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INTRODUCTION

I. Définition du sujet

L'ensemble des biens fonciers d'un établissement religieux constitue son domaine. Le domaine représente à lui seul une partie éminente du temporel, c'est-à-dire de la fortune, d'une abbaye. Par conséquent, tout ce qui, en dehors des biens fonciers, constitue cette fortune: numéraire, biens meubles (vases, vêtements sacrés, bibliothèque), bref ce que l'on couvre du terme générique de « trésor », échappe à notre examen.

Cependant, il est possible que, lorsque nous aborderons l'étude du déclin des biens de Saint-Jacques à la fin du XIIe siècle, nous soyons amené à mettre en rapport ce déclin avec les disponibilités pécuniaires de l'abbaye. A cette époque où la renaissance du commerce commence à briser les cadres de l'économie agricole fermée et provoque, en même temps qu'un accroissement de la circulation de la monnaie une baisse toujours plus accélérée de sa valeur, il est difficile, en effet, d'étudier le domaine en négligeant le trésor.

Il est certain, par exemple, que la diminution de la valeur de la monnaie raréfie les achats de biens fonciers par les chefs des monastères. D'autre part, comme les revenus en espèces que toute abbaye retire de ses biens fonciers sont fixés d'après un tarif immuable, à mesure que la baisse de la valeur du numéraire s'accentue, elle bouleverse à la fois l'organisation du temporel et la structure du domaine. Enfin, l'utilisation et l'emploi sans cesse accrus de la monnaie forceront bien des fois les chefs des abbayes à monnayer une partie du trésor pour acheter des biens fonciers.

En résumé, si la séparation réelle qui existe entre le domaine et le trésor nous interdit de développer l'examen, d'ailleurs souvent difficile, de ce dernier, le fait que leur réunion matérielle constitue l'ensemble de la richesse temporelle d'un établissement religieux nous permettra d'en dire éventuellement quelques mots.

C'est non seulement par désir fort compréhensible de simplification, mais surtout pour éviter toute confusion que nous avons employé le terme français << domaine » de préférence au latin dominium.

Dominium est en effet susceptible de revêtir quatre sens différents. Il peut désigner:

1° Le pouvoir du seigneur sur un territoire déterminé;
2° L'exercice de ce pouvoir;
3° La réserve seigneuriale, partie éminente de toute propriété foncière, dont le seigneur se réserve directement les fruits, par opposition à l'autre partie qui est soumise à la première et qui est constituée par des tenures;
4° L'ensemble des territoires qui appartiennent au seigneur.

Il est évident que c'est sous ce dernier sens que nous étudions le domimium de Saint-Jacques. Mais comme les autres acceptions du terme en sont les dérivés et en représentent chacune un aspect particulier, il est naturel qu'en étudiant les biens fonciers de Saint-Jacques, nous soyons amené à envisager la nature, l'étendue, l'importance des droits et du pouvoir que l'abbaye détient sur certains d'entre eux.

Comme on n'a jamais jusqu'ici consacré d'étude approfondie à l'ensemble des biens fonciers de Saint-Jacques, le présent essai ne doit être que le premier stade d'un travail d'approche. Par conséquent, il est nécessaire de se livrer d'abord à l'examen de l'accroissement des biens de Saint-Jacques avant de songer à étudier leur organisation interne.

Notre travail consiste donc surtout dans une étude externe du domaine. En dernière analyse, c'est la détermination du nombre, la localisation, et les variations dans le nombre des biens fonciers de l'abbaye de Saint-Jacques qui en constituent l'objet principal. Ces points formeront l'essentiel de nos conclusions.

Quand nous constaterons l'existence d'un certain mode de localisation — le groupement — signaler ce détail d'organisation externe ressortit évidemment à notre sujet. Entre l'étude externe du domaine et l'examen de la structure intime de son organisation, il existe d'ailleurs la même dépendance qu'entre le domaine et le trésor: c'est également dans la période de déclin du domaine qu'elle apparaît avec le plus de clarté, car les conjonctures économiques de la fin du XIIe siècle désagrégeront si profondément l'organisation du domaine qu'elles provoqueront la disparition des biens les plus durement atteints.

Les possibilités d'une enquête approfondie sur la structure interne du domaine de Saint-Jacques sont cependant fortement compromises par le laconisme des sources. Il est trop tôt pour que « des actes en langue vulgaire nous mettent en contact, beaucoup mieux que le langage stéréotypé des chartes, avec les réalités humaines ».

Il importe, malgré tout, de situer l'activité économique de l'abbaye de Saint-Jacques dans le cadre général de l'évolution domaniale.

Pour reconstituer ce décor, l'érudition contemporaine a fourni, grâce aux récents travaux de MM. Boutruche, Ganshof et Dollinger, des matériaux plus solides que les théories, brillantes et révolutionnaires, du grand historien A. Dopsch.

Malgré les nuances utiles que cet éminent spécialiste a introduites dans le tableau traditionnel de Lamprecht et d'Inama Sternegg, l'existence d'une révolution dans le système de la villication au XIIe siècle ne peut plus être sérieusement contestée. Nettement amorcée en France dès le XIe siècle, cette évolution se marque plus tardivement en Basse-Lotharingie et en Allemagne. Jusqu'à quel point l'abbaye de Saint-Jacques reste-t-elle fidèle à l'ancienne organisation (la villa) ou adopte-t-elle les nouveaux principes d'exploitation domaniale qui s'imposent partout, au cours du XIIe siècle ?

Il serait vain, en raison des obstacles que nous venons d'évoquer, de prétendre apporter à cette question une réponse absolument nette, mais nous n'avons pas cru devoir renoncer à un essai d'interprétation qui trouvera sa place naturelle dans nos conclusions.

En résumé, nous pensons n'avoir rien négligé pour que le contenu de cette étude corresponde exactement à la matière imposée par le choix du titre.


II. Justification des limites chronologiques du sujet

La nature du sujet donnait au choix du terme chronologique extrême une particulière importance. Sa détermination arbitraire risquait de faire de notre exposé une énumération fastidieuse du contenu des actes de donations sous chacun des abbés. Pour construire un travail de synthèse, la limite extrême devait nécessairement coïncider avec le déclin du domaine.

Comment, a priori, déceler approximativement l'époque de ce déclin? La tâche nous était facilitée par les travaux d'historiens autorisés de l'Ordre bénédictin, et par l'introduction que Henri Pirenne avait jointe à son édition du polyptyque de l'abbaye de Saint-Trond rédigé par l'abbé Guillaume de Ryckel. Les conclusions de ces érudits concordaient pour placer dans le courant du XIIIe siècle le déclin spirituel et temporel de l'Ordre bénédictin dont les manifestations s'étendaient à tant d'abbayes que l'on pouvait affirmer qu'il constituait un phénomène général.

Encore fallait-il vérifier son application à l'abbaye de Saint-Jacques. Les précieuses données du chroniqueur de l'abbaye, le prieur Renier, nous ont permis non seulement de constater la réalité d'un déclin du domaine de l'abbaye de Saint-Jacques, mais d'obtenir le maximum de précision dans le choix du terminus ad quem de notre sujet: le 16 mai 1209, la situation lamentable du monastère et les abus de son chef décidèrent les enquêteurs délégués du pape à disperser temporairement la communauté et à liquider une partie des biens pour éteindre les dettes. C'est donc entre l'année 1015, date de fondation de l'abbaye et de la première dotation, et l'année 1209, date de la liquidation partielle du domaine, que se situent la formation et l'évolution du domaine primitif de l'abbaye de Saint-Jacques.

Entre ces deux termes extrêmes, il nous a de plus été possible d'établir l'existence, après la période de formation, d'une période d'expansion et, directement avant la période de déclin, l'existence d'un temps d'arrêt dans l'expansion du domaine. Nous avons donc divisé le travail en trois grandes parties qui correspondent à ces différentes périodes. La teneur des titres que nous avons choisis pour ces divisions et les conclusions qui terminent la narration des événements de chacune des périodes nous ont dispensé d'en reparler dans nos conclusions finales, puisqu'elles se dégagent au fur et à mesure de l'exposé. Nous avons dès lors consacré nos conclusions finales à des considérations générales sur l'importance, la quantité et la localisation des biens de Saint-Jacques, points qui, en dernière analyse, sont susceptibles de constituer l'intérêt immédiat de ce travail.


III. Aperçu de la littérature du sujet dans le cadre liégeois

Si l'on possède à l'heure actuelle d'excellentes éditions des cartulaires de toutes les collégiales liégeoises, on ne s'est pas encore soucié d'utiliser ces travaux d'approche pour retracer l'évolution du domaine de ces églises. Le rapide coup d'oeil que quelques-uns d'entre eux consacrent à celui-ci dans leur introduction est trop sommaire pour prétendre épuiser le sujet.

L'inventaire analytique des chartes contenues dans la série des cartulaires de l'abbaye bénédictine de Saint-Laurent de Liège n'a pas encore fait l'objet d'une édition méthodique, et ce n'est que tout récemment que l'on a mis à profit les sources de l'abbaye cistercienne du Val-Saint-Lambert pour retracer l'organisation du domaine de cette communauté.

C'est en dehors de Liège, dans les limites de l'ancienne principauté, qu'il faut chercher l'abbaye dont le domaine a été le plus souvent étudié.

Grâce à l'édition du cartulaire par Charles Piot et à l'édition, par Henri Pirenne, du livre de comptes de l'abbé Guillaume de Ryckel, il fut possible à Alfred Hansay de consacrer cent quarante pages à l'étude de la formation et de l'organisation économique du domaine de l'abbaye de Saint-Trond depuis ses origines jusqu'à la fin du XIIIe siècle. De ces cent quarante pages, la majeure partie concernait l'organisation du domaine; la formation était réduite à la portion congrue de dix-sept pages. L'étude d'Alfred Hansay fut continuée par le chanoine G. Simenon qui, en 1913, publia un mémoire sur L'organisation économique de l'abbaye de Saint-Trond depuis la fin du XIIIe siècle jusqu'au commencement du XVIIe siècle. Enfin, le domaine de Saint-Trond fut encore étudié, pour le XIIe siècle, par M. F.-L. Ganshof, dans une communication présentée au Congrès de la Fédération archéologique et historique de Belgique, tenu à Liège en 1932, sous le titre: Une étape de la décomposition domaniale classique a l'abbaye de Saint-Trond.

Avec ce travail, nous avons épuisé la littérature du sujet du point de vue liégeois. Comme on le voit, elle est encore bien mince; mais l'on peut également tirer quelques points de comparaison en se servant d'ouvrages consacrés à des abbayes de régions limitrophes, ceux, par exemple, de feu le chanoine J. Warichez, du R. P. E. de Moreau, de Lamy, Baix et Yernaux.

Le domaine de l'abbaye de Saint-Jacques n'a jamais fait l'objet d'une étude d'ensemble. Melle J. Scaeff a consacré un mémoire inédit à une étude générale sur l'abbaye aux XIe et XIIe siècles (Bibliothèque de l'Université de Liège, thèse de la Faculté de Philosophie et Lettres, n° 280). Seul, un amateur, Joseph Thisquen, avocat à la Cour d'Appel de Liège, a consacré une étude très documentée à La Seigneurie et le Bois de Saint-Jacques à Bilstain.

Il n'est pas non plus impossible que feu le chanoine Daris ait dédié au domaine un chapitre de son travail sur l'abbaye de Saint-Jacques. Ce travail, resté inédit, est cité dans la liste des travaux manuscrits trouvés à son domicile. Nos recherches, pour en prendre connaissance, sont jusqu'ici restées sans résultats.

 

PREMIERE PARTIE

LA PERIODE DE FORMATION
DU DOMAINE
(1015_1095)


Ils administrent sagement les biens de la communauté et pourvoient du nécessaire les fils de la maison.

(Saint Anselme.)



CHAPITRE PREMIER

LA FONDATION DE L'ABBAYE ET SES PREMIERES DOTATIONS
( 1015 - 6 septembre 1016)

Notre évêque Baldéric a pratiqué la piété, fortifié la justice. Par ses oeuvres, il a augmenté la gloire de l'Eglise...

(Vita Baldrici.)



A. LA FONDATION

1. Motifs

Pour l'auteur de la Vita Baldrici, la fondation de l'abbaye de Saint Jacques est l'oeuvre du sang, de la prière et de l'expiation.

Au début de son épiscopat, Baldéric trouva un ennemi déclaré en son puissant voisin, le comte de Louvain Lambert le Barbu.

Irrité par la nomination, au gouvernement de la Basse-Lotharingie, de son rival Godefroid, chef de la maison d'Ardenne avec laquelle l'évêque entretenait des relations amicales, Lambert afficha une attitude si menaçante que Baldéric entreprit, dans le comté de Brunengeruz qui s'étendait jusqu'aux abords de Louvain, la construction du château de Hoegaarden.

La riposte ne tarda pas: le comte fit irruption dans le Brunengeruz et détruisit la forteresse. L'évêque voulant répondre par les armes, subit une défaite complète sur le champ de bataille de Hoegaarden, en 1013.

C'est à ce moment du récit de la Vita que surgit la mystérieuse figure de l'évêque Jean 3, pour proposer à Baldéric un moyen d'apaiser la colère du ciel et d'expier le sang répandu. David, lui dit-il, construisit un temple, après la défaite des Hébreux, pour attirer la clémence de Dieu et mériter le pardon de son peuple. Baldéric, acceptant ce pieux conseil, aurait alors décidé de construire une abbaye, en expiation de la mort de ses soldats. Tel est, selon l'auteur de la Vita Baldrici, l'exposé très résumé des motifs de la fondation de Saint Jacques.

M. Niermeyer remarque fort justement que la Vita est seule à placer dans un rapport de cause à effet la défaite de Hoegaarden et la fondation de l'abbaye: les oeuvres qui, croit-on, s'inspirent de la Vita, n'en soufflent mot.

Bien plus, l'une d'entre elles attribue à la fondation un motif d'une inspiration bien moins élevée. Comme Baldéric se disposait à continuer l'édification de l'abbaye de Saint-Laurent, l'évêque Jean aurait fait remarquer à son protecteur qu'il allait achever l'oeuvre d'un autre, au lieu d'attacher son nom à la construction d'une abbaye dédiée à saint Jacques.

Quels qu'en soient les motifs immédiats, la fondation de l'abbaye semble plutôt refléter la position de Baldéric dans une controverse ecclésiastique dont nous allons précise l'objet.

Anselme écrit, en effet, que l'évêque, jugeant suffisantes pour l'exiguïté de Liège les huit églises construites par ses prédécesseurs, aurait décidé d'édifier, pour ceux qui voudraient se libérer des soucis du monde, une abbaye de l'Ordre de Saint-Benoît.

Or, à cette époque, on agite dans de nombreux évêchés la question de savoir si le clergé régulier doit l'emporter sur le clergé séculier.

Les évêques de la région lotharingienne, comme Thierri et Adalbéron de Metz, sont favorables aux moines. Mais il est des diocèses où les chanoines délaissent en masse leurs collégiales pour embrasser l'état monastique. Un ami de Baldéric, l'évêque de Worms Burchard, qui, avec la collaboration d'Olbert de Saint Jacques, rédigea les célèbres décrets qui portent son nom, avait pu constater dans son diocèse les inconvénients de cet enthousiasme. Il réclamait une répartition équilibrée des deux modes de vie religieuse et assignait, à l'évêque, le devoir de tenir les abbayes de son diocèse sous son étroite dépendance, aux abbés, de se soumettre au pouvoir épiscopal.

Baldéric applique avec intelligence et sens pratique les principes de Burchard. A Liège, la situation est à l'opposé de celle de Worms. Il importe de remédier à un déséquilibre qui peut devenir préjudiciable à l'épanouissement de la vie spirituelle de la Cité. C'est donc pour établir une équitable proportion que l'évêque entreprend l'érection d'un monastère soumis à sa juridiction:

voilà, croyons-nous, le véritable motif de la fondation de l'abbaye de Saint Jacques.

2. Date

Sur la date exacte de l'événement, les sources sont en désaccord, non seulement pour le jour, mais pour l'année.

Le commencement de la construction de la crypte dédiée à saint André a certainement eu lieu un 25 avril: toutes les sources donnent cette date.

La dédicace de la crypte est fixée par trois d'entre elles au 6 septembre.

Seule, la Vita Baldrici la reporte au 26 août, mais une main postérieure, s'apercevant de la divergence, l'a replacée erronément au 7 septembre. Selon les Annales S. Jacobi minores, construction et dédicace de la crypte auraient eu lieu en l'année 1015.

Lambert le Petit recule à 1016 ces événements. Quant à la charte de 1016, elle fait dire à Baldéric: « Etant posées les fondation de l'église, comme j'avais déjà conduit à bonne fin la construction de la crypte, je me suis hâté d'en célébrer la dédicace le 6 septembre. »

Plusieurs auteurs ont essayé d'expliquer ces divergences.

Hirsch s'en tient uniquement à 1016: la construction de l'église aurait eu lieu en avril, la dédicace de la crypte au mois de septembre. Sackur place en 1015 le commencement de la crypte et en 1016 sa consécration.

Volk, traduisant littéralement le mot coenobium, pense que la construction des bâtiments claustraux remonte à l'année 1015, la construction et l'achèvement de la crypte à 1016.

Cette interprétation trouve un argument dans les termes de la charte de 1015 où Baldéric est appelé fundator ecclesie sancti Jacobi. Si en 1015 Baldéric se donne ce titre, c'est que déjà la construction de l'abbaye a commencé.

Même si l'on doit rejeter l'authenticité formelle de la charte pour n'en retenir que la réalité de la donation cette année-là, l'explication de Volk garde sa valeur; car Baldéric n'a pu donner des biens que si déjà au moins quelques bâtiments claustraux étaient construits et pouvaient abriter les moines.

Si la charte est complètement fausse, on peut encore retenir l'interprétation de Volk. Un faussaire, en effet, tient à donner au document qu'il fabrique les apparences de la vérité; s'il y a placé la date de 1015, c'est qu'un document authentique l'y autorisait.

3. Choix de l'endroit

On avait hésité avant de fixer définitivement l'endroit où s'élèverait le monastère.

Dans l'entourage de l'évêque, quelques-uns proposaient le faubourg d'Amercoeur. Désert, éloigné du tumulte de la Cité, c'était là, disaient-ils, que la communauté pourrait trouver le plus de paix et de recueillement.

Ils n'obtinrent cependant pas gain de cause; le choix de l'évêque se porta finalement sur la pointe méridionale de l'Ile.

Depuis Notger, celle-ci était formée par deux bras de la Meuse. Le plus large suivait le tracé des boulevards Piercot et Van Hoegaerden, et rejoignait l'autre près de l'actuelle Grand-Poste. Les boulevards d'Avroy et de la Sauvenière empruntent aujourd'hui le lit du second bras, de moindre largeur. C'est le long de la rive gauche de ce dernier, peu avant l'endroit où il réunit ses eaux au premier bras, que la Cité s'était développée.

Jusqu'à la fin du Xe siècle, l'Ile se prêtait mal à un peuplement, surtout dans sa partie méridionale. Son niveau, fort bas, la mettait à la merci des inondations. En outre, elle était recouverte de taillis et de bois où rôdaient encore des animaux sauvages. S'il fut possible à l'abbaye de Saint Jacques de s'élever à l'endroit le plus déshérité de cette plaine désertique, c'est grâce aux aménagements que Notger y avait pratiqués au début du XIe siècle.

L'auteur de la Vita Baldrici ne cherche pas à expliquer le mobile de la décision de Baldéric; il se borne, dans un style ampoulé, à lui donner une signification mystique.

Le site de l'Ile était évidemment préférable à celui d'Amercoeur, si l'on songe que le sol de ce dernier, d'un niveau fort bas, était fréquemment envahi par les eaux de la Vesdre, tandis que le sol de l'Ile se trouvait à l'abri des crues de la Meuse depuis que Notger en avait régularisé le cours.

Ce n'est là cependant que la raison la moins déterminante: il reste à expliquer pourquoi l'Ile constituait le site par excellence. Ce choix dénote chez Baldéric un sens profond des réalités. Nous voudrions montrer, en effet, que la fondation, dans l'Ile, de l'abbaye de Saint Jacques a été inspirée par une triple préoccupation.

Intérêt politique d'abord: la proximité de l'Ile permettait à l'évêque une surveillance plus facile sur le monastère et, le cas échéant, une prompte intervention, tout en garantissant aux moines la solitude désirable.

Intérêt stratégique aussi. En créant un déversoir à l'endroit où la Meuse se sépare en deux bras et en approfondissant le cours du fleuve, Notger n'avait pas seulement voulu écarter de l'Ile tout danger de submersion. Cette mesure avait également pour but de faire de l'Ile la première ligne de défense de la Cité dont la sécurité était assurée par une enceinte fortifiée. Celle-ci devait surtout sa solidité au fait que les églises s'y trouvaient encastrées et que leurs tours pouvaient servir, soit de postes fortifiés, soit de points d'observation 1. En fondant l'abbaye de Saint Jacques à la pointe méridionale de l'Ile, Baldéric a voulu renforcer le dispositif de la première ligne de défense ébauchée par son prédécesseur: de l'abbaye, l'arrivée d'un ennemi venant du sud par la Meuse pouvait être rapidement décelée et l'on commandait les endroits les plus propices à un débarquement.

Mais l'évêque n'a pas uniquement songé à son intérêt particulier. La position de l'abbaye lui assurait, dès sa fondation, de précieux avantages économiques.

Pour une communauté dont une des bases de nourriture était le poisson, ]e voisinage de la Meuse, parsemée d'excellentes pêcheries, garantissait un ravitaillement régulier. Le courant très rapide permettait la construction d'un coup d'eau, destiné à irriguer les jardins et les vergers qui s'étendent aux abords de tout monastère, et d'un moulin que l'on pourrait éventuellement utiliser pour moudre le grain.

Est-il besoin d'insister aussi sur les avantages que l'abbaye pouvait retirer du trafic commercial mosan, si actif au début du XIe siècle ?

Ce n'était pas seulement la Meuse qui gratifiait l'abbaye des ressources essentielles. La proximité de la ville facilitait les échanges, et l'on peut également considérer comme une heureuse coïncidence qu'à deux cents mètres au nord de Saint Jacques, traversant l'Ile en son milieu, passait la route qui reliait Liège à Dinant, Mézières et Reims.

Tout en jouissant du recueillement de la vie monastique, l'abbaye était donc, en fait, comprise dans la zone d'influence de la Cité.

 

B. LES PREMIERES DOTATIONS

1. Le fundus

Le domaine que Baldéric lui concéda dans l'Ile contribua d'ailleurs à établir réellement ces liens entre l'abbaye et la Cité. La donation remonte vraisemblablement à l'année 1015, au moment où l'on jeta les premiers fondements de l'édifice. Elle comprenait, d'après les sources, plus quam bonuarium terre undique adiacentis ou, plus exactement, terram quoque circa idem monasterium adiacentem, scilicet bonarium et novem pedes.

Malgré leur clarté, ces textes ont été généralement mal interprétés par leurs commentateurs. En 1654, le curé de Saint-Remy écrivait: « Je reconnais avoir compris que le terrain adjacent à l'abbaye est le terrain d'un bonnier et neuf pieds que l'évêque de Liège, Baldéric, a donné au monastère de Saint Jacques... Je pense que ce terrain n'est pas la place ou l'espace qui s'étend devant l'église de Saint-Remy, mais bien les jardins adjacents à Saint Jacques, situés devant l'église de Saint-Remy du côté des murs de la Cité, ainsi que l'espace et les jardins à l'intérieur des murs de l'abbaye ».

L'exiguïté de cette superficie, telle que la conçoit Manigart, se justifierait dans un quartier fortement peuplé, où il ne resterait que quelques parcelles disponibles. Mais, nous venons de le voir, l'extrémité méridionale de l'Ile était alors une vaste lande déserte, dans laquelle l'évêque pouvait tailler sans crainte une vaste portion. Aussi les auteurs qui, après le curé de Saint-Remy ont été amenés à se prononcer sur l'interprétation du passage, en particulier du Vivier de Streel et Gobert, ont-ils été d'accord pour ne pas le prendre à la lettre.

Le premier exagère même dans le sens opposé: le bonnier comprendrait non seulement tout le quartier de l'Ile, mais aussi « le Vieux Marché et l'espace compris entre le pont d'Avroy et le Val-Benoît ». Cette thèse repose évidemment sur une lecture erronée des documents.

Gobert se montre plus modéré en comprenant dans le bonnier le terrain occupé par le monastère et l'étendue que l'on appela plus tard le quartier Saint Jacques.

L'un et l'autre attribuaient une étendue considérable au bonnier donné par l'évêque parce qu'ils avaient constaté que la construction des couvents des Carmes, des Croisiers, des Prémontrés, des Clarisses et des Soeurs grises avait été soumise chaque fois à l'assentiment de l'abbaye et que ces communautés avaient obtenu ]e droit de s'installer moyennant relief.

Nous ignorons quelle était à Liège aux XIe et XIIe siècles la contenance exacte d'un bonnier, et nous ne savons pas non plus s'il faut la calculer d'après les pieds de Saint-Lambert ou de Saint- Hubert; mais, en tout cas, une chose est certaine: jamais un bonnier n'a compris ni la centaine d'hectares du quartier Saint- Jacques ni, a fortiori, la vaste étendue assignée par du Vivier.

Quant à l'argument tiré des autorisations sollicitées par les couvents désireux de s'établir en Ile, il se retourne contre ses auteurs. Les actes d'établissement des Croisiers et des Carmes marquent en toutes lettres que cette obligation ne leur a été imposée que parce qu'ils s'installaient dans le territoire de la paroisse de l'église Sainte Marie-Madeleine qui appartenait, depuis 1151 seulement, à l'abbaye.

En outre, si le bonnier de Baldéric comprenait tout le quartier Saint Jacques et, par-là même, le fonds de l'église Sainte Marie-Madeleine, on devrait admettre que la collégiale de Saint Jean l'Evangéliste aurait pu percevoir, depuis sa fondation jusqu'en 1151, la dîme dans les immunités d'une abbaye: c'est un défi au bon sens.

En réalité, les difficultés d'interprétation proviennent du fait, qu'hypnotisés par la mention du bonnier, les auteurs que nous venons de citer ont négligé l'élément le plus important. Le problème devient clair si, avec E. Poncelet, on met en relief l'expression jusqu'alors négligée: undique adjacentis. Le bonnier doit être, en effet, calculé à partir de chacun des quatre côtés du rectangle formé par l'église. On obtient de la sorte un espace de quatre hectares environ dont E. Poncelet délimite comme suit le contour: « Partant du bout de la rue de l'Evêché, la ligne de démarcation remontait la Meuse, actuellement boulevard Piercot, jusqu'au coin du dit boulevard et du boulevard d'Avroy, puis descendait le bras de Meuse d'Avroy jusqu'à mi-distance entre la rue Bertholet et la rue Hazinelle, divergeait vers l'entrée de la rue Saint-Remy, enjambait cette rue, atteignait la rue des Clarisses à hauteur de l'Imprimerie liégeoise et par un angle presque droit, rejoignait le point de départ, en coupant transversalement la rue du Vertbois, puis en suivant la rue de l'Evêché jusqu'au rivage ». Ainsi, de tous les essais d'interprétation antérieurs, celui de Manigart était au fond le plus proche de la réalité.

De 1015 à 1137, l'étendue du fundus n'a pas connu de changement. C'est entre 1137 et 1248 qu'il s'est développé. Le privilège d'Innocent IV laisse peu de doute à cet égard puisqu'il abandonne la précision du privilège d'Innocent II pour une vague désignation: locum ipsum in quo prefutum monasterium situm est, omnibus pertinentiis suis.

C'est peut-être en partie à l'abbé Dreux (1155-1173) que l'on doit l'agrandissement du fundus vers l'est, puisqu'il construisit un moulin presqu'à hauteur de la future rue du Moulin Saint-Jacques. En tout cas, aucun document ne subsiste concernant ces accroissements et il est possible qu'ils n'aient pas fait l'objet d'actes écrits.

 

2. Les domaines ruraux

En même temps qu'il constituait à l'abbaye un territoire liégeois, Baldéric lui fit don de domaines situés dans le plat- pays.

a) HANRET. — La donation de Silva devrait chronologiquement se placer en tête. La charte de 1015 attribue au défunt comte Arnoul de Valenciennes une active participation à cette donation, que les termes de la charte présentent comme définitivement achevée à cette époque. Mais, on a eu l'occasion, précédemment, de reconnaître l'inauthenticité du document épiscopal. Les motifs de ce faux jettent un doute sérieux sur l'identification du véritable donateur du domaine de Hanret, situé dans la zone d'influence du comte Lambert de Louvain. Si ce dernier est réellement l'auteur de ce geste généreux ou intéressé, la donation a dû vraisemblablement avoir lieu entre le 25 avril, date du commencement de la crypte de Saint-André, et 13 septembre 1015, date de la bataille de Florennes où Lambert de Louvain trouva la mort.

b) CELLES-LEZ-WAREMME. — C'est en tout cas certainement Baldéric qui, en 1016, donne à Saint Jacques l'alleu de Silva qui faisait partie de son patrimoine. Nous ne nous arrêterons pas à discuter les identifications proposées par du Vivier de Streel et Stumpf.

Le premier confond erronément en une seule et même donation le bonnier du fundus liégeois et Silva, qu'il considère comme un nom commun. Pour lui, cette forêt était celle qui couvrait en partie le quartier de l'Ile, et le souvenir s'en serait perpétué dans l'appellation de la rue du Vertbois.

Stumpf avait traduit Silva par Saive. Mais l'abbaye n'a jamais possédé de biens dans cette commune. Par contre, à tous les siècles, il est fait mention, parmi les possessions de Saint Jacques, d'un domaine dont le nom est orthographié tantôt Selva, Selna, Selle, et dont on cite les appartenances: Ferme, Termoin. Il est évident qu'il faut identifier Silva de 1016 avec l'actuelle commune de Celles-lez-Waremme.

c) YERNAWE ET MARNEFFE. — En même temps que Celles-lez-Waremme, Saint Jacques reçut de l'évêque les domaines de Ernau avec ses appartenances et de Matrena.

L'abbaye de Saint-Hubert possédait en 817 un domaine à Ernau, que l'éditeur des chartes de Saint-Hubert identifie avec Yernée. Si cette identification est valable pour le domaine de Saint-Hubert, la villa de Ernau dont Saint Jacques est gratifiée désigne certainement Yernawe, dépendance de la commune de Saint-Georges-sur-Meuse.

Yernawe est situé sur l'Yerne, affluent du Geer, qui est orthographié Erna dans une charte de Saint Jacques de 1084. Le ruisseau a donné son nom au village.

En outre, Baldéric confie à son frère Gislebert de Looz l'avouerie du domaine. Il est impossible que la villa de Saint Jacques soit Yernée qui se trouve sur la rive droite de la Meuse, tout à fait en dehors de la sphère d'influence du comte de Looz, tandis que le droit d'avouerie de celui-ci sur Yernawe s'explique aisément par le voisinage du comté.

D'ailleurs, Yernawe figure comme tel dans les biens de l'abbaye au XVIIIe siècle, et il est facile de constater que c'est le même domaine que le Ernau primitif.

Avant de parvenir à l'abbaye, Yernawe appartenait au chapitre de Saint-Lambert. Pour pouvoir en faire don à Saint-Jacques sans léser les intérêts de la cathédrale, l'évêque, nous dit la charte de 1016, lui céda en compensation le bien de Pasnaldes ou Pannardum, que l'on identifie couramment avec la localité hollandaise de Pannerden.

Cette donation est confirmée par Anselme, qui rapporte que Baldéric avait donné le bien au chapitre et l'église du domaine pour la subsistance de vingt-quatre pauvres, La Vita Baldrici relate également la même donation avec des variantes qui ne contredisent pas le témoignage d'Anselme.

La charte de 1016 et le privilège de 1137 s'accordent à préciser que l'abbaye ne possédait en 1016 ni l'église ni la none de Yernawe. Le privilège ajoute que l'abbaye devait offrir la none actuelle ad elcemosinam beate Marie.

Nous savons qu'en 1016 l'église de Yernawe appartenait à la collégiale de Saint-Paul. Quant à l'aumône ou aumônerie de Sainte Marie, cette expression désigne un des services de église mère de Notre-Dame-aux-Fonts.

C'est la seule fois que nous rencontrons mention du bien de Matrena que l'évêque donne également à Saint Jacques. On l'a généralement identifié avec le hameau de Matignée, dépendance de Saint-Germain, Phonétiquement, Matrena devrait aboutir à Marne. Mais il n'y aurait aucun obstacle à y reconnaître la commune actuelle de Marneffe, située dans le bassin de la Méhaigne.

d) COUP D'OEIL GENERAL SUR LES PREMIERES DOTATIONS. — Jetons maintenant un regard d'ensemble sur les premières dotations de l'abbaye.

On est aussitôt frappé par le fait qu'elles se répartissent deux à deux: Hanret et Marneffe dans le bassin de la Méhaigne, Celles et Yernawe le long de l'Yerne, affluent de droite du Geer. Ce sont là en effet, deux des plus importants centres d'attraction de la Hesbaye pour les établissements religieux liégeois, du moyen âge jusqu'au XIXe siècle. Ils doivent cette préférence à la fertilité de leur sol et au voisinage de l'eau. Le sol de la commune de Hanret contient de nombreux dépôts de marne dont le rôle est remarquable comme engrais et comme amendement, et qui possède ce précieux avantage de permettre une exploitation rapide des richesses du sol.

Le domaine de Saint Jacques à Hanret, dans lequel l'église n'est pas comprise, compte, en 1015, 17 manses, soit une superficie de 200 à 250 hectares qui représente le quart de la superficie de la commune actuelle. A cette époque, la villa de Hanret s'était donc déjà fractionnée. Ce qui le prouve, c'est d'abord l'emploi du mot praedium pour désigner la part de Saint-Jacques, On peut supposer qu'originairement la villa entière appartenait à l'abbaye de Lobbes. Le polyptyque de 868-869 mentionne, en effet, Haurec parmi les biens de Lobbes dans le pagus de Hesbaye. Entre le IXe siècle et 1015, la villa a été partagée et les derniers vestiges de la portion que Lobbes avait conservée furent cédés en 1112 à l'abbaye de Saint Jacques.

De même que le domaine de Hanret, les alleux de Celles et d'Yernawe ne représentaient pas la totalité de ces deux domaines. Chacun était entouré de bois sur lesquels l'abbaye possédait les droits établis par la coutume en vigueur dans ce domaine et dont il est difficile de préciser la nature, du moins pour l'un d'eux. Il semble cependant que les bois d'Yernawe formaient une partie de la réserve seigneuriale, échappant à la jouissance des habitants de Yernawe et au pouvoir de l'avoué. Ainsi, tout en assurant la conservation des bois, ce règlement permettait à l'abbaye de les utiliser pour son chauffage et ses besoins, De cette étendue boisée, il ne subsiste aujourd'hui aucun ou presque aucun vestige dans une région consacrée à l'agriculture.

En résumé, si les premières dotations ne sont ni nombreuses, ni d'étendue considérable, la fertilité et les ressources des régions où elles sont situées garantissaient à l'abbaye un rendement excellent. C'est à bon droit que l'abbé Etienne II pouvait dire à l'empereur Henri IV, en 1101, que Yernawe et Celles fournissaient aux moines le meilleur de leur subsistance.


C. L'AVOUERIE

Pour assurer à l'abbaye la possession tranquille et indiscutée de ces biens et des accroissements futurs, la présence d'un avoué était nécessaire.

L'évêque demanda aux moines sur qui ils porteraient leur choix. Le jour même de la consécration de la crypte et des premières dotations, ils élirent son frère, le comte Gislebert de Looz, et Baldéric ratifia aussitôt la nomination qu'il avait sans doute proposée. Ce mode de nomination ne doit pas nous étonner: les capitulaires de Charlemagne, qui imposaient ce devoir à l'évêque assisté de l'abbé et du peuple, étaient tombés en désuétude dès la seconde moitié du IXe siècle et le droit des moines à l'élection fut même reconnu par des bulles papales et des privilèges royaux.

Bien que la charte ne le dise pas explicitement, dès 1016 la charge de l'avouerie de Saint Jacques est héréditaire dans la famille des comtes de Looz.

S'il en avait été autrement, le rédacteur de la charte aurait employé le terme successor plutôt que l'expression vel heredes eins. De plus, dans chaque charte de Saint Jacques où intervient le comte de Looz, c'est toujours en qualité d'avoué de l'abbaye. Le caractère héréditaire de l'avouerie de Saint Jacques correspond d'ailleurs à la tendance générale qui porte, du Xe au XIIe siècle, à reconnaître le droit héréditaire des fonctions d'avoué.

En intéressant sa famille à son oeuvre, en donnant à son frère la protection d'un domaine qui provenait en partie de biens patrimoniaux, Baldéric offrait à l'abbaye d'incontestables garanties. C'est pourquoi l'exercice du droit d'avouerie resta-t-il sans doute, au début, libre de tout règlement restrictif écrit. Mais les abus auxquels se livrèrent les successeurs de Gislebert à la fin du siècle engagèrent l'abbé à le mettre sur parchemin et à le faire confirmer par l'empereur. L'avoué ne pouvait pénétrer dans le domaine de Celles qu'à l'occasion des trois plaids généraux annuels, accompagné d'une escorte qui ne dépassât pas dix hommes et onze chevaux.

Après avoir reçu de l'intendant et des échevins le tiers des amendes infligées lors de ces trois assemblées, il devait aussitôt quitter le domaine.

Il lui était interdit:

1° De s'occuper des affaires dont l'abbé ou son fondé de pouvoirs pouvait s'acquitter sans son aide;

2° D'exiger des corvées ou des prestations des habitants du domaine;

3° De loger la nuit dans le domaine aux frais de l'abbé;

4° De céder son avouerie en bénéfice ou d'instituer un sous avoué, à moins d'une permission de l'abbé et des moines.

Il est remarquable de constater que ces clauses constituent le règlement type de l'avouerie des biens futurs de l'abbaye de Saint Jacques. Toutes les prescriptions qui auront pour but de limiter le pouvoir de l'avoué de Saint Jacques s'inspireront des modèles de 1016-1101. A fortiori les règlements d'avouerie non authentiques, car les clauses contenues dans les actes de 1016 et 1101 envisagent précisément les circonstances où l'avoué pouvait le plus facilement empiéter sur les droits de l'abbaye. Ces précautions n'ont d'ailleurs rien qui puisse nous étonner puisque l'abbaye de Saint Jacques est fondée justement à l'époque où les prétentions et les exactions des avoués se multiplient et sont sur le point de devenir un phénomène courant et général: en ce sens, le règlement de l'avouerie de Celles est bien le relief des préoccupations qui, dès le XIe siècle, retiennent les abbayes dans leurs rapports avec leurs protecteurs.

Hanret et Marneffe, en raison de leur éloignement, échappaient à la surveillance du comte de Looz. A Hanret, nous l'avons vu, Lambert de Louvain était l'avoué. Les clauses d'avouerie sont, dans l'ensemble, aussi restrictives que le règlement de Celles-lez-Waremme, mais, comme la charte est fausse, elles sont certainement une interpolation rédigée dans le but d'écarter les prétentions ou les exactions du comte de Looz ou du comte de Namur sur l'avouerie de Hanret. Dans le cas où l'abbé de Saint-Jacques n'aurait pu empêcher ceux-ci d'usurper l'avouerie, les conditions très strictes qui leur étaient imposées diminuaient quelque peu le mal.

Au cours des XIe, XIIe et XIIIe siècles, on constate à Hanret la présence d'avoués locaux. Il apparaît donc déjà et le fait recevra confirmation—que les comtes de Looz, tout en étant avoués attitrés et héréditaires de l'abbaye de Saint Jacques, n'exercent un pouvoir effectif que sur les domaines centraux, rapprochés de l'abbaye. L'avouerie des domaines plus éloignés ou excentriques est confiée à des seigneurs de ces régions. Cette répartition n'est pas uniquement due à des raisons d'ordre pratique. Elle trouve son fondement dans un édit de Pépin d'Italie, de 782-786, dont elle est peut-être une survivance, qui prescrivait qu'un établissement religieux doté dans des régions ou comtés différents devrait posséder un avoué pour chacune d'elles


CHAPITRE II

LES DEBUTS PENIBLES DE L'ABBAYE
ET LA REFORME DE WOLBODON

(6 septembre 1016 - 21 septembre 1021)

Cet endroit ne restera pas longtemps privé du secours du Très Haut, et ce n'est pas en vain que votre frère aura prodigué ses efforts...

(Henri II aux frères de Baldéric. Vita Baldrici.)



A. LES DEBUTS PENIBLES DE L'ABBAYE (1016-1020)

Quelques moines logés dans des bâtiments claustraux provisoires, une crypte où la petite communauté remplissait ses devoirs religieux, les fondations à peine visibles de la future église: telle se présentait l'abbaye de Saint Jacques à la fin de l'année 1016.

Il n'y avait pas non plus d'abbé pour diriger l'institution: on ne pouvait songer à son installation avant le complet achèvement des bâtiments et de l'église. Pour assumer cette charge, Baldéric avait pressenti le célèbre Olbert, abbé de Gembloux, et celui-ci avait au moins tacitement marqué son accord en déléguant, pour former le noyau de la communauté naissante, quelques-uns des moines de son abbaye. D'ailleurs, Baldéric n'était-il pas le meilleur guide pour surveiller les débuts de la jeune abbaye ? C'était son oeuvre et son bien: avant de la remettre aux soins d'un autre, il entendait en savourer les heureuses prémices.

La mort soudaine de l'évêque en Hollande, peu avant la bataille de Vlaardingen, arrêta brusquement l'essor de l'abbaye.

Sacrifiés au profit de l'abbaye de Saint-Laurent par le successeur de Baldéric, privés de la sollicitude paternelle de leur fondateur, livrés complètement à eux-mêmes, les moines furent sans doute rappelés par Olbert dans leur abbaye d'origine.

Les broussailles envahirent le sol défriché et les fondations de l'église. Bientôt on oublierait que la main de l'homme avait tenté de transformer cette partie sauvage de l'Ile en lieu de prières.

Cependant, les comtes de Looz ne pouvaient se désintéresser du sort lamentable de l'abbaye. Fallait-il, s'autorisant des liens du sang qui les unissaient à Baldéric, qu'ils reprissent les domaines cédés par l'évêque à Saint Jacques et qu'ils en disposassent pour leur usage personnel? Leur hésitation ne faisait qu'aggraver la ruine du monastère.

Profitant d'un séjour de l'empereur Henri II à Liège, au début ou pendant les fêtes de Pâques de l'année 1020, ils allèrent implorer ses conseils et son assistance. Henri se rendit à la crypte de Saint-André et, là, délégua publiquement à l'évêque Wolbodon le soin de continuer la construction de l'église, d'achever la dotation et de nommer un abbé.


B. LA REFORME DE WOLBODON (1020-1021 )

1. Nomination d'un abbé

Il est naturel que Wolbodon pensât à Olbert. Son prédécesseur l'avait désigné et il était, comme lui, intimement lié aux protagonistes du mouvement de réforme monastique en Lotharingie.

On rapporte que le chef de Gembloux hésita avant d'accepter la dignité que Wolbodon le priait de revêtir. Ce n'est pas là un simple cliché de la littérature hagiographique. Olbert ne pouvait oublier que, dans le huitième livre des Décrets qu'il avait inspirés à Burchard de Worms, une décision conciliaire interdisait à un abbé de diriger en même temps deux monastères. Enfin, à Gembloux même, Olbert était occupé à construire une nouvelle église, à réparer les dépendances du monastère, à développer le domaine que son prédécesseur Erluin avait négligé. Mais si la distance entre les deux abbayes de Saint Jacques et de Gembloux constituait un gros inconvénient, l'analogie de leur situation allait permettre à Olbert de conduire leur réforme dans une parfaite unité de vues.

2. Continuation de la dotation

De la dotation de Saint Jacques par Wolbodon aucun document ne nous est parvenu.

Nous considérons cependant qu'il faut attribuer à l'intervention de cet évêque l'acquisition du domaine de Wamela mentionné dans le privilège de 1137 et situé dans le territoire d'Utrecht. Il s'agit de l'actuelle commune de Wamel-sur-Waal.

Voici les arguments sur lesquels s'appuie notre hypothèse:

Wolbodon était d'origine hollandaise. Il assuma successivement les fonctions d'écolâtre, puis de prévôt de Saint Martin d'Utrecht. Il était donc très bien placé pour acquérir à Saint Jacques, grâce aux charges qu'il avait remplies, grâce aux relations qu'il entretenait encore avec son pays d'origine, un domaine situé dans la juridiction du Sticht d'Utrecht.

Wamel était compris dans les limites du Testrebant. C'est précisément à la fin du Xe siècle et au début du XIe siècle, et dans cette même région, que le Sticht s'était développé et avait atteint son maximum d'expansion. En 996, Frethebold cède à l'église d'Utrecht tous ses biens du Testrebant. En 999, Otton III lui donne les domaines de Bommel et d'Arkel dans la même province. En 1002, Henri II confirme cette donation. sous l'épiscopat d'Adelbold (1010-1027), et certainement avant 1023, le Sticht reçoit du prévôt Odon deux manses à Wamel. Enfin, en 1026, Conrad II gratifie l'église d'Utrecht d'un comitatus dans le Testrebant. Utrecht ne devait pas jouir longtemps de ces domaines qui, par leur proximité, attiraient la convoitise des comtes de Hollande et des ducs de Gueldre. Ce n'est donc qu'au début du XIe siècle que Saint Jacques a pu obtenir des biens à Wamel. Si le privilège de 1137 situe le bien dans le territoire d'Utrecht, cela ne prouve pas nécessairement qu'il en faisait encore partie à cette époque: les services de la chancellerie pontificale se sont certainement bornés à recopier les termes de la notice que leur avaient envoyée les moines de Saint Jacques, sans vérifier si Wamel appartenait encore effectivement à la juridiction utrechtoise.

Les derniers arguments sur lesquels nous nous fondons pour placer entre 1020 et 1021 l'acquisition de Wamel sont d'ordre économique.

Comment Wolbodon devait-il procéder pour achever la dotation de Saint Jacques ? Sans nul doute lui procurer d'abord des domaines qui, non seulement lui assurassent la nourriture, mais dont la situation géographique permît à l'abbaye de bénéficier des avantages de l'activité d'un centre commercial. A cette époque, dans nos régions où l'arrière-pays vit toujours dans le cadre d'une économie agricole, où se manifeste encore une certaine activité commerciale, sinon dans les ports de la mer du Nord? Le hollandais Wolbodon avait eu le loisir d'en apprécier les effets bienfaisants. Or, si l'on jette un coup d'oeil sur la carte, on ne peut manquer d'être frappé par la situation géographique de Wamel: il se trouve sur la rive gauche du Waal, en face du célèbre port de Tiel. Coïncidence plus heureuse encore en faveur de notre hypothèse: c'est précisément dans les premières années du XIe siècle que l'activité de Tiel atteint son apogée.

Le moine Alpert nous a laissé une description pittoresque et vivante de ce centre de ralliement du commerce anglais et continental qui dressait au- dessus de la plaine basse un quartier tout en pierre, une abbaye, un palais impérial, d'où les voiles frisonnes transportaient le vin et le blé français, où toute une population de marchands opulents et brutaux, fiers de leurs droits, vivait une existence violente et passionnée. A cette époque, ce n'est pas seulement le port qu'habitait la population marchande; elle était répandue dans le plat-pays, le long des deux rives du Waal, de sorte qu'un historien hollandais a pu parler avec raison d'un district commercial de Tiel. Wamel en constituait donc certainement une portion, au même titre que Heerwaarden, la localité immédiatement contiguë au grand port frison. Le fait que Heerwaarden, à la fin du Xe siècle et au moins jusqu'en 1024, appartenait à l'Eglise de Liège prouve l'importance que Liège attribuait à la possession de domaines situés dans l'Entre-Meuse et Waal.

Mais si l'on ne peut nier l'effet stimulant que ne pouvait manquer de produire sur un domaine rural le voisinage d'un centre de trafic maritime et commercial, on ne peut croire que c'est pour cette unique raison que l'abbaye de Saint Jacques fut mise en possession d'un bien si éloigné.

L'excentricité du domaine prouve qu'il fournissait des revenus d'une espèce introuvable ou inutilisable dans le pays de Liège.

L'emploi des termes cum redditibus suis dans le privilège d'Innocent II montre d'ailleurs que le rédacteur, lisant la notice de Wamel envoyée par l'abbaye, a été frappé par la nature spéciale des revenus qu'elle énumérait. En effet, le privilège envisage de préférence les domaines sous l'angle descriptif ou juridique: cum appenditiis suis, cum circumadiacentiis suis, cum ecclesia, cum pertinentiis suis, cum conssuetudinibus et institiis suis. A trois reprises seulement, il en précise économiquement la physionomie, et notamment lorsqu'il s'agit des domaines excentriques de la Moselle, parce qu'ils produisent une espèce particulière de revenus: le vin.

Il reste donc à déterminer quelles ressources les moines de Saint Jacques retiraient de leur domaine de Wamel.

Au début du XIIIe siècle, l'abbaye de Saint-Trond possédait des pêcheries dans le Testrebant. Mais pourquoi l'abbaye de Saint Jacques irait-elle chercher à 200 kilomètres un aliment qu'elle peut obtenir aux portes mêmes du monastère?

Nous inclinerions plutôt à croire que les revenus de Wamel étaient destinés principalement à l'habillement des moines.

Dans le cours du XIe siècle, les censitaires de l'abbaye de Corvey devaient fournir à cet établissement, sur les revenus de ses domaines hollandais et notamment du Testrebant, des vêtements de laine, des pièces d'étoffe, et des moutons. Il en était de même pour l'abbaye de Werden.

Le choix des régions frisonnes comme pourvoyeuses du vestiaire des moines s'explique aisément puisque, dès l'époque mérovingienne, on s'y adonnait avec succès à l'élevage du mouton. A partir de l'époque carolingienne, des documents abondants prouvent d'une manière indiscutable l'existence, en Frise, d'une industrie lainière pratiquée sur une large échelle et dont les produits étaient exportés vers l'Angleterre. Si l'on suppose, avec Klumker, que les draps les plus fins et les plus recherchés ne provenaient pas de Frise, mais qu'on n'y tissait que de la toile grossière et rude, on est d'autant plus porté à considérer les régions frisonnes comme les pourvoyeuses du vestiaire des moines puisque leur habillement n'exigeait aucun raffinement. Ajoutons cependant que l'industrie drapière de la Frise commence à décliner au XIe siècle. Cela n'empêcha pas quelques ateliers locaux de subsister, qui pouvaient encore subvenir à des besoins modestes. Tel devait être l'atelier dont nous supposons l'existence à Wamel et dont les produits pouvaient largement suffire à l'habillement des moines de Saint Jacques.

Placer aux débuts de l'histoire d'une abbaye l'acquisition d'un domaine destiné à l'habillement des moines est logique puisque les possibilités d'existence d'un monastère n'étaient assurées que si celui-ci trouvait dans ses domaines tout le nécessaire. Or, si :Baldéric avait pourvu à l'alimentation de la communauté, il n'avait pas eu le temps de s'occuper du vestiaire des moines. En acquérant Wamel, Wolbodon permettait à l'abbaye de mieux se suffire à elle-même. Et ce n'était pas seulement son importance économique qui rendait précieuse aux moines la possession de ce domaine excentrique. Il avait à leurs yeux la valeur d'un symbole puisque c'est près de Wamel, ou à cet endroit même, que le fondateur de leur abbaye s'était endormi dans le Seigneur.


CHAPITRE III

L'ABBATIAT D'OLBERT DE GEMBLOUX
ET LE DEVELOPPEMENT DU DOMAINE
(1021 -1048)

Olbert, miroir des abbés, gloire des moines.

(Epitaphe d'Olbert.)




A. CONSEQUENCES DE L'ABBATIAT SIMULTANE D'OLBERT A GEMBLOUX ET A SAINT-JACQUES SUR LE DOMAINE DE L'ABBAYE LIEGEOISE

La mort prématurée de Wolbodon, le 17 avril 1121, n'entraîna pas pour l'abbaye de Saint Jacques les mêmes répercussions désastreuses que celle de son prédécesseur Baldéric. Dirigé par un des meilleurs abbés de toute la Lotharingie, le monastère pouvait enfin reprendre un essor brusquement interrompu.

Un travail récent a rectifié la biographie traditionnelle d'Olbert. Né à Leernes vers 985, il fait ses études à Lobbes sous l'abbatiat d'Hériger (990-1007). Vers les années 1000-1002, il part en France achever son instruction et séjourne à Saint-Germain-des-Prés, Paris, Troyes, et à Chartres où il suit l'enseignement de Fulbert. C'est entre 1008-1012 qu'il se rend à Worms, appelé par l'évêque Burchard qui l'associe au travail de rédaction des vingt livres des Décrets. En 1012, il rentre à Lobbes et bientôt, la même année, Baldéric le place à la tête de l'abbaye de Gembloux.

Quand Wolbodon, huit ans plus tard, le nomme à Saint-Jacques, il était occupé à d'importants travaux de construction et d'aménagement qui ne l'empêchaient pas cependant de veiller au développement et à l'amélioration du domaine que son prédécesseur Erluin avait trop peu soigné. L'analogie dans la situation des deux abbayes dont il était le chef allait permettre à Olbert de faire profiter Saint Jacques de l'expérience qu'il avait acquise à Gembloux.

Comme le chartrier de Saint Jacques ne contient plus aucune charte d'Olbert, nous devrons, pour essayer de retracer le développement du domaine sous son abbatiat, recourir à la méthode comparative: éclairer l'histoire de Saint Jacques par l'histoire de Gembloux.


B. DETERMINATION DES BIENS ACQUIS PAR OLBERT A SAINT-JACQUES

En parcourant le chartrier de Saint Jacques, on constate que les deuxième et troisième successeurs d'Olbert se débarrassent à deux reprises de domaines situés dans le bassin de la Méhaigne et dont les chartes n'indiquent ni l'origine ni la provenance.

C'est à l'abbé Olbert, croyons-nous, que l'abbaye de Saint Jacques doit leur acquisition.

Olbert ne pouvait, en effet, réussir à gouverner en même temps les deux monastères que par une étroite coordination de leur développement respectif. Dans ce but, il avait organisé l'école abbatiale et la bibliothèque de Saint Jacques sur le plan de celles de Gembloux. Il est naturel qu'il suivît la même ligne de conduite dans la gestion du temporel de l'abbaye liégeoise. En acquérant à Saint Jacques des biens situés dans la zone d'influence du domaine de Gembloux, il simplifiait sa tâche d'organisation et de surveillance.

D'ailleurs, il ne faut pas oublier que la compétence d'Olbert s'étendait avant tout à la région de Gembloux: il en connaissait la valeur, il pouvait apprécier avec exactitude les ressources de son sol. Enfin, pourquoi perdre son temps à rechercher ailleurs des donateurs, alors que le prestige et l'autorité dont il jouissait dans la région assurait à Gembloux une dotation sans cesse croissante ? Sigebert nous montre quelle adresse et quelle activité Olbert déployait pour provoquer ces donations: il se rendait chez les bienfaiteurs éventuels et leur exposait sa demande avec tant d'amabilité et de force convaincante, que bien souvent ses interlocuteurs, non contents de céder une partie de leurs biens, offraient leurs fils ou s'offraient eux-mêmes à l'abbaye, comme moines ou comme sainteurs. On comprend aisément que tous ces arguments nous aient porté à placer sous l'abbatiat d'Olbert l'acquisition des biens de la Hesbaye namuroise. Il s'agit du domaine de Novîlla-supra-Mahannam, des églises de Duis et Maffa. Ils ne représentent certainement qu'une faible partie de l'oeuvre d'Olbert à Saint Jacques.

L'actuelle commune de Noville-sur-Méhaigne compte une superficie de 880 hectares. L'alleu que Saint Jacques y possédait n'en constitue qu'une part infime. C'est une parcelle d'une villa déjà fort morcelée (prediolum) dont l'étendue est inférieure à celle du petit bien de Builles (villula) que Saint-Jacques acquiert en 1067. Mais elle est située dans une vaste plaine limoneuse que fertilisent la Méhaigne et le ruisseau d'Asch-en-Refail. Aujourd'hui encore le sol de la commune est tout entier consacré à l'agriculture.

A Meeffe, où Saint Jacques possède l'église paroissiale, ses appartenances et les biens attachés à la cure, un collège de chanoines occupait un prieuré dédié à Saint-Sévère. Ils succédaient, depuis le VIIe ou le VIIIe siècle, à un établissement monastique que les invasions normandes avaient dévasté.

Comme le remarque J. Coenen, si le collège de chanoines a connu une époque de prospérité, son influence est restée médiocre dans la région: un seul acte en fait mention, et` c'est pour en décider la suppression en 1149. L'établissement était tombé, depuis un certain temps déjà, dans un marasme complet: on ne s'explique d'ailleurs pas autrement la présence à Meeffe, d'une église paroissiale. L'érection de cette église remonte à l'époque où la collégiale, commençant à voir les ressources et le nombre de ses chanoines diminuer, ne pouvait plus assumer avec régularité le ministère paroissial.

Que l'on cite pour la première fois l'église paroissiale de Meeffe dans un acte de 1082 ne prouve pas nécessairement qu'elle a été fondée peu avant cette date, dans le courant du XIe siècle.

Mais si l'on veut reculer son érection au delà d'un ou deux siècles, et par conséquent reculer également la décadence de la collégiale, il serait étrange que les évêques de Liège eussent tardé jusqu'à 1149 pour réformer une des douze abbatialités séculières du diocèse.

Ces considérations nous incitent à attribuer à Olbert la fondation de l'église paroissiale de Meeffe. Cette présomption concorde par ailleurs avec les tendances du mouvement lotharingien de réforme monastique dont Olbert est un des représentants les plus marquants. Eriger une église rurale, c'était, pour une abbaye, non seulement une source de profit, mais aussi le meilleur moyen d'accomplir une double mission sociale et religieuse: Pour les mêmes raisons, mais en nous basant sur des arguments d'ordre différent, nous sommes porté à attribuer à Olbert l'érection de l'église de Dhuy.

Si le nom du village est mentionné pour la première fois dans une charte de 1067 et dans une source littéraire de la même époque 2, de nouveau cela ne prouve pas qu'elle ait été fondée au XIe siècle. Sa dédicace à saint Remy inciterait même à replacer son érection à une haute antiquité. Mais ce n'est pas ici le cas, semble-t-il, car il est frappant de constater que l'église paroissiale située aux portes de l'abbaye de Saint Jacques et dont l'érection par Olbert ne peut faire de doute est dédiée, elle aussi, à saint Remy. La dédicace de l'une semblerait avoir inspiré celle de l'autre.

Le choix par Olbert de saint Remy comme patron de deux églises appartenant à son monastère, s'expliquerait aisément. On se rappelle le long séjour qu'Olbert fit en France. Ce n'est pas seulement parce que saint Remy est un saint français qu'il jouirait de la prédilection de notre abbé; c'est le patron de Reims où Richard de Saint-Vanne avait été chanoine avant de revêtir l'habit monastique. La dédicace à saint Remy de l'église de Dhuy et de la filiale de Saint Jacques serait un hommage d'Olbert au réformateur dont il avait embrassé la cause et les idées en peuplant les abbayes de Saint Jacques et de Gembloux de moines formés à son école.

L'allusion que nous venons de faire à Richard de Saint-Vanne nous amène à considérer, dans les lignes qui suivent, l'influence de sa réforme sur le développement du domaine des abbayes, en particulier à Gembloux et à Saint Jacques.


C. INFLUENCE DE LA REFORME RICHARDIENNE SUR L'ACTIVITE DOMANIALE D'OLBERT

Jusqu'à une date récente, les historiens s'accordaient pour intégrer la réforme richardienne dans le mouvement clunisien. En 1928, M. E. Sabbe attaqua vigoureusement ce point de vue.

Son principal argument résidait dans l'obstination des religieux d'observance richardienne à s'opposer à l'interdiction des coutumes de Cluny dans leurs monastères, à la fin du XIe et au début du XIIe siècle. La centralisation sévère des abbayes clunisiennes sous le contrôle de l'abbé de Cluny, qui dépendait uniquement de la papauté, présentait également un contraste frappant avec la nature des liens, beaucoup plus souples, qui rattachaient dans un esprit d'union fraternelle les abbayes richardiennes, toujours soumises à la juridiction épiscopale.

En conclusion, M. Sabbe rendait la réforme de Richard complètement indépendante de la réforme de Cluny.

Trois ans plus tard, dom Berlière eut ]'occasion de modérer la thèse de M. Sabbe, tout en lui accordant raison dans l'ensemble.

Enfin, M. Boutemy a nié récemment à Richard la place éminente que tous lui avaient accordée dans le mouvement de réforme du XIe siècle. Selon lui, les réformes de Richard, d'Olbert et de Poppon sont parallèles.

Pour Olbert notamment, il insiste sur le loisir dont l'abbé de Gembloux a largement disposé, grâce à ses voyages d'étude, pour acquérir des idées personnelles concernant la discipline monastique. Son action réformatrice, libre de toute influence, ne serait qu'une application stricte de la Règle de saint Benoît.

Il y a beaucoup de vrai dans la réaction de M. Boutemy, et un spécialiste de l'histoire clunisienne a partagé récemment cette opinion. Il n'empêche cependant que la personnalité de Richard domine le mouvement religieux du XIe siècle dans nos pays.

S'il est incontestable Elbert s'était fait une opinion avant de connaître la réforme richardienne, il est d'autre part certain que ses idées personnelles correspondaient étroitement avec celles de l'abbé de Saint-Vanne, puisqu'il peuple Saint Jacques de moines nourris des principes de ce dernier. Si la personnalité d'Olbert nous interdit de le considérer comme un servile imitateur de Richard, il faut cependant admettre que l'abbé de Gembloux a profité de l'expérience richardienne, de toutes les idées de réforme qui étaient dans l'air et que l'on peut rassembler sous la désignation générique de mouvement de réforme monastique au XIe siècle en Lotharingie.

Richard considérait qu'une bonne organisation et une bonne exploitation des biens étaient une des conditions primordiales de l'épanouissement de la vie spirituelle. Pour tout abbé qui veut entreprendre la réforme d'un monastère, la reconstitution du domaine est donc une tâche essentielle.

Les domaines de la plupart des abbayes ne présentent plus, dans le courant du XIe siècle, la même physionomie que deux siècles auparavant. Dans l'intervalle, et pour des motifs divers, les villae se sont fractionnées, d'autres établissements religieux en ont racheté des parts, de telle sorte que les biens d'une abbaye ne sont plus souvent d'un seul tenant et que ses possessions se trouvent enchevêtrées dans les domaines d'autres propriétaires 3. Pour regrouper, pour ressouder les différentes parties d'un domaine primitif, il importe donc surtout d'acquérir, en grand nombre, de petits biens.

Sigebert nous montre qu'Olbert et ses successeurs immédiats, tout imprégnés de son exemple, n'ont pas agi autrement pour reconstituer le domaine de Gembloux. Tout autour et à peu de distance de Gembloux, dont le fundus procure à l'abbaye le meilleur de ses ressources, sont répartis des biens qui sont accompagnés eux-mêmes de biens satellites. Ces derniers servent à former autour de leur cellule-mère une couronne de protection ou le point d'appui de son développement. Souvent Olbert n'a pu achever d'arrondir un domaine, mais les biens qu'il a commencé à grouper autour de celui-ci ne laissent aucun doute sur ses intentions. Ses successeurs auront d'autant plus de facilité pour achever la tâche.

Cette méthode, qui est la conséquence logique des principes de la réforme richardienne et dont les effets se font sentir jusqu'à la fin du XIIe siècle, pouvons-nous conclure qu'Olbert l'ait appliquée dans le développement du domaine de Saint Jacques?

Un coup d'oeil sur la carte nous permettra de répondre affirmativement. Dans le bassin de la Méhaigne, Olbert disposait d'une base: Hanret. Il la flanque de deux satellites: au nord-ouest, Noville-sur-Méhaigne, au nord-est, Meeffe. Les communes actuelles de Noville et de Hanret se touchent. Les deux villages sont distants de moins de 5 kilomètres. Quant à la commune de Meeffe, elle est contiguë à celle de Hanret: 4 kilomètres séparent les deux villages.

La preuve irréfutable que ces domaines sont compris dans l'aire d'extension du domaine de Hanret, c'est la vente en 1112 par l'abbaye de Lobbes à Saint Jacques, des biens de Harlue et Jennevaux qui se trouvaient, dit la charte, in Hanretio, sub iure sancti Jacobi. Or, Harlue est situé à 4 kilomètres au nord-ouest de Hanret et à un kilomètre à l'est de Noville-sur-Méhaigne.

En conclusion, on ne peut conserver aucun doute sur la signification de l'oeuvre que nous attribuons à Olbert. Elle s'inspire des principes de la réforme monastique lotharingienne et s'adapte en même temps aux nécessités imposées par l'organisation simultanée de deux abbayes.


D. OEUVRE DOMANIALE D'OLBERT A LIEGE


L'oeuvre d'Olbert à Liège même va maintenant nous révéler surtout le bâtisseur et appuyer les présomptions qui nous portaient tantôt à considérer le premier abbé de Saint Jacques comme un fondateur d'églises.

A Gembloux, la construction de la nouvelle église, commencée au début de 1019, fut achevée trois ans plus tard. L'évêque de Liège Durand célébra la dédicace de l'édifice le 25 juillet 1022.

A Saint Jacques, les travaux ne pouvaient être menés à la même cadence: Olbert avait à faire face ici à des problèmes plus complexes. Il acheva d'abord le' cloître' et les bâtiments qui abritaient les services de l'abbaye. C'est seulement le 24 juillet 1030 que l'église fut consacrée par l'évêque Réginard. Bâtie dans le style de la collégiale de Saint-Barthélemy, elle avait 60 mètres de long sur 20 mètres de large.

Entre-temps Olbert, dont l'activité ne connaît pas de répit, apportait son concours à l'édification de l'église de l'abbaye de Saint-Laurent. C'est là un trait caractéristique de la mentalité des grands abbés réformateurs du XIe siècle. Richard de Saint-Vanne à Lobbes, Poppon à Stavelot, Thierry Ier à Saint-Hubert rivalisent d'émulation pour reconstruire de nouveaux sanctuaires abbatiaux, les décorer de peintures et d'ornements précieux.

Tout le XIe siècle est l'époque des grandes constructions, particulièrement pour le pays de Liège.

Les travaux de l'abbaye de Saint Jacques avaient naturellement attiré aux abords du monastère une foule de gens appartenant aux métiers les plus divers; et comme la construction était une oeuvre de longue haleine, les ouvriers se bâtirent sans doute des logements près du sanctuaire et s'y installèrent avec femmes et enfants. Parmi la population qui s'agglomère autour de l'église, il faut également compter le personnel nombreux attaché aux différents services de l'abbaye et dont le travail nécessite une présence continuelle. L'homme attirant l'homme, la plaine hier encore déserte se peupla rapidement. Devait-on ouvrir à cette population l'église abbatiale, afin qu'elle pût s'acquitter de ses devoirs religieux ? Il ne fallait pas y songer: la vie monastique réclame avant tout le recueillement. C'est pourquoi l'on bâtit à l'usage de la population une église paroissiale: telle est l'origine de l'église de Saint-Remy qui s'élevait aux portes mêmes de l'abbaye de Saint Jacques.

Sur l'évolution dont nous venons de retracer sommairement les phases, les documents de l'époque sont muets. Mais elle peut logiquement se déduire du phénomène général qui a provoqué, à Liège, la création des paroisses et que L. Lahaye a mis définitivement en lumière. Voulant être déchargées du ministère paroissial pour chacun de leurs quartiers, les sept collégiales et les deux abbayes de Liège ont construit, dans leur voisinage, des chapelles desservies par des prêtres de leur corps.

Cette délégation de pouvoirs s'est accomplie très tôt. Par exemple, l'abbaye de Saint-Laurent, achevée en 1034, possédait non loin d'elle l'église paroissiale de Sainte-Gertrude, citée dès 1056.

Nous sommes donc pleinement autorisé à placer à la fin de l'abbatiat d'Olbert l'érection de l'église paroissiale de Saint-Remy. Cela correspond aux données de la tradition qui assigne à cet événement la date de 1048, que rapporte d'une manière erronée Jean d'Outremeuse.

Entourée d'un cimetière, la chapelle de Saint-Remy s'élevait dans les immunités de l'abbaye, à l'angle actuel de la rue du Vertbois et de la place Saint Jacques, empiétant largement sur celle-ci. Elle occupait, avec ses dépendances, une superficie d'environ 17 ares.

Une charte de 1187, mais qui codifie vraisemblablement le règlement primitif, détaille les droits et les obligations de son curé. Sa nomination appartient à l'abbé de Saint Jacques. Il doit verser à l'abbaye 40 sous par an, en quatre termes: à Noël, à Pâques, à la Pentecôte et à la Toussaint. Quatorze fois au moins par an: Noël, Circoncision, Epiphanie, Purification, Carême, Rameaux, Pâques, Ascension, Pentecôte, Assomption, Toussaint, Saint Jacques, dédicaces de l'église, anniversaire de Baldéric, il peut prendre part au repas conventuel. Au décès d'un abbé, il bénéficie chaque jour, pendant un an, de la pitance des moines; au décès d'un moine, il jouit pendant un mois de la même faveur. Les liens qui l'unissaient à l'abbaye l'assimilaient donc à peu près complètement à la communauté.

Au moment où s'achève la construction de la chapelle, Olbert, dont la mort est prochaine, peut contempler avec fierté l'oeuvre qu'il vient d'accomplir à Saint Jacques.

Edification d'un des plus beaux sanctuaires liégeois, essai de formation d'un domaine groupé, construction d'églises: tous les principes-chefs de la réforme monastique lotharingienne, il a réussi à les mettre en pratique avec succès.

Paradoxe, mais apparent seulement: il appartiendra à ses successeurs de détruire en partie son oeuvre domaniale, en vertu même de ses principes, en s'inspirant de la même souplesse d'adaptation qui font d'Olbert une des personnalités monastiques les plus fortes du XIe siècle lotharingien.


CHAPITRE IV

LA NAISSANCE ET LE DEVELOPPEMENT
D'UN NOUVEAU GROUPE DE DOMAINES
(1048-1095)

Que ce soit par achat légitime, échange équitable ou don des fidèles, aidé du secours divin j'ai essayé d'acquérir à l'église confiée à mes soins tous les biens qu'il était en mon pouvoir de lui procurer.

(Arenga de la charte de 1067.)



A. ABBATIAT D'ALBERT (1048- 1066)

Le domaine de Chokier

Sous l'abbatiat d'Albert, successeur immédiat d'Olbert, l'Ile, qui jusqu'alors n'était reliée au voisinage que par un service de bacs, fut mise définitivement en communication avec le plat pays par la construction du pont d'Avroy.

En 1056, l'année même où l'on cite pour la première fois cet ouvrage d'art, l'existence d'un nouveau domaine de Saint-Jacques nous est révélée par le récit de la translation des reliques de l'apôtre que le moine Robert, désigné par le doyen de la cathédrale Anselme, était allé chercher en Espagne. Le 12 mai, Robert, accompagné de pèlerins, s'arrêta à Huy où, par une heureuse coïncidence, l'évêque Théoduin était en train de séjourner. Après avoir reçu sa bénédiction, les pèlerins, continuant leur route vers Liège, s'arrêtèrent pour passer la nuit dans la maison du maire de Calcaniensi qui était un domaine de Saint Jacques.

L'identification de Calcaniensi avec le village actuel de Chokier ne souffre aucune difficulté. Pour se rendre de Huy à Liège, on devait, au XIe siècle, nécessairement passer par cet endroit situé sur la rive gauche de la Meuse, à mi-chemin entre les deux agglomérations. Trente ans plus tard, Chokier figure sous la graphie Calcharie, fort proche dé la graphie adjective précédente a.

Il nous est même possible de préciser la physionomie et la situation exacte de ce bien de Saint Jacques.

La commune actuelle de Chokier est limitée, à l'est par la commune de Flémalle-Haute, au nord-ouest par la commune de Horion-Hozémont, au sud-ouest par la commune des Awirs. Une charte de 1086 permet de déterminer quelle position les domaines voisins de l'abbaye de Saint Jacques et de la collégiale de Saint-Pierre occupaient, au XIe siècle, sur le territoire de ces quatre communes 4. A Flémalle-Haute, Saint-Pierre possédait un domaine auquel était annexé un bois, contigu à un autre bois appartenant à Saint Jacques. Ce bois de Saint Jacques était lui-même une dépendance du domaine de l'abbaye à Chokier. Enfin, ce domaine touchait à un vaste terrain rempli de broussailles, appartenant à Saint-Pierre, et qui était situé aux confins de la paroisse des Awirs.

On obtient donc le schéma suivant

Est - Ouest

Awirs
Saint Pierre
Chokier
Saint Jacques
Saint Jacques
Saint Pierre
Flemalle
Saint Pierre

Les cartes cadastrales nous fournissent tous les éléments pour transporter ce schéma dans la réalité.

Au nord de la commune de Chokier et coupant la pointe sud de la commune de Horion-Hozémont, s'étend un espace dont l'établissement des charbonnages a dénaturé la physionomie primitive mais où l'on reconnaît aisément les vestiges d'un vaste bois. Il porte l'appellation caractéristique de « Bois des Moines ».

Cette appellation doit, selon nous, son origine à la possession du bois par l'abbaye de Saint Jacques. L'abbaye de Stavelot possédait bien le bois dénommé de « Saint-Remacle » au nord du « Bois des Moines », mais cela prouve que l'on faisait la distinction entre les deux et que Stavelot ne possédait pas le second. L'établissement religieux qui, après Stavelot, serait le plus susceptible d'y avoir laissé des traces d'une possession éventuelle, c'est-à-dire l'abbaye cistercienne du Val-Saint- Lambert, n'a jamais eu de biens dans ce territoire.

La charte de 1086 apporte un argument décisif. Le terrain embroussaillé que la collégiale de Saint-Pierre possède à Chokier dans les limites de la paroisse des Awirs est apte, nous dit-elle, à la culture de la vigne.

Or, au sud de la commune des Awirs, s'allongeant jusqu'à la ligne de démarcation entre cette commune et celle de Chokier, sur le coteau qui surplombe le village et l'église de Basse-Awir, s'étend le lieu dit «les Vignes». Ainsi les données topographiques concordent parfaitement avec l'énoncé de la charte. La carte en rendra, nous l'espérons, la preuve convaincante.

B. ABBATIAT D'ETIENNE Ier (1066-1076)

Le domaine de Builles

Il faut attendre dix ans avant de retrouver trace de l'activité domaniale des abbés de Saint Jacques.

En 1067, la seconde année de son abbatiat, Etienne Ier, accédant à la proposition d'Albert III comte de Namur, se débarrassa en faveur de la collégiale de Saint-Aubain à Namur des domaines de Dhuy et de Noville-sur-Méhaigne. Albert II, le père du comte, avait, en 1047, réformé la collégiale en renouvelant la composition du chapitre et en la dotant de domaines. Parmi ceux-ci, plusieurs étaient situés dans la région du Geer, écartés du pagus Lomacensis sur lequel l'autorité du comte de Namur s'exerçait principalement. A la mort de sa mère Ermengarde, il avait notamment cédé à la collégiale un alleu à Glons.

C'est ce bien que, d'après l'auteur de la Fundatio S. Albani, Albert III engage le chapitre à donner en échange à l'abbaye de Saint Jacques. La charte de 1067, relatant la même transaction, présente une légère variante: ce ne serait pas Glons, mais Builles avec ses dépendances, que l'abbaye aurait reçu de Saint Aubain.

Grandgagnage avouait son hésitation à identifier cette localité avec le village de Boirs-sur-Geer. On ne peut que lui donner raison, puisque la charte de 1126, qui reproduit un arrangement conclu sous l'abbé Robert (1076-1095), donne pour Boirs une graphie tout à fait différente (Bores). Mais comme, d'autre part, dans la charte de 1176 où reparaît le même Builles, les témoins sont originaires de Boirs, Roclenge et Glons-sur-Geer, il est certain que Builles doit être cherché dans cette région. L'indication dorsale de la charte de 1067 la localise d'ailleurs in Rochelenges, et la mention de Glons par l'auteur de la Fundatio nous encourage à circonscrire de ce côté le champ de nos recherches, plutôt que de recourir à une éventuelle identification avec Boëlhe qui, comme le remarque Grandgagnage, est situé trop loin de Roclenge-Looz pour avoir pu en faire partie.

Or, il existe à Boirs un lieu dit « elle Vignette », au point de jonction des trois communes de Glons, Boirs et Slins, qui, jadis, est signalé sous les toponymes suivants: « vigne Builhet en 1299, vigne Bouilhet en 1303, vigne Bulhet en 1360, vigne Bulhet en 1345, Boulhet, Bouillet en 1554, Boulhet en 1555 ».

Les exemples cités nous paraissent rendre possible l'identification de ce lieu dit avec le domaine de Saint Jacques. Elle préciserait en partie l'hypothèse de Grandgagnage, puisque la villula de Builles serait un des lieux-dits de Boirs, et réhabilite la version fournie par la source narrative namuroise. Comme Boirs a fait partie, jusqu'en 1866, de la paroisse de Glons, il est possible que le domaine de Glons, au XIe siècle, ait englobé Boirs, au même titre que les seigneuries de Brus et d'Oborne.

L'acquisition de Builles-Boirs est le seul acte que nous ayons conservé de l'abbatiat d'Etienne Ier. Sous le gouvernement de son successeur Robert, celui-là même qui revint de Compostelle en 1056, chargé des reliques de saint Jacques, les documents se multiplient et l'on peut avoir une vue d'ensemble sur l'activité qu'il a déployée pour développer le domaine de l'abbaye.

C. ABBATIAT DE ROBERT (1076-1095)

1. Aabroek

L'acte de donation que Saint Jacques reçoit en 1078 sous son abbatiat ne figure pas dans le chartrier de l'abbaye. Il est mentionné dans une donation collective dont le texte a été recopié, vers 1460, dans le cartulaire de la collégiale de Saint-Barthélemy.

La charte de 1078 a souvent retenu l'attention des historiens parce qu'elle émane d'une personnalité dont il est malaisé de déterminer l'ascendance. Il s'agit de la comtesse Ermengarde.

L'accord n'est pas encore fait sur ses origines, et ses époux et sa descendance ont été l'objet de recherches de la part de H. Witte, Vanderkindere et P. C. Boeren.

Le premier veut démontrer que le comte Kadaloh, frère ou neveu de l'archevêque de Cologne Pilgrim et dont le nom même trahit l'origine bavaroise, doit être identifié avec le comte Kadelo dont l'épouse Irmengarde transporte à l'archevêque de Trèves Poppon (1016-1046), une partie du domaine de Prumizvelt et reçoit de celui-ci des biens à Blei-Alf, Werede, et des vignobles à Berg. Le comte Kadelo figure dans l'acte comme simple fondé de pouvoirs de son épouse.

D'autre part, un comte Cadaloch apparaît dans l'Isengau et, vers 1050, transmet avec l'assentiment de sa femme Ermengarde sa seigneurie de Bursten et tous ses biens situés entre l'Inn et l'Isen. En 1074, en Carinthie, Irmgart, veuve du comte Cadalhoch, fait une donation au monastère d'Admont.

Witte conclut: « Dans la région des Alpes bavaroises, il n'y a pas, à cette époque, d'autre comte Kadalhoh que le frère de l'évoque Pilgrim, et ce comte nous est connu comme époux d'une certaine Irmengard. Dans la région de l'Eifel, nous rencontrons un couple semblable dans un acte qui montre l'épouse comme propriétaire dans la région, tandis que son époux y apparaît complètement étranger, non seulement par son nom insolite, mais aussi parce qu'on ne peut lui attribuer aucun comté dans tout le territoire Rhin-Moselle-Meuse. »

Ajoutons que le témoignage des nécrologes semble confirmer la thèse de Witte. L'auteur signale également que la comtesse Irmengard est citée en 1041 comme neptis de l'empereur Henri III et qu'elle reçoit de lui des biens dans la région liégeoise. Il remarque, en terminant, que le comte Kadaloh est mort silencieusement et que sa fin a dû être prématurée, puisque les donations de son épouse Irmingard sont complètement libres.

De son côté, Vanderkindere, sans connaître le travail de Witte, recherche l'origine d'une comtesse Ermengarde, mariée en premières noces au frère de Gislebert de Looz, Arnoul comte de Haspinga, mort en 1040. En 1091, la même Ermengarde donne un alleu à l'abbaye de Saint-André du Cateau, pour le salut des âmes de ses maris. Son second époux est le comte Gozelon de Montaigu, père de Raoul, Gui, Jean et Henri.

Vanderkindere ajoute que, dans un document non daté de l'archevêque Poppon de Trèves, où elle figure avec son mari Kadelo, elle remet à l'église de Trèves une partie de Prumizvelt. La même Ermengarde, dans un diplôme de 1041, est appelée dilectis neptis nostra par l'empereur Henri III.

Les deux derniers exemples que Vanderkindere applique à Ermengarde, veuve d'Arnoul de Haspinga et de Gozelon de Montaigu, Witte, nous venons de le voir, les applique à Irmengart, épouse du comte bavarois Kadelo alias Cadalhoch.

L'équation suggérée par M. Boeren: Ermengarde-Gozelon = Irmengart-Cadalhoch apparaît donc vraisemblable.

Si nous avons insisté sur ce Gozelon, c'est que nous retrouvons sa descendance directe parmi les principaux donateurs de l'abbaye de Saint-Jacques au début du XIe siècle, et son mariage avec Ermengarde nous permet de déterminer l'origine d'un bien que la femme de son petit-fils donne à Saint-Jacques à la mort de son mari.

La comtesse Ermengarde, fatiguée du monde après ses deux veuvages, se décida à prendre le voile, et c'est pourquoi, en 1078, elle distribue aux principales églises liégeoises les biens qu'elle tenait en Hesbaye de son premier mari. La part qui échut alors à Saint-Jacques n'a jamais pu jusqu'ici être déterminée avec précision parce que les deux auteurs qui eurent l'occasion de s'en occuper se laissèrent guider par la même idée préconçue dans la traduction du passage qui relate la donation de la comtesse à l'abbaye.

Voici le texte du cartulaire de Saint-Barthélemy, tel que nous l'avons transcrit aux Archives de l'Evêché à Liège:

Tradidit de Brede / tradidit allodium de Brede cum ecclesia praeter X mansos quos dedit Gerardo comiti et XX de familia / et praeter X quos dedit sancto Johanni et XX de familia sancto Jacobo / Abruoch / dedit cum suis appendiciis /.

Nous nous efforcerons de démontrer que les interprétations qu'en ont données les chanoines Daris et Paquay ne satisfont point aux exigences de la syntaxe latine et de la toponymie.

Voici la traduction de Daris:

« ... elle lui donne en cinquième lieu (à Saint-Barthélemy) son alleu de Brée avec l'église, mais sans dix mansus et vingt serfs ou censitaires qu'elle donne au comte Gérard (de Looz), sans dix autres mansus et vingt serfs ou censitaires qu'elle donne à l'église de Saint-Jean, et sans un . . . . . . . . . . avec ses appendices qu'elle donne à l'hôpital de Saint Jacques en Avroye à Liège.

Le processus mental du chanoine Daris est aisé à reconstituer. Il a mis une virgule entre le second de familia et sancto Jacobo. Comme il traduit Abruoch par Avroy, il est obligé de supposer que le copiste a sauté le nom ou la désignation de la nature du bien cédé à Saint-Jacques. Mais il a dû certainement trouver insolite cette localisation en Avroy de l'abbaye de Saint-Jacques. En effet, dans tous les textes médiévaux, sans aucune exception, l'abbaye est localisée in Insula. Il s'est rappelé alors qu'il y avait jadis dans le quartier d'Avroy un établissement religieux, un hôpital consacré à saint Jacques, et il lui a attribué la donation d'Ermengarde. Mais la date de fondation de cet hôpital est bien connue, et c'est le chanoine Daris lui-même qui la donne dans un autre ouvrage: il a été construit en 1427, et la chapelle attenante dédiée à saint Jacques fut consacrée le 2 mai 1437.

A son tour, le chanoine Paquay nous livre la traduction suivante:

La comtesse Ermengarde donne à l'église Saint-Barthélemy... L'alleu de Brée avec l'église à l'exception de dix manses avec vingt censitaires qu'elle donna au comte Gérard, de dix manses qu'elle donna à la collégiale Saint-Jean l'Evangéliste à Liège et de vingt censitaires qu'elle donna à l'abbaye Saint Jacques en Avroy.

Ainsi le chanoine Paquay rejette l'éventuel oubli d'un mot par le copiste et, pour donner un sens à la phrase, il se voit obligé de supposer une virgule, non plus avant sancto Jacobo, mais immédiatement après sancto Johanne.

S'il est courant de rencontrer des donations de serfs indépendantes d'une donation d'un bien foncier, que signifie donc une familia avec ses appartenances? Aussi Paquay laisse-t-il tomber ce dernier mot dans sa traduction et voici comment il doit reconstruire mentalement la phrase:

... XX de familia (quos) sancto Jacobo (in) Abruoch dedit...

C'est fermer une brèche pour en ouvrir une autre.

En résumé, il saute aux yeux que les contresens auxquels se sont butés Daris et Paquay sont dus au fait qu'ils ont voulu à tout prix considérer Abruoch comme une qualification de Saint Jacques et le traduire par Avroy. Pour le chanoine Paquay, la traduction était d'autant plus plausible qu'il avait lu erronément Abvroch au lieu de Abruoch.

Cette graphie Abruoch pour désigner Avroy est d'ailleurs insolite. Avroy vient du latin Arboretum, lieu planté d'arbres, et les graphies usitées au moyen âge sont: Avridum (VIIIe et XIe siècles), Arbrido (IXe siècle), Avroit (1034), Avrotum (1214), Averoit.

Enfin, l'Ile n'a jamais été comprise, même en partie, dans le quartier d'Avroy qui s'est toujours étendu exclusivement sur la rive gauche du bras de Meuse.

Bref, la phrase devient claire si l'on considère Abruoch comme le nom du bien cédé à l'abbaye et si l'on replace un point virgule ou un point directement avant sancto Jacobo.

Sancto Jacobo, Abruoch dedit cum suis appendiciis = « A Saint Jacques, la comtesse Ermengarde donna Abruoch avec ses appartenances ».

Les domaines cédés se répartissent dès lors avec plus d'équilibre:

à Saint-Barthélemy: Brée et l'église,
au comte Gérard: dix manses à Brée et vingt censitaires,
à Saint-Jean l'Evangéliste: dix manses à Brée et vingt censitaires,
à Saint-Jacques: Abruoch et ses appartenances.

Il reste maintenant à résoudre le problème de l'identification d'Abruoch. On ne peut manquer d'être frappé par la finale de ce mot: bruoch, identique à une foule de lieux-dits des régions flamandes, et qui équivaut à l'actuel broek: marécage. Quant au second élément du mot: A, il désigne l'eau en général et de nombreux cours d'eau en Europe, sous la graphie Aa.

Enfin, le contexte nous montre qu'il faut chercher l'endroit dans le voisinage de Brée. Comme il n'est signalé ni parmi les communes ni parmi les hameaux de Belgique, c'est vraisemblablement un lieu-dit.

Sur les cartes militaires, on relève la présence d'un ruisseau, l'Aa, qui prend sa source au nord-ouest d'Opglabeek, se dirige vers le nord, passe à l'ouest de Meeuwen et d'Ellicum, tourne vers l'est à hauteur de Brée, contourne à trois kilomètres au nord cette localité et se jette non loin de là dans le Molenbeek. Sur le cours, ou à proximité de l'Aa, on trouve les lieux-dits de Steenbroek, Groot-Broek, Loobroek.

Aabroek, qui ne figure pas sur les cartes militaires, doit donc être recherché à un endroit marécageux du cours de l'Aa, à partir du moment où le ruisseau se rapproche de Brée.

Arrivé à cette conclusion, nous avons écrit aux secrétaires communaux de Brée et de Beek qui nous ont aimablement répondu qu'un lieu-dit, d'une consonance très proche, se trouve actuellement compris dans les limites de la commune de Beek, à deux kilomètres au nord-est de Brée.

Dans l'espace circonscrit par le canal de Maastricht et un bras du vieux canal, une métairie, un moulin et un verger attenants, propriété de M. Willem Geerits, portent le nom d'Abrox. Le terrain défriché et cultivé qui s'étend le long du coude sud du vieux canal s'appelle Abrox Savelkoul.

Abrox est l'équivalent phonétique de Abrok's. En effet, le réformateur de l'Ordre du Saint-Sépulcre au XVe siècle, dans le diocèse de Liège, était originaire de Beek et s'appelait Jan van Abrock.

Savelkoul est également un phonème du patois dans lequel il est facile de reconnaître le mot Zavelkuil qui désigne une sablonnière. Quelle que soit la localisation exacte du domaine de Saint Jacques dans les parages de Brée ou de Beek, telle pouvait être sa physionomie au XIe siècle, à cette époque où la Campine offrait au regard un spectacle bien différent de celui qu'elle présente aujourd'hui. Car les forêts de conifères qui couvrent une grande partie de son territoire et contribuent le plus à la caractériser, sont le résultat d'une plantation d'origine humaine entreprise au début du XVIIe siècle.

D'autre part, bien que la nature marécageuse et sablonneuse d'Aabroek se prêtât à l'extraction de la tourbe, il est hasardeux de supposer que l'abbaye de Saint-Jacques l'ait acquis dans ce but. Si cette industrie est devenue au moyen âge « une des formes les plus caractéristiques et les plus fructueuses de l'exploitation du sol par les religieux de Tongerloo », il semble bien qu'il faille en fixer les débuts encore timides aux premières années du XIIIe siècle.

En tout cas, le domaine d'Aabroek n'a vraisemblablement jamais été d'une grande utilité pour Saint-Jacques, puisqu'on n'en retrouve plus mention après 1078 parmi les biens de l'abbaye. Isolé du noyau central du domaine du monastère, il a dû être cédé, avant 1137, à la collégiale de Saint-Barthélemy. Celle-ci avait été nettement avantagée par la donation d'Ermengarde. Des chartes des 22 et 24 mars 1297, et du 12 mai 1316, montrent qu'elle était de loin la principale sinon la seule propriétaire du domaine de Brée à cette époque.

2. Haneffe

En 1082, l'abbé Robert obtint, en échange de l'église de Meeffe, un bien moins éloigné que le domaine d'Aabroek. C'est un alleu situé à Haneffe et le tiers de l'église, possessions dont l'évêque Réginard avait gratifié l'abbaye de Saint-Laurent le 3 novembre 1034.

De la même abbaye, l'abbé Robert reçut un moulin d'un revenu annuel de 30 sous. Nous n'avons pu l'identifier: Martène et Durand le situent à Wîch, graphie qui pourrait désigner Wijk, localité à l'est de Maastricht.

Mais comme les éditeurs de l'Amplissima Collectio écrivent Minasia pour Hunafia, on ne peut se fier à leur lecture. La graphie Vulch qui figure dans le cartulaire de Saint-Laurent ne correspond, à notre connaissance, à aucun lieu-dit actuel.

Détenant le tiers de l'église, l'abbaye devenait donc décimatrice. Ce n'est qu'en 1091 que l'abbaye de Plône obtient la sixième partie du village et de l'église. Quant aux droits des abbayes du Val-Saint-Lambert et d'Aywières sur une portion de la dime, leur établissement remonte seulement au XIIIe siècle.

D'après la charte de Réginard, l'alleu cédé à Saint-Jacques par Saint-Laurent comprenait dix manses. Ni les chartes, ni les lieux- dits de la commune ne nous permettent de situer leur emplacement. Ils étaient cependant proches des biens que, deux ans plus tard, l'abbaye acquiert à Donceel.

3. Donceel

Bien que trois d'entre elles soient fausses ou interpolées, les quatre chartes relatives à Donceel contiennent assez de fond historique pour que nous puissions nous baser sur leur témoignage.

Le domaine appartenait, vraisemblablement depuis 1075, à la comtesse Mathilde de Toscane. L'inféodation du bien à son ministerialis Renier de Briey est probablement une conséquence de l'accaparement qu'exerçaient sur elle, à ce moment, les affaires romaines.

Avec la permission de sa suzeraine, Renier se disposait à vendre le domaine, et l'évêque de Liège fit en sorte que l'abbaye de Saint-Jacques en fût l'acquéreur. Les termes de la charte de 1084 et du diplôme de 1088 prouvent nettement que l'abbé Robert acheta le bien avec le concours pécuniaire de l'évêque. Cette sollicitude cadre fort bien avec l'esprit de Henri de Verdun, formé, on le sait, à l'école richardienne.

L'avoué de Donceel, Albert de Briey, fondé de pouvoirs de la marquise Mathilde, était le frère du noble Gérulfe, époux de Berlende, dont les deux fils Héribert et Winand moururent peu avant 1105. Ce Gérulfe possédait des droits sur l'église et des biens allodiaux à Falmagne, ainsi qu'à Hollogne et Bassenge. Albert, lui, résidait à Metz. C'est pourquoi la cérémonie de la cession de Donceel eut lieu dans cette ville par les soins de Henri, comte de Durbuy, délégué de l'évêque, qui reçut le bien des mains d'Albert de Briey, en présence de Hermann, évêque de Metz, de Hermann son neveu, archidiacre de Liège, des comtes Conrad de Salm et Gisletert, fils d'Otton comte de Looz, et des nobles Thibaut de la Haye et Godefroid.

Une seconde cérémonie se déroula à Liège, à l'abbaye, au cours de laquelle le délégué de l'évêque remit à l'abbaye de Saint-Jacques l'alleu de Donceel, en présence de l'évêque et de quelques nobles.

A qui l'abbé de Saint-Jacques commit-il le soin de l'avouerie?

Il semblait naturel que ce fût à l'avoué héréditaire du monastère, au comte de Looz, en l'occurrence Arnoul. C'est d'ailleurs ainsi que les choses se passent d'après le contenu du diplôme de 1088.

La charte de 1084 présente l'événement sous un angle tout différent. L'abbé Robert aurait concédé l'avouerie de Donceel à Renier, avoué du chapitre de Saint-Lambert, à des conditions très restrictives: il ne pourrait s'introduire dans le domaine que si l'abbé l'appelait, et, dans cette éventualité, il ne pourrait recevoir que le tiers des amendes infligées, pendant les plaids, par le fondé de pouvoirs de l'abbé et les échevins. Chaque année, il aurait droit à une mesure d'avoine par bonnier.

Schubert a clairement démontré que ces passages constituaient une interpolation dans la charte de 1084. Lorsque l'avoué principal se livrait à des exactions, les moines n'avaient souvent d'autre recours, pour soustraire le domaine à ses déprédations, que de fabriquer un document prouvant qu'il n'avait aucun droit sur celui-ci. Il est donc certain que l'avouerie de Donceel a été confiée en 1084 à Arnoul, comte de Looz, et que, dans le courant du XIIe siècle, les abus de ses successeurs ont amené l'abbé à faire rédiger une charte interpolée pour leur enlever tout droit sur Donceel.

Le document situe le domaine dans le comté de Huy, qui était lui-même compris dans le pagus de Hesbaye. S'il faut en croire Vanderkindere, le comté de Huy ne correspondait qu'à la majeure partie du Condroz. Donceel formait donc une enclave dans le pagus de Hesbaye.

L'emploi du terme praedium dans les actes de 1084 et 1088 nous interdit de supposer que les biens de Mathilde comprenaient le domaine tout entier. En tout cas, Saint-Jacques en possédait les appartenances essentielles: bois, prés, champs et surtout le moulin, la brasserie et l'église.

Il faut remarquer que l'église, la ferme de l'abbaye, le presbytère et le moulin sont groupés l'un près de l'autre. On peut supposer que le praedium acquis par Saint-Jacques se limitait à la partie Est, située sur la rive droite de l'Yerne. L'importance du débit de ce cours d'eau, que les déboisements n'avaient pas encore réduit au rang de modeste ruisseau, tel que nous le connaissons aujourd'hui, pouvait en effet constituer la limite naturelle la plus facilement discernable.

En 1086, Henri de Verdun, qui, décidément, semble prodiguer à l'abbaye de Saint-Jacques des soins attentifs, acquiert pour elle le terrain rempli de broussailles que la collégiale de Saint Pierre possédait près de Chokier et qui paraissait propre à la culture de la vigne.

4. Awirs

Très probablement l'abbaye de Saint-Jacques n'avait pas encore de vignoble indigène. Il était souvent difficile pour un établissement religieux d'obtenir un rendement suffisant de ses domaines situés dans nos régions, dont le sol et le climat ne se prêtaient pas d'une manière spéciale à la culture de la vigne.

Cependant, l'absence du commerce rendait la possession de vignobles indispensable. En 1078 par exemple, le même évêque Henri de Verdun s'apercevant que la collégiale de Saint-Barthélemy, dont la fondation est contemporaine de celle de l'abbaye, n'était pas encore dotée de vignobles, lui cède les dîmes de certains vignobles dans le faubourg Sainte-Walburge de Liège et il fait également aménager à cette intention les jardins potagers d'un coteau voisin. Aussitôt l'abbé de Notre-Dame proteste contre cette attribution qui lèse ses droits de décimateur et obtient l'indemnité réclamée. S'il fallait croire un passage de la charte de 1086, une contestation analogue aurait opposé l'évêque et Lanzon, curé de l'église de Basse-Awir dans la juridiction de laquelle le terrain était situé. Le curé aurait réclamé le droit de percevoir la dîme si la vigne venait à croître. L'évêque aurait alors fait rendre un jugement qui reconnaissait que l'abbaye avait reçu, en même temps que le bien, le droit exclusif d'y lever la dîme. Comme ce passage est une interpolation, on doit placer cette contestation dans le courant du XIIe siècle. Il est fort probable qu'en 1086 le curé de Basse-Awir a considéré avec indifférence l'acquisition, par l'abbaye, d'un terrain vague, hérissé de broussailles et de taillis. Mais quand il a vu tout le profit que le monastère avait su en tirer, son intérêt s'est éveillé et il a commencé à émettre des prétentions. Pour les écarter, les moines ont été obligés de fabriquer un document interpolé.

Que le terrain fût situé dans le territoire de la paroisse de Basse-Awir, cette charte interpolée le reconnaît sans difficulté, et le peu de distance qui sépare le lieu-dit « les Vignes >> de l'église de Basse-Awir nous autorise à le croire.

Même si un passage de la charte de 1086 est une interpolation du XIIe siècle, elle n'infirme pas nécessairement la réalité de l'existence d'une église aux Awirs à la fin du XIe siècle, et elle prouve en tout cas avec certitude son existence dans le courant du XIIe siècle. M. J. Brassinne, à qui la charte de 1086 est restée inconnue, a de grandes chances de ne pas se tromper en assignant une date fort ancienne à l'érection de l'église des Awirs, qu'il trouvait citée pour la première fois en 1203, mais dont la dotation indiquait un état de chose fort ancien. L'église de Saint-Etienne serait une transformation d'une ancienne chapelle domaniale dont le patronage, la dot et la familia appartenaient en 1203 à Louis, avoué de Hesbaye, et qu'il céda la même année à l'abbaye cistercienne d'Aywières.

La carte que nous avons dessinée plus haut montre quels arguments l'évêque a présenté à Robert, abbé de Saint-Jacques et à Jean, prévôt de Saint-Pierre, si ce ne sont pas ces deux religieux qui les ont fait valoir à l'évêque.

En effet, l'échange n'a pas seulement pour résultat de procurer bientôt du vin à l'abbaye. Il arrondit son domaine de Chokier et supprime la solution de continuité que présentaient les biens de Saint-Pierre, tout en développant du même coup son domaine de Flémalle.

5. Hodeige

Les deux derniers documents relatifs à l'oeuvre domaniale de l'abbé Robert ne permettent pas de dater d'une manière précise les donations dont ils relatent les circonstances et les clauses.

Grâce au contexte d'une charte de 1195, nous connaissons l'acquisition entre 1084 et 1095, dans la région de l'Yerne, d'un bien de modeste étendue qui fut, une centaine d'années après, l'objet de contestations entre un seigneur et l'abbé Gozuin.

Situé à Hodeige, il comptait six bonniers de terre et fut donné en aumône à l'abbaye. Nous ne pouvons retirer plus de détails du contenu de la charte.

Tel n'est pas toujours le cas cependant. Un acte de confirmation de 1126 nous livre les clauses d'une donation effectuée également sous l'abbatiat de Robert et qui présente un triple intérêt.

Il prouve d'abord que les préoccupations de l'abbé Robert se tournent décidément vers le fertile bassin du Geer.

Il donne le nombre de moines qui, entre 1076 et 1095, peuplaient l'abbaye. Enfin, c'est le document le plus détaillé du premier carton du chartrier concernant l'affectation des revenus d'un domaine à la subsistance de la communauté.

6. Roclenge, Hollogne et Boirs

Richer, le donateur, était un chanoine de la collégiale de Saint-Denis à Liège. Il quitta cette église pour embrasser la vie monastique à l'abbaye de Saint-Jacques, et c'est certainement à ce moment qu'il fit donation, au monastère, de trois domaines qu'il avait acquis pendant sa cléricature.

Le plus important de ces biens était situé à Roclenge-sur-Geer. Ses revenus atteignaient trente sous, et le rendement des cultures devait être excellent si l'on en juge par les dispositions suivantes:

Quatre sous à l'anniversaire du père, quatre sous à l'anniversaire de la mère du donateur seraient destinés à la subsistance des moines.
Cinq sous pour la commémoration de l'écolâtre Madechon qui se célèbre le jour de saint Denis, le 9 octobre. Ce jour-là, les moines revêtiront les ornements blancs et ils n'oublieront pas de célébrer l'anniversaire de l'obit de l'écolâtre au jour prescrit.
Sept sous à l'anniversaire de l'obit de Richer: cinq réservés à la nourriture des moines, deux destinés aux pauvres; le tout pour le salut de son âme et de tous les moines défunts.

Quinze jours par an - quatre jours à Noël et l'octave, et le même nombre de jours à Pâques et à la Pentecôte — chaque moine aura du pain fait de fleur de farine au lieu du pain habituel. Une fois l'an, trente pains de boulangerie seront donnés au frère aumônier pour les pauvres. A toutes les fêtes qui se célèbrent en chapes, soit dix-huit fois l'an, chacun des cinquante moines disposera d'un gâteau en plus de son pain.

Enfin, le moine chargé de l'administration de ce domaine était tenu, afin d'éviter que l'on invoque un jour une mauvaise récolte pour infirmer les dispositions de ce règlement, d'ajouter, en utilisant les revenus du domaine ou d'autres revenus, le surplus de la récolte d'une année à la récolte de l'autre pour que l'abondance d'une année compensât l'insuffisance de la suivante.

Si l'importance des autres biens que Richer donne à Saint-Jacques est plus modeste, la destination de leurs revenus intéresse également le bien-être des moines, l'approvisionnement en vin de la communauté et les soins des moines malades.

Des cinq sous qui constituent les revenus des six bonniers que Richer a achetés à Hollogne-sur-Geer et qu'il cède à Saint-Jacques, trente deniers serviront à l'achat du vin pour la fête de sainte Marie-Madeleine, le 22 juillet. La nourriture des moines sera assurée ce jour-là par deux sous des revenus du domaine de Roclenge. Avec trente autres deniers on achètera trois setiers de vin pour les pauvres le vendredi saint, trois setiers à la Pentecôte, un setier et demi à la Toussaint.

Le dernier domaine, situé à Boirs, compte un manse. C'est le frère infirmier qui bénéficie de ses revenus, dix sous et neuf deniers, ainsi que du surplus des revenus de Hollogne. Il les emploiera pour les besoins des moines malades.

Aucune charte de Saint-Jacques ne pourrait mieux nous introduire que le règlement de 1076-1126 dans l'organisation interne de l'abbaye, que nous voyons pourvue de tous les services indispensables.

Ce qui frappe surtout, c'est l'équilibre qui sauvegarde, sans les opposer l'une à l'autre, la nécessité quotidienne des moines et la mission de charité que l'Evangile et la Règle de Saint Benoît leur prescrivaient comme un des devoirs les plus sacrés. Cette équitable répartition est le sûr indice de la situation remarquable de l'abbaye de Saint-Jacques, tant au point de vue spirituel qu'au point de vue temporel, à la fin du XIe siècle.

Dès lors, on comprend mieux pourquoi l'abbatiat du successeur immédiat de Robert placera l'abbaye au rang d'inter nobiles nobilissima, comme Renier de Saint-Jacques le dira lorsque les jours sombres du déclin donneront tant d'amertume au souvenir d'une splendeur anéantie.

Les donations de Richer terminent la revue des biens acquis par l'abbaye sous le gouvernement des successeurs d'Olbert. Il nous appartient maintenant de dégager le sens de leur oeuvre dans l'évolution du domaine.

CONCLUSION

Le fait le plus marquant, c'est la destruction de l'ébauche de groupement autour de Hanret que, selon nous, Olbert avait tenté pendant son double abbatiat. Les deux causes possibles de ce revirement ont l'une et l'autre autant de titres à en fournir l'explication, si bien qu'il est difficile de préciser laquelle des deux fut la plus, ou la seule, déterminante.

N'étant pas abbés de Gembloux, les successeurs d'Olbert à Saint-Jacques ne se trouvaient pas devant les mêmes problèmes que leur célèbre devancier. A la mort de celui-ci, ce lien n'avait plus de raison d'être, qui rattachait dans un rapport de nécessaire conséquence la possession de biens situés dans le bassin de la Méhaigne au gouvernement simultané de Saint-Jacques et de Gembloux. Disciples d'Olbert, les abbés de Saint-Jacques ne pouvaient oublier qu'un des principes fondamentaux de sa politique domaniale exigeait une prompte arrivée des revenus des domaines afin d'être prêts a parer à toute éventualité fâcheuse: le groupement des biens à peu de distance du fundus de Gembloux est une claire illustration de cette théorie.

Les abbés de Saint-Jacques virent donc tout le danger d'une décentralisation du domaine, car le développement encore modeste de ce dernier ne leur permettait pas de tenter une expansion sans lui assurer de solides bases de départ à proximité de l'abbaye liégeoise. La narration de la charte de 1067 paraît bien refléter les préoccupations des chefs de Saint-Jacques quand elle affirme que l'échange de Dhuy et de Noville leur a été inspiré par les incommodités que l'éloignement de ces domaines étaient susceptibles de leur causer. L'exception d'Abrox confirme la règle: cette expérience de Robert s'est révélée prématurée puisque, bientôt sans doute, on a dû se débarrasser de ce bien isolé.

Cependant, si l'éloignement du groupe de Hanret explique son abandon par les abbés de Saint-Jacques, il ne peut en être la cause unique, car Hanret se trouve à quarante kilomètres à vol d'oiseau et pouvait être exploité sans trop de difficultés. Mais le fait que ce sont les petits biens situés dans l'orbite du gros domaine dont on se débarrasse, nous incite à croire qu'un autre motif se cache sous les termes de la charte de 1067. Il résulte comme le premier de la séparation du gouvernement jusqu'alors simultané des abbayes de Saint-Jacques et de Gembloux.

Si la mort d'Olbert avait permis à l'abbaye de Saint-Jacques de reprendre une existence indépendante, les liens qui l'avaient attachée à Gembloux pouvaient-ils conserver assez de vigueur pour l'inquiéter?

Les premiers moines de l'abbaye liégeoise sont venus de Gembloux, le premier abbé de Saint-Jacques était d'abord l'abbé de Gembloux et c'est à lui que le monastère de l'Ile devait sa réforme: on sent que Sigebert, en relatant ces faits, ne peut dissimuler une pointe de fierté d'ailleurs légitime. Cependant, le danger de ces liens sentimentaux n'est pas le principal et il est fort douteux qu'il pût jamais constituer une menace sérieuse pour l'abbaye de Saint-Jacques. La confraternité qui unissait les monastères de la réforme richardienne a toujours respecté leurs droits et, surtout, on ne comprend pas comment l'abbaye de Gembloux aurait pu essayer de placer sous une tutelle plus ou moins déguisée l'abbaye de Saint-Jacques, puisque celle-ci dépendait directement de l'évêque. C'est précisément sous les successeurs d'Olbert que l'intervention de l'évêque de Liège, le richardien Henri de Verdun, se produit constamment, qu'il s'agisse d'acheter, d'échanger des biens ou de provoquer les donations.

Le danger ne venait donc pas des liens spirituels, mais du voisinage des biens de Saint-Jacques et du domaine de Gembloux. Situés à la bordure Est de la zone d'extension de ce dernier, ils risquaient, isolés de l'abbaye liégeoise, d'être l'objet de contestations entre les deux monastères quand le souvenir de leur achat par Olbert de Gembloux dominerait, pour effacer plus tard, le souvenir de leur possession par Saint-Jacques. Il est naturel que les petits biens fussent les seuls exposés à pareille vicissitude: les droits du monastère liégeois sur Hanret, antérieurs à l'abbatiat d'Olbert, étant solidement établis.

Si l'abandon des biens de la Méhaigne a été motivé en partie par la prudence, pourquoi ]'abbaye de Saint-Jacques n'a-t-elle pas cédé ces domaines à l'abbaye de Gembloux moyennant dédommagement ? C'est ainsi, par exemple, qu'agira l'abbé de Lobbes en 1112. Jugeant préférable qu'une autorité unique gouverne le domaine de Hanret, il abandonnera au plus gros propriétaire, l'abbaye de Saint-Jacques, les parcelles que Saint-Pierre de Lobbes y possédait encore.

Les abbés Etienne et Robert ont préféré accorder l'église de Dhuy et l'alleu de Noville-sur-Méhaigne au chapitre de Saint-Aubain, et l'église de Meeffe à l'abbaye de Saint-Laurent parce que ces établissements religieux leur offraient une contrepartie que le monastère de Gembloux, peu doté dans la région liégeoise, n'était pas à même de leur fournir.

En effet, l'oeuvre négative des successeurs d'Olbert ne constitue que la nécessaire préparation de leur effort positif. Il nous reste à essayer de déterminer les avantages appréciables que leur politique domaniale a procurés à l'abbaye.

Il est clair que leurs acquisitions ont constitué et fortement développé le groupe de l'Yerne, qui forme une subdivision du groupe du Geer supérieur. Les successeurs d'Olbert disposaient là, comme point de départ, de l'important domaine de Yernawe. Ils ont échelonné le long de l'Yerne les biens de Haneffe, de Donceel et de Hodeige, que le domaine de Celles-lez-Waremme relie au bien de Hollogne-sur-Geer, également acquis par l'un d'eux. Grâce aux deux centres de Celles et de Yernawe, la cohésion du groupe du Geer supérieur est solidement établie. On peut dire que, dès la fin du XIe siècle, il acquiert sa physionomie définitive.

Plus riches d'avenir apparaissent les premiers jalons que jettent les abbés Etienne et Robert le long du Geer inférieur. Là, aucune cellule-mère ne facilitait le groupement. Aussi n'est-il pas étonnant que la première expérience d'Etienne soit un peu timide. Entre 1067 et 1095, la tentative a été jugée parfaitement viable puisque l'abbé Robert la développe en acquérant les biens plus considérables de Boirs et de Roclenge.

Si l'on veut donc porter un jugement d'ensemble sur l'oeuvre domaniale des abbés Etienne et Robert, on peut, sans hésiter, affirmer qu'elle se développe encore dans le climat de la réforme monastique lotharingienne. Comprendre que le maintien d'un domaine n'est réalisable que par une adaptation immédiate aux exigences de la situation, ne pas hésiter à réagir avec intelligence et discernement, veiller à préparer et à faciliter l'oeuvre de leurs successeurs, ces actions des abbés Etienne et Robert exigent plus que du simple bon sens. Ils prouvent combien vivants restaient à l'abbaye de Saint-Jacques l'exemple et l'enseignement d'Olbert.

ETUDE
SUR LE CHARTRIER ET LE DOMAINE
DE L'ABBAYE
DE SAINT-JACQUES DE LIEGE
( 1015 - 1209 )

Jacques STIENNON

Société d'édition
LES BELLES LETTRES
PARIS - 1951

500 Pages

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