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LES ENCEINTES DE LIEGE

La plus ancienne enceinte de Liège

par Théodore GOBERT

Rien ne provoquerait davantage l'étonnement des Liégeois du régime princier, s'il leur était donné de revoir la cité natale, que l'absence absolue de remparts et de portes. Jadis, aucune ville digne de ce nom n'en était dépourvue. Une enceinte fortifiée formait l'un des caractères principaux, l'un des apanages distinctifs des villes affranchies.

Aujourd'hui, les centres urbains sont pleinement ouverts. Chacun y pénètre en toute liberté à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Tel n'était pas le cas autrefois. Impossible de quitter la ville, impossible d'y rentrer le soir, si ce n'est par quelques passages spécifiés, soigneusement surveillés et à la condition d'exhiber des papiers en règle. A partir de certaine heure, la nuit, les entrées, ou plutôt les portes, demeuraient inexorablement fermées. Cette situation a perduré pendant une longue succession de siècles, jusque fort avant dans le XIXe.

De nos jours, cette antique coutume serait, à juste raison, considérée abusive et tracassière. A tort pourtant voudrait-on découvrir dans son abolition l'effet unique de l'adoucissement des moeurs et d'une civilisation raffinée. Elle a été amenée surtout par les progrès de la balistique. C'est le seul résultat vraiment avantageux du perfectionnement des armes, spécialement de l'artillerie, qui rendit les remparts inutiles. Leur suppression a été accueillie avec un vif soulagement tant par le monde du commerce que par la population en général.

Cependant, c'est avec un vif regret que les archéologues ont constaté la dispartion de ces vestiges d'un lointain passé, de ces portes qui, presque toutes, offraient un cachet architectural. C'étaient des monuments d'une piquante originalité. Les uns et les autres transmettaient, à Liège, des souvenirs plusieurs fois séculaires, chers à la nationalité.

Aussi n'est-il guère de questions qui émeuvent autant le sentiment patriotique que l'étude des anciennes fortifications de notre cité. Elle est intimement unie à celle des développements et à l'histoire même de la ville. Mû per cette considération, j'ai cru utile de consacrer la présente notice à perpétuer la mémoire des plus vieux ouvrages défensifs qu'ont connus nos aieux,


I - Fortifications légendaires.

Presque tous nos chroniqueurs ou historiens se sont occupés de l'érection première des remparts de Liège. Exceptionnels sont ceux qui en ont fait une étude sérieuse. L'immense majorité d'entre eux, même dans les temps modernes, se sont bornés à prendre leurs renseignements à l'inépuisable fonds du chroniqueur liégeois qui, avant tout autre, a écrit en langue vulgaire, en vieux français, à Jean d'Outremeuse.

Lui tout d'abord, grâce à son imagination féconde, n'a pas hésité à résoudre le difficile problème que n'avaient osé entreprendre ses devanciers. Pour cet écrivain du XIVe siècle, c'est le successeur immédiat du premier fondateur de Liège, c'est saint Hubert qui, au début du VIlle siècle, a entouré la cité naissante de murs épais, reliés au-dessus des voies principales par trois portes solides: la porte Saint-Pierre, au pied de Publémont, la porte Hasselin, au travers de Féronstrée, et la porte du Vivier, en face de Souverain-Pont. En vue de garantir mieux encore les approches de l'agglomération, ajoute Jean d'Outremeuse, sur la colline de Publémont, au-dessus de la Haute Sauvenière, a été dressé le château Saint-Michel ou Sylvestre, qui dominait la ville et ses abords (1).

Un siècle après, l'an 810, selon le même auteur, un héros légendaire qui lui est cher. Ogier le Danois, serait venu rendre plus forte la position de Liège par l'adjonction d'ouvrages avancés: le château Saint- Georges, près de l'église de ce nom, et le château Sainte-Catherine, aux environs de ce qu'on appelle maintenant rue du Pont (2).

J'ai eu, autre part, l'occasion de m'assurer du peu de fondement des remparts et des châteaux-forts qui auraient été construits par saint Hubert, voire au siècle suivant par Ogier le Danois. Au moindre contact de la critique historique, ils disparaissent comme par enchantement. On n'en connaît, d'ailleurs, que ce que l’historien romancier du XIVe siècle en a dit. Aucun annaliste, aucune charte, aucun document quelconque antérieur à cet écrivain n'émet la moindre allusion à ces constructions chimériques, reléguées désormais dans le royaume des mythes.

En vue de faire accepter les fantaisistes assertions du conteur du XIVe siècle, ses rarissimes défenseurs présentent, comme restes des monuments indiqués par lui, les pans de murs et les voûtes, solides, à la vérité, que la pioche des terrassiers a rencontrés près du marché aux fruits du quai de la Goffe, l'an 1864, lors de l'établissement de l'égout latéral, et le 14 mai 1891, à l'occasion de la pose de conduites d'eau alimentaire. Avec quelques faibles notions de topographie locale il eût été aisé de reconnaître, en ces maçonneries, les vieux murs de biez qui allaient jadis actionner des moulins en Draperie, à l'emplacement des rues de la Barbe d'Or et Sur les Foulons, biez voûtés en des siècles relativement récents.

Qui ne sait, au surplus, qu'au VIII siècle et au suivant, l'architecture restait dans nos régions à l'état primitif ou peu s'en faut? Les Francs ignoraient l'art de bâtir, comme l'affirme Becquet, de Namur, lequel ajoute avec sa compétence connue: « Aucune construction avec murs en maçonnerie ne fut élevée dans le nord de la Gaule, depuis le Ve siècle jusqu'à Charlemagne (3) a. De fait, les habitations de Liège au temps de saint Hubert et longtemps après lui, ne se composaient que de masures à simple rez-de-chaussée formées d'argile et de branches d'arbre. Les églises elles-mêmes offraient si peu de solidité que la moindre rafale les faisait branler et qu'il fallait les renouveler assez fréquemment. Au milieu du IXe siècle encore, les maisons des Liégeois restaient très chétives, à en croire Sédulius et l'annaliste Prudence de Troyes, tous deux contemporains. Ce dernier ne rapporte-t-il pas qu'en mai 858, des inondations pluviales suffirent à renverser et à entraîner les demeures, voire les édifices locaux, jusqu'à l'église Saint­Lambert (4) ?

N'oublions pas, en outre, que sous le pontificat de saint Hubert, Liège ne formait qu'une bourgade et que, par conséquent, en aurait-on eu les moyens, nul n'eût songé à fortifier une aussi modeste localité.

M. Kurth, dans son savant ouvrage Le Notger de Liege, l'a parfaitement établi avec de nombreux textes péremptoires à l'appui: c'est seulement à la fin du lXe siècle, en suite des incursions désastreuses de peuplades à demi-barbares, que les villes de la Germanie, d'origine romaine, relevèrent leurs murs d'enceinte et au suivant que d'autres centres urbains, imitant cet exemple, se munirent de remparts protecteurs (5).

Mais, notons-le, même à cette époque, bien des villes ne seront pas capables de s'environner de murs défensifs en pierre; elles devront se contenter de dresser une ligne de barricades entourées de fossés. La plupart d'entre elles maintiendront le système de fortifications en bois jusqu'au XIIIe siècle; Tongres est du nombre.

Les circonstances s'opposèrent à ce que notre cité se mît de bonne heure à l'unisson des agglomérations impériales. Elle commençait à peine à sortir des ruines accumulées par l'inondation de l'an 858 que les cruels Normands la faisaient périr dans les flammes. Une première fois, l'évêque Hartgar avait sauvé la ville de la funeste invasion de ces pirates en allant leur livrer sur les bords du Rhin, à la tête d'une jeune mais brave armée, un victorieux combat, le premier peut-être auquel participa la milice liégeoise. Les hordes du Nord, revenues brusquement en 881, pénétrèrent à Liège , sans éprouver la moindre résistance vraisemblablement, sans être retenues, en tout cas, par le moindre obstacle, la pillèrent d'une façon effrénée et ne l'abandonnèrent qu'après l'avoir livrée au feu.

Quel long laps de temps il fallut à la pauvre cité pour ressusciter de ses cendres! Ses rares monuments publics n'avaient pu encore être relevés assez avant dans le siècle suivant. Pour comble de malheur, l'année 954 vit notre territoire dévasté à nouveau, ruiné horriblement par des bandes de Hongrois, qui, naturellement, trouvèrent la cité ouverte à leur irruption et à leurs violences, comme l'atteste le véridique Anselme (6).


II. - Premiers travaux de défense.

C'est dans ces désolantes conditions matérielles et morales qu'Éracle vit notre ville lorsqu'il y monta sur le siège épiscopal l'an 959. La position se présentait d'autant plus pénible, d'autant plus désespérée, que, de toutes parts, les vassaux se rebellaient, se coalisaient en vue de se soustraire à la dépendance impériale et de s'attribuer par les armes une souveraineté effective. Ces dispositions subversives des petits princes se manifestaient avec plus d'intensité encore dans les territoires ressortissant pour le spirituel à l'Église liégeoise. A une lieue et demie à peine de Liège, le perfide et tyrannique comte Immon, retranché superbement dans le château-fort de Chèvremont, que ses défenses naturelles semblaient rendre inexpugnable montrait envers tous une arrogance dédaigneuse. Trop souvent la garnison du redoutable castel se ravitaillait par des raflades opérées aux environs et jusque dans la cité.

Malheureusement, les rapines et les violences du fier Immon n'étaient pas les seuls maux dont Liège eut à souffrir. Le dénuement et une démoralisation complète demeuraient le partage des Liégeois, et, à plusieurs reprises, des émeutes avaient surgi, conséquences inévitables du désordre des esprits et des choses.

En face de ces périls du dedans et du dehors, sa qualité d'homme prévoyant ordonnait au chef du diocèse de ne point se borner aux remèdes d'ordre moral. Ses efforts durent tendre avant tout à garantir la cité contre les incursions d'aventuriers, pillards, incendiaires parfois, au moyen d'une enceinte fortifiée. Plus que tout autre, il avait regretté l'impossibilité absolue de l'établir en présence du désarroi général et de l'extrême pénurie des finances.

Ce ne fut pas assez pour provoquer l'inaction du pontife liégeois. Il n'ignorait pas la propension qu'avait eue la ville dans le principe et qu'elle manifestait plus que jamais à se développer vers l'Ouest, pour des motifs que nous avons exposés ailleurs. Le prélat ne ménagea aucun effort pour l'accélérer. Vers le milieu de la colline non encore déboisée de Publémont, il jeta les fondements de l'abbaye Saint-Laurent. Plus bas, il fit ériger un temple qui, dans la pensée d'Eracle, devait former la base d'un plan d'importance capitale. Remplissant ici le rôle de souverain, quoique n'en ayant ni le titre ni les honneurs, le chef du diocèse ne songeait à rien moins qu'à déplacer le centre de la cité en transférant sur la montagne voisine, le siège des principaux services publics. N'est-ce pas la cathédrale même qu'il tint à élever en Publémont ? En tout cas, il plaça le monument sous les vocables de sainte Marie et de saint Lambert, ainsi que l'était l'ancienne cathédrale qu'il aura voulu remplacer et qui restait à l'état de ruines.

Dans le projet d'Eracle, qu'a signalé le premier M. Joseph Demarteau, le nouveau temple devait aussi former notre plus ancien ouvrage défensif. Il était appelé à faire l'office d'une citadelle, capable d'abriter la jeune milice liégeoise qui déjà avait fourni des témoignages de sa vaillance et de son intrépidité.

A ce même endroit serait bâti le propre palais d'Eracle, siège à la fois des principaux services administratifs et de la résidence de l'évêque. Situé sous la protection de cette milice et de cette fortification, ce Palais et ses dépendances pouvaient être défendus à la fois contre les agitations des sujets rebelles et contre des ennemis extérieurs.

L'authenticité de ce dessein d'Eracle est attestée par une charte en date du 2 juin 965 émanant du pontife même et dont on possède la teneur exacte. Elle est destinée sans doute à confirmer la fondation de l'édifice religieux méditée par l'évêque, mais là ne paraît point avoir été son but principal. La solennité qui a présidé à la passation de cet acte avère l'intérêt puissant attaché au plan d'Eracle. Telle est, en effet, la valeur de ce plan que le chef du diocèse liégeois ne se reconnaît pas le droit de l'exécuter de son gré unique. Bien plus, il ne se contente pas d'obtenir l'assentiment plein et entier de ce qui constituait en germe les Etats du pays, du corps des chanoines de Saint-Lambert et de l'élite de la population de Liège.

L'an 965 se tint à Cologne une assemblée solennelle ayant pour objet la solution de graves questions politiques et administratives. On y remarquait la présence des plus éminents hommes de l'Etat et de l'Eglise, notamment celle de l'empereur Othon, de son fils, roi de Germanie, et de Lothaire, roi de France. Eracle crut devoir profiter de ces mémorables assises pour y exposer son projet et solliciter l'approbation de tous ces augustes personnages.

C'est ce qu'il déclare dans le document diplomatique (7).

L'évêque débute en insistant très discrètement sur les difficultés de sa mission, sur les « angoisses » qui l'ont « entouré de toutes parts », sans qu'il sût â quel parti s'arrêter. Il rappelle aussi qu'en l'occurrence il ne fait que céder aux conseils réitérés de « ce haut et incomparable prélat, l'archevêque Brunon ». Puis entrant dans le développement de son dessein, il annonce en ces termes la translation méditée de son Palais et des principaux services administratifs:

« Pour que le lieu antique de notre siège fût, lui aussi, honoré à jamais et ne souffrit pas dommage des rudiments de notre travail, j'ai choisi sur la montagne nommée Publémont, un endroit assez agréable, plateau d'où l'on domine la vallée et où notre siège et cette demeure, dite maison de l'Evêque, seraient transférés de par l'autorité du seigneur Brunon, à qui je dois tout, par l'ordre aussi du puissant Empereur et César, du consentement également de notre clergé et de ce qu'il y a de mieux dans la population. »

Les illustres approbations n'ont point manqué aux conceptions d'Éracle. Sous ce rapport, la charte qui les contient est l'une des plus riches de notre pays. Elle porte les attestations de l'empereur Othon, de son fils le roi de Germanie, de Lothaire son neveu, roi de France, des archevêques de Cologne, de Trêves et de Reims, de tous les évêques présents de la Basse-Allemagne, de ducs, de comtes, etc., et, à la fin, elle est revêtue du visa en due forme de l'archevêque duc Brunon, comme grand chancelier de l'empire.

Aurait-il été nécessaire de recourir à cet imposant concours de personnages officiels si Éracle n'avait eu en vue qu'une simple fondation religieuse?

Que d'autres se refusent à reconnaître dans ce document diplomatique, si décisif pourtant par son texte, l'intention d'Éracle de transporter sa résidence et ses dépendances sur la crête de Publémont, ils n'en seront pas moins forcés de s'incliner devant le témoignage des faits. Le projet mûri avec tant de prudence et de circonspection, l'évêque l'a réellement exécuté. L'un des biographes dÉracle, qui écrivait un demi-siècle après lui, le sincère Anselme, le déclare d'une façon positive. Après avoir abattu partiellement le bois touffu qui couvrait les flancs de la colline, Eracle éleva son hôtel épiscopal sur le mont « où est maintenant assise l'église Saint-Martin », pour employer les propres termes de l'annaliste (8). C'est au pied de la tour même, au bord sud est de la côte escarpée, qu'il fixa sa résidence.

Quant au temple, il reposait sur la croupe de la montagne, là où les deux versants sont véritablement à pic. Cette position, des mieux choisie, offrait des perspectives superbes évidemment; elle se prêtait davantage encore à la défense. Pourquoi cet édifice religieux, qui, dans la pensée d'Éracle, devait être dédié à saint Lambert et à la Mère de Dieu, comme la cathédrale de la vallée, fut-il quelques années après placé sous le vocable de saint Martin? On peut, avec beaucoup de vraisemblance, découvrir des rapports entre ce revirement et l'émeute qui eut le nouveau Palais pour théâtre peu après son installation. On se rappelle qu'un jour la populace en furie, pénétrant à l'improviste dans la résidence du pontife, la mit au pillage, enfonça les tonneaux de vin et fit couler le précieux liquide sur la pente abrupte jusque dans la rivière de la Sauvenière (9).

Anselme, de qui l'on tient le récit, s'abstient d'exposer les causes de cette rébellion. Ne faut-il point les rencontrer dans les transformations qu'Eracle apportait à la situation de la cité? A n'en pas douter, bon nombre de Liégeois auront vu d'un mauvais oeil transférer en dehors de la ville proprement dite le siège des services généraux: le Palais et la cathédrale. Avec non moins de déplaisir ils auront remarqué que l'église en construction n'avait pas une affectation exclusivement religieuse, qu'elle était appelée à servir de château-fort contre les ennemis du dehors mais aussi contre ceux du dedans, et ils se seront efforcés d'empêcher par la violence l'érection de cette première citadelle, exemple qui sera suivi par leurs descendants au XIIIe siècle, au XVIIe à plusieurs reprises, et au XVIIIe encore contre une autre citadelle.

N'est-ce pas également la vive opposition du peuple qui aura empêché le faible Eracle de persister dans son dessein si mûrement conçu, car ce dessein a été abandonné par lui?


III. - L'enceinte de Notger.

Eracle a disparu de ce monde le 27 octobre 971. Si laborieux, si méritoires qu'aient été ses efforts, il fut surpassé et de beaucoup par son successeur immédiat, le grand Notger, dont le nom demeurera pour Liège, à côté des premiers fondateurs, la personnalité la plus marquante. Chez lui se réunissaient les vertus privées, le talent de l'administrateur, le génie du législateur, en un mot toutes les qualités qui font les hommes illustres. Son action se fera sentir d'une façon prépondérante, durant de longues centaines d'années sur la patrie liégeoise.

Notger devint le véritable fondateur de la principauté. Grâce à lui, l'indépendance et l'autonomie du territoire liégeois sont proclamées. Ce territoire forme un Etat distinct, et, en vertu d'une charte de reconnaissance d'Othon Il, du 6 janvier 980, le chef épiscopal jouit officiellement des prérogatives de la souveraineté (10). Notger agit en conséquence. Tandis qu'il fortifie prudemment l'État sur les frontières les plus menacées, Liège qui vient de prendre le rang de capitale, Liège voit, sous l'égide de son premier prince, s'ouvrir pour elle une ère nouvelle. Elle va s'agrandir et s'embellir d'une manière étonnante. Les ruines accumulées par les malheurs et les irruptions de jadis disparaissent successivement. Les édifices religieux à moitié détruits sont relevés. D'autres surgissent sur divers points. Tous accusent un caractère de grandeur, de solidité, inconnu ici jusqu'alors, qui les fera respecter autant que possible par le temps et par les hommes.

Délaissant le projet d'Éracle de déplacer le centre de la ville, Notger chercha avant tout à rendre à celle-ci la tranquillité et la sécurité, soit en montrant envers les perturbateurs invétérés une juste sévérité, soit le plus souvent en imposant le respect à tous par sa droiture et par son dévouement à la chose publique. Sa capitale finira par être débarrassée - non au moyen d'un stratagème indigne d'un prince ecclésiastique, mais après un siège régulier - des exploits malfaisants des brigands qui trouvaient un abri dans le château-fort de Chèvremont.

Notger ne se borna pas à éloigner toute cause immédiate d'agitation ou d'invasion en sa cité. Il voulut la défendre contre toute agression éventuelle de l'extérieur en utilisant les procédés que le progrès architectural mettait à sa disposition. Ses travaux de défense devaient donc avoir une importance autre que ceux d'Eracle. Ils allaient envelopper la ville entière. A Notger, en effet, revient l'honneur d'avoir doté notre cité de ses premiers murs d'enceinte. On a pour garant de ce fait principal de l'histoire locale le témoignage des écrivains qui ont pu voir le grand pontife à l'oeuvre ou qui, vivant à une date très rapprochée de l'événement, se trouvaient à même d'être exactement renseignés. Tous attestent que Notger, en donnant plus d'extension à la ville, l'environna de murs fortifiés (11).


IV. - Circuit général des remparts.

Déterminer d'une façon précise et complète le tracé que parcouraient les remparts primitifs est l'un des problèmes les plus ardus de l'histoire topographique de Liège. Jean d'Outremeuse s'est naturellement cru en état de le résoudre. Il nous présente une description de l'enceinte notgérienne, à laquelle il a assigné, selon son habitude invétérée, une antiquité fausse, en l'attribuant à saint Hubert. Voici, au surplus, en quels termes il s'exprime :

« Liege avoit troix portes. Le thour del Offichial en estoit ly une, si l'appelloit-ons le porte St-Piere, car l'égliese Saint-Piere seoit tantoist al defour del porte, et alloient les murs del citeit tout altour de Pissevaiche et encor les poleis veoir en Palais à Liege, où les maisons de Pissevaiche sont susfondees, et avaloient devant les Freres Minneurs desquendant jusques à Hasselhien-Porte qui estoit la seconde porte. Et alloient les murs parmy l'Evesque Court où ly Palais l'evesque estoit, venant à la riviere de Mouse, et par Mernier ruwe jusques à Viviers où la tierche porte estoit et encor est. De laqueile porte les murs alloient, tout solonc les preis où Mouse court ors, à Pont d'Isle, et alloient solonc les preis jusques à lieu où la Saubleniers est maintenant, passant tout parmy l'encloistre Saint­Lambert par derier l'hosteit del prevosteit en revenant à la porte Saint-Piere desseurdit (12).

Rien dans le chroniqueur du XIVe siècle ne révèle un archéologue sérieux; mais quelques sections des vieilles fortifications notgériennes demeurant visibles de son temps lui ont permis de fournir des indications assez exactes sur ces parties du circuit des murs. Dès que les données palpables lui ont fait défaut, l'écrivain, laissant libre cours à son imagination inventive, est tombé dans les erreurs les plus saugrenues. Il incombe à l'historien de faire, de ces dires, le départ du vrai et du faux au moyen des attestations de l'archéologie locale, à 'aide surtout des démonstrations tirées de nos antiques archives.

A ce propos, M. Kurth - et je l'en remercie - s'est plu, dans son Notger de Liège, à me rendre ce témoignage:

« Un seul homme à ma connaissance, a essayé depuis Jean d'Outremeuse, de donner une idée de la primitive enceinte de Liège. Dans son beau livre sur les Rues de Liège, M. Th. Gobert est revenu à diverses reprises sur l'enceinte notgérienne (13). »

M. Kurth cite ensuite la description dressée par moi du pourtour de la première enceinte, à l'article Rempart (14). Je m'exprimais ainsi:

« Les murs de Notger partaient, pour employer les termes topographiques modernes, de la station du Palais, se rattachaient au Palais qu'ils suivaient le long de la rue de ce nom, se prolongeaient directement en laissant à l'extérieur la rue Hors-Château, jusqu'à peu de distance de la rue de la Rose. Obliquant ensuite à droite, les remparts passaient au-dessus de la rue Féronstrée, au moyen de la porte Hasseline ou Hasselier, et se dirigeaient vers la Meuse à travers l'emplacement des propriétés séparant les rues de la Clef et Sur le Mont du quai de la Goffe. Ils remontaient le fleuve par le côté gauche des rues de la Cité et Sur Meuse (15), pour gagner la porte (16) du Vivier, à l'intersection des rues Souverain-Pont et Chéravoie. Par une nouvelle courbe, la ligne fortifiée aboutissait à une autre branche de la Meuse, qu'elle côtoyait le long de la place du Théâtre et de la rue Basse Sauvenière jusqu'aux degrés des Bégards. Là elle escaladait la colline, passait derrière l'église Saint-Martin pour redescendre vers Saint­Séverin et revenir au point de départ en face de la rue Saint-Pierre. »

Le docte professeur admet ma description dans ses grandes lignes. Il y découvre seulement deux points sur lesquels, dit-il, il lui est impossible de se ranger à mon avis.

Nous sommes, du moins, d'accord pour reconnaître que Notger, dans l'établissement des fortifications a escompté une extension future de la cité. Cette thèse est contraire aux dires de Jean d'Outremeuse qui ne trouvait pas sous ce rapport des données positives, mais elle est conforme au témoignage d'Anselme. Il suffit à trancher affirmativement la question.

L'île qui, pendant une succession de siècles, garda un caractère distinct, resta un quartier à part sous le nom Ile de Liege ou quartier de l'Ile, a été annexée à la ville par Notger. En l'année 997 encore on la disait située « devant la cité » = ante civitatem (17). Un demi-siècle après un biographe de ce pontife la donnera comme formant corps avec la cité (18). Quoique le même prélat ait octroyé au chapitre de Saint-Jean -Évangéliste la perception de la dime de l'île (19), ce quartier devait antérieurement relever à certains points de vue de la Cour d'Avroy, - comme Publémont d'ailleurs - car cette Cour conserva pendant des centaines d'années de nombreuses attaches avec l'île (20).

Jusqu'à la fin du Xe siècle, on ne rencontrait là qu'une vaste plaine basse et marécageuse, entrecoupée de massifs de broussailles et de bois sauvages. Très fréquemment, les flots de la Meuse, nullement contenus, submergeaient cette solitude et y balayaient tout ce qui n'offrait pas assez de solidité. Pour dégager cette ample surface marécageuse des eaux qui y croupissaient généralement, pour la soustraire aussi à ces inondations fréquentes, Notger procéda à la première dérivation de la Meuse qu'ait connue notre ville. Il l'effectua soit en redressant, en approfondissant et en élargissant, à l'emplacement des boulevards d'Avroy et de la Sauvenière, une branche du fleuve préexistante, à ramifications irrégulières, soit en frayant une voie fluviale nouvelle mais plus directe. Ce grand travail avait une triple utilité: hygiénique, commerciale et défensive.

Bientôt sur les points de l'Ile les plus rapprochés de la cité, l'on vit élever des habitations nombreuses, à tel point que Notger dut fonder là l'église paroissiale Saint-Adalbert, à proximité de la collégiale Saint-Jean. Pendant des années encore la partie méridionale de l’Ile maintint sa physionomie de terre abandonnée, sa végétation désordonnée. Naturellement, l'illustre pontife ne pouvait tenter d'entourer de remparts ce vaste quartier, inhabité pour bonne part, d'autant que le cours d'eau qu'il venait de rectifier et d'approfondir, joint à l'autre branche du fleuve qui le baignait à lest, le protégeait plus ou moins contre une agression du dehors.


V. - Description des remparts du versant sud-est de Publémont.

Il est une autre portion du territoire liégeois que, avant tout, Notger tenait à défendre puissamment, bien que non comprise dans la ville. Elle se prolongeait à l'ouest de celle-ci. Au temps auquel nous nous reportons, en effet, les limites de Liège ne franchissaient guère ce que nous connaissons sous le nom rue de la Rose, d'une part, et la Haute Sauvenière, d'autre part. Le véridique Anselme n'affirme-t-il pas catégoriquement que le lieu, inculte alors et occupé maintenant par l'église Sainte-Croix formait « le point culminant de la ville », qu’il la dominait (21). En somme, Liège restait enserrée entre les flots de la Meuse et le mont escarpé de Pierreuse, déjà habité pourtant, dans sa partie basse au moins.

Notger avait observé comme Eracle la tendance de la cité à s'étendre surtout vers les coteaux aux pentes douces et agréables de l'ouest. Reprenant sagement l'idée de son prédécesseur, il visa à fortifier ce qui désormais allait être qualifié Mont Saint-Martin. Tandis qu'à la tour, crénelée et percée de meurtrières, de l'église de ce vocable, il maintient son rôle de fortin, il renforce la position par un rang épais de murs solides qui se projettent un peu en amont, mais forment, grâce aux flancs abruptes du Mont Saint-Martin, une ligne défensive ininterrompue avec le rempart de la cité proprement dite.

Par où passaient les remparts à partir de la place dite de nos jours du Théâtre. Voilà l'une des questions qui soulèvent des divergences d'opinions.

Dans ma définition du circuit de la fortification notgérienne, je disais quelle s'étendait « le long de la rue Basse Sauvenière jusqu'aux Degrés des Bégards ». M. Kurth a compris que je place dans la vallée cette section de l'enceinte. C'est là le résultat d'une mauvaise lecture. Jamais je n'ai cru qu'il aurait pu venir à l'esprit de Notger, ou de n'importe qui, d'élever des remparts sur ce sol bas, irrégulier, très exposé, alors qu'il existait tout à côté, sur la colline, des défenses naturelles superbes, inaccessibles pour ainsi dire, d'où l'on dominait admirablement la ville et ses abords. J'ai si peu soutenu pareille thèse, que quatre pages plus loin, à propos de la désaffectation de l'enceinte première, je dis textuellement qu'alors « le rempart bordant la Basse Sauvenière remplit le rôle de mur de soutènement » (22).

Le reproche qu'on pourrait me faire, c'est de n'avoir pas déterminé d'une façon précise la ligne exacte que décrivait le rempart en quittant l'emplacement de la place du Théâtre. Mon silence ici a été intentionnel. En l'absence absolue de témoignages écrits ou de données topographiques positives, certaines, il a paru de mon devoir, pour ne pas exposer à induire en erreur, d'indiquer seulement Ia direction générale qu'avaient ces remparts avant d’atteindre le Mont Saint-Martin.

Si, cependant, il me fallait, bon gré mal gré, essayer de fixer le point de rencontre du tronçon d'enceinte venant de la place du Théâtre avec celui de Publémont, j'opinerais que la jonction s'effectuait là où s'échelonnent les Degrés de la Montagne. C'est à partir de cet endroit que commence le Mont Saint-Martin; c'est à partir de là que la colline offrait directement son flanc â pic, à l'ancien bras de la Meuse, dit de la Sauvenière, qu'elle en était baignée pour ainsi dire, tant il s'en approchait. A proximité de ces mêmes Degrés de la Montagne, en arrière de l'hôtel qui, partagé, porte aujourd'hui les numéros 9 et 11 au Mont Saint-Martin, se dresse une tour imposante, aux murs d'une épaisseur extraordinaire. Elle apparaît distinctement avec ses créneaux dans toutes les vues de Liège des siècles passés. Connue déjà il y a six centaines d'années sous la désignation « la grosse tour de Saint-Martin en Mont » (23), mais restaurée depuis, cette antique et massive bâtisse n'a-t-elle pas servi primitivement de redoute, au point de réunion des deux sections de l'enceinte ?

Quelque sérieuses que soient ces conjectures, je les présente sous la forme interrogative, car, je le répète, en se hasardant dans cette partie du circuit fortifié de Notger, on entre en plein dans le champ des suppositions. Tel est mon humble sentiment.

D'autres se sont félicités d'avoir été plus heureux en l'occurrence. Ce sont le vénéré professeur Kurth et son ami Gustave Ruhl, amateur de mérite du vieux Liége et de l'étude comparative des anciens ouvrages militaires en maintes villes régionales. Après avoir, comme je l'avais fait, examiné divers immeubles des hauteurs dont il s'agit, ils en sont arrivés à des conclusions qu'ils jugent définitives, Il importe donc de les faire connaître. Voici ce que M. Kurth estime « le seul tracé possible »:

« De la place du Théâtre, la muraille remontait la Haute Sauvenière, passait le long de la terrasse qui porte l'église Sainte-Croix, continuait par le Mont Saint-Martin jusqu'à l'église de ce nom où elle retrouvait la ligne de défense attestée par les plus anciens documents (24). »

Le zélé compagnon de M. Kurth dans ses exolorations, M. RuhI, se range naturellement à son jugement pour le fond, mais il est autrement explicite sur les développements de la section d'enceinte précitée

« Partons », dit-il, « de la porte ou tour de l'Official, soit l'Hôtel Continental, par la rue Saint-Michel. Après cette place, nous trouvons derrière l'hôtel de M. de Soer de Solières le mur soutenant, perpendiculairement à la Haute Sauvenière, le jardin de M. le curé de Sainte-Croix. Ce mur est à peu près la continuation des anciens cloîtres de Sainte-Croix avec appareil en blocage venant de l'ancienne ruelle Saint-Pierre et se reliant au jardin de M. Terwangne de Hasse. Ce mur se continue jusqu'aux Degrés des Bégards (25) ».

Pour éviter toute méprise, je me permettrai d'abord de faire observer que la porte de l'Official, qui n'est signalée dans aucun texte ancien, n'a jamais existé que dans l'imagination aventureuse du légendaire Jean d'Outremeuse - lequel la fait apparaître, au surplus, sous le nom porte Saint-Pierre - et chez ses copistes. J'ajouterai qu'à aucune époque la tour de l'Official n'a été érigée place Verte, ainsi que je l'ai longuement démontré dans un autre travail (26). Cette tour se dressait à côté du Palais, à l'emplacement de la place Notger. Seule la Cour de l'Official a été installée tout provisoirement, quelques années à peine, au XVIIIe siècle, au lieu indiqué, en suite de l'incendie qui, en mars 1734, détruisit la partie du Palais renfermant les locaux de ce tribunal. Si la porte et la tour de l'Official ont été évoquées comme point de départ de l'enceinte fortifiée, c'est uniquement dans la pensée, erronée, on l'a vu, d'être en harmonie avec Jean d'Outremeuse, au moins quant au point initial du tracé de l'ouvrage défensif de Notger.

Qu'importe, au reste, ce début manqué, si l'ensemble de la description nous fixe sur la ligne de démarcation véritable des remparts de ce côté, et c'est ce qu'on nous affirme. Au cours de leurs pérégrinations, MM. Kurth et Ruhl ont rencontré en maints immeubles « différents pans de murs dont l'appareil en blocage fruste et sans art, semble », écrit-on, « non seulement remonter à une époque très reculée, mais rappelle en tous points, comme structure, nos plus vieux édifices de l'époque contemporaine de Notger ou celle qui l'a suivie immédiatement (27) ».

Il n'y a pas, on le constate, de certitude que ces fragments de murs « remontent à une époque très reculée » ; c'est une simple présomption. Néanmoins, les auteurs de la découverte présentent leur tracé comme « le seul qui s'accorde d'une part avec les nécessités stratégiques et de l'autre avec les données de l'archéologie (28) ».

Avant de reconnaître le bien-fondé de cette sentence historique, qu'il me soit permis de soumettre quelques modestes objections à ses promoteurs.

Chez ces derniers, nous venons de le voir, la conviction n'est pas formée que les murailles en grès houiller, unique fondement de leur thèse, sont contemporaines de Notger. De fait, en de nombreux endroits de Liège, qui n'ont certes rien eu de commun avec les remparts notgériens, subsistent des murs en grès houiller auxquels la juxtaposition irrégulière des moellons, la construction grossière, l'épaisseur des parois et l'état de vétusté extérieur pourraient faire attribuer aussi une origine neuf fois séculaire, alors qu'en réalité, elles datent de cinq à six centaines d'années au plus. La confusion provient de ce que, dans l'édification des murs, pareil système a continué longtemps avec l'emploi des mêmes matériaux. Plusieurs siècles après Notger, les Liégeois persistaient à se servir, pour les bâtisses de ce genre, de grès houiller qu'ils extrayaient fort aisément des roches voisines, sur place parfois.

Tel était particulièrement le cas au Mont Saint-Martin et plus bas sur la colline. Cet appareil, ce mode de construction pour les murs de soutènement ont dû être très généralement usités sur ces hauteurs, car, depuis une époque reculée du moyen âge, elles ont été occupées par des hôtels de famille de rang supérieur, par des demeures canoniales ou par d'amples refuges d'importants établissements religieux. Aux clôtures de ces riches résidences comme aux bâtiments eux-mêmes, on cherchait avant tout à donner la solidité exigée par la situation du lieu, une solidité propre aussi à faire face à toutes les éventualités, capable de subir les assauts des hommes et du temps. Des débris de ces confortables constructions n'auraient-ils pas été pris pour des vestiges de l'enceinte primitive? Quoi qu'il en ait été, il me semble très dangereux de s'appuyer trop sur le rempart annoncé, si robustes qu'en paraissent les murailles.

Rallions nous plutôt à l'avis de M. Kurth que « le bras de la Meuse (de la Sauvenière) était compris dans le système défensif de la ville et qu'il servait essentiellement à compléter les ouvrages d'art militaire (29) ».

Cette rivière, on s'en souvient, coulait à l'emplacement des boulevards d'Avroy et de la Sauvenière, ainsi que de la partie pavée de la place du Théâtre entre le parc Grétry et les rangées d'arbres d'en face. On sait également qu'à ce temps, toute ligne fortifiée impliquait un fossé adjacent. Dès lors, admettre que Notger a jeté le rempart immédiatement sous l'église Sainte­Croix et sous les propriétés de la rue Saint-Hubert, c'est-à-dire à une distance considérable de la rivière qui devait former le fossé de ce rempart dans la pensée du Prince, n'est-ce pas prêter à ce dernier, si ingénieux et si perspicace en toutes choses, une ignorance profonde des règles élémentaires de la stratégie militaire? C'est au pied même du rempart que le fossé avait sa raison d'être. Privée ainsi de ce fossé, de quelle utilité, à l'époque dont nous parlons, aurait pu être cette section de l'enceinte? Eût-elle été capable, à si longue distance, d'empêcher les ennemis d'effectuer le passage du cours d'eau? De ce chef, la sécurité de la ville entière se fut trouvée grandement menacée. Envisagée sous cet aspect spécial, la ligne de défense présumée apparaît de nouveau profondément ébranlée.

Résistera-t-elle davantage à d'autres épreuves non moins sérieuses? Celles-ci se rapportent à un ordre de choses positives, qu'il serait vainement tenté d'éluder. En fixant aux emplacements dits le mur d'enceinte, a-t-on réfléchi que c'était abandonner à l'extérieur de remparts presque tout l'important bourg de la Sauvenière, car celui-ci, en outre de la place aux Chevaux, (du Théâtre aujourd'hui), comprenait principalement les rues Haute Sauvenière et Basse Sauvenière, avec la partie de la colline limitée par ces deux voies (30)? Le territoire de ce bourg - M. Kurth l'a exposé - était soumis à la direction de l'administrateur temporel de la cathédrale, au prévôt. Véritable seigneur de la Sauvenière, ce dignitaire du chapitre de Saint­Lambert en retirait cens, rentes et hommages; en revanche, il lui devait justice et protection. La juridiction du prévôt a été reconnue et confirmée solennellement dans un diplôme du 23 décembre 1107, par lequel Henri, roi des Romains, approuvait de nouveau les anciens privilèges de l'église de Liège. Dans ces conditions, est-il logique de croire que Notger aurait tenu, de gaîté de coeur, à provoquer le mécontentement, l'opposition acharnée du chapitre cathédral en son représentant le plus autorisé, en abandonnant au dehors des fortifications, le quartier de prédilection de ce haut corps ecclésiastique?

Inexécutable moralement, le projet prêté à Notger devenait irréalisable en fait. C'est très avant dans le XIIIe siècle qu'il a été procédé de ce côté de la ville à l'extension du système défensif. C'est à cette époque seulement que les murs de l'enceinte notgérienne auront pu être désaffectés, auront perdu leur caractère militaire. Par conséquent, si cette enceinte s'était étendue à la place préconisée par MM. Kurth et Ruhl, il eût été impossible, du point de vue de la défense, d'édifier des habitations au quartier de la Sauvenière, entre ce rempart et la branche de la Meuse, depuis le règne de Notger jusqu'en la seconde moitié du XIIIe siècle. Je ne dirai pas que cette ample surface de terrain tombait sous la servitude militaire - cette expression était inconnue alors -, mais cette large zone aurait été forcément dans le rayon stratégique. Les bâtisses élevées là auraient empêché la milice liégeoise gardant le rempart d'apercevoir les ennemis éventuels. Tout en annihilant le rôle défensif de l'enceinte, elles eussent servi d'embuscade à ces ennemis.

Or, on l'aura remarqué par ce que je viens d'exposer, dès avant Notger, le territoire en discussion était habité et bâti. Sur le versant du coteau, entre les rues Basse et Haute Sauvenière, l'évêque Eracle, à la demande des moines de Stavelot, leur avait concédé, par charte du 1er juillet 961, un terrain (saticum) pour y installer un refuge (31). Ce dernier allait bientôt avoir pour voisin immédiat un autre refuge, celui des chanoines d'Aix­la-Chapelle. Tous deux avaient leur entrée Haute Sauvenière, au n° 19 actuel. Leur place est prise maintenant par la propriété Terwangne de Hasse. C'est précisément dans le jardin de cette propriété qu'on s'est plu à reconnaître des fragments de remparts. Personne ne l'ignore, les refuges - comme le nom le fait deviner - avaient surtout pour objet de servir d'asile aux religieux en temps de trouble ou de guerre. Qui voudrait, admettre que les chefs des deux refuges les auraient maintenus plusieurs centaines d'années durant à cet endroit périlleux, en dehors et au pied même des remparts, où chanoines et religieux eussent été exposés plus qu'en toute autre situation, à tous les maux, à toutes les dévastations pendant les événements belliqueux?

Mais il n'y avait pas que les deux refuges en ce quartier. Les autres demeures y apparaissaient nombreuses, je l'ai établi, preuves à l'appui, dans les Rues de Liège, article « Sauvenière » (32). Sur ce district, on ne rencontrait pas uniquement les résidences des serviteurs du chapitre de Saint-Lambert, des suppôts ou sujets quelconques de la cathédrale dont fait état le diplôme impérial du 23 décembre 1107. Là aussi avaient leurs maisons de notables commerçants, des industriels aisés, d'habiles artisans, à côté d'hommes de lois ou d'autres laïcs considérés, tels que les Maillart dits de la Sauvenière. Explique qui pourra comment l'édification de ces groupes serrés d'habitations entre le fossé, la rivière de la Sauvenière d'une part, et les remparts supposés de l'autre, aurait pu se concilier avec l'établissement de ces remparts à mi-côte du versant de la colline.

Il y a plus. Suivant les indications données par M. Ruhl, l'église Saint-Michel elle-même, qui occupait la place de ce nom, se fut trouvée dans la position extra muros. De la sorte, les conditions que M. Kurth déclare ne pouvoir accepter pour l'église Saint-Servais se seraient présentées pour le sanctuaire Saint-Michel. Celui-ci a pourtant une origine à peu près contemporaine du précédent (33). Il aura formé le temple paroissial de la Sauvenière dès le premier âge de ce bourg, dès Notger vraisemblablement. Peu après ce pontife, en tout cas, et jusqu'à la fin du régime princier, la cure était à la collation de l'antique chef de la Sauvenière, du prévôt de Saint Lambert.

En face de cet édifice religieux, rue Haute Sauvenière, s'alignait, à côté de séries de maisons, l'hôtel principal de la famille très connue des Maillart de la Sauvenière, hôtel que mentionne encore la Paix des Clercs de l'an 1287 (34). Divers hôtels joignaient aussi l'église Saint-Michel à droite et à gauche.

Ces constatations suscitent une dernière réflexion. D'après M. Kurth, « de la place du Théâtre, la muraille remontait la Haute-Sauvenière », pour aller se développer « le long de la terrasse qui porte l'église Sainte-Croix ». M. Ruhl, au contraire, car il n'y a pas conformité absolue de vues sur le tracé de cette partie de l'enceinte, M. Ruhl la fait passer par la « rue Saint­Michel» et la « place » de ce nom. Adoptez n'importe laquelle de ces deux données et, par voie de conséquence naturelle, pour des motifs autres que ceux d'ordres variés déjà relevés, vous devrez nier l'existence attestée par de nombreux écrits originaux de l'époque, comme par les faits, vous devrez, dis-je, nier l'existence, avant le milieu du XII le siècle, de ces hôtels et de l'église Saint-Michel même. En effet, conformément à ce qui avait été pratiqué chez les Romains, tout autour des remparts, en deça et au delà, à seize pieds de distance, régnait jadis le pomœrium ou wérixhas. Sur cet emplacement, indispensablement affecté au service de la défense, pesait l'interdiction de planter, à plus forte raison de bâtir. Le pomœrium devait demeurer un terrain vague. Notons que ce pomoerium se retrouve partout le long des parties sérieusement relevées de l'enceinte de Notger. Il se montrait à l'état de fossé, de voie publique ou de pré, selon les circonstances.

Aurait-on trouvé dans les deux rues spécifiées, Haute Sauvenière et rue Saint-Michel, toutes deux dès lors bordées de constructions et d'une étroitesse beaucoup plus accentuée que de nos jours, y aurait-on trouvé la place nécessaire pour faire courir un rempart de trois mètres et demi d'épaisseur, entouré à droite et à gauche de bandes de terre libre de seize pieds chacune, soit un développement total de douze à treize mètres, tandis que les voies s'ouvraient sur trois à six mètres au plus? La condition ancienne de la localité étant connue, poser cette question n'est-ce pas la résoudre négativement? N'est-elle pas suffisante à elle seule pour faire crouler par la base même, les murs fortifiés de Sainte-Croix et de Saint­Hubert, et en reporter le souvenir dans le musée des fictions?

En l'état, il n'y a pas lieu de s'étonner du mutisme complet gardé par les archives locales du moyen âge quant aux cens que la Cité aurait dû percevoir annuellement des propriétaires riverains pour la jouissance qui leur aurait été accordée des soi-disant remparts et des terrains adjacents après le déclassement des fortifications notgériennes. Vainement cherche-t-on la moindre mention de ces murs et des accenses y relatives dans la Lettre aux Aisemens de la Cité du 25 octobre 1330 et dans les autres documents spéciaux de l'époque, alors qu'ils nous renseignent sur les revenus que retirait la Commune de l'utilisation, par des particuliers, de terrains et murs dépendant des sections reconnues authentiques de l'enceinte de Notger. On y signale notamment les redevances annuelles payées à la Cité pour l'usage de parcelles de terre ou de murs du rempart qui était situé sur le même versant de Publémont, proche des Degrés des Bégards (35).


VI. - Fortifications des Bégards et en amont de la collégiale Saint-Martin.

A propos des Degrés des Bégards, constatons que M. Kurth, dans son texte et dans son plan-annexe, ne fait pas quitter la crête de Publémont à la ligne de circonvallation de Notger. Il l'arrête à l'église Saint-Martin laissant extra muros tout le Trixhay avec la très antique église paroissiale Saint-Remacle en Mont (36) et les bâtiments canoniaux qui y avaient leurs sièges. Pour le sagace historien, « la vieille muraille qui vis­à-vis de Saint-Jean part du fond de la Sauvenière et gravit Saint-Martin a fait partie de la seconde enceinte » (37) seulement.

Sur ces points encore, je suis obligé de ne pas partager la manière de voir de M. Kurth. Que les murs en briques avec pierres boutisses, qui subsistent le long du Thier de la Fontaine ne datent pas du Xe siècle, tout le monde en est assuré. Dans le cours des siècles, ils ont été renouvelés à plusieurs reprises. Leur emplacement n'en aura, pas moins été compris dans le premier circuit de défense de la cité. Aussi les fossés qui les contournaient au Thier de la Fontaine et dans la rue ayant conservé le nom de ces fossés, sont mentionnés comme choses connues d'une façon coutumière dans des actes du XlIIe siècle dont un de l'an 1239 (38).

De sérieuses raisons stratégiques, au surplus, exigeaient que les murs de la cime de Publémont descendissent jusqu'au bas de la colline à cet endroit. C'est parce que j'en avais déjà la conviction que, dans ma description, reproduite par M. Kurth, de l'enceinte notgérienne, je disais qu' « aux Degrés des Bégards, elle escaladait la colline, passait derrière l'église Saint-Martin », etc. Là, même dans la vallée, le mur avait un rôle important à remplir pour la défense. Il avait pour objectif principal de permettre les rapports constants, avec le gros des défenseurs postés sur les hauteurs, des vigies qui gardaient la poterne dressée à peu près au pied de la montagne, vis à vis de l'église Saint-Jean. Cette poterne, désignée dans le principe postiche de la Sauvenière et ensuite tour ou porte des Bégards, est montrée debout dans les archives locales les plus anciennes (39).

La porte et la tour avaient chacune une mission importante mais distincte à exercer. La première, grâce au mur fortifié qui l'entourait, devait empêcher l'entrée, par la rue Basse Sauvenière, de l'ennemi arrivant du faubourg de la Fontaine, car il y avait jadis communication directe entre la rue Basse Sauvenière et la rue Sur la Fontaine (40). Refouler les envahisseurs du faubourg voisin, telle était aussi la tâche qui incombait à la tour des Bégards. Les gardiens de cette excellente position stratégique étaient, de plus, tenus d'interdire à toute troupe adverse, d'utiliser d'une façon quelconque la rivière de la Sauvenière. Dans ce but, à la même place, aux moments de danger, on jetait une solide chaîne à travers ce bras de la Meuse.

Sans l'ouvrage militaire des Bégards, le rôle défensif que Notger avait assigné à la collégiale Saint-Jean en l'édifiant entre les années 990 et 997 (41) n'eût pu être rempli d'une façon efficace. A cet égard, tous deux dépendaient l'un de l'autre, et conséquemment, tous deux ont pour auteur le premier prince­évêque de Liège. Au surplus, l'existence de cette portion de rempart et de sa porte fortifiée avait plus de raison d'être sous Notger qu'après l'érection de la seconde enceinte.


VII - Section de l'enceinte du versant nord-ouest de Publémont.

Aurai-je du moins la satisfaction d'être en concordance d'opinion avec MM. Kurth et Ruhl quant à la délimitation de l'enceinte notgérienne sur le versant opposé de Publémont? Hélas! loin de pouvoir opérer ici un mouvement convergent, je suis de nouveau astreint à livrer assaut à leur projet de fortification.

Disons-le tout d'abord: les données sur le tracé exact que suivait, de ce côté du versant de Publémont, la première partie de la ligne défensive de Notger, font absolument défaut. Il est seulement permis d'émettre de simples suppositions. Tel est le motif pour lequel, dans ma description du circuit général, je me bornais à indiquer vaguement qu'il « passait derrière l'église Saint-Martin pour redescendre vers Saint-Séverin et revenir au point de départ, en face de la rue Saint-Pierre ».

Pourtant, en tirant profit d'inductions sérieuses, en me basant sur des faits assez probants et sur les principes de l'architecture militaire de l'époque, j'aurais pu conjecturer avec beaucoup de vraisemblance la voie que parcourait ce tronçon de rempart. Descendant la colline entre ce qui a nom maintenant rues des Fossés et des Tisserands, il devait traverser la rue Saint-Séverin au moyen de la porte Sainte-Marguerite, signalée en des temps très reculés, allait, en longeant la rue dite des Cloutiers, joindre la Légia, suivait plus ou moins les contours de ce ruisseau par derrière les immeubles de la rue Saint-Séverin, puis les rues Agimont et Table de Pierre, enfin, continuait entre le Fond Saint-Servais et ce qui est appelé présentement rue de Bruxelles. Ici le rempart avait pour fossé, à gauche, la Légia encore, à droite, le faux-Rhieux ou branche de la Légia.

Ce tracé plaçait à l'intérieur de l'enceinte la presque totalité des maisons élevées sur le coteau de l'Ouest avec l'emplacement de l’églse paroissiale Saint-Séverin. Il avait surtout I'immense avantage de munir les murs défensifs, dans tout leur parcours, d'un fossé naturel, formé par le lit relativement large et profond de la Légia, rivelette aux eaux plus abondantes alors que de nos jours. Un fait caractéristique donne un sérieux appui à notre croyance. Au moment où la ligne de ceinture fut démantelée, au XlIle siècle, une rue nouvelle apparut à la place qu'occupait le rempart présumé, ou plutôt ses dépendances, en face du fond Saint-Servais; elle prit immédiatement et conserva jusqu'au XIXe siècle, le nom rue Neuve (42). Aujourd'hui considérablement élargie et rectifiée, cette voie est devenue la rue de Bruxelles. La coïncidence de cette naissance de chemin et du temps de son arrivée apporte, il faut l'avouer, un poids considérable à ma démonstration, car on sait que les rues de telle importance n'étaient pas créées communément, vers le centre de la ville au moyen âge et que, d'ailleurs, ce ne serait pas l'unique exemple à Liège de rues succédant à des fortifications ou à leurs fossés. Nonobstant la haute valeur de ces considérations, je n'en avance pas moins cette ligne défensive que comme une hypothèse, fondée je l'admets, mais hypothèse quand même.

Au contraire, MM. Kurth et RuhI annoncent pouvoir « déterminer avec une précision relative le tracé des remparts de ce côté. Voici l'avis de M. Ruhl:

« Reprenons notre ligne de défense qui suit les cloîtres de Saint-Martin, surplombant les maisons de la rue Sainte-Marguerite (sic) et longe le soutènement des jardins nord du Mont Saint-Martin. Ce mur arrive en déclivité vers la place Saint-Séverin où il devait enjamber le cours de la Légia pour se relier à la tour Saint-Servais et remonter la rue Volière (43) ».

C'est la délimitation qu'a adoptée M. Kurth, dans son plan annexe, et qu'il expose ainsi dans son texte:

« Partant du haut de Publémont, où les massives constructions de l'église Saint-Martin étaient encastrées dans son tracé, elle (l'enceinte) dévalait vers l'ouest dans le Vallon de la Légia qu'eIle coupait transversalement, passait le ruisseau sur une voûte, remontait la côte opposée derrière la place Saint­Séverin, suivait la rue de Bruxelles du côté du fond Saint-Servais, encastrait l'église de ce nom.,. (44) ».

Ce projet commun n'aurait-il pas été conçu avec trop de précipitation? Ses auteurs ont-ils considéré que leur tracé met hors de la protection de l'enceinte à peu près tout le quartier Saint-Séverin, y compris de ce côté encore l'église paroissiale? Comment ne se sont-ils pas aperçu que la réalisation de leur plan eût rendu impossible à son emplacement huit fois séculaire, la construction de ce sanctuaire, car celui-ci, avec son cimetière qui lui était adjacent ainsi qu'aux immeubles de la rue Saint-Séverin, couvrait les trois quarts de la superficie occupée maintenant par la place Saint-Séverin, laquelle n'existait pas jadis? L'église Saint-Séverin est cependant, sinon contemporaine de Notger, au moins peu postérieure à ce pontife (45).

Il y a là, pour les inventeurs de cette ligne de ceinture, des difficultés qui, je pense, ne seront pas facilement vaincues.

Il en est d'autres qui se présentent aussi insurmontables. En traversant au droit de la place, perpendiculairement la rue Saint-Séverin, artère indispensable, à grande et active circulation, le soi-disant rempart aurait obstrué là complètement le passage. Il aurait, en tout cas, nécessité à cet emplacement, la création d'une porte fortifiée que M. Kurth ne mentionne pourtant pas dans son relevé des portes notgériennes. De fait, on n'a jamais découvert la moindre trace de porte à cet endroit. Nos antiques annales comme les plus anciennes archives locales restent totalement muettes à cet égard.

En se plaçant à un autre point de vue, il serait, me paraît-il, non moins malaisé d'expliquer le motif qui aurait incité Notger à porter la ligne de défense à la rive gauche de la Légia, privant de la sorte ce mur fortifié d'un fossé continu, comme l'exigeaient les nécessités stratégiques.

Aussi bien MM. Kurth et Ruhl ont-ils pour étayer leur système quelque argument scientifique, quelque attestation ancienne? Non seulement aucun texte de source autorisée n'est mis en avant, mais on ne s'appuie même plus ici sur de vieux pans de murailles quelconques qui auraient été découverts dans la vallée. L'unique témoignage invoqué en l'occurrence est celui de... Philippe de Hurges, le touriste connu du XVIIe siècle.

En règle générale, les historiens de profession accordent un crédit très limité aux assertions d'écrivains du genre. Il y a longtemps que Ferdinand Hénaux mettait en garde à leur sujet: « On se méprendrait singulièrement », disait-il, « si l'on recourait aux impressions des touristes, hommes d'esprit et de style. Pour un renseignement exact qu'ils répètent après tout le monde, ils ne font la plupart du temps qu'inventer les mensonges les plus impertinents (46) ».

Je ne voudrais pas prétendre que Phil. de Hurges mérite pleinement ce jugement, mais je paraîtrai indulgent en le qualifiant d'esprit fantaisiste et de crédule à l'extrême. Ne s'est-il pas laissé conter, par exemple, qu'il suffisait à un meurtrier liégeois de toucher « le poteau d'une maison bourgeoise », pour que la justice ne pût saisir cet assassin avant un délai de trois jours (47)? N'est-ce pas ce même touriste qui affirme avoir aperçu, du plateau de Cointe ou des hauteurs de Saint-Gilles, la ville de Tongres et sa collégiale (48)? Il est vrai qu'il dit avoir vu à Herstal une collégiale ayant prébendes et bénéfices à la collation des chanoines de Notre-Dame d'Aix (49). Imbu des principes de la Renaissance et cédant à l'amour immodéré du classique, Ph. de Hurges rencontre du romain un peu partout. Pour lui, l' « aigle simple » qui dominait au clocher de la cathédrale Saint-Lambert signifiait que Liège « est antique colonie des Romains (50)». Parlant de la collégiale Saint-Jean-Evangéliste - qu'il appelle Saint-Jean- Baptiste », - il se demande si la tour remonte aux Romains ou aux « premiers chrétiens (51) ». Près de l'ancien collège des Jésuites wallons (52), il a admiré de vieilles bâtisses « qui peuvent estre », dit-il, « les ruynes et masures de quelque chasteau très ancien auquel se retjroient les Eburons sortants de la forest d'Ardenne (53) ».

Ces balourdises ne suffisent-elles pas à faire comprendre de quel faible appoint doit être le témoignage de ce fantasque voyageur, et combien il est prudent de se méfier de ses assertions. Quoi qu'il en soit, voici textuellement et intégralement les passages de la relation de ce conteur, que M. Kurth présente comme document justificatif de sa dissertation:

« Nous fusmes conduits par nostre guide vers une petite rivière nommée Lidge ou Légie - où nous fut monstré ce qui se peut veoir de plus ancien à Liége, voire tellement ancien, que l'on affirme que ce sont restes d'antiquitez romaines, fondées avant la naissance du Messie. - Premièrement on monstre un pont, qui couvre la petite rivière susnommée, basty de petites pierres rougeâtres comme fer, tellement dures et amassées avec un tel ciment qu'il n'y a presque aucun instrument d'acier qui y sceust mordre. Tout joignant, se voient les restes d'un grand aqueduct, tel que sont ceux de Rome sur arcades et piliers; de mesme ouvrage sont encore deux tours voisines encore entières et quelques fragments de remparts, qui me semblent plus anciens que les pièces que l'on nous monstra derrière la maison des Jésuites et auprès de l'abbaye de Saint-Jacques... (Page 191.)

« Les murs.., sont voultez en arcades renfoncées par le dedans, comme sont encore aujourd'hui les remparts de Cologne, d'Aix, de Bruxelles et d'autres viles... Se voient les plus gandes et plus signalées de toutes ces antiquitez qui sont une tour ronde très large par le pied, et entière avec ses veuës et créneaux, sur le haut de laquelle paroisent les restes d'une autre tour bien haute, maintenant à demy ruynée, Les marques d'un rempart ancien tout joignant avec un portail haut et estroit: les pièces de quelque acqueduct, qui traversoit mesme, comme il semble, la petite rivière nommée Lidge: une grande tour carrée, à laquelle les injures du temps n'ont encore porté aucun dommage; et sus icelle, une seconde tour de mesme forme, à demy rompue ». (Pages 193-194.)

Après la reproduction de ce texte, M. Kurth ajoute: « Je ne crois pas avoir besoin de commenter ce curieux passage » (54). Pourtant, il paraît étrange que Ph. de Hurges taise le nom de l'endroit où il aurait contemplé « ces restes d'antiquités romaines fondées avant la naissance du Messie », c'est à dire antérieures de plus de sept siècles à l'origine de Liège.

S'élevaient-ils même sur la Légia ? Le narrateur n'en est point persuadé: a comme il semble », écrit-il. Dans le cas affirmatif, le « grand aqueduct, tels que sont ceux de Rome, sur arcades et piliers », qui desservait le modeste ruisseau bien connu, rend rêveur! D'autant que ce ruisseau, à cette époque, ne coulait plus qu'en de rares endroits à ciel ouvert et que son débit avait considérablement diminué depuis Notger.

Au résumé, quelles révélations scientifiques peut on attendre, sur les travaux de ce prince, d'un touriste venu six siècles après ce pontife, touriste qui ne manquait pas d'imagination fertile sans doute, mais qui a séjourné au plus cinq à six jours en notre ville, et qui n'était nullement initié à son passé historique et topographique. De ce qu'il rapporte d'invraisemblables sur Liège, on est en droit de se demander si, dans le cours de ses pérégrinations, il n'y a pas eu confusion complète de ses différentes notes ou s'il n'a pas été le jouet d'un cicérone mystificateur, qui, averti des tendances classiques du personnage, aura voulu se divertir aux dépens de sa crédulité en lui faisant accroire les plus grosses bourdes dans le genre de celles dont on vient d'apprécier quelques échantillons.

Bien qu'obligé à son tour d'émettre des restrictions sur certains dires de Ph. de Hurges, invoqués par lui, le savant M. Kurth ne croit pas moins pouvoir en tirer cette conclusion formelle, catégorique:

« Quoi qu'il faille penser des antiquités signalées par Philippe de Hurges dans le vallon de la Légia, et en admettant même qu'une partie d'entre elles soit de date postérieure (par exemple, en supposant que sa tour carrée ne soit autre que la tour de l'Official) ONE CHOSE EST CERTAINE: c'est que le fragment de rempart avec ses deux tours rondes et l'« aqueduc » sous lequel passe la Légia ne sont et ne peuvent être que des restes de l'enceinte notgérienne ».

On l'a constaté, Ph. de Hurges ne spécifie aucunement l'endroit où son attention aurait été arrêtée par ces curieux monuments, ni la date exacte d'origine de ceux-ci. Comment peut-on affirmer, dès lors, qu'il s'est réellement trouvé en présence des « restes de l'enceinte notgérienne? »

Supposons néanmoins, avec M. Kurth, car on n'est autorisé qu'à faire des suppositions, que cet endroit se trouvait aux environs du Palais et que la « tour carrée » soit la tour de l'Official. Je me permettrai, en ce cas, de faire remarquer que cette tour-prison, située au milieu du jardin fruitier du Palais princier, à l'emplacement de notre place Notger, et complètement entouré de murs, n'a jamais - tout au moins du XIVe siècle à la fin du régime épiscopal - servi de passage public, contrairement à ce que pense M. Kurth (55). Je ferai remarquer ensuite que cet édifice, présenté par Ph. de Hurges en 1615, comme une « antiquité des plus signalées » de Liège, avait été construit ou, si l'on veut, reconstruit en l'année 1520. il ne comptait donc pas un siècle d'existence à la venue du naïf touriste!

Par ce nouveau trait, il est possible de juger, une fois de plus, du degré de véracité que méritent les racontages du personnage, notamment quand il parle de pans de remparts. Ces murs et les tours qu'il signale tout proche, - si tant est qu'il en ait vus - n'auraient-ils pas été construits au XIVe siècle pour la commanderie de Saint-André, qui avait son siège sur la colline, son entrée au pied de Pierreuse, et dont les locaux subsistent avec une partie de ses antiques murailles et tour?

En fait d'aqueducs, on n'a pu voir quant à la Légia, à l'emplacement dont il s'agit, que les modestes conduits qui amenaient l'eau de ce ruisseau sur le moulin auquel avait été appliqué le nom de ces conduits, le moulin aux Chéneaux. derrière le Palais. Il y a eu aussi des fonts minuscules, les uns en bois les autres en pierre, jetés de-ci de-là et destinés généralement à faciliter les ccommunications des riverains. J'ai rencontré ces passerelles dans mon ouvrage les Rues de Liege (56). Fréquemment, à raison de leurs proportions réduites, elles sont qualifiées « poncheal » = ponceau dans les archives locales du moyen âge (57). Qui sait? Peut-être Ph. de Hurges a-t-il pris pour un vaste aqueduc, les colonnes qui, adossées à l'église Saint-Pierre à quelque distance de la Légia, et signalées dans des actes du XIVe siècle, formaient l'un des ornements architecturaux de ce temple (58).

Personne ne s'étonnera, en l'occurrence, que nul de nos vieux historiens, voire de nos chroniqueurs vulgaires, n'ait songé à découvrir, dans les ponceaux et autres pseudo- « antiquités » extraordinaires, révélés si légèrement et si vaguement par Ph. de Hurges, des documents se rattachant de près ou de loin à l'enceinte notgérienne. Sur ces documents, le silence a été observé d'une façon absolue même par Jean d'Outremeuse qui, vivant deux siècles et demi avant le touriste, aura étudié plus complètement et plus compétemment que lui les débris du Liège antique. Né en cette ville, instruit, il la connaissait au point de vue topographique. S'il s'est tu en la circonstance, lui, constamment à l'affût des petites curiosités vraies ou fausses propres à être amplifiées, s'il n'a pas tiré parti des soi-disant viaducs et restes de fortifications qu'a seul rencontrés Ph. de Hurges, n'est-ce pas la preuve péremptoire que ce dernier, sous ce rapport encore, s'est laissé berner ou que lui-même s'est complu à se moquer de ses bénévoles lecteurs.


VIII. - Rempart sur la colline de pierreuse et de Hors-Château ?

Soyons exact. Jean d'Outremeuse s'est occupé de la partie des remparts notgériens des environs du Palais princier, puisque j'ai reproduit son texte et que son témoignage a été invoqué contre mes propres assertions.

Il y a quelques années, Liège apprit tout à coup la découverte de documents certains établissant que l'enceinte de Notger enveloppait l'église Saint-Servais et courait à mi-cote des collines de Pierreuse et de Hors-Château. Au moment où me parvint le bruit de cet événement historique, je corrigeais la dernière feuille des Rues de Liège. La nouvelle était répandue comme un fait indéniable par des autorités professorales, scientifiques. D'une part, je n'avais plus le temps d'approfondir la question, ni même de m'assurer de la nature des preuves dont on disposait; d'autre part, il convenait de ne point laisser passer pareil fait sans le mentionner dans les Rues de Liège. J'avoue humblement que, de confiance, je le signalai parmi les errata.

L'heure du repentir pour moi ne tarda pas à tinter. Bientôt, en effet, se donna la conférence de M. Ruhl où il développait les arguments inconnus jusque-là qui devaient attester la véracité de la nouvelle description de l'enceinte notgérienne. Pourrais-je cacher la désillusion qu'elle provoqua en moi? Ma déception fut complète lorsque, plusieurs années après, j'examinai la même thèse reprise par M. Kurth dans son docte travail Le Notger de Liège.

Très grande, d'autre part, a été ma surprise d'apprendre dans cet ouvrage que le tracé par lequel j'avais identifié l'enceinte notgérienne avec le mur occidental du Palais « est contredit par les faits archéologiques dont parle Jean d'Outremeuse et qu'il est impossible d'écarter (59) ». Mon étonnement redoubla lorsque, à la même page je lus que « Jean d'Outremeuse fait courir l'enceinte aux flancs de la colline de Pierreuse jusque près de la Cour des Mineurs. »

C'est donc en s'autorisant du texte du chroniqueur du XIVe siècle, reproduit plus haut, que MM. Kurth et Ruhl soutiennent l'opinion que les remparts se développaient à mi-côte des collines de Pierreuse et de Hors-Château. Ils affirment d'ailleurs avoir constaté l'authenticité du fait. N'ont-ils pas été en « reconnaître des fragments sur place dans les rues qui courent au-dessus de Hors-Château (60) »

Après inspection des lieux, maints Liégeois très compétents en la matière, dont plusieurs professeurs d'université, m'ont affirmé sans embages, n'avoir vu, comme moi, aux endroits signalés, que de simples murs de soutènement de jardins en terrasses.

Quoi qu'il en soit, M. Ruhl nous apprend avoir retrouvé le rempart notgérien sur… le plan de Jean Blaeu, le cosmographe hollandais du XVIIe siècle. Il y a là, a-t-on ajouté publiquement, des murs semblables à ceux mentionnés par Ph. de Hurges, « voultez en arcades, renforcées par le dedans, comme sont encore aujourd'hui », écrivait le touriste, « les remparts de Cologne, de Bruxelles, d'Aix et d'autres villes ». Sans revenir sur le peu de valeur des dires de ce conteur, je répliquerai seulement que le genre de bâtisse indiqué par lui et sur le plan de Blaeu, a été général en nos régions dans tous les siècles écoulés pour les murs de soutènement et qu'il reste fréquemment usité dans un but de consolidation. Il était même jadis d'obligation pour certains propriétaires de terrains en pente. Ainsi ai-je trouvé dans les archives du couvent des Minimes, une convention conclue l'an 1704, entre ces religieux et les chevaliers de l'Ordre teutonique de la commanderie de Saint-André qui, je l'ai dit, avaient des biens fonciers en contrebas du couvent des Minimes. On y décide que le mur de séparation sera fortifié à l'aide d'arcades rentrantes et de contreforts (61). N'aurait-on pas, par hasard, fait figurer ce mur d'appui au nombre des soi-disant fragments de rempart de Notger?

Aussi bien ne m'arrêterai-je point sur le fond de la question. Jeter des murs défensifs au milieu de cette côte escarpée, eût été irréalisable stratégiquement parlant. Pareille pensée n'a pu venir, je ne dirai pas à l'esprit d'un ingénieur militaire de Notger, mais du plus humble de ses subordonnés. D'abord, dans cette situation, un rempart aurait été forcément dépourvu du fossé continu, indispensable à l'époque. En outre, dressée à mi-côte, la ligne de ceinture eût été dominée par la crête de la colline et ses défenseurs eussent été cruellement exposés. Le rempart aurait été non seulement à découvert, inefficace par conséquent, mais encore très dangereux pour la sécurité de la cité. Pour le rendre utile, il eût fallu lui donner une hauteur si phénoménale que les ressources financières de Notger auraient été insuffisantes à faire face aux frais, tandis que ces murs pouvaient être placés autre part plus avantageusement au point de vue stratégique, sans presque bourse délier.

Les auteurs de la découverte de murs d'enceinte sur les flancs du coteau se sont eux-mêmes trouvés en face de difficultés qui apparaissaient inextricables. On savait pertinemment, grâce à la description fournie par moi et dont l'authenticité est attestée par de nombreux textes d'archives du moyen âge, que l'enceinte primitive ne s'étendait guère au delà de la rue des Airs. Or, aux murs dont on a fait la reconnaissance sur place, en deça de la rue Mère-Dieu, en succédaient d'autres très anciens, avec arcades rentrantes au delà de la Montagne de Bueren, derrière la caserne des pompiers. Le développement inattendu des antiques murailles contrecarrait la conception des plans stratégiques des modernes architectes de l'enceinte notgérienne. Comment résoudre le problème? On amputa la ligne de ceinture des hauteurs et on l'arrêta « près de la caserne des pompiers ». Peut-on fournir une meilleure preuve du manque de fondement du rempart ?


IX. - En Pissevache.

Pourquoi maintenant le céler? Je puis dévoiler la cause première de tout le mal. Cette fois encore, c'est Jean d'Outremeuse... incompris. Avec vérité, je l'établirai, le vieil écrivain liégeois a affirmé que les fortifications premières se développaient tout autour de Pissevache (62). M. Kurth a cru et il a écrit que « la pente abrupte qu'on appelle aujourd'hui Pierreuse portait alors le nom de Pissevache (63) ». Cette interprétation fautive a provoqué les courses à travers les propriétés de Pierreuse et des voies environnantes à la recherche des soi-disant remparts. Elles donnèrent les résultats que l'on sait et ne pouvaient en produire d'autres.

Plusieurs siècles avant Jean d'Outremeuse, Pierreuse portait le nom qu'elle continue à recevoir (64). Toujours elle a formé une voie distincte, indépendante de Pissevache (65). Celle-ci, appelée finalement Pied de Vache, était au temps de Jean d'Outremeuse une ruelle qui avait son point de départ à une dizaine de mètres à gauche de l'emplacement de l'escalier conduisant de nos jours de la place Notger en Pierreuse. Elle remplissait, en somme, l'office de cet escalier. Mais, à l'époque de Notger, Pissevache constituait un lieu dit, comprenant à peu près tout le terrain, en pente continue alors, renfermé entre la rue Volière et la rue de Bruxelles. Ce terrain était entièrement libre de bâtisses particulières, même à rue. C'est seulement autour de ce lieu-dit, de proportion relativement restreinte, que Jean d'Outremeuse fait circuler les remparts, non à travers Pierreuse et les hauteurs suivantes.

Pissevache, voilà précisément l'endroit, l'emplacement de la station centrale où, tout à fait d'accord avec le chroniqueur du XIVe siècle, j'ai placé le point initial de l'enceinte dans la description citée par M. Kurth. Cette manière de voir, je la maintiens pleinement.

Qu'on m'objecte que là aussi le circuit défensif s'écartait de la Légia. J'en conviens. Cet éloignement exceptionnel avait sa raison d'être. En Pissevache, en effet, on ne voyait pas que de simples murs. A gauche et à droite on remarquait deux fortins.

Multiple était la tâche réservée à ces deux bastions. L'un surveillait l'arrivée éventuelle de l'envahisseur par la rue Volière; l'autre devait interdire toute descente de l'ennemi par Pierreuse. La situation commandait admirablement les deux voies, qui étaient à découvert, je l'ai dit.

A coup sûr, l'église Saint-Servais restait de la sorte à l'extérieur de l'enceinte; Cette condition également était voulue. Ne fallait-il pas que, dans les moments de crise durant lesquels les portes de la cité demeuraient fermées, les Liégeois habitant les parties excentriques de la ville pussent satisfaire à leurs devoirs religieux? La tour carrée de cet édifice paroissial, loin de gêner, pouvait venir en aide à la redoute voisine.

Non moins vainement me reprocherait-on de jeter moi aussi la fortification aux flancs de la colline. Les deux ouvrages militaires ne se dressaient pas à mi-côte. La position avait été ingénieusement choisie. Du haut de leurs tours fortifiées, les gardiens plongeaient leurs regards sur Hocheporte et la montagne Sainte-Walburge en partie; ils exploraient enfin l'horizon à l'ouest. Tel était encore le but des deux petites citadelles.

Je ne puis me flatter d'avoir vu des restes de ces monuments d'art stratégique. Néanmoins, je me rappelle parfaitement qu'il y a quelque trente-quatre ans, des fouilles pratiquées à l'emplacement dit, du côté de Pierreuse, mirent au jour des soubassements en pierre, d'une épaisseur, d'une solidité et de proportions telles qu'ils n'avaient aucun rapport avec des restes d'habitations privées. La découverte frappa l'attention des archéologues et les intrigua beaucoup. Nul à cette époque ne soupçonnait l'érection d'une construction publique ancienne à cette place. Il fut impossible de déterminer la provenance de ces puissantes fondations et l'on ne s'en préoccupa plus. Au même temps, l'an 1873, lors des déblais énormes effectués en contrebas de Volière pour l'établissement du chemin de fer de ceinture, la pioche des terrassiers rencontra tout à coup, sur une hauteur à l'extrémité de la propriété Palmaert, de l'ancienne rue des Ravets, immédiatement en face des petits bâtiments de la rue Volière les plus rapprochés du choeur de l'église Saint­Servais, des assises de maçonnerie encore, non moins puissantes que les précédentes. Les ouvriers n'en venant pas à bout par les moyens ordinaires, il fallut recourir aux mines pour faire sauter ces massifs de pierres, ce qui provoqua les premières lézardes aux bâtisses de Volière. Cet ouvrage était de forme carrée et couvrait une superficie d'au moins quarante mètres. Ignorant la raison d'être de cet épais massif, quelques personnes pensaient qu'il avait servi de contrefort à l'église; mais il n'avait rien qui y ressembla. La situation eût été d'ailleurs très mal choisie. On peut être convaincu maintenant qu'on se trouvait en présence, de part et d'autre, des fondements des petites redoutes élevées en Pissevache.

Je ne m'exprimerais pas aussi catégoriquement si je n'avais découvert des témoignages écrits de l'existence d'ouvrages militaires en Pissevache, dans plusieurs actes irrécusables du moyen âge. Jean d’Outremeuse, on ne l'a pas oublié, a écrit que des maisons avaient été substituées aux remparts de Pissevache (66). Quand il la signalait, cette substitution ne datait pas d'une époque fort éloignée. C'est de la sorte qu'il connaissait les précédents de l'affaire. Sans doute, peu après la désaffectation des murs défensifs de Notger, au XIIIe siècle, la Ville ayant, moyennant finances, cédé les terrains nécessaires, des habitations s'élevèrent bientôt dans les parties extrêmes qui longeaient Pierreuse, Volière et la rue appelée ultérieurement des Ravets, derrière la collégiale Saint-Pierre (67). Mais l'ample superficie de la hauteur comprise entre ces trois voies demeurait, au milieu du XIVe siècle encore, à l'état de terrain vague et en possession de la Cité, à cause de la destination militaire ancienne du lieu, La Paix de Flône du 1er juin 1330 avait décidé que dorénavant le Prince et la Cité jouiraient chacun de la moitié des revenus des « pons, murs et fosseis ». C'est pourquoi tous deux intervinrent dans la charte en date du 29 mai 1357 par laquelle cession à perpétuité d'une partie du terrain vague a été faite, moyennant deux sous de cens annuel à leur profit, au notable Jean Pevereal, banquier, qui, l'année suivante, allait arriver à la suprême magistrature de la commune (68). Il était stipulé que l'obtenteur pourrait bâtir sur cette surface de terrain.

Une autre section de Pissevache a été accordée le 10 mai 1366 seulement, « parmi ung denir de bonne monoye de cens, moyty au Signeur (le Prince) et l'autre à la Citeit ».


X. - Les murs d'enceinte se rattachaient au Palais.

Vis-à-vis de Pissevache, les communications entre les deux rives du ruisseau étaient facilitées par deux petits ponts (69), appelés l'un al Saulx (au Saule) et l'autre de l'Epervier.

Au-dessus de la Légia aussi passait la ligne défensive de Pissevache pour venir se rattacher au Palais et s'y confondre avec lui. Le Palais formait le noeud de l'enceinte comme il en a été postérieurement du Louvre à Paris. Tout en constatant que mon plan présente une « conjecture séduisante », M. Kurth le considère comme « très peu probable » et préfère reconnaître les remparts aux flancs des collines voisines. Il n'en doit pas moins faire cette constatation: « En un temps où nul, prince ou simple chevalier, n'était en sûreté qu'à l'abri d'une bonne forteresse, il n'est pas probable que le Palais ait été autre chose qu'une maison fortifiée (70). Effectivement, le souvenir des irruptions néfastes des diverses hordes du Nord devait rester gravé dans la mémoire de tous et de Notger spécialement. Ce souverain aura tenu à se prémunir contre le renouvellement de malheurs semblables et aura voulu que l'édifice, où la population eût été obligée de se réfugier en cas d'extrême péril, fût en rapport direct avec l'enceinte défensive et fût protégé plus que tout autre. Voilà aussi le mobile qui l'a guidé en érigeant les deux fortins de la hauteur adjacente.


Xl. - Section nord de l'enceinte notgérienne. Emplacement exact.

Du Palais, le rempart gagnait, en la coupant, perpendiculairement la rue des Mineurs, puis, par un coude plus ou moins prononcé, s'engageait vers la Meuse en empruntant la place où s'élèvent les bâtisses situées entre les rues de la Clef et Sur le Mont, après avoir traversé la rue Féronstrée perpendiculairement au-dessus de Hasselinporte.

Tâchons de spécifier la position exacte qu'occupait la partie de l'enceinte la plus rapprochée de Hors-Château. Il est une rue dont tous les historiens qui s'en sont mêlé n'ont pu interpréter le nom que très problématiquement. C'est la voie appelée officiellement de nos jours rue des Airs, dénomination baroque s'il en fut. Reportez-vous à six et sept siècles en arrière: l'expression Airs n'apparaît plus. On écrivait Sur les Ars pour la voie proprement dite, et Derrière les Ars (71) pour la localité située immédiatement au delà, terme souvent rendu, à cause de la prononciation locale, par Derrière les Eers (72).

Plusieurs chercheurs ont cru voir là le mot de basse latinisé ars qui signifiait « brûlé ». Mais cette explication s’accommodait très peu avec les premières formes connues. Peut-on accepter qu'il soit venu à l'esprit de désigner une localité: Derrière les Brûlés? Qu'on trouve, en revanche, en cet Ars du moyen âge, un dérivé du latin arx, au pluriel arces, qu'il faut traduire « fortifications, défenses, remparts »: l'expression Derrière les Ars devient toute naturelle. C'est le synonyme de Derrière les Murs, nom autrefois appliqué à maints endroits de Liège longeant les remparts d'enceintes de dates postérieures à celle de Notger, ce qui justifie la modernisation de l'appellation.

La définition donnée ici au mot ars est très rationnelle. Employé par l'annaliste Anselme, au XIe siècle, il conservait ce sens à la fin du XIVe siècle en notre cité. On le retrouve avec signification similaire sous la plume de Jean d'Outremeuse, qui le transcrit arche et ars (73), voire dans les glossaires de Ducange et de Roquefort, sous la leçon arce.

Mon interprétation du nom Sur les Ars apparaît plus probante encore quand on sait que, jusqu'au commencement du XIXe siècle, la rue des Airs, débutant comme de nos jours rue des Mineurs, en prolongement direct avec le Palais se portait à droite au lieu d'obliquer à gauche, et, par ce qui est devenu l'impasse Babylone, aboutissait en Féronstrée, précisément vis­à-vis de la rue de la Clef, laquelle suivait aussi les fortifications de ce côté. On ne peut donc en douter, la rue dite actuellement des Airs contournait à l'intérieur de la cité la ligne de rempart arrivant du Palais et son antique dénomination renseigne d'une façon certaine sur le tracé de cette partie de l'enceinte primitive.

Au surplus, je puis établir, par documents authentiques, l'existence du rempart à la place dite. Des manuscrits du temps attestent que ce mur défensif subsistait au XIVe siècle. La Lettre des Aisemens de la Cité, notamment, nous apprend que Jean Coldeiar, forgeron, avait, au prix de deux sous, la jouissance d' « une pieche de mur del viez (vieille) fermeteit (enceinte) derier sa maison Derrier les Ers ». Rue des Mineurs, les fouilles pratiquées en juillet 1907, pour la pose de la grosse conduite à gaz, viennent de faire découvrir un fort pan du rempart de Notger, coupant perpendiculairement la rue. Il a été démoli pour le travail en question sur toute la largeur de la tranchée, comme d'autres parties ont été supprimées jadis lors de l'établissement de l'égout. Mais des débris sont conservés en face de la seconde maison de la rue, en commençant rue Hors-Château. L'épaisseur du mur, sa solidité, sa composition et sa direction ne laissent aucun doute sur son affectation ancienne. La ligne de défense occupait bien là l'emplacement que j'ai indiqué dès 1898 et 1891 (74).

S'il m'avait fallu un témoignage non moins solennel en faveur de ma doctrine sur ce point, il m'aurait été fourni, n'en déplaise aux contestants, par Jean d'Outremeuse même. Loin de me contredire, ce chroniqueur dit catégoriquement que les murs « avalloient (descendaient) devant les Frères Mineurs » en d'autres mots, il déclare avec moi que les remparts descendaient la pente de la rue du Palais, puis passaient devant l'église Sant­Antoine. A lui seul, ce bout de phrase du vieil écrivain porterait au système défensif de MM. Kurth et Ruhl une rude et fatale secousse. Si la ligne de ceinture avait été jetée à mi-côte de la colline, Jean d'Outremeuse, au lieu d'écrire que les murs couraient « devant les Frères-Mineurs », aurait dû employer l'expression « derrière les Frères-Mineurs ».

Poursuivons la démonstration quelque surabondante qu'elle soit. Dans son très documenté Notger de Liège, M. Kurth s'est évertué à démontrer par une succession de textes étrangers à notre localité, que le terme Hors-Château désignant l’une des plus antiques rues de Liège s'appliquait jadis à tout le territoire qui se trouvait en dehors de la ville, en dehors de l'enceinte fortifiée. Le sagace professeur ayant dit également que les murs se développaient sur la hauteur de Hors-Château jusque « près de la caserne des pompiers », donc jusque la Montagne de Bueren (voir son plan-annexe), le nom Hors-Château, par voie de conséquence, devait être donné seulement à la section de la rue ainsi appelée, située au delà de la rue de la Rose. Or, des archives locales les plus anciennes, il appert que le tronçon de la rue Hors-Château compris entre les rues des Mineurs et de la Rose a depuis Notger reçu la même désignation (75). On a le texte de la charte de fondation du couvent des Frères Mineurs, dont la place est prise partiellement par l'église Saint-Antoine. Cette charte date de l'an 1243. Elle est donc contemporaine du morcellement des remparts. Il y est spécifié formellement que l'emplacement du couvent se trouve Hors-Château (76)

Avec le système défensif de M. Kurth, le lieu où s'installèrent ces religieux aurait été renfermé dans l'enceinte. La charte proclame que le contraire était vrai. C'est la confirmation éclatante de mon opinion: le rempart laissait à l'extérieur toute la rue Hors-Château, avec la future propriété des Frères Mineurs.


XII. - Le fossé.

On ne manquera pas de me poser cette question: Ce rempart établi ainsi dans cette partie de la vallée avait-il un fossé? Aucun doute ne subsiste à cet égard. La voie longeant le Palais constituait par elle-même un véritable fossé. Ce fossé était renforcé par le lit profond de la Légia. A coup sûr, ce ruisseau, venant du Fond Saint-Servais, pénétrait dans le Palais à l'emplacement de la loge du concierge du Gouvernement provincial, à l'angle nord-ouest de la cour principale qu'il coupait obliquement, puis, après avoir traversé le Marché - lequel a toujours occupé la même place, je l'ai dit dans mon ouvrage les Rues de Liège et j'aurai l'occasion de le prouver -, il arrosait le quartier de la Madeleine, à l'extrémité duquel il prenait le nom significatif de Merdecoul (77) - immédiatement avant d'aller confondre ses eaux avec celles de la Meuse. N'oublions pas pourtant qu'une branche de la Légia, se séparant de celle-ci précisément au moment où elle se rendait sous le Palais, roulait ses eaux à ciel ouvert le long de la rue du Palais et rue Hors-Château où elle décrivait une courbe accentuée à droite. Plusieurs ponceaux avaient aussi été jetés sur cette partie du ruisseau, dès le XIIle siècle au moins, vis-à-vis du pied de Pierreuse notamment (78). Il est patent que, dans ce cours, la Légia n'avait point son lit naturel. Pourquoi avait-il été creusé? C'est évidemment et uniquement pour que le cours d'eau pût servir de fossé au rempart dont il suivait l'alignement. Son volume était d'ailleurs augmenté par la venue d'une forte portion des eaux de l'areine de Richonfontaine, près des Frères-Mineurs. S'il a eu ultérieurement des usages industriels et autres, la cause en a été la désaffectation des remparts de Notger.

Cette branche de la Légia m'amène à une dernière remarque. Rue Hors-Château même, vis-à-vis de l'église Saint-Antoine, une impasse au tracé des plus étranges s'ouvrait, il y a quelque tiers de siècle encore. La première section était perpendiculaire à la rue Hors-Château, tandis que la seconde, parallèle à a même rue, se développait à droite et à gauche. Cette impasse fort ancienne avait nom Sur le Bougnoux. Voilà une dénomination qui, à son tour, a exercé vainement la sagacité des chercheurs. Bounoux, en terme de mine, signifie, même à l'heure présente, un puits creusé pour y recueillir l'eau. Pour l'impasse aussi, l'appellation est due à une excavation prolongée qui existait de ce côté et qu'alimentait le rieu de la Légia. L'expression Sur le Bougnoux, qui a été introduite au XIIIe siècle (79), indique suffisamment que la petite voie avait occupé, d'une façon partielle, l'emplacement de ce bougnoux ou du moins qu'elle avait été créée tout contre (80).

Nos pères ont connu le bougnoux; Il subsistait au XIXe siècle. Uni au rieu il servait d'égout alors et depuis longtemps. Une chose est restée ignorée jusqu'ici: la raison d'être de ce bougnoux dans le principe. On peut en avoir la certitude maintenant. Il avait pour objet et pour unique objet primitivement de former un fossé profond au mur d'enceinte adjacent. Sans cette mission, l'installation du bougoux ne s'explique aucunement. Son établissement confirme donc lui aussi l'érection du rempart à la place indiquée, devant l'église Saint-Antoine, en prolongement du Palais et dans les meilleures conditions de défense.


XIIl. Tours et autres ouvrages stratégiques

Notger, au reste, dota son système défensif de tous les progrès de l'art militaire de l'époque. Autour des remparts, on l'a vu, il créa de larges fossés protecteurs, et là où la chose fut possible, il se servit, à cet effet, de la Meuse elle-même. Tel a été le cas en la Sauvenière, je l'ai dit; il utilisa aussi le fleuve, à cette fin, le long de la place dite maintenant du Théâtre, de la rue de la Régence, de l'ancienne rue Sur Meuse, de la rue de la Cité et du quai de la Goffe, où couraient les remparts, je l'ai montré également en mon ouvrage les Rues de Liège.

Les points les plus exposés de l'enceinte, comme certaines positions stratégiques furent renforcés, par le même pontife, de tours, de poternes et de bastions avancés, ainsi que l'écrivait vers l'an 1050, un biographe de ce prince. Nous en avons rencontré quelques-uns. Nombre d'autres avaient leur siège au Mont Saint-Martin principalement (81).

Quel cachet original et sévère à la fois présentait alors la jeune capitale liégeoise avec sa ligne de remparts épais qui l'enserraient de toutes parts! Coupée à de rares endroits seulement par des portes à l'aspect austère, qui étaient fermées d'un côté à l'aide de herses solides, de l'autre au moyen d'énormes verroux en fer ou de grosses poutres en bois, l'enceinte laissait émerger ici des fortins avec donjons couronnés de créneaux, là des tours rondes armées d’échauguettes et de mâchicoulis.

Il n'est pas jusqu'à la plupart des églises qui n'apparussent appropriées à la défense de la place. De fait, plusieurs d'entre elles avaient reçu de Notger même une double affectation: religieuse et militaire, comme l'usage en était d'ailleurs adopté généralement. Dans ce cas se trouvait la collégiale Saint-Martin, du haut de laquelle on pouvait observer les manœuvres de l'ennemi sur tous les alentours de la ville, et protéger les portes voisines. La tour carrée de Saint-Denis, dressée aussi à proximité du rempart avait à remplir un rôle à peu près identique. C'est la seule qui, conservée fidèlement à travers les vicissitudes des temps, puisse nous permettre de juger du caractère des édifices religieux du Xe siècle. Voyez ses murs épais percés de nombreuses et étroites meurtrières. Remarquez ses imposantes assises en moellons de grès et vous vous convaincrez sans peine que l'auteur de cet édifice a eu en vue d'en faire une inexpugnable redoute d'une pointe avancée des fortifications. Il en aura été de même pour la collégiale Sainte­Croix, voire, nous l'avons dit, pour celle de Saint-Jean, quoique située en dehors de l'enceinte.


XIV. - Les portes défensives de Notger.

Elles offraient aussi une expression grave et pittoresque à la fois, les sombres portes de la ville, épaisses de trois mètres et demi au moins, garnies de leurs lourdes tourelles et surmontées également de corps de logis à breteches. Les portes qui fermaient les entrées principales de la cité avaient pour objet de défendre ses entrées, d'en empêcher l'approche en observant les routes qui y conduisaient.

Jean d'Outremeuse ne cite que trois portes, celle dite Hasselin, la porte du Vivier et enfin la porte Saint-Pierre. Il en a certainement omis. En revanche, ce qu'il qualifie de porte Saint-Pierre n'a jamais eu le caractère d'ouvrage défensif. Lorsqu'on a percé la rue Notger, peu avant le milieu du XIXe siècle, on a découvert assez bas dans le sol plusieurs casemates ou arcades. Cela suffit pour faire croire à quelques chercheurs, à la présence de débris de la porte Saint-Pierre (82), Les matériaux ainsi mis au jour dépendaient tout simplement de l'antique crypte de la collégiale Saint-Pierre.

Il n'y a eu à la place indiquée qu'une banale porte de communication, signalée dans des documents contemporains de Jean d'Outremeuse et qu'anciennement on dénommait postiche (petite porte) Saint-Pierre. Des archives vieilles de près de cinq siècles aussi en déterminent parfaitement la situation. Cette petite porte, à laquelle on donnait parfois le nom arvau Saint-Pierre s'élevait derrière le choeur de l'église Saint-Pierre, proche du jardin fruitier du Palais. Elle subsistait au XVIIe siècle sous les mêmes désignations (83), mais elle n'avait rien qui la distingua des très nombreux arvaux des rues de la cité de cette époque.

C'est beaucoup plus avant à l'Ouest que l'on trouvait la porte - ou plutôt les portes, car il y en avait trois - commandant les routes de la Hesbaye et en partie du Condroz. Dans la vallée c'étaient à gauche le « postiche » de la Sauvenière, à droite la porte Sainte-Marguerite, dont nous avons déterminé l'emplacement. Tout en haut à gauche, pour unir les murailles à travers la voie qui suivait la crête de la colline, Notger avait jeté la porte Saint-Martin. M. Kurth admet avec moi l'existence de cette porte au temps du premier prince de Liège. Seulement il croit erronément qu'elle « n'est nommée pour la première fois que dans un texte de 1312 » (84). Mention en est faite dans maints manuscrits du XIIIe siècle (85), et n'ai-je pas rappelé, il y a déjà une dizaine d'années, que le moine Lambert le Petit la signalait dès l'année 1185 (86). Bien que considérée à l'égal d’une porte de la ville et malgré sa valeur stratégique, cet ouvrage défensif ne devait nullement être monumental à cette période reculée. Elle avait de modestes proportions et quatre siècles après Notger, on la désignait encore sous le diminutif postiche Saint-Martin (87).

Si la porte Saint-Pierre n'a pas été réellement au nombre des portes fortifiées de la cité, celle dite du Vivier a eu cet honneur. L'authenticité de ce petit monument d'art stratégique est avérée. Il ne s'ensuit pas toutefois qu'il servait de dégagement à la ville vers l'Est, ni qu'il défendait le passage d'eau, comme le pense M. Kurth (88). Ce qui aura induit l'érudit auteur en erreur, c'est une mauvaise conception de la topographie ancienne. Dans son plan-annexe intitulé Liège au temps ce Notger, il place la porte du Vivier sur la terre ferme, tout à côté du pont des Arches- non érigé alors (89)-, à la rive gauche et à une assez grande distance de la Légia. Ce ruisseau arrivait de la rue dite maintenant de la Madeleine et venait se jeter dans la Meuse à l'emplacement de la rue qui devait plus tard prendre le nom de ce riwe, la rue du Réwe. C'est à droite de ce ruisseau, dans la Meuse même, que se trouvait la porte, comme l'indique notre plan ci-joint.

Des actes vieux de prés de sept centaines d'années montrent la nappe d'eau appelée Vivier, s'étendant à l'extrémité de la rue Souverain Pont, en face de Chéravoie, jusque vers l'endroit qu'occupe maintenant la rue du Rêwe. Nonobstant l'appellation générale Vivier, donnée à ce lieu, on ne voyait point là de « vivier » dans le sens propre du mot. L'eau qui s'y amassait a toujours dépendu du cours principal de la Meuse, a toujours été en communication directe avec elle. A la vérité, le fleuve formait un petit golfe. Comment ce golfe a-t-il été communément dénommé Vivier? C'est ce qu'il est aisé d'expliquer.

J'ai exposé que les remparts venant de la Goffe couraient entre ce qui a noms officiels quai Sur-Meuse et rue de la Cathédrale. Là, où la Meuse s'élargissait, le mur s'avançait dans les eaux et se prolongeait au delà de Chéravoie (90). Une partie des eaux était donc pour ainsi dire séparée de la Meuse. De là, le nom Vivier. Seule une ouverture pratiquée dans le mur permettait aux bateaux de pénétrer à l'intérieur de l'enceinte défensive. Cependant, comme la ligne de fortification devait être continuée, on jeta sur cette ouverture, une forte arcade. Ce fut la porte du Vivier. Pour plus de sûreté, de l'arcade descendait dans la Meuse une porte à herse en fer qui, en cas de guerre, barrait complètement la circulation sur le fleuve à cette place. En pareille éventualité, la garde de la porte incombait aux habitants d'Angleur, de Boverie et de Fétinne, comme nous l’apprend un document du XlIIe siècle (91).

La situation a dû paraître d'autant plus favorable à l'établissement d'une porte fortifiée que celle-ci présentait, avec l'avantage de relier les deux tronçons de la ligne de ceinture, celui autrement précieux de protéger l'unique port que Liège possédât en dedans des murs. Tel était au surplus son but principal (92). La porte du Vivier n'avait aucunement à garder le passage du fleuve. Quoiqu'on ait pu avancer, il n'y en avait pas à cette place, d'abord pour le motif que la Meuse se développait là sur sa plus grande largeur, et ensuite parce qu'un passage d'eau à l'endroit indiqué n'eût point rencontré de chemin direct à la rive droite, Outre-Meuse. L'unique voie traversant alors ce territoire, la voie vers l'Allemagne, dite voie impériale, avait son point de départ plus en aval, là où l'an 1036 allait être jetée, pour ne s'en plus éloigner, la culée de droite du pont des Arches.

C'est en face de cette route qu'avait été établi le passage d'eau. A la rive gauche, ce passage devait être gardé par une porte que Jean d'Outremeuse laisse dans l'ombre et qui fut remplacée aussitôt après l'érection du pont des Arches, à la tête de ce pont, par la porte appelée Sainte-Caiherine, parce qu'elle avait pour voisine l'église paroissiale Sainte-Catherine.

Si le vieux chroniqueur a connu cette dernière porte, il paraît avoir ignoré celle qui devait s'élever à l'entrée du pont d'Ile. Il y avait pourtant des fortifications de ce côté, même de son temps. Le 12 décembre 1331, le Conseil communal, les échevins et les maîtres de la Cité, en un acte solennel où ils reconnaissaient les droits de possession de la cathédrale sur la place dite maintenant du Théâtre, faisaient en même temps état d'une petite tour fortifiée et des murs de remparts. Loin d'être éloignés du bras de la Meuse, comme on pourrait le croire à s'en râpporter au plan accompagnant Le Notger de Liège, ces remparts côtoyaient immédiatement la rivière (93). L'an 1547, le chapitre usant de ses droits, fit « abattre les murs depuis la tour près de la Sauvenière jusqu'à la première arche du pont d’Ile (94) ». Les soubassements de ces murs servirent ensuite de garde-fou.

La troisième des portes primitives renseignées par Jean d'Outremeuse est Hasselinporte. La presque unanimité des historiens des derniers siècles fixent son emplacement tout proche de l'église Saint-Georges.

On interrogerait vainement sur ce sujet les annalistes les plus rapprochés de Notger, voire des siècles postérieurs. Pourtant, Jean d'Outremeuse a incidemment indiqué sa situation approximative lorsqu'il raconte que le mayeur Goffin del Cange demeurait en 1312, en Féronstrée « à Hasselhieporte, entre le ruel qui vat en I'Evesque cour (rue de la Clef) et le ruel de Sor le Mont (95) ».

Nos recherches viennent confirmer le dire du chroniqueur du XIVe siècle: Hasselinporte s'élevait en Féronstrée non loin de la rue Sur le Mont. Telle est la raison pour laquelle la partie de Féronstrée comprise entre Potiérue et la rue de la Clef était désignée souvent « à Hasselinporte », il y a quatre, cinq ou six centaines d'années. Là avait été établie la porte ainsi nommée. En ces temps éloignés, Féronstrée avait beaucoup moins d'ampleur que de nos jours. La porte formait une arcade très épaisse dont la voûte reliait les deux côtés de la rue (96). Cet ouvrage défensif couvrait l'importante route de Liège à Maestricht.

A cause même de la valeur de cette route, son approche a dù être défendue par un monument militaire spécial. Les portes Sainte-Marguerite et Saint-Martin étaient parfaitement surveillées par la tour crénelée de Saint-Martin. Aucun édifice religieux net pouvait remplir pareil office pour Hasselinporte. II aura été remplacé ici vraisemblablement par un fortin qu'il ne faut pas confondre avec le château Saint-Georges, lequel joue un grand rôle dans les légendes qui ont Ogier le Danois pour héros et Jean d'Outremeuse pour narrateur. Nous croyons d'autant plus à l'existence de travaux stratégiques détachés des remparts, entre la rue Féronstrée et la rue Hors-Château que, dès qu'on creuse le terrain à l'emplacement dit, on rencontre inévitablement de très antiques et très solides massifs de maçonneries à côté d'amas de terre rapportée. Il y aura eu non loin de Hasselinporte et de la rue de la Rose une tour centrale entourée de bastions avancés, de poternes et de fossés, c'est-à-dire, ce que le latin du moyen âge appelait castrum. Le plateau de Sainte-Walburge et le mont Cornillon allaient avoir, au XlIIe siècle, chacun le sien, que le peuple appela casteal ou chasteal dans la langue commune. N'est-on pas fondé à croire que le castrum du nord de la cité aura légué son nom à la voie qui le longeait vers la colline et à cette colline même, comme la rue des Airs - Sur les Arces, originellement - tenait le sien des remparts environnants (97) ?


XV. - Conclusions.

Tels sont les renseignements que l'étude approfondie de la topographie et de l'archéologie locales, non moins que les sources écrites du moyen âge fournissent sur la plus ancienne enceinte de Liège.

Durant deux bons siècles, ces remparts mirent notre cité à l'abri des dévastations et des violences, tantôt de bandes armées et pillardes de malfaiteurs, tantôt de troupes de princes ou seigneurs voisins. Dès le Xle siècle, des annalistes faisaient ressortir les heureux fruits que retirait la capitale de sa position armée. Ils exaltent principalement la vigilance assidue qui, de la part de la jeune mais courageuse milice liégeoise, s'exerçait jour et nuit du haut des fortifications, et le dévouement généreux, unanime, déployé par les Liégeois, pour défendre ces remparts et, avec ceux-ci, la liberté et l'indépendance de la patrie (98).

Pourquoi ne pas le proclamer en terminant? La sécurité que procuraient les remparts dans le principe ne contribua pas peu à la prospérité matérielle et morale de la cité et à conquérir à celle-ci la brillante renommée dont elle jouit, dès cette époque, dans toutes les nations du monde connu.

THEOD. GOBERT.


(1) Ly Miyreur des Histors, t. II. pp. 389 et 416.

(2) Ly Myreur des Histors, t. III, pp. 8 et 9.

(3) Compte rendu du Congrès chéologique de Gand, année, 1892.

(4) PERTZ : Monum. hist. Germ., t. I, p. 452.

(5) Tome I, pp. 133-134.

(6) « Adhuc eo tempore civitas Leodiensis parva erat irruptioni violentorum patens. » (Monumenta Germ., script, t. XXV, p. 57).

(7) Cette charte a été publiée par Martène et Durand dans I'Amplissima collectio, t. VII, col. 54. - V. aussi HARTZHEIM. Concilia Germaniœ, t. Il, p. 629; - ERNST : Histoire du Limbourg, t. VI, p. 94 ; - Bulletin de la Commission royale d'Histoire, sér.1ère, t. VII p. 272.

(8) « ... a monte quo nunc aecclesia Sti Martini sita est ... » (ANSELME, dans les Monumenta Germaniae, de PERTZ, t. VII, p. 202.)

(9) ANSELME, dans les Monumenta Germ. Historica, t. VII. p. 202.

(10) BORMANS et SCHOOLMEESTERS, Cartulaire de l'eglise Saint-Lambert, t. I, p. 19.

(11) Urbem muris dilatavit et reparavit. » (ANSELME, c. 25, p. 203.) - « Notgerus urbem muro circumcinxit. » (Chron. de Sigebert de Gembloux, édit, de Schardius, 1566, f° 119 V°.)

Nous nous limitons ici à ces deux citations, nous réservant d'en invoquer d'autres dans le cours du travail.

(12) Ly Myeur des Histors, t. III, p. 7.

(13) Ly .Myreur des Histors, t. II, p. 21.

(14) Les Rues de Liège, t. III, p. 363.

(15) Depuis la rédaction de cet article, la rue Sur Meuse est devenue le commencement de la rue de la Cathédrale.

(16) Dans Le Notger de Liège, le mot porte, que j'avais écrit, a été remplacé par rue.

(17) Charte de l'empereur Otton du 9 avril 997. (BORMANS et SCHOOLMEESTERS: Cartulaire de l'église Saint-Lambert, t. I, p. 24. - Cartulaire de la colIégial Saint-Jean, p. 54, aux Archives de l'Etat.)

(18) Vita Notgeri, c. 5.

(19) Cartulaire de la collégiale Saint-Jean, p. 1.

(20) Cf. notamment charte de Saint-Jean, du 9 juin 1266.

(21) « Locurn satis firmum civitati non solum contiguum sed et super eminentem. » (PERTZ, Monumenta, t. VII, c 26).

(22) Les Rues de Liège, t. III, p. 369, 1ère col.

(23) Charte de la collégiale Saint-Pierre du 28 février 1325, aux Archives de l'Etat à Liège. - PONCELET, inventaire analytique des chartes de cette collégiale, 1906, p. 32.

(24) Le Notger de Liège, t, II, p 22.

(25) Leodium, année 1902, p. 42. - Gazette de Liège du 5 juin 1902.

(26) Les Rues de Liège, t. Il, article « Offical ».

(27) Ruhl, Gazette de Liège du 5 juin 1902.

(28) KURTH, Le Notger de Liège, t. II, p. 22.

(29) Op. cit., t. I, p. 132.

(30) 1318, 12 juin: « Chaussée qui vient de la Sauvenière et se dirige vers le Pont d'Ile. (Charte du Val Saint-Lambert, aux Archives de l'Etat, à Liège Cf. l'article « Sauveniére, les Rues de Liège, t. III, pp. 455-457).

(31) MARTÈNE et DURAND, Amplissima collectio, t, II, col. 47. - BERTHOLET, Histoire du Duché de Luxembourg, t. II, preuves, p.LXXXVIII.

(32) T. III, p. 459.

(33) L'église Saint-Michel est signalée notamment dans une charte de l'an 1185. (Cartul. de Cornilion, n° 3, f° 32. aux Archives de l'Etat.)

(34) Art. 26. (Cartul. de l'église Saint- Lambert, t. Il. p. 416.) - 1224; Maison en le Savenier ki fut Johan Mailhar devant Saint-Michiel. (Reg. 13 des Pauvres en Ile, f° 259 V°).

(35) Cf. les extraits de la Lettre aux Aisemens, reproduits dans les Rues de Liège (t. III, p. 369) auxquels nous pouvons ajouter les suivants:

« Damme Maghins del Saveniere pour l'aisemenche des murs derier sa maison, deux solz; - Vigne Bauduin del Fontenne sor Rolangoffe, six deniers; - Massons des Columbres, pour le tier qui siet fours de postiche del Sauveniere contremont, trois solz; - Messire Fastreis Bareis, pour le tier en le Saveniere, siz solz », etc.

(36) Voir les Rues de Liège, t. Il, p. 383.

(37) Op. cit., t. II, pp. 21-22.

(38) Chartes de la collégiale Saint-Martin de mars 1239, n° 43, et de mars 1265, n° 86.

(39) XIIle siècle: Maison ki sient al Tiihuel par devens le postiche delle Savenire, contre le dortoir de St Johan. (Pauvres en Ile, reg. 13, f° 240 V°, aux Archives de l'Etat.)

(40) Ce passage a été supprimé en 1825 seulement.

(41) Le chapitre de Saint-Jean était fondé en l'année 990, comme il appert d'une charte du 15 novembre 990, d'Engenulphus. (Cartul. St Jean, I et Il, f° 100 v°.) Une autre charte, du 9 avril 997, porte textuellement « Sancti Johannis in Insula ab eo ante civitatem noviter constructo. (Charte de l'Empereur Othon, dans le Cartulaire de l'église Saint-Lambert, t. I, p. 24. - Cf. Cartulaire Saint-Jean, I et II, p. 54).

(42) Nous l'avons fait connaître amplement dans les Rues de Liège, t. II, p. 553.

(43) Gazette de Liège, 5 juin 1902.

(44) Op. cit., t. I, p. 141.

(45) L'église Saint-Séverin est signalée comme depuis longtemps érigée dans des actes du début du XIIIe siècle. (Cartulaire de l’église saint-Lambert, t. I, p. 252). On avait reconnu, avant l'année 1173, la nécessité d'une église paroissiale à Sainte-Marguerite; à plus forte raison aura-t-on créé, au temps indiqué, un édifice religieux à Saint-Séverin, centre de population dès lors beaucoup plus dense et plus rapproché de la Cité.

(46) Bulletin de l'institut archéologique liégeois, t. I, p. 333.

(47) Voyages de Philippe de Hurges à Liège et à Maestricht, en 1615, Liège, 1872, p. 66.

(48) Ibid., p.62.

(49) Ibid., p. 239.

(50) Voyages de Philippe de Hurges à Liege et à Maestricht, en 1615. Liège, 1872, p. 86.

(51) Ibid., pp. 165-169.

(52) Il avait son siège à l'emplacement des instituts universitaires de la place de l'Université.

(53) Voyages, etc., p. 193.

(54) Le Notger de Liége, t. II, p. 24.

(55) Op. cit., t. Il, p. 20. L'emplacement dont il s'agit n'a été livré à la circulation que deux ou trois années avant le milieu du XIXe siècle.

(56) Voir les articles ponts de Pierre, l'Evêque, de l'Epervier, de Pierreuse, etc.

(57) XIIIe siècle: Maisons sient aseis preis de poncheal le Veske, devers Saint-Piere, de costé de jardin le Veske. (Pauvres en Ile, reg. 13, f° 193 V°.) - Entre le braserech molin et le poncheal le Vesque. (Ibid. f° 194.)

(58) Charte originale de la collégiale Saint-Jean du 2 août 1330, aux Archives de l'Etat, à Liege. - On sait que M. Lahaye, archiviste de l'Etat à Liége, prépare la publication de l'analyse du cartulaire de cette collégiale, pour la Commission royale d'Histoire de Belgique.

(59) Le Notger de Liège, t. II, p. 21.

(60) Le Notger de Liege, t. II, p, 28.

(61) Stock des Minimes, f° 88, aux Archives de l'Etat à Liège.

(62) « Et alloient les murs del citeit tout altour de Pissevaiche ».

(63) Le Noter de Liège. t. I, p. 142. - Cft., t. II, p. 22.

(64) XIlle siècle: Maison Symon Mahereal en Perose. - Johan le Charpentier, de Perose - Maison en Peroise. - Maison en Perose, entre le maison le vesti (curé) de St-Andrie, etc...(Pauvres en Ile, reg. 13, f° 193 V° et 194, aux Archives de l’Etat). - V. en outre, les Rues de Liège, t. III, article «Pierreuse».

(65) Cf. les Rues de Liège,, t. III, p. 191, article « Pixhevache ».

(66) « Pissevaiche, où les maisons sont sus fondées. »

(67) XIlle siècle: Trois maisons ki sient drir Saint-Pire, en la rue de Pisevache desoire le rive de costé vers Saint-Servais. (Pauvres en Ile, reg. 13, f° 204 v°.)

(68) Stock de la paroisse Sainte-Catherine, reg. 1440-1480, f° 69, aux Archives de la paroisse Saint-Denis, à Liège.

(69) 1366, 10 mai: Lettre de la Cité de Liège pour la terre derrière les colonnes de Saint-Pierre, « commenchant al pont condist al Souse, revenant aval juxes al altre pont, devant la malle que on dist Pissevaiche et joindant à frons al cauchie de l'unc pont al altre... (Archives de a collégiale Saint­Pierre, reg. 10, f° 19, aux Archives de l'Etat, à Liège).

(70) Op. cit., t. I, p. 163.

(71) Années 1315-1345: Maison Derrière les Ars. - Domus Retro les Ars, in Ferunstree. (Reg. de la Cour féodale, aux Archives de l'Etat, à Liège.)

(72) XIIIe siècle: Jordan le fruitier Drir les Ers, dont ilh a fait jardin... Maison Drir les Ers. (Pauvres en Ile, reg. 13, f°184, v°, 189 v°).

(73) Tome I, pp. 65 et 158.

(74) Les Rues de Liège, t, II, p. 36; t Ill, p. 363.

(75) 1293: Maison en la rue condist Defours Chasteal encontre l'église des Frères Menours en Liege. (Charte de l'abbaye de Robermont, aux Archives de I'Etat à Liège. - Cft. Rues de Liège, t. II, p. 38.

(76) Locus in vico Extra Castrum qui Minorum fratrum usibus est noviter presentatus. (Cité par Jean d'Outremeuse, t. V, p. 268.)

(77) Dans une étude spéciale intitulée « Un antique nom topographique de Liège » (Bulletin de l'institut archéologique liégeois, t. XXXV), j'ai établi qu'avant de quitter le quartier de la Madeleine, la Légia recevait primitivement, à raison de son affectation à cette place, le nom Merdecoul. On m'a reproché de ne m'être armé que d'un seul texte pour appuyer ma démonstration, bien que ce texte soit de beaucoup le plus ancien connu - puisqu'il date de l'an 1218, et s'accordât avec les circonstances du lieu et avec les faits. Depuis, j'ai rencontré plusieurs exemples de cette leçon Merdecoul (*), dans les archives locales du Xllle siècle encore, qui viennent corroborer mon opinion à ce sujet. D'autres textes anciens, découverts récemment, confirment ma conviction que cette dénomination s'appliquait au ruisseau, à l'endroit indiqué exclusivement (**).

(*) 1299: Molin qui siet en Liège sur le riu de Merdecuel (Cartulaire de l’église Saint-Lambert, t. Il, p. 557.)

(**) Xlll siècle: Maison de Boilhon sors Mercul, devant le Molineal. (Pauvres en Ile, reg. 13, f° 222. - 1357: seante sor le riu desor Mielchuel. (Cartulaire de l’église Saint Lambert, t. IV, p. 259.) - 1342, 23 août. Maison près du moulin desour Merlecul. (Collégiale Saint-Jean: Charte originale sur parchemin) - 1384: Maison faisant le coron desour Merchoule en le ruwe c'on dist Clinoreilhe. (Cartulaire de l'église Saint-Lambert, t. III, p.624.)

(78) XlIIe siècle: Maison Wathier le bolengier a poncheal de Peroise. (Pauvres en Ile,. reg. 13, f° 194.)

(79) XIIIe siècle: Maison ki siet Sor le Bunghuel. (Pauvres en Ile, reg. 13, f° 194 v°).

(80) 1378: Maison Defours Casteaul, joindant le maison Monsingneur Radut Surlet, chevalir, où ens maint al présent Rollans de Fouz, tout sorlont le riw condist de Bougnule contrevaz... (CUVELIER: Cartulaire du Val Benoit, pp. 623-624.)

(81) « Claustrum exterius ejusdem ecclesie Sancti Martini, inciso colle Publici Montis, triplici vallo et muro cum popugnaculis et turribus sublimibus communivit et eandem muri et turrium munitionem circa ambitum civitatis sua longitudine et latitudine, sicut adhuc hodie videtur perduxit » ( Vita Notgeri, dans les Monumenta German, Histor., de PERTZ, et reproduite par M. Kurth, dans le Bulletin de la Commission royale d'Histoire, s. 4, t. XVII.)

(82) Bulletin de l’Institut Archéologique,, t. III, p. 412.

(83) Cf. les Rues de Liège, t. III, p. 169, où je donne de nombreux textes confirmatifs.

(84) Le Notger de Liège, t. Il, p. 28.

(85) XIIIe sièle : ... ki sient de fors le postiche de Saint-Martin. (Pauvres en Ile, reg. 13, f° 254.)

(86) « Per portam Sancti Martini », Chron. de Lambert le Petit dans les Annales de Saint-Jacques, éd. des Bibliophiles liégeois, p. 43.

(87) Cf. les Rues de Liège, t. Ill, p. 279.

(88) Op. cit., t. II, pp. 25 et 27.

(89) La direction du pont des Arches, indiquée dans le plan de M. Kurth, est celle que le pont eut seulement à partir de l'an 1446; auparavant le pont était en prolongement direct de la rue du Pont comme le porte notre plan.

(90) En 1897, en creusant les fondations de l'hôtel des Postes, à l'angle de la rue de la Régence, on a relevé l'anciens pans de mur avec restes de tour que certains ont cru pouvoir attribuer à l'enceinte de Notger.

(91) Coutumes du Pays de Liège, t. I, p. 76.

(92) Cf. les Rues de Liège, t. IV, p. 180.

(93) Cartul. de l'église Saint-Lambert, t. III, p. 394.

(94) Cathédrale Saint-Lambert: Conclusions capitulaires du 20 mai 1547.

(95) Tome VI, p. 161.

(96) Dans les Rues de Liège, t. II, pp. 12-13, j'ai fourni des renseignements sur cette porte, avec textes nombreux à l'appui. D'autres textes corroborant les miens peuvent êlre rencontrés dans le reg. 2 de l'hospice Saint-Abraham, aux Archives de l'Etat, à Liège.

(97) Cf. les Rues de Liège, t. II, p. 37; t. III, p. 364.

(98) Urbem pro tempore et loco munitam per statutos in arce vigiles, et claustra portarum jugiter obserata die noctuque, ab incursu hostium tutam reddidit: domos tam clericorum quam laicorum armis refertas esse: cives nonnunquam in armis, esse pracepit. » (ANSELME, cap. 54 et g6.)

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