I. - LE MUSÉE D'ARTILLERIE
Il manque à notre ville un Musée d'Artillerie et d'Armurerie (1). L'absence d'une pareille institution frappe les étrangers eux-mêmes. A tous les points de vue, un Musée de ce genre serait des plus utiles.
Pour notre population ouvrière, il serait un bienfait. Une visite qu'y ferait l'ouvrier l'instruirait, en un moment, des inventions qui ont opéré des révolutions dans la fabrication des armes, suggérerait à son esprit des idées de perfectionnement, et le mettrait peut-être sur la voie de découvertes nouvelles.
Nous ne sommes plus au temps où la routine suffisait pour confectionner les différentes espèces d'armes. Aujourd'hui, pour soutenir la concurrence, l'armurier doit constamment améliorer sa fabrication. Les moyens d'acquérir l'instruction doivent donc grandir à mesure que l'industrie croit et prospère (2).
Il ne serait pas bien difficile de former une collection des différentes espèces d'armes sorties des ateliers de Liège. Pour les armes anciennes, il serait permis de compter sur des dons provoqués par le patriotisme de nos concitoyens. Quant aux armes modernes, on pourrait obtenir du gouvernement une mesure qui rendrait obligatoire le dépôt, dans le futur Musée, des échantillons et modèles des brevets délivrés.
En peu de temps, nous le pensons, ce Musée acquerrait une grande importance, non seulement pour les armes de notre époque, mais même pour les armes des vieux âges. Peut-être, par suite d'heureuses trouvailles faites dans de poudreux greniers, et la foi aidant, pourrait-on y placer, un jour, les épées célèbres d'illustres Liégeois des temps passés, la Joyeuse de Charlemagne, la Flamberge de Maugis d'Aigremont, la Durandal de Roland (3), et la Courtain d'Ogier l'Ardenois, qui était longue de trois pieds et huit pouces, et qui pesait cinq livres et quatre onces, - ni plus ni moins (4).
En attendant, on y verrait, à coup sûr, des armes remarquables par leur fini, par leur bon goût, et qui auraient pour nous tous un grand intérêt, car elles nous apprendraient les noms d'armuriers dignes de mémoire, de sculpteurs de ciseleurs et de graveurs dont Liège peut être fière à juste titre.
Note du webmestre:
Le musée verra le jour 27 ans plus tard, en 1885, dans l'Hotel de Hayme de Bomal,
propriété donnée par le fabricant d’armes Pierre-Joseph Lemille.
II. - LA FABRIQUE D'ARMES DE LIEGE
S'il est une industrie éminemment liégeoise, c'est, sans contredit, celle des armes.
Par son antiquité, elle laisse bien loin derrière elle toutes les fabriques d'armes de France et d'Angleterre (5).
Son origine se perd, comme on dit, dans la nuit des temps (6).
Le plus ancien des trente-deux bons Métiers de notre Cité, était celui des Febvres (7).
Par le mot Febvres, on entendait, chez nous, tous les artisans qui travaillaient les métaux, tels que les fondeurs, les forgerons, les serruriers, les cloutiers, les ferronniers, les couteliers, les armuriers, les fourbisseurs (8). C'était des ateliers de ces derniers que sortaient les grandes épées dites d'Allemagne, si célèbres au temps de la chevalerie (9).
Au moyen-âge, dans presque toutes les villes de l'empire d'Allemagne, les ouvriers qui exerçaient une même profession habitaient une même rue ou un même quartier. A Liège, les Febvres occupaient presque toute cette partie de la Cité, entourée des eaux de la Meuse, qui était nommée l'Ile des Febvres; une rue de ce quartier porte aujourd'hui encore le nom de I'Ilet ou Lulai des Febvres (10).
Dans ces temps reculés, le commerce des armes et des armures devait être très prospère. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler quel était le costume des gens de guerre d'alors. Voici comment un des biographes de Charlemagne décrit l'armée qui marchait à la conquête de la Lombardie, en 774:
« Charles, cet homme de fer, avait la tête couverte d'un casque de fer, les mains garnies de gantelets de fer, la poitrine et le dos protégés par une cuirasse de fer; il brandissait de la main gauche un sceptre de fer, et appuyait la droite sur son épée invincible. Ses cuisses étaient bardées de fer, et ses pieds bottés de fer. Son bouclier était tout de fer. Le cheval qu'il montait était caparaçonné de fer. Tous ceux qui le précédaient, tous ceux qui chevauchaient à ses côtés, tous ceux qui le suivaient, toute l'armée presque, avaient des armes semblables, autant que les moyens de chacun le permettaient. Les champs et les routes n'étaient ainsi couverts que de fer, et le soleil ne dardait ses rayons que sur du fer. Ce fer si fort cependant était porté par un peuple plus fort encore. Aussi, se sauvait-on à la vue de tout cet horrible fer (11).
Au XIIIe siècle, tous les cavaliers ou gens d'armes étaient encore armés de cuirasses, de brassards, de cuissards, de jambards, de casques, de gantelets et de souliers de fer; les chevaux étaient aussi couverts de lames de fer (12).
Les bourgeois des villes et les manants des communautés étaient constamment armés, même en temps de paix (13).
Ces faits expliquent aussi la grande diversité des armes offensives d'alors, armes qui étaient connues sous le nom générique de bâtons (14).
En 1394, on publia, pour les bourgeois de Liège, un Ject des bastons ou règlement sur le port des armes. On y énumère, comme armes offensives, les coutealz taille-pain, daghes, espées, spaffus, haches, glayves, beches de falkon, maches, spiers, martea, bazelars et bredars (15).
Ces armes étaient, sans doute, celles que nos Febvres fabriquaient le plus communément. C'étaient, on le voit, de lourdes épées à deux mains, des sabres, des poignards, des haches à deux tranchants, et des masses de toutes sortes.
Mais une grande révolution allait bientôt s'accomplir dans la fabrication des armes par l'invention de la poudre.
Les peuples de l'Occident, en courant aux Croisades, avaient apprécié, on le sait, les avantages que les Orientaux retiraient des feux de guerre nommés feu grégeois. Les Arabes avaient rendu plus redoutables ces compositions incendiaires, en y ajoutant du salpêtre. La propriété explosive des mélanges salpêtrés ne tarda pas à être reconnue; elle fut appliquée à l'art de lancer au loin des projectiles, et c'est ainsi, vers le milieu du XIVe siècle, que l'artillerie à feu prit naissance en Europe (16).
La nouvelle découverte, qui servit d'abord à l'attaque des villes (17), fut ensuite appliquée à l'attaque des corps d'armée dans une bataille (18). Après bien des essais, la poudre finit par fournir une arme individuelle. Ce pas important dans l'emploi de cette matière se fit vers 1425, époque où, de l'énorme bombarde, on passa aux canons, ainsi nommés à cause de leur ressemblance avec la forme de la canne. Ces canons manuels, que l'on appuyait sur de grandes fourchettes de fer, se perfectionnèrent à leur tour, et, en se combinant avec le pied de l'arbalète, ils donnèrent, naissance à l'arquebuse, qui fut beaucoup plus maniable, quoique bien imparfaite encore. L'arquebuse partait au moyen d'une mèche allumée, qu'on tenait à la main; bientôt on inventa un ressort qui mettait en mouvement la mèche et l'abaissait sur l'amorce. Ce mécanisme compliqué, qui rendait si difficile ou si peu commode l'usage de l'arquebuse, se maintint jusqu'à la découverte du rouet (1517), qui ne produisit plus le feu avec une mèche, mais au moyen d'une pierre de silex. Celle-ci, par la détente du rouet, s'abattait sur la platine, et faisait jaillir des étincelles qui enflammaient la poudre du bassinet (19). Au rouet fut enfin substitué, vers 1625, le chien, qui fut le dernier perfectionnement de ce mécanisme. Le fusil était trouvé (20).
Après l'invention de l'artillerie à feu, les armuriers liégeois se mirent à fondre (21) ou forger toutes les pièces, de formes et de dimensions diverses, qui furent successivement mises en usage, depuis les bombardes, qui mesuraient dix-huit pieds de longueur (22), jusqu'aux gros et courts pierriers, depuis l'arquebuse jusqu'au pistolet. Dans ce dernier genre, on alla même, comme de nos jours, jusqu'à l'infiniment petit, jusqu'à la miniature. Nous avons vu et tenu dans nos mains deux pistolets à rouet, datant du XVIe siècle, qui n'avaient pas plus de trois pouces de long, et qui étaient exécutés avec une rare perfection (23).
On fabriquait déjà de la poudre dans notre pays au commencement du XVIe siècle. Elle était d'excellente qualité (24).
Ce fut aussi vers ce temps, croyons-nous, que le mot armurier fut employé pour désigner particulièrement ceux qui fabriquaient des armes.
Auparavant, les artisans connus sous cette dénomination ne faisaient pas des armes, mais des armures pour les hommes et pour les chevaux. Ceux qui fourbissaient et montaient les dagues, les épées, les haches, les hallebardes, en un mot, les différentes espèces de batons, s'appelaient fourbeurs. Dans une charte de 1318, on voit figurer, au nombre des témoins, un fourboir d'espées. Cependant, dans un document de 1534, on lit que, « d'ancienneté, les Febvres et armoyers (25) font les espées, dagues et couteaux (26).»
A cette époque, la ville de Liège, qui réunissait dans ses murs assez d'usines, d'ateliers et d'ouvriers pour fournir promptement une grande quantité d'armes et de munitions, avait, en temps de guerre, une importance extrême. Aussi, son alliance était-elle vivement recherchée par les parties belligérantes. En 1576, les Gueux, en pleine lutte contre l'Espagne, essayèrent de l'attacher à leur cause. « Si elle demeure à nostre avantaige, disaient-ils, et que par là nous puissions être furniz de ce qui nous est nécessaire, et qu'au contraire l'ennemy ne s'en puisse servir des commoditez provenantes d'icelluy, lesquelles sont de telle importance et considération que, si l'on y pourvoit, comme il appartient, à ce que les ennemis en soient forcloz, ils se trouveront quant et quant desnués de tout moyen d'assieger aucune ville pour la battre, estant desgarniz de balles et autres amonitions nécessaires (27). »
Vers 1600, en Allemagne, on faisait un « cas spécial des advantages particuliers qu'on pouvoit tirer du Pays de Liege, tant pour la levée et valeur des soldats, que pour livremens d'armes et autres munitions militaires (28).»
Durant le XVIIe siècle, si fécond en guerres, « tous les jours nostre Estat furnit à tous partys armes et munitions (29). »
Notre Cité, lorsqu'elle voulait s'attirer les bonnes grâces d'un voisin puissant, ne trouvait rien de mieux que de lui faire cadeau d'armes remarquables par leur fini et leurs ornements. En 1631, les bourguemestres Beeckman et La Ruelle « firent présent à Sa Majesté Imperialle » de quelques chariots chargez de belles pertuisanes, halebardes et autres armes accommodées et montées à la plus brave sorte, au nom de la Cité (30).
Ce qui ne doit pas être passé sous silence, c'est que nos fabricants vendaient leurs armes à un bon marché dont les étrangers étaient émerveillés. On écrivait en 1688: « Le principal trafic de la ville de Liege consiste en armes, qui sont à tres juste prix: un bon fusil coustera au plus six livres, et une espée quarante sols... (31)
Vers le milieu du siècle dernier, la réputation de nos manufactures s'étendait au loin. Liège exportait une grande quantité de fusils et de pistolets, de canons et de mortiers, et un nombre prodigieux de projectiles, tels que boulets, bombes et grenades (32). Plus de cent mille mousquets, fusils et mousquetons étaient livrés annuellement au commerce (33).
Les principaux débouchés étaient les différents États de l'Allemagne et du Nord, la Hollande, la France, l'Espagne, le Portugal, la Turquie et l'Amérique du Sud (34).
Aujourd'hui, Liège expédie dans le monde entier ses armes à feu portatives (35). Sa fabrication a pris une énorme extension. L'an dernier, par exemple, les canons pour fusils et pour pistolets éprouvés au Banc d'épreuve, se sont élevés à plus de six cent mille.
Ce chiffre se répartit ainsi
268 967 |
fusils à un coup. |
99 392 |
fusils à deux coups. |
21 344 |
fusils-bords. |
27 065 |
pistolets d'arçons (par paire). |
116 246 |
pistolets de poche (par paire). |
66 404 |
armes de guerre (mousquets, mousquetons et carabine). |
|
|
599 208 |
Total |
Dans ce nombre, on ne compte point les armes plus ou moins défectueuses qui n'ont pas été poinçonnées.
Certes, il n'est en Europe aucune manufacture d'armes qui produise davantage (36).
(1) Au moyen-âge on nommait artillerie la partie du matériel de guerre qui comprenait toutes les machines servant à lancer des pierres, des traits et des matières combustibles. Après l'invention de la poudre, le mot artillerie désigna également les canons, mortiers pierriers, etc. On entend aujourd'hui par armurerie l'art, la fabrication des armes portatives à feu et blanches.
(2) Les jours passés, un de nos concitoyens, dont on connaît le patriotisme éclairé et la parole aussi facile qu'élégante M. d'Otreppe, dans ses Tablettes liégeoises, liv. XXIII, p. 33 adressait une lettre à nos fabricants d'armes en faveur de la création d'un Musée d'artillerie Nous en extrayons ces lignes:
« Messieurs, on a dit et on le répète sans cesse: Liège n'a pas de rivale pour ses belles et nombreuses fabriques d'armes. Estimés et recherchés partout, ses fusils de luxe sont répandus dans le monde entier. Leur réputation, qui remonte loin dans le passé, s'accroit et chaque jour obtient plus de retentissement et d'éclat. Cette renommée toujours grandissante, ne la doit-on pas, Messieurs, aux utiles, aux ingénieux perfectionnements que chacun de vous apporte dans sa fabrication ?
Mais où sont réunis tous ces magnifiques produits d'une industrie qui ouvre un immense atelier au travail et une source de richesses pour la ville et la province?
Cette question, qu'adressent les nombreux étrangers qui visitent notre belle cité, reste sans réponse.
N'est-il pas temps enfin, Messieurs, de mettre un terme à ce silence affligeant? Le moyen serait la création d'un Musée d'armes... »
(3) L'épée de Roland, ainsi que le cor d'ivoire dont l'illustre neveu de Charlemagne avait sonné si terriblement à l'affaire de Roncevaux, étaient suspendus, en ex-voto, dans le choeur d'une de nos églises (St Jean en Ile), in coenobio quodam Leodiensi, croyait-on au siècle passé. Schmincke le disait déjà en 1711: Gladius Rolandi Durenda, et tuba ejus eburnea, ostenditur juxta Leodium. (Voir son édition d'Eginard, De Vita et Gestis Caroli Magni, p. 55.) Durandal était un présent de Charlemagne à Roland, si l'on en croit un poêle du XIIe siècle:
Quem patruus magnus Karolus huic dederat.
(4) Le poids total du sabre actuel est, comme on sait, de deux livres dix onces environ.
L'épée Courtain avait trois pieds et un pouce de lame, trois pouces de largeur vers la garde, un pouce et demi vers la pointe, et la garde était longue de sept pouces, dit Mabillon, qui la mesura et la pesa dans l'abbaye de St.-Faron, près de Meaux, où elle était conservée. C'était avec une de ces épées à deux mains, remarque ce savant, que l'on pourfendait un homme armé de toutes pièces: Ejusmodi spatas utraque manu antiqui pugiles versabant; iisque hominem, quantumvis cataphractam secabant in duas partes. (Acta Sanctorum Ordinis S. Benedicti, t. V, p. 656.)
(5) La fameuse fabrique d'armes de Birmingham est toute moderne; on ignore aux ouvriers de quelle nation elle doit son origine ce qui serait facile à dire cependant, en examinant le vocabulaire en usage dans les ateliers. En 1685, la population de cette ville n'était que de quatre mille habitants. En cette année, personne n'avait encore entendu parler des fusils de Birmingham, dit Macaulay, en son Histoire d'Angleterre, t. I, p, 255.
Les principales manufactures d'armes de France doivent beaucoup aux armuriers liégeois qui émigrèrent en 1791 et en 1793, lors de l'arrivée des Autrichiens. « Ils se fixèrent à Charleville, et ce sont eux qui ont fourni et formé les meilleurs armuriers des manufactures de Saint-Étienne, de Maubeuge et de Versailles. » (1809.) - « La fabrique d'armes de Liège, écrivait-on en 1804, est une des plus anciennes de l'Europe; elle peut être regardée comme la mère de la célèbre manufacture de Saint-Etienne, qui, dans son origine, fut peuplée d'ouvriers Liégeois ». (Quelques souvenirs sur le Pays de Liège, p. 36.) C'est ce que reconnait aussi un écrivain français: « De toutes les manufactures d'armes, aucune n'a encore surpassé celle de Liège: on y fait depuis l'argolet qui sert à la traite des Nègres, jusqu'au fusil le plus achevé. Cette fabrique jouit, depuis longtemps, de la plus grande réputation; on pourrait dire, même, qu'elle est la mère de celles qui ont le plus de célébrité; car les manufactures de Saint-Étienne en Forez, de Charleville, de Maubeuge, etc., sont, pour ainsi dire, de ses colonies, puisqu'elles ont été formées des émigrations des armuriers Liégeois. » (Peuchet, Dictionnaire universel de la Géographie commerçante; Paris, an VIII; t. IV, p. 781.)
Les fabriques d'armes de la Prusse doivent aussi quelque chose à nos armuriers. « La fabrique d'armes à Spandow et à Potzdam appartient à un particulier. La fabrication va à six mille pièces de fusils, sans les sabres et bayonnettes... Au reste, les canons de fusil sont forgés par des Liégeois .... » (Mirabeau, De la Monarchie prussienne; 1788, in-4°, t. I, p. 469.)
(6) Il est impossible d'assigner une date à cette origine. Un étranger, à qui nos traditions historiques étaient peu familières, a pu seul écrire: « La fabrication des armes est tellement ancienne à Liège, qu'une tradition populaire la reporte au temps des Croisés, qui doivent l'avoir apprise chez les Sarrasins. » (Loebel, Lettres sur la Belgique, p. 399.)
(7) C'est parce qu'il était le plus ancien des Métiers, que le Métier des Febvres avait la préséance dans toutes les cérémonies. Princeps haec est caeterarum, et in omnibus scitis, rogationibus, consessibus, coitionibusque publicis primas tenet. (Vlierden, Tractatus de numero et ordine Duarum et Triginta Tribuum Inclitae Civitatis Leodiensis, p. 13.)
(8) Chaque classe de ces artisans formait un membre distinct du Métier des Febvres; chaque membre avait des chefs et des statuts qui lui étaient particuliers. Voir les Chartes et Privilèges des XXXII bons Métiers de la Cité de Liège, t. I, p. 9 et suiv.
(9) En Allemagne, au moyen-âge, « la fabrication des armes et celle d'un grand nombre d'ustensiles en fer ou en cuivre avaient une grande activité, particulièrement à Liège... » (Rochelle. histoire des Villes anséatiques, p. 89.) - Ce n'est pas ici le lieu de parler du commerce étendu des Liégeois dans les vieux temps. Pour en donner une idée, il suffira, sans doute, de citer ce fait: c'est que l'Angleterre était ouverte à nos marchands dès avant le X siècle On voit, par un statut de Londres de l'an 979, qu'ils pouvaient y exporter toute espèce de marchandises, pourvu qu'ils payassent le tonlieu. Such Traders as came from Liege and other Places travelling by land, opened their and paid Toll. (Anderson. History of the great Commercial Interests of the British Empire, t I, p. 52. Voir aussi notre Histoire du Pays de Liège, t.I, p. 59.)
(10) Les noms des principales rues de Liège attestent que cette Cité fut jadis un grand atelier de batteurs. Le nom de la rue Féronstrée vient de ce qu'elle était habitée par tous ferons, c'est-à-dire, par des forgerons, serruriers, taillandiers, etc. Feronstreana, sive Ferrariorum vicus seu strata, dit Foullon (Historiae Leodiensis Compendium, p. 115.) - Vers 1225, cette rue était encore habitée par des ferronniers, comme le prouve ce passage de Hemricourt: On feran mult riche, quy demoroit en Feronstrée à Liege et estoit nomeis sire Thiry Daveton.... (Miroir des Nobles de Hesbaye, p. 303.) - La rue dite Potiérue, qui aboutit à la rue Féronstrée, était habitée par tous potiers-d'étain, etc.
Ajoutons que dans le quartier de l'Ile il y avait une rue qui primitivement, n'avait été occupée que par des chaudronniers-mignons, batteurs de chaudières, de coquemars, de hanaps, de chandeliers: de là, son nom de Chaudelistrée. Dans un titre de l'an 1300, elle est appelée Chodelierstreie. En 1430, un bourgeois célèbre dans notre histoire, Wathieu d'Athin, y avait son hôtel; il le dit dans un acte de 1456: « Ma maison stissante en Chaudelistrée, où je soulois demeurer... » En 1493, les religieuses franciscaines de Hasselt étant venues y établir leur couvent, le nom de Chaudelistrée tomba insensiblement en désuétude, et finit par être remplacé par celui de Rue des Soeurs de Hasque (1530).
(11) Tunc visus est ipse ferreus Karolus, ferrea galea cristatus, ferreis manicis armillatus, ferrea torace ferreum pectus humerosque platonicos tutatus, hasta ferrea in altum subrecta sinistram impletus, nam dextra ad invictum calibem semper erat extenta, etc. (Vita Karoli, par un moine de Saint-Gall, dans les Monumenta Germaniae historica, t. Il , p. 759.) - Notons ici que Charlemagne, par un capitulaire de 779, défendit aux marchands de vendre des armes aux peuples avec lesquels il était en guerre: Ut nullus brunias foras nostro regno vendere non praesumat. (Dans les Capitularia Regum Francorum de Baluze, t. I, p. 198, etc.)
(12) Voici comment Hemricourt décrit l'armure des cavaliers ou gens d'armes et de leurs chevaux: « A cely temps (XIIIe siècle), tos Chevaliers et Escuwiers doneur soy kebatoient sor destriers ou sor coursiers de telle bonteit, quil soy powissent sus assegureir et estoient sor hautes selles de tournoy sains satoir, tos coviers de covertures overeez doevre de broadure de leurs blazons armoyez, et estoient armeis de plattes et de bons harnas de menut fier, de chachies de menus fier, et hiet sor les plattes, bons, riches wardecors darmes armoiez de leurs blasons, et avoit cascon on heame sor son bachinet à on timbre bin jolit; et plusseurs Saingnors Chevaliers et atres y avoit, quy al desos de leurs covertures avoient leurs destriers armais de covertures de menues mailhes de fier por la dothanche de leurs chevaz; et adont faisoient plus grans parements en une place cent armures de fier en teil habit, que dois cens à présent (1390)... » (Les Werres d'Awans et de Warous, chap. 41.)
(13) Des statuts du XIVe siècle défendaient aux habitants de la banlieue et aux voyageurs d'entrer armes dans la Cité. « Item, que tous afforains, excepté Majeurs et Maistres des bonnes Villes seulement, soient tenus de laissier leurs bastons, dages et armurres à leurs hosteis... Et que ly hoiest, hoestesse ou maisnies de tel hostel soient tenus de dire à telz afforains quilz hoestent leurs armures, dages et bastons. - Item, que tous bourgeois manans et surseans hors de la Citeit et Banlieu, soient tenus quant ilz vinent à Liège de laissier et mettre leurs armurres et bastons dehors la Cite sur ung bonier pres de la porte où ils sieront ens entreis, sains plus avant les porteir parmy ladite Citeit auz tavernes, cabares ne autre part... » (Dans le Recueil des Edits du Pays de Liège, t. I, p. 468.) - L'usage de porter l'épée en costume de ville n'a cessé que dans les dernières années du siècle passé.
(14) Chez nous, du moins, on comprenait, sous le nom de bâtons, toutes les espèces d'armes offensives « Item, statuons et ordonnons que esdites englieses l'on ne porte hallbardes, ghuyges, marteaux, spatus, gleaves, ne autres semblables bastons... » (Dans le Recueil des Edits du Pays de Liège, t. I , p. 453, etc.)
(15) Le Ject des Bastons de 1394 se trouve dans les Pawilhars, manuscrits de la Bibliothèque de l'Université de Liège, n° 546, fol. 175, etc.
(16) C'est ce qu'a établi M. Lalanne dans un savant travail intitulé: Essai sur le feu Grégeois, inséré dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions de France, 2 série, t. I, p. 294.
Nos mineurs ne se servaient-ils pas du feu grégeois dans leurs travaux? Ce qui est certain, c'est qu'ils trouvèrent promptement le moyen de tirer un parti nouveau de la poudre en l'appliquant à l'art des mines. On voit, en effet, dès l'an 1388, nos houilleurs se rendre au siège de la ville de Ravesteyn (près de Nimègue), dont ils minèrent les murailles avec de la poudre. Hullarii... qui per cuniculos fundamenta castri suffodiant, accensosque pulvere sulphureo disturbent. (Dans les Gesta Pontificum Leodiensium, t. III, p. 62.)
(17) La poudre fut connue de bonne heure chez nous, sans que l'on puisse pourtant préciser l'époque de son introduction. En 1365, n'en fit-on pas usage pour la défense du château de Rummen? Les assiégés, selon un de nos chroniqueurs, jetèrent au milieu des assiégeants des espèces de pots ou bombes pleins d'un mélange incendiaire qui brûlait les machines de siège, ainsi que des projectiles qui éclataient avec le bruit du tonnerre, blessant ou tuant ceuz qui étaient atteints de leurs débris. Tunc custodes ad planiciem in summitate castri ordinatam accedentes, rime rebellabant, sulphureos globos super apri machinam projicientes, cum ardentibus tingnis et cum tonitrualibus globis plombeis plures ex oppugnantibus mutilantes et occidentes. (Dans les Monumenta Germanicae historica, t. X, p. 442.)
A une époque plus reculée, en 1347, au siège du château d'Argenteau, les Liégeois ne firent-ils pas usage de feu grégeois? Ils lancèrent dans cette place d'énormes pierres avec des mangonnaux, puis du fer incandescent, et du métal fondu renfermé dans des vases de terre: Jactis lapidibus magnis cum mangonalibus, et fuso metallo in vasculis terreis, ferroque candente projecto. (Dans les Gesta Pontitcum Leodiensium, t. Il, p. 491.)
(18) Dans nos contrées, les Liégeois firent usage des premiers de l'artillerie à feu en rase campagne. Ils en avaient à la bataille d'Othée, qui eut lieu en 1408. Un chroniqueur étranger, le moine de Saint-Denis, le dit formellement: Omnes Leodienses, jubente duce, substiterunt pede fixo, unde possent tela et missilia tormentorum obsidionlium ad nostros emittere. (Chronicorum Karoli sexti lib. XXIX, c. 21.) En ses Chroniques, liv. I, chap. 50, Monstrelet est aussi explicite: « Et delà incontinent les Liegeois jeterent plusieurs canons contre leurs adversaires, desquels grandement les travaillerent. » Il est à noter que les annalistes ne donnent point d'artillerie à feu aux adversaires des Liégeois, les Bourguignons.
(19) L'arquebuse à rouet, comme le fusil, avait le défaut de rater parfois. Nous en trouvons la preuve dans un document de 1545: « Et de fait pickat son dit cheval ung peu arier de moy, tirant unne harquebuthe hors son fourea, à tout (avec) laquele vinve de course apres moy cuidant dicelle me tirer ung plummea oultre le corps; touttefois elle ne se deschargat, ains rendit le feu. Volant que ladie harquebute no volloit deschargier, soy mist à corir apres moy telement qu'il me constraindit fuyr en ma maison, autrement il meuisse tueit; nient de ce contain , fist sa die harchebutte de rechieff jecter son feu, etc. » (Registre aux enquêtes criminelles des Échevins de Liège; manuscrit de la Bibliothèque de l'Université de Liège, n° 237, fol. 3, etc.)
(20) A Liège, on n'a commencé à fabriquer des fusils à percussion qu'en 1810.
(21) On obtint de bonne heure des bouches à feu par la fusion. En juillet 1467, on fondit une énorme bombarde avec tant de succès, que les cloches de toutes les églises sonnèrent en signe de réjouissance. In illis diebus fuit facta magna bombarda dicta Ligois, et fecit dominus Razo pulsari ad omnes ecclesias de Leodio, incipiendo a S. Lamberto, cum esset probata. (Adrien, Diarium Leodiense, dans l'Amplissima Collectio, t. IV, p 309.)
(22) En 1636, il existait encore à Liège de ces vieux engins: « ... Et l'on mit sur des roues tout le reste des pieces de canons des arsenaux, voire jusqu'à celles de fer, où une pièce antique nommée Bombarde, longue de dix-huit pieds, fut posée au thier de St-Martin » (Chronique de Liège, manuscrit de la Bibliothèque de l'Université de Liège, n° 174, fol. 427.
(23) Vers 1630, il n'y avait pas seulement à Liège des marchands d'épées et de fusils, mais il y avait aussi des marchands de canons. Un honnête homme Philippe Renard, capitaine de la Chaussée St-Leonard, demeurant près de la Chapelle St-Desir, à l'enseigne de la place d'Armes, arquebusier et marchand de canons... » - Dans ce même temps, il y avait sur le Pont-d'Ile « une boutique d'Espées à l'enseigne de la grosse Armée, où il y en avoit grande quantité à monstre... » (Chronique de Liège, ibid., fol. 337, etc.)
(24) Guicciardini le dit: Fannosi parimente nel Paese di Liege molti salnitri, et buoni. (Descrittione di tutti i Paesi Bassi, edition de 1567, p. 281.) - Ceux qui se livraient à cette industrie étaient connus sous le nom de Salpeteurs.
(25) Selon la prononciation wallonne, Armoir. - Le nom de famille Larmoyer, qui se rencontra fréquemment dans notre province, n'est donc autre chose qu'un surnom emprunté à l'exercice de la profession d'armurier.
(26) Tous les règlements des Métiers admettaient le principe de la division du travail: il était ordonné aux ouvriers de ne s'attacher qu'à une espèce d'ouvrage.
De nos jours encore, la division du travail est largement appliquée à la fabrication des armes plus de dix-huit ouvriers différents coopèrent à la confection d'un fusil.
On pourvoyait, par de minutieux règlements, à la bonté de la fabrication. En 1619, quand les compagnons des « Faiseurs de bois de harquebuses et choses semblables » voulaient « user de l'art prétouché », c'est-à-dire, être reçus maîtres, ils étaient tenus « de faire une piece d'oeuvre. » Ainsi, ils avaient à faire « un bois de musquet avec deux nervires, des pieces de figures entretaillées en os ou autres matières y divisible, un bois de harquebuse de jardin accommodé comme le précédent ou un bois d'arquebuse duquel il auroit besoin comme dessus encore achevez, etc. » Les « Faiseurs de bois d'arquebuses » formaient un membre du bon Métier des Charpentiers. De là, d'après un règlement de 1568, aucun marchand d'armes ne pouvait faire ni vendre « carabinnes, pistolets et autres choses de marchandises spectantes aux Faiseurs de bois d'arquebuse, que premièrement il n'ait acquis ou relevé ledit bon Métier des Charpentiers. » (Chartes et Privilèges des XXXII bons Métiers de la Cité de Liège, t. Il, p. 44, 46, etc.)
(27) Archives ou Correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau, t. V, p. 438.
(28) Apologie pour la Neutralité du Pays de Liège; 1642, in-4°, p. 38.
(29) Le Pays de Liège formant un État particulier, les marchands d'armes pouvoient livrer à toutes les nations et dans tous les temps. (Quelques souvenirs sur le Pays de Liège, p. 36.)
(30) Ce présent d'honneur est relaté dans une Chronique de Liège, manuscrit de la Bibliothèque de l'Université de Liège, n° 174, fol. 311. Voir aussi l'Historia Populi Leodiensis, p. 83, etc.
(31) Les Voyages de M. Payen où sont contenues les descriptions d'Angleterre, etc. Amsterdam, 1688; p. 136. - Un autre voyageur écrivait en 1687: « Il y a quantité d'Armuriers Liege; ce qui vient sans doute de la commodité du charbon de terre, qui se trouve dans le Païs, et que Ion y brûle communément comme on le brûle à Londres. » (Misson , Voyage d'Italie, etc., édition de 1702, t. III, p. 110).
(32) Depuis 1802, l'industrie privée ne fabrique plus des bouches à feu; la Fonderie royale de canons les produit exclusivement. La Fonderie de canons ne doit pas toutefois être considérée comme un établissement purement militaire C'est un véritable établissement industriel, qui exécute les commandes des particuliers comme celles des puissances étrangères.
Notre Fonderie de canons renferme tous les éléments nécessaires aux constructions de l'artillerie. Sa réputation est européenne. Ce renom, elle le doit à la bonne qualité de ses fournitures, à leurs prix raisonnables, non moins qu'au talent et aux efforts
incessants de l'officier distingué sous la direction duquel elle se trouve placée actuellement, M. le colonel Frédérix.
(33) On écrivait à Liège en 1739 : « Notre ville fournit des armes à toute l'Europe; on assure qu'il s'y en fabrique au moins vingt mille pièces par mois quand on veut mettre les ouvriers en oeuvre. Elles sont bonnes et propres, toutes à l'épreuve, et se donnent néanmoins à un prix très modique. De toutes les choses qui entrent dans le commerce de cette ville, il n'y en a aucune qui soit à meilleur marché que les armes. » (Délices du Pays de Liège, t. I, p. 265.) - On disait en 1743: « Liège est une des villes les plus renommées pour le commerce: on y fabrique, entre autres, tous les ans, plus de cent mille fusils, sans les pistolets et autres armes à feu, pour le service de tous les princes de l'Europe. (Délices des Pays-Bas, t III, p. 253.) - « On n'ignore pas que Liège, avant 1789, était l'arsenal du Continent; que ses manufactures fournissaient des armes de guerre à tous les États, sans en excepter l'Angleterre; que les commandes d'armes, dites de luxe, étaient immenses pour les Colonies des Indes orientales et occidentales, pout la traite des Nègres. » (1809.)
(34) C'est ce que disaient, au siècle passé, une foule d'écrivains étrangers. « Les Provinces-Unies tirent du Pays de Liège ... toutes sortes d'armes à feu, des canons et mortiers de fer, des bombes, des boulets... » (Janiçon, État présent des Provinces-Unies, édition de 1729, t. I, p. 478.) - . Le commerce de cette capitale se fait particulièrement en toutes sortes d'armes défensives et offensives, qui s'y fabriquent très bien. (Savary, Dictionnaire universel de Commerce, édit, de 1741 , t. Il, p 301) -. ... Liège est la capitale d'un Evêché, dans le territoire duquel, ainsi qu'à Liège même, on fabrique une quantité immense de toute sorte d'ouvrages de fer, comme canons, fusils, pistolets, lames d'épées... La plus grande partie de ces ouvrages passent par la Hollande, qui en fait un commerce considérable. » (Ricard, Traité général du Commerce, édit, de 1781, t. I, p, 425, etc.)
(35) Aujourd'hui, à l'exception de la France, de l'Autriche et de la Prusse, presque toutes les puissances de l'Europe, la plupart des gouvernements de l'Amérique, et quelques uns du littoral africain, ont, en quelque sorte, pris l'habitude de venir demander à Liège les armes qui leur sont nécessaires.
Voici comment on explique cette préférence:
« Les ouvriers liégeois sont à peu près les seuls qui sachent copier exactement, quelque difficile et même ridicule qu'il soit d'ailleurs, le modèle des armes en usage chez les différents peuples. Par exemple, dans aucune des autres fabriques connues on ne fournirait avec avantage les armes destinées pour le Brésil; débouché cependant bien considérable, puisque l'on peut évaluer à vingt-cinq ou trente mille les fusils fabriqués annuellement pour ce pays. Pour citer encore un exemple, au commencement de la révolution de 1830, le besoin d'armes en France et en Belgique était si pressant, que les gouvernements de ces deux royaumes envoyèrent à Birmingham pour y passer des marchés. Cette colossale fabrique ne put, même avec une prime de 25 %, parvenir à faire des fusils sur le modèle français. II fallut à Paris et à Bruxelles renoncer aux armes d'Angleterre, et ce qui en reste aujourd'hui se vend à vil prix. » (La Belgique industrielle, 1836; p. 137.)
(36) Il y a quelques années, un éminent écrivain français résumait ainsi, en trois lignes, le tableau du passé et du présent de notre manufacture d'armes: « Liège est encore, au dix-neuvième siècle comme au seizième, la ville des armuriers. Elle lutte avec la France pour les armes de guerre, et avec Versailles en particulier pour les armes de luxe. » (V. Hugo, Le Rhin, lettre VIIe.)
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