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THEATRE DE LIEGE

1525 à 1529
Georges Macropédius de Gemert

Macropedius - Georges van Lanckvelt de Gemert


De tous les Hiéronymites qui enseignèrent au Collège de Liège, le plus célèbre est sans conteste Macropédius; c'est même le seul qui ait réussi à conquérir une réelle notoriété; il la mérita amplement par son activité pédagogique, par l'excellence de ses ouvrages classiques et par la valeur littéraire des pièces de théâtre qu'il composa à l'intention de ses élèves (57).

Georges van Lanckvelt (plus connu sous le nom hellénisé de Macropédius) était né vers l'an 1475 à Gemert, près de Bois-le-Duc. Après avoir terminé ses humanités au Collège de cette ville, le jeune gentilhomme alla probablement fréquenter les cours d'une université étrangère; c'est là qu'il dut acquérir cette connaissance approfondie des langues hébraïque et chaldaïque, ainsi que des sciences et des instruments mathématiques, pour laquelle il était si justement réputé (58). En tout cas, ce n'est qu'en 1502, c'est-à-dire à l'âge d'environ vingt- sept ans, qu'il obtint son admission dans la communauté des Hiéronymites de Bois-le-Duc (59). On ignore la classe du Collège dont il fut d'abord chargé, mais il enseigna avec tant de succès qu'on ne tarda pas à lui confier la direction de l'établissement (60).

La plupart des biographes modernes de Macropédius sont d'accord pour affirmer que la deuxième phase de sa carrière professorale se déroula à Liège. Seul, l'un des plus récents historiens des Frères de la Vie commune, R. R. Post, se montre moins catégorique et formule d'expresses réserves sur ce point (61). Il nous semble néanmoins qu'en dépit du silence total des archives liégeoises, où l'on ne trouve aucune mention de lui, nous possédons des indices suffisamment probants pour pouvoir en conclure sans grands risques d'erreurs, que Macropédius, après ses débuts à Bois-le-Duc, fut transféré à Liège et placé à la tête du Collège Saint-Jérôme.

C'est d'abord l'attestation formelle de son ancien élève et collègue de Bois-le-Duc, le Frère Arnold Van Tricht de Nimègue, qui, dans une élégie consacrée à sa mémoire, rappelle les trois étapes qu'il parcourut successivement, à savoir Bois-le-Duc, Liège et Utrecht:


.... Non iibi Lutetia est, non visa Colonia, non quas

Ex studiis urbes Itala terra colit.

At dum Silvosa ludum moderaris in urbe,

Inque illa, quac olim Legia dicta fuit

Atque Ultraiecti tandem, sic doctus ad unguem

Prodis ut possit nemo stupere satis... (62)

Il y a ensuite le témoignage d'un autre de ses disciples, Jean Némius, qui fut aussi professeur au Collège de Bois-le-Duc et vraisemblablement à celui de Liège; dans un éloge de son maître regretté, il énumère également les trois milieux scolaires où celui-ci exerça ses fonctions: ... Qui Eburonicam, Brabanticam, necnon Batavam docuit inventutem pro moderamine... (63)

On peut enfin tirer argument de ce fait significatif que Macropédius a publié un manuel de style épistolaire où il a inséré une description enthousiaste de la ville de Liège, qui y figure comme modèle de lettre proposé aux collégiens en guise d'exercice scolaire. Sans citer les Hiéronymites, qui auraient pu légitimement s'en enorgueillir, il vante l'étonnante précocité des écoliers liégeois qui, dit-il, « dès l'âge de sept ans, savent parler le latin et qui, avant d'avoir atteint leur quatorzième année, l'écrivent si bien en prose et en vers qu'ils peuvent rivaliser avec n'importe quel poète ou prosateur ». On trouve encore dans ce panégyrique de la cité mosane une foule d'autres détails, dont la précision et l'exactitude ne peuvent s'expliquer qu'en admettant que l'auteur y avait résidé pendant un temps assez long (64).

Aucun document ne nous permet de fixer avec certitude la date du séjour à Liège de Macropédius; ici encore, il nous faut recourir à une conjecture. Jean Sturm, qui fréquenta le Collège Saint-Jérôme de 1521 à 1524, ne le cite pas parmi les quatre maîtres dont il suivit alors les leçons (65). D'autre part, il est établi aujourd'hui que Macropédius enseignait déjà à Utrecht en 1529 ou 1530 (66). Ce serait donc dans l'intervalle, entre les années 1525 et 1528, qu'il fut appelé à prendre la direction du Collège de Liège (67).

La majeure partie de son existence laborieuse s'écoula à Utrecht, où il exerça la charge de recteur pendant près d'un quart de siècle (68). Ce n'est en effet que vers l'an 1554 que son grand âge et la maladie le forcèrent enfin à prendre une retraite bien méritée. Il se retira dans le couvent de Bois-le-Duc, où il s'éteignit au mois de juillet de l'an 1558; il fut inhumé dans l'église St-Grégoire de la Fraterhuis, où on lui érigea un tombeau orné d'une épitaphe pompeuse rédigée dans le goût du temps (69).

Tous les ouvrages de Macropédius furent publiés de 1535 à 1555, c'est-à-dire pendant son séjour à Utrecht ou immédia-tement après son retour à Bois-le-Duc; on nous pardonnera donc de ne pas en faire ici l'analyse, ni même rémunération.

Ils intéressent cependant l'histoire du Collège Saint-Jérôme, du moins d'une façon indirecte. Les onze pièces de théâtre composées par Macropédius jouirent d'un succès prodigieux au XVIe siècle, ainsi que le prouve le grand nombre d'éditions, de traductions et d'imitations dont elles furent l'objet (70); il n'est pas douteux qu'elles furent souvent représentées sur la scène liégeoise, surtout à l'époque antérieure à la publication des comédies du Frère Libert Houthem. On sait d'ailleurs que c'est grâce à l'influence de Macropédius et de son compatriote Guillaume Gnapheus que les Hiéronymites renoncèrent peu à peu à faire jouer par leurs élèves les chefs-d'œuvre du théâtre classique et notamment les comédies de Térence, pour leur substituer des pièces néo-latines dont le sujet, de caractère religieux ou moral, était emprunté à l'Histoire sainte ou à la vie courante (71). Dans deux des comédies de Macropédius (Rebelles et Petriscus), on voit des écoliers des Hiéronymites déserter le collège pour échapper aux traitements brutaux du recteur; l'auteur, qu'on n'entend jamais protester contre l'emploi de la férule dans les classes, ne partageait probablement pas l'horreur d'Erasme pour les châtiments corporels et il préférait, comme la plupart des pédagogues de son époque, recourir à la manière forte (72); tel était sans doute aussi le système des maîtres liégeois.

Quant aux livres de classe de Macropédius, les plus connus sont des grammaires du grec et du latin, une prosodie, une logique, un traité d'art épistolaire, un calendrier comportant des préceptes de chronologie et des règles de calcul, ainsi qu'un recueil des Epîtres et des Evangiles dont le texte était lu dans les églises de Liège, d'Utrecht et de Cologne.

Tous ces manuels, dont la plupart comptèrent plusieurs éditions, obtinrent une très large diffusion même en dehors de nos provinces; ils durent être couramment en usage au Collège Saint-Jérôme, comme dans tous les établissements des Hiéronymites.

Au surplus, pour se faire une idée exacte de l'action exercée par Macropédius à Liège, dans le domaine scolaire, il faut se rappeler ses rares qualités pédagogiques ainsi que son remarquable talent d'éducateur; pendant les quelques années où il lui a été donné de pouvoir se consacrer au développement intellectuel, ainsi qu'à la formation religieuse et morale des jeunes Liégeois, ceux-ci ont eu la chance de bénéficier des leçons, des conseils et des exemples d'un maître incomparable.



(57) Pour la biographie de Macropédius, voyez notamment: F. SWEERTIUS, Athenae Belgicae (Anvers, 1728), pp. 83 et 274. — FOPPENS, Bibliotheca Belgica (Bruxelles, 1739), pp. 339-341 (avec un portrait). — PAQUOT, Mém. littér., t. XII (Louvain, 1768), pp. 204-210. — DELPRAT, Verhand. over de broederschap van G. Groote (Utrecht, 1830), pp. 131-135. — SCHUTJES, Gesch. van het bisdom 'S Hertogenbosch (St. Miehiels-Gestel, 1873), t. IV, pp. 409-410. — D. JACOBY, Allg. deutsche Biogr., t. XX, p. 19. — F. VANDER HAEGHEN, Bibliotheca Belgica, 2e série, t. V. — A. ROERSCH, Biogr. Nationale, t. XIII (Bruxelles, 1894), col. 10-22. — J. HARTELUST, De dictione G. Macropedii (Utrecht, 1902). — Nieuw Nederl. Biografisch Woordenboek, t. VII, p. 822.

(58) A. VAN TRICHT (voyez infra) nous apprend que Macropédius n'étudia ni à Paris, ni à Cologne, ni dans les universités italiennes; il ne parle pas de Louvain, où d'ailleurs le Collège des Trois Langues ne fut fondé qu'en 1517. Peut-être faut-il le considérer simplement comme un autodidacte.

(59) Cf. G. VAN DEN ELSEN et W. HOEVENAERS, Analecta Gijsberti Coeverinx, t. II (Bois-le-Duc, 1905), p. 115.

(60) Sur l'école latine du Chapitre de Bois-le-Duc, passée sous l'autorité des Hiéronymites, voyez : M. A. NAUWELAERTS, De Bossche Broeders van het gemeen leven, dans Studia Catholica, t. XVIII (1942), pp. 228-232.

(61) R. POST, Studiën over de Broeders van het gemeene leven, dans Nederl. Historiebladen, II (1939), p. 142. — Le même, De moderne Devotie (Amsterdam, 1940), p. 97.

(62) ARNOLDI NOVIOMAGI ...Elegia, éditée par C. VLADERACCUS, Apotheosis D. Georgii Macropedii (Anvers, 1565), f° 13-15.

(63) VLADERACCUS, o. c., f° 12. — Cf. J. NEMIUS, Apologia scholae principalis (Bois-le-Duc, 155G), f° 2a : « ...tôt tantosque labores apud Colonienses, Menapios, Eburones... exantlatos ». — Textes communiqués par M. A. NAUWELAERTS.

(64) Epistolica Georgii Macropedii studiosis Traiectinae scholae tyrunculis nuncupata (Anvers, 1554). — Cf. A. ROERSCH, Une description de la ville de Liège au XVIe siècle, dans le Bull, de la Société liégeoise de bibliogr., T. I (1892), pp. 177-185.

(65) J. STURM, Classicae epistolae, III; pp. 24-20 de l'édition ROTT (Strasbourg, 1938). - Cf. Léon HALKIN, Une lettre inédite de J. Sturm, pp. 22 sq.

(66) G. KUIPER, Orbis artium en Renaissance (Harderwijek, 1941). I. pp. 347-350.

(67) Il semble bien que Macropédius fut simplement recteur de la Maison St-Grégoire et qu'il n'exerça pas les fonctions de pater ou supérieur de la communauté, qui, à cette date, devaient être confiées à Jean Malcoir de Fooz (voyez infra sa notice, n° 16).

(68) D'après un document du 25 mai 1553, il semble qu'il dirigeait alors non seulement le Collège, mais aussi la Domus pauperum d'Utrecht. Cf. A. EKKER, De Hieronymusschool te Utrecht (1863), t I. p. 43. — On sait que Macropédius publia en 1553 une pièce intitulée Hypomone, qui fut représentée au profit des écoliers pauvres des Frères.

(69) On en trouvera le texte dans SWEERTIUS, o. c., p. 274 et dans SCHUTJES, o. c., t. IV, p. 410.

(70) On trouvera un excellent résumé du sujet de ces comédies dans la notice d'A. ROERSCH, citée plus haut. Nous nous contenterons d'en donner ici les titres: Rebelles, Aluta, Petriscus, Asotus, Andrisca, Hecastus, Bassarus, Lazarus, Josephus, Adamus, Hypomone. Ces onze pièces, d'abord publiées à part, furent réunies en 2 volumes par l'auteur lui-même sous ce titre: Omnes Georgii Macropedii fabulae comicae. Utrecht, 1552-1553. On lui attribue encore quatre comédies dont le texte n'a pas été retrouvé. Plusieurs de ses pièces de théâtre comportaient l'exécution de chœurs, dont certains nous ont été conservés. Cf. R. BRAGARD, dans le Bull, lie l'inst, arch. liégeois, t. XXXV (1911), p. 202.

(71) En 1522, au témoignage de J. STURM, Class. epist., X (pp. 64-66 de l'édit. ROTT), les Hiéronymites liégeois faisaient encore représenter le Phormion de Térence sur la place sise devant l'église St Martin-en-Ile, à proximité de leur Collège.

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