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L'enseignement à Liège

L'université de Liège de 1816 à 1935

par Paul HARSIN

ULG 1827 Goetghebuer - Amphithéatre

INTRODUCTION

Ces quelques pages ne peuvent avoir pour ambition de retracer l'histoire complète et détaillée de l'Université. L'existence de celle-ci se situe dans le XIXe un devoir d'état, il est bien malaisé de ne s'en point départir lorsqu'on a à apprécier des valeurs intellectuelles ou à mesurer des grandeurs spirituelles.

Il convient d'ajouter qu'une histoire d'une Université particulière n'a de sens que dans le cadre de l'histoire comparative. Dans un pays comme le nôtre, où l'on compte, depuis un siècle, quatre Universités plus ou moins rivales, où l'on a éprouvé successivement ou simultanément l'influence du haut enseignement allemand ou français et des grands courants scientifiques mondiaux, il est impossible de ne pas jeter un coup d'oeil sur les autres Universités pour déterminer la part d'originalité qu'il convient de reconnaître à l'une d'elles. Mais un semblable travail entraîne bien loin. La modeste introduction que l'on va lire ne peut prétendre à ce degré de rayonnement. Esquissée rapidement pour répondre au voeu exprimé par le Conseil Académique qui décida de la publication d'un Liber Memorialis, elle se bornera à caractériser les principaux moments d'une évolution séculaire, à dégager les traits essentiels du sujet et à commenter les quelques statistiques que l'on trouvera en annexe.

Alphonse Le Roy, en publiant en 1869 le Liber Memorialis du Cinquantenaire, a retracé l'histoire de l'Université de Liège depuis sa fondation. Mais, à cette époque, beaucoup des contemporains des premières années du régime hollandais et de l'indépendance nationale vivaient encore, en sorte que la discrétion de l'auteur dut forcément être considérable. Il ne nous a pas paru possible de « raccrocher » notre exposé au sien et nous avons préféré reprendre dans ses grandes lignes la description entière du sujet.

Une division toute naturelle de la matière se présente dans les grandes étapes parcourues par notre législation universitaire: 1816, 1835, 1849, 1876, 1890, 1929. Faute de mieux, nous l'adopterons ici: elle répond d'ailleurs au besoin de clarté que revendique tout exposé et coïncide nécessairement avec de profondes modifications internes. Mais il ne faudrait pas s'imaginer que les dates des grandes lois sur la collation des grades académiques sont toujours décisives dans le développement d'une Université même de l'État. Bien souvent la législation ne fait que reconnaître le fait accompli, que sanctionner certaines innovations. Parfois aussi les règlements et les mesures édictés ne sont suivis d'aucun effet. L'esprit scientifique souffle d'ailleurs indépendamment de la loi et les périodes de progrès ou de régression sont dues beaucoup plus à la personnalité des professeurs et à la collaboration réfléchie de leurs auditeurs qu'à l'intitulé des matières et qu'aux changements de programme. Si l'on admet que le critère de la valeur d'une Université doit se chercher dans la portée scientifique, au sens le plus élevé du mot, de son enseignement et non dans le nombre de ses élèves, dans l'étendue de ses locaux, ou dans le traitement de ses professeurs, on sera amené à rechercher des normes appropriées. On verra tout à l'heure l'importance qu'il faut assigner à cet égard aux années 1870-1875 comme marquant un véritable tournant dans l'histoire de notre Alma Mater. C'est avant puis après cette période qu'il conviendrait de se placer pour respecter l'unité de perspective. Mais, pour des raisons didactiques, nous nous conformerons au plan signalé ci-dessus.


§1

1816 - 1830


Lorsque le roi Guillaume institua en 1816 les trois Universités de Gand, de Louvain et de Liège, on ne peut pas dire qu'il fit oeuvre absolument nouvelle. Depuis la suppression de l'ancienne Université de Louvain, le gouvernement français avait érigé trois Facultés à Bruxelles et reconnu légalement l'existence d'une Ecole de médecine et de chirurgie à Liège. Mais ces modestes établissements eurent une existence plus que précaire. En sorte que l'initiative du roi des Pays-Bas consista surtout à créer des Universités dignes de ce nom et pourvues d'un personnel qualifié.

Le règlement du 25 septembre 1816 qui déterminait les branches d'enseignement était à la hauteur de la science des pays les plus avancés. Au programme de la Faculté de Philosophie spéculative et des Lettres on inscrivait les littératures grecque, latine, hollandaise et française, toutes les branches de la philosophie, l'histoire générale et nationale, des cours d'« antiquités grecques, romaines et juives » et, ce qui est plus remarquable, les littératures hébraïque, arabe, syriaque et chaldéenne. A la Faculté de Droit, figuraient le droit romain et le droit civil et ecclésiastique moderne, le droit public et le droit criminel, le droit naturel et le droit canon, un cours d'application probablement notariale sous le nom de « pratique du droit », ainsi que deux enseignements qui flottèrent pendant quarante ans d'une Faculté à l'autre au grand dam des études: l'histoire politique de l'Europe et l'économie politique (1), comprise sous l'appellation de statistique. Dans la Faculté des Sciences mathématiques et physiques, on enseignait les mathématiques élémentaires, transcendantes et appliquées aux sciences hydrauliques et hydrostatiques, la chimie tant générale qu'appliquée, la physique expérimentale et mathématique, l'astronomie physique et mathématique, la botanique, la zoologie, la minéralogie, la géologie, l'économie rurale et, à l'Université de Liege seulement, la métallurgie. La Faculté de Médecine enfin comprenait l'enseignement de l'anatomie, de la physiologie, de la pathologie, de la pratique médicale et de la chirurgie, de la pharmacie, de l'art des accouchements, de la diététique (hygiène) et de la médecine légale.

En fait, si certains de ces enseignements n'ont point été donnés (par exemple les littératures orientales ou le droit canon), si d'autres, au contraire, apparaissent dans les programmes des cours (histoire du droit, anatomie comparée, explication d'auteurs grecs et latins, leçons de clinique), on peut dire que cette organisation soutenait la comparaison avec les plus célèbres Universités de ce temps.

Comment pourvut-on à ces enseignements à Liège ?

C'est ici le revers de la médaille. D'un recrutement professoral strictement national, il ne pouvait être question. Seule la Faculté de Médecine put s'organiser sur une telle base: J. Comhaire, D. Sauveur et N. Ansiaux, déjà en fonctions sous le régime français, la constituèrent jusqu'en 1826. Mais leur enseignement restant trop élémentaire, l'anatomiste badois Fohmann vint décharger l'un d'eux en 1826. Il fut du reste très mal accueilli car il tombait en pleine effervescence estudiantine. La Faculté de Droit se composa au début de deux Belges, Ernst ainé et Destrivaux et de l'illustre Warnkoenig: bientôt il fallut faire appel à l'économiste allemand Wagemann et, par surcroît, le roi y nomma l'ex-abbé Munch, historien et polémiste, qui, au lieu d'inaugurer sa chaire de droit ecclésiastique, fonda un journal hostile aux revendications des Belges. Les deux autres Facultés durent se recruter principalement à l'étranger. A côté de Vanderheyden et de Delvaux, pour les sciences, figuraient le mathématicien hollandais Van Rees, le naturaliste allemand Gaëde et plus tard, aux chaires nouvelles, on nomma les Français Dandelin et Levy, l'Allemand Bronn, le Belge Lesoinne. Aux Lettres, pas un seul Belge, mais deux Hollandais (Gall et Kinker), deux Allemands (Denzinger et Fuss) et un Français (Rouillé). Au total, sur les vingt-quatre chaires pourvues de titulaires distincts et dont quatre le furent deux fois (2), soit sur 28 professeurs ou lecteurs nommés sous le régime dit hollandais, nous comptons 8 Allemands, 5 Hollandais, 3 Français et 12 Belges. On cherche d'ailleurs vainement où l'on aurait pu trouver chez nous à cette époque un historien, un helléniste, un latiniste, un philosophe, un économiste, un géologue, un botaniste, un anatomiste ou un professeur de droit romain.

Si l'on ne voit pas en Belgique cette élite scientifique au sein de laquelle aurait dû se faire le recrutement de notre corps professoral, on ne peut douter du peu d'effet immédiat de l'enseignement des maîtres d'alors. L'instruction secondaire était à ce point déficiente que le programme des candidatures et des doctorats en philosophie et lettres et en sciences comportait respectivement des leçons de mathématiques, de physique expérimentale et d'astronomie, de littérature grecque, latine et de philosophie. Mais, précisément, le souci du gouvernement d'assurer à la fois des connaissances générales étendues et une solide formation professionnelle maintint un certain niveau parmi les étudiants. Ceux-ci n'étaient astreints à aucune condition d'admission, leur assistance aux cours n'était pas obligatoire et beaucoup suivaient tel ou tel enseignement sans prendre de grades académiques. Leur nombre avait doublé en moins de dix ans passant de 259 en 1817-1818 à 511 en 1826-1827. C'est pour obvier aux inconvénients qui résultaient d'un afflux d'étudiants amateurs qu'un règlement fut pris en 1826 pour rendre obligatoire l'assistance aux leçons et la présentation de l'examen. Ces mesures provoquèrent une tempête qui eut pour effet de provoquer le départ de Warnkoenig, de compromettre le succès de Fohmann et d'énerver l'autorité rectorale. Les nouveaux statuts ne furent d'ailleurs point appliqués ainsi qu'en témoignent le chiffre maintenu de la population universitaire pendant les trois années suivantes (540, 537, 540) et le fait que la proportion des diplômes délivrés par rapport à la population universitaire pendant les treize années du régime hollandais n'est 'même pas de la moitié (671 diplômes).

Cette liberté relative aurait pu avoir d'excellents effets sur le développement scientifique si les professeurs avaient pu jouir d'un crédit assuré et exercer une influence directe. En effet, les Facultés composaient les jurys d'examen pour la collation des grades et, d'autre part, la dissertation doctorale était requise pour l'obtention du diplôme final auprès de chacune d'elles. II faudra attendre les lois de 1876 et de 1890 pour retrouver de pareilles conditions de succès.

Malheureusement, il n'en fut rien. Seule la Faculté de Droit parut exercer alors un certain attrait: on se pressait au cours de Destrivaux, jacobin à l'éloquence creuse et fleurie, mais c'était pour l'entendre réclamer des libertés constitutionnelles. Au point de vue scientifique, la méthode dogmatique sévère d'un Ernst, interprétateur consciencieux mais étroit du Code civil, s'opposait à la méthode largement historique d'un Warnkoenig. Seul parmi les savants étrangers, Wagemann parut avoir eu un plein succès: peu s'en fallut que les sciences économiques et politiques fondées sur la statistique et l'histoire n'emportassent le premier rang dans les préoccupations de la jeunesse liégeoise, tant on la vit se passionner pour l'enseignement donné en français du maître qu'une cruelle maladie emporta à 43 ans alors qu'il portait l'hermine rectorale (1825). Son successeur Ackersdyck sut marcher sur ses traces, mais la Révolution, en l'éloignant, allait stériliser pour 35 ans cet enseignement capital.

A la Faculté de Philosophie et Lettres, seul Kinker jouit d'un certain prestige. Mais âgé déjà de 54 ans lorsqu'il reçut la redoutable mission d'enseigner la littérature hollandaise à Liège, il ne put que conquérir par sa bonhomie et son dévouement les rares auditeurs qu'il groupa cependant en société littéraire (1822). L'helléniste Gall n'avait qu'une valeur très secondaire et Fuss n'était point pris au sérieux parmi les latinistes.

Du côté de la Faculté des Sciences, H. Gaede, théologien manqué, plus moraliste que savant, monopolisa pendant seize ans l'enseignement des sciences naturelles: il ne fallut pas moins de cinq professeurs, en 1834, pour se partager des cours dont il aurait été téméraire d'attendre quelques résultats. En treize années, la Faculté délivra sept diplômes de docteur, un peu moins que celle de Philosophie (10).

A la Faculté de Médecine, le niveau des études était nettement supérieur, mais il faut reconnaître que l'esprit caustique d'un savant tel que Fohmann n'a pas suffi à rendre intelligible son latin germanisé à un auditoire qui n'ignorait pas combien ce maître était discuté parmi les anatomistes.

L'obligation de se servir de la langue latine dans l'enseignement, était à elle seule, un obstacle énorme à l'influence qu'auraient pu exercer les savants étrangers.

Warnkoenig, qui inaugurait à Liège à 23 ans sa glorieuse carrière, aurait dû y trouver les disciples qui, ailleurs, ne lui firent pas moins défaut: sa mauvaise santé autant que son caractère susceptible n'auraient laissé aucune trace de ses dix années de séjour à Liège si l'on ne savait qu'il y avait jeté les fondements de la science de l'interprétation du droit romain, introduit la méthode historique allemande de Savigny, inauguré l'enseignement de l'ancien droit coutumier surtout liégeois, élaboré une sorte de manuel d'histoire de la principauté que traduira plus tard St. Bormans, administré enfin comme premier bibliothécaire en chef la nouvelle bibliothèque de l'Université, dont son compatriote Fiess devait dresser le catalogue avec une si merveilleuse patience pendant sa longue carrière.

Bien en avance sur son temps, Warnkoenig demandait l'abandon de la langue latine dans l'enseignement, l'orientation scientifique des études, l'organisation d'une carrière conduisant au professorat universitaire, l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur. Il alla continuer à Louvain puis à Gand, pendant dix années encore, ses travaux juridiques et historiques qui devaient le placer au tout premier rang de nos gloires scientifiques.

Une innovation curieuse est à signaler en 1820: sur l'initiative du professeur Denzinger, chargé des cours de philosophie à l'Université, une École propédeutique se fonde avec pour mission de préparer pédagogiquement les futurs professeurs d'humanités. Avec Fuss et Wagemann, Denziger en inaugura l'enseignement tant théorique que pratique; l'année suivante, Van Rees se joignit à eux pour l'enseignement des mathématiques, puis, en 1825, Van Limbourg Brouwer vint seconder Fuss dans la direction des exercices philologiques. Cette initiative fut ratifiée par le souverain qui, en 1827, institua un cours particulier « sur la théorie de l'enseignement et de l'éducation en général » près de chaque Université du royaume. Et lorsqu'on lit le règlement ministériel du 1er mai i1828 on est stupéfait de rencontrer des stipulations analogues à celles dont la loi de 1929 a fait application aux futurs agrégés de l'enseignement moyen: obligation de suivre un cours de pédagogie générale et un cours de méthodologie spéciale incombant aux titulaires des cours qui sont des branches d'enseignement dans les athénées et collèges, obligation d'assister à des exercices pratiques consistant à « fréquenter quelquefois les leçons... du collège de la ville où l'université se trouve établie » et à « s'exercer dans l'art d'instruire en donnant des leçons » sous la direction du professeur des langues anciennes et du professeur de mathématiques. Il serait curieux de savoir si nos législateurs ont eu connaissance de ce règlement de 1828 lorsqu'ils ont pris des dispositions analogues en 1929.

Il importe de signaler encore l'arrêté royal du 13 mai 1825 d'où notre Faculté Technique tire son acte de naissance. On sait que le règlement de 1816 avait doté la seule Université de Lige d'un cours de métallurgie qu'avait assumé Ch. Delvaux. En 1825, le roi Guillaume arrêta que la chimie appliquée aux arts industriels et que la mécanique appliquée devaient être enseignées dans chaque université. Mais il créait en outre à Liège deux chaires nouvelles: celle d'exploitation des mines à laquelle il appela le français Dandelin et celle d'économie forestière qu'il confia à l'allemand Bronn. Cet ensemble d'enseignements, auquel il faut joindre l'économie rurale et la docimasie (Lesoinne), constitua l'École des mines dont la Faculté des Sciences demandait en 1828 la mise hors des cadres de l'Université. Toutefois ces cours faisaient partie intégrante de la Faculté susdite et nous aurons à suivre bientôt leurs avatars.

Le choix du premier titulaire de la chaire d'exploitation des mines ne fut pas heureux. P. Dandelin, pur mathématicien, ne connaissait rien de son nouveau métier; esprit mal équilibré, il ne fit rien non plus pour l'apprendre et n'eut que de rares élèves: lorsqu'éclata la Révolution, il entra dans la carrière militaire qu'il suivit jusqu'à sa mort. Ce n'est qu'en 1835 que cet enseignement put être sérieusement assuré.

En somme, le régime hollandais ne nous a montré que deux Facultés vivantes, celle de Droit et celle de Médecine. Les deux autres ne servent que de vestibule aux études professionnelles de médecin et d'avocat et l'on comprend qu'à cette époque l'on ait déjà déploré l'absence d'un véritable esprit scientifique (3). Sans doute l'obligation de la dissertation doctorale constituait-elle une excellente exigence dont on aurait pu attendre d'heureux résultats, mais, lorsqu'on parcourt les titres de cette volumineuse littérature, on ne peut se faire illusion: il est du reste avéré que la majorité des docteurs ont eu recours à des officines spéciales non seulement pour traduire leur thèse en latin mais même pour la rédiger.

Il faut cependant signaler une notable série de succès au Concours universitaire institué par le gouvernement: 32 élèves de l'Université de Liège y remportèrent le prix ou furent très honorablement classés, moyenne fort supérieure à celle de la période suivante, c'est-à-dire à celle des treize années qui suivirent l'époque de la restauration du Concours supprimé de 1830 à 1841.


§2

1830 - 1835


On ne dira jamais assez le mal causé à l'enseignement public belge par la Révolution de 1830. A la veille de celle-ci, les Universités belges sont à la hauteur des principales Universités étrangères ou, dans tous les cas, en voie de devenir leurs égales. Il faudra désormais attendre un demi-siècle pour regagner le terrain perdu à la suite des progrès incessants de l'enseignement supérieur en Allemagne, en Autriche, en Angleterre et de la stagnation relative du nôtre.

Ce jugement sévère, il n'est point difficile de le justifier. La première condition de la prospérité d'une université c'est le niveau intellectuel de sa population estudiantine, c'est-à-dire le degré de formation acquise par celle­ci. Or l'enseignement moyen, en Belgique, attendra l'année 1850 pour jouir d'un statut sérieux et général et la première loi organique de l'enseignement primaire ne sera votée qu'en 1842. Avant le début de la seconde moitié du XIXe siècle l'impréparation des générations qui entrèrent à l'Université est patente.

La seconde condition réside dans la valeur du corps professoral et dans l'efficacité de son action sur les élèves. Nous allons avoir à mettre en lu­mière un certain nombre de tares propres à notre Alma Mater.

La troisième est la continuité, l'esprit de suite. Or qu'arriva-t-il en 1830? On congédia la moitié du personnel enseignant comme des étrangers indésirables! On supprima deux Facultés à Gand, deux à Louvain, une à Liege. On suspendit l'obligation de la dissertation doctorale! On cessa d'organiser le Concours universitaire pendant plus de dix ans! On conçut le projet, heureusement abandonné, de transporter les Écoles spéciales de Liège à Bruxelles pour les annexer à l'École militaire!

La quatrième est un statut intérieur à la hauteur des exigences scientifiques du temps: il faudra attendre l'année 1835 pour obtenir une loi sur la collation des grades académiques et cette loi devait dépouiller les Facultés du droit de conférer les diplômes et les certificats.

Les années 1830-1835 sont donc une période très sombre pour notre haut enseignement: chacun se demandait ce que les Universités allient devenir puisque trois conceptions différentes se heurtaient au sein du Congrès national: le projet de ne constituer qu'une seule Université d'État à Louvain, projet auquel se rallièrent Charles Rogier et joseph Lebeau et qui faillit être fatal à Liège (4); celui de disperser dans quatre villes les quatre Facultés qui n'aurait pas eu de moins funestes conséquences si l'on observe ce qui s'est passé en France; enfin celui de ne laisser subsister que les Universités de Gand et de Liège. On sait comment l'initiative conjuguée des catholiques belges et des libéraux bruxellois créant en 1834 des Universités libres à Malines et à Bruxelles assura le succès de ce dernier projet.

A l'Université de Liège, la Faculté de Philosophie et Lettres avait été supprimée par le gouvernement provisoire (16 décembre 1830): la population universitaire baissa aussitôt de 150 unités. Lorsque les professeurs dépossédés vinrent se plaindre à Bruxelles, c'est tout juste si on ne leur répondit pas que le nouvel État n'avait point besoin de savants (5).

Le seul effet de cette mesure fut de provoquer la naissance de Facultés libres. A Liège, des six titulaires de chaires à la Faculté de Philosophie et Lettres, deux furent démissionnés (Van Limbourg Brouwer et Kinker), deux mis en non activité (Denzinger et Fuss), deux déclarés émérites (Rouillé et Gall). Quatre d'entre eux, les trois Allemands et le Français, s'associèrent au Français Chênedollé, professeur de rhétorique au collège, esprit mal équilibré et fantasque au possible, au Belge Tassin, professeur de latin au même collège et au Luxembourgeois Wurth, esprit novateur et pédagogue né. L'administration communale mit les locaux universitaires à la disposition de ces sept professeurs; le gouvernement, peu soucieux de logique et uniquement féru du dogme de la liberté d'enseignement, autorisa ceux-ci à se constituer en jury d'examens et à délivrer des diplômes de candidats en philosophie et lettres. C'est ainsi que naquit une Faculté libre de Philosophie et Lettres qui siégea pendant cinq ans, mais qui ne contribua point, faut-il le dire, à relever le niveau des études: l'indulgence excessive dont elle fit preuve acheva de la discréditer.

Dans cette période troublée trois bonnes acquisitions sont à noter dans la Faculté des Sciences. Le physicien luxembourgeois Gloesener fut transféré en 1830 de Louvain à Liège et ce vrai savant, au désintéressement admirable, allait apporter chez nous trente années d'une vie laborieuse, traversée constamment par le sort mais illustrée par ses découvertes dans l'électro­magnétisme. Le Piémontais Pagani, entre deux séjours à l'Université de Louvain, vint occuper pendant trois années (1832-1835) les chaires de mécanique analytique et de physique mathématique, mais ce séjour avait été suffisant pour ranimer une Société des sciences naturelles fondée en 1822, qu'après son départ Jean-Baptiste Brasseur, autre mathématicien luxembourgeois, nommé en 1832, devait transformer pour en faire la Société royale des Sciences de Liège, avec le concours de quelques collègues.

En revanche la chaire d'exploitation des mines fut laissée sans titulaire de 1830 à 1835; on cessa de pourvoir à celle d'économie rurale et forestière. Mais la mort de Gaëde (1834) permit une répartition heureuse des sciences naturelles entre Courtois, qui mourut à 29 ans et fit place à Charles Morren (botanique), Schmerling, ce médecin d'origine autrichienne et de culture hollandaise qui venait de se révéler fortuitement par la découverte des grottes à ossements humains d'Engis, Choquier et Engihoul et qui devait disparaître l'année suivante déjà, en laissant sa chaire à André Dumont (géologie), Davreux qui abandonna d'ailleurs immédiatement à celui-ci le cours de minéralogie, Fohmann qui hérita de l'anatomie comparée et enfin le Français Lacordaire que son frère, l'illustre dominicain, recommanda à l'ambassadeur belge à Rome: il obtint en 1835 la chaire de zoologie qu'il devait occuper avec une autorité indiscutable pendant 35 ans.


§3

1835 - 1849


La loi du 27 septembre 1835, dont nous venons de célébrer le centenaire, est la première loi organique de l'enseignement supérieur de la Belgique indépendante. A défaut d'autre mérite, elle avait celui d'assurer un statut indispensable aux deux Universités de l'État. Mais on ne peut lui dénier une valeur intrinsèque dont les circonstances n'ont pas permis de tirer complètement parti.

L'enseignement primaire et surtout l'enseignement moyen demeurèrent sans organisation propre et sans contrôle. Malgré les facilités illimitées laissées à l'entrée à l'Université, les étudiants n'affluèrent pas. Bien au contraire, on ne connut pas une seule fois, sous l'empire de la loi de 1835, la population atteinte sous le régime hollandais. La raison en est simple. L'étudiant porté au rôle d'une Université prenait inscription pour les seuls cours qu'il voulait fréquenter: une liberté absolue était laissée à cet égard. Or pourquoi aurait-il été entendre les leçons de professeurs qui se bornaient à réciter, ne varietur, les notes consignées dans des cahiers que chacun possédait ou pouvait acquérir. Ces professeurs n'étaient plus les examinateurs de leurs élèves, car la loi avait enlevé définitivement aux Facultés la collation des grades académiques. Le soin de décerner tous les diplômes de candidats ou de docteurs avait été confié à un jury central de sept membres par grade à conférer, réuni deux fois par an à Bruxelles et devant lequel comparaîtraient tous les aspirants médecins, avocats ou professeurs du royaume.

Ce jury se recrutait parmi les membres du corps professoral des quatre Universités de la façon suivante: deux étaient désignés par le Sénat, deux par la Chambre des Représentants, les trois derniers par le gouvernement. Cette intrusion du pouvoir législatif dans la nomination des jurys devait avoir les plus fâcheuses conséquences. D'une part, le gouvernement dut s'astreindre à maintenir un certain équilibre entre les membres des Universités libres et ceux des Universités de l'État, équilibre dont ne se souciaient guère les majorités parlementaires. D'autre part, certains jurés, favoris des assemblées, tendirent à devenir permanents. Il en résulta que leurs leçons prirent une importance accrue, que leurs « cahiers » furent de plus en plus recherchés. Un véritable cours s'établit au sujet de ces cahiers, parfois rédigés sous forme de questionnaires tel manuel côté 60 fr. (or) parce que son auteur avait été réélu plusieurs années de suite tomba à 10 fr. lorsqu'il ne fit plus partie du jury central (6)!

Malgré les critiques auxquelles ce régime donna lieu, il dura, prorogé d'année en année, jusqu'en 1849, c'est-à-dire jusqu'au vote de la deuxième loi organique de l'enseignement supérieur. Il faut reconnaître qu'il n'eut pas que des défauts: une juste sévérité des examinateurs rendit particulièrement méritoires les diplômes conquis de 1835 à 1849. Mais son effet immédiat fut de priver les professeurs de Faculté de toute influence sur leurs élèves.

Certes, si l'esprit scientifique avait été répandu en Belgique à cette époque, les cours n'auraient pas été désertés et une élite d'élèves, tout au moins, aurait continué à encourager les efforts des maîtres. Mais, pour ne prendre qu'un exemple, en 1841-1842, les cours de droit commercial, de procédure civile et d'histoire du droit coutumier ne comptaient pas à Liège un seul auditeur, et il en était de même des cours de mécanique céleste et d'histoire de la médecine. C'est vainement qu'en 1836 une circulaire ministérielle invita les professeurs à établir des communications fréquentes entre eux et leurs étudiants: dans la plupart des cas ceux-ci se dérobèrent.

Au point de vue des matières enseignées, la loi de 1835 s'était fortement inspirée de celle de 1816. La Faculté de Philosophie et Lettres était recréée: on y divisait l'histoire générale en trois cours d'histoire ancienne, d'histoire du moyen âge, d'histoire politique moderne et on instaurait trois cours nouveaux: l'archéologie, l'esthétique et la géographie physique et ethnographique. A la Faculté de Droit, on instituait le cours de droit administratif et on faisait une place au droit coutumier de la Belgique dans l'histoire du droit. A la Faculté des Sciences, on voyait apparaitre les cours d'analyse supérieure, de physique industrielle et d'économie industrielle. La Faculté de Médecine s'enrichissait des cours d'anatomie pathologique, de pharmacie pratique, d'histoire de la médecine et l'enseignement de la clinique se subdivisa légalement, sans doute pour consacrer l'usage, en clinique interne, clinique externe, clinique obstétricale et clinique spéciale des maladies mentales.

Un article spécial de la loi stipulait qu'à la Faculté des Sciences de Liège on enseignerait l'exploitation des mines, la métallurgie et la géométrie descriptive avec applications spéciales à la construction des machines. L'arrêté ministériel du 27 septembre 1836 organisa cet enseignement sous le titre d'École des arts et manufactures et des mines. L'enseignement comportait quatre années d'études dont deux communes aux deux sections: les professeurs de l'École interrogeaient eux-mêmes leurs élèves en première et en deuxième année, ceux de troisième et quatrième année étaient examinés par un jury spécial de trois membres nominés par le ministre. En 1838 à la suite du vote d'une somme de 153.000 fr. par la ville et la province pour construire une nouvelle aile de bâtiment, un second arrêté réorganisa l'École pour mettre l'enseignement en rapport avec les exigences du service des mines: on créa une catégorie d'élèves des mines dans laquelle le recrutement se fit parmi les premiers de liste jusqu'à concurrence du nombre de places disponibles. C'est de là que date la division en trois écoles: l'École préparatoire représentée par la ou les deux années communes, l'École spéciale des mines (deux puis trois années d'études), l'École spéciale des arts et manufactures (deux, puis trois années, en 1842). En 1843 une nouvelle section, celle des élèves mécaniciens fut adjointe (trois années). Si l'on ajoute que l'administrateur-inspecteur de l'Université est le directeur des Écoles spéciales, que deux professeurs y reçoivent le titre d'inspecteurs des études et qu'un conseil de perfectionnement spécial fut érigé en 1842, on aura une idée de l'organisation d'une institution appelée dès la première moitié du XIXe siècle à une célébrité mondiale.

La loi de 1835 avait prévu qu'indépendamment des professeurs ordinaires et extraordinaires le roi pouvait attacher aux Universités des agrégés sans traitement dont la mission consisterait à donner soit des répétitions, soit des cours nouveaux, soit des leçons sur des matières déjà enseignées. C'était en somme la même institution que celle du lecteur sous le régime hollandais, avec cette différence que celui-ci touchait un traitement.

Signalons enfin que l'article 7 de la loi mettait à la charge des villes universitaires toutes les dépenses pour l'agrandissement, l'amélioration et l'entretien des bâtiments affectés à l'enseignement supérieur, et que l'article 8 stipulait que les hospices civils de ces villes serviraient à l'enseignement clinique médical et à l'art pratique des accouchements. Ces dispositions figuraient déjà dans la loi de 1816 (art. 109 et 120), mais ici les dépenses d'agrandissement et d'entretien incombaient à l'État, les villes n'étant tenues qu'à fournir les locaux. L'histoire ultérieure devait témoigner de la sagesse avisée des rédacteurs de 1816.

Parmi les autorités académiques du régime hollandais, seul le collège des curateurs fut supprimé. On le remplaça d'ailleurs par un fonctionnaire spécial appelé administrateur-inspecteur. La tâche du premier de ces commissaires du gouvernement, F. Arnould, n'était point aisée: il n'appartenait point au monde professoral; la réforme des monts de piété l'occupa bien plus que ses fonctions officielles et la critique la plus sévère, à commencer par celle du recteur Evrard Dupont, ne l'épargna pas. En vingt­deux années d'administration il réussit à décourager toutes les initiatives avec un rare bonheur et s'appliqua, au début tout au moins, à absorber toute l'autorité académique. Froissés dans leur dignité, les professeurs en appelèrent au ministre et l'autorité de Dupont permit d'aboutir à une sorte de modus vivendi.

Décapité comme il l'avait été en 1830, le corps professoral dut être presque doublé lors de la mise en application de la loi de 1835. Le gouvernement belge dut encore faire largement appel à l'étranger. Il n'est pas inutile de faire observer combien nous fûmes tributaires de la France et de l'Allemagne pour certaines chaires particulièrement importantes. Ainsi, pour l'anatomie et la physiologie, il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour trouver en Belgique des titulaires qualifiés. Tour à tour le Badois Fohmann, le Bavarois Antoine Spring, le Rhénan Th. Schwann occupèrent ces chaires pour le plus grand profit d'ailleurs de notre Faculté de Médecine. Les chaires de zoologie et d'anatomie comparée, successivement occupées par Gaëde, Fohmann et Lacordaire pendant un demi-siècle, ne peuvent trouver de candidat chez nous. Et même les chaires de philosophie et de littérature française semblent le monopole des étrangers: Denzinger, Gibon et Schwartz d'une part, Rouillé, Chênedollé, Sainte-Beuve, Baron de l'autre, attestent encore cette carence nationale.

La Faculté de Philosophie et Lettres était tout entière à nommer. Le professeur badois Bekker, qui depuis 1817 enseignait à Louvain les littératures latine et grecque, fut envoyé à Liège en qualité de recteur pour donner les mêmes cours. Emporté par la maladie dès 1837, il était remplacé par Jean-Henri Bormans qui avait été nommé à Gand en 1835. Fuss fut réintégré, mais aux seuls cours d'antiquités romaines et d'archéologie. Pour la chaire de littérature française, on fit appel à Philippe Lesbroussart qui s'était acquis depuis trente ans une certaine réputation d'homme de lettres et qui avait rempli depuis 1830 les fonctions d'administrateur général de l'instruction publique. En cette qualité, il s'était attiré d'innombrables rancunes qu'explique mal l'indulgence invraisemblable dont son caractère était pétri et qui le rendit célèbre dans les commissions d'examens.

Enfin, un Luxembourgeois, Pierre Burggraff, vint inaugurer en 1837 la chaire des littératures orientales: ce cours se donna de 1846 à 1849 sous forme d'une introduction à ces littératures, faute d'auditeurs sans doute pour un enseignement philologique, et se doubla en 1848 d'un cours de grammaire générale.

En matière de philosophie, le gouvernement n'eut pas la main heureuse. La nomination du Français Gibon, polémiste intempérant, souleva les protestations de l'opinion libérale: l'intéressé commit l'incongruité dans sa leçon d'ouverture de faire une charge à fond contre l'Université de Bruxelles, qui fut à son tour entraînée dans la bagarre par le professeur français Baron. Gibon dut descendre de sa chaire qui fut partagée à la satisfaction générale entre l'excellent philologue et philosophe luxembourgeois Tandel et le médecin allemand Schwarz qui enseigna également la géographie physique.

Enfin l'enseignement de l'histoire fut confié pour l'antiquité à Wurth, pour le moyen âge et l'histoire nationale au baron de Reiffenberg, pour les temps modernes à Dehaut, qui avait été détaché de Louvain à Gand en 1835 pour venir à Liège en 1837. On sait le pénible incident qui rendit impossible le séjour à Liège du fécond polygraphe, accusé par son collègue Lavalleye de plagiat historique et comment sa nomination au poste de conservateur de la Bibliothèque royale permit à Ad. Borgnet, magistrat extrêmement érudit, de venir occuper les deux chaires qu'il détint pendant 35 ans, c'est­à-dire jusqu'à l'arrivée de G. Kurth.

La Faculté de Droit, elle aussi, connut des changements considérables. Le professeur Antoine Ernst, devenu ministre de la justice en 1833, abandonna ses chaires d'institutes et d'encyclopédie du droit, au bénéfice d'un jeune jurisconsulte liégeois, F. Kupfferschlaeger; son frère aîné jean Ernst troqua en 1835 ses chaires de droit civil et de droit naturel contre un enseignement analogue à l'Université de Louvain, malgré le mécontentement de ses étudiants qui accueillirent fort mal son frère cadet Lambert, appelé à lui succéder en compagnie d'un autre jeune juriste des plus distingué, Victor Dupret. Lambert Ernst émigra bientôt à son tour à Louvain (1839) après avoir remis son cours de droit naturel à Thimus, déjà chargé du cours de droit public, et celui-ci finit par abandonner l'Université pour la magistrature en 1843. Il fallut alors en revenir au vieux Destriveaux, qui continuait à 65 ans à tonner contre les adversaires des libertés constitutionnelles comme si la Révolution de 1830 n'avait pas consacré les principes qu'il défendait depuis 1817!

La chaire nouvelle de droit administratif fut confiée à De Fooz qui occupa également, à l'École des mines, celle de législation minière créée en 1836. Ses vingt-cinq ans d'enseignement furent condensés dans son grand ouvrage Le droit administratif belge (5 volumes) qui fit longtemps autorité. Quant aux chaires d'économie politique et de statistique, elles furent confiées dès 1835 à Ch. Hennau qui inaugura aux Écoles spéciales le cours d'économie industrielle: trente années d'enseignement consacrées à faire ressortir l'importance des facteurs spirituels en économie ne laissèrent guère de trace et Hennau trouva finalement dans la pomologie sa véritable voie.

La plus notable acquisition de la Faculté de Droit pendant cette période a été certainement celle de Nypels; comme Dupont, élève de Warnkoenig, il vint à Liège soutenir la tradition de l'école historique. Nommé en 1835 à la chaire de procédure civile et à celle d'histoire du droit coutumier, il ne trouva pas d'élèves; mais, où il donna sa mesure, ce fut dans l'enseignement du droit criminel et de la procédure pénale qu'il assuma pendant 47 ans: avec Hans et Thonissen il fut un de nos plus grands criminalistes du XIXe siècle et son rôle fut prépondérant dans la réforme de la législation (Code pénal de 1867).

A la Faculté des Sciences, nous avons déjà signalé Gloesener et Brasseur, tous deux Luxembourgeois: leur rôle de professeurs et de savants se doubla de celui d'organisateurs de la Société royale des Sciences de Liège, qui, après être demeurée sept ans en veilleuse, commença en 1842 ses publications, avec le concours de Lacordaire, de Spring et de De Koninck. Un excellent collaborateur étranger fut encore trouvé dans le Français Noël qui, après avoir enseigné pendant 15 ans les mathématiques et la physique à l'Athénée de Luxembourg et s'y être acquis une réputation qui dépassa les frontières du pays, vint occuper en 1835 les chaires de mathématiques élémentaires et de haute algèbre et exercer par ses traités l'influence la plus salutaire sur notre enseignement moyen.

Dans les diverses sciences naturelles, la période qui nous retient fut riche en personnalités marquantes. Nous avons déjà signalé la nomination de Lacordaire (1835) à la chaire de zoologie, puis à celle d'anatomie comparée (1837), à la mort de Fohmann: le savant français poursuivit pendant de longues années ses travaux d'entomologie tout en assumant à partir de 1845 le secrétariat général de la Société royale des Sciences.

Charles Morreri professa la botanique de 1825 1855. Trop amoureux de la gloire et plus préoccupé de collectionner les décorations et de visiter ses confrères étrangers, il n'eut par excellence que le talent du vulgarisateur. Mais il fit faire en 1838 l'acquisition du terrain de 6 hectares où se trouve aujourd'hui le jardin botanique, pour y transporter l'ancien jardin qui, depuis 1818, se trouvait placé autour des bâtiments universitaires. Il s'appliqua aussi à constituer un cabinet de botanique, mais faute de se voir encouragé dans son oeuvre, il cessa d'entretenir cette collection que son fils s'efforça plus tard de relever et de développer.

De 1835 à 1857, les chaires de géologie et de minéralogie furent illustrées par André Dumont. Tout entier à la réalisation de son oeuvre, le jeune professeur mit seize ans à tracer la carte géologique de la Belgique qui, déposée manuscrite à l'Exposition universelle de Paris de 1855 avec une carte géologique de l'Europe, y remporta le plus grand succès. On a beaucoup regretté que les connaissances scientifiques générales et que les vues philosophiques ne fussent pas chez Dumont à la hauteur de ses connaissances techniques. Beaucoup de ses idées aventureuses font sourire aujourd'hui et l'on doit déplorer qu'il n'ait pas su fonder une école qu'il appartiendra à ses successeurs de constituer et de développer sans cesse.

La chimie à son tour fut représentée par deux savants des plus éminents: Laurent-Guillaume de Koninck et Joseph Chandelon. Le premier, nommé agrégé en 1836 après un court passage à Gand, enseigna la chimie générale, organique et inorganique; le second, répétiteur de chimie appliquée et chargé des leçons de manipulations chimiques en 1838, donna le cours de docimasie en 1842. Ils se partagèrent la chimie générale à partir de 1847. De Koninck obtint deux fois en partage le prix quinquennal des sciences (la première fois avec A. Dumont et Van Beneden de Louvain), garda son enseignement pendant quarante aimées et trouva en son fils un continuateur digne de lui.

Enfin, bien que sa nomination à Liège ne date que de 1846, ii faut signaler ici Antoine De Cuyper qui, après des débuts à l'armée et huit ans de professorat à Gand, vint enseigner à Liège l'astronomie, la mécanique céleste et la mécanique analytique, puis, à la retraite de Noël, l'algèbre supérieure et la géométrie analytique (1849). Fondateur et directeur de la Revue universelle des mines (1837), il se consacra plus particulièrement aux Écoles spéciales dont il fut l'un des inspecteurs.

La chaire d'exploitation des mines, demeurée vacante pendant cinq ans, fut confiée provisoirement à Lesoinne en 1835, puis définitivement en 1836 au Français Adolphe De Vaux qui fut le véritable organisateur de l'École des mines. Appelé en 1844 au poste d'inspecteur général des mines, il laissa son enseignement à son élève jean Louis Trasenster dont l'influence devait être prodigieuse pendant une carrière de quarante-deux ans.

Signalons encore en 1847 la fondation de l'Association des ingénieurs sortis de l'École des mines de Liège, sous la présidence toujours maintenue de Trasenster, qui devait établir les liens les plus étroits entre les anciens élèves de l'École et assurer le placement de plusieurs générations de jeunes ingénieurs.

A la Faculté de Médecine, c'est encore d'un apport étranger qu'une vigueur toute nouvelle fut donnée aux études anatomiques. Docteur en médecine, en philosophie et en sciences naturelles, Antoine Spring n'avait que vingt-cinq ans lorsqu'il fut nommé d'emblée professeur ordinaire à Liège (1839) pour les cours de physiologie humaine et comparée, d'anatomie générale et descriptive. Plus que personne, il contribua à la modification de la législation sur l'enseignement supérieur et ses idées sur le système de jury reçurent l'approbation unanime du Conseil Académique. En 1848, il partagea ses attributions avec son illustre compatriote Théodore Schwann qui, après neuf années de professorat à Louvain, venait d'être nommé aux chaires d'anatomie humaine générale et d'anatomie descriptive. Le grand physiologiste rhénan s'était immortalisé à vingt-sept ans par l'une des plus grandes découvertes du XIXe siècle, celle de l'uniformité de la texture et de l'accroissement des animaux et des végétaux. Novateur dans presque tous les domaines de sa science, il vint continuer à Liège la tradition de ses compatriotes, les anatomistes Fohmann et Spring.

Le vieux Sauveur, victime de certaines intrigues, ne fut point maintenu en fonctions en 1835 et la pathologie médicale fut confiée à Franquinet, médecin en chef de l'hôpital de Bavière, qui presque aussitôt abandonna cet enseignement pour celui de la clinique interne dont il partagea la direction pendant vingt ans avec le docteur Lombard, tous deux excellents praticiens plutôt qu'hommes de science. La clinique externe, de son côté, fut attribuée au docteur De Lavacherie qui laissa la réputation d'un chirurgien consommé. Sauveur fils, entré comme lecteur à la Faculté en 1830, enseigna la pathologie et la thérapeutique spéciales des maladies internes de 1836 à 1855, cours qui comprenait d'ailleurs les maladies des femmes et des enfants et les maladies syphilitiques dont il s'occupait depuis ses débuts. N. Ansiaux fils, après avoir donné la théorie des accouchements et dirigé la clinique obstétricale (1828-1835) en remplacement de son père, enseigna la pathologie chirurgicale et inaugura en 1838 le cours spécial d'ophtalmologie, créé par le gouvernement. C'est le docteur Simon, directeur de l'hospice de la maternité où il se dépensa pendant quarante ans à enseigner les sages-femmes de la province et à propager la vaccine, qui lui succéda dans ses premières attributions et qui y acquit, par vingt-cinq années de succès, la réputation de premier accoucheur du pays. Signalons encore le docteur Raikem qui, après avoir pratiqué la médecine à Paris et à Florence pendant près de trente ans, vint en 1836 occuper les chaires d'anatomie pathologique et d'hygiène: il suppléa au talent professoral dont il était dépourvu par les qualités du savant et de l'homme privé. Enfin, les cours de pharmacie théorique et pratique furent détenus de 1835 1868 par Peters-Vaust pendant que le docteur Royer, nommé en 1835 aux cours de pathologie et thérapeuthique générales et de médecine légale, inaugurait l'enseignement de l'histoire de la médecine.

S'il est une observation générale que suggère la distribution des cours pendant la période dont nous nous occupons, c'est bien celle-ci: les modifications d'attributions abondent au point que certains enseignements ont changé de titulaire avant même de pouvoir être donnés. On ne sait s'il faut attribuer ce fait aux désirs exprimés par les professeurs ou à des décisions d'initiative ministérielle, mais on ne peut s'étonner si cette instabilité n'a eu aucun résultat heureux. Comme ces pratiques continuent pendant la période 1849-1876, on est tenté d'y voir une des causes du peu de rendement de l'enseignement universitaire au point de vue scientifique.

L'institution des agrégés n'avait pas donné les résultats qu'on en attendait. Presque tous ceux qui ont été nommés en 1835 et immédiatement après furent promus professeurs dans un délai fort court. Un arrêté royal du 22 septembre 1845 précisa leur organisation et Van de Weyer, le 25 octobre, procéda à une fournée d'agrégés: trente-neuf nominations étaient signées rien que pour l'Université de Liège, sans que les intéressés aient même été consultés! Quatorze d'entre eux firent plus tard partie du personnel enseignant (E. Fassin, A. Le Roy, A. Troisfontaines, F. Van Hulst, Th. de Savoye, J. Macors, V. Thiry, A. Delvaux, N. Fossion, I. Kupfferschlaeger, J. Borlée, J. Dresse, H. Heuse, P. Wilmart). De 1845 à 1852, une quinzaine environ de nominations furent encore faites dans les mêmes conditions (L. De Closset en 1847, F. Macors en 1849, E. Bède en 1850 firent partie du corps professoral): c'était du délire et il fallut faire machine arrière! L'arrêté royal du 16 septembre 1853, qui instituait les doctorats spéciaux, stipulait qu'il ne serait plus nommé d'agrégé dans les Universités de l'État. On n'avait d'ailleurs demandé aucune référence spéciale à ces agrégés: aussi le fait que trente-sept d'entre eux n'ont jamais ouvert un cours privé, ainsi qu'ils en avaient le droit, atteste éloquemment du peu de sérieux de l'initiative de Van de Weyer. Seul même de tous ceux qui firent carrière à l'Université, Victor Thiry usa dès 1845 de l'autorisation dont il jouissait en principe: il ouvrit un cours sur l'histoire du droit coutumier, renouant ainsi la tradition des Warnkoenig et des Nypels.

Il fallut alors imaginer une autre solution pour « caser » ceux de ces agrégés qui se montraient disposés à enseigner non pas une matière nouvelle ou spéciale, mais tout simplement une matière déjà pourvue d'un titulaire. On eut ainsi les « nominations en concurrence » dont il faudrait se garder de dire du mal, si elles avaient donné d'heureux résultats: mais tout se borna à autoriser en 1846 E. Fassin à faire le cours d'histoire ancienne concurremment à Wurth, N. Fossion à enseigner la physiologie humaine en 1847 concurremment à Spring et A. Le Roy à donner en 1850 les cours de logique et de métaphysique concurremment à Schwartz, lui­même suppléant de Loomans qui avait reçu sa nomination d'agrégé en 1845, quelques mois avant la fournée de Van de Weyer.

Signalons encore, pendant cette période, l'autorisation accordée en 1841 à des professeurs d'anglais et d'allemand de donner des cours privés à l'Université de Liège; l'installation, en 1840, d'un atelier pour la construction des machines à l'École des arts et manufactures, sur l'initiative du professeur Brasseur et sous la direction de Gouttier; la création, le 25 mars 1842, d'une chaire d'agriculture et d'économie rurale qui fut confiée à Charles Morren; l'ouverture, en 1842, d'une série de leçons publiques sur l'histoire de l'architecture par l'ingénieur Schmit qui enseignait aux Écoles spéciales l'architecture civile.

Un arrêté royal du 3 novembre 1847 institua dans les deux Universités de l'État un enseignement normal pédagogique destiné à former des professeurs pour les sciences à Gand et pour les humanités à Liège. On en revenait ainsi aux mesures du roi Guillaume de 1827-1828. Immédiatement la Faculté de Philosophie et Lettres de Liège organisa des cours normaux théoriques et pratiques. Parmi les premiers, figuraient la pédagogie, la méthodologie et l'esthétique (E. Tandel), la grammaire générale (P. Burggraff), parmi les seconds, des exercices de philologie grecque et latine (J. H. Bormans), des exercices dans l'art d'enseigner l'histoire et la géographie et des dissertations sur des questions d'histoire et de géographie (A. Borgnet), enfin des exercices littéraires, complément du cours de littérature comparée.

Il convient de dire ici deux mots du court passage aux chaires d'histoire de la littérature française et d'histoire des littératures modernes et littérature comparée de l'illustre critique français Sainte-Beuve qui déjà, en 1831, avait été vainement appelé par Rogier à donner ces enseignements à Liège. D'octobre 1848 à juillet 1849, malgré l'orage que sa nomination avait soulevé, les polémiques de presse qui sans cesse renaissaient, l'hostilité ou la froideur qu'il rencontra chez beaucoup de collègues (il n'eut guère pour amis que Borgnet et Lacordaire), il donna ses leçons les unes publiques, les autres réservées aux étudiants, quelques-unes même sous forme d'exercices de rhétorique et de style dans le cadre du nouvel enseignement pédagogique, avec un succès très varié. Liège n'était à aucun titre une ville très intellectuelle et les meilleurs poètes de chez nous, Ed. Wacken et Weustenraad, faisaient chorus avec A. Michiels et avec ceux qui avaient été évincés de la succession de Lesbroussart, pour rendre au savant critique le séjour intolérable. Sainte-Beuve était au surplus très médiocre professeur et l'idée de le faire enseigner à l'Université de Liège est encore l'une des plus biscornues qui aient germé dans les cervelles de 1848. Finalement écoeuré, l'écrivain démissionna et le Français Baron, professeur à Bruxelles, vint prendre possession de ses cours, pendant que F. Van Hulst ouvrait un cours public d'histoire littéraire.

Pendant les quinze années que nous venons de parcourir, les élèves de l'Université de Liège avaient conquis 168 diplômes de docteurs en droit, 93 de docteurs en médecine, 51 de docteurs en chirurgie, 73 de docteurs en accouchements et seulement 7 diplômes de docteurs en philosophie et lettres, 2 de docteurs en sciences naturelles, 2 de docteurs en sciences physiques et mathématiques. Notre Alma Mater était de loin la première du pays pour le nombre de ses docteurs en droit et la seconde, après Gand, pour celui de ses docteurs en médecine. Aussi peut-on dire, plus encore que pour la période hollandaise, que les Facultés de Philosophie et Lettres et des Sciences (abstraction faite des Écoles spéciales) n'existaient que comme des écoles préparatoires à l'étude du droit et de la médecine. Les doctorats de ces deux Facultés étaient absolument déserts. L'inorganisation de l'enseignement moyen de l'État explique que l'on ne se souciait pas d'obtenir le diplôme de docteur (en philosophie et lettres ou en sciences) pour pouvoir enseigner dans un athénée. Aussi le niveau scientifique des études était-il fort bas.

Le Concours universitaire, dont la loi de 1835 avait décrété le rétablissement, ne fut organisé qu'en 1841. Jusqu'en 1849, les élèves de l'Université de Liège y remportèrent 9 prix et 2 mentions. De 1836 1843; sur 35 bourses de voyage conférées par le gouvernement, 8 furent obtenues par d'anciens élèves de Liège, dont 5 par des médecins et 3 par des juristes.

La dissertation doctorale, qui avait été supprimée par la Révolution et que la loi de 1835 n'avait point restaurée, cessa de constituer le critère plus ou moins scientifique des études universitaires. Nous avons vu que la perte n'était pas grande, mais cela explique très probablement le peu de candidats qui se présentaient aux concours gouvernementaux.

Les bâtiments universitaires connurent eux aussi des modifications importantes.

On sait que l'Université s'était établie en 1817 dans l'ancien collège de jésuites wallons qui, sous le régime français, avait servi de local à l'écoIe centrale et au Lycée. Ch. Comhaire a rappelé jadis les avatars de ce bâtiment. La bibliothèque, certaines collections occupèrent les étages l'église désaffectée fut démolie en 1821 pour permettre l'édification de la salle académique actuelle, sous la direction de l'architecte Chevron; le jardin de l'ancien couvent devint le premier jardin botanique. L'ensemble se composait de trois bâtiments: un principal flanqué de deux autres servant d'auditoires.

Dès 1836, on procéda à des transformations sous la direction de l'architecte Rémont. « L'amphithéâtre de médecine fut reconstruit, la salle académique restaurée, la bibliothèque agrandie, les cabinets de collections, les musées, les ateliers mieux disposés, le jardin botanique, que la construction d'un chemin de halage le long de la Meuse avait réduit de moitié et privé d'une partie des terres », dut être transféré en 1840 dans une pièce de terre du quartier du Bas-Laveu. « Par l'édification de deux ailes parallèles à l'ancien bâtiment, les constructions présentèrent l'aspect de deux carrés contigus, dont le premier encadrait la salle académique. La Faculté de Médecine occupa le fond de ce carré et l'extrémité de l'aile gauche au rez­de-chaussée, avec son amphithéâtre, sa salle de dissection et ses salles de collections et préparations anatomiques. Au-dessus du bâtiment du fond, la bibliothèque occupait trois grandes salles luxueusement décorées ».

« Le centre de l'aile gauche, d'après les plans, devait être occupé par une grande salle de concert contiguë aux locaux du Conservatoire royal de musique, pour relier ainsi ce bâtiment à celui de l'amphithéâtre de médecine. Mais l'agrandissement que l'on prévoyait des collections de l'École de pharmacie et des collections anatomiques empêchèrent de réaliser ces desiderata et le bâtiment en resta à l'état de projet jusqu'en 186o ».

« L'aile centrale ou ancien corps de bâtiment est occupé par les auditoires des Facultés de Philosophie, de Droit et des Sciences et les locaux de l'administration. Les nouveaux plans la prolongent pour placer à son extrémité les laboratoires de métallurgie, chimie industrielle, manipulations chimiques. Le bâtiment du fond du second carré renfermait les collections de physique et de zoologie, d'anatomie et de physiologie végétales, de minéralogie, de géologie et de métallurgie. Au sommet, on construisit en 1838 un observatoire. Enfin la dernière aile, parallèle à la plus ancienne, achevée vers 1840, fut affectée spécialement à l'École des arts, manufactures et mines ».

Cette description sommaire est empruntée à la notice publiée en 1841 par Lesbroussart sur l'Université de Liège. Les diverses reproductions ci­jointes montrent quelques-uns des progrès accomplis par les installations. Nous aurons l'occasion de reparler des collections et des laboratoires. Nous n'ajouterons ici qu'un mot pour ce qui concerne la bibliothèque.

Le premier fonds de celle-ci a été constitué par les 7000 volumes de la Bibliothèque de la ville. D'année en année, elle s'enrichit de dons divers, des envois de dissertations des Universités étrangères et surtout des ouvrages achetés à l'aide de l'allocation gouvernementale qui, de 2.200 à 3.000 florins sous le régime hollandais, passa à 9.500 fr. sous l'empire de la loi de 1835. Vers 1850, la bibliothèque s'accroissait au rythme d'environ 2000 volumes par an et comptait alors près de 100.000 volumes et dissertations. Une quantité de manuscrits provenant de la ville (qui en faisait le dépôt à l'Université), de l'abbaye de Saint-Trond, de certaines ventes publiques et relatifs surtout à l'histoire liégeoise y étaient entrés. Les deux fonctionnaires qui eurent le mérite de classer cet énorme ensemble de pièces, d'en dresser des catalogues et de veiller au développement de cette indispensable institution furent le bibliothécaire en chef Fiess qui gouverna celle-ci de 1825 1875 et le sous-bibliothécaire Grandjean qui, entré dans la carrière en 1839, lui succéda de 1875 à 1890.


§4

1849 - 1876


La nouvelle période que nous circonscrivons ainsi est marquée par de nouveaux essais en matière de jurys d'examens.

On sait que le mode de jury institué par la loi de 1835 avait été maintenu, bon gré mal gré, en dépit du dépôt, en 1844, du projet de Nothomb tendant à le réformer complètement. Le jury central unique, condamné par une opinion à peu près unanime, fut supprimé par la loi organique du 15 juillet 1849.

Celle-ci se donnait explicitement pour but de relever les études universitaires de la décadence où elles étaient tombées. A cette fin, on instituait le grade d'élève universitaire qui était requis pour la présentation à tout examen de candidature et qui, en fait, était pris avant l'inscription aux cours. Celle-ci était rendue obligatoire et globale et l'assistance aux leçons était exigée par le règlement. De plus la loi organique de l'enseignement moyen allait être votée en 1850 et devait contribuer fortement à améliorer le niveau intellectuel des futurs étudiants.

Le régime des examens subissait une modification radicale. Au lieu de ne constituer qu'un jury central unique (qui était maintenu pour les études privées), on instaurait le système des « jurys combinés », c'est-à-dire des jurys composés en nombre égal de professeurs des Universités de l'État et de professeurs des Universités libres, de telle sorte que, chaque année, dans deux villes du pays, un certain nombre des membres du corps enseignant de chacune des Universités de Gand et de Liège se réunirait avec un pareil nombre de professeurs de Louvain ou de Bruxelles, selon la décision du sort. Le gouvernement seul, et non plus le pouvoir législatif, avait le droit de nommer tous les membres de ces deux jurys combinés, comme d'ailleurs ceux du jury central.

Pour s'en tenir aux principes de la loi de 1849, signalons les principales innovations en matière d'enseignement.

Considérant que les programmes étaient surchargés (déjà!), un certain nombre de cours furent supprimés: ce fut le cas de la géographie physique et ethnographique, de la statistique, de l'histoire du droit, de l'histoire des littératures modernes. En revanche on créa le cours de « science du notariat » dont la matière était auparavant fondue dans le cours de procédure civile. Presque aucun changement n'est à relever dans le cadre des Facultés des Sciences et de Médecine.

La loi créait de nouveaux grades: ceux de docteur en sciences politiques et administratives, de candidat notaire, de candidat en pharmacie et de pharmacien. Elle stipulait la division en deux examens du doctorat en droit, afin de relever l'étude du droit romain et prescrivait la répartition en trois examens au lieu de deux du doctorat en médecine. Elle exigeait le diplôme de docteur en médecine pour l'exercice de la profession d'oculiste.

Le régime intérieur subissait aussi quelques modifications. Le nombre maximum d'heures de cours par jour était fixé à trois, non compris les cliniques et exercices pratiques. Le rectorat, jusque là annuel, devint triennal et la tradition s'établit de le conférer à tour de rôle au plus ancien professeur de chaque Faculté.

Enfin, un Conseil de perfectionnement de l'enseignement supérieur était institué où chaque Faculté des Universités de l'État aurait son représentant.

A partir de cette époque, on est relativement bien renseigné sur la situation des Universités par la publication des rapports triennaux qui ont été présentés par le ministre compétent aux Chambres jusqu'en 1929 (dernière période: 1922-1924) depuis lors, une mesquine pensée d'économie semble les avoir fait supprimer. C'est à la lumière de leur documentation que nous allons retracer sommairement la vie de l'Université de Liège pendant trois quarts de siècle.

Aucun système d'examens n'a eu plus mauvaise presse dans notre histoire que celui des « jurys combinés ». Dès 1852, les diverses Facultés de Liège en demandaient la suppression et réclamaient le rétablissement des examens devant elles, faute de quoi les Facultés de Médecine et de Philosophie et Lettres auraient encore préféré le jury central. La Faculté des Sciences proposait que les grades scientifiques fussent conférés par les Universités et les grades professionnels par le jury central. Au Conseil académique cependant on vota, par 15 voix contre 11, le maintien du système de 1849, si l'on ne voulait pas rendre aux Facultés le droit de conférer les grades.

Dans un avis de la Faculté de Droit de Gand du 14 juillet 1852 on lit que « les sessions du jury sont l'enfer des professeurs ». Selon une formule devenue célèbre, c'était le système de la « collusion ou de la collision ». En effet, ou bien les interrogateurs, dans le désir de ne pas se froisser et plus peut-être dans le désir d'obtenir la réciprocité pour leurs élèves, laissaient passer tous les récipiendaires de l'autre Université ou bien des conflits éclataient, parfois singulièrement aigus. « Il me déplait, dira plus tard Trasenster, de contrôler les jésuites, mais je ne veux point que les jésuites me contrôlent ». Ce régime devait cependant durer vingt-sept ans!

En mars 1855, au cours d'un vote accessoire, l'examen d'élève universitaire fut supprimé par la Chambre, malgré l'avis du ministre compétent qui dut démissionner. L'effet s'en fit sentir immédiatement. Alors que de 1849 à 1854, la population de l'Université de Liège s'était stabilisée autour de 504-508 étudiants, elle passa à 583 en 1855, 688 en 1856, 727 en 1857, 762 en 1858.

La loi du 1er mai 1857 fut la plus néfaste de l'histoire de notre enseignement supérieur. Le Parlement, plus préoccupé de rejeter la « loi des couvents » que de veiller à l'avenir scientifique du pays, consacrait l'abolition de l'examen d'élève universitaire, malgré les protestations unanimes des Facultés d'État et introduisait le système des « cours à certificat ».

Pour filtrer, dans une certaine mesure, l'entrée à l'Université, elle instituait le certificat d'études d'humanités, faute duquel on devait subir l'épreuve préparatoire déterminée par la loi, mais d'une manière tout à fait insuffisante. La population de notre Université crut encore jusqu'à 864 étudiants en 1861, ce qui représente une augmentation de 72 pour 100 sur les chiffres des années 1849-1854.

Une réaction était inévitable. Elle se produisit, le 27 mars 1861, par le vote d'une loi qui instituait le titre de « gradué en lettres » conféré par cinq jurys provinciaux, dont les professeurs d'Université étaient exclus, après examen sur les matières des trois dernières années d'études d'humanités. Ce titre devait être joint au certificat prescrit par la loi de 1857 pour l'entrée à l'Université. Le dégonflement se produisit progressivement: de 864 élèves en 1861 la population de notre Université revint à 656 en 1872.

Il faudrait se garder de croire que le graduat eût conquis toutes les sympathies. Par rapport au régime inauguré en 1855 il avait un immense avantage: il repoussait dans l'enseignement moyen les enfants de quinze ans qui avaient envahi les Universités. Mais la très sérieuse épreuve qu'il instaurait et qui permit de constater la faiblesse extrême des candidats eut, au bout de quelques années, un inconvénient énorme: c'était de transformer le cours de troisième, de poésie et de rhétorique dans les athénées en répétitions en vue de l'examen. On perdait de vue le but des humanités et tout ce qui ne tendait pas à faire réussir l'examen final, dont le programme était d'ailleurs exagéré, fut négligé. On en vint ainsi à limiter au programme de la seule rhétorique la matière de l'examen, mais, du jugement des interrogateurs, cela ne faisait que transformer cette année de haute culture générale en une préparation fiévreuse des branches spéciales.

Beaucoup plus grave a été, pour l'avenir des Universités, le régime des cours à certificat ». Il s'agissait de désigner, parmi les matières du programme légal, celles qui ne comporteraient plus d'examen et pour lesquelles on se contenterait de la simple présence « matérielle » des élèves, constatée par un certificat du professeur. Les épreuves auxquelles se rattachèrent ces matières à certificat furent les diverses candidatures, le doctorat en droit, les 1er et 2 doctorats en médecine. Celles auxquelles ne se rattachèrent aucune matière à certificat furent les autres doctorats, la candidature en pharmacie, l'examen de candidat-notaire.

L'expérience fut décisive: rendre un cours matière à certificat équivalut à le supprimer. Le recteur Spring faisait observer au ministre en 1864 que les élèves se contentaient de se faire inscrire présents à ces cours et prévoyait un abaissement nouveau des études par suite de ce dédain pour l'esprit scientifique, qui avait fait l'objet de son célèbre discours de rentrée de 1862. En effet, les branches à certificat sont les branches scientifiques qui servent de fondement aux cours à examen. Depuis huit ans, disait-il, les professeurs ont vainement lutté contre l'indifférence des élèves et sont dégoûtés de leur tâche (7).

Il suffit de faire observer que, dans la Faculté de Philosophie et Lettres, tous les cours d'histoire (sauf celui sur l'Antiquité) étaient devenus des branches à certificat, qu'à la Faculté de Droit, le droit public, le droit commercial, le droit naturel et l'économie politique avaient subi le même sort, que la littérature française elle-même n'était pas épargnée, pour juger des résultats du système. En médecine, la physiologie comparée cesse de figurer au programme de la candidature, l'anatomie comparée, l'anatomie pathologique, la pathologie générale, l'hygiène publique et privée deviennent des matières à certificat. A la candidature en sciences, on remplaça l'épreuve sur la psychologie, la logique et la morale par un certificat de fréquentation d'un cours de psychologie; au doctorat en sciences physiques et mathé­matiques, on retrancha le cours de mécanique céleste. Le cours d'économie rurale et d'agriculture qui n'avait plus été donné depuis la mort de Ch. Morren fut supprimé en 1863.

« Dans toutes les Facultés, disait vers 1860 le recteur Lacordaire, la marche des études est réglée en dernier ressort d'après les exigences du jury d'examens ». Les épreuves passées devant les jurys combinés paralysent l'enseignement qui devient un pur questionnaire.

Indépendamment des effets propres de la loi de 1857, le défaut de curiosité intellectuelle prive d'auditeurs toute une série de cours. Pendant la période 1856-1858 on ne compte pas un seul élève pour les cours de littérature orientale, littérature flamande, archéologie, antiquités romaines, géométrie supérieure, paléontologie, encyclopédie et histoire de la médecine.

En 1862, on inaugura les cours publics dans l'espoir de réunir un certain auditoire. Stecher parla du théâtre de Molière, puis de la langue française au XVIe siècle; Ed. Morren fit des leçons sur la physiologie végétale; Brasseur rendit public son cours facultatif de géométrie supérieure; Trasenster, Pérard, Schmit prirent les mêmes initiatives. Après deux ou trois années, tous ces cours cessèrent faute d'auditeurs.

Certes ces résultats décourageants n'avaient pas été voulus par le législateur. Saisi des plaintes des Universités de l'État, il prescrivit, par la loi du 30 juin 1865, que les certificats portassent la mention que les cours ont été suivis avec fruit. Interprétant largement ce texte, le Conseil acadé­mique de Liege décida que le certificat de fréquentation avec fruit des cours visés ne serait attribué qu'après un examen sommaire public, annoncé trois jours d'avance. C'était en quelque sorte en revenir à un régime de contrôle sérieux malgré la disposition de la loi de 1857. On peut admettre que ce système commença à donner quelques résultats vers les années 1868-1870.

Mais revenons à l'enseignement lui-même.

Au début de la période dont nous nous occupons, trois hommes de premier ordre étaient à l'aurore de leur brillante carrière. Par leur prestige scientifique, par la valeur et l'influence de leur enseignement et plus encore par l'intérêt qu'ils ont porté aux questions les plus générales intéressant l'Uni­versité, Théodore Schwann, Louis Trasenster et Victor Thiry ont bien mérité de celle-ci

Nous avons déjà signalé la nomination de Schwann à la chaire d'anatomie humaine générale (histologie) en 1845 l'illustre savant allemand reprenait à Spring en 1848 l'anatomie descriptive qu'il partagea ensuite avec lui, puis avec Borlée et Dresse, avant de la laisser à Masius en 1864. En 1858, il reprenait également à Spring les cours de physiologie humaine et de physiologie comparée qu'il devait conserver jusqu'à son éméritat en 1879 pour les transmettre à Léon Fredericq.

Victor Thiry était entré en 1845 comme agrégé chargé du cours libre d'histoire du droit coutumier; il enseigna ensuite le droit civil élémentaire et, lors de l'application de la loi de 1849, il occupa les chaires de droit commercial et de droit civil approfondi jusqu'en 1889. Peu d'enseignements ont laissé une aussi profonde influence que celui du plus éminent civiliste que Liège ait eu: il eut l'honneur de revêtir deux fois consécutivement l'hermine rectorale (1873-1876 et 1876-1879) et, comme chef de notre Alma Mater, il prit une part prépondérante à la préparation de la loi de 1876.

Louis Trasenster avait été chargé en 1840 du cours de statique élémentaire et de principes de dynamique aux Écoles spéciales. En 1844, il obtint la chaire d'exploitation des mines qu'il détint nominalement jusqu'en 1886 bien qu'il ait été suppléé dès 1879 par Habets dans cet enseignement. Succédant comme recteur à V. Thiry, il le demeura pendant deux périodes triennales (1879-1885) afin de pouvoir mener à bonne fin les grands travaux d'édification des nouveaux Instituts. Personne n'a porté plus d'intérêt que lui à l'École des Mines de Liège, personne non plus n'a eu des idées plus élevées en matière d'enseignement universitaire: ses six discours rectoraux font encore aujourd'hui une profonde impression. Nous aurons à nous y arrêter dans l'exposé de la période ultérieure.

A côté de ces pionniers de la science, bien des noms éminents seraient à relever. Bornons-nous à en signaler quelques-uns. Le philosophe Charles Loomans professa pendant près de quarante ans la psychologie, la morale et le droit naturel; en 1845 il avait rapporté d'un voyage en Prusse un rapport sur l'enseignement supérieur dans ce pays, qui, publié seulement en 1860, exerça une sérieuse influence sur les idées de ses collègues. Pendant son rectorat (1870-1873), il plaida éloquemment la cause du progrès scientifique dans les Universités, qui était incompatible, selon lui, avec la limitation du nombre des professeurs.

Auguste Stecher vint de Gand en 1851 pour assumer à l'École normale des Humanités, dont nous dirons un mot tout à l'heure, l'enseignement des langues anciennes et à la Faculté de Philosophie et Lettres celui de la littérature française et les exercices de style et de rédaction aux Écoles spéciales. Enfin, en 1868, il assuma l'enseignement de l'histoire de la littérature flamande qui fut alors donné pour la première fois. Dans ces divers domaines, il joignit les qualités du lettré à celles du philologue et s'efforça de jeter pleine lumière sur les rapports des littératures anciennes et modernes.

A la Faculté des Sciences, Gloesener continuait sa vaillante carrière de désintéressement: il construisait le premier télégraphe à écrire fonctionnant avec renversement de courant, puis il publiait son imposant Traite général des applications de l'électricité. Il cédait une partie de ses attributions à Bède pour assurer l'avenir de son élève et, lorsqu'il devint émérite, il se vit refuser par le ministère un subside de 250 fr. pour l'achat des acides indispensables aux leçons de manipulation des instruments de physique qu'il aurait voulu ouvrir au doctorat!

Bède, qui lui succéda pour les cours de physique générale et de physique industrielle, se retira presque aussitôt et Louis Pérard commença alors une carrière de trente ans consacrée à la théorie et la pratique de la physique moderne pendant qu'Auguste Gillon assumait pour trente-cinq années la charge du cours de métallurgie et qu'il y joignait de 1862 à 1867 l'échevinat de l'instruction publique de la ville de Liège.

Édouard Morren n'avait que vingt et un ans lorsque son père se trouva dans l'incapacité de continuer son enseignement. Tout en assumant l'interim du cours de botanique, il prit ses derniers grades et put obtenir sa titularisation en 1858. Pendant vingt-huit ans, il s'efforça de relever et de développer les collections de botanique et de tenir son enseignement au niveau de la science, tout en dirigeant la revue La Belgique horticole.

Gustave Dewalque assuma pendant près de quarante années les charges d'un enseignement écrasant: minéralogie (1857-1891), géologie (1857­1896), paléontologie animale (1857-1889), végétale (1857-1879) et stratigraphique (1857-1890) et même cristallographie (1883-1891) et géographie physique (1890-1897). Ce grand travailleur a été ainsi le prédécesseur de J. Fraipont, de G. Cesaro et de M. Lohest.

A la Faculté de Droit, on relève pendant cette période les noms des deux romanistes P. Namur et G. Maynz qui enseignèrent, le premier pendant vingt ans et le second pendant quinze, les Institutes et les Pandectes, celui du civiliste Th. De Savoye et ceux des deux frères Macors qui firent longue carrière, l'aîné dans le droit public et le droit des gens et le cadet dans le droit administratif (8) et la pratique notariale.

Plus significatifs encore sont les noms qui apparaissent autour de l'année 1870 et qui semblent un signe avant-coureur du grand mouvement de rénovation scientifique qui va commencer. En 1864, Masius et de Laveleye, en 1865, Catalan, en 1866, Delbœuf et Vanlair, en 1868, Dwelshauvers-Déry, en 1870, Van Beneden, en 1872, Kurth et Swaen entrent dans la carrière. Ces neuf noms sont tout un programme mais, avant de décrire leurs efforts, il convient de voir exactement où en étaient les institutions universitaires pendant cette période.

L'innovation la plus notable avait été la création de l'École normale des Humanités. Nous avons dit qu'en 1847 un enseignement pédagogique avait été institué auprès de la Faculté de Philosophie et Lettres de Liège. L'arrêté royal du 16 avril 1851 maintint cet enseignement, qui préparait à l'examen de professeur agrégé de l'enseignement moyen du degré supérieur. Mais, le 1er septembre 1852, un nouvel arrêté organisait une École normale comme établissement distinct de l'Université. Elle ne s'ouvrit qu'en octobre 1854, après s'être installée dans une vaste cour du bas de la rue Saint­Gilles.

Les principes qui régirent l'établissement furent les suivants: limitation de l'accessibilité par un concours, octroi d'une bourse d'études à chacun des admis, régime de l'internat, assurance du placement immédiat dans les cadres des athénées créés par la loi organique de l'enseignement moyen de 1850.

Il y avait trois années d'études: la première se donnait exclusivement à l'Université, la deuxième à l'Université et à l'École, la troisième consistait en dissertations sur des sujets de critique, de philologie, d'histoire ou de géographie (Bormans, Stecher, Borgnet); elle se doublait d'un cours de pédagogie et de méthodologie (A. Le Roy), de cours facultatifs de littérature flamande, allemande et anglaise et d'un enseignement religieux. En 1856-1857 le nombre des années d'études fut porté à quatre. En 1864, on y créa le cours de lecture et de débit oratoire. Il n'y eut en moyenne que trois ou quatre élèves par année: l'examen de sortie se passait devant un jury spécial où l'enseignement libre était représenté. Le premier directeur de l'École fut X. Prinz, professeur à l'Athénée de Liège.

Il est d'autant plus remarquable d'observer que, malgré la séparation de l'École d'avec l'Université, le nombre des docteurs en philosophie et lettres des années 1850-1870 dépasse la soixantaine, ce qui atteint presque le nombre des agrégés diplômés par l'École normale. Lorsqu'on rapproche ces chiffres de ceux de la période 1830-1850, on constate une progression surprenante.

Pendant la même période 1849-1870, l'Université de Liège a délivré 459 diplômes de docteurs en droit, 82 de docteurs en sciences politiques et administratives, 210 de candidats-notaires, 24 de docteurs en sciences naturelles, 13 de docteurs en sciences physiques et mathématiques, 311 de docteurs en médecine, 130 de pharmaciens. Le petit nombre de diplômes de docteurs en sciences doit être attribué à la création à Gand d'une École normale des Sciences qui conférait un diplôme légal d'agrégé donnant accès direct à l'enseignement moyen.

Ces chiffres d'ailleurs ne disent rien par eux-mêmes. Tout ce qu'on peut affirmer c'est que Liège est très en avance sur les autres Universités pour le nombre des diplômes de la Faculté de Droit et atteint Louvain pour celui des diplômes de docteurs en philosophie et lettres. Mais ces remarques sont d'ordre purement professionnel, car le niveau scientifique des diplômés ne s'élève pas. En dix-sept années (1853-1870) on ne compte que neuf lauréats de Liège au Concours universitaire!

Vers 1858, l'administrateur inspecteur Polain en était réduit à écrire au ministre: « Les élèves ont continué de montrer de l'indifférence à prendre part au Concours universitaire. Il y aurait peut-être un moyen de ranimer l'esprit scientifique de la jeunesse universitaire, ce serait de rehausser l'importance du prix que l'on décerne. Si les élèves couronnés dans le concours étaient par exemple dispensés du service actif dans l'armée, comme le sont les lauréats du concours de l'Institut de France, il est assez probable que l'indifférence si regrettable que l'on signale viendrait bientôt à cesser »!

La loi de 1849 avait fixé à 40 le nombre maximum des professeurs de l'Université de Liège, c'est-à-dire 10 à la Faculté de Philosophie et Lettres, 9 à la Faculté de Droit, 11 à celle des Sciences, 10 à celle de Médecine. En 1852, il y en avait 37, soit 25 ordinaires et 12 extraordinaires. Parmi ceux-ci, un avait été nommé en 1835, trois en 1837, quatre en 1838, deux en 1839, un en 1841. Tous attendaient leur promotion que des raisons budgétaires ne permettaient point d'accorder! En 1858, le corps professoral étant au complet, (40 + le bibliothécaire en chef qui, depuis 1841, avait rang de professeur extraordinaire), il y avait encore dix professeurs extraordinaires. En 1873 il n'en restait plus que trois.

A côté de ces professeurs, figurait la cohorte des agrégés. En 1850 il y en avait 47 (14 à la Faculté de Philosophie et Lettres, 5 à la Faculté de Droit, 13 la Faculté des Sciences, 15 à la Faculté de Médecine). Quatorze d'entre eux étaient chargés d'un enseignement. Cette situation ridicule était appelée à s'effacer progressivement. En 1858, sept agrégés seulement se trouvent encore chargés d'un cours obligatoire (trois aux Écoles spéciales, trois à la Médecine, un aux Sciences) et 31 autres sont sans emploi (ni traitement, bien entendu). Depuis 1853 le gouvernement n'en nommait plus, ayant créé le 16 septembre le diplôme spécial de docteur qui devait consacrer les spécialités scientifiques: il y en avait trois à la Faculté de Philosophie et Lettres (sciences philologiques, sciences philosophiques, sciences historiques), trois à la Faculté de Droit (droit romain, droit moderne, droit public et administratif), six à la Faculté des Sciences (sciences mathématiques, sciences physico-mathématiques, sciences physiques, sciences chimiques et minéralogiques, sciences botaniques, sciences zoologiques), quatre à la Faculté de Médecine (sciences physiologiques, sciences médicales, sciences chirurgicales, sciences pharmacologiques).

Peu de temps après, le doctorat spécial tendait à devenir une institution préliminaire au professorat. Voici les douze noms de docteurs spéciaux que l'on rencontre de 1857 à 1865:


1857 G. Dewalque (sciences chimiques et minéralogiques).

1858 Ed. Morren (sciences botaniques).

1861 H. Staedtler (droit romain).

1861 O. Ansiaux (sciences chirurgicales).

1861 A. Wasseige (sciences chirurgicales).

1862 G. Krans (sciences médicales).

1862 L. Goffart (sciences médicales).

1862 D. Hicguet (sciences chirurgicales).

1863 Ch. Horion (sciences chirurgicales).

1863 J. Delbœuf (sciences philosophiques).

1865 O. Merten (sciences philosophiques).

1865 M. J. Larondelle (sciences chirurgicales).


Six d'entre eux obtinrent des chaires universitaires, dont cinq à Liège; quatre reçurent l'autorisation d'ouvrir des cours privés.

Ce fut en effet le complément de la création du doctorat spécial que l'institution, le 30 janvier 1864, des cours privés. Les docteurs spéciaux et même les simples docteurs pouvaient être autorisés à ouvrir des « cours privés » dans les Universités, sur des matières complémentaires de l'enseignement légal ou sur des matières nouvelles. L'autorisation valait pour trois ans, après quoi la Faculté devait faire un rapport sur l'essai qui avait été fait.

C'est ainsi qu'en 1865 O. Ansiaux ouvrit un cours sur les fractures, G. Krans sur les maladies des enfants, le docteur Kuborn sur l'uroscopie au lit du malade, l'agrégé Schmit sur l'axonométrie. Les docteurs Goffart et Hicguet n'ont pas usé de l'autorisation qui leur avait été donnée d'ouvrir des leçons sur la physiologie appliquée à la médecine et sur l'histoire et les progrès récents de la chirurgie. En 1868 et 1869, M. Folie fit un cours sur la théorie mécanique de la chaleur. De 1869 à 1871, le docteur Grenson donna une série de leçons d'anatomie topographique médico-chirurgicale. Il était alors le seul titulaire de cours privé.

Cette expérience eut le même sort que celle des cours publics: elle ne réunit au début que fort peu d'auditeurs et finit par mourir de sa belle mort. A Gand, les cours privés ont cessé dès 1867; Liège, il n'en existait plus aucun en 1872.

Ainsi ce nouvel essai d'éveiller l'esprit scientifique échouait. D'ailleurs bien rares ont été pendant la période 1850-1870 les créations d'enseignements nouveaux par les membres du corps professoral. On ne voit à noter qu'un cours public d'histoire constitutionnelle de l'ancien pays de Liège par A. Borgnet en 1851, un cours facultatif d'antiquités romaines religieuses et militaires par A. Troisfontaines en 1854 et un cours facultatif de droit international et de législations politiques comparées en 1858 par J. Macors.

Pourtant il faudrait se garder de croire à une stagnation scientifique absolument générale. Dans le cadre de la Faculté des Sciences et surtout des Écoles spéciales, l'enseignement technique et l'enseignement chimique étaient mis, dans la mesure du possible, à la hauteur des progrès incessants accomplis par les sciences appliquées en ce milieu du XIXe siècle. En 1849 la situation n'était certes pas brillante. Les trois laboratoires de chimie, dont la construction et les plans avaient été arrêtés dès 1836, ne furent édifiés par l'architecte Rémont qu'en 1851. On manquait de ressources pour les expériences. Le crédit de matériel accordé à l'Université avait été jusque là de 45.000 fr. En 1849, il fut réduit à 32.500 fr. malgré les protestations du Conseil académique. Encore en 1854, le professeur Chandelon établissait qu'il ne pouvait disposer que de 1,75 fr. par leçon de chimie inorganique alors que le professeur de chimie de l'École vétérinaire de Cureghem y pouvait consacrer 18,75 fr. et celui du Museum de Paris 35,70 fr.!

Un laboratoire spécial de recherches chimiques accessible aux élèves de dernière année des Écoles spéciales fut ouvert le 31 octobre 1863, en même temps qu'un cours nouveau de construction de machines était institué. En 1867, fait bien significatif, l'exploitation des chemins de fer était dotée d'un enseignement spécial, confié à l'ingénieur Despret. Enfin, en 1873, un cours de législation industrielle et minière était inauguré par F. Macors.

L'organisation même des Écoles spéciales fut réglementée par l'arrêté du 25 septembre 1852, signé par Rogier, qui resta en vigueur jusqu'en 1876 et même, dans une certaine mesure, jusqu'à leur transformation en Faculté Technique. Ce n'est point ici le lieu d'entrer dans les détails de leur régime intérieur qui a été célébré par les uns comme excellent et tenu pour la cause de la solidité des études et de la valeur des ingénieurs diplômés, mais qui a été aussi dénoncé comme superflu ou abrutissant (9). Sa particularité la plus notable était le régime des interrogations auquel étaient soumis les élèves par les soins de répétiteurs, parmi lesquels on distingue plusieurs des futurs professeurs les plus réputés des Écoles (F. Folie, A. Habets, J. Graindorge, V. Dwelshauvers, L. Pérard, A. Gillon, etc.). Pour répondre à la nécéssité où beaucoup d'ingénieurs liégeois se trouvaient de se rendre à l'étranger, des cours de langue allemande et de langue anglaise furent institués en 1873, les premiers peut-être qui se soient donnés dans les locaux de l'Université.

1869 - Schmit - Vue axonométrique de l'Université de Liège

VUE AXONOMÉTRIQUE DE L'UNIVERSITÉ, EN 1869.
Par Schmidt (Liber Memorialis, d'Alph. Le Roy).


Le problème des locaux renaissait sans cesse. Dans son discours rectoral de 1860, Lacordaire s'écriait: « L'Université est à la veille d'être obligée de refuser, faute de place pour les recevoir, les jeunes gens qui viendraient lui demander l'instruction. La construction des nouveaux locaux est d'une nécessité absolue et, pour peu que le nombre de nos élèves augmente, ceux qui ont été votés ne suffiront même pas ». En effet, le Conseil communal venait d'accorder les subsides nécessaires à de nouvelles constructions, mais les travaux n'étaient pas encore entrepris. On modifia cependant la destination de certaines salles: les laboratoires de métallurgie et de chimie furent transférés de l'extrémité de l'aile centrale prolongée au rez-de-chaussée du bâtiment de fond du second carré; les collections de botanique se logèrent au-dessous de la Bibliothèque; l'observatoire fut réédifié au­dessus de l'aile centrale.

ULG 1869 - Coune - Plan du Rez-de-Chaussée ULG 1869 - Plan du 1er Etage

PLAN DE L'UNIVERSITÉ, EN 1869.
(Liber Mernorialis, d'Alph. Le Roy).


Une nouvelle construction vint alors, en 1860-1862, combler le vide qui existait entre le Conservatoire de musique, que le recteur proposait déjà de transporter ailleurs, et le bâtiment occupé par la Bibliothèque et la Médecine. Les cabinets de zoologie et d'anatomie comparée y furent installés en 1864.

Pendant les années 1849 1876 l'accroissement de la Bibliothèque se poursuit au rythme à peu près normal de 2000 2.500 volumes par an. Son subside est porté à 10.500 fr. en 1852, auxquels une somme de 1.000 fr.. puis de 2.500 fr. est ajoutée par la ville pour l'achat de Leodiensia. La Société royale des Sciences opérait à la Bibliothèque le dépôt de toutes les revues qu'elle recevait en échange de ses publications. Les rapports officiels signalent que la Bibliothèque est fort peu fréquentée par les étudiants qui, lorsqu'ils y viennent, ne demandent que des manuels.

Nous venons de parler des étudiants. Il n'est pas hors de propos de faire allusion au Congrès international qui se tint à Liège en 1865 et qui eut, dans la presse mondiale, les honneurs du scandale. Mais ce n'est pas au sujet des doctrines plus ou moins incohérentes et subversives qui s'y donnèrent libre carrière qu'il est intéressant de s'y arrêter: c'est à propos de certains voeux qui furent émis en matière d'enseignement. Constatons d'abord une condamnation générale des cours à certificat. Les étudiants en Médecine trouvent que les professeurs de Liège sont dans l'impuissance de former une école parce qu'ils n'ont pas à leur disposition de moyens scientifiques. Ceux de la Faculté de Droit se plaignent de l'enseignement insuffisant du droit civil. On reproche au professeur d'histoire moderne de Liège de ne traiter que du règne de Louis XIV; on déplore l'absence d'un cours d'histoire contemporaine. D'autres voudraient remplacer l'enseignement philosophique par des cours d'histoire de la philosophie, etc. Ce qui paraît surtout curieux dans la discussion, c'est le procès de l'organisation des Écoles spéciales! On réclame l'abolition ou tout au moins la réforme des interrogations; on demande l'impression ou l'autographie des cours, on prétend que l'enseignement du dessin « est donné, à Liège, d'une façon épouvantable, détestable, absurde »! On réclame des professeurs de langues étrangères, un cours d'exploitation des chemins de fer, des cours pratiques de mécanique, l'ouverture de la Bibliothèque le soir et l'accessibilité du cabinet de physique.

Ces observations paraissent infiniment plus sensées (10) que celles dont la tribune politique de ces mêmes étudiants retentit pendant le Congrès. On remarquera qu'un certain nombre d'entre elles ont obtenu satisfaction: les cours réclamés ont été successivement accordés, la Bibliothèque a ouvert ses portes le soir (sans attirer cependant beaucoup plus de monde), la loi de 1876 a transformé les cours à certificat en cours à examen et rétabli la session de Pâques. Nous avons sous les yeux l'Almanach des étudiants de Liège de 1879 (11) qui souligne ce qui a été accordé et qui rappelle ce qui reste à obtenir. Le principal grief allait encore au régime des Écoles spéciales « si rebutant... qui ne force pas le paresseux à l'étude, mais embarrasse l'élève studieux en l'empêchant d'approfondir des questions particulières ». Une charge à fond y est faite contre les interrogations fréquentes. « Les répétiteurs ne répètent rien, n'expliquent rien. On dirait même qu'ils ont ordre d'agir ainsi. Ils ne sont que des interrogateurs et rien de plus. Les élèves viennent là, comme ils viendraient à l'école primaire réciter leur leçon; ils sont menés comme des enfants, avec la même sévérité, inutile et tracassière. Un tel rôle est honteux et ils le sentent ».

Parvenus aux environs de l'année 1870, nous sommes tentés de croire qu'au point de vue de l'esprit scientifique la situation était bien peu encourageante. Trente-cinq années après le vote de la première loi sur l'enseignement supérieur en Belgique, on n'avait certainement pas dépassé le niveau atteint à la fin du régime hollandais. Les seuls progrès réalisés concernaient les Écoles spéciales. Mais partout ailleurs on marquait le pas. Rien dans les Facultés de Philosophie et Lettres et de Droit, peu de choses dans celles des Sciences pures ou de Médecine n'était à relever comme un changement sérieux. La prospérité considérable dont a joui le pays de 1859 à 1875 environ est sans doute une des causes du défaut de désintéressement dans les études. Chacun voulait jouir au plus vite du diplôme conquis et le développement industriel intense attirait nos ingénieurs, comme l'augmentation de la richesse générale assurait un avenir immédiat à l'avocat et au médecin.

Sous quelle influence devait se manifester la rénovation? A notre sens, sous une double influence, à la fois étrangère et nationale. La première est celle de la science allemande et, accessoirement pour certaines disciplines, du haut enseignement français ou anglais. La seconde réside dans la personnalité d'une pléiade de maîtres qui entrent à l'Université pendant les années 1864-1872 et qui vont tous contribuer au relèvement.

L'influence étrangère ne pouvait guère venir d'ailleurs que d'Allemagne. Ce pays, vers 1870, est à l'apogée de son prestige. Dans les domaines philologique et historique, c'est la science allemande qui avait au XIX siècle inauguré des voies nouvelles où les érudits du monde entier devaient s'engager les uns après les autres. Il en était de même sur le terrain des sciences politiques et économiques. En anatomie, en physiologie, dans la plupart des branches de la médecine générale ou spéciale, nous avons déjà vu qu'il fallait s'adresser Outre-Rhin, pendant toute la période antérieure, pour trouver les maîtres les plus capables. L'Angleterre avait également un grand prestige dans le domaine des sciences naturelles. Quant à la France: son influence s'est exercée sur le terrain des mathématiques et de certaines sciences médicales ou appliquées. Mais ce n'était ni de la Sorbonne ni des Facultés de Droit françaises que pouvait venir alors une renaissance scientifique puisque Duruy créait en 1868 l'École pratique des Hautes Etudes contre la première et qu'Émile Boutmy fondait en 1872 contre les secondes et leur enseignement rétrograde l'École libre des Sciences politiques. Quant à la Médecine, Van Bambeke a spirituellement caractérisé certaines leçons trop éloquentes entendues vers 1865 en disant que c'était « l'ère des cliniques à distance »! Aussi est-ce au Collège de France et non dans les Facultés de Médecine qu'enseignèrent les Claude Bernard et les Marcelin Berthelot.

II est intéressant de parcourir les voeux émis en 1871-1872 par les Facultés de Liège, avant de caractériser la personnalité des quelques maîtres dont l'influence va devenir prépondérante.

La Faculté de Philosophie et Lettres donnait un avis favorable sur une demande de la Société géographique de Belgique de voir recréer l'enseignement de la géographie, supprimé en 1849. Elle constatait « avec regret que l'esprit scientifique est rare parmi les élèves. La plupart ne sont préoccupés que de leur examen et, persuadés qu'il leur suffit pour réussir de répéter l'enseignement reçu du professeur, ils ne songent pas à compléter cet enseignement par des études personnelles ». Elle demandait que des cours pratiques soient ajoutés aux cours théoriques, surtout un cours d'analyse littéraire sur les auteurs classiques. Elle exprimait le désir que le cours d'histoire moderne, suivi seulement par les futurs avocats, devint obligatoire pour les futurs docteurs en philosophie et lettres et réclamait un enseignement de la grammaire générale et comparée.

La Faculté de Droit rappelait ses desiderata antérieurs concernant l'enseignement des sciences politiques, administratives et économiques et, sous l'influence de De Laveleye, elle les accentuait.

La Faculté des Sciences énumérait les conditions matérielles déplorables dans lesquelles se faisaient les cours: locaux insuffisants, allocations mesquines pour le matériel et les expériences, manque de personnel scientifique.

La Faculté de Médecine insistait sur la nécessité d'introduire des exercices pratiques dans les examens et de créer des cours pratiques. A cette fin de nouveaux laboratoires étaient indispensables. Elle demandait aussi des changements au programme des cours et notamment la création d'un enseignement de l'anatomie topographique.

Toutes les Facultés réclamaient la suppression du régime des cours à certificat.

On aura remarqué les voeux des Facultés de Médecine et de Philosophie et Lettres en faveur d'un enseignement pratique. C'est en effet dans leur sein, grâce aux initiatives de quelques maîtres (Masius, Vanlair, Van Beneden, Kurth), que vont se produire les innovations que la législation n'aura plus qu'à ratifier.

De 1864 à 1872, nous trouvons d'ailleurs neuf noms à relever parmi les meilleurs ouvriers de la restauration scientifique: il s'agit de Belges ou de Luxembourgeois, exception faite d'un Français, né d'ailleurs chez nous. Et ce n'est pas là l'effet d'un hasard: tout concorde à montrer qu'en franchissant le tournant des années soixante-dix, l'Université de Liège s'engage dans une nouvelle voie. La loi allait bientôt lui faire confiance, ainsi qu'aux trois autres Universités, pour la délivrance des diplômes. Dix ans après, les nouveaux Instituts scientifiques allaient s'édifier. De 1876 à 1896 environ, le corps professoral s'enrichissait d'une vingtaine de personnalités appelées à une réputation croissante (12) et dont les efforts convergents devaient, vers 1900, placer notre Alma Mater à un rang qu'elle n'avait pas encore occupé dans le monde. Et simultanément, surtout après la loi de 1890, les résultats s'affirmèrent par un relèvement considérable de la valeur moyenne des diplômés, par un intérêt tout nouveau pris aux joutes scientifiques.

Nous allons reprendre chacun de ces points et lui consacrer les développements qu'il comporte.

La Faculté de Médecine sera la première à se ressentir de l'esprit nouveau. En 1864, Voltaire Masius, Luxembourgeois, élève de Claude Bernard, est chargé de l'enseignement de l'anatomie descriptive et des dissections. Peu après, il est appelé à donner les cours de pathologie et de thérapeutique générales, puis à diriger la clinique interne jusqu'à son éméritat (1901).

Constant Vanlair, quatre ans plus tard, après un court passage à l'armée, entrait à la Faculté avec les cours d'anatomie pathologique et de médecine légale, auxquels il joignit la thérapeutique spéciale des maladies internes et mentales. En 1873, ils obtenaient la direction de deux cliniques nouvelles: le premier celle des maladies des enfants, le second celle des maladies des vieillards. Sur leur rapport commun, auquel s'associa leur collègue Van Beneden, la Faculté réclamait l'institution d'exercices de microscopie dès 1872. Aussitôt la ville vota 1.000 fr. pour l'appropriation des locaux; le ministre inscrivit un subside dans un projet de budget. En 1873, les cours de microscopie étaient donnés au milieu d'un tel concours de monde que les deux professeurs durent « modérer l'empressement de leurs élèves ». Trois cours d'exercices étaient inscrits au programme de l'année 1873-1874: le premier de microscopie normale était confié à A. Swaen, le deuxième, de microscopie comparée à Ed. Van Beneden, le troisième, de microscopie pathologique, à C. Vanlair.

Auguste Swaen était en effet entré dans la carrière en 1872 en reprenant à Masius le cours d'anatomie humaine descriptive; deux ans après, il lui succédait également dans la chaire d'anatomie générale. Jusqu'au lendemain de la Grande Guerre, il continua son enseignement et ses travaux qui le classèrent au tout premier rang des animateurs et des savants.

A personne plus qu'à Édouard Van Beneden ne convient l'expression de génie. Fils du plus éminent zoologiste qu'ait eu l'Université de Louvain, il avait été chargé en 1870, à 24 ans, de l'enseignement de l'anatomie comparée et de la zoologie, puis de l'embryologie. Sa puissante personnalité lui conféra un ascendant sans précédent sur ses élèves et même sur ses collègues. A trois reprises, ses travaux lui valurent le prix quinquennal des sciences naturelles, et, lorsqu'en 1888 la chaire d'embryologie de l'Université de Berlin se trouva vacante, Van Beneden eut la gloire de se voir proposé, comme premier candidat, au gouvernement du pays qui nous avait donné tant de professeurs. Il refusa cette chaire comme il avait déjà refusé en 1883 celle de l'Université de Prague qui lui avait été offerte. Jusqu'en 1910, Van Beneden occupa dans la science et dans l'enseignement la place hors de pair qu'une opinion universelle s'était fait un devoir de lui reconnaître.

Il est à peine besoin d'insister sur l'influence que les efforts conjugués de ces quatre savants ont pu exercer sur l'avenir de la science médicale belge et sur le développement scientifique de l'Université de Liège.

La Faculté des Sciences, peu d'années avant l'arrivée de Van Beneden, avait fait deux précieuses acquisitions: Eugène Catalan et Victor Dwelshauvers-Dery. Le premier, né chez nous de parents français, avait déjà acquis une sérieuse réputation dans l'enseignement à Paris où il ne put obtenir à l'École polytechnique, sous Napoléon III, la chaire pour laquelle il avait été proposé. Il avait près de cinquante ans lorsque le gouvernement belge le nomma d'emblée professeur ordinaire d'analyse en 1865. Pendant vingt ans, il enseigna les mathématiques supérieures avec une telle autorité que, dès 1870, Paul Mansion, désirant obtenir un titre scientifique indiscutable, vint subir devant la Faculté des Sciences de Liège les épreuves du doctorat spécial en sciences mathématiques. Et le fait d'avoir eu pour élèves le Paige, Neuberg et Deruyts suffit à qualifier le professeur.

V. Dwelshauvers devait consacrer trente-cinq années à l'enseignement de la mécanique appliquée (1868-1903) et trente à celui de la mécanique industrielle (1874-1903). Ses travaux scientifiques lui assignent une place d'honneur dans le développement de la technique et son dévouement pour les Écoles spéciales de Liège a été pour beaucoup dans les progrès accomplis par celles-ci au cours du dernier quart du XIXe siècle.

Émile de Laveleye s'était déjà fait un nom comme publiciste lorsque la chaire d'économie politique lui fut conférée en 1864. La littérature, la science politique, la philosophie, les questions religieuses, le droit, l'histoire, la géographie, l'enseignement avaient fait l'objet de ses travaux lorsqu'il parut se consacrer de préférence aux problèmes économiques et sociaux et aux questions de droit public. Esprit universel, lucide, généreux, il fut certainement l'économiste belge le plus en vue de son temps. Ses ouvrages sur la propriété ou sur le gouvernement des démocraties, ainsi que ses Éléments d'économie politique eurent un succès mondial. Si son enseignement n'a pu donner d'autres résultats, cela tient surtout au fait que les sciences sociales, malgré les sollicitations de la Faculté de Droit, ne paraissaient susciter aucun intérêt auprès du gouvernement.

La Faculté de Philosophie et Lettres, à son tour, entrait dans la voie des innovations. En 1866, joseph Delbœuf, déjà pourvu d'une chaire à l'École normale des Humanités, fut chargé de l'enseignement de la philologie latine et de la philologie grecque. Rarement esprit plus universel fut mis au service d'une personnalité plus accusée: docteur en philosophie et lettres au double titre philologique et philosophique, docteur en sciences physiques et mathématiques, Delbœuf n'a cessé de cultiver les sciences exactes tout en enseignant d'abord la philosophie et ensuite les langues anciennes. Le champ de ses publications est déconcertant, car les études sur l'optique ou la géométrie voisinent avec un Essai de logique, avec une chrestomathie latine et avec une étude sur l'orthographe wallonne. Ses qualités pédagogiques autant que l'originalité de son esprit devaient en faire l'initiateur de l'école de philologie classique de Liège qui brilla d'un si grand éclat à partir des dernières années du XIXe siècle.

De tournure d'esprit essentiellement différente, mais véritable géant par son ardeur communicative et par la somme de ses travaux, Godefroid Kurth entra à la Faculté en 1872 et, moins de deux ans après, il avait créé le premier cours pratique d'histoire qui se fût donné en Belgique. En 1876, il recrée le cours d'histoire des littératures modernes qui est un de ceux qui ont laissé le plus de souvenirs à la génération d'alors. Pendant trente-quatre ans, il fit de sa chaire d'histoire du moyen âge et de son enseignement de la critique le berceau de toute une école qui devait compter des maîtres aussi illustres qu'un Henri Pirenne. Il érigea en science la toponymie par la publication de sa Frontière linguistique. Trois fois, comme Van Beneden, dont la carrière est parallèle à la sienne, il remporta un prix quinquennal, celui des sciences historiques. Aussi compétent dans les lettres anciennes que dans les littératures germaniques, pratiquant avec la même maîtrise toutes les sciences auxiliaires de l'histoire, Kurth fut cependant entraîné vers l'action sociale par son amour du peuple et ses qualités de tribun. Sur ce terrain, il ne connut que des succès oratoires et, finalement, il renonça à ses différentes chaires au profit de quelques élèves pour aller prendre la direction de l'Institut historique belge de Rome. Sa personnalité débordante n'en avait pas moins laissé à Liège et en Belgique des traces ineffaçables.

On ne peut mieux clôturer ce bilan qu'en citant le rapport qu'adressa au ministre en 1874 le recteur Thiry. Pour lutter contre le défaut de curiosité scientifique et stimuler l'activité des élèves, disait-il, « un moyen serait la création de cours pratiques où ils pourraient se livrer à des travaux individuels sur des matières de l'enseignement qui leur est donné et qui exigeraient de leur part quelques recherches, de la réflexion, en un mot quelques efforts intellectuels (13). C'est ce que propose la Faculté de Philosophie et Lettres. Cette institution qu'elle réclame et dont un essai a commencé cette année à Liège, par l'introduction au programme de cette Faculté de deux cours d'exercices se rapportant à la philologie (14) et à l'histoire, pourrait recevoir de l'extension et être transportée dans les autres. C'est surtout dans les Facultés des Sciences et de Médecine que la création des cours pratiques est nécessaire. Là elle s'impose comme une conséquence de la transformation qui s'est opérée dans notre temps dans la méthode d'enseignement et d'étude des sciences expérimentales et d'observation. Chez les nations qui marchent à la tête du mouvement intellectuel en Europe, ces sciences s'étudient aujourd'hui plutôt dans les laboratoires et les amphithéâtres que dans les cours et dans les livres. Vous l'avez compris, M. le Ministre, en établissant récemment à Liège auprès de certains cours des exercices de microscopie .

Que l'on soit entré dans une phase nouvelle, nous n'en voulons pour preuve que la multiplication des voyages scientifiques à l'étranger parmi les membres du personnel enseignant. Van Beneden accomplit au Brésil cette longue expédition dont les résultats seront si féconds pour le développement de la zoologie. Swaen, Kurth, Masius, Dwelshauvers, De Koninck, Dewalque visitent les laboratoires et les instituts, surtout ceux de l'Allemagne, de l'Autriche et de l'Angleterre. La publication de la revue bibliographique annuelle des travaux des professeurs, inaugurée en 1885, prend de plus en plus d'extension.

Pendant la période 1874-1876 les voeux se multiplient. C'est le Conseil académique qui réclame la création d'un cours d'histoire contemporaine, d'un cours de chimie physiologique, d'un cours et d'une clinique des maladies mentales (déjà demandés en 1873 par la Faculté de Médecine). C'est l'administrateur inspecteur qui préconise l'institution d'un cours de géographie physique à la Faculté des Sciences, d'un cours de géographie industrielle aux Écoles spéciales, d'un cours de lecture et de débit oratoire à l'Université. Il voudrait voir affirmer l'obligation pour chaque professeur de faire un cours privé sur une matière non portée au programme et voir donner une facilité plus grande aux docteurs d'ouvrir des cours privés.

La Faculté de Philosophie et Lettres donne un avis favorable sur la demande de Stecher d'ouvrir un cours d'analyse et de critique littéraires et sur celle de Pasquet d'ouvrir un cours privé d'histoire de la littérature anglaise (1875).

La Faculté de Droit demande des cours d'histoire de l'ancien droit et des anciennes institutions, réclame à nouveau le développement de l'enseignement des sciences politiques (droit international public, statistique, droit consulaire) et émet le désir de voir les futurs docteurs en droit suivre obligatoirement les cours de droit administratif et de droit fiscal.

La Faculté des Sciences exprime le voeu que des exercices pratiques de chimie, de physique, de minéralogie, de botanique, de zoologie soient institués ainsi qu'un cours de chimie analytique. Elle obtient en 1876 un laboratoire pour l'enseignement pratique de la chimie, mais se plaint de l'insuffisance croissante des locaux.

Quant à la Faculté de Médecine, elle se répand en plaintes sur les conditions où se fait la clinique chirurgicale à l'hôpital de Bavière. La disposition des salles de malades est très défectueuse: la salle d'opérations est entre la salle des morts et celle d'autopsie, deux foyers d'infection Elle réclame un hôpital nouveau; en attendant, on affecterait les bâtiments du couvent des Anglais à la clinique chirurgicale, avec le concours financier de la ville et du gouvernement. En juillet 1875, elle avait émis le voeu de voir créer pour les cours pratiques des assistants que l'on recruterait parmi les jeunes docteurs.

C'est pendant cette période que l'on envisagea pour la première fois la construction d'une nouvelle Université.

A côté des étoiles de première grandeur que nous avons énumérées ci-dessus, il serait injuste de ne pas accorder une mention dans cette courte revue au philologue De Closset, emporté à 39 ans, par une épidémie de choléra: il avait eu l'honneur d'être le précepteur des princes royaux de 1851 à 1856 avant d'enseigner le grec à l'École normale et à la Faculté; à Troisfontaines, qui consacra son activité à l'étude de l'histoire ancienne et des antiquités gréco-romaines pendant trente-huit années (1849-1887); à Le Roy qui, durant à peu près le même laps de temps, enseigna la métaphysique, la logique, l'histoire de la philosophie et fit de toutes les questions d'enseignement l'objet de ses préoccupations. A la Faculté de Médecine, les noms de J. Borlée, ophtalmologiste et chirurgien, de Nicolas Ansiaux et de son fils Oscar, chirurgiens de tradition, d'Henri Heuse, du gynécologue Adolphe Wasseige, de Van Aubel complètent un corps professoral qui passait alors pour le premier du pays.


§5

1876-1890


La loi du 20 mai 1876 est d'une importance capitale dans l'histoire de l'enseignement supérieur belge. Tout d'abord et c'est là l'innovation la plus radicale, elle abolit le système des jurys combinés et confère à toutes les Facultés, d'État ou libres, le droit de délivrer les diplômes académiques. Ceux-ci ne seront plus soumis qu'à la formalité, plus théorique qu'efficace, de l'entérinement. De plus, elle supprime le graduat, ouvre toutes grandes les portes de l'Université en dispensant les jeunes gens de l'obligation de produire un certificat d'humanités. Enfin, abolissant le régime des cours à certificat, elle modifie certains programmes, créant un certain nombre de cours nouveaux, surtout à la Faculté des Sciences, introduisant des exercices et des épreuves pratiques dans la plupart des sciences physiques et naturelles

Une disposition particulière prévoyait la création des assistants: quatre seront nommés dès 1876, quatre autres l'année suivante. Le grade légal de docteur en sciences politiques et administratives était supprimé, mais un arrêté royal du 11 octobre 1877 le recréa comme grade scientifique.

Il est à remarquer qu'aucune des initiatives de la Faculté de Philosophie et Lettres ne trouvait sa consécration dans la loi. Pas davantage, les voeux de la Faculté de Droit en faveur des sciences politiques et sociales. Mais, sans doute, ne faut-il pas demander un trop grand effort au législateur bien disposé. Ce sera à la loi organique de 1890 de pourvoir à ces besoins.

L'effet immédiat de la loi fut encore une fois l'envahissement de l'Université. Des 762 étudiants de 1873-1874, on passait à 1007 en 1876-1877, à 1203 en 1881-1882, à 1567 en 1885-1886. La Faculté de Philosophie et Lettres qui ne comptait que 47 étudiants en 1861-1862, lors de l'institution du graduat et qui n'en réunissait encore que 74 en 1874-1875, passait à une population de 268 élèves en 1886-1887. Dans la Faculté de Droit, pendant les dix années qui précédèrent la loi nouvelle, la population n'avait fluctué qu'autour de 150 étudiants environ; elle passait à 358 en 1888-1889. Dans celle des Sciences, on passait d'une centaine d'élèves à près de quatre cents, tandis que dans les Écoles spéciales, en raison de la persistance de l'examen d'entrée, la population restait à peu près stable. On s'explique ainsi la déclaration de V. Thiry au Conseil académique, en 1877 « L'Université étouffe dans son étroite enceinte; elle ne peut plus contenir ses trop nombreux élèves ».

La loi de 1876 n'avait point prévu l'agrandissement des locaux qui, aussi bien à Gand qu'à Liège, devenait inévitable. Ce fut l'objet de la loi du 4 août 1879 d'allouer les crédits nécessaires aux transformations qui s'imposaient.

Le gros obstacle avait été l'obligation, toute théorique, incombant à la Ville de Liège de pourvoir à la totalité de ces frais. L'État ne pouvait cependant pas se désintéresser d'une tâche que la Ville, à elle seule, était incapable de mener à bonne fin. D'autre part, plusieurs projets différents s'affrontaient, dont le plus remarquable, dû à W. Spring, consistait à édifier une série d'Instituts séparés. La localisation de ceux-ci fit l'objet d'ardentes discussions lorsque l'État eut voté un crédit de 2.740.000 fr. pour leur construction. On aurait voulu tout d'abord les édifier dans le jardin botanique, le long des rues Courtois, Nysten et des Anges. Le Conseil communal était entré dans ces vues. Mais les propriétaires voisins du jardin l'accablèrent de pétitions et de réclamations jusqu'à ce que ce projet eût été en grande partie abandonné (1881).

Cependant, après l'enquête approfondie que menèrent en Allemagne, auprès des établissements les plus réputés, l'ingénieur Noppius et le professeur Holzer, la construction d'Instituts spéciaux pour la zoologie, la botanique, l'anatomie, la physiologie, la chimie, la pharmacie et l'astronomie avait été décidée et les plans virtuellement arrêtés. Les devis furent approuvés par le Conseil communal en 1881 indépendamment de ces sept constructions nouvelles et indépendantes, il s'agissait d'édifier un bâtiment principal, place de l'Université, pour les Facultés de Philosophie et Lettres et de Droit et pour les locaux de l'administration, de reconstruire l'aile centrale pour en faire l'Institut de physique, d'agrandir la Bibliothèque, de transférer le Conservatoire boulevard Piercot, d'approprier diverses annexes pour les laboratoires des Écoles spéciales, etc.

Tous ces projets, grandioses pour l'époque, furent successivement réalisés.

Le 24 novembre 1883 On inaugurait, rue Fusch, l'Institut botanique (coût: 175.000 fr.) dont le laboratoire avait été ouvert dès la fin de l'année précédente.

Peu de temps après, l'Institut pharmaceutique, édifié à l'angle des rues Fusch et Courtois (coût: 343.000 fr.), était à son tour ouvert aux étudiants.

Les serres qui avaient été sacrifiées pour permettre cette réalisation furent également reconstruites en 1883.

La même année, l'Institut météorologique ou astro-physique, dont l'adjudication avait été faite en 1882, s'élevait au sommet du plateau de Comte (coût: 413.000 fr.).

Après acquisition puis démolition de l'Hospice des incurables, l'adjudication de l'Institut anatomique (rue de Pitteurs) se fit en 1883, suivie de celle des Instituts zoologique (Quai des Pêcheurs) et physiologique (Place Delcour) en 1885, pour une somme globale d'un million et demi. Le premier fut ouvert en 1888, les deux autres l'année suivante (coût global: 1.715.000 fr.).

ULG 1885 Institut de Zoologie

L'Institut de chimie, rue de l'Université, et ses annexes, ainsi que le bâtiment principal sur la place vinrent ensuite et furent adjugés en 1889­1890 (coût: 1.367.000 fr.). Le laboratoire de mécanique appliquée et de chimie industrielle fut achevé en 1892 (coût: 75.000 fr.). L'Institut de physique, pour lequel le plus ancien corps de bâtiment dans l'aile centrale fut aménagé (coût: 73.000 fr.), était prêt en 1893.

Grâce à une dotation de 100.000 fr. octroyée par le sénateur Montefiore-Lévi en 1883, un Institut électro-technique put être installé dans les locaux évacués par les services de la botanique et dans une annexe érigée derrière la Bibliothèque.

La totalité des frais de constructions et d'achats de terrains dépassa 4 1/2 millions, somme à laquelle il convient d'ajouter plus de 600.000 fr. pour les instruments et le matériel des laboratoires. De plus le gouvernement accorda à la ville des subsides dépassant un million pour des achats de terrains devant servir à l'édification d'un hôpital clinique et pour les aménagements des services. Le « Nouvel hôpital fut construit à partir de 1891 dans un vaste terrain du quartier des Prés-Saint-Denis et coûta 500.000 fr.

On peut donc évaluer à plus de 6 1/2 millions les dépenses occasionnées par la transformation de l'Université de Liège pendant la période 1881­1892. Si l'on se reporte à cette époque, on ne peut s'empêcher de rendre hommage aux artisans d'une oeuvre aussi grandiose: deux Facultés en sortaient complètement transformées, les deux autres, jusqu'alors étouffées, se trouvaient à leur aise pour trente ans. Il est peut-être regrettable que les projets les plus radicaux, consistant à transférer ailleurs la totalité des installations universitaires, n'aient pas été adoptés. Cela nous eût épargné les menaces d'écroulement dont plusieurs bâtiments sont maintenant l'objet et la situation désespérée où se trouve notre Bibliothèque. Mais les frais eussent paru énormes aux gens de 1880 et le contribuable n'aurait pas compris la nécessité d'un sacrifice pourtant relativement léger (pas même 1 fr. par tête d'habitant !).

Quoi qu'il en soit, les nouveaux Instituts firent l'objet de l'admiration générale: on peut en lire une description sommaire dans la brochure de Comhaire publiée en 1892 par l'Association générale des Étudiants. Aussi les sciences naturelles devaient-elles prendre à Liège un nouvel essor.

L'un des premiers effets de la loi de 1876 fut une augmentation du corps professoral dans la Faculté des Sciences où nous voyons arriver en même temps W. Spring, L. de Koninck, F. Folie et C. le Paige.

Walther Spring illustra pendant trente-cinq années la chaire de chimie après avoir été l'âme du projet d'édification des nouveaux Instituts. Ses découvertes scientifiques ont bouleversé la physico-chimie et, par voie de conséquence, la géologie: la plus notable est celle de la mobilité moléculaire dans les corps solides. Dans l'Institut qui, après sa mort, porta son nom, il enseigna avec une telle maîtrise que tous ceux qui ont été ses élèves en ont conservé la marque ineffaçable.

Laurent de Koninck, fils du grand chimiste prédécesseur de Spring, créa en 1876 l'enseignement de la chimie analytique et reprit en 1879 à Is. Kupfferschlaeger le cours de docimasie aux Écoles spéciales. Jusqu'à la Grande Guerre, il exerça une profonde influence sur les ingénieurs liégeois, tout en multipliant ses travaux scientifiques.

F. Folie, d'abord répétiteur aux Écoles spéciales, obtint en 1876 la chaire de géométrie supérieure, puis reprit à De Cuyper les cours d'astronomie physique et mathématique. Déjà, en 1872, il avait été nommé administrateur inspecteur, charge qu'il conserva jusqu'au moment où il fut appelé à la direction de l'Observatoire royal de Bruxelles. Avec Trasenster et Spring, il se consacra tout entier aux grandes transformations de l'Université et laissa dans la science qu'il cultiva le renom le plus mérité.

C. le Paige entrait à la Faculté à 24 ans pour inaugurer deux cours (théorie des déterminants, compléments d'analyse) de la loi de 1876. Il reprit ensuite à Folie ses divers enseignements et à Catalan la chaire d'analyse supérieure. Mathématicien dans l'âme, auteur de savants mémoires consacrés par l'obtention du prix quinquennal des sciences physiques et mathématiques, d'une compétence toute spéciale dans le domaine de l'histoire des sciences, il fut successivement recteur (1894-1897) et administrateur inspecteur (1905-1922), parcourant ainsi une des carrières les mieux remplies de nos annales.

La Faculté de Médecine voyait aussi arriver à elle plusieurs maîtres: Alfred Gilkinet qui, pendant quarante années assuma l'enseignement de la pharmacie et de la paléontologie végétale; A. von Winiwarter, déjà professeur à l'Université de Vienne, qui, durant le même laps de temps, occupa avec autorité les chaires de pathologie chirurgicale, de clinique externe et de théorie et pratique opératoires; Léon Fredericq enfin qui, venu de Gand pour recueillir l'héritage de Schwann, sut illustrer la chaire de physiologie par un enseignement extraordinairement vivant, par d'innombrables travaux scientifiques qui lui valurent deux fois un prix quinquennal et par la création des Archives internationales de physiologie dont il assumait encore hier la direction.

Les Écoles spéciales, à leur tour, voyaient la chaire d'exploitation des mines, dont le recteur Trasenster ne pouvait assumer la charge régulière, occupée par Alfred Habets qui fut peut-être le maître qui exerça la plus profonde influence sur les ingénieurs sortis de Liège jusqu'à sa mort, survenue en 1908. L'hommage qui fut alors rendu à sa mémoire par le monde entier s'adressait autant au professeur hors de pair qu'au savant qualifié. Deux ans après Habets, Eric Gérard reprenait à F. Delarge la chaire que celui-ci avait inaugurée en 1880 sous le nom de « télégraphie et autres applications de l'électricité » et qui devint ensuite la chaire de « théorie de l'électricité et du magnétisme » et celle d'« électrotechnique ». Il y joignit la direction de l'Institut Montefiore et, jusqu'à la Grande Guerre, il dispensa à tous les ingénieurs électriciens les trésors de sa science et de son dévouement.

La Faculté de Philosophie et Lettres ouvrait successivement ses portes à Victor Chauvin, orientaliste d'envergure, dont les cours, pourtant purement facultatifs, connurent un succès des plus méritoire, à Paul Fredericq qui, venu de l'École des Humanités, devait aller à Gand poursuivre sa brillante carrière (1883) après avoir donné les cours d'histoire de la littérature flamande et d'histoire de Belgique et qui inaugurait, en 1880, le cours d'histoire contemporaine, à Charles Michel qui créait en 1880 l'enseignement du sanscrit, en 1882 celui de l'histoire ancienne de l'Orient et qui, après un séjour de quelques années à l'Université de Gand, devait revenir enseigner la littérature, la philologie et l'archéologie grecques, jusqu'en 1923.

A la Faculté de Droit, pour la chaire de Pandectes, on fit appel en 1883 au professeur suisse de Senarclens, dont l'enseignement sut atteindre un rare degré de perfection et qui demeura fidèle à Liège malgré les offres que lui fit l'Université de Lausanne. En 1885, transféré de Gand à Liège, Gérard Galopin venait occuper les chaires de droit civil et de droit fiscal: pédagogue dans l'âme, il fit de cette tribune, pendant trente-cinq ans, le foyer de la maïeutique juridique de notre Alma Mater.

Enfin de 1884 à 1886, la Faculté des Sciences, déjà si brillante, s'enrichissait encore grâce au mathématicien joseph Neuberg, fondateur avec P. Mansion, de Mathesis, et qui, jusqu'à son éméritat (1911), occupa les chaires d'algèbre supérieure, de calcul infinitésimal, de géométrie projective et de géométrie analytique; au paléontologiste julien Fraipont, dont les travaux de zoologie et surtout d'anthropologie devaient exercer une si profonde influence qu'il peut être considéré comme le maître de l'école préhistorique liégeoise; à l'analyste Jacques Deruyts, qui déploya pendant ses quarante­sept années d'enseignement les qualités supérieures d'un esprit d'une singulière envergure; au botaniste Auguste Gravis, qui, non seulement, occupa pendant plus de quarante années la chaire de botanique, mais ne cessa de se consacrer, corps et âme, à la réforme de l'enseignement moyen et supérieur des sciences naturelles et à l'amélioration des méthodes pédagogiques.

Il faut avouer qu'à une époque où aucune garantie n'était donnée quant à la nomination des chargés de cours, où les Facultés n'étaient point consultées, où les ministères de combat succédaient aux ministères de combat (1864-1884), où les passions politiques agitaient le pays et entretenaient l'instabilité, le fait que vingt-six nominations en moins de 22 ans ont fait entrer à l'Université les personnalités que nous avons énumérées, à côté d'ailleurs de plusieurs autres du plus respectable mérite, plaide fortement en faveur des auteurs responsables de ces choix (15).

Mais peut-être cette pléiade de savants, dont la plupart entrèrent fort jeunes dans la carrière, doit-elle sa réputation à la continuité de son effort plutôt qu'à l'heureux hasard d'une désignation officielle. Mis en état de donner à leur enseignement tous ses fruits par l'institution de cours pratiques ou d'exercices dans les Facultés des Sciences et de Médecine, ces professeurs commencèrent à diriger des travaux d'élèves. De 1876 à 1882, les rapports triennaux signalent une série d'études publiées par les étudiants de Van Beneden (16) ou de Swaen (17). G. Kurth continuait son cours pratique d'histoire malgré les brimades du gouvernement (18) et plusieurs de ses élèves publiaient des travaux (19), imités en cela par ceux de Paul Fredericq (20).

L. Trasenster, devenu recteur en 1879 et maintenu en fonctions pendant six ans pour lui permettre de mener à bonne fin l'entreprise des nouveaux Instituts, prit une part considérable aux discussions qui préparèrent la grande réforme législative de 1890. Dans ses discours de rentrée, il agita les principales questions intéressant l'enseignement supérieur et y fit preuve d'un esprit libéral et hautement scientifique. En 1880, il démontra la nécessité de relever l'enseignement supérieur en signalant ce que les Universités allemandes avaient produit depuis un demi-siècle; à cette fin,il préconisa la généralisation des cours pratiques et l'extension des cours privés, il énuméra les cours nouveaux qui s'imposaient (langues modernes, géographie, histoire, sciences politiques) et les laboratoires dont le besoin se faisait sentir, il conseilla de joindre au but professionnel poursuivi en ordre principal par les Universités belges le but scientifique et de donner même la première place à celui-ci. En 1881, son retentissant discours rectoral (21) traita du choix des professeurs qu'il eût voulu plus large (en imitant le système allemand des privat-dozenten) et plus international et dont il eût voulu soustraire la responsabilité au seul gouvernement pour la confier aux autorités académiques et aux Facultés, sous réserve de la confirmation ministérielle, En 1882, consacrant son discours à l'accessibilité de l'enseignement supérieur pour les femmes, il se montrait très accueillant pour celles-ci qui venaient, sous son rectorat, de faire leur apparition à l'Université de Liege (22) En 1883 et 1884, ii reprit une question qui parut lui tenir à coeur toute sa vie, celle de l'enseignement des sciences sociales et politiques: il déplora l'absence d'un programme sérieux pour ces branches et réclama l'étude approfondie des problèmes économiques. Dix ans plus tard, son voeu sera réalisé par le gouvernement.

On ne peut qu'admirer la largeur de vues de cet homme, ingénieur de métier et inspecteur des études des Écoles spéciales, dont le régime était aux antipodes de la liberté qu'il préconisait. Trasenster aura été l'un des plus nobles serviteurs de la cause du développement scientifique de l'Université.

Avec le prorecteur Victor Thiry, qui continua son enseignement deux ans encore après son éméritat, il fut l'un des bons artisans de la loi de 1890, dont toutes les stipulations, chose jusqu'alors inconnue, furent délibérées en Faculté et en Conseil académique. Les discussions laborieuses auxquelles le projet de loi donna lieu furent l'occasion de conflits de tendance qui, dans l'atmosphère lourde des années 1880-1881, ne peuvent être entièrement passés sous silence.

A la Faculté de Philosophie et Lettres, Loomans et Le Roy quittent la séance après un vote par 4 voix contre 4 d'une proposition de Delbœuf laissant à l'étudiant le choix entre la morale et une des sciences naturelles. Le conflit est porté devant le Conseil académique où Van Beneden croise le fer avec Loomans sur la question de l'utilitarisme dont il se fait le cham­pion: l'obligation du cours de morale pour les élèves de la Faculté de Philosophie et Lettres est votée par 16 voix contre 5 et 3 abstentions, mais l'introduction d'une branche des sciences naturelles au programme de la candidature est proposée par 10 voix contre 7 (23). Lorsqu'on en vint à la discussion du programme de la Faculté des Sciences, dont, en séance de Faculté, Van Beneden avait fait rayer toutes les branches philosophiques à une voix de majorité, le maintien de la psychologie fut rejeté par 9 voix contre 9 et 3 abstentions, celui de la logique par 12 voix contre 7 et 3 abstentions, celui de la morale par 8 voix contre 7 et 3 abstentions (1881).

La question de l'examen d'entrée fit l'objet de plusieurs discussions. Les avis étaient assez partagés sur le système à préconiser, mais l'unanimité se fit sur deux points: le graduat condamné par la loi de 1876 ne doit pas être rétabli, car il équivaudrait à supprimer, pour la formation de l'esprit, l'année si importante appelée la rhétorique et peut-être même les trois dernières années de l'enseignement moyen; l'entrée à l'Université serait subordonnée à un certificat d'humanités complètes (24). Victor Thiry et Louis Trasenster étaient hostiles à un examen d'entrée, sauf pour ceux qui n'auraient pas fait six années d'humanités. Seule la Faculté de Médecine demandait un examen sommaire pour tout le monde. Par après, les opinions changèrent quelque peu lorsqu'on eut remarqué les difficultés d'un contrôle efficace par la commission d'entérinement des certificats délivrés par les chefs des établissements d'enseignement moyen libre. Et, lorsqu'en 1889 les professeurs Mansion et de Ceuleneer, de Gand, lancèrent leur fameuse pétition réclamant l'institution d'un examen d'entrée à l'Université, ils recueillirent d'abord 114 et ensuite 141 signatures parmi les professeurs des quatre Universités et de l'Institut Saint-Louis.

Parmi les voeux émis pendant la décade 1880-1890, il convient de relever les suivants. La Faculté de Philosophie et Lettres demanda (21 et 27 juillet 1883) l'extension aux disciplines qu'elle enseignait de l'arrêté royal qui avait organisé en 1882 l'institution des assistants, décidée par la loi de 1876. En 1885, elle réclama la création d'un cours de philologie romane, d'un cours d'épigraphie grecque et latine et, en 1887, la réinscription du sanscrit au programme des cours (25). La Faculté de Droit, de son côté, s'était prononcée contre l'institution des assistants et contre l'ouverture d'un cours de droit pénal et de procédure civile en flamand (26). La Faculté de Médecine demanda des laboratoires pour les professeurs de clinique et de thérapeutique, ainsi qu'un règlement nouveau pour résoudre les conflits empoisonnants qui surgissaient avec l'administration des hôpitaux pour l'organisation des leçons pratiques. C'est à la Faculté des Sciences que les plus grandes innovations se préparaient. Le régime des Écoles spéciales était de plus en plus critiqué et l'autorité de la Faculté sur elles rencontrait l'hostilité de l'Association des ingénieurs. Par 8 voix contre 6, la Faculté décida qu'il y avait lieu de supprimer l'inspection des études à l'École des Mines (27). C'était le premier pas vers la séparation qui sera bientôt consacrée par la loi. En attendant, la Faculté des Sciences appuyait la proposition de Dwelshauvers tendant à créer un laboratoire de mécanique appliquée.

Nous avons signalé que la loi de 1876 avait décidé la création des assistants: en 1879 il y en avait déjà 7 et, trois ans après, on en comptait 13, indépendamment de 7 élèves assistants. A la fin de 1888, leur nombre était passé à 16, avec en plus 2 agrégés spéciaux. Ceux-ci avaient été institués par un arrêté royal du 21 janvier 1882 et leurs attributions furent spécifiées l'année suivante: à Liège, où contrairement à Gand il y avait interdiction du cumul entre ce mandat et celui d'assistant, l'agrégé pouvait être autorisé à donner des leçons sur des matières nouvelles ou spéciales. C'était, après l'institution des lecteurs, des agrégés chargés de cours, des docteurs spéciaux, un nouvel essai d'organisation de la carrière scientifique. Il faut d'ailleurs signaler que, depuis la loi de 1876, le gouvernement avait dû procéder à des nominations de chargés de cours en dehors des docteurs spéciaux, car la limitation légale du nombre des professeurs, fixée pour Liège à 40 depuis 1849, et uniquement élargie en 1882 pour les Facultés des Sciences et de Médecine, créait des difficultés de plus en plus grandes à l'organisation des cours. En 1876, il y avait ainsi 5 chargés de cours; en 1879, il y en avait 9, sans compter 2 professeurs et 8 ingénieurs chargés de cours aux Écoles spéciales ainsi que 2 maîtres de langues.

En 1888, le personnel scientifique de l'Université comprenait: 1 professeur émérite prorogé dans son enseignement, 36 professeurs ordinaires, 7 professeurs extraordinaires, 15 chargés de cours, 3 professeurs aux Écoles spéciales, 5 ingénieurs chargés de cours, 10 répétiteurs, 2 agrégés spéciaux, 16 assistants, 2 élèves assistants, 1 prosecteur et 7 chefs de clinique, soit 105 personnes dont 67 chargées d'un enseignement. A titre de comparaison rappelons qu'en 1817 il y avait 13 professeurs, 26 en 1830, 36 en 1849, 35 (dont 7 chargés de cours) en 1867 et 57 en 1879. Il y en a 163 en 1935.

Quelques innovations sont encore à signaler. La plus notable est la création, par arrêté du 24 juillet 1883, du diplôme d'ingénieur électricien: un cours spécial avait été institué en 1879 et, en 1883, on organisa une année d'études supplémentaire pour les ingénieurs civils (et deux pour les élèves ingénieurs ou les mécaniciens).

Toute une série de cours nouveaux s'inaugurent pendant cette période extraordinairement féconde: nous en avons compté une trentaine de 1877 à 1890, dûs pour la plupart à l'initiative individuelle. On en trouvera le relevé chronologique en annexe (28). Mais il est intéressant d'apercevoir ici comment ces disciplines nouvelles se groupent. Ressortissent à la Faculté de Philosophie et Lettres les cours d'histoire de l'art (1877), de diction et de débit oratoire (1879), d'histoire contemporaine (1880), de sanscrit (1880), de géographie générale (1881), d'épigraphie (1882), d'histoire ancienne de l'Orient (1882), d'exercices spéciaux sur la philosophie (1883), de langues et de littératures germaniques (1884), de paléographie et de diplomatique (1885), de flamand, d'allemand et d'anglais (1888). Rentrent dans la Faculté de Droit les cours de droit musulman (1882) et de procédure pénale en flamand (1890). La Faculté de Médecine voit s'ouvrir deux nouvelles cliniques: celle des maladies syphilitiques et cutanées (1881) et la clinique gynécologique (1889). De plus, on voit se créer les cours d'optométrie (1881), d'analyse organique et des falsifications de denrées alimentaires (1883), de bactériologie pathologique (1885), d'exercices pratiques de physiologie (1887) et de bactériologie (1889). Nombreuses sont enfin les matières nouvelles introduites au programme de la Faculté des Sciences et des Écoles spéciales: cours de description des machines (1877), de géographie industrielle et commerciale (1879), d'électricité (1879), de chimie appliquée à la teinture (1879), d'analyse des matières et produits industriels (1879), cours spécial d'analyse (1880), d'astrophysique (1885), de physico-chimie (1887).

Cette liste laisse très nettement pressentir ce que sera la législation de 1890: un remaniement profond de la Faculté de Philosophie et Lettres et des Écoles spéciales qui seront érigées en Faculté Technique. D'ailleurs le programme de chacune des épreuves de la candidature en philosophie et lettres avait été bouleversé en 1882: un arrêté ministériel transféra de la première à la seconde épreuve la psychologie, la morale, l'histoire de la littérature française (ou flamande) et la traduction d'un texte grec; en revanche il fit passer à la première épreuve l'histoire du moyen âge et l'histoire de Belgique. De plus, chacune des deux épreuves (au lieu de la 1re seule) comprendra la traduction d'un texte latin et l'explication d'un auteur latin, ainsi que l'explication d'un auteur grec.

L'accroissement des collections se poursuivit à un rythme accéléré pendant cette période. La Bibliothèque, notamment, reçut en 1876 un crédit supplémentaire de 20.000 fr. pour l'acquisition des périodiques étrangers et un autre de 18.500 fr. en 1880; son subside annuel fut porté de 10.500 20.500 fr. en 1880, puis ramené à 15.500 fr. en 1884 et reporté à 17.245 fr. en 1891. De plus, elle continuait à bénéficier d'un subside de la Ville de 2.500 fr. pour l'achat de « Leodiensia ». Elle reçut également des dons ou des legs importants, notamment des professeurs de Cuyper, Burggraff et Catalan. En 1888, s'ouvrit le cabinet des périodiques.

Pour substituer à l'arbitraire du bibliothécaire un règlement d'achat, le Conseil académique décida, à la demande de Swaen, le 11 janvier 1879, que les 2/5 du crédit seraient affectés aux frais généraux, revues et journaux et que, sur le restant, 2/6 seraient réservés à la Faculté des Sciences, 3/6 aux trois autres Facultés et 1/6 à l'administration. Chaque Faculté aurait un délégué auprès du bibliothécaire pour constituer la commission d'achat. En 1883, la Faculté de Philosophie et Lettres demanda qu'un crédit plus considérable sur le budget de la bibliothèque lui fût accordé. Mais elle ne pourra obtenir satisfaction que plus tard, par la création d'une bibliothèque spéciale, alimentée par un crédit nouveau.

§6

1890-1929


Au cours de cette période de quarante années, l'Université de Liège va d'abord récolter ce qu'elle a semé, tout en continuant à faire de nouveaux progrès. Déjà d'ailleurs, au cours des dernières années, on pouvait observer un singulier relèvement de la valeur scientifique des étudiants diplômés par elle. A cet égard, les statistiques du Concours universitaire ne sont pas très significatives. Avant la loi de 1876, seuls les étudiants y étaient admis. En 1877 et en 1878, il n'y eut pas de concours et, lorsque les docteurs y prirent part, on ne peut pas dire que le nombre des succès fût considérable. C'est seulement à partir de 1892 que les lauréats deviendront nombreux (29). Mais le Concours des bourses de voyage fournit des indications d'une plus grande portée et, de ce fait, plus éloquentes. Jusqu'en 1865, et même (sauf en 1867 où 5 docteurs de Liège obtiennent une bourse, fait sans précédent) jusqu'en 1871, les succès n'abondent guère: ce sont surtout les docteurs en médecine qui les briguent (18 sur 28 de 1859 à 1871). A partir de 1872, le relèvement est très net. De 1872 à 1890, soit en 17 ans si l'on tient compte de ce qu'aucun concours n'a été organisé en 1877 ni en 1878, 64 bourses sont emportées par d'anciens élèves de Liège, à savoir 6 par des docteurs en philosophie et lettres (parmi lesquels Ch. Dejace, H. Pirenne, M. Wilmotte, E. Monseur), 14 par des docteurs en droit (dont G. Galopin, F. Masson, J. Grafé, Ch. Magnette, E. Mahaim), 8 par des docteurs en sciences naturelles ou en sciences physiques et mathématiques (dont Th. Chandelon, A. Jorissen), 31 par des docteurs en médecine (dont A. Swaen, F. Schiffers, Ch. Firket, X. Francotte, F. Henrijean, E. Malvoz) et 5 par des pharmaciens (30).

Cette proportion augmentera encore sensiblement grâce aux effets de la loi de 1890, laquelle nous devons nous arrêter quelques instants.

Le 10 avril 1890, le Roi sanctionnait une nouvelle loi « sur la collation des grades académiques et le programme des examens universitaires » dont la discussion avait commencé en novembre 1889, mais dont le projet, d'ailleurs soumis aux Universités et au Conseil de perfectionnement, avait été déposé en 1886.

Bien que rien ne soit parfait en ce monde, et une loi moins que tout autre chose, on doit se féliciter de l'esprit général qui y a présidé. Tout d'abord, elle consacre le but scientifique des études dans deux Facultés en rétablissant pour les docteurs en sciences et pour les docteurs en philosophie et lettres la dissertation doctorale. Ensuite, elle étend à la Faculté de Philosophie et Lettres l'obligation des cours et exercices pratiques introduits en 1876 dans les Facultés de Médecine et des Sciences. Enfin, elle bouleverse ou fait prévoir le bouleversement heureux de l'économie de trois Facultés. Nous y reviendrons dans un moment.

Sans doute, elle n'établissait point de sanction aux études moyennes, ni d'examen d'entrée aux Universités. Woeste avait criblé de ses sarcasmes la pétition des 114 professeurs d'enseignement supérieur et une imposante majorité l'avait suivi. On se contenta d'exiger un certificat d'études d'humanités complètes, qui devait spécifier l'aptitude de l'élève à suivre avec fruit les cours universitaires. A défaut de certificat, le récipiendaire dut justifier qu'il avait subi avec succès une épreuve préparatoire sérieuse, épreuve qui était d'ailleurs rendue obligatoire pour l'admission à l'examen de candidat ingénieur. Pendant plus de dix ans, les Facultés ne cessèrent de regretter que l'on eût refusé de généraliser cette obligation et, à la veille de la guerre, il ne semblait pas que ces plaintes eussent sensiblement diminué.

Jusqu'en 1890, on peut dire que la Faculté de Philosophie et Lettres n'existe que comme annexe de la Faculté de Droit. De 1869 à 1889 elle n'a délivré à Liège que 82 diplômes de docteur, soit une moyenne de quatre par année. Si ce résultat est supérieur à celui de la période 1849-1868 (52 diplômes), il ne correspond pas même à l'augmentation générale de la population universitaire. On peut dire que les 9/10 des élèves de la candidature en philosophie et lettres se destinent au droit, car près de 700 diplômes de docteurs en droit ont été délivrés pendant cette période. L'École normale des Humanités absorbait les meilleurs éléments qui se destinaient au professorat, à l'exception de ceux qui voulaient viser à l'enseignement supérieur. Elle avait en outre cette supériorité d'un équilibre plus judicieux des matières: ainsi l'histoire qui était virtuellement absente du programme du doctorat fut sérieusement représentée, ainsi que la géographie, à partir de 1880, au programme des 3e et 4e années des futurs agrégés. Mais le point de vue scientifique y était complètement négligé et le régime de l'internat prêtait le flanc à la critique (31). Aussi finit-on par reprocher à l'École normale d'avoir tué les Facultés de Philosophie et Lettres (comme en France d'ailleurs).

Ces considérations expliquent le double but de la loi relativement à la Faculté de Philosophie et Lettres: étendre son champ d'études tout en le spécialisant, faire absorber l'École normale par la Faculté.

Jusqu'en 1890, ii n'existait d'enseignement supérieur spécial qu'en ce qui concerne les langues anciennes et la philosophie. L'histoire n'était enseignée que sous son aspect général, jusqu'au jour où Kurth prit l'initiative de créer la critique historique qu'il avait apprise en Allemagne. Des langues romanes ou germaniques, il n'était même pas question si l'on excepte l'innovation récente d'un enseignement libre des langues et littératures germaniques. Aussi la loi institua-t-elle cinq sections (philosophie, histoire, philologie classique, philologie romane, philologie germanique) comprenant chacune une dizaine de cours spéciaux, dont plusieurs étaient nouveaux dans les disciplines antérieurement représentées et qui l'étaient tous dans les deux dernières sections. Parmi ces enseignements nouveaux, citons les divers cours d'encyclopédie, les cours de grammaire historique et de grammaire comparée, la critique historique, les institutions du moyen âge et des temps modernes, la philologie allemande, anglaise et néerlandaise, etc. Déjà en candidature, des cours d'exercices spéciaux étaient inscrits. Enfin l'addition d'un cours d'histoire de la pédagogie et de méthodologie faisait prévoir la suppression prochaine de l'École normale des Humanités.

Pour la candidature préparatoire au droit, le programme n'était guère modifié: on y avait ajouté des notions sur les principales littératures modernes et l'obligation de suivre le cours d'histoire contemporaine. Mais la matière de cette candidature devait faire l'objet de deux années d'études et non plus d'une ou de deux, au gré du récipiendaire.

Dans la Faculté de Droit peu de changements étaient à relever: le cours de droit public tombait du doctorat dans la candidature, pour remplacer le droit naturel, repoussé dans la candidature en philosophie et lettres; le droit des gens, le droit international privé, le droit fiscal, sous forme d'éléments, étaient ajoutés au doctorat.

La Faculté des Sciences, dont le programme avait été considérablement renforcé en 1876, voyait quelques matières nouvelles s'ajouter (la géométrie projective, la cinématique pure, la géographie physique) et d'autres s'étendre sensiblement (botanique, zoologie). En Médecine, rien de notable n'est à signaler.

Mais la seconde grande innovation de la loi concernait les Écoles spéciales. Le grade d'ingénieur civil des mines devenait légal.

Jusqu'alors, on le sait, les Écoles spéciales délivraient uniquement (à Gand comme à Liège) des diplômes scientifiques: la matière des examens était arrêtée par le gouvernement sans intervention de la législature. Mais ces Écoles avaient le privilège de fait de fournir les ingénieurs à l'Administration des Mines, à celle des Ponts et Chaussées, etc. Depuis quelques années, outre l'École de Mons qui existait depuis longtemps, les Universités libres avaient créé (Louvain en 1865 et Bruxelles plus récemment) des Écoles semblables et elles aspiraient à conférer à leurs diplômes la valeur légale que la loi de 1876 avait reconnue aux grades délivrés par leurs Facultés. A cette époque, on avait repoussé le projet de légaliser le titre d'ingénieur et M. Thonissen, dans son projet de loi de 1886, ne soulevait plus la question.

Lors de la mise en discussion du projet, la proposition fut faite de créer un grade légal d'ingénieur. L'Association des ingénieurs sortis de Liège adressa au Parlement une lettre où elle combattait cette innovation. Par l'institution de ce grade, faisait-elle observer, les programmes des Écoles techniques seront voués à l'immobilité, alors qu'ils devraient tendre à suivre pas à pas les progrès constants et rapides de l'art de l'ingénieur; jusqu'à présent, ces programmes pouvaient être modifiés par la voie administrative et, au besoin, sur le simple avis du Conseil de perfectionnement.

La Faculté des Sciences de Liège s'émut de cette démarche et publia à son tour une réponse à la lettre de l'Association, en critiquant les réformes préconisées par celle-ci dans le programme des études. Cette réponse fut désavouée par cinq membres de la Faculté, d'où nécessité d'une nouvelle lettre explicative (17 décembre 1889) où la Faculté déclarait ne pas avoir voulu blesser les ingénieurs. La conclusion du débat fut tirée par le sénateur Montefiore Levi: la séparation des Écoles spéciales et de la Faculté des Sciences s'imposait (séance du Sénat du 4 mars 1890).

Toutefois, la loi de 1890 se contenta de légaliser le grade d'ingénieur civil des mines (et celui d'ingénieur des constructions civiles à Gand) en déterminant les matières de l'examen, la durée des études (5 années), etc. Ce fut l'objet de la loi du 30 juin 1893 de créer la Faculté Technique.

On peut considérer en effet que l'examen de la loi de 1890 doit se compléter, pour pouvoir en apprécier l'économie générale, par l'analyse rapide de trois mesures qui en sont la conséquence.

D'abord, par arrêté royal du 30 septembre 1890, l'École normale des Humanités fut supprimée et son personnel fut versé dans la Faculté de Philosophie et Lettres; deux ans après, une loi portait de 10 à 14 le nombre maximum des professeurs de celle-ci. Le local de l'École, rue Saint-Gilles, fut occupé par l'Institut électro-technique Montefiore.

ULG 1892 Institut Electro-Technique Montefiore Levy

Ensuite, la loi du 30 juin 1893 créait une cinquième Faculté qui portera le nom de Faculté Technique et dont l'enseignement sera détaché de la Faculté des Sciences. Son titre restera d'ailleurs également École spéciale des arts et manufactures et des mines sous lequel elle était universellement connue. Elle comprendra dix à douze professeurs (32), avec faculté pour le gouvernement d'y ajouter, avec le rang de professeur ordinaire, les ingénieurs ou fonctionnaires de l'État qui y seraient détachés.

Enfin, l'arrêté royal du 2 octobre 1893 donnait satisfaction aux desiderata de la Faculté de Droit et de L. Trasenster et créait, avec les licences en sciences politiques, sociales et administratives, les cours suivants: l'histoire parlementaire et législative de la Belgique, le régime du travail en législation comparée, l'histoire économique (matières spéciales), l'histoire diplomatique de l'Europe, le droit constitutionnel comparé, les institutions civiles comparées, l'économie politique (matières spéciales), la science financière, la statistique, le droit des gens et législation consulaire, le régime colonial et législation du Congo, les matières spéciales du droit administratif. Cet ensemble de branches devait permettre l'étude approfondie des problèmes économiques, constitutionnels, politiques et sociaux et, si les résultats n'ont pas entièrement répondu à l'attente, cela tient surtout à l'absence de tout enseignement spécifiquement pratique.

Nous allons esquisser la vie de notre Université pendant cette nouvelle période en subdivisant la matière et en nous arrêtant d'abord à l'avant­guerre.

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Jusqu'en 1914, la population de l'Université de Liège présente une progression absolument constante. Sans doute, au début, l'effet de la loi exigeant un certificat d'humanités complètes se fit sentir: la population parvenue à 1516 étudiants en 1889-1890 tomba à 1383 l'année suivante et à 1248 en 1894-1895. Mais, à partir de cette date et jusqu'à la Grande Guerre, l'augmentation atteint 131 %. En 1913-1914, 2.884 étudiants avaient pris inscription.

Cet accroissement est absolument général en Belgique, mais il est intéressant d'observer qu'il se limite aux Facultés Technique et des Sciences. En effet, la Faculté de Philosophie et Lettres n'a cessé de diminuer de 1890 à 1901 pour ensuite se relever, mais sans retrouver les chiffres d'avant 1890. Et cependant l'École normale des Humanités avait été supprimée! La Faculté de Droit voit également sa population fondre de plus de 35 % jusqu'en 1900 et si, par après, son effectif apparent remonte, le fait est dû uniquement à l'École de Commerce qui, fondée en 1906, comptait en 1913 321 étudiants. Quant à la Faculté de Médecine, elle diminua également jusqu'en 1901, pour se relever quelque peu pendant les douze années suivantes.

Mais le spectacle est tout différent si l'on observe la population des Écoles spéciales. L'année qui précédait leur érection en Faculté Technique, celles-ci comptaient 257 étudiants. En 1911-1912, la population atteignait 844 élèves et 789 l'année 1913-1914, ce qui représente plus qu'un triplement. Il y faut joindre d'ailleurs une grosse partie de l'effectif de la Faculté des Sciences, car c'est dans le cadre de celle-ci que la statistique recense les deux premières années conduisant au grade de candidat ingénieur. Ici la progression est encore plus nette. En 1892-1893, la Faculté des Sciences avait 211 étudiants. En 1913-1914, elle en avait 1175, soit une progression de l'ordre d'un quintuplement (exactement 5,56)!

A quoi cette augmentation est-elle due? Exclusivement à un afflux d'étudiants étrangers. Ceux-ci, en effet, n'avaient point dépassé 150 lorsque la loi de 1890 fut promulguée. Mais, lorsque la réputation de la Faculté Technique se fut encore étendue, ils s'inscrivirent de plus en plus nombreux, si bien qu'en 1913-1914 on en comptait 1533. Ici la progression atteint le décuplement De 1903 à 1913, la population totale de l'Université passe de 1827 à 2884 élèves et celle des étudiants étrangers de 481 à 1533. On voit donc que l'augmentation de ceux-ci explique exactement l'accroissement global et que plus de la moitié de notre effectif universitaire, à la veille de la Grande Guerre, était composé d'étrangers (exactement 53 %) (33). Parmi ces étrangers, les Russes à eux seuls en représentaient 65 %.

Il n'est pas très aisé d'obtenir des chiffres sûrs au sujet de la population estudiantine féminine. Pendant les années 1895-1897, 39 femmes ont pris inscription, 28 de 1898 à 1900, 53 de 1901 à 1903, 116 de 1904 à 1906, 271 de 1907 à 1909, 309 de 1910 à 1912. Si, immédiatement avant la guerre, une centaine de femmes suivaient chaque année les cours de l'Université, la progression en a été relativement rapide puisqu'il n'y en avait point avant 1880 et 6 seulement de 1882 1883. Les chiffres d'avant guerre ont d'ailleurs largement quadruplé au cours des dernières années.

Le nombre des professeurs ne s'est pas accru dans de semblables proportions, mais l'augmentation n'en est pas moins de l'ordre de 50 %, nécessitée par des créations nouvelles (École de Commerce, Institut d'Histoire de l'Art) dont nous aurons à dire quelques mots. En 1888, à la veille de la dernière législation, le personnel enseignant comptait 67 représentants; en 1912, il en comptait 94, dont 60 professeurs ordinaires ou extraordinaires, 4 professeurs à l'Institut d'Art et d'Archéologie et à l'École de Commerce et 30 chargés de cours. Le nombre des répétiteurs avait passé de 10 en 1888 a 11 en 1912, celui des assistants de 16 à 35, celui des chefs de clinique de 7 a 13. Ces chiffres permettent de mesurer toute l'extension des services.

La statistique des diplômes finaux présente aussi un certain intérêt (34). Si la population de la Faculté de Philosophie et Lettres est loin de s'être accrue, le nombre des diplômes de docteur est en progression sérieuse: de 1880 à 1889 on en avait délivré 35; de 1890 à 1899 on en décerne 102, de 1900 a 1909: 74 et 41 de 1910 à 1914. Nous aurons à voir tout à l'heure ce qui a pu provoquer cet heureux résultat. Pendant ces mêmes périodes, nombre de diplômes de docteur en droit passe de 359 à 416, puis à 278 (et 169 de 1910 à 1914) ce qui correspond à peu près aux variations de la population estudiantine.

Dans la Faculté des Sciences, même proportion pour les docteurs en sciences naturelles et en sciences physiques et mathématiques: de 40 on passe à 54 puis à 36 (et 31 de 1910 à 1914). Pour les docteurs en médecine, les chiffres sont de 205, 258, 256 (et 130); pour les pharmaciens, la progression est décroissante 264, 207, 94 (et 81). Mais, naturellement, le nombre des diplômes d'ingénieurs est en énorme augmentation: si l'on additionne les diplômes d'ingénieurs civils des mines avec ceux d'ingénieurs honoraires des mines de la décade de 1880 à 1889, on arrive à un total de 198, de 1890 à 1899: 193, de 1900 à 1909: 653, de 1910 à 1914: 287. La progression est encore plus frappante pour les diplômes d'ingénieur électricien: on passe de 8 en 1884 à 16 en 1892, à 79 en 1902 et à 132 en 1912.

Les deux constatations que l'on peut faire, c'est donc une augmentation de l'ordre d'un doublement pour les docteurs en philosophie et lettres et de l'ordre d'un triplement pour les ingénieurs des mines. C'est aussi une très faible progression des docteurs en médecine et une diminution des docteurs en droit et des pharmaciens.

Nous aurons à reprendre certains de ces chiffres dans l'examen général auquel nous nous livrerons au terme de ce travail.

Au cours des premières années de la période envisagée ici, le corps professoral continua à s'enrichir de personnalités de premier plan. En 1890, Maurice Wilmotte passa de l'École normale, où il professait depuis 5 ans, à la Faculté de Philosophie et Lettres, pour y créer la nouvelle section de philologie romane dont il occupa au début presque toutes les chaires. Après plus de quarante années d'enseignement universitaire, admis à l'éméritat quoique d'une verdeur sans égale, Wilmotte peut jouir de la gloire d'avoir formé la plupart des romanistes belges et d'avoir vu une quinzaine de ses disciples occuper des chaires de Faculté à Liège (A. Doutrepont, S. Etienne, M. Delbouille, R. Vivier, M. Paquot), à Louvain (G. Doutrepont, A. Bayot), à Bruxelles (G. Charlier, L. P. Thomas), à Gand (A. Counson), à Paris (G. Cohen), à Londres (J. Dechamps), à Edimbourg (Ch. Saroléa), à Leipzig (A. Duchesne), à Erlangen (J. Pirson). Professeur d'une exceptionnelle maîtrise, d'une activité débordante, il fut aussi l'un des romanistes les plus qualifiés de son temps: ses travaux sur l'épopée française et le roman français médiéval, ses études de dialectologie wallonne, ses analyses sur la littérature française du XIXe siècle, sans oublier sa direction ou codirection de la revue Le Moyen Age et de la Revue franco-belge lui ont assigné une des places les plus enviables parmi les savants dont s'honore la Belgique.

En 1891, Guillaume Cesàro, italien de naissance mais belge d'adoption, obtenait, à la retraite de Dewalque, la chaire de minéralogie, à laquelle il joignait bientôt celle de cristallographie. Aujourd'hui qu'il porte allègrement ses 86 années, Cesàro n'a point cessé ses travaux scientifiques qui lui valurent en 1904 le prix décennal des mathématiques appliquées et une foule de distinctions honorifiques. Ses trente ans d'enseignement lui ont permis de donner à des cours très spéciaux un éclat que le monde entier a sanctionné de ses applaudissements et lui ont valu d'être honoré de la mission de diriger l'éducation mathématique du prince Léopold, notre souverain actuel.

Juriste, statisticien, économiste, sociologue, Ernest Mahaim achève une carrière de 43 années d'enseignement universitaire, parvenu au faîte des honneurs. Dispensant aux jeunes juristes ses leçons de droit international et aux jeunes ingénieurs les principes de l'économie politique, il a exercé une influence marquante sur de nombreuses générations d'élèves. Véritable fondateur du droit international ouvrier, il a été le premier pionnier de l'Association internationale pour la protection légale des travailleurs et siégeait hier encore à Genève en qualité de président du Conseil d'administration du Bureau international du travail. Il n'est personne peut-être qui, sur le terrain international, impose plus de respect que E. Mahaim. Devenu directeur de l'Institut de sociologie Solvay après la guerre, il y fait entreprendre de vastes enquêtes statistiques et sociales et publie avec ses collaborateurs cette somme: La Belgique restaurée. Unissant les qualités morales aux talents scientifiques et aux vertus professionnelles, Ernest Mahaim est de ceux qui ne sauraient être oubliés.

En 1892 et en 1893 entraient à la Faculté de Philosophie et Lettres deux philologues qui, avec Charles Michel, devaient donner tout son éclat à l'école liégeoise de philologie classique. Léon Parmentier, élève de Delbœuf, commença sa carrière à l'Université de Gand d'où il revint à Liège pour assumer l'enseignement de la langue et de la littérature grecques. Jean­Pierre Waltzing était sorti de la même école et, après une douzaine d'années de séjour dans l'enseignement moyen, vint enseigner la philologie et la littérature latines à l'Université. Ces trois hommes, profondément dissemblables mais dont les qualités étaient en quelque sorte complémentaires, contribuèrent brillamment à la renommée de notre Alma Mater. En créant le Massée belge, Waltzing acquit des titres tout spéciaux à la reconnaissance des philologues belges et, pendant 33 ans, il assuma la besogne écrasante de la direction et de la rédaction de cette revue et de son Bulletin bibliographique. En même temps il édifiait ce monument qui lui valut le prix quinquennal des sciences historiques: les quatre volumes d'une étude sur les Corporations professionnelles chez les Romains. Quant à Parmentier, unissant à la critique du savant l'art du parfait lettré, il se consacra à des travaux d'études religieuses et d'interprétation de l'oeuvre de Platon où il se fit un renom universel qui lui valut l'honneur d'être chargé de l'édition et de la traduction de plusieurs des tragédies d'Euripide dans la Collection G. Budé. Si presque tous les romanistes belges sont sortis de l'école de Wilmotte, une notable partie de nos hellénistes et latinistes (A. Grégoire, L. Halkin, P.-J. Boyens, M. Kugener, H. Demoulin, P. Faider, P. Graindor, H. Grégoire, A. Delatte, N. Hohlwein, J. Hubaux, M. Delcourt, R. Fohalle, A. Severyns, etc.) furent les élèves de Ch. Michel, de L. Parmentier et de J.-P. Waltzing.

La géologie trouva dans Max Lohest son représentant le plus illustre. Entré dans le corps professoral en 1893, après avoir été l'assistant de Dewalque, il assuma la succession de celui-ci en 1897. Il était alors déjà universellement connu par la découverte faite avec J. Fraipont et M. De Puydt des ossements constituant le crâne de l'homme de Spy (1886). Dédaigneux des théories et des minuties de méthode, mais d'une envergure spirituelle remarquable, il sut faire école brillante, qui reçut consécration par l'institution du grade d'ingénieur géologue. Ses travaux scientifiques, au premier rang desquels il faut citer son livre La vie de l'écorce terrestre, lui valurent en 1907 le prix décennal des sciences minérales. Son plus beau titre de gloire est peut-être sa contribution magistrale à la découverte du bassin charbonnier de la Campine. A la fin de sa vie, il sut jeter sur l'obscur problème de la formation de la ville de Liège des vues tout à fait neuves et fécondes. Julien Fraipont et Max Lohest ont fait mieux que de laisser une oeuvre scientifique: ils ont laissé une tradition qui n'est pas près de s'affaiblir.

C'est au service de la science et de la philanthropie qu'Ernest Malvoz a combattu toute sa vie et continue à le faire. L'un des premiers et des plus éminents pasteuriens de chez nous, il a enseigné de 1896 à 1932 la bactériologie et, dans tous les domaines de l'hygiène publique ou privée, a fortement contribué à répandre, par la verve de sa parole et par ses initiatives, les principes du mieux être matériel. Tous les fléaux de notre époque ont été traqués par lui: il dirigea le premier dispensaire antituberculeux, (1896), le premier dispensaire contre l'ankylostomasie des mineurs (1899), et, avec le concours financier de la Province, il contribua fortement à la diminution des maladies professionnelles et vénériennes. Le prix Guinard couronna en 1908 une oeuvre tout entière consacrée au bien de la classe ouvrière et aux progrès de l'hygiène générale.

La liste serait encore fort longue de tous ceux qui ont acquis des titres spéciaux à la reconnaissance de notre Alma Mater, mais il faut se limiter: une discrétion bien naturelle ne permet guère d'émettre des jugements de valeur sur ceux qui, à l'heure actuelle, travaillent à en accroître le prestige et à en développer le rayonnement (35). Observons seulement qu'à l'aube du XXe siècle, le corps professoral liégeois jette un éclat auquel il n'était jamais parvenu antérieurement: l'histoire et les littératures étrangères sont représentées par G. Kurth, la philologie classique par Ch. Michel, L. Parmentier et J.-P. Waltzing, la philologie romane par M. Wilmotte, le droit civil par G. Galopin, le droit romain par A. de Senarclens, le droit international et l'économie politique par E. Mahaim, l'anatomie par A. Swaen, la physiologie par L. Fredericq, la zoologie et l'embryologie par E. Van Beneden, la chimie par W. Spring et L. de Koninck, la physique par P. De Heen, la minéralogie et la cristallographie par G. Cesàro, la paléontologie par J. Fraipont, la géologie par M. Lohest, l'astronomie par C. le Paige, les mathématiques par J. Neuberg et J. Deruyts, la botanique par A. Gravis, l'exploitation des mines par A. Habets, la mécanique appliquée par V. Dwelshauvers, l'électricité par E. Gérard, la bactériologie par E. Malvoz, la clinique interne par V. Masius, la clinique externe par Von Winiwarter, la pharmacie par A. Gilkinet, etc.

Ce degré d'éclat, que d'innombrables travaux scientifiques soulignent encore, est attesté par ce passage du discours de Van Beneden adressé à Léopold II au nom de l'Académie, le 1er janvier 1903. Visant l'ensemble de la science belge dans les quatre Universités, le grand embryologiste déclarait: « Parmi tant d'oeuvres mémorables réalisées au cours d'un règne glorieux, l'histoire retiendra la transformation, opérée depuis trente ans, des méthodes d'enseignement dans nos Universités. Grâce à la création de laboratoires, de séminaires et d'instituts, des jeunes gens d'élite sont initiés chaque année à la manière dont s'édifie la science. Avant même d'avoir acquis leur diplôme final, ils se livrent à des recherches originales et réussissent parfois à produire des oeuvres sensationnelles. Je crois pouvoir affirmer, Sire, qu'à aucune époque de notre histoire la participation de la Belgique au progrès des sciences et des lettres n'a été aussi active qu'aujourd'hui; jamais le recrutement de l'Académie ne s'est fait avec autant de facilité (36). C'est avant tout à l'enseignement pratique de nos Universités que nous devons ce résultat ».

Il convient d'ajouter que si cette transformation, qui date des années 1870-1880, s'est faite sous l'influence principale et alors triomphante de la science allemande, notre haut enseignement commençait à subir au début du XXe siècle l'influence de plus en plus marquée, de la France dont le relèvement avait été considérable pendant le dernier quart du XIXe siècle. Les professeurs du Collège de France, de l'Ecole pratique des Hautes Etudes et de certaines Facultés, entourés d'un prestige personnel, voyaient arriver nos boursiers de voyage qui auparavant, ne fréquentaient guère que les séminaires allemands. Jusqu'à la Grande Guerre, la faveur de nos jeunes docteurs se partagea entre nos voisins du Sud et ceux de l'Est. On sait que, depuis celle-ci, la France a joui du même prestige que l'Allemagne au lendemain de la Guerre de Soixante-dix et que les États-Unis sont venus disputer à leur tour à la France la primauté scientifique dans le complément de formation que vont demander à l'étranger nos jeunes chercheurs.

En observant les transformations des diverses Facultés de 1890 à 1914, on verra plus nettement encore que l'Université de Liège poursuit une marche ascendante.

Trois événements marquants sont à signaler dans la Faculté de Philosophie et Lettres.

D'abord la création de la Bibliothèque de la Faculté, c'est-à-dire d'une collection de publications de professeurs ou anciens élèves, subventionnée par le gouvernement: elle s'inaugura en 1897 par le mémoire de Léon Halkin sur les Esclaves publics chez les Romains, et, trois ans après, elle comptait déjà dix fascicules. Depuis lors, cette Bibliothèque, à laquelle il faut associer le souvenir de J.-P. Waltzing qui en assuma longtemps la direction, n'a cessé de s'accroître: le 70e volume vient de sortir de presse.

Ensuite, et cette innovation apparaît capitale, sur les instances répétées de la Faculté (1901-1902), le gouvernement lui accorda en 1905-1906 un crédit annuel de 10.000 fr. pour établir une bibliothèque spéciale dans les auditoires où se donnaient les cours. En fait, celle-ci existait déjà, à la suite du versement des « doubles » provenant de l'École normale des Humanités à un premier fonds. Chaque section eut ainsi son séminaire et les cours pratiques purent bientôt donner leur plein effet. Par des acquisitions successives, l'ensemble de ces bibliothèques spéciales comprenait 7000 volumes à la veille de la guerre.

Enfin un arrêté royal du 15 octobre 1910 créa un Institut d'Art et d'Archéologie. Déjà, le 26 octobre 1903, un autre arrêté avait institué les grades et diplômes scientifiques de candidat, de licencié et de docteur en art et archéologie. Tout un ensemble d'enseignements sur l'histoire de l'art furent ajoutés aux cours libres qui existaient déjà. Cette section devint une école autonome en 1919. Si seulement quatre diplômes de licenciés et deux diplômes de docteur ont été conférés avant la guerre, on verra que, dans la période récente, la contribution de l'Institut à la réputation de l'Université n'a pas été négligeable.

L'activité générale de la Faculté se révèle encore dans les initiatives professorales: des cours libres de persan, d'arabe, de russe, de chinois sont ouverts et le premier avec un notable succès; J. Capart inaugure l'enseignement de l'égyptologie en 1902, J. Prickartz celui de l'assyriologie en 1914; des exercices pratiques sont adjoints aux cours d'institutions du moyen âge et des temps modernes; l'Orient fait l'objet de deux cours nouveaux: l'histoire de la Perse et de l'Orient musulman (A. Bricteux) et l'art extrême oriental (T. Gollier), tandis que des cours facultatifs sont ouverts sur l'histoire de la colonisation (H. Vander Linden), sur le gotique (J. Mansion), ainsi qu'un cours privé de phonétique expérimentale (A. Grégoire).

La Faculté de Droit avait connu une première transformation en 1893 dans le domaine des sciences politiques et économiques. Elle en éprouva une seconde lors de la création de l'École spéciale de Commerce, par l'arrêté royal du 11 octobre 1906. Ici encore, on avait procédé par étapes: un arrêté du 28 septembre 1896 avait institué un diplôme scientifique de licencié du degré supérieur en sciences commerciales et consulaires, puis un autre arrêté du 11 mai 1901 y avait joint un simple diplôme de licencié en sciences commerciales et en avait modifié le programme. Bien qu'annexée à la Faculté de Droit, l'École de Commerce est autonome: d'après son règlement elle confère, indépendamment de ceux-ci, un diplôme de licencié en sciences commerciales et coloniales et, sur présentation d'une dissertation, le diplôme de docteur. Jusqu'à la guerre, l'École de Commerce avait décerné 310 diplômes de licencié en sciences commerciales, 44 diplômes de licencié du degré supérieur en sciences commerciales, 98 diplômes de licencié en sciences commerciales et consulaires et 101 diplômes de licencié en sciences commerciales et coloniales. Cette statistique est éloquente si l'on tient compte de la population de l'École qui n'a dépassé 200 élèves qu'en 1909. Mais quatre diplômes de docteur seulement avaient été délivrés.

Tous les enseignements nouveaux de cette période sont relatifs au programme de l'École de Commerce, à l'exception d'un cours de sociologie (E. Crahay) rattaché à la licence en sciences sociales. On ne voit pas qu'une demande de la Faculté tendant à permettre à F. Thiry d'ouvrir un cours libre de sociologie criminelle (1895) ait abouti (37).

Dans la Faculté des Sciences, l'aménagement des nouveaux laboratoires préoccupa considérablement les professeurs: en 1892, on insistait pour que les laboratoires de chimie industrielle et de micrographie végétale fussent le plus rapidement possible appropriés. En 1894, il fallut intervenir encore pour que les locaux destinés aux collections de géologie et de minéralogie fussent mis en ordre satisfaisant. Néanmoins les initiatives ne faisaient pas défaut. W. Spring fit créer en 1895 un grade scientifique de docteur en sciences physico-chimiques. Cinq ans plus tard, le diplôme d'ingénieur géologue était institué. Un arrêté royal du 20 février 1900 autorisa la Faculté à décerner les grades scientifiques de licencié et de docteur en géographie: tout un enseignement nouveau dans ce domaine dut être créé avec le concours de M. Lohest, de E. Prost, de C. le Paige et surtout de Jos. Halkin. Le séminaire de géographie, ouvert en 1903, comptait près de 1500 ouvrages à la veille de la guerre.

La Faculté de Médecine voyait s'ouvrir successivement une clinique otologique, laryngologique et rhinologique en 1890 (F. Schiffers), une clinique des maladies mentales la même année (X. Francotte), un cours de psychiatrie (X. Francotte), un cours de bactériologie appliquée en 1896 (E. Malvoz), un cours d'urologie en 1912 (A. Hogge), un cours de stomatologie en 1914 (H. Fauconnier). En 1907-1908, la nouvelle Maternité, édifiée à l'aide d'un subside de l'État de 200.000 fr., était livrée à sa destination: les services d'obstétrique et de gynécologie étaient désormais pourvus d'installations de premier ordre.

Enfin, au sein de la Faculté Technique, les cours nouveaux se multipliaient: cours sur les gisements de combustibles et de phosphates de chaux en 1890 (M. Lohest), cours sur l'industrie du goudron et de ses dérivés en 1891 (J. Krutwig), cours spéciaux de chimie analytique appliquée (E. Prost) et de chimie organique (E. Bourgeois) en 1895, cours sur la chimie appliquée aux matériaux de construction en 1899 (E. Nihoul). En 1907, la Faculté appuyait une demande du professeur Bréda aux fins d'obtenir un laboratoire de métallurgie générale et de sidérurgie.

Parmi les mesures d'ordre général, il convient de signaler l'arrêté royal du 16 août 1892 qui supprimait les agrégés spéciaux en tant qu'institution et modifiait le statut des assistants: ceux-ci seraient désormais nommés par le Roi et jouiraient d'une rémunération proportionnée à leurs services. Le mandat des assistants de la Faculté de Médecine était réduit de 6 à 4 ans. Le titre d'agrégé spécial sera désormais purement honorifique et pourra être conféré aux assistants qui prendraient le diplôme de docteur spécial.

C'est au cours de cette période que l'accroissement des collections de la Bibliothèque fut le plus rapide. Alors qu'avant 1890 il n'entrait guère plus de 4 à 5000 volumes par année, on atteignit 7, 8 et même 11.000 ouvrages pendant les vingt-cinq années suivantes. Il faut remarquer, à cet égard, que le legs Wittert (103 manuscrits, 123 incunables, 180 tableaux, 107 objets d'art, 360 portefeuilles de gravures et près de 15.000 volumes) a été une exceptionnelle bonne fortune. Vinrent s'y ajouter un millier d'ouvrages provenant de la bibliothèque d'Émile de Laveleye, 4 à 5000 volumes de la bibliothèque d'A. Le Roy, les dons de Stecher, de Troisfontaines, de Polain, le legs Baltus et toute la bibliothèque de V. Masius. En 1900, on évaluait à 300.000 le nombre des pièces de la Bibliothèque centrale; en 1914, on arrivait certainement à 415.000. Il convient d'y ajouter toutes les biblio­hèques spéciales: celles de la Faculté de Philosophie et Lettres (7.000 volumes), de l'École de Commerce (3000 volumes), du séminaire de géographie (1.500 volumes), etc. Le cabinet des périodiques recevait, en 1914, 675 revues.

Les crédits avaient d'ailleurs été sérieusement majorés: de 17.245 fr. en 1891, on passait à 23.245 fr. en 1896-1897, pour arriver à 30.245 fr. en 1913-1914. En somme, avec des ressources trois fois plus importantes qu'au milieu du XIXe siècle, les acquisitions avaient quintuplé, en prenant ce terme dans le sens général d'accroissement, car le service des échanges avait pris une extension tellement notable que près de la moitié des ouvrages qui entraient à la Bibliothèque n'avaient pas dû être achetés (thèses, dissertations, collections, etc.). C'est grâce surtout aux publications de la Société royale des Sciences et à celles de la Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres que ce résultat avait été obtenu. Près de cent établissements d'enseignement supérieur, instituts ou académies accordaient l'échange de leurs publications avec celles que l'Université patronnait.

Il n'est point possible de décrire ici, même sommairement, l'état des autres collections, se trouvant surtout dans les laboratoires. Chacune d'elles bénéficie d'un crédit spécial ou participe à un crédit plus général qui lui permet de s'accroître d'année en année selon les exigences de l'enseignement pratique. Il est à peine besoin de dire que les années les plus récentes ont permis de faire d'immenses progrès dans cet ordre d'idées, grâce aux ressources nouvelles dont nous aurons à parler.

En somme à la veille de l'effroyable tourmente qui va s'abattre sur le monde, l'Université de Liège présente un aspect des plus florissant. L'activité scientifique y est intense. De 1902 à 1913, 50 lauréats du Concours universitaire appartiennent à notre Alma Mater, soit le double des succès remportés pendant les douze années antérieures. Le Concours des bourses de voyage est de plus en plus fréquenté pendant la même période, on constate que 55 docteurs de Liège y sont proclamés, un peu plus encore que pendant la période écoulée.

Les épreuves du doctorat spécial paraissent moins recherchées, sauf par les docteurs en médecine. Sur 11 diplômes décernés de 1900 à 1914, 8 ont été brigués par des médecins qui tous ont fait carrière à l'Université, 2 par des docteurs en droit, 1 par un docteur en sciences (38). Cette proportion est cependant plus forte que celle de la période antérieure car, de 1880 à 1900, 5 doctorats spéciaux ont été obtenus: 3 dans la Faculté de Philosophie et Lettres et 2 dans la Faculté de Droit. Tous ces docteurs spéciaux sont entrés dans le corps professoral de l'Université.

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La période qui s'ouvre en août 1914 est bien sombre pour l'Université de Liège, comme d'ailleurs pour toute la Belgique

Jusqu'à la fin de 1918, une cruelle parenthèse transforme le récit des progrès scientifiques et des efforts désintéressés de notre haut enseignement en une lamentable énumération de griefs à charge du pouvoir occupant et, chose plus déplorable encore, en un acte d'accusation à l'égard des autorités responsables d'une des plus grandes puissances du monde, de celle-là d'où nous sont venus depuis 1817 tant de maîtres illustres et qui, depuis cinquante ans, accueillait avec empressement l'élite de nos élèves et contribuait sans réserve à sa formation technique et scientifique.

Le recteur Eugène Hubert a brossé un tableau aussi objectif qu'accablant de tous les maux endurés pendant la guerre, dans le discours qu'il prononça le 21 janvier 1919, à la séance de réouverture solennelle des cours. Cette page d'histoire ne peut être passée sous silence.

Si le bâtiment central de l'Université eut à souffrir pendant le bombardement, ce fut son occupation par la soldatesque qui fut cause des plus graves dommages: un lazaret y fut installé et les auditoires servirent de chambres de caserne. Le mobilier qui garnissait l'immeuble fut détruit ou volé, ainsi qu'un certain nombre d'instruments de laboratoire. Grâce au sang-froid du conservateur du matériel Paul Damry, menacé de mort ainsi que le concierge, une grande partie des objets de collections put être mise à l'abri.

Dans la nuit du 20 août où, sous le prétexte d'une fusillade dirigée contre eux, les soldats allemands mirent le feu aux maisons de la Place de l'Université et à celles de la rue de Pitteurs, le professeur Damas ainsi que son frère et le concierge de l'Institut de zoologie n'échappèrent que par miracle à la mort dont les menaçaient des soudards ivres. Le professeur Léon Fredericq fut arrêté, détenu pendant deux jours et relâché seulement lorsqu'un de ses fils eût pris sa place.

La Bibliothèque fut fort maltraitée: la salle des périodiques fut trans­formée en écurie; des bottes de paille furent accumulées dans les salles de livres, une boucherie militaire s'installa dans le cabinet de travail des professeurs. Le mobilier alimenta les foyers. Des cartes géographiques et géologiques furent dérobées.

En septembre, le pillage de la collection Wittert s'organisa et de nombreuses pièces prirent le chemin de l'Allemagne. En mai 1915, une cantine s'établit dans la salle de lecture et le bureau du prêt.

Telles furent les constatations que dut bien enregistrer le directeur de la Bibliothèque de Breslau chargé par son gouvernement d'une enquête en Belgique: il se plaignit de ce que les employés belges ne voulaient point réparer le désordre afin de grossir les responsabilités du pouvoir occupant. Aussi ce dernier fit-il procéder au nettoyage. Et l'on vit un étudiant allemand, investi des fonctions d'administrateur inspecteur et de bibliothécaire, s'efforcer de rendre un semblant de vie à l'Université, tout en travaillant à la création d'un mouvement séparatiste wallon.

Le gouvernement général avait d'ailleurs enjoint aux professeurs demeurés à Liège de reprendre leur enseignement. Il se heurta à un non possumus: à l'unanimité, le Conseil académique exposa les raisons de son refus dans une longue délibération qui ne put être publiée qu'en 1919, mais qui fut immédiatement communiquée à l'autorité allemande. Celle-ci usa de pression sur quelques membres du corps professoral, menaça plusieurs professeurs du sort de leurs collègues Fredericq et Pirenne de Gand, fit de séduisantes propositions de relèvement des traitements, puis finit par se décourager devant l'inutilité de ses efforts.

Un nouveau pillage de certaines collections fut commencé vers la fin de 1918, mais la rapidité des événements ne permit guère à l'occupant de procéder au déménagement des machines, marquées pour la réquisition, de l'Institut Montefiore. L'intervention des autorités diplomatiques hollandaises et espagnoles ne fut pas inutile dans cette occasion.

Le 2 décembre 1918, le Conseil académique, sur rapport du professeur Mahaim, rédigea une réponse au manifeste fameux des 93 intellectuels allemands qui avaient couvert de leur autorité morale le démenti opposé par le gouvernement du Reich aux accusations belges relatives aux atrocités commises en 1914. La réponse rappelait notamment, en dehors du sort lamentable des bâtiments et des collections universitaires, l'odieux traitement infligé au professeur Meurice, bourgmestre de Visé, au professeur Van der Linden et les innombrables violations du droit des gens commises dans le pays. Elle flétrissait, sans réserve aucune, tous ceux qui, hommes de science ou se croyant tels, avaient compromis leur honneur dans ce manifeste calomniateur.

Il convient d'accorder également ici une mention aux efforts de certains collègues qui, en Hollande, en Angleterre, en France ou en Suisse, se sont efforcés de recréer un peu d'activité universitaire parmi les jeunes gens de nationalité belge, non encore en âge de servir la patrie, en donnant des séries de leçons et même des cours. Le centre le plus florissant pendant les années 1914 et 1915 a été la section universitaire belge de Cambridge qui, sous la direction de Charles Dejace, a groupé 26 professeurs dont 6 appartenaient à l'Université de Liège: 142 certificats furent ainsi délivrés dont 80 de simple fréquentation.

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Lorsque l'Université de Liège rouvrit ses portes en janvier 1919, elle avait à pleurer la mort de 216 de ses étudiants, tombés au champ d'honneur.

Il s'agissait de pourvoir immédiatement à une situation qui se révélait malaisée. Près de 3000 étudiants avaient pris inscription, les 2/3 ayant perdu 2, 3 ou 4 années avec la guerre, et désireux d'obtenir le plus vite possible leur diplôme final. De là, la nécessité d'organiser des sessions spéciales et aussi de faire preuve d'une certaine indulgence dans les épreuves auxquelles ces étudiants étaient soumis. C'est à l'École de Commerce que l'on constata la plus grosse affluence: de 321 en 1914, la population était passée à 807 en 1919, pour retomber à 175 en 1919-1920. L'effectif avait aussi plus que doublé à la Faculté de Philosophie et Lettres; en revanche il était demeuré stable à la Faculté des Sciences et à la Faculté de Droit et avait diminué de 25 % à la Faculté de Médecine et de 60 % à la Faculté Technique. On ne sait trop comment il faut expliquer ces chiffres: il semble que le plus fort contingent de ceux qui désiraient un diplôme se soit présenté là où les études étaient les plus courtes, pour d'ailleurs se décourager après quelques mois (39).

Au bout de deux ans, on peut dire que la situation était partout redevenue normale: en 1919-1920, la population n'était plus que de 2.064 élèves dont 246 étrangers, ce qui représente encore une augmentation de près de 500 étudiants sur la population nationale d'avant-guerre. C'est donc parmi les étudiants étrangers seulement que la diminution consécutive à la guerre se fait sentir. Il y a là une observation dont nous allons avoir à développer les conséquences.

Une notable partie du corps professoral se trouva atteinte par la limite d'âge au cours des hostilités ou vers le début de 1919. Plusieurs décès (E. Gérard, L. Bréda, A. Von Winiwarter, H. Deschamps, P. De Heen, J. Merlot, P. Cerfontaine) portèrent à dix-sept le nombre des titulaires d'enseignement qu'il fallut remplacer presque du jour au lendemain. Le renouvellement des cadres qui en fut la conséquence fut encore accentué par le fait que l'on divisa de plus en plus certains cours généraux et que l'on multiplia les chargés de cours en ne leur donnant que des attributions plus restreintes.

Une raison politique doit d'ailleurs être invoquée: aux gouvernements de parti bien tranchés tels que les avait connus l'avant-guerre avaient succédé des gouvernements « tripartites » ou « bipartites » dont la préoccupation était plutôt de maintenir, par un certain dosage, un équilibre relatif dans les opinions. Cette intrusion de la politique dans la sphère de l'enseignement supérieur, prédominante pendant les cinquante années qui ont précédé la guerre, tendit seulement à diminuer lorsque, sur l'initiative du professeur liégeois Eugène Hubert, devenu ministre des Sciences et des Arts, les Facultés furent appelées à émettre leur avis sur les candidatures présentées (juin 1922). Encore fallut-il une expérience de plusieurs années pour que les considérations scientifiques passassent partout au premier rang. Lorsqu'on envisage les progrès accomplis dans cet ordre d'idées par la mentalité générale depuis une dizaine d'années, on ne peut que s'en réjouir très sincèrement.

L'augmentation du nombre des professeurs depuis la guerre est de l'ordre de 60 % En 1914, on comptait 62 professeurs (ordinaires, extraordinaires et aux Instituts) et 30 chargés de cours. En 1921, il y en avait respectivement 68 et 42 en 1924, 73 et 46 soit 119 titulaires d'enseignement. En 1935, on atteignait le total de 163 titulaires dont 81 professeurs ordinaires et extraordinaires, 14 professeurs à titre honorifique et 68 chargés de cours et professeurs à l'École de Commerce. Il est à remarquer que le législateur lui-même a reconnu la nécessité d'une augmentation du personnel enseignant en portant à 81 le nombre des toges, limité antérieurement à la guerre à 55. On attend à présent un statut définitif qui, en excluant le système de la limitation stricte, permette d'assurer une carrière complète aux trop nombreux chargés de cours qui seraient, sans cela, arrêtés dans leur avancement.

Il n'est pas inutile de faire observer que cette augmentation du nombre des professeurs n'est guère plus sensible que celle du nombre des étudiants lorsqu'on envisage dans son ensemble la période 1817 à 1935. En 1817 il y avait 13 professeurs et 259 étudiants; en 1830, 26 professeurs et 540 étudiants; en 1849, 36 professeurs et 523 étudiants; en 1879, 57 professeurs et 1100 étudiants; en 1900, 83 professeurs et 1602 étudiants; en 1921, 110 professeurs et 2.303 étudiants; en 1934, 159 professeurs et 2.725 étudiants. Le parallélisme des deux courbes est remarquable: le coefficient d'augmentation est de 12 pour les professeurs et de 11 pour les étudiants.

Arrêtons-nous un instant sur les fluctuations de la population universitaire après la guerre. En 1919-1920, on enregistra 2064 inscriptions, total qui s'éleva à 2.957 en 1923-1924 et à 2.944 en 1924-1925. Cet accroissement s'explique par un afflux d'étrangers, qui, de 246 en 1919-1920, atteignirent 1.184 en 1924-1925. Ces étrangers appartenaient à l'École de Commerce (175 en 1919-1920, 414 en 1924-1925) et à la Faculté Technique (262 en 1919-1920 et 495 en 1924-1925). Leur arrivée se remarqua principalement dans l'année 1923-1924: 600 étrangers nouveaux prirent alors inscription à l'École de Commerce et à la Faculté des Sciences pour la « candidature ingénieur ». Mais les mesures plus sévères prises à l'égard de leur admission firent tomber leur nombre à 710 en 1925-1926 et à 360 en 1027-1928; à la veille de la crise mondiale, il était revenu à 768 (1929-1930), puis il retomba progressivement jusqu'à 379 en 1934-1935. Cette fois, ces fluctuations ne rendent plus compte des mouvements de la population totale: si celle-ci tombe à 2.450 en 1925-1926 et à 2.300 en 1927-1928, elle se relève progressivement jusqu'à 2.812 en 1932-1933 pour redescendre à 2.725 en 1933­1934 et à 2.534 en 1934-1935 (40) L'apport nouveau provient de la Belgique même: aussi sont-ce les Facultés de Philosophie et Lettres (267 en 1926-1927, 597 en 1933-1934), de Médecine (347 en 1926-1927, 566 en 1933­1934) et, en partie, des Sciences qui en bénéficient. Ce sont tout particulièrement les jeunes filles qui ont fourni le contingent nouveau: en 1933­1934, 441 avaient pris inscription au lieu de la centaine que l'on enregistrait à la veille de la guerre.

La courte période qui s'étend depuis la fin des hostilités et la réouverture des cours jusqu'à la promulgation de la loi de 1929 se marque par des événements d'une importance capitale pour l'avenir de l'enseignement supérieur. Mais, avant d'en traiter ici, il convient de signaler les quelques innovations propres à chaque Faculté.

Un arrêté royal du 28 août 1922 instituait, en l'annexant à la Faculté de Philosophie et Lettres, un Institut supérieur d'Histoire et de Littératures orientales. En fait, comme l'Institut supérieur d'Histoire de l'Art et d'Archéologie, il était absolument autonome et avait en plus la faculté de pouvoir, chaque année, arrêter la liste des cours à donner. Si la majeure partie de ses enseignements existait déjà au programme des cours de certaines Universités en Belgique, le groupement qui en était fait à Liège constituait une création originale. Après dix années d'existence, l'institut avait délivré 33 diplômes dont 18 de licencié ou de docteur.

Le 19 novembre 1927, un arrêté royal créait un Institut supérieur de Pédagogie, annexé également à la même Faculté. Des enseignements nouveaux, tels que la psychologie et la pédagogie expérimentales, y furent inaugurés en 1929, ainsi que des exercices pratiques.

Deux autres innovations notables ne doivent pas être oubliées: l'enseignement de l'orthophonie (1921: A. Grégoire), et celui de la dialectologie et de la littérature wallonnes (1919 : J. Haust et J. Feller). Un certain nombre de cours libres ou facultatifs (espagnol, histoire de la gravure, histoire de l'humanisme, archéologie préhistorique, art musulman, exercices d'archéologie égyptienne, grec moderne, etc.) sont encore à relever au programme de la Faculté.

Dans la Faculté de Droit, l'initiative individuelle faisait enfin aboutir, avant toute intervention législative, les desiderata que Victor Thiry formulait déjà en 1874. Le 27 janvier 1921, la Faculté adoptait unanimement un voeu des professeurs J. Wilems et Graulich tendant à la création de séminaires juridiques. Dès 1921, le séminaire de droit civil était organisé au domicile même de ce dernier, faute de local à l'Université. Bientôt les séminaires ou bibliothèques spéciales de droit public, de droit des gens, de droit pénal, de droit romain, de droit fiscal, de droit commercial, etc., s'ouvrirent successivement (1921-1923). Au lendemain de la loi de 1929, toutes ces collections furent fondues en une seule qui jouit à présent d'une excellente organisation.

Quant à l'École de Commerce, elle obtint, par l'arrêté royal du 20 octobre 1922, la création du grade de docteur en sciences commerciales et put ensuite publier les meilleures thèses, de caractère surtout économique, qui furent défendues devant elle.

Les cours pratiques firent aussi leur apparition au séminaire de géographie de la Faculté des Sciences, dans l'enseignement de l'ethnographie, de l'ethnologie et de la géographie humaine (1921), tandis que s'ouvraient des cours de paléoanthropologie et de paléoethnographie (1926).

Le 12 juillet 1924, par suite de la flamandisation de l'Université de Gand, un arrêté royal créait une section de génie civil à la Faculté Technique de Liège, appelée ainsi à dispenser toutes les disciplines des Écoles spéciales du pays.

Plus nombreuses sont encore les innovations de la Faculté de Médecine. Deux cliniques sont ouvertes: la clinique urologique (A. Hogge) en 1920 et la clinique stomatologique (H. Fauconnier) en 1927. L'enseignement de la stomatologie avait été ouvert dès 1920, celui de la radiologie le fut en 1921 (L. Lejeune), celui de la cinésithérapie en 1922 (L. De Munter). En 1923, le pavillon de la radiologie fut agrandi grâce à diverses subventions d'un total de 725.000 fr. en vue de l'installation d'un centre de lutte contre le cancer, le premier en Belgique. Divers cours libres furent également autorisés dont on trouvera la liste en annexe (41).

Pendant cette période la Bibliothèque bénéficia d'accroissements considérables: de 1000 à 1500 ouvrages entrèrent annuellement dans ses rayons, grâce notamment à un crédit de 100.000 fr. accordé, à partir de 1921, par le Patrimoine de l'Université, grâce aussi à des dons importants tels que ceux de la bibliothèque Chauvin (7000 volumes), de la bibliothèque Orth (3000 volumes), de la bibliothèque le Paige (3.500 vol.), etc. (42). On put ainsi acquérir les bibliothèques spéciales de G. Kurth et de E. Monseur. Plus de 1000 périodiques étaient régulièrement reçus dès 1926. Dans les collections spéciales, les accroissements étaient non moins notables. La bibliothèque de l'École de Commerce atteignait le chiffre de 4.500 ouvrages (et 24 périodiques) en 1929. La donation de la bibliothèque de julien Fraipont et l'acquisition de celle de M. De Puydt accroissaient les ressources de la bibliothèque de paléontologie, tandis qu'un legs du professeur L. De Koninck permettait de reconstituer la bibliothèque de chimie analytique. Il n'est point possible de signaler ici, même sommairement, tous les enrichissements de la période d'après-guerre qui dépendent en général de conjonctures nouvelles dont nous allons avoir à parler.

Les manifestations de l'activité scientifique des jeunes docteurs sont extrêmement encourageantes. De 1919 1933, 70 bourses de voyage ont été gagnées par d'anciens élèves de l'Université de Liège (32 relèvent de la Faculté de Philosophie et Lettres, 25 de la Faculté de Médecine, 10 de la Faculté des Sciences, 2 de la Faculté de Droit, 1 de la Faculté Technique) au titre légal et 5 au titre scientifique. Cette proportion est la plus forte qui ait été enregistrée depuis un siècle et elle se caractérise surtout par le nombre important des docteurs en philosophie et lettres parmi les boursiers. Pendant la même période, 57 anciens élèves de notre Université ont été proclamés premiers au Concours universitaire et 6 ont obtenu une mention honorable. De ces 63 lauréats, 26 sortaient de la Faculté de Philosophie et Lettres, 2 de la Faculté de Droit, 14 de la Faculté des Sciences, 6 de la Faculté Technique et 15 de la Faculté de Médecine.

La statistique des doctorats spéciaux montre que de 1920 à 1928, sur treize diplômes décernés, 7 l'ont été à des docteurs en médecine, 3 à des docteurs en droit, 2 à des docteurs en philosophie et lettres et 1 à un ingénieur. De 1929 à 1934, une vingtaine de doctorats spéciaux et particulièrement d'agrégations ont été passés avec succès, surtout dans les disciplines de la Faculté des Sciences, ce qui permet de bien augurer de l'avenir scientifique de notre Alma Mater.

Le développement de l'esprit scientifique semble d'ailleurs se poursuivre sous l'influence de forces nouvelles: à l'action exercée par l'Allemagne jusqu'à la guerre, et qui semblait d'ailleurs décliner depuis le début du siècle, a succédé celle de la France. L'influence intellectuelle de notre voisine du midi ne cesse de croître pour les disciplines qui relèvent de nos Facultés de Philosophie et Lettres (histoire, philologie, philosophie), de Droit (sauf peut-être pour l'enseignement économique), de Médecine et pour une notable partie des branches rattachées à la Faculté des Sciences. C'est dans les laboratoires et les séminaires de Paris principalement que nos jeunes docteurs vont achever leur formation. L'Europe centrale a cessé de jouer le rôle qu'elle a tenu au XIXe siècle. Mais, depuis une douzaine d'années, pour nos ingénieurs et nos techniciens, pour nos économistes, pour nos médecins s'exerce l'attraction des États-Unis, c'est-à-dire du pays aux vastes et riches installations scientifiques, aux initiatives innombrables et singulièrement libres de toute réglementation. Le voyage outre-mer est déjà entré dans les habitudes de nos jeunes savants et, de cette influence combinée de la France et de l'Amérique, on ne peut nier que des résultats féconds n'aient déjà été obtenus.

Au reste aucune période n'a été plus marquante que celle que nous venons de vivre dans les annales du haut enseignement.

Le 5 juillet 1920, une loi octroyait la personnalité civile aux deux Universités de l'État. On sait tout ce qu'implique ce privilège, accordé dès 1911 aux deux Universités libres: droit de posséder un patrimoine et d'en disposer, de recevoir des donations ou des legs, d'exercer, dans les limites légales, une action personnelle profonde. Matériellement, cette innovation se traduisit par la gestion d'un important patrimoine, dû à la générosité américaine et par la disposition annuelle d'un revenu de plus d'un million de francs. S'il fallait énumérer ici tout ce que le Patrimoine de l'Université de Liège, administré par une commission éclectique présidée par le Recteur, a fait pour la cause de la science, un long chapitre serait à peine suffisant! Plus de la moitié du revenu est consacrée aux laboratoires dont les ressources, au lendemain de la guerre et pendant la période d'inflation, étaient réduites à un taux misérable. D'importantes subventions sont accordées à la Bibliothèque centrale et aux bibliothèques spéciales, ainsi qu'à diverses collections. Les travaux scientifiques des professeurs et du personnel de tout grade attaché à l'Université sont très largement subsidiés et l'impression d'un certain nombre d'ouvrages a été ainsi rendue possible (43). Les volumes publiés dans la Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres et par l'École de Commerce notamment rentrent dans ce cas. Enfin les voyages de recherches, les participations à des Congrès internationaux, que le gouvernement avait cessé de soutenir de ses deniers, ont été assurés par des allocations du Patrimoine. Faut-il ajouter, pour apprécier comme il convient l'opportunité de cette innovation, qu'après quinze années de fonctionnement, cette institution n'a donné lieu à aucune critique.

Mais, réduites aux ressources de leurs seuls patrimoines, les Universités auraient été impuissantes à maintenir en Belgique le niveau scientifique atteint avant la guerre et plus encore à entrer dans la voie du progrès continu, si deux autres institutions de caractère général ne les avaient secondées, l'une au lendemain de la guerre, l'autre après la première dévaluation monétaire: la Fondation universitaire (6 juillet 1920) et le Fonds national de la Recherche scientifique (1927-1928).

Grâce aux disponibilités financières sans précédent de ces deux organismes dont l'histoire n'a pas à nous retenir ici, grâce à leur gestion désintéressée et hautement attentive aux besoins de la science pure comme de la science appliquée, une ère nouvelle s'est ouverte pour les quatre Universités belges, capables à présent de rivaliser avec les plus célèbres Universités du continent. L'un des objectifs les plus nouveaux de ces institutions a été de créer une carrière scientifique, accessible aux meilleurs de nos jeunes chercheurs et remunérée de façon décente, C'est ainsi qu'à côté des assistants, des chefs de travaux, des agrégés, collaborateurs des professeurs, on vit bientôt apparaître les aspirants et les associés du F. N. R. S. Au sein de cette jeunesse à l'idéal élevé et désintéressé, éprise du désir de la recherche, se recrutera demain le corps professoral de notre Alma Mater.

On n'énumérera pas ici toutes les interventions de la Fondation universitaire en matière de bourses d'études, de bourses de voyage, de publications d'ouvrages, de soutien de revues scientifiques, ni celles du Fonds national dans les investigations à l'étranger, dans les expériences de laboratoires, etc. Cette histoire est connue de tout le monde, car qui, parmi nous, n'en a pas bénéficié?

Le gouvernement lui-même, au cours de la période que nous essayons d'analyser, est entré dans la voie des réformes de caractère libéral.

Le 8 mai 1924, un arrêté royal remettait aux Conseils académiques le soin de présenter trois candidats aux fonctions rectorales, ce qui équivalait en fait à confier au suffrage universel des professeurs la désignation de celui qui dirigerait l'Université pendant trois années.

A l'égard de la nomination des professeurs, des progrès sérieux ont été accomplis. Dès 1920, sur la demande expresse du Conseil académique de Gand, mal accueillie toutefois par une partie du Conseil académique de Liège, le ministre Jules Destrée décidait de publier au Moniteur toute vacance de chaire et d'accorder un certain délai aux candidats pour faire valoir leurs titres à une postulation.

Le 9 juin 1922, le professeur Eugène Hubert, devenu ministre des Sciences et des Arts, faisait savoir que désormais il consulterait, non seulement l'administrateur inspecteur, mais le recteur et la Faculté intéressée sur chacune des candidatures présentées. Trois rapports (et éventuellement quatre, dans le cas d'une divergence d'appréciation au sein de la Faculté) seraient ainsi transmis au département ministériel.

Bien que ces mesures ne pussent lier en rien leurs successeurs, il faut reconnaître que ces résolutions de MM. Destrée et Hubert ont été observées jusqu'à présent par tous les détenteurs du portefeuille des Sciences et des Arts. Tout récemment, sur la proposition de M. Lippens, un arrêté royal est venu consacrer les règles à suivre en cas de vacance d'un cours en exigeant, avec la publication préalable, la consultation des autorités académiques et des Facultés qui auraient à transmettre par écrit leur sentiment. Mais il faut ajouter que cette excellente mesure est encore insuffisante pour assurer un recrutement du corps professoral offrant les mêmes garanties d'impartialité que dans certains pays voisins.

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La grande oeuvre qu'il faut à présent signaler et dont l'importance n'apparaîtra pleinement que lorsqu'elle aura été entièrement réalisée est celle de l'édification des nouveaux Instituts de la Faculté Technique.

Depuis les agrandissements des bâtiments universitaires et la construction des Instituts des Facultés des Sciences et de Médecine (1880-1892), aucune amélioration notable n'avait été apportée aux installations universitaires. Or, le nombre des étudiants avait plus que doublé, de nouveaux services avaient été créés et on avait dû loger dans les combles ou dans les caves un certain nombre de laboratoires ou de collections. La Faculté Technique avait eu particulièrement à souffrir de cette situation ainsi qu'en témoignent les plaintes de Dwelshauvers-Dery, de Krutwig, d'H. Hubert avant la guerre. Le professeur Dechamps avait élaboré vers 1905-1906 un projet de construction de quatre bâtiments nouveaux, mais l'État et la Ville de Liège ne purent s'entendre sur le choix du terrain.

Après la guerre, la situation empira encore non seulement il fallait restaurer les laboratoires dévastés, mais il fallait reprendre les projets antérieurs à une époque de hausse constante des prix. Heureusement l'Association des Ingénieurs sortis de l'École de Liège (A. I. Lg.), qui avait à coeur l'avenir d'une Faculté sur laquelle l'Université fondait le meilleur de sa réputation, intervint auprès des industriels de la région et, secondée par les efforts de MM. Paul Van Hoegarden et Émue Digneffe, recueillit en moins de deux ans plus d'un million de francs.

De son côté, la Faculté Technique avait chargé un de ses membres, le professeur Marcel Dehalu, d'étudier le projet qui avait été soumis au gouvernement sans consultation préalable des services compétents de l'Université ou de la Ville de Liège. Il s'agissait de deux constructions nouvelles, d'un aménagement du bâtiment et d'appropriations à l'Institut Montefiore. La Faculté préféra se rallier au rapport de M. Dehalu qui préconisait le transfert de tous les services de la Faculté Technique sur un emplacement nouveau, qui aurait pu être le terrain dit du Vieux-Liège en face du monument de Gramme.

Mais, en 1922, après une visite faite à l'École polytechnique fédérale de Zurich avec le professeur Duchesne, M. Dehalu modifia son premier projet pour tenir compte des nécessités de l'avenir et des expériences les plus récentes en matière de construction de bâtiments universitaires. Le terrain qui avait d'abord été choisi apparut insuffisant et on espéra trouver une solution dans le projet d'urbanisme du bourgmestre Digneffe qui prévoyait la transformation en parc public d'un espace de 12 hectares situé sur les confins de la commune d'Angleur.

La Ville et la Province de Liège, pressenties, avaient montré le désir d'aboutir et promis une aide d'un million et demi qui, s'ajoutant au million recueilli par souscriptions privées, permettait d'acheter le terrain nécessaire. L'État assumerait naturellement les frais de construction des nouveaux Instituts dont le nombre avait été fixé à six en 1922.

C'est alors que l'occasion apparut d'un nouvel emplacement qui finira par s'imposer: les terrains du Val-Benoît, entourant l'ancienne abbaye, étaient offerts en vente par leurs propriétaires, les familles Hauzeur et Lamarche-Roman.

Devenu administrateur-inspecteur, à la retraite de C. le Paige, M. Dehalu, avec le recteur Ch. Dejace, ouvrit des négociations auprès des autorités communales pour l'acquisition de ces terrains d'une superficie de dix hectares. L'accord semblait se faire vers la fin de l'année 1923, lorsque les atermoiements de la Ville et les exigences de certains propriétaires firent encore tout échouer.

On se rabattit sur la caserne des Écoliers qu'il était question de désaffecter et dont le bâtiment, proche des autres constructions universitaires, aurait pu être transformé dans les conditions les plus avantageuses pour le Trésor. Malgré les instances du professeur Nolf, ministre des Sciences et des Arts, le département de la Défense nationale refusa d'agréer ce nouveau projet.

En revanche, le Conseil communal ayant donné son approbation à l'acquisition des terrains du Val-Benoît, ceux-ci devinrent la propriété du Patrimoine de l'Université le 24 juillet 1924 pour la somme de 2.525.000 fr.

Cette question résolue, restait celle de la construction des Instituts. Ici encore il fallut des trésors de patience chez les hommes de bonne volonté qui avaient à coeur l'aboutissement des projets. La baisse du franc au cours des années 1924-1926 accroissait sans cesse le chiffre des dépenses prévues qu'en 1927, au lendemain de la stabilisation, l'administrateur-inspecteur Dehalu évaluait à 75 millions. Ii s'agissait de construire:


1° Un Institut de chimie appliquée et de métallurgie.

2° Un Institut des sciences minérales.

3° Un laboratoire de thermodynamique contigu à une centrale de chauffage.

4° Un Institut de mécanique.

5° Un Institut de génie civil.


De plus, les laboratoires de physique désaffectés mettraient leurs locaux à la disposition de la Bibliothèque, pour aller occuper le bâtiment devenu libre par le transfert au Val-Benoît des services de la chimie analytique et industrielle. Enfin l'abbaye elle-même pourrait être aménagée en hôtellerie d'étudiants et formerait ainsi le noyau d'une Cité universitaire liégeoise.

On espérait que la proximité de l'Exposition internationale de 1930 allait faire hâter l'adoption du projet, mais l'administration centrale s'ingénia à décourager tous les efforts, jusqu'au jour où M. Camille Liégeois, devenu directeur de l'enseignement supérieur, fit triompher auprès des ministres Jaspar et Vauthier le plan des premières constructions pour lesquelles on accorda une première somme de 16 millions (1928). Le projet de budget de l'année 1930 inscrivit d'ailleurs pour l'ensemble des travaux une somme de soixante millions.

Commencée en 1930, l'oeuvre constructive se poursuit, trop lentement au gré de certains. Mais on oublie trop souvent les difficultés financières, administratives et techniques qui ne cessent de surgir au cours d'un travail de cette importance. On oublie également les surprises déconcertantes que l'on s'expose à rencontrer lorsque sont en jeu tant d'intérêts que les initiés seuls peuvent apprécier. On oublie surtout de rendre hommage au travail désintéressé de celui qui, depuis quinze ans, a été l'âme de ces projets et le tenace avocat de la cause de la grandeur universitaire. On méconnaît, par ignorance ou par susceptibilité, l'originalité des conceptions et la maî­trise de l'exécution des artisans d'une oeuvre qui fera la gloire de notre Faculté Technique et qui excite déjà l'admiration de l'étranger. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les noms de Marcel Dehalu et de Fernand Campus resteront attachés à l'édification de nos nouveaux Instituts.

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En conférant à Jules Duesberg, professeur à la Faculté de Médecine, la mission de diriger l'Université pendant la période 1927-1930, en le maintenant deux fois déjà à sa tête, fait sans précédent dans notre histoire, le Conseil académique de Liège ne s'est point trompé. Depuis la guerre, les fonctions rectorales, purement honorifiques autrefois, sont devenues tellement absorbantes qu'à côté des qualités morales et intellectuelles qui les symbolisent, il devient nécessaire de faire preuve, pour les accomplir, d'une résistance physique peu commune. Le recteur est de droit membre du Conseil d'administration de la Fondation universitaire et du Fonds national de la Recherche scientifique et président de la Commission du Patrimoine universitaire. En ces qualités, il administre des fonds importants. Appelé depuis 1922 à donner un avis sur toutes les candidatures aux chaires, il est tenu de s'entourer de renseignements multiples. A Liège, plus particulièrement, sa tâche se complique des nécessités de la transformation que subit la Faculté Technique il doit apporter son concours à l'administrateur-inspecteur qui assume la haute direction des travaux.

A côté de la théorie, il y a la pratique, c'est-à-dire ce qui se passe réellement, la tâche effectivement accomplie. A cet égard, le recteur de Liège n'a pas chômé Son premier discours rectoral dénonçait les malfaisances stupides des ronds de cuir de l'Office Central des Imprimés et réclamait l'autonomie financière de l'Université (1928). Deux ans après, la loi libérait celle-ci de l'obligation de recourir à l'O. C. I. pour les fournitures de bureau et élargissait les dispositions réglant l'emploi du crédit scientifique ordinaire. En 1929, J. Duesberg déplorait qu'aucune législation ne garantît la procédure suivie en matière de nominations universitaires et réclamait pour les Facultés comme pour les autorités académiques une plus grande part de responsabilité. Il flétrissait, du haut de la tribune, les manoeuvres intempestives des politiciens incompétents qui, dans une circonstance récente, ont prouvé qu'ils ne le lui avaient point pardonné. Il groupait en une Association de 5 à 600 membres tous ceux que le titre d'Amis de l'Université contribuait à rapprocher après la fin de leurs études. Il réclamait (1931) l'extension du rôle de l'Université dans le développement de la culture physique et obtenait la création d'un Institut supérieur d'éducation physique. Il se consacrait à l'examen du problème que pose l'impréparation des jeunes gens à leur entrée à l'Université et faisait rapport au Ministre sur les réformes à introduire dans l'enseignement moyen pour éliminer le surmenage. Il prenait à coeur l'avenir scientifique de nos jeunes docteurs, faisait créer des places d'assistants dans les Facultés de Philosophie et Lettres et de Droit, poussait dans la voie de la recherche désintéressée les meilleurs de nos élèves et, aidé en cela de l'administrateur-inspecteur M. Dehalu, assurait la carrière d'un grand nombre de jeunes savants soit dans les fonctions professorales, soit au service du Fonds national. Il ne négligeait point, à cette fin, de recourir aux avis des personnalités les plus qualifiées du pays et de l'étranger et, en complet accord également avec l'administrateur, faisait appel pour certains enseignements spéciaux à des savants de nationalité étrangère.

Il est certes trop tôt pour apprécier à sa juste valeur l'action des autorités académiques durant la période qui vient de s'écouler, d'autant plus que les, effets s'en feront sentir pendant longtemps encore. Il nous faut d'ailleurs signaler la nouvelle ère qui vient de s'ouvrir par la promulgation de la loi de 1929


§7

1929-1935


Des dispositions législatives capitales inaugurent une période de grandes transformations universitaires.

Tout d'abord, en décembre 1928, une loi a porté à 77 le nombre des professeurs de l'Université, indépendamment des 4 fonctionnaires détachés de l'administration et qui ont rang de professeur dans la Faculté Technique. A ces 81professeurs, s'ajoutaient dès 1929 une soixantaine de chargés de cours dont l'existence officielle était enfin reconnue et consacrée légalement.

Cette même loi créait les agrégés dont les fonctions furent déterminées par un arrêté royal du 23 juillet 1929, lequel, en outre, instituait des assistants près les Facultés de Philosophie et Lettres et de Droit.

Enfin la nouvelle loi sur la collation des grades académiques et le programme des examens universitaires était promulguée le 25 mai 1929. Le projet en avait été déposé dès 1924 par le professeur Nolf, alors ministre des Sciences et des Arts, à l'initiative de qui l'on en doit la rédaction.

Considérée, à tort ou à raison, comme une victoire des Facultés techniques sur les Facultés scientifiques, elle ne peut encore être impartialement appréciée puisqu'elle n'aura été intégralement appliquée qu'aux étudiants qui sortent de l'Université en ce moment. Nous nous bornerons à en résumer ici l'économie.

La loi de 1929 n'apporte aucun changement à la loi de 1890 en ce qui concerne les conditions d'admissibilité à l'Université. Dans la pensée de son auteur, elle devait d'ailleurs s'accompagner d'une réforme de l'enseignement moyen que l'on attend encore.

Dans le cadre des Facultés de Droit et de Philosophie et Lettres, la loi n'a créé que peu d'enseignements absolument nouveaux. Mais elle a si libéralement étendu le principe des cours à option qu'elle a offert aux étudiants une variété d'enseignements, limités antérieurement à certaines sections ou à certaines Facultés. En portant de 2 à 3 le nombre des années du doctorat en droit et en supprimant l'année de candidature en droit, elle a, par un souci démocratique qui n'était point dans les voeux universitaires, maintenu à 5 années la durée des études conduisant au grade de docteur en droit au détriment de la seconde année de la candidature en philosophie et lettres dans laquelle sont venus tomber tous les enseignements de l'ancienne candidature en droit. La compression du programme a été réalisée par une réduction de l'étendue des cours d'histoire et par la limitation à une année des cours de latin et de littérature française. En revanche on introduisit un cours de notions de critique historique, et, pour les futurs professeurs, des notions d'histoire de l'art et d'archéologie.

En fait d'enseignements nouveaux, au doctorat en droit, on relève, parmi les matières à option, l'histoire du droit, la législation sociale, la philosophie du droit, le droit civil comparé, et, au nombre des cours obligatoires, des exercices pratiques sur les matières de chaque épreuve.

Quant à l'ancien doctorat en philosophie et lettres, il fut remplacé par une licence, spécialisée comme ce doctorat, d'une durée analogue, et dont la double caractéristique était le remplacement de la dissertation doctorale par un mémoire de moindre importance et la possibilité pour le récipiendaire de choisir trois des matières de l'examen parmi une liste assez éclectique de cours.

A cette licence se superposa une épreuve spéciale comprenant un examen sur la méthodologie générale et spéciale, la pédagogie expérimentale et l'histoire de la pédagogie, ainsi que des exercices pratiques consistant en leçons à donner dans un établissement d'enseignement moyen. Après que le récipiendaire aura fait deux leçons publiques devant le jury, le diplôme d'agrégé de l'enseignement moyen du degré supérieur lui sera décerné.

Enfin, un an plus tard au moins, après présentation et défense publique d'une dissertation originale, le diplôme de docteur en philosophie et lettres pourra lui être accordé.

Ces dispositions sur l'agrégation et le doctorat valaient également pour la Faculté des Sciences.

Ici les modifications se caractérisaient par une plus grande spécialisation des diplômes de candidat (sciences physiques et mathématiques; sciences chimiques; sciences géologiques et minéralogiques; sciences biologiques, géographiques ou pharmaceutiques; indépendamment de la candidature en sciences naturelles et médicales préparatoire au doctorat en médecine) et de licencié (sciences mathématiques; sciences physiques; sciences chimiques; sciences géologiques et minéralogiques; sciences zoologiques; sciences botaniques; sciences géographiques).

Les études médicales restaient fixées à 7 années, mais le doctorat en comportait 4 au lieu de 3. Les étudiants étaient tenus de suivre les cinq cliniques nouvelles qui s'étaient ouvertes depuis 1890, ainsi que le cours de bactériologie.

La loi rendait aussi légaux un certain nombre de grades, antérieurement scientifiques, notamment celui de docteur (et de licencié) en sciences géographiques. Elle créait la licence en science dentaire, tandis que des arrêtés royaux de 1928 avaient institué les grades scientifiques de docteur en sciences anthropologiques et de docteur en sciences pharmaceutiques.

A la Faculté Technique, la grande innovation consistait dans la légalisation des diplômes d'ingénieur des constructions, d'ingénieur métallurgiste, d'ingénieur chimiste, d'ingénieur électricien et d'ingénieur mécanicien sous le titre commun d'ingénieur civil qui, auparavant, n'était accordé qu'aux ingénieurs des mines. Deux nouveaux grades scientifiques avaient été créés en 1927 et 1928, ceux d'ingénieur mécanicien en aéronautique et d'ingénieur des constructions coloniales; un autre, celui d'ingénieur radio­électricien, le fut en 1930. On trouvera en annexe (44), dans les tableaux de la répartition des cours, la liste des enseignements, dont plusieurs tout à fait nouveaux, qui sont afférents à ces diverses Facultés.

Ce rajeunissement considérable de l'enseignement universitaire était une fois encore l'oeuvre de la loi qui, avec le retard habituel, venait consacrer les réformes nécessitées par les progrès des connaissances humaines. Mais, désormais, le pouvoir législatif a renoncé à monopoliser et à réglementer les programmes. L'article 21 de la loi de 1929 autorise en effet les Conseils académiques des Universités, d'accord avec le gouvernement, à modifier le programme des examens. Dès lors, lorsque l'expérience aura été faite des avantages et des inconvénients des dispositions légales actuelles, il sera fort aisé non seulement d'apporter certains changements dans la distribution des matières, mais encore de tenir les cours universitaires au niveau des découvertes scientifiques qui, à tout instant, menacent de bouleverser des enseignements traditionnels.

L'École de Commerce a vu également aboutir, au cours de l'année 1934, une longue série d'efforts destinés à transformer l'esprit d'une partie de son enseignement et à lui donner les compléments qu'appellent les progrès incessants des sciences économiques. Elle a pris d'ailleurs le nom suggestif d'École supérieure des Sciences commerciales et économiques. Une candidature a été organisée pour dispenser plusieurs cours nouveaux philosophiques ou mathématiques de caractère général. Une licence en sciences économiques a été créée avec inscription à son programme d'une série de matières spéciales. Un doctorat en sciences économiques a été institué à côté du doctorat en sciences commerciales et le grade nouveau d'agrégé de l'enseignement moyen du degré supérieur pour les sciences commerciales a été prévu (arrêté royal du 15 mai 1934).

Les perspectives d'avenir qui s'ouvrent devant l'Université de Liège sont considérables. Demain elle pourra faire rayonner dans les conditions optima la réputation des Instituts de la Faculté Technique qui s'élèvent au Val-Benoît. Elle dispensera un enseignement économique approfondi qui lui permettra de soutenir la comparaison avec les autres écoles supérieures du pays. Des travaux pratiques institués à la Faculté de Droit, les résultats ne se feront sûrement pas non plus attendre. Déjà, lors de l'Exposition internationale de 1930, notre Alma Mater a pu montrer de quel effort elle était capable et de quels succès étaient couronnés ses laborieux travaux.

Sans doute faudra-t-il apporter encore aux bâtiments universitaires actuels de grandes modifications. Les locaux qui seront bientôt mis à la disposition des Facultés de Philosophie et Lettres et de Droit devront être aménagés. Car il est devenu nécessaire d'abattre les constructions qui lentement s'écroulent autour de l'École de Commerce et de la Bibliothèque. Le service de celle-ci est pour l'instant lamentablement compromis. Les collections ont dû être dispersées dans divers locaux et certains travaux pratiques d'étudiants sont rendus impossibles. L'édification de plusieurs ailes de bâtiment est sur le point d'être entreprise, mais l'on se demande avec angoisse si certains murs branlants tiendront encore jusqu'à l'achèvement des travaux de construction des derniers Instituts de la Faculté Technique. Deux de ceux-ci ainsi que la centrale de chauffage sont virtuellement achevés; un troisième est en voie d'achèvement. Dans une couple d'années sans doute, le déménagement des services techniques pourra s'opérer et les autres Facultés prendront possession des locaux qui leur conviendront le mieux.

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Autour de l'Université, mais en étroite liaison avec elle, se groupent les cercles universitaires dont il ne sera pas hors de propos de dire ici un mot.

Le Cercle de Philosophie et Lettres (C. P. L.) doit son origine au professeur Michel qui réunit e 1894 ses étudiants de philologie en une petite association studieuse. Groupant présentement des élèves de toutes les sections, il vient de fêter son 40e anniversaire et, par la célébration plus brillante encore du bi-millénaire d'Horace, il a fait preuve d'étonnantes qualités de vie et d'initiative. Plus jeunes mais plus limités par leur recrutement, le Debating club, foyer des germanistes, le Cercle d'Histoire de l'Art et d'Archéologie (1929) et le Cercle d'Histoire de l'Université de Liège (C. H. U. L., 1933) ont réussi à intéresser à leur programme d'excursions et de causeries les étudiants de trois des sections de la Faculté. L'Association des Étudiants en Droit (A. E. D.) sommeille depuis plusieurs lustres sans cependant oublier de signaler son existence aux grandes occasions.

Le Cercle d'Études scientifiques (C. E. S.) a remplacé récemment la vieille Association des Étudiants en Sciences naturelles, pour ne retenir que les étudiants qui ne se destinent point aux études médicales. Ceux-ci se groupent, très nombreux, dans l'Association de Étudiants en Médecine et Pharmacie (1887) qui témoigne de son activité par la publication d'un bulletin mensuel et par la gestion du « Fonds Malvoz ». Le Cercle de Chimie prospère également de son côté, depuis 1926, en réunissant sans distinction de sections ou de Facultés tous ceux qui s'intéressent à son programme.

En 1902, les étudiants qui suivaient l'enseignement commercial que l'on venait de créer se groupèrent en une association, devenue depuis 1934 l'Association des Étudiants de l'École supérieure de Sciences commerciales et économiques (A. E. S. C.): elle ne va pas manquer de prendre un développement nouveau, grâce à l'augmentation récente de la durée des études des licencies qui en font partie.

Le plus nombreux comme le plus vivant des cercles universitaires est certainement l'Association des Élèves des Écoles spéciales (A. E. E. S.) qui, depuis sa création en 1880, n'a cessé de jouer un rôle de premier plan dans la vie estudiantine par ses initiatives variées et par ses publications.

Enfin, depuis 1923, un Groupement universitaire pour la S. D. N. entretient, par voie de conférences publiques ou de séances privées d'études, le souci des questions internationales et de l'organisation de la paix.

Bien que plus détachées de l'Université, les deux grandes associations d'ingénieurs et de licenciés en sciences commerciales (A. I. Lg et A. L. Lg.) sortis de Liège sont à signaler aussi par le prestige que leur donne la publication de leurs revues.

Parmi les fondations universitaires les plus notables, une place d'honneur doit revenir à la Maison des Étudiants qui compte de 3500 à 4000 coopérateurs et fournit chaque année près de 50.000 repas à prix très réduit aux élèves de l'Université, tout en mettant à leur disposition des salles de réunion et une bibliothèque.

Depuis 1929, une Association des Amis de l'Université qui groupe quelquesix cents membres s'efforce, par l'octroi de prix annuels, de récompenser les travaux les plus importants publiés par les membres du personnel scientifique n'ayant pas rang de chargé de cours (assistants, chefs de travaux, répétiteurs, agrégés, aspirants et associés du F. N. R. S.) et, par l'édition d'un bulletin trimestriel, d'intéresser ses adhérents aux questions universitaires d'intérêt général.

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Cent dix-huit années se sont écoulées depuis l'ouverture de l'Université de Liège. En ne dissimulant pas les heures sombres traversées par notre Alma Mater, en soulignant même certaines crises graves qui l'ont affectée, on a du même coup montré l'effort accompli pour les surmonter et donné les raisons d'espérer un avenir sans cesse meilleur.

Si sèche et si incomplète que soit cette esquisse, elle a tâché de mettre en lumière les victoires remportées sur l'indifférence et la routine par les initiatives des personnalités puissantes qui ont illustré l'enseignement liégeois, par la conjugaison des bonnes volontés des meilleurs artisans de l'oeuvre de restauration, par cet esprit à la fois généreux, pratique et toujours persévérant qui a, de tout temps, animé les créations nationales.

Puisse ce modeste résumé donner à quelque historien l'idée d'entre­prendre une étude approfondie sur l'évolution de l'enseignement supérieur en Belgique où l'Université de Liège aura sa place légitime, mais où son rôle particulier, par ressemblance ou différence avec celui des autres Universités, ressortira mieux encore. En traitant avec l'ampleur voulue ce magnifique sujet, on apportera une contribution notable à l'histoire du progrès scientifique et on mettra en pleine lumière la valeur morale de notre pays depuis plus d'un siècle. C'est sur ce voeu que l'indigne auteur de cette Introduction croit devoir déposer la plume.


I. RECTEURS

1867-1870: Ch. De Cuyper.

1870-1873: Ch. Loomans.

1873-1876: V. Thiry.

1876-1879: V. Thiry.

1879-1882: L. Trasenster.

1882-1885: L. Trasenster.

1885-1888: A. Wasseige.

1888-1891 : L. Roersch.

1891-1894: G. Galopin.

1894-1897: C. le Paige.

1897-1900: V. Masius.

1900-1903: V. Dwelshauvers-Dery.

1903-1906: D. Merten.

1906-1909: F. Thiry.

1909-1910: J. Fraipont.

1910-1912: A. Gravis.

1912-1915: A. Swaen.


1918-1921: Eug. Hubert.

1921-1924: Ch. Dejace.

1924-1927: E. Prost.

1927-1930: J. Duesberg.

1930-1933: J. Duesberg.

1933-1936: J. Duesberg.


II. ADMINISTRATEURS-INSPECTEURS

M. Polain (1857-1872).

Ch. Loomans, par interim (1872).

F. Folie (1872-1885).

St. Bormans (1885-1905).

C. le Paige (1905-1922).

M. Dehalu (1922).


III. BIBLIOTHÉCAIRES EN CHEF

Y. Fiess (1825-1875).

M. Grandjean (1875-1890).

A. Delmer (1890-1915).

J. Brassinne (1919).



(1) L'économie politique figura au programme de la Faculté de Philosophie de 1819 à 1825, de la Faculté de Droit de 1825 1835, revint à celui de la Philosophie dans la loi de 1835, pour rentrer définitivement à la Faculté de Droit en 1856. Le cours d'histoire politique moderne (OU de l'Europe) suivit à peu près les mêmes fluctuations, mais demeura inscrit à la Faculté des Lettres sous l'empire de la législation de 1835 bien qu'il ne fût suivi que des futurs docteurs en droit. C'est la loi de 1876 qui le rattacha définitivement à la Faculté de Philosophie et Lettres.

(2) Wagemann, qui mourut en 1825, fut remplacé par le Hollandais Ackersdyck; Warnkoenig, qui fut transféré à Louvain en 1827, eut pour successeur le Liégeois Dupont, et N. Ansiaux fils remplaça son père en 1828 pour la théorie des accouchements et la clinique obstétricale tandis que Vottem le remplaçait pour la médecine opératoire et les opérations chirurgicales.

(3) En 1876, M. Leclercq, procureur général honoraire à la Cour de Cassation disait à une séance du Conseil de perfectionnement: « Quelques années avant la Révolution de 1830, il y avait à Liège une société dont je faisais partie et qui se composait de douze personnes dont le plus grand nombre étaient professeurs de l'Université. Nous nous réunissions tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, tous les samedis; les conversations devaient être plus ou moins sérieuses. Je me souviens qu'à cette époque plusieurs de ces messieurs se plaignaient continuellement de l'abaissement des études, ils prétendaient que l'on n'étudiait plus que pour avoir un diplôme, qu'il n'y avait plus d'esprit scientifique. Voilà ce que l'on disait en 1824 » (Séance du Conseil de perfectionnement de l'enseignement supérieur du 24 janvier 1876).

(4) Ce projet sous forme d'amendement ne fut repoussé que par 37 voix contre 32 le 11 août 1835.

(5) «Rappelez-vous qu'en 1830, disait Thonissen le 12 mars 1883 à une séance du Conseil de perfectionnement, on a supprimé deux Facultés. Lorsque les professeurs de Gand sont venus se plaindre, on les a très mal reçus, on les a renvoyés d'une façon peu polie; les professeurs de Liège ont reçu le même accueil, l'un d'eux qui vit encore était vivement indigné lorsqu'il me racontait, il y a quelques années, la réception qui leur avait été faite ».

(6) Procès verbal de la séance du 8 mars 1844 de la Faculté des Sciences.

(7) Qu'on en juge par l'incident suivant. Au lendemain du vote supprimant en 1855 l'épreuve d'élève universitaire et de la loi de 1857 établissant les cours à certificat, sans la moindre consultation des Facultés, la plupart des professeurs s'abstinrent d'assister aux séances du Conseil académique ou à celles de leur Faculté. Rappelé à l'ordre par le ministre, le Conseil académique de Liège osa répondre le 25 février 1860 « ... La cause sérieuse du mal réside dans un découragement secret qui s'est insensiblement emparé du corps professoral en reconnaissant le peu d'autorité dont il jouit dans toutes les questions qui concernent l'enseignement supérieur... Jusqu'ici dans les nombreux remaniements qu'ont éprouvés les lois qui régissent l'enseignement supérieur, on a cru tout faire en modifiant les jurys d'examen ou les matières des programmes des cours. Il est un autre problème à résoudre qui n'a guère moins d'importance et qu'on a complètement perdu de vue. C'est celui de donner au corps professoral une action propre et une autorité suffisante pour stimuler son zèle sans porter atteinte aux droits et à la surveillance du gouvernement. » (Cité à la séance du Conseil de perfectionnement du 7 avril 1873).

(8) On signale que, depuis que F. Macors détient le cours de droit administratif, l'Université de Liège envoie au jury autant d'aspirants au doctorat en sciences politiques et administratives que les trois autres ensemble.

(9) Voici, à titre documentaire, un extrait de la séance de la Chambre des Représentants du 26 novembre 1889 lors de la discussion de la loi organique de 1890. M. Helleputte décrit le régime des Écoles spéciales de Gand lorsqu'il y était: « Nous entrions à l'École à 8 h. du matin et nous y restions jusqu'à 8 h. du soir, sauf 2 heures de repos de 1 à 3 h. Nous avions nos cours dans la matinée, il y avait aussi des exercices pratiques. Dans l'intervalle des cours, nous occupions d'anciennes cellules de moines. Nous n'étions pas des moines bien entendu. Nous étions à dix environ dans chaque cellule et il y avait pour tout personnel de surveillance un ancien conducteur des ponts et chaussées auquel les élèves faisaient le plus de farces possible ».

M. Ancion: « C'était comme cela à Liège lorsque j'étais sur les bancs de l'École des mines: nous étions enfermés chaque jour, pendant plusieurs heures, dans des salles d'étude où il était impossible de se livrer à un travail sérieux et nous passions notre temps à lire des romans. Les autorités d'alors trouvaient ce régime là parfait!

M. Magis : « Il y a vingt ans que cela n'existe plus »!

M. Helleputte: « Ce régime existait encore en 1876 et on le considérait comme excellent. Nous étions à Gand 120 à 150 jeunes gens casernés, pas de travail sérieux possible. Aussi les billets de sortie des élèves portaient-ils des mentions comme celle-ci: Nous demandons à sortir pour pouvoir aller étudier

Nous avons sous les yeux la distribution officielle du temps pour l'année 1859-1860 les cours, exercices et répétitions prennent tous les jours de 8 h. à 1 h. et de 3 à 6 h. sauf le jeudi après-midi!

(10) Nous ne relevons pas les pures sottises telles que la participation des étudiants à la nomination des professeurs ou la désignation de « personnes compétentes » (autres que les professeurs ?) pour former les jurys!

(11) Nous devons la communication de cet almanach à notre collègue M. X. Janne qui voudra bien trouver ici l'expression de notre gratitude.

(12) Nous invoquons particulièrement la liste suivante où la date qui précède le nom est celle de l'entrée dans le corps professoral de Liège

1876: W. Spring, L. De Koninck, F. Folie, C. Le Paige.

1877 : A. Gilkinet.

1878: A. van Winiwarter.

1879: A. Habets, P. Fredericq, L. Fredericq.

1880 : Ch. Michel.

1881 : E. Gérard

1883: A. de Senarclens.

1884: J. Neuberg, J. Fraipont.

1885: G. Galopin, J. Deruyts.

1886: A. Gravis.

1890 : M. Wilmotte.

1891 : G. Cesaro.

1892: E. Mahaim, J.-P. Waltzing.

1893: L. Parmentier, M. Lohest.

1896: E. Malvoz.

(13) V. Thiry demande ici la création de ces cours pratiques à la Faculté de Droit.

(14) En même temps qu'elle avait autorisé Kurth à ouvrir son cours pratique d'histoire, la Faculté de Philosophie et Lettres avait donné un avis favorable sur la demande de Roersch d'ouvrir un cours d'exercices de philologie classique.

(15) Il n'est point possible, dans le cadre de cet historique, de consacrer quelques lignes à tous ceux qui ont bien mérité de l'Université pendant cette période. Citons pourtant le philologue L. Roersch, le philosophe Deschamps, l'historien Lequarré qui inaugura en 1881 un cours de géographie, les juristes Fernand Thiry, L. Houet et A. Bontemps, le germaniste J. Wagner, les mathématiciens A. Schorn et J. Graindorge, le chimiste Goret, les ingénieurs H. Holser, H. Deschamps, J. Van Scherpenzeel Thim, E. Despret, W. Libert, les médecins Plucker, Van Aubel, F. Putzeys, Gussen­bauer, l'ophtalmologiste viennois Fuchs, etc. N'oublions pas non plus que l'archéologue de Ceuleneer commença à Liege la carrière qu'il devait poursuivre à Gand et surtout que Henri Pirenne fut chargé, en 1885-1886, des cours de paléographie et de diplomatique qu'il inaugurait, avant d'aller occuper les chaires qu'il a illustrées à l'Université de Gand, où Paul Fredericq l'avait devancé de trois ans en laissant ses chaires à Eugène Hubert.

(16) Chandelon, Foettinger et Moreau ont publié certains travaux dans le volume intitulé Recherches faites au laboratoire d'embrogénie et d'anatomie comparée de l'Université de Liège en 1875-1876. En 1878-9, Julien Fraipont, assistant, publie un article sur les acinétiniens de la côte d'Ostende. En 1881-2, deux candidats en médecine, Moreau et Lecrenier, publient dans le Bulletin de l'Académie royale de Belgique un article sur les variations respiratoires de la pression sanguine chez les lapins. On sait d'ailleurs que Van Beneden avait fondé avec son collègue Van Bambeke de Gand les Archives de biologie où les études inspirées par lui foisonnent.

(17) En 1877-8, H. Masquelin, préparateur du cours d'histologie, publie des recherches sur le développement du maxillaire inférieur de l'homme.

(18) En 1879, le nouveau gouvernement libéral, considérant sans doute que Kurth donnait à son enseignement une tendance qui lui déplaisait, nomma N. Lequarré pour faire le cours d'histoire politique du moyen âge en concurrence avec lui. Ce n'était pas là une innovation, mais, depuis vingt-cinq ans, on avait renoncé à ce système, dont les résultats ne furent point heureux. N. Lequarré fut d'ailleurs victime du procédé, car la personnalité de Kurth l'écrasait à tel point qu'il demanda à ouvrir un cours de géographie pour y déployer ses incontestables qualités pédagogiques. En 1885, ses amis étant revenus au pouvoir, Kurth annonça qu'il suspendait son cours de critique! Il ne le reprit en 1887 que lorsque l'arrêté chargeant Lequarré de donner le cours qu'il professait lui-même depuis 1872 eut été modifié en ce sens que Lequarré était autorisé à donner un cours facultatif d'histoire du moyen âge.

(19) En 1876-1877, L. Lahaye publie un article sur les Normands au pays de Liège; en 1878-9, H. Francotte élabore un travail sur les Encyclopédistes; en 1881-2, H. Pirenne publie son Sedulius de Liège.

(20) En 1883, les élèves de Fredericq (H. Lonchay, G. Krutzen) publient le résultat de leurs recherches dans l'ouvrage Travaux du cours pratique d'histoire nationale de P. Fredericq.

(21) Le recteur de l'Université de Gand, Cahier, y fit écho en 1882: il demanda en outre que le recteur comme les doyens fussent élus pour 5 ans, que plus de cohésion existât entre les professeurs et que plus de relations s'établissent entre Liège et Gand. En 1881 il avait, comme Trasenster en 1880, insisté sur le but scientifique de l'enseignement supérieur et sur l'exemple de l'Allemagne.

(22) Vers 1880 sans doute; on en comptait 6 en 1882-1883 et 17 en 1883-1884, pour la plupart à la Faculté des Sciences.

(23) C'est pourquoi les Chambres, combinant les désirs de tout le monde, votèrent l'obligation, outre la morale, d'un cours de « psychologie, y compris les notions élémentaires d'anatomie et de physiologie que cette étude comporte ».

(24) Que le graduat se soit disqualifié en tant qu'examen, la chose n'est pas douteuse et Thonissen le rappelait à une séance du Conseil de perfectionnement, le 22 mars 1883: « A l'examen de graduat, j'ai vu un jour un professeur demander à un récipiendaire de nommer les 12 villes principales de la province anglaise de Calcutta. J'ai entendu un autre pédant poser en histoire la question suivante: citez les noms des 12 premiers empereurs romains et caractérisez sommairement leur règne. Presque tous les récipiendaires échouaient alors, les Universités comptaient peu d'élèves. Plus tard on est tombé dans l'excès contraire on laissait passer tout le monde ».

(25) De Ceuleneer avait été autorisé à ouvrir un cours privé d'épigraphie en 1882, mais son départ pour l'Université de Gand avait laissé cet enseignement sans titulaire. Il fut rétabli, en 1886, avec R. De Block. Quant au cours de sanscrit ouvert par Ch. Michel en 1880, il resta également sans titulaire en 1885 lorsque celui-ci fut appelé à l'Université de Gand. M. de la Vallée Poussin le donnera en 1895 et Ch. Michel viendra le reprendre en 1892.

(26) A l'exception d'un cours pratique de droit criminel, créé par Nypels on ne sait dans quelles circonstances, et qui, en 1887-1888, comportait encore deux séances par semaine, le Faculté de Droit n'avait point d'enseignement pratique, sauf au notariat.

(27) Le recteur Wasseige se fit l'écho au Conseil de perfectionnement des plaintes auxquelles cette inspection donnait lieu. Le 27 décembre 1887, il signala qu'à Liège « les conflits ont été fréquents, l'inspecteur voulait tout dominer. Un professeur n'a pas voulu tolérer à son cours la présence d'un inspecteur qui voulait y entrer. On l'a nommé inspecteur lui-même pour terminer le conflit. Or cette tendance s'est perpétuée; les conflits ont été incessants et ont causé du désordre ».

(28) Voyez l'annexe XII.

(29) Voyez la liste complète à l'annexe n° IX.

(30) Voyez la liste complète à l'annexe n° X.

(31) Voyez les articles de P. Thomas sur la réorganisation des Facultés de Philosophie et Lettres en Belgique et celui de P. Fredericq sur l'École normale supérieure de Liège dans la Revue de l'instruction publique de 1880, ainsi que la discussion à laquelle ces travaux donnèrent lieu à la Société pour le progrès des études philologiques et historiques (ibidem, pp. 363-370).

(32) En conséquence le nombre des professeurs de la Faculté des Sciences a été réduit de 14 à 12, avec faculté d'en nommer deux de plus.

(33) Voyez la statistique reproduite à l'annexe n° V.

(34) Voyez les chiffres détaillés aux annexes nos VI et VII.

(35) Nous avons donc pris le parti, dans cette Introduction, de ne citer explicitement que nos collègues défunts ou émérites. La place dont nous disposons ne permet pas d'accorder à chacun d'eux une mention détaillée, mais nous croyons répondre au but poursuivi dans ce Liber Memorialis en rappelant leur nom et en priant le lecteur de se reporter plus loin aux notices qui leur sont consacrées.

La Faculté de Philosophie et Lettres se souviendra longtemps de l'historien E. Hubert que quarante années d'enseignement, remplies de travaux scientifiques consacrés par l'obtention d'un prix quinquennal, ont conduit aux plus hautes dignités. Elle a déploré la perte prématurée de Paul Hamélius dont l'autorité était grande parmi les germanistes et de Karl Hanquet qui sut continuer la tradition de G. Kurth dans sa chaire de critique historique. Elle se doit d'évoquer les noms d'A. Doutrepont, d'O. Merten, d'H. Francotte, d'A. Grafé, d'H. Bischoff, d'O. Orth, de J.-E. Demarteau, de A. Delescluse, de F. Van Veerdeghem. L'institut d'Histoire de l'Art et l'Institut d'Histoire et de littératures orientales n'oublieront pas de sitôt un J. Capart et un H. Fierens-Gevaert dont les travaux font universellement autorité dans le domaine de l'égyptologie et de l'histoire de l'art.

La Faculté de Droit a inscrit dans son nécrologe, presque en même temps, les noms d'Oscar Orban et d'Édouard Van der Smissen qui ont laissé une oeuvre importante, le premier dans le droit public et administratif, le second dans l'économie politique et financière et dans les institutions. Les noms de F. Thiry, de Ch. Dejace, d'A. Lemaire, de F. Cornesse, de V. Genot, de J. Indekeu, de F. Bomerson, de G. De Craene sont de ceux qu'elle ne peut oublier. Tout récemment, l'éméritat lui a ravi le premier statisticien du pays, Armand Julin.

La Faculté de Médecine s'est honorée de compter dans son corps professoral l'ophtalmologiste J. Nuel, le psychiâtre X. Francotte, l'hygiéniste F. Putzeys, l'anatomiste Ch. Julin, le pathologiste Ch. Firket, F. Henrijean, maître en pharmacodynamie, et la pléiade de ces noms distingués qui ont tant contribué au perfectionnement des méthodes et aux innovations récentes: F. Fraipont, F. Schiffers, P. Snyers, A. Jorissen, A. Hogge, L. Lejeune, etc.

Dans la Faculté des Sciences et dans la Faculté Technique quelques noms émergent en pleine lumière, tels que ceux d'H. Hubert, professeur de statique et de mécanique appliquée, du physicien P. De Heen, d'H. Deschamps, d'Eugène Prost dont l'autorité en métallurgie n'a fait que grandir; il y faut joindre les chimistes J. Krutwig, E. Nihoul, E. Bourgeois et C. Colson, le physicien E. Bertrand, le zoologiste P. Cerfontaine, le mathématicien J. Fairon, les ingénieurs Stevart, L. Bréda, M. de Locht, P . Trasenster, O. De Bast, etc.

Cette sèche et peut-être incomplète énumération ne saurait avoir pour but de dresser le bilan d'une activité de quarante années d'enseignement, mais elle complètera, par le recours aux notices qu'on lira ci-dessous, l'historique que nous avons tenté.

(36) Alors qu'après 1835 la Classe des Sciences de l'Académie attendait jusqu'à 10 ou 15 années avant de pouvoir procéder à une élection (d'après Van Beneden père à une séance du Conseil de perfectionnement de 1883)!

(37) En fait cependant, il semble bien que telle ait été l'orientation du cours de droit pénal professé par F. Thiry.

(38) Voyez-en la liste à l'annexe n° VIII.

(39) Sur 807 élèves inscrits à l'École de Commerce en 1919, 300 se sont présentés à l'examen et 174 ont été diplômés.

(40) Ce léger dégonflement provient en ordre principal de la Faculté Technique, où la population, augmentée des « candidats ingénieurs » passe en deux ans de 686 à 495, et de l'École de Commerce dont l'effectif a été ramené à 229 en 1934-1935.

(41) Voir l'annexe n° XII.

(42) Voir dans les rapports rectoraux les noms des nombreux donateurs (J. Demarteau, G. Rasquin, J. Krutwig, E. Hubert, F. Putzeys, Marcotty, Melle Magis, Melle Charlier, L. Fredericq, F. Schiffers, Melle Eyckholt, A. Gravis, Mme veuve Ruhl Hauzeur, Mme Delaite, etc. etc.)

(43) Sans le Patrimoine, la publication des deux gros volumes de ce Liber Memorialis aurait été impossible.

(44) Voyez les annexes n° XIII à XVII.

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