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Principauté de Liège

Les échevins de la souveraine justice à Liège

par le chevalier Camille de Borman - 1892

Les échevins de la souveraine justice

Période de 1247 à 1312

Période de 1314 à 1386

Période de 1386 à 1468

Les mayeurs

Les clercs

Les chambellans

Parmi les manuscrits généalogiques que nous devons à la féconde activité de Louis Abry, l'un des plus intéressants est sans contredit celui qu'il a intitulé: Les maires et les échevins de Liège convocquez en pleine assemblée dans la sale de St Michel sur le Destroit au Marché. Traité de leurs ancienneté, qualités, seels et blasons, ceuillit des archives, documents, tombeaux et autres monuments publiques, abrégé de divers chartres de la Cité faisantes mention des principaux sgrs du Pays et de la Bourgeoise de la Cité y denommez, pour la curiosité de la Postérité d'iceux.

LEODIORVM CELEBRITATI
COMPILABAT
LEODIVS ABRI.

C'est un petit in-folio de cent dix-neuf feuillets non paginés, hérissés d'une mauvaise petite écriture, et chargés dans les marges intérieures d'une quantité de blasons en couleur, largement dessinés par une main exercée. Quatre cent quatre-vingts articulets, se rapportant chacun à un mayeur ou à un échevin de Liège, depuis le milieu du XIIIe siècle, forment le fond de l'ouvrage, qui fut composé vers I708, comme l'indiquent les chronogrammes ci-dessus, puis continué successivement par Louis Abry et par son fils jusqu'au 9 décembre 1737.

En face du titre est placé un cartouche indiquant les couleurs et métaux du blason, identique à celui qu'on voit dans le Recueil héraldique des bourgmestres de Liège. Un ex libris gravé sur cuivre, figurant les armoiries de la famille d'Oultremont, propriétaire actuelle du manuscrit, est collé sur le feuillet de garde. Au-dessous, on lit cette inscription: « Appartenant à Sim. Jos. d'Abry, peintre héraldique du très illustre Chapitre Cathédral, 1739. »

Tel est le volume dont la Société des Bibliophiles liégeois voulut bien me confier la publication. Il n'entrait évidemment pas dans ses vues d'obtenir la reproduction servile d'un manuscrit dont on ne connaissait pas au juste la valeur; il fallait avant tout y projeter la lumière de la critique et soumettre le texte au contrôle des documents. On désirait en outre illustrer la publication nouvelle, en reproduisant par la gravure tous les sceaux des échevins qu'il serait possible de retrouver.

Pour entreprendre un pareil travail, les matériaux ne faisaient, certes, pas défaut: indépendamment des sources imprimées, déjà très nombreuses, on pouvait recourir aux archives de l'ancienne Cour échevinale, comprenant près de cinq mille registres, aux centaines de chartes originales, stocks et cartulaires conservés dans nos dépôts publics, aux recueils d'inscriptions funéraires, aux obituaires, etc.

M'étant mis résolument à l'oeuvre, je ne tardai pas à être fixé sur la valeur du travail d'Abry. A mon avis, la publication n'en était pas possible; il laissait trop à désirer, pour le fond comme pour la forme. Je ne parle pas de l'orthographe de l'auteur, dont le titre reproduit plus haut suffit à peine à donner une idée: c'était chose facile à corriger. Mais que faire de son style insipide, obscur et tellement embrouillé qu'en maint endroit on cherche en vain à deviner sa pensée ?

Quant au fond, tout était à refaire. J'aurais trop à dire si je devais relever tous les points par où il pèche. En voici cependant quelques-uns: l'ordre chronologique n'est guère observé; Abry se contente toujours de l'à peu près; il ne se soucie pas d'indiquer la durée des fonctions de ses personnages, ce qui met le lecteur dans l'impossibilité de découvrir quels étaient les magistrats à un moment donné; si dans sa liste des échevins beaucoup de noms sont omis, d'autres par contre y sont introduits en contrebande. Enfin l'attribution des armoiries est très souvent sujette à caution. Abry ne pourrait se résigner à traiter un échevin ou un mayeur sans le décorer d'un blason. Plutôt que de laisser une lacune dans sa collection, il n'hésitait pas à transformer les noms pour les plier à ses vues: ainsi Lambert le Fou devient de Fooz; Florence, Binche, Sovet se changent en Florinnes, Binckem, Soheit; c'est-à-dire qu'à des familles inconnues, il en substituait d'autres dont les armoiries étaient faciles à trouver.

Mais si l'auteur se permettait de pareilles licences, quelle confiance mérite son oeuvre ? Ne valait-il pas mieux renoncer tout d'un coup à une publication dont la science ne pourrait tirer aucun profit ?

Ces considérations furent présentées à la Société des Bibliophiles qui, au lieu d'accueillir ma proposition tout entière, voulut bien m'encourager à continuer mes recherches et à substituer un travail personnel à celui de mon devancier. Voilà comment ce livre a vu le jour.

Je dois dire un mot des sources où j'ai puisé. Chose singulière, malgré le grand désastre de la fin du siècle dernier, en dépit du temps déjà lointain qui nous sépare de l'époque d'Abry, j'ai été mieux outillé que lui pour traiter le sujet qu'il avait abordé. Si nous avons à déplorer la perte ou la disparition d'un grand nombre de documents précieux, que de facilités, en revanche, ne nous donne pas la concentration dans les dépôts publics de tant de registres et d'actes de toute espèce, autrefois disséminés dans tant de collégiales, de monastères ou d'abbayes! Le dépôt des archives de l'Etat à Liège est naturellement celui qui m'offrait les richesses les plus abondantes. C'est là que sont conservés, indépendamment des registres échevinaux eux-mêmes, les collections des chartes originales de la Cathédrale, de Saint-Pierre, de Saint-Denis, de Saint-Jean, de Saint-Martin, de Saint-Jacques, des Dominicains, de Robermont, du Val-Saint-Lambert, du Val-Notre-Dame, des Carmélites de Huy, les cartulaires et stocks de Saint-Denis, de Saint-Materne, de Sainte-Croix, de Saint-Jean, du Valbenoit, etc.; les archives de la Cour féodale et de la cour allodiale, de la Cour féodale de Hesbaye, etc., etc. Sans quitter Liège, j'avais à ma disposition les précieux manuscrits, chroniques, paweilhars, obituaires de la bibliothèque de l'Université. Grâce à l'obligeance de M. le chanoine Daris, j'ai pu profiter aussi des ressources accumulées dans la belle bibliothèque du Séminaire, ou il m'a été donné de compulser les cartulaires de Herckenrode, de Beaurepart, de Saint-Barthélemy et de Saint-Laurent. Seul, le chartrier de l'ancienne collégiale de Saint-Paul m'est demeuré inaccessible, mais il a fait en 1878 l'objet d'une bonne publication où j'ai pu recueillir plusieurs documents relatifs à mon sujet. Enfin, je dois mentionner le beau recueil d'épitaphes composé vers 1640 par le héraut d'armes Henri van den Berch, que son propriétaire, M. le sénateur comte de Hemricourt de Grunne, ma obligeamment permis de mettre à contribution.

A l'étranger, j'ai rencontré dans M. Léopold Devillers, à Mons, M. Edgar de Marneffe, à Bruxelles, M. Léon Lahaye, à Namur, M. le conseiller Harless, à Dusseldorf, des correspondants aussi érudits qu'empressés à satisfaire à mes demandes. Je me fais un plaisir de leur témoigner ici toute ma gratitude.

Mes recherches avaient pris fin et l'impression de ce volume était commencée, lorsque j'eus la bonne fortune de feuilleter à mon aise le beau cartulaire des Chartreux de Liège, égaré aujourd'hui à Trèves, d'où il serait bien désirable de le voir revenir. Cette découverte fut bientôt suivie d'une autre plus importante encore, due à la sagacité de M. Edouard Poncelet, attaché aux archives de l'État et secrétaire de l'institut archéologique liégeois; je veux parler des archives du Bureau de bienfaisance de cette ville, dont naguère on soupçonnait à peine l'existence, et qui, grâce aux démarches de M. van de Casteele, ont pris place


aujourd'hui, à titre de dépôt provisoire, entre les collections confiées à sa garde. Bien qu'un peu tardives, les découvertes que j'ai faites dans ce fonds inexploré, ont pu être utilisées, notamment pour enrichir les pièces justificatives placées à la fin de ce volume.

Parmi les points spéciaux dont l'étude s'imposait à mon attention, la détermination des sceaux de nos échevins venait en première ligne. On sait, en effet, que les actes échevinaux dits à neuf scels ne donnent jamais les noms des échevins intervenants. Pour connaître ceux-ci, on n'a que la ressource d'interroger les sceaux, presque toujours fort délabrés quand ils ne font pas totalement défaut. Mais il ne me suffisait pas de reconnaître un sceau ou d'en déchiffrer l'inscription et le blason, j'avais à le faire reproduire par le dessin, d'une façon à la fois intelligente et fidèle. Pour ce travail, j'ai été heureux de rencontrer en M. Olivier Henrotte un artiste aussi habile que consciencieux. En facilitant à mon dessinateur les moyens de travailler dans les conditions les plus favorables, M. le conservateur van de Casteele nous a rendu un service réel, dont je ne saurais trop le remercier. Quant aux dessins des écussons insérés dans mon texte, ils sont dus pour la plupart à M. le chevalier de Harenne, toujours prêt à mettre son habile crayon au service de ses amis.

Les hachures conventionnelles, bien qu'elles ne datent que du XVIIe siècle, ont été employées pour marquer les émaux des écussons Lorsque j'en avais connaissance. D'autres fois, quand, pour se conformer aux sceaux, il a paru nécessaire d'ombrer certaines parties de l'écu, nous avons adopté des traits obliques que le lecteur attentif reconnaîtra facilement.

Si mon oeuvre a pu être menée à bonne fin, ce n'est que justice d'en rendre hommage à ceux qui ont bien voulu me prêter dans cette entreprise considérable le concours de leur science et de leur dévouement. Mon excellent ami, M. Stanislas Bormans, n'a pas reculé devant la tâche ingrate de revoir les parties essentielles de mon manuscrit. M. le professeur Godefroid Kurth a mis à ma disposition les ressources de son grand savoir dans la solution de certains problèmes les plus ardus de notre histoire. M. le baron de Chestret de Haneffe, appelé par ses fonctions présidentielles à surveiller les publications de la Société, avait revu les épreuves de mes premières feuilles, lorsque je vins à le remplacer au fauteuil. Sur ma demande, il a consenti, avec une obligeance qui ne s'est jamais démentie, à me continuer ses bons offices. Censeur érudit et sévère, littérateur délicat, je lui dois incontestablement d'utiles et d'excellentes remarques. Qu'ils veuillent bien, tous les trois, de même que d'autres encore qui me sont venus en aide, agréer ici le tribut de ma vive reconnaissance.

LES ECHEVINS

DE LA

SOUVERAINE JUSTICE

DE LIEGE

Un siècle à peine nous sépare de l'ancien régime, et déjà ses institutions séculaires et ses lois vénérables sont tombées dans un profond oubli. Combien d'hommes, même au sein des classes intelligentes, rencontre-t-on de nos jours qui possèdent encore la notion exacte de ce qu'était autrefois un mayeur ou un échevin? Presque toujours, les attributions de ces magistrats anciens sont confondues avec celles de nos édiles modernes. Ce qui contribue, sans doute, à créer l'équivoque, c'est que sous le premier Empire, comme encore en France, le bourgmestre était appelé le Maire. Mais il importe de se pénétrer de l'idée que le Maire d'alors n'avait absolument rien de commun avec le Maire ou Mayeur de l'ancien régime. Aucune assimilation n'est possible non plus, sous quelque rapport que ce soit, entre les membres d'un collège échevinal moderne et les échevins d'une ancienne cour de justice. Ceux-ci ne s'occupaient en aucune façon des intérêts communaux: ils étaient juges et n'avaient pas d'autre mission.


Refaire les annales des échevins de Liège, expliquer le mécanisme de leur organisation, décrire les transformations, tantôt lentes et pacifiques, tantôt brusques et violentes de ce tribunal célèbre, dégager son rôle politique de l'histoire générale du pays, et surtout faire connaître les personnages dont il fut composé, depuis les temps les plus reculés, tel est le but que nous avons cherché à atteindre. Cette vaste matière, qui confine, par tant de cotés, à l'histoire du droit liégeois, ne saurait cependant se confondre avec elle, et celle-ci avait fait l'objet de travaux trop nombreux et trop savants pour que nous ayons encore à nous en occuper. A elle seule, la procédure nous eût entraîné à tant de développements qu'ils auraient fait perdre à cet essai le caractère historique que nous voulions lui conserver.

ORGANISATION

Avant l'annexion du pays de Liège à la France, il ,v avait dans chaque ville, chaque village ou seigneurie, un tribunal composé essentiellement d'un mayeur et de sept échevins; sa mission principale était d'administrer la justice tant civile que répressive aux habitants de son ressort.

A Liège, capitale de la principauté, ce tribunal était composé de quatorze échevins, et il formait, indépendamment de la juridiction ordinaire, la cour d'appel des échevinages du pays. Un grand greffier, dix greffiers en chef, deux chambellans, plusieurs sous-greffiers, huissiers, facteurs et fiscs complétaient le personnel de la Souveraine Justice, à la fin du siècle dernier.

Le premier rouage de tout tribunal échevinal, était le mayeur. Pas de mayeur, pas de justice; de manière que s'il plaisait au prince de suspendre son mayeur, ce dont il avait toujours le droit, le cours de la justice était interrompu.


A Liège, le mayeur, ou pour mieux dire, le grand, le souverain mayeur avait un double caractère: il présidait le tribunal échevinal; il était le chef de la police ou le grand officier judiciaire de la Cité.

Comme président, il siégeait anciennement en tenant à la main un bâton rouge, qu'on nommait la verge de la justice ou la verge du Seigneur. Lorsque le mayeur était révoqué, suspendu ou défunt, on disait que la verge était baissée ou tombée; le mayeur aussitôt nommé ou remis en fonction, la verge était redressée.

C'était au mayeur qu'il appartenait de faire mettre en warde de loi les raisnes produites en justice, les faits, les dires des parties, des témoins: c'est-à-dire d'en faire prendre officiellement acte par les échevins.

Son rôle consistait encore à semoncer les échevins, c'est-à-dire à les requérir de donner leur avis, de prononcer leur sentence; mais il n'y participait pas autrement.

Comme grand officier, le mayeur remplissait dans la cité de Liège le même office que les baillis exerçaient dans le plat pays. C'est à lui qu'incombait le soin de rechercher et d'arrêter les délinquants et les malfaiteurs pour les faire juger par les échevins; de procurer ensuite l'exécution de la sentence régulièrement rendue. Parfois même, dans des cas graves et où il s'agissait de faire prompte justice, on reconnaissait au grand mayeur la prérogative exorbitante de mettre à mort, sans jugement et à sa bonne conscience, les criminels appréhendés, même hors le cas de flagrant délit et pourvu qu'il y eût une notoriété suffisante du crime.

Dès la fin du XIIIe siècle, nous voyons que le mayeur de Liège se faisait aider ou remplacer par un officier qu'il nommait lui-même et qui était appelé mayeur en féauté ou sous-mayeur. A partir du XVIe siècle, le sous-mayeur fut nommé directement par l'évêque. Enfin, en 1606, un sous-mayeur ne suffira plus à la tâche et le prince en nommera deux, dont l'un sera préposé au quartier d'Outre-Meuse.

Pour les oeuvres de loi, où la présence du mayeur n'était en quelque sorte qu'une formalité, ce fonctionnaire est fréquemment remplacé par son clerc, par un échevin ou même par un chambellan.

Ces notions sommaires concernant les mayeurs suffiront actuellement pour donner au lecteur une idée générale du rôle qui leur était assigné dans l'organisation de la Souveraine Justice de Liège. Quant à leur rôle politique, il fut nul en quelque sorte, à cause du caractère toujours révocable et transitoire de leurs fonctions. Voilà pourquoi, dans le plan de ce livre, nous avons réservé la première place aux échevins et relégué en second lieu les monographies des mayeurs et des sous-mayeurs.

RECEPTION DES ECHEVINS

La nomination des échevins de Liège appartenait de droit à l'évêque ou à celui qui le remplaçait pendant la vacance du siège.

Jacques de Hemricourt, qui, dans ]a seconde moitié du XIVe siècle, fut, pendant plus de trente ans, secrétaire des échevins, par conséquent en position d'être exactement informé, assure qu'il n'y avait que deux conditions requises pour pouvoir devenir échevin, savoir: être âgé de quinze ans accomplis et être ydone, c'est-à-dire apte à remplir ces fonctions.

Quinze ans, c'était la majorité légale des Francs Ripuaires. En fait, autant qu'il m'ait été permis de le constater, la charge d'échevin n'a jamais été confiée qu'à des hommes d'un age suffisamment mur et rarement de moins de vingt-cinq ans.

Quant à la capacité requise, il est difficile, sinon impossible, de la préciser. Le bon sens pratique de nos aïeux et l'intérêt que tous avaient à pourvoir la justice de magistrats de valeur, résolvaient cette question, il faut le croire, à la satisfaction générale. Du moins, n'avons-nous trouvé nulle trace de plaintes qui se seraient élevées dans le cours des ages sur l'incapacité de ces juges. Toujours, au contraire, nous les voyons entourés d'un grand prestige, d'une haute autorité.

Il faut arriver au XVIe siècle pour rencontrer, parmi les échevins, l'un ou l'autre maistre ès arts, licencié ou docteur ès droits. Mais bientôt, ce qui n'était qu'exception, devient règle générale et, à partir du XVIIe siècle, tous les échevins de Liège sont licenciés ou docteurs en droit.

En constatant qu'au temps de Hemricourt, l'âge et le savoir sont les seules conditions requises pour devenir échevin de Liège, on est surpris que ce chroniqueur, si attentif à distinguer entre le bourgeois et le citain de Liège, ne fasse aucune mention de la nationalité de nos magistrats. Incontestablement, il n'était pas nécessaire d'être né à Liège pour y devenir échevin, mais fallait-il, au moins, avoir vu le jour dans la principauté ? Une distinction est ici nécessaire. En jetant un coup d'oeil sur la liste des échevins créés par les évêques du XIVe siècle, on est forcé d'y reconnaître des étrangers au pays. Les Mulrepas, les Coune de Lonchin, les Tilman de Rosmel, Thierry de Moylant, Antoine del Wetringhe, Nicolas Oem me paraissent indubitablement nés en pays voisins. Mais je suis très porté à admettre que ces personnages, favoris des évêques et arrivés à leur suite, avaient acquis, par leurs mariages avec des liégeoises, une sorte de nationalité d'adoption, suffisante, à cette époque, pour les rendre admissibles à tous les emplois. Plus tard, au contraire, et notamment dès la fin du XVe siècle, la nationalité liégeoise devient une condition formelle de l'admission à l'échevinage. La question est soulevée en 1477 pour la réception d'Adam de Clermont; et nous voyons, en 163O, les échevins se livrer à une enquête minutieuse sur le point de savoir si Givet-Notre-Dame, lieu d'origine des ancêtres de Gilles de Soy, faisait, ou non, partie du territoire de la principauté.

Une autre condition qui s'imposa rigoureusement à dater de la Réforme, ce fut la profession du culte catholique, non seulement par le récipiendaire, mais aussi par ses parents et ses quatre aïeuls. Il fallait, en outre, qu'ils fussent, tous, gens de bien ou de bome fame et réputation.

La constatation de ces faits exigeait une enquête et celle-ci se faisait devant deux ou trois échevins accompagnés d'un greffier. On entendait une foule de témoins, qui déclaraient, sous la foi du serment, ce qu'ils savaient touchant la filiation, l'honorabilité et la religion du récipiendaire, de ses père, mère, aïeuls, aïeules, bisaïeuls et bisaïeules dans toutes les lignes.

L'enquête terminée et les preuves reconnues suffisantes, il ne restait plus au nouvel échevin qu'à payer les droits accoutumés et il était admis au serment. Ces droits, dus à l'évêque, au mayeur, au sous-mayeur, aux échevins, etc., etc., étaient évalués primitivement en setiers de vin. Du temps d'Hemricourt, ils montaient à quarante-trois setiers; un siècle après, à cinquante-cinq. Plus tard, les setiers s'étant transformés en écus sonnants, et le nombre des parties prenantes s'accroissant toujours, nous voyons les droits de réception s'élever à la somme respectable de 3,324 florins, qui paraît encore avoir été dépassée de beaucoup à la fin du XVIIIe siècle.

Il faut donc admettre que les fonctions échevinales rapportaient à celui qui en était investi, de quoi l'indemniser largement du sacrifice qu'il s'imposait. C'est ce que nous tâcherons d'établir plus loin.

Passons à la formalité du serment. Hemricourt nous apprend que lorsqu'un nouvel échevin réclamait son admission, ce n'était pas au local ordinaire de la justice que cette cérémonie s'accomplissait. Les échevins conduisaient le récipiendaire à la Cathédrale devant un autel, le plus souvent celui de la chapelle de Notre-Dame dit « sous les cloches», et c'est là qu'il prêtait le serment de fidélité. Nul autre que les échevins et leurs secrétaires n'était présent à ce serment, qui était tenu en grand secret

Le plus ancien en office parmi les assistants sommait le récipiendaire de répéter après lui la formule que voici:

« Vos jureis par les saints qui chi sont, et par tous ceaulx qui sont en paradis, et sour tous les sacramens qui furent oncke consacreis sour cest alteit, que vos asteis légitime, de loyaul mariaige engenreit, et frans sains nuls servage; et que, por l'offiche del esquevinaige avoir, vos n'aveiz donneit ne promis, par vos ne par altruy, en secret ou en appert, devant ne après, à queilconque persone, quatre deniers ne le » vaillant; et que d'ors en avant vos sereis vrayes, loyalx et féables à monsignor de Liége, à nos avoweis, auz citains de Liége, et à tous cheaux qui aront à plaidier pardevant vos; et wardereis leurs raisons sorlonc vostre sens et bon avis; et direis loyaul sommonce de mayeur de tous cas dont vous sereis saiges ou recargiés de part vos compangnons, en tous lyez dedens le franckiese de Liége, là vos sereis fours périlh de vostre corp; et wardereis tous nos secreis sains révéleir; et aydereis wardeir touttes nos droitures afférantes alle offiche de nos esquevinaiges; et se débas de parolles ou de plus grand mal, qui point ne soyet criminalx, y naisce entre vous et vos conesquevins, à cause de vostre offiche, vos en aureis soin delle amendeir ou de prendre amende raisonnaible à nostre ordinanche, sains révéleir le débat ne faire plainte aultrepart, et n'en quireis aultre juge; et jamaix ne soffrereis noveals esquevins à rechivoir s'ilh ne font pareilhe seriment. »

Après la prestation de ce serment intime, qui liait l'échevin envers ses collègues, ceux-ci présentaient le récipiendaire au chapitre de la Cathédrale pour y prononcer le serment officiel, écrit au livre des chartes, et dès lors seulement le nouveau magistrat se trouvait investi de la plénitude de ses droits.

Les échevins de Liège étaient nommés à vie; ils pouvaient renoncer à leur office mais sans y mettre de condition ni de réserve en faveur d'autrui. Cependant, sur ce point, la rigueur des principes avait singulièrement fléchi dans les derniers siècles où le système des survivances était devenu en quelque sorte la règle.

Hemricourt énumère et explique les cas dans lesquels un échevin pouvait être privé de son office; c'étaient, par exemple, la révélation du secret professionnel, l'entrée en religion, l'inaccomplissement des devoirs de sa charge, enfin certains crimes graves qu'il désigne. Tout autre délit, l'excommunication même n'entraînait point privation de l'office.

COMPETENCE, JURIDICTION

Le premier degré de juridiction de toute cour échevinale, en général, et de celle des échevins de Liège, en particulier, était ce qu'on a nommé la juridiction gracieuse ou les oeuvres volontaires.

Avant la Révolution française on ne connaissait, au pays de Liège, ni l'enregistrement, ni le bureau des hypothèques. Ce sont là deux rouages nouvellement introduits dans notre mécanisme social, mais qui ne forment cependant que le perfectionnement de choses préexistantes.

Jadis, lorsque les parties contractantes voulaient assurer à leurs actes une pleine efficacité et les rendre valables vis-à-vis des tiers, elles présentaient ces actes à l'approbation des cours échevinales, qui les mettaient en warde (garde), c'est-à-dire en ordonnaient l'inscription dans leurs archives. S'agissait-il de faire approuver un testament ou un contrat de mariage, les échevins y procédaient avec une certaine prudence et faisaient citer préalablement les proches parents ou ceux qui pouvaient avoir intérêt à contester ces pièces ou à y contredire; puis, après une procédure sommaire, l'acte était enregistré avec la mention des protestations qui s'étaient produites.

Il y a plus: on pouvait, au moins jusqu'au XVIIe siècle, se rendre directement devant les échevins et passer devant eux, comme par devant notaire, les actes les plus divers. Beaucoup de testaments et de contrats de mariage ont été ainsi rédigés sans l'intervention d'un tabellion quelconque.

Les actes approuvés ou enregistrés par les échevins de Liège étaient dits réalisés. Ils forment aujourd'hui une collection de plus de deux mille volumes embrassant les années 1409 à 1794 et se composant de deux séries distinctes: les registres aux oeuvres et les registres aux convenances et testaments; le tout est conservé aux Archives de l'Etat.

Nous reviendrons sur cet objet lorsque nous traiterons des clercs et greffiers. Ce que nous venons d'en dire suffit pour l'intelligence de la matière. Passons à la juridiction contentieuse des échevins de Liège.

La cour des échevins jugeait tantôt en première instance, tantôt en appel.

En première instance, les échevins formaient la juridiction ordinaire, en matière civile comme en matière répressive, de tous les habitants de la Cité et de sa banlieue. Toutefois, il importe de faire ici une double restriction, quant aux biens et quant aux personnes. Durant tout le moyen age et jusqu'à l'abolition de l'ancien régime, la propriété foncière était répartie, eu égard à son origine, en trois classes de biens enchevêtrés les uns dans les autres, mais ayant chacune ses lois et ses tribunaux différents; on distinguait les biens féodaux, allodiaux et censaux. Cette dernière classe était de beaucoup la plus nombreuse: tout bien était présumé censal à moins que le contraire ne fût établi.

S'agissait-il donc d'un procès relatif à des droits réels, il n'était de la compétence des échevins de Liège, en première instance, que si l'objet du litige était un bien non féodal ni allodial, situé dans les limites de la franchise de Liège. Disons cependant tout de suite, que, par dérogation à ce principe, les échevins de Liège avaient la juridiction gracieuse pour les biens allodiaux situés dans la franchise.

Quant aux personnes soumises à la juridiction des échevins, il faut en distraire le clergé tout entier, avec ses extensions, qui, en vertu d'anciens privilèges impériaux, avait le droit d'être jugé exclusivement par les tribunaux ecclésiastiques, notamment par celui de l'official. En certaines matières relevant plus spécialement du domaine de la conscience, telles que les procès en nullité de mariage, de captation de testaments, etc., la compétence de l'official s'étendait même aux laïcs, à l'exclusion de celle des échevins. En d'autres matières enfin, le choix des deux tribunaux était abandonné aux parties. Cet état de choses amena naturellement de nombreux conflits dont nous aurons à nous occuper plus tard. Ajoutons que, dans le langage usuel du temps, le tribunal de l'official s'appelait le Droit, celui des échevins, la Loi.

En matière criminelle, les échevins de Liège jugeaient souverainement et sans appel. Il en fut de même, à l'origine, en matière civile. Mais à partir de 1531, leurs arrêts purent être déférés à une juridiction nouvelle, le Conseil ordinaire, spécialement créé à cet effet.

Comme juges d'appel, eux-mêmes, les échevins de Liège avaient un ressort extrêmement étendu et dépassant souvent les limites de la principauté. Plusieurs seigneuries situées en pays étranger mais appartenant à des églises de Liège, y étaient comprises. Hemricourt va jusqu'à prétendre que de son temps plus de trois mille cours hautes-justiciaires allaient en appel aux échevins de Liège, sans compter les cours jurées et les cours basses « dont il n'est point de nombre. » Cette exagération manifeste se trouvera réduite à sa juste valeur, si l'on consulte le tableau des cours subalternes aux échevins de Liège que nous placerons aux Pièces justificatives.

Au surplus, l'étendue du ressort d'appel de la Haute Justice de Liège a subi les modifications imposées aux limites de la principauté elle-même. Le traité de Ryswyck lui fit perdre le comté d'Agimont, les traités du 24 mai 1772 et du 26 août 1780, respectivement conclus avec la France et les Pays-Bas, consacrèrent d'importants échanges de territoires.

A l'appel devant les échevins se rattache un usage ancien, dont toute trace a disparu dans notre organisation judiciaire moderne. Nous voulons parler de la recharge ou rencharge. Lorsqu'une cour de justice avait à juger un cas difficile, un point de droit obscur ou embarrassant, au lieu de courir le risque de se faire réformer en appel, elle prenait prudemment les devants et commençait par soumettre l'affaire à l'examen des échevins de Liège. Le Paweilhars nous fait connaître de nombreux cas où des cours du pays « ne furent mie sages » et se trouvèrent obligées de recourir aux lumières de leur chef-sens. En matière criminelle, l'usage de la recharge prévalut et devint obligatoire pour toutes les cours ressortissant en appel aux échevins de Liège.

CRIS DU PERON

On appelait cris du Péron les publications faites, au nom de l'autorité compétente, près du Péron qui s'élevait au Marché, devant le peuple assemblé au son de la trompe.

Le droit de faire crier au Péron appartenait au prince, au tribunal des échevins et au magistrat de la Cité. C'était le seul mode de publication officielle. Le prince s'en servait pour promulguer les édits et ordonnances; le magistrat pour proclamer les admissions à la bourgeoisie, les nouvelles mesures de police, les ouvertures des foires et marchés, etc.; l'autorité judiciaire, pour faire connaître le cours légal des monnaies, le prix du grain, les décrets de bannissement, etc.

Ils étaient aussi pour la justice un moyen d'instruction. En effet, lorsqu'un meurtre ou tout autre acte criminel avait été commis dans le ressort judiciaire, les échevins le faisaient crier au Péron en invitant le coupable à se faire connaître dans les trois jours, sous peine de se voir poursuivi d'office. Voici quelle était la formule ordinaire de ces publications:

« Ons fait assavoir de part messeigneurs le mayeur et les esquevins de Liége s'il est personne queilconque, borgois, fil de borgois, clerc, lays ou autres, de quelconque estat ou condition qu'il soit ou soient, qui, (tel jour, en tel endroit a fait telle chose)... qui ce at fait, fait faire, conseilhiet ou exhorteit delle faire, assisteit et sostenu les faituelz, le vengne ou vengnent cognoistre à haulte justice de Liége, dedans tyers jours; ou, les tyers jours passeis, ons en ferat enqueste, et qui coupauble sera trouveit, il serat pugniet et corrigiet selonc le loy de pays. »

Très souvent, dit M. Bormans, l'auteur du méfait, par crainte, vrai repentir, espoir de l'impunité, assurance dans son bon droit, ou lorsque la chose était trop notoire pour échapper au bras de la justice, se décidait à obéir à l'appel du tribunal. Les termes ordinaires de sa déclaration étaient:

« L'an ... comparurent par-devant nous (un tel et un tel), lesquelz, pour obéir à justice et respondre à cry et publication susdits, après seremens solempnes par eulx fais, nous raportarent comment (un tel) leur avoit donné charge comparoir par-devant nous, et en son nom faire tele cognissance qu'il avoit fait rédigier par escript sur une cédule de papier, dont le tenure s'ensiet: « Je, (un tel), ne veult ignorer que (à telle date, je n'aie fait telle chose). De quoy suy grandement dolent et repentant, en priant à Dieu tout-puissant et az amys merchy, présentant en lieu oportun et selon ma léale puissanche de amendeis le forfait et mésuz; donnant charge à (un tel et un tel) de, au nom de moy, comparoir pardevant très honorez seigneurs, messieurs mayeur et eschevins de Liége, et illec rapporter la cognissance en tel sorte qu'elle est rédigiée par escript. Advenu en la maison de ... à (telle date); et mis en warde de loy. »

Quelquefois le coupable, après avoir avoué une partie du fait, ajoutait: << Mais, qu'il ly aiet fait violence ne autres injures, jamais ne soy troverat (ou: le noiet; ou encore: autre chose ne cognoit). »

Le plus souvent personne ne se présentait pour assumer le poids de l'accusation, et alors la justice avait son cours.

L'origine des cris du Péron est inconnue et, sans doute, fort ancienne. Il est question d'eux dans la Loi nouvelle de 1355, dans le Statut de Maestricht de 1380 et dans la Paix de Saint-Jacques.

LES MAISTRES DES ECHEVINS

Chaque année, le jour de la fête de saint Simon et saint Jude (28 octobre) les échevins de Liège élisaient entre eux deux maistres pris parmi les résidents. Cette coutume remontait, selon Hemricourt, à un temps immémorial.

Les fonctions principales des maistres consistaient à tenir les comptes de tous profits et émoluments dont la perception se faisait par les clercs et les chambellans. A l'issue de leur année d'exercice, ils rendaient leurs comptes: y avait-il déficit dans la caisse, ils étaient tenus de le suppléer; étaient-ils au contraire en avance, leurs successeurs les remboursaient en espèces.

Les maistres gardaient les semaines, c'est-à-dire que chacun, à tour de rôle, était chargé de contrôler les chambellans. Ceux-ci leur remettaient un compte tous les huit jours; on dressait une cédule de l'excédent des recettes sur les dépenses, et, au bout de l'année, c'étaient ces cédules qui servaient à établir le compte des maistres. Leur salaire, pour ce travail, était d'un vieux gros par semaine, à partager entre eux; mais il arrivait que pour gagner cet argent les échevins résidents gardaient eux-mêmes les semaines, alternativement; alors celui qui était de semaine remettait la cédule aux maistres.

Les maistres touchaient, de plus, quatre vieux gros tous les mois.

Il appartenait aux maistres de sceller, à raison de six vieux gros par pièce, toutes les copies d'actes délivrées par les échevins; les lettres ouvertes à raison de deux gros tournois; et les lettres closes, à raison d'une quarte de vin pour chacun d'eux.

Les maistres, enfin, répartissaient entre les échevins résidents les droits apportés ou payés par les voir-jurés, ainsi que les honoraires dus par les parties lorsque ces voir-jurés venaient en recharge ou en consultation chez les échevins.

Telle était l'organisation à la fin du XIVe siècle. Il est bien probable que des modifications se produisirent insensiblement dans les attributions des maistres des échevins. Ainsi, dès la fin du XVIe siècle, on commence à rencontrer des copies d'actes délivrées, non plus sur parchemin scellé, mais sur papier et sous la signature du greffier. Les tarifs ne se modifiant que rarement et le pouvoir de l'argent continuant à baisser, il ne devait plus y avoir grand profit à la délivrance des actes scellés.

Toutefois les échevins continuèrent à nommer leurs maistres comme par le passé.

Par un règlement du 2 mai 1450, les échevins imposèrent à leurs maistres de déclarer dorénavant sous serment qu'ils n'avaient rien promis ni donné pour obtenir la maîtrise.

CONSEILLERS DES ECHEVINS

Il est à savoir, dit Hemricourt, que s'il convient aux échevins d'avoir pour conseils un ou deux sages coutumiers, clercs ou laïcs, ce droit leur est reconnu d'après un usage ancien; et ces conseillers auront leur part dans les droits de réception des nouveaux échevins, mais rien de plus.

L'usage des conseillers a persisté jusqu'à la fin. Au XVe siècle il y en avait quatre « deux spirituels et deux temporels. »

L'avocat Arnold Hocht, docteur en droit, qui vivait à la fin du XVIe siècle, était conseiller des échevins.

EMOLUMENTS DES ECHEVINS

Dans une pétition adressée au préfet Desmousseaux, en fructidor an X, par les enfants de feu Guillaume-Arnold de Saren, échevin de Liège, il est dit que les revenus de la charge du défunt « se portoient année commune à trois mille florins Brabant-Liége, valant en argent de France trois mille six cent quarante six francs, septante un centimes. » Rien ne fait supposer que cette évaluation ait été en dessous de la vérité. Or, si l'on tient compte des sacrifices pécuniaires que l'échevin devait s'imposer pour l'obtention de sa place, on ne dira pas que ces magistrats étaient trop grassement payés. Il est vrai que le trésor public n'intervenait pour rien dans leur traitement et que la clientèle seule en faisait les frais.

Tel était, du moins, incontestablement l'état des choses au moyen age. Grâce au Patron del Temporaliteit, nous sommes renseignés sur toutes les sources de profits que pouvait inscrire à son budget un échevin du XIVe siècle.

Les revenus les plus habituels et les plus abondants provenaient des droits payés par les parties pour la délivrance des lettres scellées, pour les approbations des testaments, contrats de mariages, de ventes, de louages, jugements ou oeuvres de loi quelconques.

Mais à côté de cette sorte de pain quotidien, il y avait une foule de petits émoluments, dont quelques-uns disparurent, sans doute, dans la suite des siècles, mais qui, pour la plupart, persistèrent jusqu'à la fin. En voici l'énumération:

  1. A l'admission d'un nouveau confrère, chaque échevin recevait deux setiers de vin et le collège entier avait droit à un paste, nous dirons un diner. A la mort d'un échevin, le college percevait une aime de vin. Toutefois, cette dernière prestation, qui s'était transformée en une somme de quatorze florins du Rhin, fut abolie par le règlement du 2 mai 1450, lequel introduisit, en revanche, l'obligation, pour le nouvel échevin, de payer un marc d'argent fin. Celui-ci était converti, au gré du corps échevinal, en une pièce d'argenterie sur laquelle le donateur pouvait faire graver ses armes. L'objet restait sa propriété et il pouvait en disposer par testament: le léguait-il au corps échevinal, sa veuve ou ses héritiers n'avaient plus à payer l'approbation du testament.

  2. A la réception du clerc des échevins et des deux chambellans, chaque échevin obtenait un setier de vin.

  3. Lors de la réception des Yoir-jurés du charbonnage, du cordeau ou des eaux, il revenait à chaque échevin un demi-setier.

  4. Pour toute recharge faite à une cour subalterne, ils avaient droit tous ensemble à quatre vieux gros; pour chaque conseil, deux vieux gros.

  5. Ils étaient propriétaires de la maison de pierre du Détroit, dont ils louaient les locaux disponibles.

  6. Il leur était annuellement dû un denier de bonne monnaie de cens sur le petit moulin « en Manghenie » parce qu'ils « wardaient les droitures » du biez de ce moulin et déterminaient l'amende dont il fallait punir ceux qui l'entravaient.

  7. Ils avaient le droit de planchage, consistant en une redevance due par tous les marchands de poisson établis sur le Marché le jour de grand caréme à l'heure de prime. Chaque petit étal sur le pavé devait deux deniers, chaque grand étal sur « le rewe», quatre. Ce droit était percu par les chambellans, assistés des boteilhons pour contraindre les récalcitrants. Il était réparti entre le mayeur, les échevins résidents, leurs clercs et leurs chambellans; le mayeur prenait double part, les derniers demi part. En revanche les échevins étaient obligés de défendre gratuitement les droits du « rieu du Marché » chaque fois que les pécheurs le requéraient.

  8. Quinze quarteaux de sel à prendre sur le tonlieu du sel appartenant à l'éveque et prélevé sur tout bateau arrivant au pont à la Goffe. Chaque échevin avait un quartal, le mayeur, le double.
    En revanche, ils devaient recorder gratuitement les droits du tonlieu.

  9. Le jour de la Chandeleur, le coste de la Cathédrale devait à chaque échevin deux chandelles de cire, au mayeur, quatre, à chacun des clercs et chambellans une. Le maire des fiefs de Saint-Lambert en devait autant. Hemricourt explique l'origine de ces redevances.

  10. Les boulangers de Liége tous ensemble donnaient aux échevins, aux quatre grandes fètes de l'année, quatre gâteaux de pate levée; au mayeur, le double; aux clercs et chambellans, la moitié.

  11. Tout le corps échevinal avait droit à dix livraisons de vin, par an, savoir: à Pâques, à la Pentecôte, à l'Assomption, à la Toussaint, à la Saint-Martin, à la Noël, au premier janvier, au jour des Rois, à la Chandeleur et au Grand Carême. A chacune de ces fêtes, l'échevin recevait un setier de vin, le mayeur deux, le changeur, les clercs, les chambellans, un demi chacun. Une quarte de vin était due à chaque boteilhon, à la Saint-Martin.

  12. Aux quatre grandes fêtes de l'année, chaque échevin, clerc, changeur ou chambellan avait droit à deux paires de gants; le mayeur, à quatre. Ces livraisons de vin et de gants étaient prélevées sur l'ensemble des amendes et des émoluments de la justice. Et comme ces amendes et émoluments appartenaient à l'éveque pour deux tiers et à l'avoué pour un tiers, éveque et avoué intervenaient dans ces livraisons suivant la méme proportion.

  13. L'éveque et l'avoué, encore dans la proportion indiquée, offraient aux échevins et à leurs subordonnés un paste, le jour des Cendres.

  14. L'éveque, par l'intermédiaire du mayeur, payait aux échevins, clercs et chambellans les frais judiciaires dans les cas suivants: a) lorsqu'ils délimitaient les biens communaux; b) à chaque formation de champ-clos; c) lorsqu'on faisait l'essai des monnaies.

  15. Le mayeur payait huit deniers liégeois, savoir un gros tournois à chaque échevin, et la moitié à chaque clerc et chambellan: a) pour toute enquête de cas criminel; b) quand il s'agissait de constater une effraction; c) lorsque le mayeur les requérait de sortir du Destroit pour jeter un command; d) pour chaque cri du péron; e) pour l'exécution des cas criminels qui touchaient « alle haulteur du signeur» ; f) dans d'autres cas encore, omis par Hemricourt pour abréger.

Quant aux droits spécifiés dans ces deux derniers numéros, une réforme fut lntroduite par Adolphe de la Marck. Cet éveque trouvant la charge trop lourde, préféra s'en libérer en abandonnant aux échevins le tiers des profits et émoluments de la justice.

Les échevins de Liége étaient, de temps immémorial, exempts de guet et de garde, sauf en cas de nocessité très urgente. Dans une attestation du 21 juillet 1632, ils déclarent avoir été exemptés « lors même que le clergé a été commandé d'assister la bourgeoisie à faire garde, et encore en tel cas, ils ont été employés en des fonctions convenables à leur estat et qualité».

Le 24 octobre 1649, Ferdinand de Bavière leur accorda l'exemption de tous les impôts de la Cité. Il confirma en méme temps leurs privilèges et surtout leur indépendance en matière judiciaire .

VACANCES ET FETES

Les échevins de Liège siégeaient tous les jours.

Le Nouveau régiment, édicté en 1424 par Jean de Heinsberg, statue qu'ils seront aux plaids à partir du second coup de prime (8 heures du matin) les lundis, mercredis et vendredis. Les recharges les occupaient le mardi et le jeudi; enfin, le samedi, on expédiait les jugements et l'on faisait les taxations des frais. Les oeuvres des lois étaient reçues tous les jours.

Outre les vacances ordinaires qui commençaient vers la mi-juillet pour se prolonger jusqu'après la moisson, les échevins observaient au XVIIe siècle les fêtes suivantes:

Le jour de la Purification, ils assistaient à la procession de Saint-Lambert et recevaient de ce chef chacun quatre florins, indemnité qui leur était également allouée pour la plupart des fréquentations d'églises énumérées ci-après.

Le vendredi avant Loetare, ils se rendaient à 10 heures à l'église de Notre-Dame-aux-Fonts, pour y entendre le sermon d'un père récollet.

Le mardi de la Semaine sainte, ils entendaient la messe dans la chapelle de la prison et faisaient la visite aux prisonniers, après quoi le doyen d'age recevait ses collègues à dîner.

Les trois derniers jours de la Semaine sainte, ils n'arrivaient au siège de la justice qu'à 11 heures pour expédier la besogne courante.

Les fêtes de Pâques duraient cinq jours; le vendredi suivant, il y avait procession, de même qu'aux fêtes de saint Marc et de saint Georges.

Durant les Rogations, les échevins n'arrivaient qu'à 9 1/2 heures. Tous prenaient part à la procession.

Le dimanche de la Sainte Trinité, ils se rendaient au séminaire où l'on priait pour les confrères défunts, et le lendemain on y chantait une messe de Requiem.

La vigile de la Fête-Dieu, ils assistaient aux vêpres dans le choeur de la cathédrale; le lendemain on les trouvait tous à la grand-messe et à la procession. Ce jour-là chaque échevin touchait cinquante florins.

Le jour de la fête de saint Gilles, festum palatii, les échevins avaient congé.

Enfin, la cour se faisait un devoir d'assister régulièrement aux vigiles et à l'anniversaire du dernier prince-évêque défunt.

LE SIEGE ECHEVINAL


A droite de la fontaine, le détroit après la destruction de la Cathédrale ND et Saint Lambert,

Depuis les temps les plus reculés jusqu'à la fin du XVIe siècle, le siège de la Souveraine Justice de Liège se trouva établi dans une maison située sur le Marché contre la cathédrale et vis-à-vis de l'hôtel de ville, dont elle n'était séparée que par un passage resserré, un détroit; de là le nom de destroit que garda constamment le local lui-même.

Voici comment Abry le décrit:

« Le haut et souverain consistoire des dits seigneurs eschevins de Liège, nommé anciennement le destroit, n'étoit qu'un domicile de trente pieds de long et vingt de large ou environ, bâti contre les degrés de la cathédrale au Marché, vis-à-vis du petit rieux et de la maison de ville. Elle avoit un petit chambray construit en bois sur les degrés méme, pour lequel on payoit sept marcs de cens au prévot de la Cathédrale. La sale de cette maison, située en haut, si vantée soub le nom de [salle] Saint Michel, servoit à leurs assemblées où ils décrétoient en pleine obédience et faisoient justice à un chacun. Comme ce bâtiment a été ruyné diverses fois, notamment par la destruction de Liége arrivée l'an &Mac245;468, elle fut depuis rebâtie et subsistoit encore en son entier l'an 1691 qu'elle fut brulée par le bombardement des Franc>ais, aux fêtes de la Pentecôte, avec la maison de ville et une bonne partie de la ville.

On y voyoit encore les boiseries et l'ameublement telle qu'ils l'ont quittée l'an... pour se placer au palais épiscopale, et les verrièrres blasonnées de leurs armes étoient de l'an 1528. Elle appartenoit de notre temps à un certain Rolloux qui la possédoit et les vestiges d'icelle se voyent encore par ses fondements. »

La maison en pierre du Détroit était autrefois, à l'exception de son cellier, la propriété des échevins. C'est Hemricourt qui l'affirme. Toutefois, ajoute-t-il, comme cette maison était construite sur le terrain des encloîtres, et, par conséquent, soumise à l'immunité, on ne pouvait y rendre de jugements ni même y faire des oeuvres de loi. Pour tourner la difficulté, on avait annexé à l'édifice une construction en planches qui s'étendait sur le Marché, terrain communal. La maison de bois était la propriété de l'évêque qui devait l'entretenir avec le produit des amendes.

Le 9 juin 1446, les échevins se trouvant sans doute à l'étroit dans leur vieux local, prirent en location, au prix de 18 florins, la maison joignante, appartenant à la Cathédrale et surnommée à cause du beau cellier qu'elle renfermait, la maison delle Crotte (Grotte dérive de Crypta). Le bail fut renouvelé au même prix, le 28 août 1461, et l'immeuble delle Crotte, réuni probablement à celui du Destroit, ne fit plus qu'un avec lui.

Quelques années après, survint la destruction de Liège par Charles-le- Téméraire; mais, contrairement à l'assertion d'Abry, nous croyons que le Destroit, faisant partie des cloîtres, fut préservé de l'incendie. Aussi, dès le 5 avril 1469, voyons-nous le chapitre utiliser les locaux disponibles de ce bâtiment, en les louant à un mercier. Voici comment ils sont décrits dans un renouvellement du même bail: « Le manson appellée de Destroit, jondant alle enclouze de notre engliese et venant sur le marchiet, assavoir le stal devant aux greis, là on soloit vendre des merchineries, aveuc le flaige basse et deux cambres, assavoir à chascunne costeit d'iceluy flaige une chambre, et ung staul pour deux chevals dessoubs iceluy hostaige, et plus riens ne desseur ne desoulx. »

Ces derniers mots ont certainement pour but d'exclure les parties du Destroit réoccupées par la Haute Justice. Dans un acte du 8 mars 1521 par lequel les échevins renouvellent, pour un terme de douze ans et pour un loyer annuel de 12 florins, l'accense des « parties et habitation de la maison delle Crotte, appelée communément le Destroit, lesquelles, ils et leurs prédécesseurs eschevins ont pour le passé tenu et mannyent du présent, » nous voyons que les parties occupées par eux consistaient principalement en quatre chambres « assavoir, la place desseur sur le devant où journelement syent les clercs, la salle Sainct Siichiel, le desseur delle Crotte, où ilz ont fait leur cousinne, ung chaffeur y joindans avec la descendée des degrez tendans sur la rue, dessoubs la tour, et autres aysemences y joindantes ». On le voit, il n'est pas question là d'une chapelle, comme on l'a cru; quant à l'autel que les échevins entretenaient au Détroit dès le XVe siècle, il faudra bien le placer dans cette salle Saint-Michel, où ils rendaient leurs jugements et qu'ils avaient décorée de vitraux armoriés.

Par les actes rappelés ci-dessus, le chapitre de la Cathédrale affirmait nettement son droit de propriété sur l'immeuble formé par la réunion des maisons delle Crotte et du Destroit. En 1481, l'échevin Jean delle Xhurre ayant fait remplacer par une construction en pierre l'édifice de bois dont nous avons parlé, se vit attrait en justice devant le doyen de Cologne, conservateur des privilèges du clergé. Le chapitre de Saint-Lambert lui reprochait d'avoir empiété sur ses droits, notamment en prenant le jour des fenêtres du Détroit. Finalement, on parvint à un arrangement, moyennant la promesse des échevins de rétablir les lieux dans leur état primitif, si le chapitre l'exigeait, et entre-temps de lui payer chaque année deux chapons. De nouveaux échevins ayant été admis le 28 juin et le 3 septembre 1483, le chapitre exigea d'eux le même engagement.

Un siècle plus tard, la propriété du Destroit fut remise en question par les échevins, qui se refusèrent d'en payer le loyer. Un procès s'ensuivit et l'affaire menaçait d'aller en cour romaine, lorsque les échevins, mieux avisés, cherchèrent à entrer en transaction. Le 17 septembre 1581, ils adressèrent au chapitre des propositions écrites portant en substance qu'ils lui reconnaîtraient la propriété en litige et consentiraient à payer dorénavant un loyer de cinquante florins, pourvu que le chapitre leur quittât les canons arriérés. Ces propositions ayant été en partie agréées, un accord fut signé le 23 janvier 1582.

Mais le chapitre cherchait à se débarrasser de ces hôtes incommodes. Il alléguait, avec raison d'ailleurs, que le voisinage de la cathédrale et de la maison judiciaire donnait lieu à de fréquents abus, que les allées et les venues des plaideurs passant par l'église et se querellant souvent à haute voix, causaient un scandale auquel il importait de mettre fin. On engagea les échevins à se fixer ailleurs. Il fut question de leur céder la maison claustrale de Manderscheit et un plan fut même dressé pour son appropriation, mais ces projets ne purent aboutir. Le chapitre offrit alors, pour y bâtir, un emplacement situé vis-à-vis de l'hôpital à la Chaîne, sur la Basse-Sauvenière, ou un autre situé entre l'église Saint-Lambert et le palais, du côté des Onze-mille-Vierges. Ces propositions restèrent sans suite. Cependant, le bail de six ans conclu par les échevins allait expirer et le chapitre était bien décidé à ne plus le renouveler. Après de nombreux pourparlers, le prince-évêque consentit à installer la Haute Justice au palais, et les échevins abandonnèrent le vieux Destroit, qui aussitôt fut mis en vente publique (1589).

Depuis lors, le siège des échevins de Liège n'a plus varié, jusqu'à sa suppression.

ORIGINES

Il est généralement admis que l'institution des échevinages remonte à Charlemagne.

Le grand réformateur d'Occident, par un capitulaire de l'an 803 ordonna d'établir dans toutes les localités, per singula loca, des échevins capables, qui, au nombre de sept, devaient assister aux plaids ordinaires et concourir avec le juge à rendre la justice.

Quoique Liège, au temps des Carolingiens, ne fût encore qu'un vicus publicus, une terre du fisc, nous savons qu'elle prit vers cette époque un essor rapide et s'éleva au rang de cité. Il n'est pas douteux qu'une cour d'échevins y ait été instituée.

Cependant, une nuit profonde règne sur les premiers temps de son histoire échevinale. Le chanoine Anselme, qui a écrit les gestes des évêques de Liège depuis saint Lambert jusqu'à Wazon, mort en 1048, ne fait pas même mention des échevins. Bien plus, durant tout le cours du XIe siècle, il n'est, à ma connaissance, ni une charte ni un document quelconque sur lequel on pourrait s'appuyer pour conclure avec certitude à leur existence.

Ce silence de l'histoire et des chartes semblera moins étrange si l'on se reporte à l'état social d'alors. La propriété foncière, aux mains d'un très petit nombre d'individus, avait à cette époque une fixité qu'elle perdit à mesure qu'elle se fractionna davantage: les actes de translation durent être rares, les procès plus rares encore. Quant aux actes de violence, beaucoup plus fréquents au contraire, on peut le supposer, ils aboutissaient le plus souvent à la formation d'un champ clos et le rôle des échevins se bornait alors à être les témoins d'un duel judiciaire. Il est d'ailleurs certain que, dans ces temps reculés, l'écriture n'était pas en usage chez les laïcs; il n'a donc pu rester nulle trace des actes de la cour.

Quand des traditions de biens s'accomplissaient devant elle, celles-ci étaient entourées de formes symboliques pour les rendre plus solennelles, et les magistrats en conservaient le souvenir sans qu'il fût nécessaire de recourir à l'intervention d'un clerc.

D'autres circonstances, fort bien exposées par M. le chanoine Daris, contribuaient à maintenir le tribunal des échevins dans un état d'infériorité relative. « Dès le 1er siècle, dit-il, les apôtres et leurs successeurs avaient engagé les fidèles à soumettre leurs contestations civiles à l'arbitrage de leur évêque pour les terminer d'après les règles de la justice et de la charité. Ce fut pour répondre à la confiance qu'inspirait l'arbitrage des évêques que Constantin accorda aux laïques, en 331, la faculté de porter leurs causes civiles devant le tribunal de l'évoque: il suffisait, à cet effet, de la volonté d'une des deux parties. Il accorda au jugement porté par l'évêque la même valeur qu'au jugement porté par le tribunal civil. Cette loi resta la règle au diocèse de Liège. L'official y exerça sa juridiction dans les causes civiles personnelles des laïques, par droit de prévention, avec les autres tribunaux.

On admettra facilement que les Notger, les Wazon et d'autres évêques remarquables aient été les grands arbitres de leur temps.

Le diplôme de l'an 1107 par lequel l'empereur Henri V confirme les anciens privilèges de l'Eglise de Liège, en présence de l'évêque Obert et avec son concours, ne fait aucune mention spéciale des échevins de Liège; les termes jus civile et forensis potestas, qui s'y rencontrent, ont une signification plus générale et s'appliquent à toute juridiction civile, à tout échevinage quelconque.

Au surplus, voici un aperçu de ce document remarquable. En vertu de l'immunité ecclésiastique concédée jadis au clergé dans toute l'étendue de la monarchie franque, non seulement les chanoines et les clercs, mais encore leurs serviteurs et employés étaient exempts de la juridiction séculière et soumis à celle des tribunaux ecclésiastiques. Pour dissiper toute controverse sur l'étendue de cette exemption, le diplôme impérial cite différents cas d'application spéciale. Ainsi, le conducteur d'un transport (angaria) qui se faisait pour le compte de l'évêque, commet-il un délit, en allant ou en revenant, il jouira de l'immunité. Les domestiques des chanoines, à moins qu'ils n'exercent le commerce, profiteront, comme leurs maîtres, de l'exemption de l'octroi sur les marchandises. Les laïcs qui se rendront chez un chanoine soit pour un message, soit pour une simple visite, deviennent par le fait justiciables du tribunal établi au réfectoire de Saint-Lambert, à l'exclusion de toute juridiction civile, et sont, en outre, exempts de l'octroi. Le pouvoir séculier n'avait aucune action ni sur les cloîtres, ni sur les maisons des chanoines; si quelqu'un venait y habiter, sans être au service de l'église ou d'un chanoine, il ne pouvait être appréhendé que hors de la maison. Toutefois, s'il s'agit, non d'une maison claustrale, mais d'une habitation construite sur terrain censal, le juge civil aura, le cas échéant, le droit de la piller, de la fermer et d'en arrêter les habitants (ipsus domos spoliandi, obserandi, habitatores capiendi jus erit forensi potestati). Le territoire de la Sauvenière était soumis à un régime spécial et la juridiction séculière ne s'y exerçait que contre les voleurs, contre ceux qui se servaient de fausses mesures et dans les cas de sédition appelée vulgairement stuer et burine.

Tel est en substance le plus ancien monument législatif qui intéresse plus ou moins l'histoire des échevins de Liège. Il faut descendre quelques années encore, pour découvrir enfin leur première mention: trois scabini leodienses Lietoldus, Wolgenus, Wezelo figurent comme témoins, après les prêtres et avant les ceteri laici, à une charte de minime importance donnée en 1113 par deux bourgeois de Liège.

Bientôt après, on voit apparaître la cour échevinale elle-même; voici à quelle occasion: l'église collégiale de Saint-Jean-l'Evangéliste jouissait, en vertu d'une concession de l'empereur Othon, d'un droit d'octroi à prélever sur le produit de la foire annuelle de Visé. En 1130, les Hutois soulevèrent un grave incident en prétendant qu'aucun droit n'était dû sur les peaux des animaux sylvestres. Un jugement des échevins de Liège (judicio tantum scabi!norum Leodiensium) leur donna gain de cause. Mais l'empereur Lothaire se trouvant à Liège, l'année suivante (cum tunc Leodii essem), le chapitre de Saint-Jean s'empressa de déférer l'affaire à sa décision souveraine. La charte originale d'Othon ayant été mise sous les yeux de l'empereur, en présence des princes de l'Empire et de plusieurs évêques et archevêques, celui-ci de son autorité suprême et de l'avis des grands de la Cour (communicato illi inter se consilio), cassa et annula la sentence des échevins (scabinorum illorum abjudicaverunt judicium).

A côté de ces premiers vestiges diplomatiques, il convient de placer le plus ancien acte échevinal connu. C'est une charte insérée par Jean d'Outremeuse dans sa chronique, sous l'année 1258, et par laquelle l'avoué, le mayeur et les échevins de Liège donnent un règlement à la maison de Cornillon. Elle débute en ces termes: « In nomine sancte et individue Trinitatis, amen. Theodericus advocatus, Henricus villicus Henricus, Renerusus, Colalardus, Libuinus, Jordanus scabini, ceterique cives Leodienses, omnibus fidelibus in perpetuum. Que ad pacis et salutis fructum spectare videntur, toto annisu tuenda et promovenda sunt, etc. »

En voici la finale: « In quorum omnium testimonium sigilla litteris presentibus duximus apponenda. Datum anno ab incarnatione Mo CC° LVIII° mense junii die XIIa. »

Il est tout d'abord visible que cet acte a un caractère plus ancien que sa date. L'avoué, le mayeur et les échevins n'y figurent que par des prénoms, tandis que dans les actes du milieu du XIIIe siècle, chaque individu est généralement désigné par un nom de baptême et par un nom de famille ou un sobriquet, si l'on préfère. Ce n'est pas tout: en 1258, l'avoué de Liège ne se nommait pas Thierry, mais Baudouin, châtelain de Beaumont; enfin, les noms des échevins ne répondent en aucune façon à ce que nous en dirons plus tard. La pièce a donc été altérée dans sa date et ce qui confirme cette supposition, c'est qu'elle se trouve sans date au Pawilhart de Dinant. Recherchons donc vers quelle époque on pourrait la placer.

Wéry des Prez (Wedericus de Prato), était avoué de Liège en 1146 et vivait encore en 1153. Il légua en mourant l'église de Saint-Nicolas Outre-Meuse aux Prémontrés de Cornillon et eut pour successeur, comme avoué, son fils Thierry qui apparaît vers 117o, en 1176 et en 1189. C'est donc entre les années 1153 et 1189 que la charte en question fut donnée. Mais elle doit même être antérieure à l'année 1175, si nous lui comparons la charte par laquelle Gérard, comte de Looz, accorda, cette année, aux habitants de Brusthem les mêmes droits et les mêmes franchises que ceux dont jouissaient les citoyens de Liège. Celle-ci fut donnée à l'intervention de plusieurs bourgeois notables de la cité, et, quoique le texte ne le dise pas, on peut présumer qu'ils étaient échevins pour la plupart.

Voici comment elle s'exprime: « Hujus faeti fiuerunt etiam testes probi et honesti viri cives Leodienses, hujus legis et libertatis dictatores et ordinatores Theodericus advoeatus, Jordanus et Libuinus, Libertus, Lambertus, Symon, Werycus, Nogerus, Bruno, Wernerus, Albertus. »

Nous retrouvons dans cette énumération quelques-uns de nos personnages de la charte de Cornillon. Outre l'avoué Thierry, nous reconnaissons Jordanus et Libuinus, mentionnés ici en tête de la liste, placés dans l'autre à la queue. Ils ont donc vieilli, et la charte de Cornillon doit être antérieure à celle de Brusthem de plusieurs années.

Ajoutons, pour n'avoir plus à revenir sur ce point, que Lambertus et Nogerus étaient aussi deux échevins de Liège et qu'ils reparaissent en 1176 dans une charte par laquelle l'évêque Raoul confirme les possessions de Cornillon. Cet acte fut écrit en présence de Reynerus villicus Leodiensis et des scabini Hellinus, :Notgerus, Lambertus et alii plures .

Ce que nous venons de dire de l'avoué de Liège nous amène à faire connaître ce personnage. Durant tout le cours du moyen age, il y eut à Liège deux avoués principaux: les avoués de Saint-Lambert, qui, vers le milieu du XIIe siècle, prirent le nom d'avoués de Hesbaye, et les avoués de Liège. Les deux sortes d'avoueries, érigées, l'une et l'autre, en fiefs héréditaires, n'avaient rien de commun; la première était une fonction militaire, la seconde un office purement judiciaire. A une époque où trop souvent la force primait le droit, et où d'ailleurs, selon toute apparence, l'institution des défenseurs privés ou avocats n'avait pas encore pris naissance, il avait fallu confier à un homme puissant le soin de protéger le faible contre le fort et d'assurer le libre exercice de la justice contre les abus du pouvoir. Hemricourt est très explicite sur ce point: l'avoué de Liège, dit-il, « doyt aydier, tenseir, warandire, presteir forche et sortenir à ses frais et despens, en tous lyez, à son pooir, les esquevins de Liége, se roys, évesques ou aultres sires les voloit presseir ou fourmineir; et semblanment doit-ilh aydier, défendre et aydeir les citains de Liége, se ons les voloit fourmineir ou défaillir de justice. »

Jusqu'à la fin du XIVe siècle, l'avoué de Liège ou son lieutenant, assis au prétoire à côté du mayeur et des échevins, remplit fidèlement son office, pour lequel une large participation dans les amendes et les frais judiciaires lui était assurée. Peu à peu cependant ses fonctions perdirent de leur importance, et après le XVe siècle, il ne sera plus question de lui.

Une théorie généralement acceptée consiste à attribuer aux échevins l'administration des villes antérieurement à la création des maistres ou des jurés. Telle est, entre autres, l'opinion d'un érudit qui s'est attaché avec succès à l'étude des origines de nos libertés communales. « Echevins et jurés, dit M. Pirenne en parlant de la constitution dinantaise au XIIIe siècle, échevins et jurés siègent ensemble dans le conseil et exercent ensemble l'administration. Les échevins même, selon toute apparence, sont intervenus dans celle-ci avant les jurés. Néanmoins, si l'on entend par conseil une magistrature propre à la ville, la marque et l'instrument de son indépendance, ce sont les jurés seuls, les derniers venus, qui au sens juridique, l'ont constitué. ''

Si cette thèse était prouvée, il faudrait en déduire que le pouvoir communal n'est, en définitive, au point de vue historique, qu'un démembrement du pouvoir échevinal ou judiciaire. Et comme les corps constitués sont toujours jaloux de leurs droits et de leurs prérogatives, il y aurait lieu de s'étonner que, partout, ce démembrement ou cette scission se soit opéré sans secousses ou sans lutte. Or, à Liège, du moins, on ne relève à l'origine nulle trace d'antagonisme entre les échevins et le pouvoir communal.

Avant de s'aventurer dans ces questions ténébreuses, il importerait, ce me semble, de se fixer sur la portée qu'il convient d'attribuer au mot administration. En quoi pouvait-elle consister, à Liège, au XIIe siècle, et quelle idée faut-il se faire des finances de la Cité ? Certainement personne ne contestera que dans le budget communal d'alors il ne puisse être question ni des frais du culte, ni de l'instruction publique, ni des beaux arts, ni du service de la dette, ni des frais de l'administration. Restent la police et les travaux publics. Mais la police, à Liège, était aux mains de l'évêque qui l'exerçait par l'intermédiaire de son mayeur, et cet état de choses a persisté jusqu'à la fin de l'ancien régime. L'alignement des rues, service éminemment administratif, était confié aux voir jurés du cordeau, émanation des échevins, et ne fut jamais du ressort du pouvoir communal.

Quant aux travaux publics, que voyons-nous ? Liège est entourée de murs par Notger, Réginard construit à ses frais le pont de la Meuse. Peut-on supposer que la ville soit intervenue dans ces grandes constructions autrement que par les corvées ou les contributions volontaires de ses habitants ? En tout cas, il n'existe point de trace de l'intervention de l'échevinage dans les travaux publics; si l'administration de ceux-ci lui avait été dévolue, n'est-il pas vraisemblable qu'il eût commencé par se pourvoir lui-même d'un siège plus apparent et plus convenable que le modeste local du Détroit ?

Au surplus, la question des travaux publics se rattache essentiellement à celle des finances communales. Peut-on dire qu'il existât des finances communales antérieurement à l'émancipation politique des villes ? Sans doute, il y avait les wariscapia, les biens communaux, dont les échevins étaient constitués les gardiens et les conservateurs: qui dira cependant que ces biens fussent alors une source de revenus ? N'est-il pas, au contraire, infiniment probable qu'ils ne consistaient qu'en places publiques improductives ou en pâturages abandonnés à l'usage de tous ? Les finances communales n'ont pu naître, croyons-nous, que le jour où la Cité a été autorisée à lever l'impôt communal par excellence, le premier dont nos annales fassent mention, celui de la Fermeté. Or, cet impôt apparaît à Liège en 1198, précisément à l'époque où, comme nous le montrerons tout à l'heure, apparaissent les premiers magistrats communaux.

On le voit, la question envisagée au point de vue économique et pratique, change quelque peu d'aspect. D'administration, à proprement parler, il n'y en a point, tant que les villes, étreintes encore par un pouvoir omnipotent, se trouvent impuissantes à se créer des ressources.

Quand, au contraire, par suite de l'abolition progressive du servage, par suite de la substitution lente du régime commercial au régime agricole, une bourgeoisie riche et indépendante se sera constituée, ces classes nouvelles chercheront à s'émanciper, à se gouverner elles-mêmes, et le pouvoir communal surgira un beau jour, sans lutte et comme par la force même des choses, secondé, peut-être, par le pouvoir central ou par la marche des événements. C'est ce qu'expose fort judicieusement M. Pirenne: « A l'apparition des jurés, dit-il, remonte dans les villes liégeoises l'origine des constitutions urbaines autonomes. Comme en Flandre, les événements politiques y ont singulièrement favorisé les tendances nouvelles de la bourgeoisie. De même que Bruges, Lille, Ypres, Saint-Omer profitèrent de l'anarchie qui suivit le meurtre de Charles-le-Bon (1127) pour obtenir d'importants privilèges, de même Liège, Huy et Dinant, après l'assassinat de l'évêque Albert de Louvain (23 novembre 1192) savent se servir des circonstances favorables que leur fournit la longue lutte entre les deux prétendants: Simon de Limbourg et Albert de Cuyck. Ce dernier (1193-1200) fut pour les villes liégeoises ce que Thierry d'Alsace a été pour les villes flamandes. Les avantages qu'il accorda aux bourgeoisies lui attirèrent la haine du clergé. C'est à lui qu'est due la charte de Liège, ratifiée en 1208 par Philippe de Souabe, et il est fort probable que, dès son règne, il en étendit les stipulations essentielles à Huy, à Dinant, à Tongres et à Ciney. La charte d'Albert est, en quelque sorte, la consécration de la condition juridique acquise par les bourgeoisies liégeoises à la fin du XIIe siècle. Elle exempte les cives de la taille et du service militaire, sauf dans le cas d'attaque de l'évêché; elle restreint la juridiction synodale aux cas particulièrement réservés au for ecclésiastique; l'échevinage est reconnu comme le seul tribunal devant lequel puissent être régulièrement cités les bourgeois; le jugement de Dieu et le duel judiciaire sont abolis. »

« Il n'existe malheureusement, dans ce texte, aucun article relatif aux magistratures urbaines. Les échevins seuls y sont mentionnés. Mais nous savons par ailleurs que, dès cette époque, ils n'étaient plus, à Dinant au moins, les seuls fonctionnaires de la ville. Dès 1196 apparaissent à côté d'eux les jurati. »

M. Pirenne remarque avec raison que cette mention des jurés de Dinant en 1196 est la plus ancienne connue au pays de Liège. A Liège même, on ne constate leur existence qu'à partir de 1230, mais nous pouvons affirmer que cette ville eut ses Maistres dès la fin du XXIIe siècle. Un texte précieux et non utilisé jusqu'aujourd'hui nous fait connaître parmi les Maistres de la Cité en 1197, Winand de Souverain-Pont, Renier Sureal et Henri Crekilhons.

Peut-être trouvera-t-on étrange de rencontrer ici trois des maistres de la Cité, alors qu'il n'y en eût jamais que deux en charge; mais il est permis de supposer que les citoyens investis de cette dignité nouvelle ont conservé le nom de maistres, même après leur année d'exercice, comme cela s'est toujours pratiqué depuis.

Sans doute, la pénurie des documents parvenus jusqu'à nous est telle qu'il faut descendre en 1231, puis en 1243 pour découvrir les noms d'autres maistres de la Cité; mais nous avons encore une charte du 10 mai 1240 par laquelle « li maires, li maistre, li eschevin, li jureit et tos les citains delle Citeit de Liège,» déclarent que l'évêque ne peut commander les Liégeois aux armes, ni frapper monnaie qu'après avoir obtenu ses régaux de l'empereur. Prétendre avec M. Demarteau que les maistres de la Cité « paraissent n'avoir eu d'abord qu'une existence intermittente », serait singulièrement comprendre l'histoire. N'est-il pas évident, au contraire, que la magistrature communale une fois établie et reconnue par le pouvoir impérial, il faut admettre a priori qu'elle a continué à fonctionner régulièrement.

Il est impossible, vu le mutisme des documents contemporains, de se faire une idée précise de l'organisation communale à ses débuts. Tout naturellement on peut admettre que les attributions des maistres et des jurés, mal définies d'abord, se sont consolidées et étendues par la marche des idées et la force d'expansion inhérente aux institutions naissantes. Les rares documents qui nous sont parvenus, nous montrent d'ordinaire les maistres et les jurés associés au mayeur et aux échevins. On en a conclu qu'ils siégeaient ensemble. Ne s'est-on pas trop hâté ? A-t-on examiné si les actes émanés de ces pouvoirs réunis avaient bien pour objet des intérêts purement administratifs ou ne se rapportaient pas plutôt à l'intérêt général ? Pour permettre au lecteur de se faire une opinion sur ce point controversable, nous allons placer sous ses yeux les éléments du débat.

1232 (n. st.), 17 janvier. Le prévôt, le doyen, les archidiacres et tout le chapitre de la grande église de Liège; le maire, les échevins et les autres citoyens de cette ville déterminent la manière dont on lèvera l'accise à Liège.

Accord des pouvoirs publics. L'absence des maistres et des jurés est inexplicable.

1237, décembre. Le prévôt, le doyen, les archidiacres et le chapitre entier de la grande église, « li maires, li eschevin, li jureit et toz communs de la citeit de Liége,» déclarent s'être mis d'accord au sujet des degrés existant entre la cathédrale et le marché. Ils appartiennent à l'immunité, « ne sor ces degreiz imines ne povrat ons jamais faire jugement ki monte à honor d'omme, ne a mort, ne a sanc. »

1238, 19 mai. Le chapitre de Saint-Lambert, le mayeur, les échevins et les citains (ceterique cives) font savoir que pendant un an la Fermeté percevra sur les choses vénales autant qu'elle l'a fait du temps de l'évêque Hugues de Pierpont pour l'acquisition de Saint-Trond; et que la moitié du produit de cette taxe servira à couvrir les dépenses occasionnées par le siège du château de Poilvache, et l'autre moitié à l'entretien des murs de la Cité.

1240, 10 mai. Le maire, les maistres, les échevins, les jurés et tous les citoyens de Liège attestent que leur évêque ne peut réclamer le service militaire de sa ville épiscopale s'il n'a reçu ses droits régaliens de l'empereur.

1242 (1243 n. st.), avril. Le maire, les échevins les maistres et jurés et toute la commune de Liège font savoir qu'ils ont donné en rendage perpétuel à Lambert de Solier, au prix d'un denier d'or par an, le fossé qui se trouve Outre-Meuse, etc.

Ici le mayeur et les échevins paraissent bien agir au nom de la Cité, de concert avec les maistres et les jurés. Il est toutefois à remarquer que l'intervention des échevins était de droit commun pour les actes de cette nature.

1250, novembre. Le mayeur, les échevins, les maistres, les jurés et les autres citoyens, résistant aux sollicitations des Grands, et en présence des protestations des Petits, déclarent qu'ils ne donneront rien à titre de subside, à ceux qui se feront créer chevaliers.

Nous ne prolongerons pas ces citations, nous réservant de revenir sur certaines chartes d'un intérêt plus spécial. Bornons-nous à une remarque, à propos de la formule ceterique cives Leodienses qui termine invariablement toutes ces énumérations des autorités agissantes. Cette formule paraît n'avoir aucune signification essentielle, car elle se retrouve dans les chartes purement échevinales où aucun intérêt public n'est en jeu. Un premier exemple en a été donné ci-dessus. Un second nous est fourni par un acte de 1212, où le mayeur, les échevins, aliique cives Leodienses attestent une donation de biens faite à la léproserie de Cornillon. Ces expressions en quelque sorte platoniques et de stylo, disparaissent des actes échevinaux à partir de 1260.

Avant de terminer ce chapitre nous avons à signaler un dernier point historique, attestant nettement le prestige dont les échevins de Liège avaient su environner leur tribunal dès la première moitié du XIIIe siècle. Nous voulons parler des privilèges accordés par les comtes de Looz à la plupart des villes de leur territoire. Celui-ci était alors entièrement indépendant de l'évêché de Liège, et la réunion des deux pays n'était pas à prévoir. On peut donc s'étonner qu'un souverain ait accordé comme une faveur à ses sujets, le droit de se pourvoir en justice à une cour étrangère, et le fait ne peut guère s'expliquer que par l'éclat dont celle-ci brillait alors. Les textes de trois de ces concessions sont seuls parvenus jusqu'à nous, à savoir ceux qui concernent Hasselt 1232, Beringen 1239 et Curange 1240; ils ne diffèrent guère entre eux et on peut supposer que les autres étaient calqués sur le même patron. Le comte, de l'avis de ses vassaux, accorde aux habitants de ces localités les mêmes libertés, le même droit que ceux dont jouissent les citoyens de Liège; si les échevins locaux ont à juger un cas difficile, ils prendront la recharge aux échevins de la Cité. Sans aucun doute, c'est à dater de ces concessions que les habitants intra muros des villes du comté de Looz furent régis par le droit liégeois, alors que le droit lossain resta en vigueur pour ceux extra muros. On distinguait pour ces villes, la justice interne et externe, et les registres étaient tenu séparément, mais c'était les mêmes échevins qui siégeaient dans les deux cours.

LISTE CHRONOLOGIQUE
DES ECHEVINS DE LIEGE
1260-1468

Henri de Neuvice, 1233 + 1272
Alexandre delle Ruelle, 1233-1262
Adam delle Ramée, 1240-1262
Everard del Low, 1241-1266
Alexandre de Saint-Servais, 1248-1266
Baudouin de Saint-Servais, 1250-1265
Gérard des Canges, 1250-1272
Jean de Lardier, 1253 + 1282
Gilles de Lardier, 1260
Gilles Surlet, 1257 + 1284
Radoux d'Isle, 1260 + 1273
Mathieu le Prévôt, dit Mathon, 1260 + 1285
Pierre Boveaz, 1260 + 1282
Gilles de Neuvice, 1260-1280
Jean Godons, 1261-1288
Gilles Cramadars, 1266-1291
Lambert le Fou, 1268-1276
Jean d'Anixhe, 1267-1282
Richard li Oveiz, 1268-1269
Jean Kokelet, 1264 (?)-1273
Henri Polarde, 1272 + 1300
Godefroid l'Oveit, dit del Falcon, 1272-1282
Louis Surlet, 1275-1299
Thierry deSaint-Servais, 1275 + l304
Jacques de Lardier, 1275 + 1308
Jacques Chabot, 1280-1303
Gilles de Coir, vers 1280
Lambert delle Fosse, 1282 + 1283
Jean de Saint-Martin, dit delle Rose, 1282 + 1312
Jean de Hainaut, 1283 + 1293
Everard d'Isle, 1284-1292
Gérard Pipelet, 1285-1303
Jacques de Coir, 1285 + 1312
Jean de Lardier, 1285 + 1307
Jean Surlet, chevalier, 1285 + 1312
Henri de Saint-Servais, 1293 + 1312
Francar de Saint-Servais, 1292-1308
Lambert delle Fontaine, 1293-1308
Gilles delle Cange, 1293 + 1307
Jean de Coir, 1301-1308
Fastré Baré, chevalier, 1301-1332
Baudouin de Dinant, 1305 + 1312
Gilles Rigo, dit l'Affamé, l306-1308
Gilles le Beau, 1307-1316
Lambert d'Upigny, 1308-1312
Arnold de Charneux, chevalier, 1308 + 1311
Gilles Skillet, 1308
Jean d'Avennes, 1311 + 1312
Jean de Binche, 1311 + 1312
Henri de Lardier, 1311 + 1312
Pierre Boveal, 1312-1321
Gilles de Charneux, chevalier, 1314 + 1321
Nicolas de Charneux, 1314
Jean Surlet, dit de Lardier, chevalier, 1314-1348
Henri le Moine, 1314
Baudouin de Hollogne, 1314-1326
Guillaume de Flémalle, 1314 + 1328
Goswin Payen de Warzée, 1314-1320
Gérard Nadon, 1314-1333
Jean Hannoseal, 1314-1328
Gilles de Mouchet, 13l4 + 1326
Jacques de Florence, 1314-1317
Eustache de Crisgnée, chevalier, 1314 + 1334
Henri Zutemine, 1316-1333
Gilles Becherons, 1316 + 1325
Henri le Blavier, 1319 + 1331
Alexandre de Saint-Servais, chevalier, 1321-1350
Jean de Flémalle, 1323 + 1328
Jean Buchar, chevalier, 1323-1336
Henri le Beau, chevalier, 1329-1367
Louis d'Ouffet, chevalier, 1329 + l348
Coune de Lonchin, chevalier, 1329-1348
Renard de Berneau, 1329-1335
Barthélemy Mulrepas, chevalier, vers 1331
Radoux le Blavier, 1331 + 1337
Antoine le Blavier, 1331 + 1337
Tilman de Rosmel, 1334-1345
Nicolas de Peron, 1334-1349
Jean de Brabant, 1335 + 1353
Jean Boileau de Mons, chevalier, 1335-1344
Baudouin Paniot, 1337-1352
Gilles Mathon, chevalier, 1337 + l345
Jean Hochet, 1338 + 1342
Thierry de Moylant, 1338 + 1340
Hubin Baré, chevalier, 1338-1346
Jean Polarde, chevalier, 1342-1366
Jean de Langdris, chevalier, 1343-1347 (?)
Renard de Schönau, l345
Arnold de Charneux, chevalier, 1345-1366
Hubin Harduin, 1346-1360
Nicolas de Fraipont, chevalier, vers 1348
Jacques Chabot, chevalier, 1348-1362
Guillaume Proest, 1349-1370
Jacques de Metz, 1349 + 1361
Jean des Prez 1351 + 1354
Herbert des Prez, 1351-1353
Jean le Roberes, 1351-1372
Jacques de Moylant, 1351 + 1361
Jean Waldoreal, 1353 + 1371
Raes de Haccourt, chevalier, 1354-1385
Thibaut de Langdris, chevalier, 1354 + 1357
Lambuche Gailhart, 1354-1359
Baudouin deSaint-Servais, chevalier, 1357-1367
Henri de Fexhe, chevalier, 1357-1363
Jean de Skendremale, chevalier, 1361-1382
Thierry de Moylant, chevalier, 1362-1386
Guillaume Proest de Melin, chevalier, 1365 + 1388
Henri de Hemptines, 1366-1370
Adolphe de Charneux, chevalier, 1366-1379
Jean delleVaulx, chevalier, l367-1370
Arnold de Warnant, chevalier, 1367 + 1371
Herman de Cologne, 1368 + 1382
Jean del Coir, 1369-1386
Lambert Rosseal, 1369-1386
Gilles Chabot, chevalier, 1372-1386
Lambert d'Oupey, chevalier, 1372
Antoine del Wetringhe, chevalier, 1372 1374
Nicolas Oem, 1372-1374
Eustache Chabot, 1372 + 1374
Raes de Waroux, 1374-1386
Collard de Thuin, 1374-1382
Bertrand de Liers, chevalier, 1374-1386
Humbert Corbeau de Hognoul, 1376-1381

Thierry de Berlo, 1377-1386
Gérard delle Hamaide, 1381-1386
Guillaume de Horion, chevalier, 1382-1386
Jean de Bierset, 1383-1386
Guillaume de Bierset, 1383-1386
Jean de Frères, 1384-1386
Guillaume de Graaz, 1386
Jean de Bernalmont, chevalier, 1386-1392
Jean le Clockier, chevalier, 1386 + 1414
Henri de Guygoven, chevalier, 1386-1415
Gilles de Jamblinne, 1386-1417
Libert Polarde d'Odeur, chevalier, 1386 + 1399
Jean delle Roche, chevalier, 1386-1419
Jean Bonvarlet, 1386-1397
Jean de Houtain, 1386 + 1417
Guillaume d'Athin, 1386-1405
Laurent Lamborte, 1386-1405
Constant le Fondeur, 1386-1394
Jean van der Beke, 1386-1393
Jean de Borlé, 1386-l396
André Chabot, 1393 + 1407
Jean Rosseal, 1393 + 1406
Thierry Cloes, 1396 + 1414
Jacques Chabot, chevalier, 1398-1418
Clément Vacheresse, 1399-1410
Guillaume de Borlé, 1399-1419
Thierry de Mirlo, dit de Cheval, 1399 + 1421
Guy de Slins, 1407 + 1422
Arnold de Here, 1409-1411
Antoine Yserman, 1409-1414
Henri Coen, 1409 + 1437
Henri de Oudewater, 1411-1417
Jacques de Gothem, chevalier, 1412-1433
Renier de Bierset, 1414 + 1432
Guillaume Wilkar d'Awans, 1414 + 1424
Renier de Vrolo, 1415-1432
Raes de Guygoven, 1415-1430
Jean le Polain de Hollogne, 1417 + 1438
Wauthier d'Athin, 1417-1433
Henri Polarde, chevalier, 1418 + l438
Jean Gulardin de Waroux, 1419 + 1449
Thierry de Fléron, 1419-1433
Henri de Halendas, 1421 + 1433
Franck delle Roche, 1421-1442
Jean le Polain de Waroux, 1422 + 1436
Gilles de Seraing, pannetier, 1424 + 1445
Jean delle Bare, 1432-1436
Guillaume de Villers, 1433-1455
Jean de Seraing, 1433 + 1444
Libert Textor, 1433-1465
Thierry de Haneffe, vers 1434
Jean de Beausaint, 1434-1439
Jean Olivier, dit de Paon, 1435 + 1455
Jean Toussaint d'Oreye, 1435 + 1455
Jean de Coir, 1437-1465
Abraham de Fexhe, dit de Falcon, 1437-1450
Gilles de Fanchon, 1437-1457
Henri de Waroux, 1438 + 14?9
Lambert Bibon, 1439-1456
Baudouin le Polain de Hollogne, 1440 + 1456
Henri Grégoire, 1440 + 1446
Henri de Dessener, 1443-1446
Jean de Trina, 1445-1450
Gérard de Seraing, pannetier, 1445-1468
Jean Chabot, chevalier, 1446 + 1454
Jean Damesart, 1446-1465
Jacques de Lonchin, 1450-1459
Jean delle Falloise, 1450-1465
Jacques de Morialmé, 1451-1465
Thierry de Bastogne, 1454-1468
Jean de Sovet, 1455-1468
Jean Persant de Warnant, 1455-1465
Alexandre Bérart, 1455-1468
Ameil de Velroux, 1456-1465
Tilman Waldoreal, 1456-1459
Guillaume de Bellefroid, 1458-1459
Godefroid de Froidmont, 1460-1465
Henri Grégoire, 1460-1462
Baudouin de Hollogne, chevalier, 1462-1468
Jean le Proidhomme, 1463-1468
Gilles de Brialmont, 1467-1468
Gérard Goessuin (?), 1467-] 468
Gérard Tollet, 1467-1468
Jean de Seraing, chevalier, 1467 + 1468
Jean Heylman, 1467-1468
Mathias Haweal, 1467-1468
Godefroid (?) de Marneffe, 1468
Collar (?) le Berwier, 1468
N de Streelles, 1468

SOURCE:

LES ECHEVINS
DE LA SOUVERAINE JUSTICE
DE LIEGE

TOME I

C. DE BORMAN
500 Pages

LIEGE - 1892

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