Les Robots.
extrait de la "Gazette Illustrée"
Première période
Pourquoi te tracasser? Si tu entends dans le ciel le bruit d'une moto remorquant des marmites, c'en sera une, nous dit un de nos jeunes volontaires qui avait forgé ses premières armes en Ecosse... et contre toute attente, la moto céleste, chargée d'explosifs et de mort... vint..., passa... revint... repassa... (je dirai même qu'elle finissait par devenir banale) mais le lundi 20 Novembre 1944 à 15 heures, le monstre cala... un silence de mort 3, 4, 5, il plane... ùn frisson... 8, 9, 10, il pique... plouf !!
Les présentations sont faites!!! Une erreur sans doute ? C'est Anvers qu'ils cherchent
17 heures: Touc, Touc, Touc,... je cale, je plonge : nous sommes dans le bouillon!
Et la stoïque population liégeoise, toujours occupée, parfois abritée, vécut d'affilée 300 heures de cauchemard, de terreur, de ruines, de deuils, d'asphyxies, de larmes, de faim et de froid
Hou... hou... hou... les vitres vibrent à se rompre... toute vie se glisse sous terre, on attend haletant... Boum! Une cataracte de briques et de poutrelles.., un panache de fumée, tantôt blanche, tantôt noire, tantôt pourpre, signal d'hécatombe. Il a plu du verre pulvérisé
Le quart, la demi, le quart, l'heure... la cadence est chronométrée. Madame, Madame, toute la file est anéantie devant la boulangerie. Le bruissement d'un titan rabottant une forêt... crac! Jeanne est morte... on vient de déblayer Henri... il a les deux jambes brisées.., son coeur bat... mais Jeanne s'est refroidie dans ses bras.
Minuit 33, 36, 39. 42 hou... hou... hou... Courage vieux, on en arrête beaucoup et demain il n'en passera plus.
La mine « grande mangeuse d'hommes », ouvre ses bras noirs et donne un asile sûr dans ses entrailles profondes. Un berceau enjambe une flaque, un homme exténué s'est endormi au long de la faille, un filet d'eau ruisselle dans sa nuque. Il ronfle.
14h45 - 14h50 - 14h55 - 15h.
Attention... compressions ultra rapides, plus vrombissantes, plus siffIantes, une gerbe d'étincelles... cachez-vous!!! ... à boire, chère soeur, qu'est-il arrivé? Touc, Touc, Touc,... ric, ric, ric,... La « Belle Fleur » est touchée, pourra-t-on remonter la cage ?
Le commerce (noir naturellement) n'a pas perdu ses droits, un éclopé parcourt les abris et vend des galets caoutchouteux... un petit petiot déguenillé, provisoirement orphelin, les dévore d'un regard cerné.
Tiens, une accalmie, poussons le nez à l'extérieur: comme sur les toits de Paris, les bouts de buse surgissent des soupiraux épargnés et lachent de timides volutes s'aplatissant dans les tampons de brouillard.
25 Novembre 1944. Les courageuses équipes de secours déblaient... toc, toc, toc,... dehors... toc, toc, toc,... dedans... allons du nerf, on répond.
26 Novembre. Toute une famille git crispée dans une loge à vin.., le pinson continue son va et vient dans sa minuscule cage... le lapin blanc renifle une carotte.
27 Novembre. Une servante surgit d'une cave et interpelle un grand moine blanc qui passe imperturbable sur le terre-plein de l'avenue cossue. -Monsieur voudrait absolument vous parler, mon père! Le moine accède très volontiers à la demande, en ponctuant: Je suis là pour cela, mon enfant! Il pénètre en baissant la tête dans la « cave-salon ». Un magnat d'industrie tremble de tous ses membres... un court dialogue s'échange... 40 années défilent dans un cinéma vertigineux..., le prêtre remonte dans la tourmente, son froc blanc moucheté de larmes
28 Novembre. Ils ralentissent dirait-on ! Zut, en voilà un... plouf!... ce n'est rien.., c'est à Fragnée.
29 Novembre. Cela ne finira-t-il donc jamais ? 7
30 Novembre. Les services de la D. A. P. évacuent quelques enfants avec de rares camions.
1er Décembre. La population grise de poussière est exténuée... Des âmes sont revenues à Dieu.
Lundi 4 Décembre... silence,
Mardi 5 Décembre... silence complet
Ah mais cette fois on les arrête tous ! Hélas non! Les ressorts sont détendus, la première manche est seulement jouée.
On déblaie... on respire... on ensevelit... on oublie...
Deuxième période
16 Décembre 1944. Au jardin, Minette lèche un de ses jarrets tendu vers le ciel... elle s'immobilise, tend l'oreille, bondit du mur et plonge dans le soupirail... Hou... Hou... Hou... pas de doute, le claquement sinistre approche... descendez, les enfants
Le « poste » demeuré dans les soussols depuis le 22 novembre, annonce: Restez calmes... la situation, quoique grave, n'est pas désespérée... une armée considérable, épaulée de « Tigres » se groupe et s'ébranle vers la Meuse.
Les services secrets de von Runstedt avaient repéré les brèches de l'optimiste Amérique en déplacement et les regards du monde entier se concentraient sur les carrefours de Malmedy, Stavelot et Gemmenich.
Touc. Touc. Touc.... ric, ric, ric...
Une jeep montée par 4 espions serait coffrée à Aywaille ??? (On ne le saura jamais!)
Touc, Touc, Touc,... ric, ric, ric...
Restez calme, quoique la situation reste confuse.
Un dictateur de Vaudeville, d'origine bouillonaise, est aux avantpostes avec une valise de billets neufs à son « chiffre ».
Hou... Hou... Hou...
La fuite s'organise. Les privilégiés chauffent et démarrent vers la citadelle éternelle de « ... Frousseville ».
La course de taxi s'arrache à 4.000 francs.
Le pauvre, le prêtre, l'ouvrier, l'homme sain et conscient de ses devoirs, (dont bon nombre de médecins) nos magnifiques petits scouts, restent rivés à l'enfer et donnent de nouveau à l'histoire le témoignage renouvelé des vraies valeurs civiques et de l'entr'aide.
18 heures... Il a calé, il vire de babord, vire de tribord, plane esquisse un entrechat... retourne quelle chance, ce n'est pas pour ici... attention! il revient.., crac! la vieille église aux cloches fêlées et son clergé sont anéantis... le « gravier » est désolé... ma tête rebondit 3 fois sur la bordure du trottoir.
22, 23, 24 Décembre 1944. Les ruines disparaissent dans le brouillard. Les interminables convois étoilés montent en ligne à l'aveugle, les troupes anglaises du nord amènent des centaines de « chars » à la rescousse. La Cité martyre a revêtu son manteau d'hermine, lacéré d'échancrures béantes ... les « crassets à pétards » se frayent passage à travers un dense rideau de flocons blancs.
Toute vie est souterraine.., tous les verrous sont pour le moins-sautés, on ne sonne plus aux portes, les visites se font toutes dans le même sens et sans avertissement... et le 1944ème anniversaire de la naissance du « Sauveur » se célèbre, très simplement, dans un cadre d'une réalité tragique, avec un regain d'actualité cuisante, comme à Bethléem, dans le froid, dans la misère, sur la paille, dans le pétrin...
Les messes du 25 Décembre seront écourtées et la population liégeoise condamnée à mort priera avec foi à découvert dans les temples meurtris.
Si l'écho des « cent soupapes » est quelque peu amorti par la brume, par contre des nouvelles très claires nous parviennent des capitales: tout y est joie, tout y est danse, tout y est bombance, chaque salon se réclame de l'honneur soit du « Colonel lord » soit du « Colonel rancher » soit du « Colonel boxeur » voire même du « Colonel gangster ».,.
Et l'année de la Libération s'enterre sans regrets et sans souhait! Les ruines s'accumulent et s'enchainent... toutes les bouches murmurent les noms des grands blessés: Sainte Marguerite... Angleur, Ans... Herstal... Ougrée... Seraing... Cornillon... etc... etc...
7 janvier 1945
On les tient enfin partout Une courageuse dame de Rochefort a dévoyé avec cran une colonne de char "Tigre "
Bastogne encerclé tient envers et contre tout