L'Industrie nationale. Les voies de communication. Le soixantième denier. Les relations douanières.
« Je suis absolument sûr qu'en tenant compte plus qu'on ne l'a fait jusqu'ici de la situation économique du pays de Liège pendant le XVIIe siècle, on renouvellerait, en bien des points, l'histoire des agitations politiques de ce temps » (1).
Ainsi s'exprimait, en 1909, M. Henri Pirenne à l'un des congrès de la Fédération archéologique et historique de Belgique.
Ces paroles de notre grand historien permettent de toucher du doigt l'une des plus fâcheuses lacunes de nos connaissances. L'état économique de la principauté a été jusqu'ici, et pour le XVIIe siècle surtout, un sujet fort négligé. Quelques spécialistes pourtant ont fourni d'importantes contributions à cette étude (2), mais c'est le XVIIIe siècle qui semble les attirer en ordre principal. Au surplus, le manque de coordination dans les efforts individuels ne permet pas encore de voir très clair dans un seul domaine du champ économique. L'examen systématique des divers facteurs de la prospérité du pays aussi bien que l'élucidation des questions de relations étrangères, s'imposeraient. Mais ce travail ne peut être l'oeuvre ni d'une année ni même d'un seul homme.
Il exigera sans doute encore bien des tâtonnements. En attendant, il est possible d'y contribuer chacun dans la mesure de ses moyens et d'étendre ainsi peu à peu le cercle de nos connaissances.
Dans les pages qui vont suivre, on a tenté de jeter quelque lumière sur quelques-uns des grands problèmes économiques qui se sont posés dans le pays de Liège au cours du XVIIe siècle. On ne s'est naturellement pas interdit de remonter parfois jusqu'au XVIe ou au XVe siècle lorsque l'objet de l'étude même le réclamait. Mais, en limitant aussi strictement que possible ce travail au XVIIe siècle (3), on a cru avoir ainsi jeté les bases de recherches plus approfondies sur le XVIIIe siècle liégeois qui fera l'objet d'un prochain volume.
Nous étudierons successivement l'état des principales industries de la principauté au cours du XVIIe siècle, le problème des voies de communications vers la France, la fameuse taxe du « soixantième denier » et les différentes phases de la politique économique des Etats voisins à l'égard du pays de Liège, notamment les conflits douaniers (4).
CHAPITRE I
Les Industries nationales
SOMMAIRE :
A) L'Industrie extractive: 1° l'exploitation de l'alun; 2° l'exploitation du fer; 3° l'exploitation de la houille. Ingéniosité de nos ancêtres dans ce dernier domaine. Les « pompes à feu ». Importance de l'extraction.
B) L'Industrie de transformation. La politique économique des Liégeois.; 1° La verrerie: les Bonhomme, les Nizet. 2° L'Industrie sidérurgique: a) l'armurerie ; b) la fabrication des canons; c) la clouterie. Curtius, Mariotte, L. de Geer. 3° L'Industrie textile: à Liège; à Verviers. Importance croissante de cette branche. La concurrence économique.
L'industrie extractive fut toujours très florissante dans la principauté. Au premier rang, figurait l'exploitation de la houille, du fer et de l'alun. En ordre subsidiaire, venait celle des mines de calamine (5) et de plomb (6), des carrières de grès (7) et de calcaire (8), sans parler d'une foule de produits d'importance minime. Les forêts fournissaient, en quantités pas toujours suffisantes, le combustible nécessaire à l'industrie métallurgique.
L'industrie alunière, née dans la seconde moitié du XVIe siècle, connut des années de prospérité inouïe (9). De Huy à Flémalle-Haute et surtout dans cette dernière localité, ses progrès (10) ont enrichi les sociétés de capitalistes qui se livraient à l'exploitation des alunières (11). Elle ne connut aucun rival sérieux sur le continent avant la fin du XVIIe siècle (12),et, malgré la consommation des teintureries de Verviers, elleput exporter la plus grande partie de sa production (13). Mais alors elle rencontra la concurrence redoutable de l'alun italien et surtout de l'alun anglais et, malgré la continuation d'une exploitation toujours brillante, elle entra avec le XVIIIe siècle dans une ère de décadence.
L'extraction du minerai de fer a eu son foyer le plus important dans l'Entre Sambre et Meuse. Le marquisat de Franchimont en a fourni aussi de notables quantités, mais, privé de communications avec le coeur de la principauté, il n'a pu pourvoir le marché de la cité de Liège et de sa banlieue. Ici ce sont surtout les fers namurois et luxembourgeois qui alimentaient la clouterie et les autres branches de l'industrie sidérurgique. Pour ne pas mutiler l'exposé de l'activité de celle-ci, nous réserverons pour plus tard l'examen de l'exploitation et des transformations multiples du minerai.
L'industrie houillère, on le sait, a été de tout temps la branche la plus réputée de l'activité économique de nos ancêtres (14). Ceux-ci en ont fait l'industrie liégeoise par excellence, et leur mérite d'originalité et d'innovation dans ce domaine n'a jamais été contesté. Depuis le XIIe siècle, l'exploitation de la houille avait pris de plus en plus d'extension et, à partir du XVIe, de nouvelles fosses étaient ouvertes quasi annuellement (15). La consommation qui se faisait dans le pays était considérable et on la signalait sur le continent comme un cas presque unique (16). Mais l'incapacité où l'on se trouvait de se servir de ce combustible dans la grosse industrie métallurgique jusqu'au début du XIXe siècle (17) permettait l'exportation des 2/5 environ de la production à l'étranger (18). Les Provinces-Unies constituaient naturellement, le meilleur débouché, mais aussi la Lorraineet la France. Celle-ci accordait d'ailleurs des tarifs de préférence aux charbons liégeois sur les charbons anglais (19), touten soumettant l'entrée des premiers à des droits toujours un peu plus élevés (20).
On désirerait beaucoup savoir quelle a été au cours des diverses époques l'importance de l'extraction charbonnière. Mais, avant le milieu du XVIIIe siècle, on n'a aucune statistique quelque peu sérieuse. Les chiffres que l'on a donnés sur la productivité de nos houillères au XVIe siècle sont fantaisistes ou erronés (21).
L'ingéniosité de nos ancêtres put s'exercer à la solution du plus grave problème qui se soit posé au cours de l'extraction minière: la construction de pompes destinées à l'épuisement des mines envahies par les eaux. Dans ce domaine c'est un allemand qui, en 1585, prit l'initiative de l'introduction d'une machine d'exhaure, mais ses efforts échouèrent (22). Les Liégeois s'appliquèrent à parer au danger si menaçant mais ils durent encore faire appel à l'étranger. Ce fut un Français cette fois qui, en 1629, reçut l'autorisation d'exploiter pendant quarante ans son invention « pour tirer avec facilité et peu de frais houilles et eaux hors fosses » (23). Dès lors, les Liégeois surent eux-mêmes perfectionner les machines d'épuisement. Ils arrivèrent même à conquérir une telle réputation que l'un des leurs s'immortalisa en introduisant leurs procédés dans les parcs de Versailles et de Marly (24). Au surplus, la série toujours renouvelée des octrois accordés aux inventeurs à partir de la fin du XVIIe siècle (25) atteste hautement leur esprit d'initiative et d'ingéniosité (26).
A la fin du XVIIe siècle, on réussit en Angleterre à appliquer la vapeur aux machines d'exhaure, et Liège eut l'honneur de voir fonctionner chez elle la première « pompe à feu » que l'on ait montée sur le continent (26). Ce fut probablement un irlandais qui introduisit cette féconde invention et la rapidité de l'importation de celle-ci témoigne de la réputation mondiale de notre industrie houillère. Ce procédé fut bientôt appliquéà l'extraction du charbon lui-même: il se répandit dans tout le bassin mosan et un liégeois ne manqua pas à son tour de l'introduire dès 1725 dans le bassin de Charleroi (27)
Ces quelques notes sur un sujet à peine ébauché permettront semble-t-il d'apprécier à sa véritable valeur le rôle de premier plan joué par nos houillères dans l'économie liégeoise.
Il faut passer à présent à l'ensemble des branches qui alimentent l'industrie manufacturière du pays. Ici encore nous trouverons chez nos ancêtres toute une tradition d'activité et de succès qui n'est pas près de s'éteindre.
Le facteur étranger a été fort appréciable dans l'importation d'industries nouvelles et dans l'établissement de manufactures spécialisées. Le conseil privé, dispensateur attitré de ces faveurs, se montrait en général accueillant et même fort libéral, dans le cours du XVIIIe siècle du moins (28). C'est ainsi qu'un Espagnol avait dès avant 1550 introduit à Liège la fabrication des gants (29), qu'un milanais reçut en 1614 le privilège de la confection du cuir doré (30), qu'un allemand importa de son pays en 1629 la fabrication du fer blanc (31).
C'est ainsi que des lorrains introduisirent au XVe siècle l'industrie du verre (32) et que des Italiens, particulièrement des Vénitiens, la perfectionnèrent au siècle suivant (33).
Ceci nous prouve que l'une au moins des manifestations du mercantilisme n'a pas épargné le pays de Liège au début du XVIIe siècle déjà. En général cependant, c'est l'idée de liberté qui a dominé l'organisation économique de la principauté. Le pouvoir central, « non par principe mais par impuissance » a laissé libre cours à l'initiative privée (34) et s'est abstenu de toute réglementation. Mais, n'exagérons rien: toute règle comporte des exceptions et il serait facile de montrer que nos ancêtres ont professé comme tout le monde en leur temps plusieurs des principes essentiels du mercantilisme (35). Quoiqu'il en soit, il reste vrai que l'on peut étudier l'activité économique liégeoise, abstraction faite de toute ingérence appréciable de l'autorité princière.
Si nous abordons à présent l'examen des branches capitales de leur activité industrielle, nous nous trouvons en présence, aux XVIe et XVIIe siècles, de l'étonnant développement de l'industrie sidérurgique et de l'industrie drapière. Sans égaler celles-ci, la verrerie a permis aussi aux Liégeois de conquérir une brillante réputation. Nous consacrerons quelques pages à l'exposé de ces principaux facteurs de leur prospérité.
Au début du XVIIe siècle, malgré la concurrence de Bruxelles et d'Anvers, la verrerie liégeoise s'affirmait particulièrementflorissante. A la direction de maîtres italiens, s'était déjà substituée celle d'industriels liégeois (36), lorsque, en 1638, la verrerie liégeoise se trouva monopolisée par les frères Henri et Léonard Bonhomme (37), déjà propriétaires d'établissements semblables à Huy, Jumet, Verdun et Bois-le-Duc (38). Plus heureux que leurs confrères de l'industrie sidérurgique, ils réussirent à utiliser la houille pour chauffer leurs fours, et, en l'an 1650, le gouvernement leur octroyait l'exclusivité de la fabrication du verre et du cristal dans tout le pays (39).
Avec de telles armes, il n'est pas étonnant qu'ils aient triomphé de leurs rivaux des Pays-Bas et qu'ils se soient rendus maîtres successivement des établissements de Maastricht (40), d'Anvers et de Bruxelles (41). En 1660, ils écoulèrent, dans la capitale des Pays-Bas seulement, plus de 150.000 verres et en quatre années leur débit dans cette ville atteignait un demi-million de verres (42).
Après la mort des deux frères (43) qui comptèrent parmi les plus grands capitalistes de leur temps, la verrerie liégeoise soutint sa réputation et reprit même un nouveau lustre, dès 1709, avec Jacques Denis Nizet (44), dont les descendants se maintinrent dans cette branche jusqu'au XIXe siècle. Mais l'inouïe prospérité de l'âge d'or de la verrerie liégeoise ne se maintint pas. Les héritiers des Bonhomme entrèrent en procès avec les nouveaux exploitants (45), tandis que la redoutable concurrence des Pays-Bas réussissait à enserrer la principauté entre ses manufactures de Namur, de La Rochette (46), d'Amblève (47) et de Chênée (48). La décadence était irrémédiable dès le milieu du XVIIIe siècle.
Passons à présent à l'examen de l'industrie sidérurgique (49). Dans ses diverses manifestations, fonderie de canons, armurerie, clouterie, quincaillerie, elle conquit au cours de l'époque moderne une réputation toujours grandissante.
Nécessairement limitée pendant le moyen âge, elle ne commença à acquérir une réelle importance qu'au XVe siècle (50). Elle bénéficia d'ailleurs de la terrible décadence qui frappa à cette époque la dinanderie. Celle-ci, après avoir joui d'une grande prospérité jusqu'au milieu du XVe siècle, fut mortellement atteinte d'abord par le désastre de 1466, ensuite par la concurrence de Malines (51) et de Namur. La plupart des marchands batteurs s'étaient réfugiés dans cette dernière ville et beaucoup cessèrent leur commerce (52). Un peu d'activité reprit au cours du siècle suivant (53) mais les prohibitions douanières des Pays-Bas achevèrent de ruiner une industrie languissante (54). Au début du XVIIe siècle, une seule fonderie de cloches existait encore (55).
L'industrie du fer, au contraire, couvrit de ses forges et de ses hauts fourneaux l'Entre Sambre et Meuse et le marquisat de Franchimont. Dans celui-ci, un dénombrement de l'année 1509 révèle l'existence d'une trentaine de maîtres de forges (56), et, si la décadence survint au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, la prospérité momentanée dont a joui cette région n'en est pas moins certaine (57).
C'est à coup sûr l'Entre Sambre et Meuse qui fut la terre bénie de l'extraction sidérurgique. Les richesses minérales de cette petite province, si bizarrement découpée, paraissaient inépuisables. La qualité du fer qu'on y exploitait défia toute concurrence jusqu'au XVIIIe siècle. Mais pour ne pas scinder l'étude de la situation propre de l'Entre Sambre et Meuse au point de vue économique, nous réserverons pour un prochain chapitre l'exposé de ses particularités spécifiques.
Nous nous bornerons ici à enregistrer les témoignages les plus significatifs de la capacité de nos ancêtres dans le travail du fer, ainsi que les progrès les plus saillants qu'ils ont accomplis dans ses diverses branches.
Au XVIe siècle déjà, la réputation de l'armurerie liégeoise avait franchi ses frontières. En 1553 notamment, un dinantais est signalé comme pourvoyeur de l'artillerie de Charles-Quint (58). L'Espagne, en effet, va mettre à contribution ses alliés pour la fourniture de canons. Aussi constate-t-on fréquemment la conclusion de contrats assez importants (59). Toutefois, c'était des fondeurs liégeois eux-mêmes que l'Espagne avait le plus urgent besoin. Mais réussissait-elle à en attirer quelques-uns par des propositions avantageuses (60), que la crainte de l'Inquisition chassait bientôt les arrivants, habitués dans ce domaine à une législation très différente (61). En 1603, cependant, elle parvint à obtenir l'engagement des frères del Brouk (62) pour une durée de huit années et moyennant un salaire annuel de 2.000 florins (63). Quelques temps après, l'Espagne allait faire chez nous une glorieuse recrue.
Tout le monde sait la fortune colossale que sut acquérir au service de l'Empire et de l'Espagne notre célèbre concitoyen Jean Curtius (64). « Commissaire général des munitions de guerre aux Pays-Bas», il garda longtemps le monopole du salpêtre qu'il avait d'abord partagé avec un poudrier belge (65). Après diverses opérations financières (66), il finit par se trouver seul à même de pourvoir aux embarras d'argent de l'archiduc Albert (67). C'est ainsi qu'il se trouva un moment son créancier pour plus d'un demi-million sans pouvoir nourrir l'espoir de rentrer un jour dans ses débours (68). On rapporte même qu'il aurait décliné les magnifiques propositions que lui fit Henri IV (69) pour répondre aux sollicitations de Philippe III. Celui-ci faisait rechercher dans le pays de Liège des armuriers capables d'introduire en Espagne des machines pour couper et étirer les fers et les cuivres, les transformer et les forger. Curtius s'engagea en 1616 à fournir les ouvriers compétents et à se rendre lui-même en Espagne pour douze années (70). Le Crésus liégeois (71) alla y achever sa carrière et les diplômes de noblesse que lui accordèrent Philippe IV et l'empereur attestent glorieusement les titres qu'il s'était acquis à la reconnaissance de ces deux souverains.
Au cours du XVIIe siècle, l'Espagne continua ses démarches pour attirer chez elle des fondeurs. En 1677 elle s'adressa aux liégeois Mariotte, qui, père et fils, avaient conquis une réputation étonnante dans toute l'Allemagne, où ils avaient érigé des forges. Leurs produits s'écoulaient notamment en Hollande grâce, semble-t-il, à la supériorité de la main d'oeuvre qu'ils employaient (72). Des négociations s'ouvrirent avec le résident espagnol à Liège et l'on aurait fini par tomber d'accord pour l'engagement de cinq spécialistes (73). On ne voit malheureusement pas ce qu'il advint de ce contrat ni dans quelle mesure les Mariotte ont pu contribuer à la réputation liégeoise au-delà des Pyrénées.
L'Espagne n'était pourtant pas seule à solliciter le concours de nos ancêtres. Pendant la seconde moitié du XVIIe siècle, le duc d'Aremberg opéra un fructueux raccolage parmi les ouvriers métallurgistes du pays de Franchimont pour ses forges de l'Eifel (74). En 1698, on signalait dans le pays la présence de commissaires de l'électeur palatin qui engageaient nos ouvriers à aller tenter la restauration de leur patrie dévastée par les guerres (75). Les Suédois eux-mêmes dès le premier quart du XVIIe siècle cherchaient à attirer chez eux les artisans du pays wallon (76).
Mais ici il est indispensable de faire un retour en arrière pour consacrer quelques lignes à la mémoire de l'homme illustre qui, enfant du pays liégeois, passa pour avoir été le plus grand industriel et le plus grand financier de la Suède au XVIIe siècle: Louis de Geer (77).
On connaît à peine depuis quelques années combien importante et même décisive fut pour l'avenir de l'industrie suédoise cette émigration wallonne et particulièrement liégeoise de la fin du XVIe et du commencement du XVIIe siècle. Les très rares listes que l'on a retrouvées attestent la présence de 171 ouvriers de nos régions, surtout de Theux, avant l'année 1633 dans ce pays (78). Cette émigration se poursuivit d'ailleurs pendant l'époque moderne, alimentée sans doute par les conflits religieux et favorisée par une certaine tolérance de fait à Stockholm (79). En 1595, le liégeois Velam de Besche et son frère allèrent créer l'usine de Forsmark inaugurant ainsi la tradition que les de Geer allaient reprendre (80). Louis de Geer, père, avait quitté la patrie liégeoise (81) à la suite des guerres de religion, pour aller s'établir dans les Provinces Unies. Il fonda une banque à Dordrecht et y fit une rapide fortune. Son fils Louis, après avoir été apprendre le commerce à Rouen et y avoir acquis le génie des affaires, revint en Hollande où il devint l'un des plus grands capitalistes. Gustave Adolphe, s'étant en 1616 adressé aux finances de la République, entra en relations avec Louis de Geer et lui emprunta des sommes considérables. Puis il finit par décider notre concitoyen à venir prendre la direction de l'exploitation industrielle de son pays. Louis avait d'ailleurs été précédé en Suède par son frère Mathieu sans que l'on sache à quel titre (82). La puissance, la fortune et la gloire que Louis de Geer réussit à conquérir dans sa nouvelle patrie d'adoption sont choses extraordinaires mais bien connues. Retenons seulement ici qu'il partage avec les frères de Besche l'honneur d'avoir introduit en Suède les méthodes liégeoises de sidérurgie.
Après la Suède, l'Angleterre! Ici encore c'est un Liégeois, Godefroid Brox qui construisit à Dartford la première fonderie de ce pays en 1590 et la fabrication des couteaux dont la lame se replie sur le manche fut introduite à Sheffield en 1650 par des ouvriers wallons (83).
On n'en finirait pas s'il fallait détailler tout ce dont l'étranger nous est redevable dans ce domaine. Bornons-nous pour terminer à signaler la conquête industrielle de la Prusse par nos armuriers au XVIIIe siècle (84).
Ainsi qu'on l'a bien fait remarquer, l'industrie des armes à feu semble être la seule qui, sous l'ancien régime, « a présenté le spectacle d'un perfectionnement continuel » (85). Cette observation est particulièrement pertinente pour le pays de Liège, qui, dans ce domaine, ne doit rien à personne. Il n'est pas possible ici d'entrer dans aucun détail. Signalons cependant quelques faits importants.
En 1613 deux armuriers de la Cité, P. de Coudroy et J. Van Beul, obtiennent le privilège de fabriquer seuls de « l'acier meilleur que celui qui s'amenne des pays étrangers. » Ils ont en effet « le secret de faire acier non par artifice, mais avec les gueuses desquelles se forge le fer, même le transmuer et affiner le fer en acier beaucoup plus fin et meilleur que celui qui se forge au marteau » (86). Cet acier de cémentation dont l'existence est ainsi attestée, resta le « secret » de Van Beul car son associé l'abandonna et vit rayer son nom du privilège d'octroi (87). Toutefois, la mise en oeuvre de sa recette aiguisa l'esprit d'ingéniosité des inventeurs, car, en 1629, un sieur du Holland recevait pour 20 ans un octroi analogue et s'établissait à Dinant (88).
En 1627, une invention appliquée à la fabrication des pistolets favorisa le débit des armes liégeoises (89).
Pour répondre aux exigences de la clientèle, il fallut aussi songer à organiser un « banc d'épreuve ». Cette institution ne se fit pas en un jour mais fut au contraire le fruit d'une assez lente évolution. Après une longue période où les épreuves des armes à feu « étaient laissées à l'arbitraire du client et du fabricant » (90), on constate que la Cité de Liège intervient de manière indirecte ou plutôt qu'elle est priée de faire attester par des « maîtres canonniers assermentés » l'accomplissement des formalités de l'épreuve (91). Enfin, un édit du prince vint, le 10 mai 1672, instituer officiellement un « banc d'épreuve »qui a su accomplir sa tâche avec une équitable sévérité (92).
Aussi les commandes affluaient-elles sur le marché liégeois! En 1700 presque toutes les armes à feu qui s'y fabriquaient étaient destinées à la Pologne (93). En 1701, un seul marchand devait livrer 15.000 mousquets en Hollande (94). En 1713, le roi de Prusse faisait faire dans la Cité 18.000 fusils et 16.000 pistolets (95).
Mais toute médaille a son revers. Ce constant élargissement du marché, ce succès des entreprises attiraient dans le pays des industriels étrangers. Une si forte concurrence privée s'éleva que les prix durent constamment baisser (96). Les salaires suivirent ce mouvement et l'ouvrier se trouva dans la dure alternative de s'expatrier ou de se contenter d'une rétribution misérable (97). Les patrons liégeois finirent eux-mêmes par s'émouvoir, et, sur leurs plaintes, le prince décida en 1700 que, pendant vingt-cinq années, plus aucun nouveau haut fourneau ne pourra être érigé dans le pays (98).
Parmi les autres branches de l'industrie du fer, la clouterie est certes la plus importante, sinon la plus rémunératrice pour ceux qui s'y adonnent. Elle se développa particulièrement dans les environs de Liège, de Verviers et de Theux. La région de l'Entre Sambre et Meuse, fournissant presque exclusivement du fer fort, se prêtait mal à la manufacture des clous. Au contraire, le bassin du nord, alimenté par les fers tendres du Luxembourg et du Namurois, l'accaparait entièrement.
Les marchands en gros répartissaient le fer en verges, c'est-à-dire le fer sortant de la fonderie entre les divers cloutiers qui travaillaient pour eux. On a cité le cas d'un marchand verviétois qui voyait son propre commerce alimenté par le travail d'une centaine de cloutiers (99). Au XVIIIe siècle, cette industrie occupait, semble-t-il, près de 15.000 ouvriers (100)
Quittons à présent le domaine de l'activité sidérurgique pour consacrer ces dernières pages à l'industrie textile. Celle-ci s'est développée dans trois centres principaux: Hasselt, Liège, Verviers, que nous allons successivement passer en revue.
Sans jamais prétendre à un très grand rayonnement extérieur, la draperie hasseltoise a joui pendant un certain temps d'une réelle prospérité, mais elle était tombée à la fin duXVIe siècle dans une irrémédiable décadence (101).
A Liège, le métier des drapiers sut longtemps garder un rang honorable. La fabrication des étoffes avait débuté dans la Cité plus tôt qu'à Verviers, mais elle ne bénéficia jamais d'une clientèle aussi étendue que celle de sa rivale. Aussi, pour se défendre efficacement contre la concurrence des autres villes, eut-elle recours aux mesures classiques de protectionnisme (102). Jusqu'à la fin du XVe siècle, la draperie liégeoise put bénéficier de tous les avantages que lui avait accordés l'organisation corporative médiévale; elle toléra la vente des produits étrangers dans une halle dépendant du palais épiscopal. Mais, lorsque la manufacture verviétoise prit son brillant essor et que ses draps menacèrent de conquérir de haute lutte le marché, une foule de mesures tracassières furent prises à son égard. Le monde fermé du métier médiéval ne pouvait guère se défendre autrement. Sa décadence était patente. Les cadres étroits de la corporation craquaient sous la poussée des besoins nouveaux. Les faits nous montrent les dérogations multiples qui étaient apportées à la rigueur des anciennes prescriptions, dérogations que le droit dut finir par sanctionner en essayant de les tempérer. On tâcha bien, au début, de réagir, mais les industriels aux conceptions d'initiative plus modernes n'en eurent pas moins le dernier mot.
Il est curieux de constater la manière dont le XVIIe siècle est jalonné de mesures dérogatoires aux statuts corporatifs.
Liège, qui, en 1617, exigeait une durée de six années de travail pour pouvoir acquérir le métier, la réduisit à une seule année en 1671 « pour augmenter le négoce avec les voisins » (103). Le nombre des métiers dont pouvait disposer un drapier avait encore été limité à 4 en 1639 (104). Il fut porté à cinq en 1659 (105), et à six en 1678 (106). Toutefois, les petits fabricants se plaignirent amèrement de ne pouvoir profiter de ces faveurs et dénoncèrent au prince des industriels qui osaient établir 9 et 10 métiers chez eux, et même parfois jusqu'à 20 (107). Ce fut donc pour protéger les petits drapiers que l'on s'efforça de limiter le nombre des métiers et celui des pièces de drap qu'il était permis de fabriquer (108).
Mais ces mesures se révélèrent inefficaces. Handicapées par Verviers dans la fabrication du drap, Liège et quelques localités des environs (109) durent se borner à la manufacture des serges (110), et, dans cette branche spéciale, la Cité conserva une certaine réputation (111). En 1699, il fallut concéder aux fabricants la possession de neuf métiers à leur domicile et de trois autres au dehors! (112). L'année suivante un règlement vint coordonner toutes ces dispositions: chaque drapier ne pourra avoir plus de trois apprentis et de douze métiers; il ne pourra donner de pièces d'étoffe à travailler hors de la Cité; les pièces étrangères fabriquées à l'extérieur payeront la taxe du « soixantième denier » à l'entrée (113). La décadence continua à s'accentuer et se manifesta par des émigrations nombreuses que ne purent enrayer les ordonnances promulguées (114). En 1703, le consul privé abolit l'impôt d'un liard qui se payait dans la Cité sur chaque pièce d'étoffe travaillée par les drapiers et supprima les visites de rewards chez eux (115).
Il n'est pas nécessaire de poursuivre cette étude au-delà du début du XVIIIe siècle pour démontrer l'insuffisance radicale de la manufacture liégeoise. De plus en plus réduite au marché local, elle a vu se fermer tous ses débouchés au profit de la rivale heureuse dont l'évolution va retenir à présent notre attention.
A Verviers, l'industrie drapière (116) a eu la chance de pouvoir se développer en dehors des cadres de l'institution corporative. Aussi, dès que les circonstances extérieures le permirent, la manufacture verviétoise prit un si rapide essor qu'elle distança bientôt ses rivales de la principauté et qu'elle put aux XVIIe et XVIIIe siècles entreprendre la conquête des marchés étrangers.
On a souvent fait remarquer dans quel milieu favorable cette industrie était née. Le pays de Herve était entièrement couvert de pâturages au XVIe siècle déjà et était sillonné de quelques ruisseaux assez forts pour actionner les moulins à fouler. Toutefois, rien ne prouve l'antiquité de la draperie verviétoise, et il est peu probable qu'avant la fin du XIVe siècle, elle existât déjà. On n'a pu jusqu'à présent établir d'une façon certaine que l'existence de quatre fouleries (peut-être six) antérieures à l'année 1430. Il semble qu'au début du XVIe siècle 17 fouleries seulement fonctionnaient (117). De plus, chacune d'elles, loin d'être possédée par un propriétaire unique, était divisée en un certain nombre de parts qui allèrent en se fractionnant de plus en plus au cours du XVIe siècle (118). Mais des capitalistes ne tardèrent pas à les racheter et finalement il n'y eut plus pour chacune d'elles qu'un seul propriétaire.
La période d'expansion commença avec le XVIIe siècle, après la chute d'Anvers. La concurrence de Hasselt est écrasée, celle de Liège n'est plus à craindre. Si le marché régional lui est plus ou moins fermé par la jalousie de ses rivales, il ne lui reste plus qu'à tenter la fortune au-delà des frontières. Les Provinces-Unies furent les premières à fournir à l'activité verviétoise de quoi s'exercer. Elles procurèrent aux drapiers wallons des laines de toute qualité et à leurs enfants des écoles d'apprentissage (119). Elles attirèrent même pendant le premier tiers du XVIIe siècle une véritable immigration de drapiers liégeois et verviétois (120). Mais bientôt les élèves furent à même « de rivaliser avec leurs maîtres »: on observe un ralentissement de l'immigration wallonne à Leyde (121); on voit s'opérer des achats de fine laine espagnole à Amsterdam pour le compte des Verviétois qui, jusqu'alors, ne l'utilisaient guère. La concurrence du pays de Liège devient terrible pour les Hollandais: l'industrie textile de Leyde, tout à fait privée de liberté, retentit de plaintes continuelles (122). On accuse les Verviétois de frapper de droits excessifs les draps hollandais (123), on maudit leur fameux « soixantième » levé sur le commerce de transit; on leur reproche de débiter leurs produits sous le nom de draps de Leyde (124). Mais les draps de la principauté ne cessèrent de se répandre en Hollande que pour gagner l'Allemagne et les Pays-Bas (125). Ceux-ci constituèrent même bientôt le principal débouché des manufactures wallonnes.
La prospérité, sinon l'opulence, ne tarda pas à s'installer dans le bourg verviétois, érigé en « bonne ville » en 1651. Son « unique fondement et subsistance, nous apprend une requête, dépend de la draperie quy est le seul mestier quy s'y exerce et quy donne l'estre au négoce quy s'y rencontre » (126). Un autre document contemporain est encore plus explicite: « La ville de Verviers n'a autre mestiers, traficq ny subsistence en général, que la draperie, puisque tous les bourgeois sont drapiers à la réserve de quelques particuliers comme brasseurs, boulangers, menuisiers... Que la bourgeoisie est composée de quelquesriches en petit nombre, de grand nombre de pauvres artisans et d'assez bonne quantité de médiocres drapiers drapans. Que les riches avec quelques autres estrangers donnent crédit aux médiocres qui pour ce moyen font travailler et subsister les pauvres avec eux » (127).
On touche ici du doigt le mode capitaliste de l'organisation de la production. On ne constatera aucun changement postérieur dans cette répartition des tâches, si ce n'est l'extension croissante de la catégorie des artisans (128). Le pays de Limbourg en effet et divers cantons du pays de Daelhem étaient tributaires de la draperie verviétoise: toutes les localités environnantes travaillaient à l'envi les étoffes. Sept mille personnes du duché de Limbourg vivaient alors grâce aux capitalistes de la principauté (129). Mais, d'autre part, la terre à foulon était importée du pays de Limbourg. En somme, la vallée de la Vesdre et le pays de Herve ne formaient qu'une vaste unité économique (130). Nous aurons l'occasion d'apercevoir les conséquences de cette interdépendance.
Après qu'il eut été érigé en ville, le bourg verviétois s'entoura de fortifications: les frais de celles-ci furent couverts par des impôts mis sur la confection des draps (131). Le gouvernement de la principauté chercha de son côté à profiter de la situation florissante de la ville. Le « soixantième denier » frappait à l'entrée les matières premières et les draps à la sortie (132). Il en résulta de lourdes charges pour la manufacture. Les plaintes des drapiers wallons faisant écho à celles des fabricants de Leyde se feront souvent entendre, mais elles ne trouveront pas d'écho auprès des pouvoirs publics avant le XVIIIe siècle.
Les mesures réglementaires prises par les princes-évêques n'eurent pas à Verviers les mêmes effets qu'à Liège. Celle-là ne connut jamais l'organisation corporative et les restrictions apportées par l'autorité à la confection des pièces de drap et au nombre des métiers n'étaient guère susceptibles d'application sérieuse (133). Aussi la fin du XVIIe siècle y est-elle signalée comme une période de prospérité inouïe. Nos sources rapportent que l'on ne suffisait plus aux demandes et que les draps s'expédiaient jusqu'aux Indes (134).
Malheureusement, cette richesse elle-même provoqua des troubles: il y eut de sanglantes compétitions entre les principaux fabricants pour l'obtention des fonctions municipales (135). Les violences du parti vainqueur amenèrent l'émigration des vaincus (136). Des mesures sévères furent prises pour enrayer ce mouvement: on interdit le départ des ouvriers et l'on défendit aux fabricants d'aller établir des manufactures de laine au-delà des frontières du pays (137). Mais la répétition même de ces ordonnances témoigne de leur peu d'efficacité et nous voyons en effet certains Verviétois aller tenter une nouvelle fortune en France ou dans les Pays-Bas (138). Toutefois, ce ne sont là que des incidents en somme assez secondaires, car la prospérité de l'industrie verviétoise ira croissant au XVIIIe siècle.
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Les Voies de communication vers la France
SOMMAIRE:
Importance de la question. Médiocrité des routes au XVIIe siècle. La question du Chemin Neuf. Les contestations territoriales. Chicanes des Espagnols. Le procès de Saint Hubert. Importance du Chemin Neuf. Les Espagnols réussissent à l'interrompre. Recherche d'une nouvelle voie de communication. La route de Givet à Dinant. La question du village de Falmignoul. Nouveau procès avec les Pays-Bas. La question reste pendante comme celle de Saint-Hubert.
Pour la vie économique d'un pays, l'existence de bonnes voies de communication est de toute première importance.
Or, « au commencement du XVIIIe siècle, il n'existait dans lepays de Liège pas une seule chaussée pavée, régulièrement entretenue et praticable en tout temps » (139).
Ce n'est pourtant pas que l'attention des gouvernants de laprincipauté n'ait été maintes fois attirée par l'intérêt capital de la question. Sous le règne de Maximilien Henri, tout au moins, des mesures sérieuses avaient été prises. Un édit du 23 mars 1658 constatant « que les chemins publics manquans, les voiagers se trouvent obligez de passer par les héritages voisins » ordonna aux propriétaires de ceux-ci de veiller à la prompte réfection des routes (140). Le 23 novembre 1659, un nouvel édit leur enjoignit d'avoir à tenir ces chemins en bon état (141). Mais cet entretien dut beaucoup laisser à désirer, car nous voyons le prince rappeler maintes fois ces dispositions (142).Le 12 mars 1686, notamment, un édit mit les frais de réparation à la charge des communautés sur le territoire desquelles passait un chemin (143). Ceci ne paraissait pas fait pour améliorer sensiblement la situation, car la mauvaise volonté des habitants était évidente. Il faut attendre l'année 1712 pour voir les Etats élaborer un programme systématique de construction de chaussées (144). Mais, en attendant, il y eut au moins deux réalisations remarquables de routes relativement praticables, et nous allons, dans les pages suivantes, fixer notre attention sur elles.
Le pays de Liège faisait un commerce assez actif avec ses divers voisins. Nous ne nous occuperons ici que de ses relations avec la France, les seules d'ailleurs qui aient été l'objet d'un sincère effort de bonne entente.
Les Liégeois allaient y acheter des vins, des eaux de vie, des soieries de Lyon et de Tours, des gants, des chapeaux, des bas, des galons, des étoffes précieuses, du grain, des huiles, des ardoises, du bois, etc... Ils y portaient de la houille, des clous, de l'alun, de la potasse, des batteries de cuivre, des étoffes de drap, des serges, etc... (145).
A défaut de chaussée praticable, la Meuse constituait une admirable voie de communication. Traversant la principauté dans toute sa longueur, elle permettait à la France et aux Provinces-Unies de se livrer à un intense commerce de transit.
Mais les Espagnols qui, de Bouvignes à Namur, commandaient une des rives du fleuve, et qui avaient multiplié les bureaux de douane partout où ils détenaient une petite enclave de territoire adjacent au fleuve, les Espagnols s'exerçaient avec succès à accumuler les obstacles sur le parcours de la Meuse et à entraver ainsi le commerce (146).
Ainsi, il fallut bien chercher à nouer ses relations par voie de terre. Mais ici la difficulté paraissait insurmontable. Les territoires français et liégeois ne communiquaient en effet en aucun endroit! Le comté d'Agimont, au sud de Dinant se trouvait entre les mains de l'Espagne, et si le duché de Bouillon (147) touchait à la frontière française, il était lui-même séparé du reste de la principauté et en partie enclavé dans le Luxembourg.
Sans doute, un chemin, souvent défoncé et toujours impraticablependant la mauvaise saison, courait à travers le Condroz et se rendait en France en passant par la partie occidentale du Luxembourg espagnol. Mais les douaniers de Sa Majesté Catholique avaient eu soin d'établir leurs bureaux à Tellin et à Porcheresse (148). Voituriers et voyageurs étaient ainsi impitoyablement rançonnés par les commis espagnols et les plaintes nombreuses des gouvernements de Paris et de Liège n'avaient jamais eu le moindre effet.
Il fallut s'aviser d'un expédient.
Le problème consistait à se rendre de Liège en France sans devoir passer par les possessions espagnoles. Après un long examen de la question, on réussit à trouver une solution.
Sur les plaintes qu'avaient émises les habitants de Sedan au sujet des lourdes taxes de douane prélevées à Porcheresse, Louis XIV avait confié au comte de La Bourlie, leur gouverneur, le soin d'entrer en rapports avec les Liégeois et avec l'abbé de Saint Hubert (149). Après plusieurs entrevues assez laborieuses (150), on tomba d'accord pour proposer un nouveautracé de chaussée: on réussissait à éviter les bureaux espagnols, au prix, il est vrai, d'un assez long détour et l'on ne quittait le territoire liégeois que pour s'avancer sur les domaines propres de l'abbaye. L'établissement du chemin devrait se faireaux frais des habitants des villages les plus proches. Aucun droit de douane nouveau ne sera levé de part ni d'autre et plus aucune marchandise ne sera réputée contrebande de guerre.
Chemin neuf Liège-Sedan par Paul Harsin
Ce fameux Chemin Neuf c'est ainsi qu'il fut baptisé (151) quittait Liège pour se diriger vers Rochefort par Seraing, Ivoz (Gué de Chokier), La Neuville, Terwagne, Petit Modave, Bouillon en Condroz, Miecret, Scoville (152), Chacoux (153), Haversin et Buissonville.
Puis à Havreille, il abandonnait le pays de Liège pour entrer dans les possessions de l'abbaye à Grupont. Il traversait Awenne, Saint Hubert, Haut et Bas Bras, Libramont et Recogne, pour pénétrer alors dans le duché de Bouillon où il rencontrait successivement Blanche-Oreille (154), Fays les Veneurs, Bellevaux (155) et Bouillon. De là, il se dirigeait sur Sedan par La Chapelle et Givogne. (156)
On le voit, l'étendue considérable des domaines de l'abbaye de Saint Hubert permettait seule ce tracé assez capricieux. Aussi ne pourra-t-on s'étonner de voir le procès, pendant depuis le XVIe siècle, au sujet de la souveraineté de ces territoires, reprendre une nouvelle vigueur.
L'établissement du Chemin Neuf, inauguré le 20 Mars 1665 (157), fut un coup très sensible pour le gouvernement de Bruxelles. Du jour au lendemain, il vit fondre les plantureuses recettes du bureau de Porcheresse. Il était surtout rongé de dépit en apprenant que tous ses efforts, pour empêcher le libre trafic de ses voisins, étaient vains. La partie était trop grave pour qu'il la jugeât perdue à priori. Il se mit à étudier de fort près le nouveau parcours et n'eut par trop de peine à découvrir en l'un et l'autre endroit des territoires contestés. Mais où l'affaire devenait réellement importante, c'est sur la question même de l'indépendance revendiquée par l'abbaye de Saint Hubert. Il y avait là une incomparable matière à procès.
Parmi les multiples contestations territoriales auxquelles donnèrent lieu les localités limitrophes du pays de Liège, le débat sur Saint Hubert est certainement le plus compliqué. Le débrouiller constituerait un vrai travail de bénédictin et le résultat serait probablement hors de toute proportion avec l'effort fourni .Nous allons nous borner à donner un bref exposé des thèses opposées (158).
L'abbaye de Saint Hubert avait été fondée par Pépin de Landen en 687: c'est de là que les rois de France faisaient découler un droit de protection qui alla parfois jusqu'à la tyrannie (159).
Les évêques de Liège prétendaient à la souveraineté des biens immenses dont les abbés se disaient propriétaires. L'un d'eux (Henri I) leur avait donné en fief les terres de Bras et de Grupont. Jusqu'au XVe siècle, les abbés avaient prêté foi et hommage aux princes de Liège. S'ils parurent un moment aux Etats de la province de Luxembourg et s'ils assistèrent à l'inauguration de Philippe le Bon et de Charles le Téméraire, ce fut seulement, disaient les Liégeois, à raison d'une terre luxembourgeoise qu'ils avaient acquise. Au reste, à partir de 1477 de nouveau, ils relevèrent leurs fiefs de l'Eglise de Liège.
Les Espagnols, de leur côté, s'attachaient à ruiner cette argumentation pour fonder leurs propres prétentions. La terre de Saint Hubert, disaient-ils, a contribué dans les recettes de la province de Luxembourg dès le XVe siècle au plus tard. Les abbés ont fréquenté les Etats de cette province, et, lorsqu'au XVIe siècle, l'un d'eux refusa d'assister à l'inauguration de Philippe II, il y fut contraint par sentence du conseil de Malines. D'autre part, l'avouerie de l'abbaye se trouva, après bien des vicissitudes, attachée à la possession du château de Mirwart. Or celui-ci appartint longtemps aux comtes puis aux ducs de Luxembourg avant de passer aux La Marck. Ici d'ailleurs la question se compliquait. Le château lui-même relevait du duché de Bouillon. Mais qui était duc de Bouillon ? La controverse que nous avons exposée à ce sujet dans une précédente étude n'était pas faite pour éclaircir le problème. Le prince de Liège en effet posséda longtemps et prétendit toujours au titre de duc de Bouillon et c'est ainsi qu'il pouvait, par voie indirecte, revendiquer la suzeraineté de l'abbaye. Mais les La Marck eux-mêmes réclamaient le duché dont ils portaient le titre! Et leurs droits passèrent aux Latour d'Auvergne avant de se fixer sur la tête du roi de France! N'essayons pas de tirer au clair une situation à laquelle les jurisconsultes d'autrefois ont consacré des mémoires aussi volumineux qu'incohérents.
Enfin l'abbé lui-même, loin de s'effrayer de prétentions aussi contradictoires, revendiquait avec acharnement sa propre souveraineté et sa neutralité perpétuelle. Il se fondait à cet égard sur diverses lettres des gouverneurs de Luxembourg, sur la liberté dont jouissait sa propre élection, sur la faculté dont jouissaient les habitants de porter leurs causes en appel à Liège, à Luxembourg ou à Wetzlar à leur gré, sur l'exemption de contributions étrangères qui leur était reconnue depuis au moins le XVIIe siècle, etc... Il se plaignait par conséquent des logements de troupes espagnoles ou françaises qui lui étaient parfois imposés, comme d'autant de violations de sa neutralité.
Ce fut au début du XVIe siècle que le procès se débattit régulièrement pour la première fois. Une sentence de Charles-Quint en 1522 se borna à « maintenir dans leurs anciennes possessions, franchises et exemptions de non contribuer es tailles, aides et impositions de la province de Luxembourg » les habitants de Saint Hubert et défendit de les molester. Mais cette sentence prévoyait également la continuation de la procédure en cours sur le fondement des prétentions réciproques.
En 1550-1552 le procès revint sur le tapis. On procéda de part et d'autre à de multiples enquêtes, on rédigea force mémoires pour aboutir... à un procès verbal de carence.
En fait, cependant, l'abbé et ses sujets jouissaient d'une indépendance presque absolue et c'est ce qui nous explique comment ils ont pu traiter souverainement avec les Français et les Liégeois, en 1664, pour l'établissement du Chemin Neuf. Mais la contestation pendante va reprendre une nouvelle force à l'occasion de cet événement qui vint se greffer sur elle.
Ainsi qu'on l'a très bien écrit, « pour la France et l'Espagne la question de souveraineté d'un petit coin de terre était en soi chose fort, insignifiante; mais on la mettait au premier plan et l'on feignait d'y attacher la plus haute importance, uniquement pour cacher son jeu. Ce que l'on se proposait, c'était, d'une part, le maintien du Chemin Neuf, de l'autre, sa suppression » (160).
Le conseil des finances de Bruxelles fit procéder sur place à une vaste enquête pour établir nettement la souveraineté des endroits par lesquels passait le nouveau chemin. Ce n'était pas là chose aisée, car on n'avait jamais cherché à déterminer exactement les frontières (161). De plus, le Luxembourg présentait de vastes étendues de terres boisées qu'il n'était pas possible d'identifier et les habitants interrogés fournissaient régulièrement des dépositions contradictoires (162).
Pendant que se déroulaient les péripéties de cette enquête, le Chemin Neuf fut utilisé par l'armée française au cours de la rapide campagne de 1667-1668 (163), puis fut remis en bon état l'année suivante pour l'usage des marchands (164).
La guerre de Hollande interrompit le trafic (165), mais, aussitôt la paix signée, Louis XIV ordonna le rétablissement du chemin et prescrivit aux voyageurs de ne s'en écarter sous aucun prétexte (166). Il fallut en effet prendre parfois des mesures de rigueur contre certains voituriers qui, à raison de la longueur du détour et du peu de sécurité qu'offrait la nouvelle route, préféraient encore suivre l'ancien chemin par le Luxembourg. Mais des cas de ce genre furent de plus en plus rares. Le bureau espagnol de Porcheresse en effet qui rapportait, bon an mal an, 30 à 40.000 florins (167) voyait ses revenus tomber à moins de 5.000 florins (168) et son receveur mandait même que, pendant le mois de novembre 1679, il n'avait perçu que huit florins ! (169)
Pour rétablir une situation aussi compromise, les Espagnols usèrent de deux espèces de moyens.
Ils réduisirent d'abord les droits de douane au comptoir de Porcheresse. Jusqu'alors ils y avaient perçu sur toutes les marchandises transitant par cette petite langue de terre luxembourgeoise, un droit d'entrée et un droit de sortie (170). En 1679, ils supprimèrent l'un de ces deux droits et réduisirent sensiblement l'autre (171). Ils espéraient ainsi attirer les marchands par l'ancienne route et leur faire déserter le Chemin Neuf.
Pour en arriver plus aisément à leurs fins, ils cherchèrent le long de la nouvelle chaussée un terrain propre à y établir un bureau de douane (172). Dans ce but, ils suscitèrent plusieurs difficultés. Non loin de Grupont, disaient-ils, ce chemin traverse une petite terre de quatre bonniers qui appartient au roi d'Espagne. Entre Grupont et Saint-Hubert, il passe aussi par un endroit dit « La Champalle » qui relève de la seigneurie de Mirwart. En coupant ainsi des cheveux en quatre, ils découvrirent quelques lieux dont l'appartenance était au moins douteuse (173). Enfin ils tirèrent argument de la contestation pendante au sujet de Saint Hubert pour dénier aux Français et aux Liégeois le droit d'y passer (174).
A l'égard de ce dernier point, les Français répliquèrent par le droit du plus fort. En 1681, leurs Chambres de Réunion prononcèrent l'annexion de Saint Hubert et l'abbé dut aller rendre hommage au roi à Metz (175). Cette situation perdura jusqu'à la paix de Ryswick. Restituée par la France, cette « terre de débat » paraissait devoir être rendue à son indépendance. Mais les Espagnols, mis en goût par les procédés de leurs ennemis, supprimèrent en 1699 l'exemption des droits d'entrée et de sortie sur les marchandises, dont les habitants avaient joui jusqu'alors, aussi longtemps que l'abbé n'aurait pas reconnu la souveraineté de leur roi (176). La guerre de la succession d'Espagne vint encore mettre trêve au débat. Mais le procès reprit de plus belle au cours du XVIIIe siècle et devra attendre l'année 1780 avant de recevoir une solution définitive! Il y eut alors une sortie de transaction par laquelle les terres de l'abbaye de Saint Hubert revinrent aux Pays-Bas en échange d'autres territoires cédés à la principauté. La France, de son côté, avait renoncé à ses droits en 1769.
Il serait intéressant de savoir le profit matériel exact qu'ont pu retirer Français et Liégeois de l'existence du Chemin Neuf. Malheureusement, toute statistique faisant défaut, on ne possède que fort peu de renseignements à cet égard. Voici toutefois un extrait d'une lettre adressée au ministre Torcy par le gouverneur français de Dinant en 1698. On pourra se faire ainsi une idée du trafic intense qui se développait: « Je vous confirme encore, Monsieur, qu'il vient ordinairement toutes les semaines de Liège à Sedan par ce nouveau chemin, plus de 60 chariots et charrettes chargées de toutes sortes de marchandises qui se répandent dans tout le royaume. Il a passé depuis la paix, plus de 1200 chevaux de couple. Toutes les marchandises de contrebande viennent par là de Hollande et d'Allemagne, sans difficulté, au lieu qu'il ne passoit presque rien autrefois par la frontière de Champagne, à cause des grands impôts que les négociants étaient obligés de payer sur les terres d'Espagne. Il y a eu des temps où l'on a fait venir de Liège, par ce chemin, une infinité de canons de mousquets et une très grande quantité de calamine du pays de Limbourg. Il y a passé depuis peu, plus de 80 miliers pesant de lammes d'épées (177). Les manufactures de Sedan, dont le commerce est encore fort grand, puisqu'on y a fabriqué l'année dernière plus de 5.000 pièces de drap, ayant présentement beaucoup de peine à tirer leurs laines de Rouen, les font venir de Hollande à très bon prix par ce nouveau chemin » (178).
La question du Chemin Neuf sera encore beaucoup agitée au XVIIIe siècle, surtout à partir du moment où, après les traités de 1713-1715, les Autrichiens établiront un bureau de douane à Saint Hubert et interrompront momentanément le trafic. En 1699 d'ailleurs, nous avons vu qu'ils avaient fait violence à l'abbé pour obtenir la reconnaissance de leur souveraineté. Aussi, devenait-il indispensable aux Liégeois de rechercher une autre solution au problème de leurs rapports commerciaux avec la France. A la fin du XVIIe siècle, ils crurent l'avoir trouvée.
On sait que la principauté s'étendait sur une assez vaste étendue de territoire dans l'Entre Sambre et Meuse. Seulement elle en était virtuellement séparée au sud de Dinant par la présence du comté d'Agimont, détenu par l'Espagne. De Namur à Hastières, en effet, la rive gauche de la Meuse appartenait au comté de Namur. De plus, de Dinant à Falmignoul, le pays de Liège n'avait sur la rive droite qu'une bande de terrain allant en se rétrécissant de plus en plus vers le sud. A Falmignoul notamment, cette bande n'avait pas plus de deux kilomètres de large. On rencontrait alors le territoire neutre de Blaimont, enclavé entre le comté de Namur, la principauté et le comté d'Agimont, qui s'étendait au sud. La présence des Espagnols à Givet et à Charlemont interrompait donc les relations normales de la principauté avec Couvin, Florennes et les autres localités de l'Entre Sambre et Meuse liégeoise.
Sans doute, un chemin conduisait de Dinant à Givet et à Couvin, mais la présence des douanes espagnoles ne lui permettait pas d'entretenir un trafic bien intense. Par l'Entre Sambre et Meuse, on était nécessairement tributaire des douanes espagnoles.
Les circonstances vont cependant permettre aux Liégeois de trouver de ce côté la solution du problème de leur libre communication vers la France.
Nous connaissons le sort qui fut réservé au comté d'Agimont par la paix de Ryswick et le traité de Lille (179). Il fut partagé entre l'Espagne et la France, celle-ci s'en réservant la partie occidentale avec Givet et Charlemont. De cette façon, les territoires français étaient reportés sensiblement vers le nord et n'étaient plus séparés du pays de Liège que par la petite terre neutre de Blaimont (180). Dès lors, il devenait possible de faire venir de Dinant et par conséquent d'Allemagne, des marchandises à destination du Hainaut ou des Ardennes françaises, sans devoir passer par les terres d'Espagne (181).
Les douaniers d'Onhaye, Hastières ou Falmagne se voyaient réduits à la même situation que ceux de Porcheresse quelques années auparavant! Le trafic qui, jusqu'à la fin du XVIIe siècle, avait emprunté la route de Rochefort et de Saint Hubert suivait librement à présent le chemin de Dinant à Givet. Certes,pour parvenir à Sedan, entrepôt naturel de tout ce commerce, il fallait faire un sensible détour: le voyage s'allongeait de deux journées en hiver et d'une journée et demie en été (182). Mais l'avantage pécuniaire demeurait, paraît-il, indéniable.
Cependant, ici non plus, l'Espagne n'était résolue à renoncer sans combat à la lutte. Elle allait même réussir à soulever une controverse d'un demi-siècle autour de l'interprétation d'un seul texte, mais de l'interprétation duquel dépendait à la vérité la liberté du chemin en question (183).
En 1548, un traité avait été conclu entre la principauté et les Pays-Bas pour mettre fin à quelques difficultés. L'un des articles de ce traité avait pour but d'apaiser un conflit de juridiction qui s'était élevé entre le procureur général de Namur et le prince de Liège au sujet du village de Falmignoul (184).
Pour bien comprendre cette disposition, rappelons d'abord la situation juridique de ce village.
Falmignoul se compose de deux fiefs: le ban du Mont et le ban de Saint Hubert. Le premier est une terre neutre qui relève du château de Namur; elle appartient pour moitié au baron de Freyr, seigneur de Château Thierry, et pour moitié au baron de Rohier de Bodeux. Le second dépend de l'Eglise de Liège: l'abbé de Saint Hubert en est seigneur haut justicier, et l'évêque, souverain.
En 1540 et en 1548, des conférences eurent pour objet de déterminer à qui appartenait la juridiction et la souveraineté du grand chemin de Falmignoul qui existait alors. Un traité vint stipuler que le seigneur de Château Thierry aurait cette juridiction et le comte de Namur « le territoire et la supériorité... des rues et chemin de Falmignoul entre et contigus » aux deux bans. Toutefois, il était prescrit que les habitants du ban de Saint Hubert ne pourraient être arrêtés dans ces rues et sur ce chemin et que le passage ne pourrait subir d'entrave de ce chef.
C'est ce chemin dont il vient d'être question à la fin du XVIIe siècle. Libre jusque là, il ne paraissait pas destiné à alimenter une controverse entre Espagnols et Liégeois. Et cependant ceux-là allaient y trouver la matière d'un nouveau procès.
Voulant à tout prix mettre fin aux relations étroites qui se nouaient entre la principauté et la France, le ministre Bergeyck precrivit la levée de droits d'entrée et de sortie sur les marchandises qui emprunteraient ce chemin. Les commis des bureaux de Hastières et de Falmagne accomplirent cette mission avec zèle, et firent saisir tous les produits dont on refusa d'acquitter les nouveaux droits.
Les voituriers se frayèrent alors, à peu de distance de cette route, un autre chemin qui ne traversât plus que le seul ban de Saint Hubert, au lieu de passer entre les deux bans. Furieux, les buralistes espagnols coupèrent de fossés cette nouvelle voie pour obliger les voituriers à reprendre l'ancienne. Cependant, sur les représentations de l'électeur Joseph Clément, les Espagnols cessèrent leurs exactions, et les Etats de Liège procédèrent à l'acquisition des propriétés privées du ban de Saint Hubert qui étaient nécessaires à l'établissement convenable du nouveau chemin.
Toute la querelle paraissait épuisée et les choses demeurèrent en l'état jusqu'en 1718. Les Liégeois estimaient en effet qu'à ce chemin, le texte du traité de 1518 ne s'appliquait plus. Loin de se trouver entre les deux bans, il n'empruntait que le seul ban de Saint. Hubert. Mais on sait combien la question de la souveraineté de l'abbaye de Saint Hubert était elle-même controversée. Les Autrichiens, héritiers des prétentions espagnoles, contestaient formellement à l'évêque de Liège cettesouveraineté. Toutefois, ce n'est pas à ce sujet que le conflit va reprendre autour du chemin de Falmignoul.
En décembre 1718, les buralistes autrichiens vinrent planter un poteau, aux armes du souverain des Pays-Bas, sur le nouveau chemin; les cours de Paris et de Vienne s'en mêlèrent, et l'on en vint de part et d'autre à exposer ses arguments.
Les Liégeois entendaient en effet limiter le traité de 1518 aux seuls chemins touchant d'un côté au ban de Saint Hubert, pays de Liège, et de l'autre au ban du Mont. Ils interprétaient l'expression « entre et contigus » aux deux bans, « in sensu composito »; c'est-à-dire qu'ils la considéraient comme un pléonasme. Ces deux mots, disaient-ils, signifient au fond la même chose, car nous savons que la langue juridique affectionne ainsi l'emploi simultané de deux vocables pour exprimer une même idée.
Dans ce cas, répliquaient les Autrichiens, il faudrait admettre que le mot entre n'a qu'une signification superflue, car il est clair que les chemins contigus aux deux bans ne peuvent être situés qu'entre ces deux bans. Mais il est beaucoup plus rationnel d'admettre que le mot « entre » se rapporte aux chemins « d'entre le ban de Saint Hubert, » c'est-à-dire qui se trouvent à l'intérieur du ban de Saint Hubert, et que le mot « contigus » se rapporte à ceux dont un côté est ban de Saint Hubert et l'autre, ban du Mont. Cette interprétation « in sensudiviso » s'impose au surplus lorsque l'on envisage la querelle qui a fait l'objet du traité de 1518. Puisque Falmignoul ressortit aux deux bans, c'est qu'il s'agit de tous les chemins indistinctement.
Dans ce cas, faisaient observer à leur tour les Liégeois, on aurait tout simplement stipulé que le seigneur de Château Thierry aurait la juridiction sur tous les chemins sans exception, et l'on n'aurait pas eu recours à cette locution bizarre.
Au reste, le traité de 1548 défend de troubler le passage sur les chemins, ce qui signifie d'interrompre le commerce. Or, en venant établir un bureau de douane à Falmignoul, les Autrichiens ont non seulement outrepassé les droits que détient le seigneur de Château Thierry, mais ont encore violé ce traité.
Longtemps encore, cette querelle byzantine devait alimenter les volumineux rapports qui, de Liège ou de Bruxelles, venaient s'entasser à Vienne auprès du suzerain commun. Et ce ne sera qu'au milieu du XVIIIe siècle, grâce à l'appui énergique de la France, directement intéressée, que le cheminde Falmignoul récupérera son entière liberté et assurera de manière définitive les relations commerciales de la principauté avec sa voisine du sud.
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SOMMAIRE: La liberté du commerce, corollaire de la neutralité. Politique d'entente avec la France, de chicanes avec les Pays-Bas. A) La question du « soixantième denier »; Son caractère, sa perception. Distinction entre le « tourny » et le 60e. Origine du 60e. Son histoire au XVIIe siècle: les interventions impériales. Son rapport croissant. B) Les questions douanières. Nature des relations avec les Pays-Bas depuis le XVe siècle. Nature des relations avec la France depuis le XVe siècle. La navigation sur la Meuse est entravée par les douanes. Les tarifs douaniers: 1° hollandais; 2° français; 3° espagnols. Les grandes lignes de la politique commerciale des Pays-Bas: 1. La question douanière et l'industrie drapière; II. La question douanière du fer; III. Les contestations relatives au transit et au 60e denier.
Les relations d'ordre économique que la principauté a nouées avec ses voisins au cours de l'histoire sont encore extrêmement mal connues. La difficulté d'une pareille étude réside principalement dans la pénurie des documents, tout au moins jusqu'au début du XVIIIe siècle. En mettant largement à contribution les archives étrangères, peut-être parviendrait-on à brosser un tableau assez satisfaisant de notre politique commerciale, mais ce moment n'est pas encore venu. J'ai essayé cependant, pour le XVIIe siècle surtout, de développer certaines remarques, de préciser certaines données, en utilisant le mieux possible les ressources des archives de Liège, de Bruxelles et de Paris.
Avant d'aborder le détail de cette étude, il convient de présenter quelques considérations d'ordre général. On sait de quelle importance a été pour les Liégeois le maintien de leur neutralité. Dans l'ordre politique, celle-ci leur a permis, sinon de sortir indemnes des nombreux conflits de l'époque moderne, au moins de conserver leur indépendance et d'échapper aux sollicitations des belligérants. Ce résultat suffirait déjà à justifier la popularité de cette doctrine juridique et la confiance que nos ancêtres avaient placée en elle. Mais, dans l'ordre économique, la neutralité a également fourni ses preuves. Son corollaire nécessaire a toujours été la reconnaissance de la liberté du commerce, et l'on sait déjà l'importance que les Liégeois attachaient à celle-ci. En temps de guerre, lorsque leur neutralité était admise, ils pouvaient continuer à trafiquer avec les belligérants, indistinctement. La prospérité de leurs fabriques de canons, d'armes, de poudre, doit sans doute beaucoup à cette précieuse faculté.
Cependant, si en principe la liberté du commerce leur fut généralement accordée, leurs voisins ne la pratiquèrent point de la même manière. Les difficultés douanières surgirent, assez nombreuses, et entraînèrent parfois de violents conflits. C'est qu'à vrai dire, le pays de Liège a pu devenir assez tôt un redoutable concurrent pour certains et sa prospérité n'a pas toujours été considérée sans envie par ses rivaux. Du détail de cette histoire nous verrons clairement ressortir cette vérité: autant nos relations commerciales ont été bonnes, sans être parfaites, avec la France et dans une certaine mesure avec les Provinces-Unies, autant elles ont été tendues et difficiles avec les Pays-Bas. Le sincère désir de s'entendre, la bonne volonté réciproque qui animèrent en général les rapports des Liégeois avec leurs voisins du sud, se muèrent en une politique de chicanes et de mesures tracassières dans leurs relations avec ceux de l'ouest.
Nous aurons l'occasion d'exposer à loisir comment l'interdépendance économique de certaines régions appartenant à des souverainetés différentes telles que l'Entre Sambre et Meuse, le pays de Limbourg et de Verviers fournira l'occasion de conflits douaniers qui se perpétueront jusqu'à la fin de l'ancien régime. Mais, parmi les mesures fiscales qui soulevèrent
les discussions les plus vives et qui provoquèrent de violents différends, aucune n'a été plus célèbre que celle connue sous le nom de « soixantième denier » que les Liégeois ont prélevé pendant plus de deux siècles sur l'entrée et la sortie des marchandises. Nous allons y consacrer les quelques pages suivantes.
LE SOIXANTIÈME DENIER
Pour subsister et pourvoir à ses besoins, un Etat doit nécessairement prélever des impôts sur la fortune de ses citoyens. Aujourd'hui, la contribution normale est l'impôt direct perçu généralement à raison d'un tantième sur les immeubles, les meubles, les revenus de chaque individu. Sous l'ancien régime, il n'en était pas de même. L'impôt était considéré avec défaveur, comme marquant un certain état d'abaissement. De nombreuses catégories de citoyens en étaient exemptes. Aussi la plus grande partie des revenus de l'Etat était-elle fournie par les taxes de consommation et par les droits de douanes. Ces derniers étaient surtout chaudement recommandés parce que, disait-on, ce sont les étrangers, et non seulement les indigènes, qui les payent. Certes, là n'était pas l'avis des producteurs et des commerçants, mais il fallut attendre la prospérité économique du XVIIIe siècle pour voir les plaintes de ceux-ci prendre corps et le gouvernement y prêter attention.
Dans la principauté, le droit de douane fut par excellence le « soixantième denier » que nous désignerons désormais, avec nos ancêtres, du simple mot de « soixantième » (60e).
En quoi consistait-il ?
D'une manière générale, le 60e est un droit de douane ad valorem de près d'1 3/4 % perçu sur toutes les marchandises à l'entrée et à la sortie du pays (185). Mais il faut préciser cette donnée.
Cette taxe était prélevée par les commis liégeois des bureaux de douane sur la valeur déclarée de la marchandise. Ces commis avaient une assez large autorité; en fait, ils étaient souverains. Pour les marchandises en transit, après le versement du 60e à l'entrée, les commis délivraient un « certificat d'acquit » qui permettait à celles-ci de sortir de la principauté sans avoir à payer autre chose. Mais comme, dans certains cas, les marchandises en transit ne payaient le 60e qu'à la sortie et non pas à l'entrée, on a redouté qu'elles ne vinssent à être débitées en fraude à l'intérieur du pays, en échappant par conséquent au « 60e de la consommation » perçu à l'entrée. C'est pourquoi, des mesures ont été prises pour empêcher leur déballage (186), leur séjour prolongé dans les entrepôts désignés, et, à fortiori, toute transformation matérielle quelconque (187). Dans tous ces cas, elles avaient à payer le 60e deux fois.
Cependant toute cette procédure ne s'est pas créée en un jour. Elle a été le fruit de l'expérience et il faut à présent signaler l'origine et décrire l'évolution de ce droit du 60e.
L'origine et la légitimité du 60e ont soulevé une controverse séculaire entre la principauté et les Pays-Bas. Quantité de mémoires, bourrés de pièces justificatives, ont été fournis de part et d'autre. Plusieurs conférences importantes ont été tenues sans faire avancer la question d'un pas. Cependant, en fait, les Liégeois l'ont emporté, puisqu'ils sont demeurés en possession de ce droit jusqu'à la fin de l'ancien régime. Grâce aux documents assez nombreux fournis par nos dépôts d'archives, nous pouvons, dans une certaine mesure, avoir la prétention de connaître un peu mieux le sujet que nos ancêtres eux-mêmes et de pouvoir ainsi dissiper certaines confusions. Les dossiers fournis au XVIIIe siècle par les plaideurs sont en effet loin d'être complets. C'est pourquoi, il n'est pas inutile d'entrer dans quelques détails. Mais, pour ne pas nous encombrer des multiples arguments des thèses respectives, arguments parfois sans valeur, nous nous bornerons à un exposé de ce que nous croyons être la vérité.
Au seuil de la matière, dissipons une équivoque.
Depuis le moyen âge, il existait à Liège un certain impôt prélevé sur le prix des marchandises exposées en vente par un étranger de la Cité. Il s'appelait le « tourny » ou tonlieu et était précisément du soixantième de la valeur des denrées (188).
La paix de Saint Jacques de 1487 parle encore du « toulny du seigneur montant de soixante deniers ung » (189) et l'on s'est demandé si elle avait quelque chose de commun avec notre 60e? Il est facile d'établir que ce tonlieu a vécu aussi longtemps que l'ancien régime et qu'il est totalement distinct du droit de douane que nous étudions.
Au XVIe siècle, les mentions du « tourny » ne sont pas rares, quoiqu'elles soient souvent exprimées, de manière équivoque, par les mots de « soixantième denier » (190). Pas rares non plus au XVIIe siècle et au XVIIIe (191), elles prouvent donc la survivance de cet impôt de consommation ainsi que sa coexistence avec notre droit de douane. Nos ancêtres, il est vrai, les ont confondu parfois, mais c'est peut-être intentionnellement, car ils cherchaient à démontrer l'antiquité de leur fameux 60e. Le fait que d'autres villes de la principauté prélevaient aussi un tonlieu de quotité analogue n'était pas fait pour simplifier l'examen du problème (192). Mais ce n'était là qu'une simple taxe communale, ou bien un impôt perçu au profit de la mense épiscopale, qui ne réclamait point l'intervention des Etats. Nous allons voir au contraire l'action continuelle de ceux-ci dans le recouvrement du véritable 60e en établissant du même coup la date approximative de sa création.
D'après un record des députés des Etats du 6 juillet 1609 (193), ce serait seulement en 1569 que l'on aurait commencé à mettre des impôts, pour les besoins généraux du pays, sur divers objets de consommation et sur les marchandises (194). Toutefois, la rareté des textes de cette époque ne nous a pas permis d'en trouver une trace positive avant l'année 1580: au mois d'août, les trois Etats consentirent à lever un droit de douane pendant un an sur les marchandises (195) et le confirmèrent en juin 1581 (196). On constate alors des divergences considérables dans les intentions des Etats: le Tiers se montre hostile à cette taxe, comme, en général, à beaucoup d'autres impôts. La raison en est simple: c'est lui qui les paye! C'est ainsi qu'en 1583, les deux premiers Etats ayant voté pour 6 ans la levée d'un droit « sur toutes les marchandises entrantes ou sortantes, sur toutes bêtes soit entrantes, soit sortantes, soit destinées à la consommation », le Tiers s'abstint de toute résolution (197). Il fit encore de même en 1584 après que les deux autres Etats eussent admis le 60e sur la sortie des marchandises (198). Cette mauvaise volonté, justifiée sans doute par la crainte du renchérissement du coût de la vie, eut pour effet de paralyser la collecte de cette taxe pendant quelques années.
En 1587 cependant on constate l'existence d'un édit princier ordonnant la levée du 60e « de touttes et chacunes les denrées et marchandises qui sortiront ou seront emportées ou emmenées hors de nos pays pour le terme de trois ans » (199). A partir de cette époque, le droit du 60e tend à devenir perpétuel. Son existence est attestée en 1589 (200), et les trois Etats en votent le maintien en 1591, 1593, 1595- 1598, 1603, 1006, à peu près chaque fois pour le terme de trois ans (201).
On est mal renseigné sur la manière dont la collecte du 60e fut opérée: tantôt il est prélevé sur la seule sortie des marchandises, tantôt sur l'entrée et sur la sortie, sans cependant jamais astreindre le transit à un double droit (202). D'un autre côté, le comté de Namur ayant obtenu en 1583 l'autorisation de lever lui aussi un « soixantième denier » sur les marchandises liégeoises (203), octroi accordé pour six mois mais toujours renouvelé, le Tiers Etat liégeois ne consentit au 60e que « sur les marchandises étrangères, tendant à fin de faire abolir celui mis sus par nos voisins étrangers » (204). En fait cela équivaudra à l'accorder perpétuellement, car le 60e namurois ne sera supprimé qu'à la fin de l'ancien régime. Le Tiers cependant n'en manifestait pas moins son intention d'agir avec circonspection dans la levée des douanes et le conseil de la Cité témoignalongtemps une vive hostilité à leur perception. C'est ainsi que ce dernier réclama le 1/3 de leur revenu, faute de quoi, il s'opposerait à leur collecte (205). De son côté, le chapitre engageait le prince à demander à l'empereur la confirmation de l'impôt du 60e pour pouvoir en consacrer le produit à la réparation des forteresses du pays (206). En 1613, la Cité de Liège était encore seule à s'opposer à la perception du 60e et son intransigeance allait provoquer un conflit.
Le liberum veto dont jouissait le conseil de la Cité avait pour effet d'annuler complètement les résolutions que pouvaient prendre le prince et les Etats. Depuis 1607, le droit de douane n'avait plus été levé. Les gouverneurs de forteresses se plaignaient du dénûment profond où étaient tombées leurs places: depuis trois ans la solde n'avait plus été payée aux garnisons! (207).
Pour pourvoir à ces besoins d'intérêt général, le prince Ferdinand de Bavière se fit octroyer, en 1613, par l'empereur Mathias, un diplôme qui prescrivait la perception d'un 60e sur toutes les importations et exportations ainsi que sur le transit, pour le terme de 20 ans. Le revenu devait en être affecté à l'entretien des forteresses du pays. C'était là établir un nouveau 60e, puisque l'ancien ne pourvoyait qu'à des besoins d'administration.
Les Etats primaire et noble accordèrent en 1614 et en 1615 la levée du 60e sur les seules marchandises exportées, mais le Tiers s'y refusa absolument. Les commissaires impériaux, envoyés pour apaiser le conflit, se heurtèrent à l'hostilité de tous les Liégeois. Aussi, en 1616, décrétèrent-ils d'autorité l'établissement du nouveau droit. Toutefois, Ferdinand suspendit l'exécution de l'édit à la demande de ses Etats qui lui promirent de remplacer cette taxe par une taille et de subvenir ainsi à l'entretien des forteresses (208).
Telle est la première intervention officielle de l'empereur dans la levée de ce droit douanier, qui, par la suite, va susciter tant de difficultés. Son existence est ainsi bien attestée avant le milieu du XVIIe siècle, époque à laquelle les Pays-Bas voudront voir plus tard sa première apparition.
Continuons-en l'historique.
Les besoins du pays se faisant plus pressants, les deux premiers Etats voulurent en 1622, en 1624 et en 1625, en revenir à la levée du 60e. Mais le Tiers, comme toujours, ne décida rien, à cause de l'opposition de la Cité. En 1627 cependant, le prince obtint de l'empereur un mandement qui prescrivait l'exécution du diplôme de Mathias de 1613. Après bien des difficultés, les trois Etats finirent en 1631 par accorder la perception du 60e (209).
Après une nouvelle opposition de la Cité en 1634, la perception de ce droit va devenir régulière de 1640 à la fin de l'ancien régime.
Il faut toutefois mentionner les variations et les vicissitudes auxquelles il fut soumis. En 1641 par exemple, constatant son insuffisance, les Etats le transformèrent en un 50e à percevoir pendant 9 ans sur la sortie et la consommation des marchandises (210). Ce délai écoulé, on ne maintint le 50e que sur la consommation et l'on rétablit le 60e sur la sortie (211). Puis, cette taxe de consommation fut ramenée au 60e, et son abolition fut prévue pour l'année 1654 (212).
Or, le prince Maximilien Henri comptait précisément sur le revenu des douanes pour pourvoir à l'entretien de la citadelle qu'il venait de faire construire à Liège. Son ministre Furstenberg alla solliciter l'appui de la cour de Vienne pour influencer les Etats. Mais ceux-ci, on le devine, firent, la sourde oreille. C'est alors que, le 31 mars 1653, un diplôme impérial prescrivit la levée d'un 60e « in merces tam patria efferendas, quam eidem ad consumptionem inferendas », dont le produit serait affecté à la solde de la garnison (213). On remarquera la gravité de cette disposition: c'était non seulement rendre perpétuel l'impôt de consommation dont les Liégeois avaient prévu l'abolition prochaine, mais encore créer un second 60e, puisque les besoins de l'Etat devaient rendre le premier indispensable. Aussi les Etats se montrèrent-ils irréductibles: ils se bornèrent à maintenir leur ancien 60e, mais ils accordèrent, sur son produit, 100.000 florins au prince, pour l'entretien de la citadelle (214).
Après s'être contenté de cette somme pendant quelques années, Maximilien Henri finit par réclamer l'entièreté de la recette et se prévalut pour cela d'un nouveau diplôme impérial du 7 juin 1660 qui approuvait l'établissement du 60e, tout en interdisant sa levée sur le commerce de transit (215). Ce fut peine perdue: les Etats eurent le dernier mot et le prince dut renoncer à son exigence.
De tout ce qui précède nous devons retenir, et ceci est essentiel, que les diplômes impériaux de 1613, 1653. 1660 n'ont jamais eu le moindre effet et que le 60e, création des Liégeois, n'était soumis qu'à la volonté de ceux-ci. On verra plus loin l'importance de cette constatation.
Le 60e fut régulièrement perçu jusqu'en 1676. A cette époque, l'armée française évacua la citadelle de Liège qu'elle occupait depuis un an (216) et la fit sauter. Le conseil de la Cité qui s'était toujours montré peu favorable aux douanes, en profita pour décréter l'abolition de cette taxe. En effet, disait-il, le but essentiel du 60e était, de pourvoir à l'entretien d'une garnison; or la forteresse venant à disparaître, sa garnison n'a plus de raison d'être et son budget non plus. Le prince ne l'entendit pas de cette oreille: il rétablit d'autorité le 60e en 1680 et les Etats y consentirent (217). La forteresse, au surplus, fut reconstruite en 1684.
Au cours des difficultés de la guerre de la ligue d'Augsbourg, l'augmentation des impôts s'accompagna de l'élévation des droits de douane. Après plusieurs résolutions sans effet, on ajouta un 120e au 60e en 1694 et cette augmentation de 50% fut maintenue pendant 4 ans (218). Au début de la guerre de la succession d'Espagne, le magistrat proposa de doubler le 60e mais, devant l'opposition des marchands, il se borna à accorder à la ville de Liège et à sa banlieue un second 60e sur la sortie et la consommation des marchandises à l'exception de certaines denrées (219). Cette nouvelle taxe fut abolie peu après la paix.
Il resterait à dire quelques mots sur son mode de prélèvement et sur son rapport.
Ainsi qu'on l'a fort bien fait remarquer (220), le 60e n'a jamais eu le caractère d'un droit protecteur ou prohibitif. C'est une simple taxe fiscale qui permettait aux Etats de ne presque jamais recourir aux impôts directs pour les besoins du pays. Ce qui suffirait à le prouver, c'est son caractère de droit ad valorem, car on sait que les tarifs protectionnistes affectionnent particulièrement les droits spécifiques. L'histoire des contestations douanières avec les puissances voisines va bientôt nous le montrer.
Le 60e a été tantôt affermé, tantôt soumis à la régie, ou, comme on disait, à la collecte. Ces deux modes ont donné des résultats sensiblement analogues, mais ce dernier a été plus fréquent. A titre exemplatif, voici les conditions que l'on exigeait en 1662 des « repreneurs » du 60e: le versement anticipatif annuel d'une somme de 40.000 florins de Brabant [près de 100.000 florins de Liège] ainsi que le versement mensuel de la douzième partie de leur profit (221).
En 1009 un édit princier énumérait les 47 bureaux de douane échelonnés aux frontière (222) et où les commis procédaient avec une minutieuse sévérité à la visite des marchandises.
Signalons encore que certains produits ont toujours été exempts du 60°: ainsi notamment la houille s'exportait librement, et, d'autre part, la viande de boucherie destinée à la consommation immédiate en était exonérée.
Le produit du 60e a varié selon les époques, mais on peut dire qu'il a été en perpétuel progrès.
En 1649, un rapport des députés des Etats montre que le 60e de la sortie rapporte 80.000 florins et le 50e de la consommation, 60.000(223).
En 1674, il donna au total 180.000 florins et, au début de la guerre de la ligue d'Augsbourg, il fournissait 180.000 florins (224). Ensuite, augmenté d'un 120e, il rapporta 347.712 florins en 1694, 341.619 en 1696, 319.330 en 1697 pour tomber à 284.523 en 1698 lorsque l'on abolit le 120e, et à 257.377 en 1699. Il fut ensuite affermé pour 9 ans, d'abord à ce dernier chiffre, puis, lorsqu'on eut créé un second 60e pour la Cité, moyennant 300.000 florins. Soumis de nouveau à la collecte, son produit finit, par atteindre 405.739 florins en 1724 (225).
A ce chiffre, on constate l'importance capitale du 60e. Son revenu couvrait normalement près de la moitié des dépenses publiques. Rien d'étonnant dès lors s'il a vécu jusqu'à la fin de l'ancien régime.
LES QUESTIONS DOUANIÈRES
L'histoire des questions douanières ne serait qu'un long et fastidieux récit des multiples différends qui se sont élevés entre les puissances, si elle ne nous mettait pas à même de mesurer l'importance économique de chacune d'elles.
Cette étude est souvent rendue malaisée par la fréquente carence de nos sources. Quantités d'édits se sont perdus ou bien dorment ignorés dans la poussière des archives; ceux que nous possédons ne nous permettent pas toujours de saisir avec sûreté les nombreuses variantes des politiques douanières. Il est cependant possible d'en analyser certains aspects et de dégager l'une ou l'autre grande ligne de leur évolution. Essayons de le faire pour les relations commerciales de la principauté de Liège avec les Pays-Bas et la France.
Sans vouloir remonter au moyen âge, époque où des rapports assez étroits se sont noués avec le Brabant, il faut rappeler ici le traité conclu en 1398 entre ce dernier et la principauté. La disposition la plus importante pour le sujet qui nous occupe, est celle qui proclame le principe de réciprocité en matière de droits de douanes pour les deux Etats (226).
C'est indirectement le même principe qui fut inscrit dans le traité d'alliance de Saint-Trond de 1518, lorsqu'on stipula la liberté mutuelle de commerce, moyenant le payement des seuls tonlieux alors existants. On excluait ouvertement l'arbitraire dans la fixation future des douanes. Aussi, lorsqu'en 1538, les Pays-Bas sollicitèrent la confirmation de l'alliance, les Liégeois la subordonnèrent à la suppression des droits récents que l'on faisait payer sur leurs marchandises entre Namur et Bouvignes, sur le cours de la Meuse, et ils obtinrent satisfaction en 1548.
Dans le traité de 1518, une autre disposition importante est à retenir. Prévoyant que des difficultés pourraient s'élever dans l'interprétation du pacte, les Liégeois firent stipuler que tous les différends se régleront par la voie de conférences dans l'une ou l'autre ville frontière. Cette procédure se verra bien des fois appliquée et n'aura pas de plus chauds partisans que nos ancêtres. Bien qu'insérée dans un traité d'alliance dont la plupart des clauses resteront pour eux lettre morte et qu'ils s'efforceront d'évincer, les Liégeois trouvèrent dans ce mode de règlement une sérieuse garantie d'être entendus de leur puissant voisin, le souverain des Pays-Bas.
Dans leurs rapports avec la France, les habitants de la principauté avaient pu aussi bénéficier de divers avantages. Au temps de leur alliance avec Louis XI, ils avaient obtenu une complète exonération des tonlieux. Cette liberté du commerce ne leur fut pas reconnue par Charles VIII dans le « diplôme de neutralité » qu'il leur octroya en 1492. Certes les Liégeois avaient vivement insisté sur le maintien de cette faveur, que devait impliquer à leurs yeux la reconnaissance de leur état juridique (227). Mais, pour des raisons inconnues, le roi de France ne voulut pas l'admettre. Aussi, très curieuse doit être à cet égard la démarche que fit François I auprès d'eux, lorsqu'ils eurent conclu le traité de 1518 avec le souverain des Pays-Bas. Le roi très chrétien, espérant réparer la faute qu'il avait commise, leur promit non seulement de leur accorder une entière liberté commerciale mais encore de nouveaux avantages économiques (228). C'était trop tard, et le pays de Liège échappait pour trois quarts de siècle à l'influence française.
La création du 60e denier d'une part, la fiscalité espagnole d'autre part, vinrent modifier la situation avant la fin du XVIe siècle. Les plaintes se font nombreuses des deux côtés, et les intérêts divergents s'accentuent. La principauté s'entoure d'un tarif, nullement protecteur, mais uniforme et vexatoire, qui, à raison de l'enchevêtrement des frontières liégeoises, limbourgeoises, luxembourgeoises et namuroises, constitue un sérieux obstacle au commerce international des Pays-Bas. Les duchés de Limbourg et de Luxembourg, en effet, sans parler de tous les états rhénans, étaient séparés des autres provinces par le territoire de la principauté. Celle-ci, de son côté, était coupée dans ses communications avec le marquisat de Franchimont et l'Entre Sambre et Meuse par des terres étrangères. Le trafic des Pays-Bas avec l'Allemagne était ainsi à la merci des douanes liégeoises.
Quant à la France, pour commercer avec les Provinces- Unies, elle disposait d'une admirable voie naturelle dans la Meuse, mais il suffira sans doute de dire que l'on comptait, à la fin du XVIIe siècle, 37 bureaux de douanes de Charleville à la mer (229), pour ramener à sa réelle importance l'utilité pratique de ce fleuve. Les nombreux Etats qui possédaient l'une ou l'autre enclave sur ses rives ne manquaient jamais d'y établir un comptoir. Ainsi, entre Liège et Ruremonde, c'était une véritable mosaïque de bureaux: l'Espagne en avait à Wandre et à Navagne (230), la Hollande à Eysden et à Maastricht, le prince palatin à Urmen, le roi de Prusse à Welle (231), etc... Chacun s'ingéniait à multiplier les entravées pour un profit immédiat de quelques milliers de florins. Tantôt le roi de France consentait à l'érection d'un bureau liégeois à Sedan (232), tantôt le gouvernement de Bruxelles accordait l'établissement d'un comptoir liégeois à Hodimont en Limbourg en échange du transfert momentané du bureau espagnol de Hony dans la cité de Liège ! (233).
Sans doute, des droits n'étaient pas prélevés dans chacun de ces bureaux sur la même marchandise qui transitait par la Meuse, mais, pour ne prendre qu'un exemple, les Pays-Bas percevaient un droit d'entrée et un droit de sortie dans le comté de Namur (indépendamment du 60e perçu par les Etats de cette province) et des droits spéciaux à Navagne et à Ruremonde. Le total de ces taxes atteignait souvent 6,7 et même 10% de la valeur des marchandises (234).
La doctrine mercantiliste, qui sévit d'une manière particulièrement intense au XVIIe siècle, avait pour effet de transformer les divers Etats en autant d'unités économiques hostiles et de dresser autour de la petite principauté de Liège de nombreux et puissants rivaux. Dès ce moment, la guerre économique a existé à l'état latent.
Les tarifs français, espagnols et hollandais se montraient à l'envi protecteurs et, malgré son ardent désir de liberté, aussi bien sur le terrain commercial que sur les autres, le pays de Liège se trouva maintes fois comme pris dans un engrenage. Mais, et il faut souligner ce point, jamais au XVIIe siècle, la principauté n'a pris l'initiative d'un conflit douanier. Les deux seuls tarifs protecteurs qu'elle a édictés n'ont été que des mesures de rétorsion et ont cessé d'exister après quelques mois d'application.
Pour bien comprendre la situation respective des Etats en question, il est nécessaire de caractériser en quelques mots les principaux tarifs.
Des Provinces-Unies, nous ne savons pas grand chose sinon que l'élévation de leurs douanes empêchait en général les Liégeois de chercher à se fournir par le nord des produits qu'ils recevaient par l'intermédiaire des Pays-Bas.
La politique mercantile de la France a été surtout caractérisée par les fameux tarifs de 1664 et 1667 (235). Ils édictaient des droits considérables sur de nombreux articles, particulièrement sur les draps et sur les serges et, à ce titre, nous en reparlerons tout à l'heure. Le second de ces tarifs doublait même la plupart des taxes du premier, mais on sait qu'au traité de Nimègue, la France renonça au tarif de 1667 dans ses relations avec les Provinces-Unies. A l'égard des autres pays, elle finit par se relâcher quelque peu, en édictant le tarif de 1699 qui tenait le milieu entre les deux autres. Entretemps, le tarif de 1687 était venu augmenter les droits prélevés sur les principaux articles liégeois d'exportation: les fers et les draps. Nous verrons plus loin, avec quelques détails, comment se dessinera la politique française en matière commerciale à l'égard de la principauté.
Quant aux Pays-Bas, leurs relations économiques avec le pays de Liège ont presque toujours été imprégnées de sentiments d'hostilité. Entre eux, comme on l'a très bien écrit, « la meilleure politique semblait celle qu'on jugeait capable d'infliger le plus grand préjudice au rival détesté » (236). Le système douanier belge a été conditionné par les deux grands tarifs du 18 juillet 1670 et du 21 décembre 1680. Le premier, appliqué à la frontière de la France et de l'Entre Sambre et Meuse liégeoise, a subi d'assez nombreuses modifications dans ses modalités relatives au Namurois et au Luxembourg. Le second, appliqué aux frontières des autres puissances et par conséquent au reste de la principauté de Liège a été plus stable. Tous deux ont été cependant arrachés soit par la France, soit parles Provinces-Unies, et accordèrent aux voisins de grands avantages économiques. Ils succédaient à une période de conflits douaniers, qui s'est marquée de façon particulièrement vive avec la principauté de Liège, et ils n'empêchèrent pas la réaction colbertiste de 1699, qui ne fut d'ailleurs qu'un feu de paille.
Expliquons-nous sur ces deux derniers épisodes.
Après 18 années de querelles résultant d'une défense d'importation de draps étrangers (237), faute de pouvoir arriver à un accord avec la principauté, le gouvernement de Bruxelles prit en 1669 une mesure radicale. Non content d'avoir émis un tarif très onéreux pour ses adversaires, il promulgua un édit qui interdisait le transport de marchandises liégeoises sur son territoire et qui défendait le commerce des laines, des grains, des cuirs, de la calamine, etc... (238) avec la principauté.
La réponse ne se fit pas attendre: deux mois plus tard les Liégeois émettaient leur premier tarif prohibitionniste de rétorsion. Ils frappaient d'un droit de 8%, en moyenne, tous les produits commerciaux, dont près d'une centaine étaient énumérés, et dont plusieurs étaient chargés de taxes énormes (239). L'effet fut immédiat: on commença de part et d'autre par modérer les mesures respectives et avant la fin de l'année on les supprima! (240).
A la fin du XVIIe siècle, sous le gouvernement réparateur de Maximilien Emanuel de Bavière, les Pays-Bas eurent un sursaut d'énergie. Le comte de Bergeyck, qui dirigeait la politique économique, crut pouvoir y accomplir ce que Colbert avait fait en France (241). En 1699 il défendit successivement l'exportation du minerai de fer (11 mars) (242), des laines (1er avril), des draps, des toiles; il édicta de formidables droits sur l'importation des fers, des papiers, des vins, des aluns (243), des sels, etc..., on défendit l'entrée des étoffes et des draps et l'on frappa la sortie du lin cru non peigné (244).
Le tolle fut à peu près général en Europe.
Le prince de Liège chargea son résident à Bruxelles de protester avec vigueur (245), puis il promulgua un édit, le 20 juillet 1699, interdisant le commerce et tous les rapports industriels possibles avec les Pays-Bas (246). Le chapitre approuva l'envoi d'un député à Ratisbonne pour intéresser la Diète d'Empire à la question et finalement les Etats émirent un tarif de représailles (247).
Devant les protestations de l'Angleterre, de la France, des Provinces-Unies, jointes à celles de l'évêque de Liège, le gouvernement espagnol capitula. II commença par autoriser le transit (29 mai 1700), ensuite le commerce des laines et des draps, moyennant des droits assez lourds (3 août); mais il continua à frapper l'entrée des fers de taxes très fortes (17 décembre) (248). Les Liégeois eurent beau intervenir à Bruxelles pour obtenir le rétablissement des choses sur l'ancien pied: ils essuyèrent un échec (249).
Signalons encore, pour être complet, le conflit qui éclata entre la principauté et les provinces de Luxembourg et de Namur en 1712-1713. Maximilien Emanuel, réduit, par le sort des armes, au gouvernement de ces deux provinces, ne put éviter une guerre douanière entre ses sujets et ceux de son frère Joseph Clément, chassé lui aussi de sa capitale. Le Luxembourg quadrupla les droits de sortie sur le charbon de bois (250), pendant que la province de Namur créait des entraves de toutes espèces au commerce de transit. En réplique, les Liégeois édictèrent un tarif qui frappa de nombreux articles d'un droit d'à peu près 10% (1712) (251). Une conférence se tint à Namur pour essayer d'apaiser le différend: l'intransigeance mutuelle la fit échouer (252). La principauté réclamait notamment une réduction de plus de 50% sur la sortie des fers namurois. Pour toute réponse, les Etats de Namur édictèrent un tarif frappant les marchandises liégeoises d'un droit général nouveau de 25% ! (253). Les Liégeois répliquèrent en mettant un tarif identique qui atteignait plus sensiblement l'adversaire (254). Tout finit par s'arranger et une transaction, fort favorable aux Liégeois, intervint le 13 mai 1713: le transit était reconnu libre par la province de Namur (255).
Disons enfin deux mots des abus auxquels donna lieu l'interprétation de la Bulle d'Or brabantine de 1349. On sait que ce diplôme impérial accordait à tout habitant du Brabant et du Limbourg le privilège de ne pouvoir être nulle part attrait en justice en dehors de chez lui (256). Beaucoup de princes de l'Empire, et plus particulièrement les Liégeois, firent entendre des plaintes au sujet de la manière dont cet avantage était compris par ses bénéficiaires (257). Les Brabançons, en effet, s'en prévalaient souvent pour refuser d'acquitter certains droits de douane et se garantissaient ainsi, contre une arrestation ou une confiscation éventuelles, d'une parfaite immunité. Les traités de 1648 et diverses capitulations impériales avaient promis de faire cesser ces abus (258) mais on ne constate pas que ces promesses aient été suivies d'effet.
Après avoir exposé, de manière très générale, les principaux épisodes de la politique douanière au XVIIe siècle, il est peut-être utile d'étudier un peu en détail les manifestations de cette politique dans l'une ou l'autre branche de l'industrie ou du commerce. A cet effet nous rangerons sous trois rubriques différentes les faits dont il nous reste à parler : 1° la question douanière dans l'industrie drapière; 2° la question douanière dans l'industrie du fer; 3° les contestations relatives au transit et au 60e denier.
1° La question douanière dans l’industrie drapière.
Nous avons vu dans un précédent chapitre (259) l'importance croissante qu'avait conquise dans l'économie nationale liégeoise la manufacture des draps et des serges. L'exportation trouvait un débouché de premier ordre dans les Pays-Bas. Les produits verviétois y faisaient une concurrence si souvent victorieuse aux manufactures nationales qu'une commission d'enquête instituée par les archiducs agita la question de l'exclusion des draps étrangers. Divisée sur ce problème, la commission se borna à réclamer la libre entrée des laines étrangères et l'interdiction de sortie de celles du pays, comme de celles de l'étranger, une fois entrées (260). Et de fait, on constate dès la fin du XVIe siècle toute une série de mesures défendant la sortie des laines crues et non filées (261), et l'entrée des draps et étoffes de laine (262), ou tout au moins leur imposition (263).
Mais la situation devait prendre un aspect différent avec la prospérité des manufactures du Limbourg. Aux portes de Verviers, en effet, s'étaient constituées certaines agglomérations telles que Limbourg, Hodimont, Dison, Petit Rechain, Néau, etc... qui, d'abord exclusivement tributaires de la draperie liégeoise, aspiraient à se rendre indépendantes de toute sujétion et à jouer un rôle de premier plan (264). Certes elles furent loin, avant le XVIIIe siècle, de réaliser pleinement ces intentions, mais leur prospérité naissante ne pouvait ne pas attirer l'attention du gouvernement des Pays-Bas.
A vrai dire, leur protection était fort difficile à ménager. Le duché de Limbourg était en somme enclavé dans des terres étrangères et séparé notamment du reste des Pays-Bas par la principauté de Liège. Les tarifs des provinces belges ne pouvaient donc jouer de manière efficace en faveur de la manufacture limbourgeoise: celle-ci était à la merci de ses voisins immédiats. D'autre part, toute interdiction du transport des laines atteignait non seulement le pays de Verviers, mais encore celui de Limbourg, car les Liégeois ne pouvaient accorder un transit favorable à leurs adversaires dans un domaine où l'on cherchait à les frapper eux-mêmes.
Ce qui compliquait encore la situation c'est la profonde interdépendance interne où vivaient Verviétois et Limbourgeois.
Les premiers fournissaient les patrons et les capitaux; lesseconds doublaient le nombre des ouvriers. Presque tout le pays situé au nord de la Vesdre travailla longtemps pour le compte exclusif des marchands verviétois. De plus, la terre à foulon venait du Limbourg et se voiturait dans la principauté. Sans doute, les propriétaires de cette terre auraient pu chercher à exploiter ce privilège et à construire chez eux des installations rivales de celles de Verviers, mais le défaut de capitaux leur faisait préférer le transport de la précieuse argile jusqu'aux fouleries du pays de Liège. En somme, la frontière politique était chose illusoire, le bassin de la Vesdre constituant une vaste unité économique. Toute crise dans le domaine de la draperie devait être aussi cruellement ressentie dans toutes les parties de cette région et cependant nous allons voir les Pays-Bas, à l'instigation des manufactures d'Anvers, de Louvain, de Bruxelles, de Malines, prendre l'initiative d'une rupture.
Le 29 août 1650, le gouvernement espagnol interdit l'entrée des draps, serges, carisées, bayes, etc... (265). Cette mesure fut un coup fort rude pour la manufacture liégeoise qui n'avait pas à ce moment de plus important, débouché que les Pays-Bas. Une députation fut envoyée à Bruxelles, mais, jusqu'en 1656, la négociation n'aboutit à rien. Les Brabançons consentaient à recevoir les draps liégeois les plus ordinaires moyennant une taxe de 2% florins à la pièce, mais comme ce drap ne vaut en général que 20 ou 24 sous l'aune, c'était le frapper d'un droit de 5 à 6% trop lourd pour le commerce normal (266).
Enfin, le 15 mars 1656, un tarif plus accueillant fut promulgué: les draps verviétois payeront 24 sous, ceux de Limbourg, qu'il fallait favoriser, 16 sous seulement, tandis que les draps espagnols, anglais et hollandais seront taxés à 3 florins la pièce (267). A cette nouvelle, les manufacturiers brabançons ne cessèrent plus de réclamer la révocation de cette tolérance et le bannissement de toute draperie étrangère (268). La ville de Verviers s'en inquiéta et pria le prince-évêque d'intercéder à Bruxelles pour dissiper ces menaces (269).
Cette trêve ne dura pas. Le 3 mars 1660, prétextant des abus, un édit vint remettre en vigueur l'ancienne prohibition des draps et des serges (270). Mais, cette fois, les artisans limbourgeois s'unirent aux Liégeois ainsi qu'aux cités manufacturières du Hainaut et aux teinturiers d'Anvers pour réclamer l'abolition de ce placard. Le 21 octobre, il y fut fait droit en faveur des seuls draps verviétois d'une valeur inférieure à 3 florins l'aune, à la condition qu'ils aient été foulés aux moulins limbourgeois de Daelhem (271).
Sur les représentations du résident liégeois qui fit observer que, sous la désignation de « draps verviétois », ceux de Liège n'étaient pas compris et que les moulins de Daelhem ne suffisaient même pas à la petite manufacture limbourgeoise, le gouvernement espagnol prit un nouvel arrêté, le 29 novembre 1660. Il étendit à tous les draps de la principauté la faveur accordée et promit de régler dans une conférence le tarif à appliquer aux draps d'une valeur supérieure (272).
C'est du côté des Pays-Bas que s'éleva alors un concert de plaintes. Des fraudes furent découvertes; on confisqua les étoffes liégeoises d'une valeur plus considérable, et le gouvernement dut spécifier que la faveur accordée à la principauté lui est exclusive et se doit payer au moyen d'une taxe de 3 florins sur la pièce de drap, sous peine de confiscation (273).
Sur de nouvelles représentations du résident liégeois, le gouvernement des Pays-Bas finit par admettre en 1663 l'entrée de tous les draps du pays de Liège indistinctement moyennant un droit uniforme de 3 florins la pièce et des serges moyennant 11/2 florin (274). Il promettait aussi de régler définitivement la question dans une conférence. Le prince-évêque envoya un député à Bruxelles qui réclama l'abolition de ces taxes. Bruxelles la subordonna à la suppression du 60e liégeois, mais nos ancêtres, à leur tour, n'admettaient cette prétention qu'en échange de l'abolition de tous les droits prélevés par les Espagnols sur la Meuse. La conférence en resta là! (3 avril 1664) (275).
Les plaintes des Etats de Limbourg se firent plus vives; les teinturiers de la ville d'Anvers, privés d'ouvrage, désertèrent; Valenciennes et Cambrai firent une pressante démarche à Bruxelles. Aussi, le 30 juin 1665, le gouvernement supprima les deux droits sur les manufactures liégeoises (276).
Tout n'était pas encore achevé car, le 3 mai 1665, les Pays-Bas renouvelèrent leur placard prohibitif de 1660. Le 23 juillet suivant, il est vrai, ils prescrivirent que les produits de la principauté pourront entrer librement à condition de les faire plomber par les commis des bureaux espagnols. Les marchands verviétois firent observer qu'un déballage dans les bureaux, en dehors de leur présence, exposait leurs draps à toutes sortes d'accidents et ils demandèrent que le plombage eût lieu à Liège et à Verviers en présence d'un commis espagnol.
Le gouverneur des Pays-Bas y consentit et envoya un commissaire dans la Cité. Mais comme, après deux mois, les Liégeois n'avaient même pas eu la civilité de le recevoir, le conseil des finances prescrivit que le plombage ne pourra avoir lieu qu'aux bureaux de la frontière (janvier 1667) (277).
La controverse s'aigrit alors de part et d'autre (278). D'autres difficultés vinrent se greffer sur celle-ci et on en vint des deux côtés aux mesures extrêmes dont il a déjà été question (279). En 1669, le gouvernement des Pays-Bas promulgua un tarif très détaillé sur l'entrée des draps étrangers (280). Il les frappait de droits inversement proportionnels à leur valeur: les draps teints de 1 1/2 à plus de 10%; les draps mêlés, de 4 à 9%; les draps blancs, de 3% à 5%. La sortie des laines devait sans doute être taxée en proportion, mais nous savons que des ordonnances modératrices vinrent, en 1671 et en 1672, fixer respectivement à 30, 15 et 8 sous le prix des 100 livres de laine d'Espagne, d'Angleterre et des Pays-Bas (281).
Après la paix de Nimègue, le gouvernement espagnol dut sans doute redouter la concurrence de ses voisins du nord qui s'étaient retirés de la lutte avec des avantages économiques. Aussi, prit-il de nouvelles dispositions protectionnistes. Le 29 avril 1679, il doubla les droits de sortie sur les laines espagnoles et anglaises et quintupla ceux sur les laines de l'Empire et des Pays-Bas. Puis, le 9 août, il promulgua un tarif qui frappait l'entrée des draps teints d'un droit de 7, 8 à 15 %, celle des draps mêlés de 6 à 10%, celle des draps blancs de 4 1/2 à 9% (282).
Ces augmentations causaient un tel préjudice au commerce liégeois que la Cité envoya un député à Bruxelles pour s'en plaindre (283). Mais ce fut sans doute du côté des Provinces-Unies que les instances furent les plus vives et surtout les plus suivies d'effet. Le 21 décembre 1680, les Pays-Bas édictaient un tarif général qui consacrait leur décadence économique. Les droits de sortie des laines furent ramenés de 3 florins à 12 sous pour la laine d'Espagne, de 2 1/2 florins à 15 sous pour celle d'Angleterre, de 2 florins à 20 sous pour celle des Pays-Bas. Quant aux droits d'entrée sur les draps, ils furent maintenus tels quels sur les draps les plus chers, c'est-à-dire là où ils étaient précisément les moins élevés! Quant aux draps d'une valeur inférieure à 60 florins ils étaient dégrevés en général de 15 à 5% et de 10 à 3 et 5% ! (284)
Quant à la France, bien qu'elle constituât pour le pays de Liège un moindre débouché que les Pays-Bas, ses tarifs protecteurs avaient une grande importance.
Ici, les droits en général étaient exhorbitants, car le colbertisme sévissait librement. Les draps de laine espagnole qui n'étaient pas même mentionnés dans le tarif de 1632, furent taxés à 30 livres la pièce en 1644, à 70 livres en 1664 et à 100 livres en 1667. Les draps de laine anglaise et hollandaise suivirent la même progression: le tarif de 1632 leur fit payer 6 livres la pièce, mais, en 1644, ce droit fut porté à 30 livres; le tarif de 1664 les frappa d'une taxe de 40 livres qui fut doublée en 1667. Les serges qui, en 1632, acquittaient un droit d'une livre, et en 1644 de 5, payèrent 10 livres en 1664 et 12 en 1667. La plupart de ces droits furent encore aggravés par le tarif de 1687 (285). C'était là certes plus qu'il n'en fallait pour défier toute concurrence !
On sait déjà quel a été le caractère des mesures protectionnistes de 1699 dans les Pays-Bas. La sortie des laines fut formellement interdite (286) et il en fut de même pour l'entrée des produits manufacturés. Lorsque le gouvernement de Bruxelles dut se relâcher de cette rigueur, ce ne fut pas pour en revenir au « statu quo ante bellum », mais bien plutôt pour édicter de nouveaux tarifs protecteurs. Le 3 août 1700, la sortie des laines était autorisée, mais moyennant un droit de 20 sous (au lieu de 12) sur la laine espagnole, de 25 sous (au lieu de 15) sur la laine anglaise, et de 4 1/2 florins (au lieu d'un seul) sur la laine des Pays-Bas.
Quant à l'entrée des draps, on la frappait de droits de 13 à 18% sur les draps teints, de 12 à 15 % sur les mêlés, de 10 à 13% sur les blancs. Les serges n'étaient pas mieux partagées: on les taxait de 9 à 14%.
Au début de la guerre de la succession d'Espagne, un édit royal vint mettre le comble à ces impôts en les augmentant d'une façon générale de 6 1/4 % (287). Mais il fut bientôt remplacé par une ordonnance du 7 octobre 1706 qui remit en vigueur le tarif relativement favorable de 1669.
En 1715, la principauté de Liège courut deux nouveaux dangers dans son expansion économique. D'abord, le 29 avril 1715, les Pays-Bas restaurèrent les droits énormes du tarif de 1679 sur la sortie des laines. Ensuite, la Grande Bretagne et les Provinces-Unies (288), non contentes des grands avantages politiques et militaires qu'elles avaient remportés, se firent encore accorder par le traité de la Barrière une diminution de 50 et même de 70% sur les droits d'entrée de leurs draps d'une valeur inférieure à 90 florins (289). Une telle exonération, comme l'écrivait le baron de Roost, allait « coupper la gorge aux peuples de Limbourg et de Vervier » (290).
Heureusement, le gouvernement de la principauté obtint une réduction de droits sur les laines des Pays-Bas et d'Allemagne, et put bénéficier d'un droit modéré de transit (2 1/2 %) pour les produits de ses manufactures de draps et de serges à travers les provinces belges.
Quoi qu'il en soit, la concurrence aisée qu'allaient pouvoir faire les puissances maritimes dans les Pays-Bas à toutes les étoffes étrangères devait l'engager à chercher des débouchés vers d'autres horizons et c'est du côté de l'orient qu'elle tournera surtout ses regards au 18e siècle.
2° La question douanière dans l’industrie du fer.
L'industrie sidérurgique liégeoise est tout entière cantonnée dans l'Entre Sambre et Meuse, comme l'industrie drapière l'est dans la vallée de la Vesdre. Toutefois, il ne faut point oublier que Liège et ses environs étaient le séjour des cloutiers dont le labeur s'exerçait à domicile au profit des marchands de clous de la capitale. Mais, à cet égard, une distinction fondamentale doit être rappelée.
Le sol de la Belgique actuelle fournissait à cette époque deux espèces de fers. L'un qualifié de « fer fort » se prêtait admirablement au travail de la forgerie; il était d'une utilisation énorme et, par conséquent, très recherché. On ne le trouvait guère que dans l'Entre Sambre et Meuse liégeoise. L'autre, qualifié de « fer tendre » était imprégné de phosphore ce qui le rendait impropre aux ouvrages de grosses métallurgie. En revanche il était d'un usage parfait dans la clouterie.
On l'exploitait dans le comté de Namur (291), dans le Hainaut espagnol et français, dans le Luxembourg.
Par conséquent, c'était de ce dernier que les Liégeois avaient besoin pour le travail de leurs cloutiers. Leurs propres mines n'en produisant pas, ils l'importaient de la province de Luxembourg. En général, les droits de sortie de cette province étaient modiques, parfois même le minerai put librement s'exporter (292), mais, d'autre part, lors de la tentative de colbertisme de 1699, la sortie en fut prohibée et elle resta défendue sous le régime des tarifs de 1700 et de 1716 (293). Il y avait là, au moins à partir du XVIIIe siècle, une véritable menace pour le sort de la clouterie liégeoise. Pour l'apprécier à sa véritable valeur, il faut tenir compte de ceci: les ouvriers cloutiers étaient aussi nombreux dans le duché de Limbourg que dans la principauté (294). Par conséquent, toute mesure prohibitionniste risquait d'entraîner le chômage des pauvres ouvriers limbourgeois. Aussi se bornait-on en général à interdire la sortie du minerai pur afin qu'il subit une première préparation dans les fourneaux ou les forges luxembourgeoises. Après quoi, il était expédié vers le pays de Liège par l'Ourthe et payait les droits d'issue au bureau de Barvaux.
Cependant le véritable paradis de la forgerie était l'Entre Sambre et Meuse. C'est là qu'après avoir été extrait et lavé, le minerai était englouti dans les fourneaux pour être transformé en gueuses de fonte. Passant ensuite dans les forges, les gueuses étaient à leur tour réduites en barres. De là, le fer était soumis à un nouveau travail dans les fenderies et il en sortait sous forme de verges ou de vergillons, prêt à être livré sous cette dernière forme au marteau du cloutier.
Ces trois opérations avaient lieu sur place lorsque le milieu naturel s'y prêtait. Il fallait en effet pouvoir disposer de la force hydraulique nécessaire au fonctionnement des marteaux. Il fallait aussi que la région voisine fournit en quantité suffisante le bois indispensable à la fonte du fer. Toutes ces conditions étaient admirablement remplies par l'Entre Sambre et Meuse liégeoise, terre d'élection de la sidérurgie (295).
Quel était l'état de la forgerie dans ce bassin à la fin du XVIIe siècle? Pour le pays liégeois, nous avons un document explicite qui nous détaille les noms des propriétaires des onze fourneaux et des quatorze forges alors existantes (296). Beaucoup de ces usines possédaient aussi une fenderie annexée à leur établissement. Malheureusement, deux de ces fourneaux et cinq de ces forges se trouvaient enclavées en terre namuroise ou hennuvère ce qui rendait assez pénible la situation de leur personnel en cas de conflit.
Du comté de Namur nous ne savons pas grand'chose avant le XVIIIe siècle car les données fournies jusqu'ici sont très sujettes à caution (297). Toutefois, il est probable que son activité était moins considérable que celle du Hainaut espagnol et du Hainaut français (298). Celui-ci comptait un nombre très important de forges et peu de fourneaux. Celui-là, surtout dans la terre de Chimay, prolongement de la zone industrielle liégeoise, avait une forgerie très florissante.
Ainsi tout le bassin de l'Entre Sambre et Meuse était parsemé d'usines métallurgiques et le travail du fer y occupait des dizaines de milliers de familles. Rappelons toutefois que par une coïncidence bizarre, les terres liégeoises avaient à peu près le monopole de l'extraction du « fer fort » tandis que leurs voisines devaient se contenter de produire un fer de qualité inférieure. On comprend dès lors que, sous peine d'être handicapées par l'activité liégeoise, les usines des Pays-Bas devaient se procurer du fer meilleur et, pour cela, l'importer de la principauté.
Ici la tâche était aisée, car, jamais avant le milieu du XVIIIe siècle, les Liégeois ne se sont avisés d'en interdire la sortie. Ils prélevaient simplement leur 60e et, de leur côté, les Espagnols lui laissaient l'entrée libre ou le taxaient légèrement (299).
Toutefois une certaine répartition des tâches s'était opérée. Estimant préférable de laisser les fourneaux liégeois convertir ce fer en gueuses, les Pays-Bas s'attachaient à importer ces gueuses pour les livrer au travail de leurs propres forges. Ils s'appliquèrent de la sorte à multiplier celles-ci tout en abandonnant peu à peu le travail du fourneau aux seuls Liégeois.
Il est intéressant de suivre la manière dont, leurs tarifs se sont efforcés d'obtenir ce résultat. Si l'on jette un coup d'œil sur notre Ve pièce justificative on se rendra compte des faits suivants. L'entrée des gueuses n'est soumise qu'à un droit minime d'un ou de deux sous les 100 livres; elle est même laissée libre par le tarif protectionniste de 1700 et laissée telle en 1716. D'autre part, pour enlever aux Liégeois le bénéfice de l'exportation de leurs fers en barres ou en verges, on frappe ceux-ci d'un droit de 4 ou de 6 sous qui alla même jusqu'à 10 ou 24 sous. A plus forte raison, les clous sont-ils fortement taxés à 6, 8 et jusqu'à 24 sous. Mais, en revanche, lorsque les forges namuroises ont à leur tour converti en barres ou en verges le fer en gueuses des Liégeois, la sortie de celles-là est à peine soumise à un droit, et il en est de même pour les clous.
On peut observer également le tarif d'entrée des divers objets manufacturés et le comparer au tarif de sortie.
De tout ceci, nous retiendrons que la grande interdépendance de toutes ces régions rendait indispensable une mutuelle tolérance relative (300). Aussi n'y a-t-il pas à proprement parler de guerres douanières entre les Pays-Bas et la principauté. Même à l'époque des tarifs protectionnistes de Bergeyck, des articles spéciaux prévoyaient un transit modéré en matière métallurgique. Nous allons à présent tourner nos regards du côté du sud et observer de près la conduite de la France.
Les tarifs français de 1664 et de 1667 frappaient l'entrée des fers étrangers de droits allant depuis 1 livre 15 sous jusqu'à 20 livres les 1000 livres de poids. En 1687, ce tarif fut uniformisé et tous les fers payèrent 15 livres d'entrée (301). Ce taux énorme excita le mécontentement des maîtres de forges de la partie du Hainaut qui avait été cédée à la France en 1679, lors de la paix de Nimègue. En effet, les tarifs français ne protégeaient que les provinces rentrant dans ce qu'on appelait « les cinq grosses fermes » et ne s'appliquaient pas plus aux autres provinces acquises au cours des guerres qu'aux pays étrangers. Si bien que le Hainaut français, séjour d'une florissante forgerie, se voyait aussi maltraité que les Etats ennemis puisqu'il devait lui-même acquitter ces droits pour pouvoir envoyer ses fers à l'intérieur du royaume. Ses protestations furent entendues et les maîtres de forges du Hainaut (302) ne furent soumis qu'aux droits du tarif de 1664, par une ordonnance du 4 mai 1688.
Une nouvelle augmentation fut promulguée en 1692 sur la quincaillerie mais cette rigueur finit par se relâcher. A la grande satisfaction des Liégeois, l'édit du 2 avril 1701 dégreva considérablement les diverses espèces de fers et les clous, tout en donnant une préférence aux maîtres du Hainaut (303). Mais ceux-ci, privés du bénéfice qui leur avait été reconnu en 1688 s'agitèrent si bien qu'ils firent modifier l'édit l'année suivante à leur profit. Ils faisaient admettre la tactique suivie par les Pays-Bas rendant libre l'entrée du minerai et des gueuses, mais faisant doubler les droits sur les fers en barres et en verges, et tripler ceux sur les clous (304). En 1711 ils firent décider, que ces droits seraient perçus sur les fers qui ne feraient même qu'emprunter le territoire du Hainaut pour se rendre dans les provinces des cinq grosses fermes. Toutefois, un édit du 20 janvier 1715 stipula que du moment où des fers étrangers entreraient directement dans ces provinces-ci, ils ne payeraient que les droits du tarif de 1701.
Pour l'Entre Sambre et Meuse cette dernière disposition était favorable: la région de Couvin pouvait en effet communiquer par Rocroy avec les Ardennes françaises. Mais, pour la région de Thuin et de Marchiennes, il n'était guère possible d'éviter le Hainaut. Aussi nos ancêtres réclameront-ils pendant tout le XVIIIe siècle le retour au tarif de 1701.
3° Les contestations relatives au transit et au 60° denier.
Nous avons déjà vu que ce qui a rendu le 60e aussi odieux aux voisins de la principauté c'est le fait d'être perçu sur tout le commerce de transit. A raison de l'extension géographique du pays, les marchandises des Pays-Bas qui se dirigeaient vers l'est ne pouvaient pas l'éviter. Cependant, il ne faudrait pas croire que les Liégeois eussent eu le monopole des droits de transit. Au contraire, nulle part en Europe occidentale, ils n'étaient aussi peu élevés que dans la principauté. Les Pays-Bas notamment avaient, par leurs douanes, virtuellement ruiné le commerce qui se faisait autrefois par le cours de la Meuse.
Pourquoi dès lors tout ce bruit fait pendant deux siècles autour du 60e liégeois ? La raison en est simple. L'intérêt personnel des puissants voisins du pays de Liège voulait que celui-ci fut seul à ne pas pouvoir taxer les marchandises qui traversaient son territoire. Toutes les protestations pathétiques des commerçants étrangers, les déclarations menaçantes de leurs gouvernements, ne sont au fond que chantage et hypocrisie.
Mais est-il démontré que le 60e, si minime qu'il soit, ait toujours été levé sur le commerce de transit? Le contraire serait plus vrai. Sans vouloir entrer ici dans les détails d'une réglementation compliquée, nous signalerons simplement trois ordonnances inédites qui ont constitué des droits de transit assez avantageux aux étrangers. En 1608, les charrettes de marchandises venant d'Allemagne purent désormais n'acquitter qu'une simple taxe de 6 florins chacune, quelque fût leur chargement; et celles qui venaient de France, de Lorraine, de Bourgogne ou du Luxembourg furent seulement imposées à 1/2 florin. Ces droits étaient doublés s'il s'agissait d'un gros chariot (305). En 1686, un règlement porta que tout transit pourrait remplacer les droits de douane ordinaires par un versement forfaitaire qui serait de 4 florins pour le cheval de brancard et de 2 florins pour chaque cheval de trait. Le 24 juillet 1696, une ordonnance détermina les bureaux du nord de la principauté où l'on appliquerait un nouveau tarif sur le transit qui s'y effectuait entre le Brabant et la ville de Cologne. A l'exception des laines et des draps qui resteront soumises au 60e, chaque charrette paiera 6 florins pour son premier cheval et 3 florins pour chacun des autres. Pour certains bureaux même, ce tarif était réduit aux 2/3.
Ces facilités accordées surtout au commerce des Pays-Bas méritaient récompense. De fait, on constate que des ordonnances espagnoles sont venues réglementer le transit. Le 29 mai 1700, celui-ci fut soumis à un droit de 2 1/2 % sur les étoffes de drap et les serges pour toutes les provinces belges. Directement en faveur de la principauté, on organisa en 1685 un tarif de transit spécial pour le commerce qui se faisait entre le Brabant hollandais et Liège ou Cologne, en empruntant la route de Turnhout (306). D'autre part, comme il n'était pas possible de se rendre de Liège à Verviers sans passer par les terres limbourgeoises (307), on organisa un tarif très avantageux à condition de suivre les chemins indiqués par l'ordonnance. Celle-ci fut promulguée en 1680, renouvelée en 1683 et confirmée encore en 1710 (308).
Ce fut surtout à l'égard des provinces de Luxembourg et de Namur et des terres liégeoises d'Entre Sambre et Meuse, que l'on organisa des tarifs spéciaux. L'ordonnance du 27 juin 1671 fixa de manière définitive jusqu'en 1717 à 2 % les droits de transit à travers le Luxembourg et provisoirement à 5% ceux de la province de Namur (309). En 1700, à l'égard des fers de toutes sortes se rendant vers la principauté par la Meuse, on leva 6 sous aux 100 livres de poids lorsqu'ils traversaient le Namurois, et, sur ceux qui venaient de Liège, pour se rendre en France ou dans l'Entre Sambre et Meuse, 9 sous. Quoique fort élevé, ce tarif était avantageux en comparaison des droits qu'avait prescrit de percevoir cette ordonnance sur le commerce ordinaire (310).
La navigation sur la Meuse fut, elle surtout, l'objet de bien des tractations. Tout en y multipliant leurs comptoirs, les Espagnols déniaient aux Liégeois le droit d'y prélever leur 60°. Ils se fondaient sur le traité imposé par Charles le Téméraire en 1467 à la Cité, dont une stipulation interdisait à nos ancêtres de lever des droits sur les marchandises qui remonteraient ou descendraient la Meuse sans l'autorisation du souverain des Pays-Bas (311). Des conférences se tinrent à ce propos en 1652, 1654, 1669, etc... Les Liégeois ripostaient que Marie de Bourgogne avait renoncé aux avantages que son père lui avait arrachés, que leur 60e avait été paisiblement acquitté jusqu'au milieu du XVIIe siècle, que l'archiduc Albert en avait lui-même autorisé la perception à Dinant, etc... Puis ils se plaignaient des exigences des commis espagnols qui rançonnaient les marchands liégeois en de nombreux endroits du cours de la Meuse. Ils réclamaient le droit de pouvoir librement trafiquer avec leurs concitoyens de l'Entre Sambre et Meuse.
Mais le gouvernement de Bruxelles s'y refusait « sur présupposition, écrivait l'évêque de Liège, que nos sujet de ces lieux là seroient autant français que les François mesmes » (312). Toutefoisun accord partiel finit par intervenir en 1669. On décida que les marchandises qui, en descendant la Meuse, auront payé les droits ordinaires dans le comté de Namur ne payeront plus aux comptoirs de la Gueldre que la différence entre les deux tarifs; que celles qui en remontant le fleuve auront payé à Navagne et à Wandre pourront librement sortir par Namur et Givet (313).
Cette transaction ne fut guère scrupuleusement observée, car les plaintes des deux parties ne cesseront pas avant la fin du XVIIIe siècle.
Nous terminerons notre étude en exposant brièvement les efforts qui ont été faits par les voisins de la principauté pour lui arracher l'abolition du 60e. Occupons-nous d'abord de la France.
Malgré les bons rapports d'ordre commercial qui s'échangeaient entre Liège et Paris, le gouvernement français voyait avec défaveur la perception du 60e se faire à ses frontières. En 1660, il avait engagé des négociations pour en obtenir la suppression mais les Liégeois avaient subordonné celle-ci à l'abolition de toutes les douanes des Pays-Bas. C'est assez dire que l'affaire en était restée là. Cependant le roi de France chercha à profiter de son alliance avec le prince Maximilien Henri pour arriver à ses fins. Il avait en effet éprouvé d'une manière plus sensible les tracasseries des commis liégeois depuis qu'il occupait militairement le Luxembourg, à l'époque des Chambres de Réunion. Des négociations s'ouvrirent en 1685 (314), et Louvois en fit hâter l'aboutissement par un recours à la manière forte. Il fit enlever quelques percepteurs de douanes liégeois et les détint prisonniers pendant un mois.
Après bien des discussions et des résistances, les Etats de Liège finirent par admettre la plupart des revendications françaises. Le cardinal de Furstenberg fut envoyé à Versailles pour achever la négociation. Le 5 avril 1686 il signa avec Colbert de Croissy un important traité de commerce aux conditions suivantes.
Toutes les marchandises que la France enverra dans les pays étrangers, de même que toutes celles qu'elle en recevra, seront exemptes de tout droit de douane en passant par la principauté. Elle resteront assujetties au droit de chaussée, mais celui-ci ne sera, pour les Français, que le 1 /4 de ce qu'il est pour les marchands étrangers. Entre le comté de Chiny, récemment annexé au royaume, et le pays de Liège, il y aura une liberté entière de commerce: pas plus sur l'entrée que sur la sortie ni même sur la consommation, il ne pourra être perçu de 60e denier (315). Les seuls droits à payer seront les anciens tonlieux. Quant aux Liégeois de l'Entre Sambre et Meuse, ils pourront librement traverser les terres françaises pour se rendre dans le reste de la principauté (316).
C'était là un avantage considérable que s'octroyait la France. Le transit était libre pour ses produits à travers le pays de Liège. Mais elle n'allait pas en rester là.
En 1688, à la mort de Maximilien Henri, Louvois prétendit que le traité était abrogé et qu'il fallait en négocier un nouveau. En attendant, il fit défendre aux commis liégeois de percevoir le 60e sur aucune marchandise française quelle que fût sa destination (317). C'est alors que nos ancêtres durent entreprendre une pénible négociation à Versailles pour la reconnaissance de leur neutralité (318). Dans le traité qu'il leur imposa, Louvois eut soin de faire insérer un article secret qui exemptait de tout droit de douane les marchandises « qui viendront de France pour estre consommées dans ledit pays de Liege » et qui renouvellait naturellement la liberté du transit (319).
Bien que les autres articles du traité n'aient pas reçu d'exécution par suite de l'entrée de la principauté dans la guerre, il est fort à supposer que cet article secret a été observé par les Liégeois, sinon toujours, au moins assez longtemps.
Les Hollandais, on le devine, n'étaient pas restés indifférents aux manoeuvres de la France. C'est avec eux que celle-ci cherchait avant tout à nouer des relations commerciales étroites et, en 1685, ils envoyèrent à Liège un de leurs intendants pour réclamer la suppression du 60e sur le transit, et des impôts mis sur le sel et le tabac (320). Ils tiraient argument de ce que la Meuse est une rivière publique, commune aux deux Etats, pour demander l'abolition des douanes liégeoises sur le fleuve... sans parler des leurs, bien entendu! (321). Le gouvernement de la principauté, sollicité à la fois par Versailles et par La Haye, opposa à celle-ci une fin de non recevoir. Alors les Etats Généraux émirent, le 1er mai 1686, un tarif qui frappait l'entrée des marchandises liégeoises d'un droit de 25% (322). Les conférences furent reprises à Maastricht: l'évêque offrit la suppression du 60e sur le transit et la réduction de moitié des impôts sur le sel et le tabac. Les Provinces-Unies ne s'en contentèrent pas et réclamèrent l'abolition entière du 60° sur les marchandises hollandaises, ainsi que d'autres concessions. La rupture était inévitable: elle eut lieu en mai 1687 (323). Toutefois les négociations furent renouées sur la médiation du roi de France. Mais elles traînèrent en longueur jusqu'à la mort du prince de Liège, en 1688. On se sépara sans rien conclure (324), et l'on ne voit pas quelles ont été les suites de cette affaire.
Quant aux Pays-Bas, ils avaient suivi avec attention la marche de toutes ces négociations. En présence de la victoire de la France de 1686, ils se mirent à réclamer les mêmes avantages (325). Ils protestaient avec une véhémence toute particulière contre la perception du 60e sur le transit. Pour cela, ils invoquaient le texte des diplômes impériaux, de 1653 et de 1660 qui, en accordant, disaient-ils, le 60e aux Liégeois, enavaient expressément exclu le commerce de transit (326). Ce raisonnement était spécieux car ces diplômes impériaux n'avaient reçu aucune exécution et les Liégeois faisaient valoir qu'ils levaient le 60e sur le transit un demi-siècle avant ces ordonnances.
De petites mesures de représailles furent prises de part et d'autre et n'eurent d'autre résultat que d'aigrir les rapports. Un incident, mit le feu aux poudres.
En 1709, les commis liégeois saisirent près de Grathem, dans la partie orientale de la principauté, trois voitures chargées de draps de Hodimont, qui suivaient le grand chemin de la terre de Thorn (327). Protestations des propriétaires qui soutinrent ne pas se trouver sur une juridiction liégeoise (328)! Le tribunal de Limbourg se saisit de l'affaire et déclara nulle cette confiscation comme ayant, été faite au préjudice de la garantie de la Bulle d'Or (329). Puis le tribunal ordonna la saisie provisoire des biens que les Liégeois possédaient en Limbourg. A cette nouvelle, le conseil privé de Liège usa de représailles analogues et les Etats proposèrent d'interrompre le commerce avec le duché. Les deux parties prirent recours auprès du souverain de Vienne qui désigna l'électeur de Trêves avec mission d'apaiser le conflit (330).
Toutefois les Liégeois s'étaient réclamés du traité de 1518 qui déterminait la procédure à suivre en cas de différend. Ils réussirent ainsi à obtenir qu'une conférence se tint à Maastricht pour interrompre les représailles et régler provisoirement la situation. Ils s'abstinrent de lever leur 60e à l'endroit disputé jusqu'à décision impériale. Mais tout fut gâté par l'intervention intempestive des Etats de Brabant puis du Grand Conseil de Malines, qui se saisirent de l'affaire et commencèrent une nouvelle procédure. Les Liégeois y furent condamnés par défaut. L'intervention impériale remit les choses au point et prescrivit de casser les arrêts réciproques, de restituer les saisies jusqu'à plus ample informé (331).
Après une accalmie, le Tribunal souverain de Limbourg reprit l'offensive en 1714. La décision impériale se faisant attendre et les commerçants hodimontois n'ayant pas été indemnisés, les biens liégeois du duché se virent de nouveau confisqués. Sur représailles violentes des Liégeois, le Brabant intervint pour faire saisir leurs biens situés sur son territoire. Nouvelle médiation impériale! Enfin, en 1718, une commission fut désignée à Vienne pour instruire le différend. On invita les plaideurs à envoyer leurs dossiers dans cette capitale. Ils firent mieux. Ils s'y transportèrent eux-mêmes! Les Liégeois députèrent leur diplomate attitré, Wansoule, et deux autres des leurs; les Limbourgeois envoyèrent le chevalier de Jardon.
Et pendant quatre années, dans la capitale autrichienne, ce fut une suite inimaginable d'intrigues, de décisions contradictoires, de discussions byzantines, de conférences vaines! Les détails curieux et même piquants sur l'administration impériale, sur ses hommes et sur ses oeuvres, ne font point défaut. Mais ce n'est point ici le lieu de les rapporter. Bornons-nous à dire que le 60e denier courut un très grand danger. Les villes d'Aix et de Cologne, le roi de Prusse, l'abbé de Corneli Munster envoyèrent des mémoires pour réclamer son abolition. La question de sa légitimité devint un labyrinthe où les juristes impériaux se perdirent jusqu'au dernier ! (332).
Et pendant qu'aux Pays-Bas on continuait à s'entre-déchirer dans des pamphlets incendiaires, un rescrit impérial du 30 décembre 1723 remit la décision de la question... à des arbitres choisis par les parties! Ces arbitres attendront l'année 1730 pour se rencontrer et après avoir tenu pendant un an leurs assises à Louvain, ils rédigeront de commun accord... un procès verbal de carence!
En attendant, le 60e denier continua à être perçu envers et contre tous, et aucun orage ne le mettra plus en réel péril dans le cours du XVIIIe siècle.
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(1) PIRENNE, Esquisse d'un programme d'études sur l'histoire économique du pays de Liège (Annales du XXIe Congrès de la Fédération arch. et hist. de Belgique, 1900, t. II, p. 29).
(2) Il faut citer notamment MM. Bormans, Brouwers, Hansay et surtout M. Fairon. De plus, les pages consacrées à la situation économique du pays de Liège par M. Pirenne dans son Histoire de Belgique sont d'une importance capitale. Malheureusement le XVIIe siècle est un peu sacrifié à ce point de vue.
(3) Le terminus approximatif est constitué par la date de 1715 qui nous permet de rester en relation avec l'histoire générale. La présente étude jointe au volume relatif à la politique extérieure liégeoise de 1688 à 1718 que nous avons publié l'an dernier forment en quelque sorte la préface de l'Histoire du pays de Liège au XVIIIe siècle que nous préparons.
(4) Explication des sigles.
A.E.L. Archives de l'Etat à Liège.
B.C.L. = Bibliothèque communale à Liège.
B.U.L. = Bibliothèque de l'Université de Liège.
A.A.E. = Archives du Ministère des affaires étrangères à Paris.
B.N. = Bibliothèque nationale à Paris.
A.N. = Archives nationales à Paris.
D.G. = Archives du Ministère de la guerre à Paris.
A.G.H. Archives générales du royaume à Bruxelles.
B.I.A.L. = Bulletin de l'Institut archéologique Liégeois.
B.S.V.A.H. = Bulletin de la Société verviétoise d'archéologie et d'histoire.
B.C.R.H. = Bulletin de la Commission royale d'histoire.
(5) On en a extrait à Verviers, à Seilles et c'était entre Huy et Liège que les fondeurs de cuivre de Dinant venaient l'acheter jusqu'au XVIIe siècle. Mais son exploitation est tombée avec cette industrie dinantaise, principalement à cause de la mortelle concurrence des calamines limbourgeoises extraites près de Moresnet.
(6) On l'exploitait à Prayon, Flône, Lavoir et surtout à Seilles. En maint endroit on en dégageait du soufre.
(7) L'usage du grès était fort répandu dans le pays sous forme de pavés et de pierres à bâtir, néanmoins on en exportait une certaine quantité.
(8) Le long de la Meuse et en Condroz, de multiples carrières alimentaient au début du XVIIIe siècle une cinquantaine de fours à chaux. Les plus importants étaient ceux de Seilles et de Flémalle-Haute.
(9) B.I.A.L., t. XXXVII, p. IV.
(10) Ainsi, le 28 janvier 1626, un octroi exclusif était accordé à Jean de Marche pour pouvoir travailler son alun d'après son invention, dans le pays. (BORMANS, La chambre des finances des princes-évêques de Liège, in B.I.A.L.. t. VII, p. 56).
(11) M. PIRENNE, Histoire de Belgique, t. IV, p. 432, note 3, signale d'après M. JEUNEHOMME, Mon village, p. 35, qu'en 1595 les alunières de Flémalle-Haute étaient exploitées par un groupe de capitalistes, parmi lesquels le fameux Curtius dont il sera question plus loin. On peut y joindre la constatation de M. E. POLAIN pour la fin du XVIe siècle (B.I.A.L., t. XXXIX, pp. 1-8), ainsi qu'une autorisation accordée par le Conseil privé, le 13 septembre 1621, aux usiniers d'alun de la Cité et du pays de Liège de fonder une compagnie (A.E.L., Dépêches du conseil privé, reg. XIX, f° 253).
(12) Un octroi du gouvernement de Bruxelles constate qu'en 1666 il n'y avait pas encore eu de fabrique d'alun dans les Pays-Bas (B.C.B.D., 3e série, t. V, p. 204).
(13) Encore à la fin du XVIIIe siècle les 5/6 de la production étaient exportés pour une valeur de 300 à 350.000 francs. La Hollande, la Suisse et l'Allemagne étaient nos principaux clients.
(14) L'exploitation de la houille dans la principauté a fait jusqu'ici, comme on le sait, l'objet de deux travaux déjà anciens: celui de F. HÉNAUX, en 1861, et celui de H. MALHERBE, l'année suivante. Ces deux auteurs se sont attachés de préférence, le premier au côté juridique, le second au côté technique (et aussi juridique) de la question, négligeant trop le côté historique, ou plutôt économique et social du sujet. Depuis soixante ans, cette étude n'a plus fait un pas malgré son extraordinaire intérêt. Il est vrai que ce genre de travail réclame une double compétence qui n'est qu'exceptionnellement donnée.
(15) M. C. TIHON signale quatre nouvelles fosses de 1558 à 1561 (La principauté et le diocèse de Liège sous Robert de Berghes, p. 286, n° 1). Le seid bassin de Liège en comptait 140 à la fin du XVIIIe siècle.
(16) Les nombreux récits de voyages d'étrangers aux XVIe, XVIIe et même XVIIIe siècles, ainsi que la teneur du diplôme impérial de 1721 (LOUVREX, Recueil des édits, t. I, p. 322) en sont des témoignages singulièrement probants.
(17) On sait à ce propos que les Liégeois ont cherché activement vers le milieu du XVIIIe siècle le moyen de remplacer le charbon de bois par la houille comme combustible dans les hauts-fourneaux, mais qu'ils ne purent aboutir faute de savoir en dégager le soufre. (Cfr. l'étude récente de M. Fairon in Vie wallonne, 1926). Pourtant ce n'est pas au XVIIIe siècle seulement que les esprits furent attirés par ce problème, il est même probable que ce fut à l'origine de l'emploi domestique de la houille. Dans tous les cas, un octroi fut accordé le 21 juin 1625 à un gentilhomme de Bohême, Octavius de Strada (auquel « il auroit pleu à Dieu... luy faire l'ouverture de faire fondre la minière de ferre et tous aultres métaux, les raffiner et accommoder à leur usage avec le feu de houilles; invention autant desirée qu'utile et prouffitable, signament en nostre pays de Liège où la houille est commune et les minières sy abondantes qu'ils ne peuvent la plus parte estre mises en oeuvre a faulte de bois »), de pouvoir seul et pendant 25 ans se servir de houille pour faire fondre le fer selon son invention (BORMANS, op. cit., p. 57). Bormans le date du 14 avril 1627, moment où l'octroi fut enregistré par la Chambre des finances. Il est probable que Strada a effectivement usé de ce procédé mais que les résultats de ses efforts ont été décourageants.
(18) On répète que l'exportation de la houille était du 1/3 de la production en se basant sur les données du Mémoire statistique de Thomassin, mais les chiffres de celui-ci impliquent en réalité les 2/5.
(19) MALHERBE, Historique de l'exploitation de la houille au pays de Liège, p. 346, note 1. Ainsi, en 1668, les charbons anglais devaient payer à l'entrée en France deux fois plus de droits que les charbons liégeois.
(20) Des augmentations successives furent promulguées en 1664, 1667, 1672, 1692, 1705, 1715 et portèrent de 3 à 35 sous sur la benne de charbon les droits d'entrée en France. (MALHERBE, op. cit., p. 347, et LEVASSEUR, in Revue Internationale du commerce... juin 1910, p. 257).
(21) Je fais allusion au chiffre donné par Guicciardin en 1550: il évalue à plus de 100.000 ducats l'exportation annuelle. (HÉNAUX, La houillerie au pays de Liège, p. 70). Comme on ignore la valeur du ducat en question et plus encore la source de Guicciardin, on ne peut rien tirer de cette donnée. Mais on a cru pouvoir déduire une estimation d'un chiffre donné par le chanoine Langius en 1575, lequel aurait évalué à 400.000 écus le produit brut annuel de nos houillères. Quelle est la valeur de cet écu? F. Hénaux l'estime à 10 francs mais trouvant ce chiffre exagéré il le réduit à cinq, on ne sait pourquoi! Il arrive ainsià 2.000.000 francs. H. MALHERBE admet ce dernier chiffre (op. cit.. pp. 290-291) et M. GOBERT, après l'avoir adopté (Les rues de Liège, t. II, p. 70) le porte à 7 millions de francs en monnaie du XIXe siècle (Eaux et fontaines publiques à Liège, p. 72). Or, s'il fallait retenir ce dernier chiffre on arriverait à cette conclusion déconcertante: la production de nos houillères aurait diminué de moitié depuis le XVIe jusqu'au début du XIXe siècle ! La vérité est que ces trois auteurs ont reproduit sans s'en apercevoir une erreur initiale de F. Hénaux qui avait traduit le « quadraginta auri redeunt bine millia in annos » du chanoine Langius par « 400.000 écus »! Par conséquent toutes ces évaluations sont dix fois trop fortes! Mais est-il besoin de dire que la donnée de Langius, vague et invérifiable, est fort sujette à caution.
(22) Il s'agit du comte de Velden (GOBERT, Eaux et fontaines publiques à Liège, pp. 74-75).
(23) Il s'agit de Henry du Buy, gentilhomme français qui obtint un octroi, le 9 juin 1620, après avoir été invité à venir à Liège (BORMANS, op. cit., p. 58).
(24) Rennequin Sualem construisit la fameuse machine de Marly (Voir à cet égard un travail de M. GOBERT, Machine de Marly et anciennes machines d’exhaure au pays de Liège, 1906).
(25) M. HANSAY a signalé plusieurs octrois pour une durée de 20 à 30 ans, l'un en 1698, 2 autres en 1696, d'autres pour le XVIIIe siècle (Contribution à l'histoire..., in B.I.A.L., XXIX, pp. 21-40). Il a omis l'octroi du 27 mars 1708 donné à Rolandi (A.E.L., Dépêches du conseil privé, reg. XXXVII). On doit y joindre un octroi de 1726 signalé par BORMANS (op. cit., p. 81).
(26) Une tradition incontrôlable avait perpétué le souvenir de la date de 1717 pour l'introduction à Liège de la première pompe à feu, inventée en 1689 par Savery et rendue plus pratique en Angleterre par Newcommen et Cowley en 1705. On croit qu'une expérience en aurait été faite devant le tzar près de St-Pétersbourg en 1718 mais ce fait reste très problématique. Toutefois un Anglais l'aurait introduite en Hongrie en 1723 (MALHERBE, op. cit., pp. 350-357). D'autre part, Morand rapporte qu'une machine Newcommen existait à Liège en 1725, divers industriels font remonter son introduction à l'année 1722, d'autres la reculent jusqu'en 1730 ou même 1733; la statistique du gouvernement donne la date de 1723.
Tout récemment, M. De Jaer, dans un article de La Vie wallonne (15 décembre 1927, pp. 95-109) intitulé De l'épuisement des eaux dans les mines de houille au pays de Liège avant le XIXe siècle, a apporté un élément nouveau à cette controverse. Il a publié le texte d'un contrat du 4 novembre 1695, par lequel un sieur Borlé, ingénieur, s'engageait à entretenir à ses fraix le spouheux, récoltant les eaux d'exploitation de la fosse, à la condition que les propriétaires lui fournissent des houilles qu'il conviendra pour faire les feux afférents audit spouheux. Pour M. De Jaer, ce texte établirait l'existence à Liège d'une « pompe à feu » du modèle Savery dès avant 1695. Je n'oserais être aussi aflirmatif, car il resterait à démontrer d'abord que la pompe à vapeur a bien été utilisée en Angleterre avant cette date (et après 1689), ensuite que le texte en question, extrêmement vague, a bien la portée qu'on lui donne.
En attendant, je crois qu'il peut ne pas être inutile de révéler quelques documents inédits trouvés aux A.E.L. (Correspondance du baron de Roost, reg. Vil et liasse III) qui permettraient de trancher la controverse, si, ce que je ne souhaite nullement, la conjecture de M. De Jaer devait être écartée.
En avril 1720, un irlandais nommé Okelly s'était engagé à faire l'épreuve, à ses propres frais, d'une machine nouvelle pour tirer les eaux des fosses. Le chanoine Wansoule le recommanda au baron de Roost et celui-ci lui fit obtenir de Joseph Clément, en mai 1720, un octroi de 40 ans en cas de réussite. Toutefois, les préparatifs furent assez lents et Okelly se plaignait des menées d'un certain Guekier (ou Huyckier) qui avait de son côté sollicité un semblable octroi et qui se déclarait prêt à commencer (4 janvier 1721). Je ne sais ce qu'il advint de ce rival, mais dès le début de 1721, Okelly avait achevé la construction de sa machine et réclamait la présence de commissaires du prince pour l'expérimenter. On désirerait avoir quelques détails sur cette machine qui avait coûté 4.000 écus à son propriétaire mais le baron de Roost nous avoue son incompétence au sujet d'un engin dont « des témoins racontent des merveilles ». « Cela se fait par l'effet du feu, écrit-il au baron de Glimes le 20 avril 1721, je ne scaurois vous en rien dire de plus car je n'y comprend rien ou très peu ». Il est pourtant à présumer que l'inventeur donna toute satisfaction au prince car, un mois après, nous voyons Joseph Clément s'enquérir auprès de lui sur la possibilité d'aller tirer les eaux des mines d'or de la Westphalie (Lettre du baron de Glimes du 21 juin 1721). Ainsi en 1721, une « pompe à feu » avait été mise en action à Liège par un Irlandais.
Ces textes permettent encore de trancher une autre controverse. On sait qu'un ingénieur d'Anzin nommé Mathieu revendiqua vers le milieu du XVIIIe siècle l'honneur d'avoir introduit la première machine Newcommen sur le continent, après un voyage qu'il fit en Angleterre peu avant 1730. Sa version est du reste controuvée par l'un de ses parents, Pierre Mathieu, qui prétend avoir été en 1725 prendre modèle sur la « pompe à feu » qui fonctionnait à Liège (MALHERBE, op. cit., pp. 358-360). Cette dernière version est de tout point vraisemblable.
(27) D'après R. MALHERBE (op. cit., p. 360) le Liégeois Pierre Misonne alla construire en 1725 une « pompe à feu » à Lodelinsart. Ce fut sans doute à lademande du riche capitaliste vicomte Desandrouin (PIRENNE, Histoire de Belgique, t. V, p. 292).
(28) M. HANSAY a dressé une liste précieuse de 67 octrois accordés par le conseil privé aux XVIIe et XVIIIe siècles (op. cit.). Cinquante et un sont postérieurs à l'année 1738 et M. Hansay en tire conclusion avec assez de raison.
J'aurais beaucoup à dire sur cette liste d'octrois, mais pour me borner ici au XVIIe et au commencement du XVIIIe siècle, je présenterai seulement ces quelques observations.
M. Hansay a parfaitement établi la distinction fondamentale entre l'octroi accordé par la Chambre des finances et celui qui relève du conseil privé. Il prouveainsi que six octrois dans la liste publiée par Bormans, liste qui, pour le direen passant, est loin d'être complète et surtout exacte, ont été abusivement accordés par la première. Mais alors, pourquoi ne pas ajouter à ces six octrois celui du 7 août 1614, autorisant le sieur Van Oeteren à ériger une manufacture"de pots de terre à Maastricht (BORMANS, op. cit., p. 44) et celui du 22 juin 1629 accordant au sieur Meybosch l'autorisation d'ériger une manufacture de fer blanc (BORMANS, op. cit., p. 59). Pourquoi surtout mentionner l'octroi du 19 janvier 1093 accordant au sieur Bovleit l'autorisation de « tirer des ardoises» dans le marquisat de Franchimont (op. cit., p. 23), car il est clair que c'est le conseil privé ici qui a outrepassé ses droits au détriment de la compétence de la chambre des finances.
D'autre part, je relève les lacunes suivantes dans la liste de M. Hansay: 1550 et 1014 deux octrois dont il sera question à la page suivante; 23 avril 1620: octroi d'établir à Liège une verrerie accordé à Pierre Ilerlet et Gui Libon (A.E.L., Dépêches du conseil privé, reg. XIX, f° 110); 9 novembre 1665, octroi au sieur Le Ruth de débiter le poisson de mer frais (HUISMAN, in Bull. Inst. arch. liég., t. 28, p. 289); 20 janvier 1097: octroi de la vente du poisson de mer frais (A.E.L., Dépêches du conseil privé, reg. XXXVII); 31 juillet 1700, octroi de 25 ans au receveur général La Thour et à ses associés de fabriquer des poteries de fer dans leurs fourneaux (A.E.L., Ibidem, reg. XXXVII, f° 330); 27 mars 1708: octroi pour A. II. Rolandi de construire une machine de son invention pour tirer les eaux des fosses (A.E.L., Ibidem).
(29) A.E.L., Dépêches du conseil privé, reg. II, f° 40v, 23 février 1550, octroi à Juan Gomez d'Oeano, qui a introduit à Liège la fabrication des gants et qui a obtenu la bourgeoisie et l'inscription dans un métier, de marquer ses produits aux armes du prince-évêque afin d'empêcher les contrefaçons (d'après l'inventaire manuscrit de M. Fairon).
(30) 26 avril 1614, privilège exclusif à Noël Bazaret, milanais, de fabriquer et de vendre le cuir doré, dit cuir d'Espagne ou de Cordoue (Bull. Inst. arch. liégeois, XI, pp. 364 - 366). M. VAN DE CASTEELE a montré que son établissement existait encore en 1624 (Bull. Inst. arch. liégeois, t. XVIII, p. 439).
(31) Le 29 juin 1029, Everard Meybosch et ses associés reçoivent l'autorisation d'établir à Dinant ou aux environs pour 20 ans leur manufacture de fer blanc. Il avait fait valoir que c'était l'Allemagne qui jusqu'ici le fournissait mais que les guerres récentes allaient en faire hausser le prix à raison de la ruine de cette industrie dans son pays (A.E.L. Chambre des finances, reg. 78, f° 373). Chose curieuse, l'année suivante un Pierre Meybosch, son frère sans doute, reçut de Philippe II un octroi de dix ans pour manufacturer le fer blanc dans le pays de Namur. (Bulletins de la Commission royale d'histoire, 3e série, t. V, p. 168). Mais ce dernier ne paraît pas avoir fait fortune, car le 20 mars 1642 un certain François du Boustrout recevait pour 18 ans le monopole de la fabrication du fer blanc aux Pays-Bas et son octroi constatait qu'il n'existait alors aucune manufacture semblable dans le pays (C.H.II., 3e série, t. V, p. 178).
(32) PHOLIEN, La verrerie au pays de Liège ( 1900 ) , pp. 68-69. Deux verriers lorrains, les Colnet, vinrent s'établir à Fontaine-l'Evêque et obtinrent en 1468 des privilèges de Charles le Téméraire. Leurs descendants auraient fondé des verreries, notamment dans la principauté.
(33) FOULLON, Historia leodiensis, t. I, p. 202. Nicolas Francisci aurait commencé en 1568 des essais et aurait créé un établissement l'année suivante. Van de Casteele pensait cependant que ce Francisci n'était pas italien. En 1572, Gérard de Groesbeck octroya à l'italien Centurini pour 12 ans l'exploitation exclusive de la verrerie. En 1607, ce sont encore des Italiens qui introduisent la gravure sur verre (PHOLIEN, op. cit., p. 69). De 1643 à 1685 on a relevé les noms de 42 gentilshommes italiens et de 20 allemands ou belges ayant contracté à Liège des engagements pour l'industrie du verre.
(34) PIRENNE, op. cit., t. V , p . 351.
(35) Si je m'occupais ici du XVIIIe siècle, je pourrais citer quelques textes curieux qui montreraient les principales notions du mercantilisme sur le chrysohédonisme et sur la balance du commerce, par exemple assez en faveur auprès des Liégeois. Le système des octrois suffit d'ailleurs à montrer que le colbertisme de leurs voisins avait déteint sur eux.
(36) On signale, en 1610, la famille de Preitz, puis Guy Libon et son beau-frère Herlet, ensuite Louis Marius et son beau père Gérard Heyne en 1620, enfin Jean de Glen. (Voir l'excellente brochure de M. PHOLIEN, op. cit., pp. 69-70). On s'est demandé à quelle année il fallait fixer la reprise de la verrerie liégeoise par Guy Libon. M. Pholien estime que ce fut vers 1618-1619, tandis que Schuermans opinait pour 1620. La question est tranchée par le texte de l'octroi lui-même qui permettait à Pierre Herlet et à Guy Libon d'établir une verrerie à Liège, le 23 avril 1020. (A.E.L., Dépêches du conseil privé, reg. XIX, f° 116v).
(37) Voyez sur ces deux grands industriels PHOLIEN, op. cit., ch. VI.
(38) Sans parler d'une fabrique de pots en grès à Namur.
(39) Octroi du 8 avril 1650 (BORMANS, op. cit., p. 64).
(40) En 1051 Guy Libon vendit à Bonhomme sa verrerie de Maastricht.
(41) Octroi du 20 juillet 1658 par lequel les Bonhomme font ratifier la cession qui leur a été faite de cette verrerie par van Lemens, celui-ci ayant succédé à Fr. Savonetti dont l'octroi avait été rendu le 22 décembre 1653 (Placcaerten van Hrabant, t. IV , pp. 36 - 38 ) . Le roi d'Espagne le confirma le 27 avril 1659, à la suite du procès que Nicolas Colinet, propriétaire de « la fournaise de Barbançon », sans octroi royal, avait intenté aux Bonhomme. Colinet reprochait à ceux-ci de profiter de leur situation pour introduire à Bruxelles les verres qu'ils fabriquaient à Liège, ce qui n'était pas inexact. Le roi eut d'ailleurs soin de spécifier que si la verrerie établie à Bruxelles ne suffisait pas au commerce du Brabant, les deux frères devaient en élever une nouvelle, mais « qu'en cas de cortresse » les verres liégeois pourraient être vendus à Bruxelles. (Placcaerten, t. IV, p. 39). Les Bonhomme durent abuser de cette autorisation car, le 8 février 1663, leur octroi fut annulé au profit de N. Colinet ou Colnet. (PHOLIEN, op. cit., p. 81).
(42) 425.955 verres ordinaires, 42.828 verres à la vénitienne, 7.984 verres à serpent.
(43) Henri mourut en 1679 et Léonard déjà en 1668; ils s'étaient brouillés dès 1655.
(44) Octroi du 26 juin 1709 (BORMANS, op. cit., p. 76).
(45) PHOLIEN, op. cit., passim.
(46) Entre 1675 et 1690 elle fut établie par un Massaro.
(47) Près de Sprimont, établie en 1727 par un Grandchamps (PHOLIEN, op. cit., p. 124).
(48) En 1754 par Grandchamps.
(49) On sait que l'historique de l'exploitation du fer dans le pays de Liège a fait l'objet de deux importants travaux en 1860: celui de WARZÉE et celui de FRANKOY. Et ici, comme pour l'industrie houillère, c'est le rôle technique qui a été surtout développé au détriment du côté historique.
(50) Voir TAHON, La métallurgie au pays de Liège, au Luxembourg et dans l'Entre Sambre et Meuse (pp. 383-410 du t. II des Annales du XXIe Congrès de la Fédération arch. et hist. de Belgique, 1909).
(51) PIRENNE, op. cit., t. III, p. 254.
(52) BROUWERS, Les marchands batteurs de Dinant à la fin du XV siècle (pp. 113-141 du t. 78 des B.C.R.II.)
(53) Quelques forges sont encore signalées au XVIe siècle (BROUWERS, op. cit., p. 128).
(54) En 1605, par exemple, les archiducs frappèrent d'un droit de 12 florins le transit par leurs terres des calamines (à raison de 1.000 livres).
(55) COURTOIS, Les arts industriels à Dinant au commencement du XVIIe siècle (pp. 217-254 du tome 34, 2e partie, des Annales de la Société archéol. De Namur).
(56) FAIRON, L'industrie du fer dans le marquisat de Franchimont (Chronique de la Soc. verv. d’arch. et d’hist., 1908-1909, pp. 12-16).
(57) De nombreux marteaux, des platineries s'étaient établies le long de la Hoegne. M. Fairon a révélé la création de 17 mackas au seul ban de Theux de 1470 à 1530 (op. cit., p. 15).
(58) HENRARD, Les fondeurs d’artillerie (Annales de l’Académie d'arch. De Belgique, 4e série, t. V, p. 278). C'est un certain Jehan Gillon dit le Poste, de Dinant.
(59) Ainsi en 1575 un certain Gauthier Godefroid et ses associés passèrent un contrat de fourniture de 16.000 boulets et de 300 bouches à feu avec le gouverneur des Pays-Bas. (FAIRON, Notice sur la fabrication des canons à Liège. B.I.A.L., t. 40, pp. 47-64. GOBERT, op. cit., t, II, pp, 547 et suiv.). Le même fournisseur, malgré bien des avatars, livra encore en 1578 une série de canons de fer à don Juan (HENRARD, op. cit., p. 259). Avant l'arrivée de don Juan aux Pays-Bas, les Liégeois avaient aussi dû pourvoir les Etats Généraux de poudreet de boulets ainsi qu'en témoigne une lettre publiée par DIEGERICK, Quelques lettres de Gérard de Groesbeck (B.I.A.L., t. III, p. 54).
(60 ) LONCHAY ET CUVELIER, Correspondance de la Cour d'Espagne sur les affaires des Pays-Bas au XVIIe siècle, t. I, n° 283, lettre de Philippe III, 29 décembre 1602 ; voir aussi une note de MOREL FATIO dans la Revue historique de 1924, tome 145, p. 245.
(61) Lettre de Requesens à Philippe II, le 1er septembre 1574 (GACHARD, Correspondance de Philippe II. t. III, p. 145).
(62) Je constate à la date du 11 octobre 1567 le « rendage » d'un terrain donné à G. de Thier et G. del Brouck pour y ériger une «usine, forge et marteau » (BORMANS, op. cit., p. 29).
(63) Le contrat fut conclu le 15 mars 1603 (LONCHAY ET CUVELIER, op. cit., p. 122, note 1).
(64) Voyez l'article pas toujours exact de PETY DE THOZÉE, dans le B.I.A.L., t. 40 , pp. 65 - 98 . GOBERT, op. cit., t. I, pp . 369 - 374.
(65) HENRARD, Poudre et Salpêtre (Bull. arch. de Belg., 1897, p. 1068). LONCHAY, Un problème d'histoire économique. L'origine de la fortune de Curtius. (Annales du XXIe Congrès de la Fed. arch. et hist. de Belg., t. II, p. 81, 1909). PLACCAERTEN VAN BRABANT, t. I, pp. 331 et suiv.
(66) Par la recommandation de l'archiduc, il fournit également de poudre l'archevêque de Trêves, le gouverneur de Bourgogne, le duc de Lorraine, etc... En 1608, il avait amassé des poudres pour près d'un million de florins (300.000 fl. brabant, celui-ci valant alors un peu plus de 3 florins de Liège et non 2 frs,10 comme l'écrit Lonchay.)
(67) LONCHAY, op. cit., p. 83. Lors du siège d'Ostende, Curtius fut seul en mesure de procurer de la poudre à l'archiduc (HENRARD, op. cit., p. 1069).
(68) Il eut beau adresser de multiples requêtes à Bruxelles, il ne fut jamais remboursé quoiqu'il eut prêté cette somme sans intérêt. Son caractère généreux, sinon désintéressé, apparaît encore dans un acte du 9 décembre 1594 mentionnant une obligation prise par les bonnes villes de la principauté pour payer leur cote (A.E.L., Recès du Conseil de la Cité, reg. 735).
(69) Il paraîtrait que Henri IV, peu avant sa mort, lui aurait offert 50.000 écus pour l'attirer à son service, mais j'ignore la source authentique de cette information.
(70) VAN DE CASTEELE, Jean Curtius (B.I.A.L., t. X V I I I , pp. 415-428). Contrat du 13 juin 1616.
(71) Sa famille dut rester très fortunée, car son fils Pierre obtint le transfert sur sa tête du monopole du salpêtre dans les Pays-Bas (Placcaerten van Brabant, t. I, p. 330, 18 décembre 1617) et il est encore signalé en 1627 et en 1630 dans ce monopole qu'il partagea avec Thomas Gallé, puis avec Vincent de Herscamp. D'autre part, un octroi du 8 avril 1620 l'autorise à établir des usines à Vaux et à Chênée (BORMANS, op. cit., p. 53).
(72) Voyez notamment la très intéressante lettre du résident espagnol à Liège reproduite à la Ie pièce justificative.
(73) A.G.R., Secrétairie d'Etat et de guerre, reg. 2450 1 f° 5-7. Le résident s'était documenté auprès du bourgmestre Le Rond, ancien maître de forges. Celui-ci avait signalé connue « compétence » un certain Hubert Janfrancq qui avait travaillé 14 ans « avec les maîtres de Suède » aux forges Mariotte en Allemagne. Ce dernier accepta de se rendre en Espagne comme foreur avec deux « fourmeurs » (les frères Lambert et Coleye Pondant) et deux fondeurs (Jean Cendre, de Sart et Wilkin de Crepe). Mais l'un de ceux-ci se désista et Mariotte, revenu d'Allemagne, témoigna peu d'enthousiasme avoir s'expatrier ses ouvriers. Toutefois il adressa peu après un mémoire à Bruxelles où il demandait des renseignements sur le calibre des canons à fabriquer, sur les fourneaux, etc... Ceci me fait supposer qu'il y aurait eu accord de principe.
(74) M. Fairon a noté 110 contrats d'engagements de 1643 à 1700 signés par des ouvriers des environs de Spa (B.S.V.A.II., XIII, pp. 370-371).
(75) B.U.L., ms. 1019, f° 850.
(76) BRANTS, La politique industrielle aux Pays-Bas sous Albert et Isabelle, in Bull. Acad. royale, 1909, p. 196, note 1. Un document du 11 novembre 1627 signale le fait comme remontant déjà à plusieurs années.
(77) Voir WIBERG, Louis de Geer et la colonie wallonne en Suède au XVIIe siècle (B.I.A.L., t. XII, pp. 438-432). Tout récemment M. DALHGREN a consacré deux brochures à cette question: « Louis de Geers hus i Stockholm Historisk utredning » (1919) et « Ett bidrag till valloninvandrigens historia » (1921). Il vient encore de publier un ouvrage en deux volumes à la mémoire de « Louis de Geer » (1923). Malheureusement mon ignorance de la langue suédoise ne m'a pas permis de les utiliser.
(78) Wallonia, tome XIV, pp. 425 et suiv. d'après l'ouvrage de M. PER PEHKSSON, De till sverige in flyttade Vallonernas religiôsa fôrhallanden (Upsala, 1905).
(79) On a relevé 328 noms wallons pour l'époque moderne. En 1742, la colonie wallonne reçut le libre exercice de son culte dans la ville de Stockholm.
(80) Wallonia, t. XIV, pp. 425 et suiv.
(81) En 1581, Louis de Geer se fait encore octroyer deux coups d'eau près de Chênée pour bâtir deux moulins (BORMANS, op. cit., pp. 32 - 33).
(82) B.I.A.L., t. XVIII, p. 435.
(83) G. DE LAVELEYE, Aperçu historique de la sidérurgie belge, résumé dans Wallonia, t. XV, pp. (67-80. Le nom de Jacques de Liège donné à ces couteaux est significatif à cet égard.
(84) Voyez l'article de M. BROUWERS, Relations entre la Prusse et le pays de Liège au XVIIIe siècle, dans le Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. 35, pp. 75-116.
(85) PIRENNE, op. cit., t. V , p. 360. ANSIAUX, L'Industrie armurière liégeoise (1899), pp. 13-16.
(86) BORMANS, op. cit., p. 43. Octroi du 19 janvier. FRANQUOY, Histoire des progrès de la fabrication du fer dans la province de Liège, au t. I des Mém. de la Soc. d'émulation, p. 375.
(87) GOBERT, op. cit., t. II , p. 278, d'après A.E.L., Chambre des finances, reg. 75, f° 77, 101v.
(88) BORMANS, op. cit., p. 59. Octroi du 22 juin. A.E.L. Chambre des finances, 78 f° 374.
(89) Placcaerten Van Brabant, t. II, p. 184, cité par PIRENNE, op. cit., t. IV, p. 433.
(90) GOBERT, op. cit., t. II, p. 545, qui donne en exemple les 300 canons de Godefroid en 1575.
(91) D'après les recès du conseil de la Cité, M. GOBERT cite un acte du 24 septembre 1621 où il est dit que « J. le Harquebousier et G. Loerts maîtres canonniers assermentés » de la Cité ont assisté à l'épreuve des 320 mousquets de J. Gabriel, bourgeois de Liège (op. cit., t. II, p. 546).
(92) POLAIN, Recherches historiques sur l'épreuve des armes à feu au pays de Liège (1891). L'édit est aussi publié par BORMANS, Recueil des ordonnances, 2e série, t. III, p. 365.
(93) A.A.E. Corresp. de Liège, XVII, f° 232: lettre de La Raudière, 17 octobre 1700. Il y a des commandes pour la Hollande qui fait passer ces armes aux Indes, écrit le résident français.
(94) A.A.E., Corresp. de Liège, XVII, f° 285, lettre de La Raudière, 9 janvier 1701.
(95) GOBERT, op.cit., t. II, p. 547, d'après la Clef du Cabinet des Princes, t. XX, p. 41.
(96) On lit dans les Voyages de M. Payen de 1688, p. 130, qu' « un bon fusil coustera au plus 6 livres et une espée quarante sols » (GOBERT, op. cit., t. I, p. 58).
(97) M. HENNEN a fait connaître une déclaration de 25 ouvriers armuriers de Nessonvaux constatant que leur métier est tellement « abatardi de prix » qu'il leur est impossible de subsister convenablement malgré leur dur labeur. Ils conviennent de ne fabriquer aucune espèce de canon de fusil ou de mousquet qu'à un tarif déterminé (Chronique de la Société verviétoise d'histoire et d'archéologie, 1908, p. 11).
(98) A.E.L. Inventaire des papiers revenus de Bonn, 1694 - 1722 . FRANQUOY, op. cit., p. 349.
(99) ANGENOT, Un marchand cloutier verviétois au XVIIe siècle (pp. 129 - 169du Bull. Soc. verv. d'arch. et hist., 1913). Il s'agit de R. du Fays (mort en 1640): ces cloutiers se répartissaient soit dans le ban de Franchimont (25 à Theux, 13 à Heusy) soit dans le Limbourg (9 à Xhendelesse, etc...). Le salaire moyen d'un de ces cloutiers, augmenté de la valeur de ses frais généraux, était de 1110 florins par an, pour le travail d'une masse de près de 4.000 livres de fer.
(100) POLAIN, Commerce et industrie du pays de Liège au XVIIIe siècle (B.I.A.L., t. III, p. 105).
(101) HANSAY, Une crise industrielle dans la draperie hasseltoise au XVIe siècle (Revue de l’Instruction publique, 1905, pp. 263 et suiv.)
(102) E. FAIRON, La draperie verviétoise et le métier des drapiers de Liège (Conf. à la Soc. verv. d’arch. et d’hist. résumée dans le Bulletin, t. XVII (1924), pp. 181-182).
(103) RENIER, Histoire de l'industrie drapière au pays de Liège... (in t. VI des Mém. de la Soc. d'émulation), p. 127, édit du 9 mai 1671.
(104) Edit du 11 juillet 1639 (RENIER, op. cit., p. 334).
(105) Edit du 1er septembre 1659 (RENIER, op. cit., p. 334).
(106) Edit du 22 octobre 1678 (RENIER, op. cit., p. 338): le 6e métier doit être tenu hors de la demeure du drapier mais cependant dans la Cité (BORMANS, Le bon métier des drapiers de la Cité de Liège, p. 73).
(107) RENIER, op. cit., p. 337: supplique adressée à Maximilien Henri.
(108) RENIER, op. cit., p. 127: limitation à 120 pièces par an (DETROOZ, Histoire du marquisat et de la ville de Verviers, p. 60).
(109) Notamment Housse, Xerexhe, Trembleur, Mouland.
(110) B.N., Mélanges de Colbert, ms 156, f° 104.
(111) Au XVIIIe siècle, elle produisait 20.000 pièces par an (BORMANS, op. cit., pp. 76-77).
(112) RENIER, op. cit., p. 130.
(113) RENIER, op. cit., pp. 338-342: règlement du 24 avril 1700.
(114) Edits du 17 avril 1699, 11 mai 1700.
(115) BORMANS, op. cit., p. 73.
(116) Nous sommes mieux documentés sur l'industrie drapière, surtout verviétoise, que sur toute autre industrie du pays de Liège, grâce au travail déjà signalé de Renier. Ici, au moins, le côté historique et économique n'a pas été entièrement sacrifié au côté technique. Il est cependant tout à fait insuffisant, surtout pour la période antérieure au XVIIIe siècle. En somme ce travail est à refaire sur un plan nouveau et à compléter par des recherches d'archives.
M. Angenot nous a promis la publication prochaine d'un recueil de textes analogue à celui que MM. Espinas et Pirenne ont fourni pour la draperie flamande. M. Fairon nous donnera sans doute alors le travail définitif que ses nombreuses contributions, si documentées, nous permettent d'espérer.
Tout récemment cependant, a paru un livre de M. Dechesne (L’Industrie drapière de la Vesdre avant 1800 - Liège 1920) embrassant la question d'un point de vue surtout économique et historique. Que nous n'ayons pas là l'œuvre définitive attendue, c'est ce qui ne peut faire aucun doute. Il y a certes un effort méritoire pour aborder plusieurs questions négligées (cours des monnaies, tarifs douaniers, etc...) mais l'exposé en est trop superficiel. La tentative d'application de la fameuse théorie des conjonctures est curieuse, mais plus que contestable. Même au point de vue historique, pour la période antérieure à 1650, l'auteur n'est pas en progrès sur Renier. Chose plus grave, les sources inédites utilisées sont étonnamment restreintes. Que dire enfin de la bibliographie? Le travail semble avoir été rédigé il y a quinze ou vingt ans, et livré tel quel à l'impression en 1926, car l'auteur ne connaît ni plusieurs des importantes contributions de M. Fairon, ni même des ouvrages capitaux tels que letome V de L’Histoire de Belgique de M. Pirenne ou le recueil de documents sur l'industrie drapière de Levde publié par M. Posthumus (6 vol.) Notre propre exposé, rédigé d'ailleurs deux ans avant la publication de M. Dechesne mais tenu au courant des derniers travaux, est relatif au XVIIe siècle. C'est la raison pour laquelle nous n'aurons guère l'occasion de citer celle-ci, surtout consacrée au XVIIIe siècle. Nous aurons d'ailleurs bientôt l'occasion de l'examiner plus en détail.
(117) E. FAIRON, L'origine de l'industrie drapière à Verviers (pp. 77-84 de la Chronique de la Soc. verv. d'arch. et d'hist., 1907) et sa brochure Les industries du pays de Verviers (1922).
(118) M. Fairon a compté que 13 fouleries à 47 parts au XVe siècle constituaient 222 parts à la fin du XVIe siècle.
(119) POSTHUMUS, Bronnen tôt de geschiedenis van de Leidsche Textielnijverheid, t. IV, n° 41, n° 284. PIRENNE, Histoire de Belgique, t. V, p. 868, note 1.
(120) POSTHUMUS, De industrielconcurrentie tusschen noord- en zuid-nederlandsche nijverheidscentra in de XVIIe en XVIIIe eeuw (Mélanges d'histoire offerts à H. Pirenne, 1926, pp. 372-373) et l'excellent résumé de H. Laurent dans la Revue d'histoire moderne (mai 1927, pp. 216-219). De 1605 à 1629, s'établissent à Leyde 68 drapiers wallons et même, dans la seule année 1638, il en arrive 45.
(121) Après l'année 1638, l'immigration diminue: en 1657 on ne compta plus que 4 arrivants liégeois, 2 limbourgeois et 1 verviétois; en 1675, un seul limbourgeois.
(122) POSTHUMUS, Bronnen..., t. IV, n° 355: plaintes des fabricants de Leyde contre la concurrence de Verviers et du Limbourg.
(123) On lit à deux reprises dans des mémoires des fabricants de draps, de peu d'années postérieurs à 1670: « In't lant van Luyek ende Aken wert alle hollantsche laeckenen den 8en penninck betaelt » (Posthumus, Bronnen, t. V, n° 30, § 47, n° 33, II, § 5). Il s'agirait donc de droits de 12 ½ % mis sur les draps hollandais. A la vérité, on ne voit pas, dans les sources liégeoises quand un tel fait s'est produit et nous croyons qu'il s'agit uniquement des tarifs mis par les Pays-Bas sur les draps étrangers en 1676 ou en 1079 ou en 1680. C'est à tort qu'il est donc question de Liège dans ce texte qui a induit en erreur M. Posthumus dans son article précité (pp. 375-376).
(124) Renier rapporte qu'au XVIIIe siècle la maison Sauvage de Francomont, qui était du Limbourg, employait encore pour une certaine qualité de drap un cachet armorié avec le mot Leyden (op. cit., p. 124, n° 1). Remarquons d'ailleurs que, dès le milieu du XVIIe siècle, Leyde travaillait pour Verviers en qualité de « Lohnindustrie ».
(125) PIRENNE, op. cit., t. V , p. 365.
(126) M. Dechesne fait allusion à ce texte, qui est de 1658 environ, (op. cit., p. 45), d'après les archives de la ville de Verviers, mais il a été publié par M. Huisman, dans le B.I.A.L., t. 28, pp. 284-285.
(127) Ce texte a été partiellement reproduit par M. Dechesne (op. cit., p. 45) d'après une liasse des archives de Verviers. Nous le citons d'après A.E.L., Liasses du conseil privé, Relations avec les Pays-Bas, portef. II. C'est une requête du milieu du XVIIe siècle.
(128) Voyez par exemple un texte cité par M. Posthumus (article cité, p. 377) où il est question d'un marchand drapier verviétois qui, en 1722, « fait subsister 1500 personnes et davantage ».
(129) A.E.L., Liasses du conseil privé, Relations avec les Pays-Bas, portef. II lettre du comte de Grobendoncq du 21 janvier 1664.
(130) Cela a été bien mis en relief par M. Dechesne, op. cit., chap. I et III.
(131) RENIER, op. cit., pp. 127, 129.
(132) Verviers prétendait, vers le milieu du XVIIe siècle qu'elle versait chaque année 60.000 florins-Brabant en impôts à l'Etat. Pour le 60e, voyez au surplus les détails dans le chap. III.
(133) DETROOZ, op. cit., p. 60.
(134) DETROOZ, loc. cit., RENIER, op. cit., p. 130. M. POSTHUMUS (De industrielle concurrentie..., p. 377) signale un texte inédit de 1722 où il est dit que les marchands verviétois « ont considérablement augmenté leurs négoces dans les pays étrangers et fort éloignés ». D'après un document publié par M. Huisman (B.I.A.L., t. 29, p. 290) ces marchands justifient en 1715 la demande d'autorisation de la publication d'un journal, en faisant valoir que leur négoce s'étend à la Hollande, à la Lorraine, à la Westphalie, au Danemark, au Brandebourg, à la Suisse et à la Pologne. (Cfr. PIRENNE, Histoire de Belgique, t. V, p. 365). C'est évidemment au XVIIIe siècle que ce commerce avec l'étranger prend toute son extension.
(135) RENIER, op. cit., pp. 132 - 133. Des troubles eurent lieu en 1700 et en 1708.
(136) Beaucoup de drapiers et d'artisans allèrent s'établir de l'autre côté de la frontière dans les localités rivales du Limbourg, notamment à Hodimont où l'on signale alors la construction de 60 nouveaux bâtiments. Cfr. le texte cité par M. Posthumus (article cité, p. 377, n° 5): « Le sr Delhiez, depuis qu'il a quitté Verviers pour s'établir à Hodimont, continue à emploier, ainsi qu'il le dit, plusieurs milliers de ces sujets ».
(137) Voir notamment les ordonnances des 17 avril 1699, 20 avril 1700, 11 mai 1700, 30 octobre 1704, 6 février 1721, etc.
(138) Le 7 mars 1689, l'intendant français de Bagnols écrit qu'un marchand de drap de Verviers avait offert d'établir une manufacture à Cambrai à des conditions fort avantageuses et que la chose serait heureuse, car cette dernière ville se trouve dans une situation lamentable (D.G., reg. 870, n° 206). En 1704, deux Verviétois, F. Dexhorez et Bertrand Lonys, obtinrent du roi d'Espagne un octroi pour établir une manufacture à Aywaille. Mais, peu après, l'octroi leur fut retiré devant les plaintes des drapiers bruxellois (HENNEN, Etablissement d’une manufacture de draps à Aywaille en 1704, pp. 197-207 du B.S.V.A.H., t. XII).
(139) CROUSSE, Etude sur les voies de communication de l'ancien pays de Liège (Bull. Soc. belge de géographie, t. IV, 1880, p. 266).
(140) LOUVREX, Recueils des édits, t. III, p. 212.
(141) MALHERBE, De l'état des routes dans le pays de Liège... in t. IV des Mém.de la Soc. d'émulation, p. 72.
(142) En 1665 et en 1683 par exemple.
(143) CROUSSE, loc. cit.
(144) E. FAIRON, La chaussée de Liège à Aix La Chapelle et les autres voies de communication des Pays-Bas vers l’Allemagne au XVIIIe siècle. (Bull. Soc. verv. arch. et hist., t. XII, p. 32).
(145) A.A.E., Corresp. de Liège, suppl. IV, f° 223-225.
(146) Voir à cet égard le chapitre suivant.
(147) On sait que le duché de Bouillon appartint à l'Eglise de Liège jusqu'en 1676. Enlevé alors par la France, il continua à jouer un rôle analogue dans la question des voies de communication.
(148) Ne pas confondre cette localité de Porcheresse, située à 8 km. au N. O. de Palizeul, dans le Luxembourg avec Porcheresse, 10 km. au N. E. de Ciney, dans la principauté.
(149) A.A.E. Corresp. de Liège, III, f° 20-31. Commission du 16 septembre 1664.
(150) Les entrevues eurent lieu à Sedan, puis à Rochefort et enfin à Saint Hubert. La prétention que les Liégeois émettaient sur la suzeraineté de l'abbaye faillittout gâter. (Notice sur l'ancien Chemin Neuf de Sedan à Liège. Annales de l'Inst. arch. du Luxembourg, t. XIV, pp. 166 et suiv.).
(151) Ce n'est pas alors que cette appellation apparaît pour la première fois.Dans les pièces du procès de Saint Hubert de 1550 on voit que les Français avaient adopté un parcours à peu près semblable pour éviter le Luxembourg.J'ai relevé cette appellation dans un texte de 1639.
(152) Scoville est une dépendance de la commune de Mohiville.
(153) Je n'ai pu identifier cet endroit. Aujourd'hui il n'existe un Chacoux qu'entre Namur et Dinant sur la rive gauche de la Meuse.
(154) C'est une dépendance de Jehonville.
(155) C'est une dépendance de Noirefontaine.
(156) A.E.L. Terres contestées, Procès de Saint Hubert, 1550, portefeuille 1.
(157) B.N., Fonds Moreau, ms. 428, f° 144.
(158) On trouvera un exposé succinct de l'affaire dans FRÉSON, La suzeraineté de la terre ou des féautés de Saint Hubert (dans les Annales de l'Institut arch. Du Lux., t. 42, pp. 262-300). Mon travail repose sur les documents principaux suivants: pour l'exposé de la thèse liégeoise, un mémoire inédit de Louvrex (B.C.L., Coll. Cap., n° 1645); pour l'exposé de la thèse espagnole, les documents du ms. 521 du Fonds Moreau à la B.N.; pour la thèse de l'abbé, un factum de 1721 (B.N., Fonds français, 12.139; B.C.L., Coll. Cap., 1643). La plupart des pièces justificatives se trouvent dans le copieux fonds de Saint Hubert aux A.E.L.
(159) En 1681, les Chambres de Réunion prononcèrent l'annexion de Saint Hubert.
(160) GOFFINET, op. cit., p. 65. L'article du père Goffinet est une excellente contribution à l'étude du Chemin Neuf, d'autant plus précieuse qu'elle se fonde sur les archives de Saint Hubert reposant à Arlon, qui ont été détruites pendant la guerre.
(161) B.N., Fonds Moreau, ms. 428, f° 98.
(162) H.N., Fonds Moreau, ms. 428, f° 75-96. Pour donner une idée de ces difficultés, voici un extrait de rapport espagnol: Les voitures qui passent par le Chemin Neuf « touchent une pièce de terre du pays du Roy en un lieu nommé Nive qui étoit un village, mais tout ruiné, en sorte qu'il n'y reste aucune maison ny vestige et, pour ce, laditte pièce difficile a recognoitre, ledit lieu est entre Burre et Wauvray. Pour en savoir les adresses, il conviendroit s'en informer à Han-sur-Lesse des plus vieux habitants, d'autant que c'est peine perdue de s'en informer sur la routte dudit nouveau chemin, parce que tous diront en faveur d'iceluy pour le bénéfice qu'en reçoivent les limitrophes ».
(163) M. PIRENNE pense que ce chemin « n'avait qu'une importance stratégique » (op. cit., t. V, p. 138), mais il me paraît établi que son caractère est tout autant commercial.
(164) A.A.E., Corresp. de Liège, suppl. I, f° 99: le roi à l'abbé, 19 juin 1668.
(165) En 1073, le gouverneur du Luxembourg ordonna à l'abbé de faire abattre des arbres pour barrer ce chemin et de faire démolir les ponts. (GOFFINET, op. cit.)
(166) A.A.E., Corresp. de Liège, suppl. I, f° 100-102. 386-387, 415-416; 8 juin, 20 juillet 1679.
(167) H.N., Fonds Moreau, ms 428, f° 142. En 1676, la recette avait été de 37.000 fl.; en 1677: 40.000; en 1078: 31.000.
(168) A.G.R., Jointe des terres contestées, carton 73, lettre de l'intendant de Luxembourg.
(169) A.G.R., Ibidem, farde I, n° 40, lettre du receveur de Porcheresse du 12décembre 1679.
(170) B.N., Fonds Moreau, 428, f° 146.
(171) B.N., Fonds Moreau, 428, f° 191-192.
(172) B.N., Fonds Moreau, 428, f° 188-190.
(173) A.G.R., Jointe des terres contestées, 73, 2e farde. B.N., Fonds Moreau, 428, f° 208 et suiv.
(174) B.N., Fonds Moreau, 428, f° 50-71.
(175) A.N., R 2 182.
(176) A.G.R., Ibidem, 1e farde, 2e chap. n° 8; B.N., Ibid., f° 112-113. FRÉSON, op. cit., p. 291.
(177) Vers 1701 un mémoire du contrôleur général des finances à l'intendant de Champagne affirme que le chemin est d'une très grande conséquence pour la France, puisque « l'on tire de Liège toutes sortes de marchandises, même en temps de paix, celles qui sont de contrebande, comme armes et lammes d'épée. Il y a un an et demi que l'on a tiré de Liège plus de 150 milliers pesant de lammes d'épée et quantité d'armes » (GOFFINET, op. cit., p. 189).
(178) GOFFINET, op. cit., pp. 184 - 186.
(179) Voir mon travail sur La politique extérieure liégeoise sous J. L. d'Elderen et J. Cl. Je Bavière, 3e partie, chap. III.
(180) Je n'ai jamais compris pourquoi nos auteurs modernes ont considéré comme un désastre la solution apportée par le traité de Ryswick, pour la principauté. Elle coupait en deux tronçons, ont-ils dit, le territoire liégeois. Ils oublient qu'auparavant et depuis le XVIe siècle, les Espagnols détenaient déjà tout le comté d'Agimont; tandis que le partage de ce comté permettait, lui, une jonction des territoires liégeois en empruntant les terres de France, plus accueillantes. Il reste vrai cependant que, le couloir de communication étant fort étroit, les relations avec la France étaient mieux assurées avant le traité, mais depuis 1673 seulement, par suite de l'occupation de tout le territoire d'Agimont par les troupes de Louis XIV. (Cfr. DE BOISLISLE, Corresp. des contrôleurs généraux, t. II, p. 608).
(181) A.N., G7 1686. Lettre d'Amelot, le 14 mai 1700.
(182) A.E.L., Terres contestées, Falmignoul: 1 portefeuille.
(183) Les documents abondent sur cette controverse. Voici les principales sources que j'ai utilisées à ce sujet: aux A.E.L., Terres contestées, Falmignoul: 1 portef. et 1 registre; aux A. G.R., le portef. 681 de la Chancellerie des Pays-Bas (f° 292-306); aux A.A.E., Corresp. de Liège, XIX, f° 197 et suiv., XX, f° 20 et suiv.
(184) Voici la teneur de ce texte, c'est-à-dire de l'article 5 du traité du 4 août 1548: Quant au différent entre le procureur général de Namur et le mambour du prince de Liège autour « du terroir, haulteur et jurisdiction es rues et chemins de Flamingnol, entre et contigues au bancq de Saint Hubert et au bancq de Mons, est du consentement de l'abbé de Saint Hubert, et ledit prince se faisant fort pour luy, conclud et accordé que le seigneur de Chasteau Tiery comme vassal du comte de Namur aura la jurisdiction et ledit comte de Namur le territoire et supériorité des dites rues et chemin de Flamingnol entre et contigues au dict bancq comme membre dépendant dudit Chasteau Tiery, où il pourra apprehender tous délinquants trouvez es rues et chemins... pourveu que ledit de Chasteau Tiery ou ses officiers ne pourront esdites rues et chemins de Flamingnol faire arrest sur aulcuns manans ou habitans du dit bancq de Saint Hubert..., ledit bancq de Saint Hubert neantmoins demeurant pays et territoire de Liege, excepté les dites rues et chemins et contigus entre dudit bancq de Saint Hubert et du bancq de Mons ». LOUVREX, Recueil des édits, t. I, pp. 218-227).
(185) M. GOBERT, dans la nouvelle édition des Rues de Liège (1924) , définit ainsi et fort justement le 60e: « Le droit du 60e était le prélèvement par le fisc d'un pour 60 quoique cette base ait varié sur la valeur déclarée de la plupart des produits ou marchandises qui, venant de l'étranger, passaient en transit par notre territoire, ou qui étaient destinées à la consommation intérieure» (t. I, p. 174). Il faudrait encore y ajouter: sur les exportations liégeoises.
(186) Les textes expriment cette idée en disant que seules sont réputées passer en transit les marchandises « qui passent debout et ballées sous cordes » (voir p. 153).
(187) Cette transformation se conçoit parfaitement: de la soie qui devient du ruban, de la laine qui devient étoffe, du minerai de fer qui serait transformé en armes ou en clous.
(188) Ce tonlieu fut réglé en 1250 par la Lettre de Tourny. Certaines villes étrangères telles que Aix, certaines villes de la principauté (Saint-Trond, Verviers...) en étaient exemptes. Dans son travail sur la Police des vivres à Liège pendant le moyen âge, M. CHESTRET DE HANEEFE se demande si ce tonlieu a survécu au XVe siècle (p. 65)? On trouvera ci-dessus la réponse à cette question.
(189) BORMANS, Recueil des ordonnances, 1e série, p. 720.
(190) Ainsi BORMANS a signalé un « cri du perron » du 7 juillet 1548 prescrivant à ceux qui passent par Liège avec des denrées, marchandises, bêtes, etc... de payer le « toulnis » (B.I.A.L., t. VII, p. 26). Une lettre de Philippe II, du 29 janvier 1556, adressée à l'évêque de Liège, demande qu'on laisse passer certaines denrées qui sont nécessaires à son service, sans lever « aucun tonlieu ou autre impôt » (B.U.L., ms. 1027) . Or, le 12 octobre 1556 , dans une nouvelle lettre, le roi d'Espagne adresse à l'évêque la plainte de trois marchands qui transportaient des vivres aux places de la frontière et auxquels on a fait payer le « soixantième de la valeur » (A.E.L., Ambassade à Vienne, 1720, t. I, f° 23). Il semblerait à première vue qu'il s'agit ici du droit de douane du 60e et les Liégeois n'ont pas manqué d'invoquer ce texte pour établir l'ancienneté de ce droit. Les Pays-Bas, de leur côté, estimaient qu'il s'agissait là de la « masenge », impôt perçu au profit de la mense épiscopale. La vérité est que c'est du tonlieu [tourny] du 60e denier, perçu par le prince, qu'il est ici question. Le droit de douane du même nom n'existait pas encore.
(191) Ainsi on trouve mentionné ce tonlieu dans le traité de commerce de 1686, conclu entre la principauté et la France (IIIe pièce justificative, p. 153).
(192) En 1550, on constate que l'évêque perçoit un 60e sur les objets de consommation entrant à Dinant, sauf sur le vin et les harengs, mais que diverses villes en sont exemptes. (BORMANS, op. cit., p. 27). Le 10 février 1568 les officiers de la ville de Tongres sont attraits en cause pour avoir fait payer aux bourgeois de Liège le 60e denier sur toutes les marchandises que ceux-ci achetaient dans la dite ville (A.E.L., Recès du conseil de la Cité, reg. 726, f° 204). Le 1er février 1586 des bourgeois de Liège se plaignent de ce que ceux de Saint-Trond, Huy, Dinant, Tongres, Maeseyck et Marcinelles veulent leur faire payer un nouvel impôt sur les marchandises qui passent par leurs villes (Inventaire des recès par BORMANS).
(193) A.E.L., Etat primaire, recès des députés: reg. 1605 - 1613, f° 457-459.
(194) DARIS, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège au XVIe siècle, p. 281, note 1.
(195) DARIS, op. cit., p. 375. M. Huisman est, avec Daris, le premier, je pense, à avoir vu que le 60e date au moins de 1580, et non de 1653 ainsi que l'avaient admis Lonchay, Rahlenbeck, etc...
(196) DARIS, op. cit., p. 462.
(197) DARIS, op. cit., p. 470.
(198) DARIS, op. cit., p. 474.
(199) A.E.L., Le soixantième, XVIe siècle à 1727, 1 portefeuille.
(200) A.E.L., Conseil privé, Ambassade à Vienne, 1720-1723, t. II, f° 701.
(201) DARIS, op. cit., pp. 489, 492, 495, 499, 507'9, 521, 528, 529, 533. A.E.L., Concl. Cap., 14 déc. 1591, 20 avril, 3 juin 1592, 26 novembre 1593, 22 octobre, 1602, 8 juin, 2 août 1605. Recès du conseil de la Cité, 17 mars, 26 novembre 1594, 17 avril 1595.
(202) A.E.L., Le soixantième, XVIe siècle à 1727: 1 portefeuille. Mandement du 18 juillet 1598 sur l'entrée, la sortie et le débit.
(203) Octroi du 17 novembre 1583, maintes fois prorogé (C.R.H., 3e série t. V, p. 126), puis rendu perpétuel. Les Etats de Namur devaient 26.000 florins en rentes aux Liégeois et c'est pour pouvoir s'acquitter qu'ils réclamèrent la levée d'un droit de douane. Voir aussi G. BIGWOOD: Les impôts généraux dans les Pays-Bas autrichiens, p. 250.
(204) B.U.L., ms. 1027, décision du Tiers, le 26 novembre 1593.
(205) A.E.L., Recès du conseil de la Cité, 8 juin 1605, 2 août 1605, 30 mars 1607. En 1610 et en 1611 le chancelier déclara aux Etats que le 60e n'avait pu être levé à cause des « oppositions et empêchements survenus » (DARIS, op. cit., pp. 536, 539).
(206) A.E.L., Concl. Cap., 26 novembre 1593.
(207) B.U.L., ms. 251, f° 144-140v, lettres des gouverneurs de Huy, Bouillon,Dinant, Stockem.
(208) B.U.L., ms. 1027, passim. BOUILLE, Histoire de la ville et du pays de Liège, t. III, pp. 133-135. DARIS, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège au XVIIe siècle, t. I, pp. 7, 11-13.
(209 ) DARIS, op. cit., pp. 19, 23, 26, 30, 82.
(210) A.E.L., Etat primaire, recès des députés, 1640-1644, juillet 1641.
(211) A.E.L., Conseil de la Cité, reg. 742, f° 73v. Liasses du conseil privé, Relat. avec Pays-Bas, portef. XI. DARIS, op. cit., pp. 238, 256, 276, 286.
(212) B.U.L., ms. 1027.
(213) A.G.R., Secrétairie d'état et de guerre, liasse 1466. DARIS, op. cit., t. II, pp. 15, 26, note 1. Daris et M. Huisman sont les premiers à avoir remarqué l'antériorité du 60e par rapport à ce diplôme de 1653 qui, au dire de beaucoup d'auteurs, l'aurait créé.
(214) DARIS, op. cit., pp. 26, 33, 35.
(215) A.G.R., S.E.G., liasse 1466: « ...ita tamen, ut illac tanseunt, et eo ad consumptionem vel distractionem non inferuntur, nihil exsolvant ».
(216) Voir M. HUISMAN, Essai sur le règne du prince-èvêque de Liège Maximilien Henri de Bavière, p. 120.
(217) B.C.L., Coll. Cap., N° 8147, 8149. DARIS, op. cit., t. II, pp. 107, 109, 127.
(218) A.E.L., Le soixantième, XVIe siècle à 1727, 1 portef. En 1689 et en 1693 une semblable résolution n'avait pas eu d'effet.
(219) BOUILLE, op. cit., t. III, p. 523. A.E.L., Liasses du conseil privé, Relat. avec les Pays-Bas, portef. XI: la houille, les fers et plusieurs denrées étaient exonérés.
(220) PIRENNE, op. cit., t. V , p. 352.
(221) B.U.L., ms. 1029, n° 5.
(222) Voir l'énumération à la IIe pièce justificative.
(223) A.E.L., Etal primaire, recès des députés 1649-1650, novembre 1649. En 1650, le prince vendit la levée du 60e pour deux ans moyennant 32.000 patacons, soit 128.000 florins. (DARIS, op. cit., t. I , pp. 281-289).
(224) DARIS, op. cit., t. II, p. 66 . B.U.L., ms. 1000, f° 89 et suiv.
(225) B.U.L., ms 1000, loc. cit. Voici le produit du 60e de 1709 à 1725: 1709: 315.601 florins; 1710: 321.562 florins; 1711: 302.311 florins; 1712: 297.967 florins; 6 premiers mois de 1713; 148.481 florins; 1713-171 : 359.843 florins; 1714-1715: 317.653 florins; 1715-1716: 313.825 florins; 1721-1722: 369.286 florins; 1723-1724: 392.076 florins; 1724-1725: 405.739 florins. De 1714 à 1726 le 60e a rapporté 4.521.501 florins.
(226) LOUVREX, op. cit., t. I, pp. 184-186.
(227) Voir la IIe pièce justificative de mon article sur Les origines diplomatiques de la neutralité liégeoise, dans la Revue belge de philologie et d'histoire, 1926, n° 2.
(228) Voir mon travail sur L’alliance de la principauté de Liège avec les Pays-Bas au XVIe siècle, qui paraîtra prochainement dans la même revue.
(229) Dont 29 de Liège jusqu'à Dordrecht (HUIKMAN, La Belgique commerciale sous l’empereur Charles VI, p. 74).
(230) En 1719, les Autrichiens, héritiers des Espagnols, tout en maintenant ces deux comptoirs, en établirent un troisième à Cheratte.
(231) L'histoire de certains de ces bureaux est assez mouvementée. Ainsi, en 1687, les fermiers des Etats furent autorisés à établir un comptoir à Neer-Itter, en face de Ruremonde sur la Meuse (A.E.L., Concl. Cap., reg. 166, 28 février 1687). En 1700, le gouvernement des Pays-Bas, estimant qu'il gênait le trafic sur le fleuve le fit démolir! En 1717, les Liégeois le rétablirent parce que les Autrichiens prélevaient des droits nouveaux au bureau de Wessem. Le marquis de Prié le fit encore détruire! (A.G.R., Conseil d'état, 302 B; A.E.L., Corresp. de Roost. reg. VII, f° 40; RAHLENBECK, Les pays d'Outre-Meuse, pp. 250 - 251).
(232) A.A.E., Corresp. de Liège, XVIII, f° 322. Ce bureau ne vécut que de 1714 à 1715.
(233) A.G.R., Conseil d'Etat, 302B, pièce 99. WOUTERS, Livre des Placcarts édits, règlements, tarifs... (1737). Ce changement eut lieu en 1696.
(234) On citait même les cas suivants: 100 gongues de houille, d'une valeur de 57 florins, ont payé de Namur à Ruremonde 21 florins et 17 sous de droits! Un millier d'ardoises, valant 9 florins, ont payé plus de 3 florins de droits. Une pièce de vin de Liège, d'une valeur de 4 écus, a dû payer pour transiter par la Meuse 5 écus de droits ! Ces cas sont exceptionnels, mais leur réalitén'est pas contestable.
(235) LEVASSEUR, Les tarifs de douane de 1664 et de 1667 (Revue intern. Du commerce, de l’industrie... juin 1910), Histoire des classes ouvrières et de l'industrie en France avant 1789, t. II, pp. 288-289. CALLERY, Histoire du système général des droits de douane aux XVIe et XVIIe siècles et des réformes de Colbert en 1664 (1882) et A. CLÉMENT, Histoire du système protecteur en France depuis Colbert (1854) pp. 259-260.
(236) FAIRON, La chaussée de Liège à Aix La Chapelle, p. 31.
(237) Voir plus loin pp. 126 et suiv.
(238) Edit du 17 avril 1669 que je n'ai pu retrouver mais qui est connu par l'ordonnance liégeoise de rétorsion reproduite à la IIe pièce justificative.
(239) Tarif du 28 juin 1669. Cette pièce étant devenue très rare, je l'ai reproduite à la IIe pièce justificative. Elle offre d'ailleurs cet intérêt de nous renseigner sur la conception des Liégeois en matière de douanes. Mais, pour se rendre un compte exact du montant des droits promulgués, il faut la mettre en regard avec le tarif de sortie du 19 avril 1608, très modéré, et qui ne compte que quelques articles. Ainsi l'alun voit son droit de sortie passer de 2 à 30 sous le cent pesant; les armes, qui jusque là ne payaient que le soixantième, devront acquitter 14 florins; la houille, dont la sortie avait toujours été libre, payera 12 florins les 3.000 livres, c'est-à-dire pas beaucoup moins du double de sa valeur! D'autre part, les Liégeois vont peu après réduire de 14 à 4 florins le droit sur le vin et de 20 à 5 sous sur le fer en gueuses!
(240) A.E.L., Liasses du conseil privé, Relations avec les Pays-Bas, portef. II. Rien ne démontre mieux le désir des Liégeois de voir les choses s'arranger, que la lettre adressée par le chancelier Liverlo à l'évêque de Gand, d'Allamont, où les Liégeois promettent à celui-ci 10.000 écus s'il peut obtenir la suppression des édits des Pays-Bas (23 novembre 1669).
(241) VAN HOUTTE, Un Colbert belge. Jean de Brouckoven, comte de Bergeyck (pp. 343-354 du t. I. des Mélanges Kurth, 1908).
(242) WOUTERS, op. cit., p. 322. On interdit aussi la sortie du vieux fer, des boulets, etc.
(243) WOUTERS, loc. cit., 7 septembre 1699. Pour favoriser la mine et l'usine d'alun de Houtheine en Limbourg on frappa de 2 1/2 et de 3 1/2 florins l'entrée des aluns étrangers. Il suffira de dire pour apercevoir l'importance de cette disposition que l'entrée des aluns, taxée d'abord à 15 ou 20 sols, avait été laissée libre par le tarif de 1680.
(244) GACHARD, Histoire de la Belgique au commencement du XVIIIe siècle, pp. 11-12.
(245) Instruction du 13 avril 1699 à de Malte.
(246) Je n'ai pas pu trouver cet édit que je ne connais que par une analyse très détaillée d'un document espagnol rédigé sous forme de réplique.
(247) Ce tarif doit être de mai 1700, mais je ne l'ai pu trouver.
(248) On a tort de parler de ces mesures comme d'une abolition entière des édits de 1699 (GACHARD, op. cit., p. 13. - VAN HOUTTE, op. cit., p. 350); ceux-ci sont fort adoucis, mais en partie seulement.
(249) A.G.R., S.E.G., 593, f° 249, conférence de juin 1701.
(250) La benne de charbon de bois taxée auparavant à 9 sous, venait de l'être à 40 sous.
(251) A.E.L., Etat primaire, Journées, 1708-1716, f° 148-162.
(252) A.E.L., Protocole de la conférence de Namur de 1713.
(253) A.E.L., Protocole de la Conférence de Namur, f° 36-37, Tarif du 13 janvier 1713.
(254) A.E.L., Etat primaire, recès des députés, reg. 34, f° 19bis. Certains produits étaient frappés de telle manière que l'exportation en était virtuellement interdite: ainsi les pierres à bâtir, 45 % et la houille, 200% environ !
(255) A.E.L.. Liasses du conseil privé, Relat. avec les Pays-Bas, portef. VI. Protocole de Namur, f° 131-137.
(256) Le texte en est reproduit à la fin de l'ouvrage de DE BORCHGRAVE, Histoire des rapports de droit public..., pp. 413-414.
(257) Ainsi on en trouve des traces dans les protocoles des diètes de 1582, 1584, 1598, 1603, 1638, 1641, etc... Le jurisconsulte Stockmans répliquait qu'il fallait réprimer les abus mais non pas abolir le privilège (DE BORCHGRAVE, op. cit., pp. 269-275, 289).
(258) Ainsi notamment l'art. 43 du traité de Munster, l'art. 9 du traité d'Osnabruck, l'art. 8 de la capitulation impériale de 1658, l'art. 21 de celle de 1711, etc...
(259) Voir pp. 80 et suiv.
(260) BRANTS, La politique industrielle aux Pays-Bas sous Albert et Isabelle (Bull. Acad. royale de Belgique, 1909, p. 203).
(261) Edits du 15 juin 1600, 31 janvier 1610, 4 juin 1644. A cette dernière date on révoque aussi la permission du transport des filets de serge autorisé en 1621(Placcaerten, t. IV, pp. 106 et suiv.)
(262) Edits de 1592, 1594, 1595, 1597, 1598, 10 février et 13 octobre 1610 (Placcaerten op. cit, pp. 109 et suiv.)
(263) Ainsi une lettre d'Isabelle du 27 septembre 1627 dit que le 22 mars précédent elle avait ordonné la levée de certains droits sur les manufactures de laine des pays étrangers, mais que, depuis, elle a décidé leur suppression (A.E.L., Liasses du conseil privé, Bel. avec les Pays-Bas, portef. II).
(264) Cfr. DECHESNE, op. cit., chap. III.
(265) Placcaerten van Brabant, t. IV, p. 109. L'histoire de ce conflit a fait l'objet d'une conférence de M. ANGENOT, en 1922, dont je ne connais qu'un sommaire compte-rendu dans le Bulletin de la Sac. verv. d'arch. et d'histoire, t. XVII, p. 151. M. Dcehesne y a consacré le chap. XI de son livre précité. Mes sources principales sont inédites.
(266) A.E.L., Liasses du conseil privé, Relat. avec les Pays-Bas, portef. II.
(267) Placcaerten van Brabant, t. I, p. 263.
(268) A.E.L., Liasses du conseil privé, Relat, avec les Pays-Bas, portef. II.
(269) HUISMAN, Mélanges dans le B.I.A.L., 1899, pp. 284-289, requête de février 1658. M. Huisman a tort de penser que c'était alors la première fois que la draperie verviétoise se trouvait menacée.
(270) Placcaerten van Brabant, t. IV, pp. 113 et suiv.
(271) A.E.L., Ibidem, portef. II.
(272) Placcaerten van Brabant, IV, pp. 116 et suiv.
(273) Placcaerten, IV, pp. 118-119. A.E.L., Ibidem, Edit du 5 novembre 1661, renouvelé le 23 juin 1662.
(274) A.E.L., Liasses du conseil privé, Relat, avec les Pays-Bas, portef. II.
(275) A.E.L., Ibidem. Le 27 juin 1064 le prince-évêque interdit l'entrée de toutes les marchandises des Pays-Bas en représailles de la confiscation de certains draps liégeois. (B.U.L., ms. 1029, n° 6).
(276) A.E.L., Ibidem.
(277) A.E.L., Ibidem.
(278) DECHESNE, op. cit., p. 121.
(279) Voir p. 121.
(280) Il s'agit du tarif du 6 juillet 1669 qu'une ordonnance du 24 décembre 1670 désigne comme étant capital. Il fait défaut dans le recueil de Wouters, mais je le connais en partie, grâce à une ordonnance de 1700 qui le remet en usage. J'ai essayé de dresser à la VIe pièce justificative un tableau des principaux droits perçus aux Pays-Bas sur les laines et les draps de 1669 à 1716.
(281) Voir ma VIe pièce justificative, d'après les détails fournis par WOUTERS, op. cit.
(282) Les serges liégeoises payeront: blanches, 0 sous, et teintes, 24 sous la pièce.
(283) A.E.L., Recès du conseil de la Cité, 18 mars 1680.
(284) Les droits sur les serges passaient de 6 et de 24 sous à 4 et à 18 sous. Le tarif de 1680 est publié in-extenso dans Wouters et en partie dans BRIAVOINE. (Mémoire sur l'état de la population, des fabriques,... (1840), pp. 44-46) et dans VAN HOUTTE, Histoire économique de la Belgique à la fin de l'ancien régime (1920), pp. 552-554. Quelques erreurs, de provenance typographique pour la plupart, sont à relever dans la publication de M. Van Houtte: ainsi le droit d'entrée de la quincaillerie est de 10 sous et non d'un florin 10 sous, celui du sucre est de 10 sous et non de 10 sous 9 deniers, etc... Plus importante est l'erreur relative aux droits de sortie des laines: 2 à 8 florins, écrit M. Van Houtte. Ce serait énorme! En réalité c'est 8 sous à 2 florins, qu'il faut lire (Voir mon tableau à la VIe pièce justificative).
(285) CLÉMENT, op. cit., pp. 259-260; LEVASSEUR, art. cité, p. 257 et Histoire de l'industrie, t. II, pp. 288-289.
(286) Toutefois un édit du 1er juillet permettait aux Liégeois enclavés dans les terres des Pays-Bas de transporter leurs laines d'un endroit de leur pays dans un autre, moyennant un droit de transit sous le bénéfice de la réciprocité.
(287) Edit du 17 mars 1703 (WOUTERS, op. cit., p. 320).
(288) Pendant tout le XVIIe siècle, les fabricants de Leyde s'étaient plaints des douanes liégeoises (POSTHUMUS, op. cit., t. V, n° 30, pp. 46-47; n° 33, p. 56) et de la concurrence de la draperie de Liège favorisée par la modicité des taxes qui pesaient sur elle (t. V, n° 114, n° 132).
(289) Ainsi pour les draps teints d'une valeur de 60 florins le droit de 5 fl. Tombe à 3 1/2; pour ceux de 40 fl., il tombe de 4 1/2 à 2; pour ceux de moins de 40 fl., il tombe de 3 1/2 à 1.
(290) A.E.L., Corresp. de Roost., lettre du 12 déc. 1715. Il est inexact de dire avec RENIER (op. cit., p. 185) que des dépêches du 18 février et du 24 juillet 1716 « révoquèrent cette faveur dangereuse alors pour le Limbourg autant que pour Liège ». Le 18 février 1716, on promulgua deux tarifs: l'un applicable aux puissances maritimes et qui contient ce dégrèvement; l'autre applicable aux autres pays et qui est la reproduction du tarif de 1669. Le 24 juillet 1716, on ne fait que préciser certains points de la procédure de taxation. Je n'ai rien trouvé d'autre à ces deux dates.
(291) M. VAN HOUTTE, (op. cit., p. 202, note 1) reproduit cette citation de Criquillion: « le comté de Namur ne produit qu'un fer dur qui ne se prête pas aux ouvrages de la clouterie et pour cela nous sommes tributaires de la principauté de Liège pour le fer tendre ». On le voit, c'est exactement le contraire.
(292) Par exemple par l'édit du 19 février 1681.
(293) Voyez à cet égard le tableau dressé à la Ve pièce justificative.
(294) Voir p. 80, note 1.
(295) Voyez à cet égard l'excellent article de M. HANSAY, Contribution à l'histoire de la politique mercantile au 18e siècle en France et dans le pays de Liège (Mélanges Fredericq, 1904,p. 337).
(296) J'ai reproduit cette statistique à la IVe pièce justificative. On remarquera que 15 forges y sont énoncées et non 14. La raison en est que l'une d'elles, non désignée dans l'énumération, ne serait qu'une fenderie, au dire du document sur lequel je me fonde. Il y a, dans un mémoire de Warzée sur la métallurgie du Hainaut, une mention de 10 fourneaux, 28 forges et 4 fenderies pour l'Entre Sambre et Meuse et la prévôté de Poilvache. L'auteur y a-t-il compris ou non le comté de Namur lui-même? On ne le sait et ces chiffres ne peuvent pas signifier grand chose.
(297) M. VAN HOUTTE (op. cit., pp. 33-34 ), dans son magistral travail sur l'histoire économique de la Belgique, reproduit les chiffres fournis par l'official Perin qui, en 1767, évaluait à 35 fourneaux et 85 forges la métallurgie du comté de Namur en 1560. Cette statistique faite deux siècles après coup est très sujette à caution. Mais il est certain qu'au XVIIe siècle la forgerie namuroise était en complète décadence.
(298) Un mémoire de 1693 donne 14 fourneaux et 22 forges pour Chimay, Maubeuge et Avesnes: ces chiffres sont probablement exacts.
(299) Voyez la Ve pièce justificative.
(300) Voyez-en trois exemples l'un en 1673, les autres en 1686 et en 1700 au profit des maîtres du Hainaut, puis au profit de deux industriels liégeois, dans WOUTERS, op. cit., pp. 97, 273, 346.
(301) Voyez HANSAY, op. cit., p. 338.
(302) Il est intéressant de constater les progrès industriels de la partie du Hainaut qui avait été cédée à la France. Une manufacture de clous fut fondée en 1690 à Maubeuge, une seconde en 1701. En 1715, il y avait 5 manufactures d'étoffes dans cette ville et la première ne remontait qu'en 1688. (A.N., G7 1700a, f° 65-80).
(303) Edit du 2 avril 1701:
Fer en gueuses, boulets: 1 1/2 livre le 1000 p.
Fer en barres, verges, gros clous: 5 livres
Clous moyens, petits; pots, marmites... : 10 livres
Quincaillerie venant de l'étranger: 20 livres
Quincaillerie venant des provinces de Hainaut fr., Flandre fr: 5 livres
(304) Edit du 10 avril 1702:
Fer en minerai, en gueuses: entrée libre
Fer en barres, en verges, non ouvré: 10 livres
Fer ouvré de taillanderie, de quincaillerie, gros clous: 15 livres
Clous petits et moyens, faulx: 30 livres
(305) Règlement antérieur à cette date, mais qui fut confirmé le 19 avril 1608.
(306) A.G.R., Conseil des finances, reg. 606, f° 295. Ordonnance du 24 juillet 1685. Le tarif était le suivant: pour 1 cheval, 2 florins, 8 sous; pour 2 chevaux, 3 fl. 12 s.; pour 3 chevaux, 4 fl. 10 s.; pour 4 chevaux, 6 florins.
(307) Du moins en empruntant la rive droite de la Vesdre; car, par la rive gauche, on rencontrait les terres de l'abbé de Stavelot, mais celles-ci étaient peu favorables au commerce à raison du mauvais état des chemins.
(308) L'édit du 12 mars 1680 et celui du 19 août 1683 réglèrent ainsi le transit de Liège à Verviers:
chaque charrette payera
1 fl. 4 sous pour 1 cheval
1 fl. 10 sous pour 2 chevaux
2 fl. 8 sous pour 3 chevaux
3 fl. pour 4 chevaux
un cheval portant à dos ne payera que 9 sous.
Mais à la condition de prendre le chemin de Rachenaux par Soiron, le Thier et Jusinaux ou par Grand Rechain et Hodimont.
Ces ordonnances réglementèrent aussi le trafic de Liège ou de Verviers vers l'Empire par le Limbourg à condition de prendre le chemin royal de Liège sur Herve, Battice, le ban de Clermont et Henry Chapelle.
En 1080 une charrette payera:
3 fl. pour 1 cheval
4 fl. 10 sous pour 2 chevaux
7 fl. 4 sous pour 3 chevaux
9 fl. 12 sous pour 4 chevaux
un cheval portant à dos: 1 fl. 4 sous.
En 1683:
2 fl. 8 sous pour 1 cheval
3 fl. 12 sous pour 2 chevaux
5 fl. 12 sous pour 3 chevaux
7 fl. 4 sous pour 4 chevaux
un cheval portant à dos: 18 sous.
(309) WOUTERS, op. cit., p. 52. M. BIGWOOD (op. cit.) fait erreur en écrivant que les marchandises liégeoises payeront 1 1/2 % à la sortie du comté de Namur, soit avec les 2% d'entrée, 3 1/2 % de transit. Leur sortie par Givet est fixé à 3%. Il y avait un tarif spécial plus sévère pour certains produits: ainsi les 3.000 livres de houille venant de Liège sont les bienvenues et ne payeront que 12 sous, mais, si elles ne font que traverser le comté, elles en payeront 60 à la sortie; le transit de l'alun est de 30 sous les 100 p.; celui du fer en barres et en verges est de 4 sous, c'est-à-dire moins élevé que le droit ordinaire du tarif de 1670, mais un peu supérieur à celui de 1671.
(310) Voir la Ve pièce justificative.
(311) A.E.L., Liasses du conseil privé; Relat. avec les Pays-Bas; portef. I.
(312) A.E.L., Liasses du conseil privé; Relat. avec les Pays-Bas: portef. II.
(313) A.E.L., Ibidem.
(314) D.G., reg. 908, passim. A.A.A., Corresp. de Liège, XIV, f° 202-212.
(315) Le résident français étendait cette exonération à tous les marchands français mais rien n'indique que son interprétation, contraire à la lettre de l'article, ait été approuvée par son gouvernement.
(316) A.N., K. 1338, n° 22. Ce traité ayant passé inaperçu jusqu'ici de tous nos historiens, je l'ai reproduit à la IIIe pièce justificative.
(317) H.R., ms. 21323-21329, f° 1-21. D.G., reg. 908 passim.
(318) Voir mon travail sur La politique extérieure liégeoise de 1688 à 1718, pp. 64-67.
(319) D.G., reg. 908. Ce volume est tout entier relatif au 60e denier. Traité du 9 janvier 1689.
(320) D. G., reg. 908, septembre 1685. A.A.E., Corresp. de Liège, XIV, f° 185-188.
(321) B.C.L., Coll. Cap., n° 8147.
(322) A.G.R., Jointe des terres contestées, carton 60, f° 49.
(323) A.E.L., Liasses du conseil privé; Relat. avec la Hollande, portef. V.
(324) VAN LOON, Histoire métallique des XVII provinces des Pays-Bas (1732), t. III, p. 334.
(325) A.G.R., Jointe des terres contestées, 60, f° 36-37, 47-49, 102, 195-190.
(326) Voir p. 113.
(327) Voir un exposé de l'affaire, dans le sens limbourgeois, dans le mémoire de l'abbé de Rolduc publié par GOOSSENS, Etude sur les Etats de Limbourg et les pays d’Outre Meuse (1910), pp. 29* à 45* et dans B.C.L., Coll. Cap., n° 2843. Il y a aussi quelques détails dans DECHESNE, (op. cit., pp. 135-137) qui se contente de résumer RAHLENBECK, Les pays d'Outre Meuse, passim.
(328) Ce chemin appartenait en partie à la juridiction liégeoise, en partie à celle de l'abbesse de Thorn. Celle-ci ne réclama jamais rien pendant le procès et les Liégeois le soulignaient ironiquement.
(329) A.G.R., S.E.G., 1466. GOOSSENS, op. cit., p. 31*.
(330) A.E.L., Etat primaire, recès des députés, reg. 35, f° 26-28.
(331) GOOSSENS, op. cit., p. 32*. A.E.L., Etat primaire; Journées d'Etats, reg. 77, 22 mai 1710.
(332) Les sources abondantes pour ces épisodes sont principalement: A.E.L., Conférences secrètes, t. I, II, III; Ambassade à Vienne: 2 vol., A.G.R., Chanc. P.B., 681. J'aurai l'occasion de revenir sur ce conflit dans un prochain ouvrage.
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