petit nombre des hussards, la mairie, les commissaires de police, l'état-major de la place, ont signalé dans cette occasion un zèle, une surveillance, qui méritent les plus grands éloges et qui ont prévenu les désastres dont étaient menacés les voisins, dont aucune maison quoique très rapprochée de la salle n'a été endommagée.

L'Observateur du parquet. "

Cette salle, la quatrième, se trouvait anéantie de cette façon après une existence de trente-huit ans.

Une oeuvre d'art dont la perte excita de vifs regrets, fut le beau buste de Grétry installé en 1780 et qui périt dans les flammes.

Afin de répondre aux intentions de L'Observateur, une souscription volontaire fut ouverte dans les bureaux de la Gazette de Liége au bénéfice des Artistes incendiés.

Les représentations se trouvant forcément interrompues, les comédiens se mirent en quête d'un local propre à leur faciliter la continuation de leurs talents. Ils choisirent deux salles, l'une située près de l'ancienne Place aux Chevaux et appelée Théâtre Bernimoulin, du nom de son propriétaire, l'autre située derrière St-Jacques, dans une propriété particulière appartenant à Mme de Calwaert, où se trouvait aussi un petit théâtre avec un rang de loges. Ils comptaient jouer alternativement dans l'une et l'autre de ces deux salles. Ils commencèrent leurs représentations le dimanche 6 janvier 1805, en jouant dans les deux salles le même jour. Dans la première on donnait: Frosine, ou la dernière venue, op.-v. 1 a., et Le Tartufe de mœurs, c. 5 &., et dans la seconde, L' Opéra-comique, o.-c. 1 a., et Les Prétendus, op. 1 a.

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