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Orgue Renaissance de l'église Saint Jacques

... vous voiez à main droite les plus belles orgues que l'on se pourroit imaginer, posées justement au bout de la nef où devroit estre le grand portail. L'on me dit qu'elles avoient les tuyaux d'argent, et que c'estoit les plus harmonieuses que l'on peüst ouïr; ce qui est croiable, puisque les trompettes d'argent ont toute autre harmonie que n'ont celles d'airain, et qu'à plus forte raison l'argent donne tout autre son que le plomb dont sont faits communément les tuyaux des autres orgues; parconséquent celles dont je parle doibvent surpasser en excellence toutes les orgues que l'on se pourroit imaginer, estant très-grandes et abondantes en tuyaux comme elles sont. L'or et la peinture n'y sont non plus espargnez que le bois, lequel en est tellement couvert, qu'à peine pourroit-on rien veoir de mieux agencé...

Voyage de Philippe de Hurges à Liége et à Maestrect en 1615

....
On en a fait avec l'or, l'argent & le cuivre, mais les métaux qu'on a trouvés les plus commodes à faire les tuyaux d'Orgue, c'est le plomb & l'étain. Ils ne sont pas chers comme l'or & l'argent ; ils ne sont pas difficiles à travailler comme les autres métaux, & ils rendent un son doux & harmonieux. On employoit aussi beaucoup le bois, comme on le fait encore aujourd'hui.
...

L' art du facteur d'orgue, D. Bedos de Celles, Bénédictin. 1766

Orgue

Pierre Thimus - Guido Schumacher - Koos van de Linde

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Trente-six ans après son démontage, le grand orgue historique de l'ancienne église abbatiale Saint-Jacques à Liège a enfin retrouvé toute son ancienne splendeur.

Construit en 1600 dans une des plus belles églises de style gothique flamboyant d'Europe, l'instrument subit déjà en 1669 un important remaniement effectué par André Severin. En 1854, Arnold Clerinx l'agrandit, et c'est à ce moment que disparurent les volets peints.

En 1962, l'orgue est démonté en vue d'une restauration. Le dossier ne trouvera son aboutissement qu'à la fin des années 80 avec la désignation d'Hubert Schoonbroodt en tant qu'auteur de projet. Malheureusement, il décédera en 1992 peu avant l'ouverture du chantier.

L'instrument vient de connaître un importante et minutieuse restauration qui lui a rendu sa splendeur originelle. Le travail de reconstitution et d'harmonie a été remarquablement mené à bien par la Manufacture d'orgues Schumacher sous la conduite de Koos van de Linde et de Pierre Thimus.

La restauration a eu pour but de rétablir un instrument dans un style proche de l'original tout en respectant le volume des splendides buffets renaissance dont les polychromies ont été ravivées.

Les trente-cinq jeux répartis sur trois claviers et pédalier, le résultat sonore ainsi que le tempérament mésotonique permettent d'interpréter, dans les meilleures conditions, le riche et vaste répertoire de la renaissance et du début du Baroque.

HISTORIQUE

Le grand orgue de l'ancienne église abbatiale fut construit en 1600 par un facteur d'orgue inconnu. On peut toutefois penser qu'il pourrait s'agir de Nicolas Niehoff ou de Florent Hocquet qui, à l'époque, étaient les seuls capables d'entreprendre un ouvrage aussi important. Tous deux ont travaillé à Liège, notamment à Saint-Denis. La composition originale ne nous est pas parvenue et la disparition des archives de l'abbaye ne permet pas d'en savoir davantage.

L'instrument fut érigé sur l'ancien jubé de pierre de sable qui se trouvait, à l'origine, à l'entrée du choeur. Ce jubé, daté de 1538, fut très probablement sculpté dans l'atelier de Daniel Mauch. Il contient une remarquable galerie de statues polychromes, avec au premier niveau un buste, peut-être celui d'Isaïe, surmonté des armoiries de l'abbé Balis et dominant un Massacre des Innocents. Plus haut, on reconnaît les quatre grands docteurs de l’Eglise latine: saint Grégoire, saint Ambroise, saint Jérôme et saint Augustin. Au troisième étage, les statues des douze apôtres entourent la vierge Marie, saint Jean-Baptiste et un roi inconnu.

Le jubé supporte le petit buffet d'orgue et une balustrade richement décorée portant les armes de l'abbé Martin Fanchon; enfin, adossé ê la muraille, s'élève majestueusement le grand buffet avec au milieu la date Anno 1600. Plus haut, les armoiries du Prince-Evêque Ernest de Bavière sont accompagnées d'un discret rappel de la date 1600, et au faîte de l'instrument se trouvent les armes de Gilles de Brialmont et la mention Renovatum 1669. L'ensemble des buffets d'orgue est entièrement sculpté, polychrome et doré, on y retrouve des décors de faunes, bucranes, chérubins et pointes de diamants. Le buffet du positif est surmonté d'une statue de sainte Cécile tandis que tout au sommet de l'instrument se trouvent quatre statues: deux abbés et deux anges musiciens dont les trompettes ont disparu. L'ensemble était orné à l'origine de quatre volets, sur lesquels étaient représentés des personnages.

C'est en 1669 que l'instrument connaît une première transformation radicale effectuée par André Séverin, facteur d'orgues originaire de Maastricht et installé à Liège depuis plusieurs années. André Séverin était tellement fier de son orgue qu'il demanda et obtint d'etre enterré sous l'instrument. Sa pierre tombale se trouve dans le mur ouest du narthex avec une épitaphe pour le moins originale : "André Séverin en son art sans pareil nous a fait ces orgues, l'un de ces merveilles. Reçut à Maastricht sa vie et son estre et mourut rempli de grâce dans ce cloître. Ainsi d'un destin très heureux, son corps repose dans ce lieu, son âme éclate dans les cieux et son ouvrage au milieu ". Son oeuvre nous est aussi mal connue que le premier instrument de 1600. Tout au plus peut-on faire des suppositions quant à sa composition. André Séverin aurait également construit un petit orgue dans la tribune dite des bourgmestres à droite du choeur.

En 1797, le chapitre collégial qui avait succédé aux bénédictins, fut supprimé; l'église échappa de peu à la démolition avant d'être affectée en 1803 à la nouvelle paroisse. L'orgue va alors subir d'importantes réparations entre 1816 et 1829; toutes effectuées par Arnold Graindorge dont les oeuvres plus importantes se trouvent en l'égIise des Rédemptoristes en Hors-Château à Liège et en la cathédrale de Malmédy. En 1834, le même facteur présenta au Conseil de Fabrique un important projet de restauration. Ce document nous apprend que l'orgue était fortement délabré et que tout devait être réparé. D'autres projets furent également élaborés, dont un de Joseph Merklin en 1848, mais ce n'est qu'en 1854 que Arnold Clerinx est choisi pour effectuer un renouvellement complet de l'instrument. Le nouvel orgue comprend 44 jeux répartis sur trois claviers et pédalier. Les critiques d'alors nous apprennent que l'harmonisation était bonne mais que l'orgue manquait de puissance. C'est lors de ces travaux que disparurent les grands volets et que les buffets furent agrandis en profondeur perdant ainsi toute efficacité de caisse de résonance. Le récit expressif fut quant à lui placé en dehors, derrière les buffets du XVIle siècle. Une restauration eut encore lieu en 1888 par Charles Anneessens de Grammont.

L'histoire contemporaine de l'orgue est très mouvementée, les projets de restauration se succèdent sans aboutir. En 1937, Maurice Delmotte rentre un devis pour un orgue de 53 jeux à traction électrique. En 1939, Loncke propose d'importantes modifications. Pendant la seconde guerre mondiale, les tuyaux de façade en étain sont emportés par un voleur qui serait entré de nuit par Ia fenêtre sud-ouest de la grande nef. Ils sont remplacés par des tuyaux en zinc. L'instrument a également fortement souffert des dégâts occasionnés par les bombes volantes.

En 1953, Pierre Froidebise présente un projet de restauration qui sera approuvé par la Ville de Liège. Quelques années plus tard, d'importants travaux de gros oeuvres sont entrepris dans l'église: consolidation des voûtes, électricité, placement d'un chauffage dans le sol et nouveau dallage. La firme 0rgana Van de Cauter de Châtelineau est désignée pour mener à bien les travaux de restauration de l'orgue. C'est en 1962 que la tuyauterie est déposée et stockée ê Malmedy.

Voici la composition de l’orgue en 1953

Grand orgue

Montre 16'

Bourdon 16'

Montre 8'

Bourdon 8'

Flûte traversière super. 8'

Gambe 8'

Quinte 5 1/3'

Prestant 4'

Flûte 4’

Quinte 2 2/3'

Doublette 2'

Fourniture II-III

Sesquialtera

Cornet IV

Bombarde 16'

Trornpette super. 8'

Clairon bas 4'

Positif

Montre 8'

Salicional 8'

Bourdon 8'

Prestant 4'

Flûte 4'

Dolce 4'

Cornet III

Doublette 2'

Quinte 1 1/3'

Mixture

Trompette 8'

Cor anglais 8'

Récit

Bourdon 16'

Flûte 8'

Dulciana 8'

Voix céleste 8'

Principal 8'

Flûte 4'

Violine 2'

Trompette 8'

Hautbois 8'

Voix humaine 8'

Pédalier

Contrebasse 16'

Soubasse 16'

Basse 8'

Bombarde 16'

Trompette 8'

Suite au décès de Pierre Froidebise, la Ville de Liège choisit un nouvel expert en 1966, le professeur Klotz de Cologne. Elle rompt le contrat qui la liait ê la firme Van de Cauter et désigne par voie d'adjudication le facteur d'orgues Stephan Schumacher d'Eupen.

En 1971, ordre est donné d'interrompre les travaux en raison de la réalisation du nouveau chauffage et des fouilles archéologiques entreprises dans l'église. Peu de temps après, la Ville de Liège se dote d'une Commission consultative des orgues rassemblant plusieurs personnalités du monde de l'orgue. Très vite cette commission se penche sur la problématique de l'orgue de Saint Jacques et juge irrecevable le projet du professeur Klotz. Ce dernier est alors déchargé de la mission qui lui avait été confiée. Dès ce moment, le dossier s'enlise et il faudra attendre plus de quinze années avant qu'il ne puisse refaire surface.

En 1986, le Conseil de Fabrique de Saint-Jacques désigne Hubert Schoonbroodt, professeur au Conservatoire Royal de Musique de Bruxelles, comme auteur de projet. Hélas, il décédera accidentellement en 1992, avant le début des travaux.

Pierre Thimus, organiste titulaire, est alors désigné par la Ville de Liège en tant que surveillant des travaux. Il s'adjoint les compétences du technicien conseil hollandais Koos van de Linde qui a longuement étudié l'esthétique et la facture des orgues de l'époque Renaissance. L'attribution du marché est confirmée au facteur d'orgues Schumacher et l'ordre de commencer les travaux est donné en février 1993.

LA RESTAURATION

Vidé de ses tuyaux depuis 1962, le buffet de l'orgue s'élève comme un grand chancre dans le fond de l'église Saint-Jacques, superbe monument de style gothique flamboyant. Quel triste tableau s'offre aux yeux des milliers de visiteurs qui arpentent la grande nef. Chaque dimanche, la liturgie renouvelée et le soin apporté à la musique attirent des centaines de croyants. En outre, l'église Saint-Jacques est très souvent le cadre de grands concerts de musique sacrée. Malgré l'acquisition d'un petit orgue de transept en 1975, l'absence du grand instrument se fait cruellement sentir.

Rappelons l'état des lieux au début des années 90 avant de commencer les travaux de restauration:

  • La tuyauterie est déposée depuis une trentaine d'années, beaucoup de tuyaux manquent, ceux qui sont conservés sont de Clerinx ou de facture récente et sont pour la plupart dans un état lamentable, souvent attaqués par la lèpre;

  • La mécanique restée en place est fortement abîmée en raison du manque de protection;

  • Les sommiers de Clerinx ne sont plus hermétiques et d'autre part, ils sont trop grands et débordent largement des buffets;

  • L'alimentation en vent est totalement défectueuse et hors d'usage;

  • Le buffet d'orgue, monumental chef-d'oeuvre est relativement bien conservé, hormis les dos, qui ont disparus lors des agrandissements successifs. Les polychromies sont presque entièrement effacées suite à un nettoyage inadéquat.

Diverses solutions furent envisagées:

  • Le retour à l'orgue du XIXe siècle, avec son récit expressif. Cette solution fut très vite rejetée étant donné d'une part, l'état médiocre de conservation des éléments Clerinx et d'autre part, le non-respect des dimensions de la caisse de résonance des buffets;

  • La reconstruction d'un orgue Séverin, solution facile puisque cette facture nous est relativement bien connue mais il y aurait eu une incohérence fondamentale entre la structure des buffets et l'esthétique de Séverin qui se limitait à deux claviers et demi sur deux niveaux.

  • La reconstitution d'un orgue d'esthétique Renaissance, proche de l'original et en accord avec le style des buffets.

L’option retenue fut finalement la reconstruction d'un orgue d'esthétique Renaissance, dans l'esprit des orgues Niehoff.

POURQUOI UN ORGUE RENAISSANCE A SAINT JACQUES?

Le choix d'un orgue Renaissance des Pays-Bas du Nord était tout d'abord clairement indiqué par la structure des buffets d'orgue et notamment par la profondeur restreinte. Tenant compte de la pratique musicale actuelle, cela peut paraître à première vue déconcertant. Le tempérament mésotonique et la tessiture réduite constituent des contraintes non négligeables et le répertoire d'époque n'occupe généralement qu'une place très marginale chez la majorité des organistes. N'aurait-il donc pas été plus approprié et plus créatif de concevoir un instrument contemporain dans les buffets anciens ?

Une question s'impose cependant: pourquoi ce répertoire du XVIe et du début du XVIle siècle est-il tant négligé par les organistes, alors que la musique vocale et instrumentale de la même période est fréquemment exécutée et largement appréciée? La musique d'orgue serait-elle d'une qualité tellement inférieure ou ne serait-ce pas plutôt parce qu'elle est mal servie par des instruments inappropriés ?

Un regard sur la situation pourtant favorable aux Pays-Bas révèle qu'il n'y a aucun orgue de cette époque conservé intégralement ou se trouvant dans un état représentatif du XVIe siècle. Tous les éléments conservés sont intégrés dans des ensembles qui datent au plus tôt du début du XVIIe siècle. Et même si le concept musical du XVIle siècle est quelque part une continuation de la tradition du siècle précédent, il en diffère aussi de manière essentielle à certains égards: l'accentuation du choeur des jeux de principaux a réduit la variété et les coloris, au détriment des flûtes et des jeux d'anches. Et malgré leur qualité intrinsèque indéniable, ces instruments ne permettent plus une interprétation optimale des oeuvres de compositeurs comme Sweelinck et Cornet. De plus, les instruments du début du XVIle siècle sont eux-mêmes plutôt rares.

En Belgique, la situation est encore moins réjouissante, puisque aucun instrument d'avant 1640 n'est conservé. Seuls les orgues de la Cathédrale de Hasselt et de l'église de Beek abritent encore quelques jeux de la main de Nicolas Niehoff. Malheureusement, ces jeux furent assez maltraités. Aucune trace d'une tradition propre au XVIe siècle n'est conservée dans nos contrées, ce qui exclut toute reconstruction. La réputation internationale, dont jouissaient les orgues néerlandais du XVIe siècle est sans doute une indication de leur qualité et la reconstruction assez récente d'un petit instrument de ce type à Herfelingen a suscité un grand intérêt. La réalisation d'un grand orgue aura un impact d'autant plus marquant.

La reconstruction d'un tel instrument est donc importante sous divers aspects: cet orgue n'aidera pas seulement à faire renaître la musique de nos plus importants compositeurs, mais il enrichit le paysage organologique d'un instrument qui fait entendre des sonorités tout à fait nouvelles, jusqu'ici inconnues à notre époque.

QU’EST CE QU’UN ORGUE NIEHOFF?

Pour comprendre la structure des grandes orgues Niehoff, il est indispensable de rappeler quelques notions concernant les instruments de ses prédécesseurs, à commencer par les représentants du gothique tardif aux Pays-Bas.

Les plus grands instruments de ce type comprenaient un Hauptwerk avec un "Plenum" de "principaux" (souvent construit sans registres, donc sous forme d'un Blockwerk) et un Positif avec des jeux individuels, soit construit comme Rückpositif, soit comme Oberwerk. A côté des "principaux", ce second clavier comprenait en particulier une "Cymbel", jeu très aigu, qui imitait les instruments médiévaux du même nom.

Au début du XVIe siècle, des développements révolutionnaires eurent lieu en facture d'orgues par adjonction aux jeux traditionnels de toute une série de jeux nouveaux (flûtes, jeux ê anches), logés sur un sommier séparé en hauteur, mais relié au même clavier de Hauptwerk. Dans les Pays-Bas du Nord Jan Van Covelens, le maître de Niehoff, fut un grand précurseur de ces nouveautés. Ce sommier fut ensuite doté d'un clavier propre, qui devint le clavier solo par excellence. Le Rückpositif dut former le pendant réduit à la fois du Hauptwerk et de l'Oberwerk. il reçut donc sur un seul clavier aussi bien un "Plenum" de "principaux" que des jeux nouveaux. La pédale se vit confier une fonction de clavier de basse par son accouplement au Hauptwerk et par l'adjonction de quelques jeux séparés, destinés à amplifier et à éclaircir la ligne de basse.

L'évolution esquissée ci-dessus aboutit finalement de manière plus spécifique à l'esthétique Niehoff. C'est ainsi que l'orgue touché par Sweelinck à la Oude Kerk à Amsterdam peut être considéré comme prototype de ce nouveau concept.

En voici la composition

Rugpositief

(F, G, A - g2, a2)

Prestant 8'

Octaaf 4'

Mixtuur

Scherp

Quintadeen 8'

Holpijp 4

Sifflet 1 1/3'

Regaal 8'

Baarpijp 8'

Schalmei 4'

Hoofdwerk

(F1, G1, A1 - g2, a2)

Prestant 8'

Octaaf 4'+2'

Mixtuur

Scherp

Bovenwerk

(F, G, A - g2, a2)

Prestant 8'

Holpijp 8'

Openfluit 4'

Nasart 2 2/3'

Gemshoorn 2'

Sifflet 1’

Cymbel III

Trompet 8'

Zink 8' D (ê partir de f)

Pedaal

(F1, G1, A1 ? C1)

Nachthoorn 2'

Trompet 8'



LE CONCEPT DE L’ORGUE DE SAINT JACQUES

Le concept sonore de ce type d'orgue s'appuie sur des contrastes marqués. D'un côté, se trouvent les "principaux" quelque peu gambes, auxquels des doublures typiques confèrent un caractère particulièrement chantant. Les "Plenums" sont brillants et soutenus sans jamais être agressifs, tout en gardant une certaine transparence. Jamais la puissance ne l'emporte sur le caractère vocal et la clarté. De l'autre côté, il y a les flûtes très larges et moelleuses, dont certaines imitent des instruments à vent, comme la Openfluit 4' qui simule une flûte à bec Renaissance. La Quintadeen 8’ contraste vivement par sa sonorité un peu pointue avec les flûtes larges. Les jeux d'anches témoignent de la même vigueur dans les contrastes entre, d'une part, la plénitude des Trompet 8’, Zink 8' et Schalmei 4' et d'autre part, la sonorité beaucoup plus étroite des Regaal 8' et Baarpijp 8'. Les deux premiers évoquent l'ensemble Renaissance des vents formés par des trombones et cornets à bouquin, alors que ceux à résonateurs courts rappellent plus la sonorité des instruments à anche double.

Le point de départ fut le splendide buffet, d'une valeur historique inestimable. Dès le début, il n'y eut aucun doute que le nouvel orgue devait respecter les mesures intérieures d'origine et que le style de l'instrument à construire devrait être en harmonie avec le buffet. L'absence totale de documents d'archives rendit la reconstruction de l'orgue d'origine impossible. Le manque de traces conservées dans l'instrument même exigea en fait une nouvelle création.

Etant donné que le sens d'une copie de style réside exclusivement dans la mise à disposition de possibilités musicales bien spécifiques, le constructeur dispose d'une certaine liberté pour s'écarter du concept original. A la différence d'une restauration, où le respect le plus strict des éléments historiques s'impose, il serait dans une copie de style insensé et irresponsable de ne pas dépasser certaines restrictions non-essentielles. Dans la pratique actuelle, des restrictions n'ont un sens que là où elles génèrent en même temps des possibilités nouvelles ou contribuent à une construction techniquement saine de l'instrument.

Ainsi l'octave courte permet des accords dont l'exécution est impossible avec une octave basse complète. De plus, la construction d’une octave basse complète aurait été défavorable à la clarté de la construction interne, dans un buffet qui n'avait pas été prévu pour contenir tant de grands tuyaux. Le tempérament mésotonique, quoique limité dans les modulations, confère, notamment aux compositions chromatiques de la Renaissance et du début du Baroque, infiniment plus de couleur que n'importe quel accord "bien tempéré". L'ensemble possède un éclat que l'on ne retrouve pas dans les tempéraments ultérieurs. Les dimensions restreintes des touches de pédale permettent de développer une technique plus adéquate à l'exécution de la musique ancienne et le poids considérablement réduit des touches permet en outre un contrôle bien plus efficace du toucher. Une limitation trop radicale de la tessiture dans le dessus serait par contre un non-sens: quelques touches en plus ne constituent aucun inconvénient pour une utilisation authentique et n'altèrent en rien les qualités de caisse de résonance des buffets. Une tirasse fixe de pédale nous apprendrait beaucoup sur l'utilisation authentique du pédalier, mais pour cela il suffit de garder la tirasse.

En partant de ces réflexions un certain nombre de modifications ont été adoptées; elles élargissent les possibilités pour la pratique actuelle sans entraver l'utilisation de l'orgue Niehoff au sens strict.

Se référant au répertoire nord-allemand, qui sonne particulièrement bien sur ce type d'instrument, il nous a semblé opportun de concevoir une pédale indépendante plus fournie que dans la tradition de Niehoff. Dans le même ordre d'idées, il était utile de rendre la tirasse du Hauptwerk mobile et d'ajouter une tirasse de l’Oberwerk pour pouvoir disposer de plus de jeux de flûte et de la Zimbel à la pédale.

Un ravalement avec un clavier décalé au Hauptwerk nous a semblé un inconvénient trop important pour l'exécution de la musique plus tardive. Ce ravalement aurait occupé dans le buffet la place nécessaire à l'élargissement souhaité de la pédale. Nous avons donc choisi de doter le Hauptwerk d'une tessiture normale de 16' et de scinder le choeur des principaux, ce qui s'avère intéressant pour la littérature plus tardive et pour l'utilisation liturgique. La suppression d'un rang de 2 2/3' et de 2' dans la Mixtur pour en faire des jeux indépendants ne modifie en rien la composition totale du "Plenum".

Malgré la présence de la grosse quinte, le plenum sur 8' du Hauptwerk reste tout à fait possible.

Il se distingue de celui sur 16' par une certaine légèreté. Le Rückpositiv dispose également d'un tel plenum sur 8' et comme le Hauptwerk est joué généralement en tessiture de 16', cela nous a paru un compromis défendable.

Quelques jeux supplémentaires nous ont paru intéressants pour l'exécution du répertoire plus tardif, pour lequel deux jeux de huit pieds bouchés sont indispensables. Le Hauptwerk a été doté d'un Gedact 8' selon un modèle nord-allemand. C'est essentiellement pour compléter le Cornet que l'Oberwerk a reçu une Terzfloit 1 3/5'. En outre, dès 1555, Hendrik et Nicolas Niehoff plaçaient parfois un Cornet sous l'appellation de Nachthorn. L'orgue de la Zuiderkerk à Enkhuizen contient encore quelques tuyaux d'un tel jeu, qui indiquent qu'il s'agissait d'une flûte ouverte de taille large. Enfin l'adjonction d'une Vox Humana 8' est particulièrement intéressante pour diverses raisons. Ce jeu se prête non seulement à la littérature plus tardive, mais compense aussi l'absence d'une Baarpijp au Rückpositiv, due au manque de place. Comme modèle on a choisi la Vox Humana de l'église Saint-Pierre à Leiden (J. Duyschot, vers 1687), d'une construction proche d'une Baarpijp et qui s'inspire des modèles évoqués par Praetorius dans son célèbre "Syntagma Musicum" de 1617. Pour des raisons d'encombrement, ce jeu a été logé au Hauptwerk, où la place nécessaire était disponible suite à l'étagement des sommiers sur deux niveaux.

En faveur de la musique plus tardive la tessiture a été élargie vers l'aigu jusqu'au d3. Un élargissement de l'octave grave par l'adjonction du F# et G# en octave brisée, certes intéressant, fut exclu par manque de place dans le buffet. Au Rückpositiv, on a dû se contenter de l'ancienne tessiture FGA. Les touches pour C, D et E s'y trouvent cependant à cause de l'accouplement de clavier Oberwerk-Rückpositiv.

Une dernière adaptation est celle du diapason, qui était chez Niehoff probablement environ un demi-ton plus bas. Les compositeurs néerlandais des XVIe et XVIle siècles utilisaient ce diapason plus bas, alors qu'en Allemagne du Sud au XVIe siècle et en Allemagne du Nord au XVIle siècle, le diapason était un demi-ton plus haut que l'actuel. En pratique, un grand orgue ne joue que rarement avec des ensembles de musique Renaissance ou Baroque. En outre, la majorité des copies d'instruments Renaissance sont construits au diapason moderne ou un demi-ton plus haut. Comme l'accord au diapason ancien n'aurait donc permis le jeu commun que dans une mesure très restreinte, on a opté pour le diapason moderne en vue de la pratique actuelle.

Voici la composition de l’orgue de Saint Jacques après restauration:

Rückpositiv

(F, G ,A - d"')

Praestant 8' (Double à partir de cí)

Octava 4' (Double à partir de C)

Mixtur III-VI

Scharp III-V

Quintadehna 8'

Klein Holpipe 4'

Siflôit 1 1/3'

Régal 8'

Schallmey 4'

Hauptwerk

(C - d"') (octave courte)

Praestant 16' (Double à partir de c’)

Octava 8' (Double à partir de cí)

Octava 4'(Double ê partir de C)

Quinta 3'

Superoctava 2'

Mixtur II-VIII

Gedact 8'

Scharp IV-XII

Vox humana 8'

Oberwerk

(C - d"') (octave courte)

Praestant 8' (Double ê partir de cí)

Octava 4' (Double à partir de C)

Holpipe 8'

Flüite 4

Nasat 3'

Gembshorn 2'

Terzflüit 1 3/5'

Siflüit 1'

Zimbel III

Trommete 8'

Zincke 8' (A partir de aí)

Pedal

(C,D - d')

Praestant 16' (Transmission Hauptwerk)

Octava 8'

Untersatz 16’

Nachthorn 2'

Buerflüite 1'

Trommete 8'

Tremulant

Trommel

Vogelgesang

Manualcoppel OW/RP

Coppel Werk

Coppel Oberwerk

Diapason : La - 440 Hertz

Tempérament mésotonique

LA REALISATION DE L’ORGUE DE SAINT-JACQUES

Après le démontage soigné des sommiers et des parties mécaniques de l'orgue Clerinx, la première étape dans l'élaboration du projet de restauration fut le relevé métrique exact du buffet et la recherche de traces de fixation d'éléments des instruments précédents et si possible de l'orgue de 1600. Ce travail, effectué en 1993, a permis de retrouver, grâce aux mortaises dans différents montants et traverses partiellement conservés, la structure du dos, qui avait disparu lors des travaux de Clerinx. Ce relevé a confirmé qu'il s'agissait à l'origine d'un Grand Orgue dit de 12 pieds, commençant donc au Fa, et d'un Positif de dos de 6 pieds.

Dans la partie supérieure du buffet, aucune trace n'a pu Étre décelée, ce qui indique que l'orgue de 1600 fut probablement un instrument à deux claviers, comprenant Hauptwerk et Rückpositiv. La retranscription des mesures relevées en pied carolingien et pied Saint-Lambert nous a révélé que l'organisation du buffet correspondait à la section d'or, ce qui nous a incité ê établir le dessin des tuyaux de façade selon les mêmes principes. Dans les montants de la tourelle centrale subsiste des perces obliques aux bords fortement arrondis vers l'intérieur. Elles servaient de guide au mécanisme de traction des volets par des cordes, système conservé ou reconstruit également dans différents instruments aux Pays-Bas tels dans la Westerkerk et dans l'orgue de transept de la Nieuwe kerk à Amsterdam.

L'existence de volets est également attestée par les charnières qui subsistent sur les montants extérieurs et par des gravures et dessins anciens.

La conception musicale, décrite plus haut, est indissociable de la conception technique: cette dernière fut guidée par l'idée du respect des dimensions d'origine du buffet mais aussi par le souci de disposer les tuyaux de manière spacieuse sur les sommiers et de laisser suffisamment de vide pour ne pas altérer la fonction de caisse de résonance des buffets.

Le buffet est caractéristique de l'époque: très haut, relativement large et très peu profond. Le relevé métrique des buffets permit de déterminer la place disponible pour les sommiers et d'élaborer, sur cette base, la composition de la palette sonore. La hauteur considérable du grand corps (tourelle centrale de 5,81 m) nous invitait à envisager un instrument à trois claviers manuels (Hauptwerk, Oberwerk, Rückpositiv) et un pédalier indépendant.

On a donc opté pour un agencement en sommiers inférieur et supérieur pour tous les claviers manuels. L'exemple le plus célèbre est sans doute celui de l'ancien orgue de l'église Saint-Nicolas à Utrecht, connu notamment grâce à un dessin technique précis établi par Maarschalkerweerd en 1886.

Les buffets

Le travail principal sur les boiseries a été la reconstruction du dos du grand buffet sur une hauteur de près de 10 mètres et une largeur de 5,50 mètres et de celui du petit buffet. Une adaptation a été nécessaire pour assurer l'accès à la laye et la tuyauterie de l'Oberwerk. Le panneau sculpté central du socle, "raccourci" de manière peu élégante au XIXe siècle, a été reconstitué, de même que la porte gauche du soubassement. Les panneaux abîmés ont été complétés. Le plancher de la tribune a été partiellement renouvelé et traité dans son ensemble. A l'étage supérieur du grand corps, des échelles et passerelles ont été installées. L'escalier qui mène de la tribune du narthex à la tribune d'orgue a été renouvelé et une nouvelle balustrade derrière le grand buffet sépare les deux tribunes, tout en libérant la vue sur l'ensemble impressionnant de la soufflerie cunéiforme.

Les polychromies et les dorures

Le rétablissement des polychromies du buffet d'orgue fut confié à Hugues et Jacques Folville. Des grattages et analyses ont permis de retrouver avec certitude le bleu de Smalt utilisé en Europe depuis le XVIe siècle. L'or en feuille qui relève la modénature est posé de manière discontinue par souci d'économie. Le bleu vif a été rétabli avec une détrempe traditionnelle à base d'oeuf. Les "gris" qui écrasaient certains reliefs ont été supprimés et les ors usés ou recouverts ont été restitués. Les hautes polychromies tardives distinguant les éléments figuratifs sont demeurées comme témoin d'une modification introduite postérieurement. Ces apports remontent probablement au milieu du XVIlle siècle. Les abbés et les anges musiciens dominant la construction débarrassés des "peinturlurages" ont retrouvé leurs rehauts d'or sur fond de chêne nu. Les armes de Brialmont qui rappellent la rénovation de 1669 avaient été suspendues devant les armoiries du Prince-Evêque Ernest de Bavière. Alentour de cet écu, subsistait le bleu vif. Les armes de Brialmont ont été accrochées un peu plus haut de manière telle que les deux armoiries soient bien visibles.

L’alimentation en vent et les sommiers

Par souci de cohérence avec le buffet et l'esprit de l'époque, l'alimentation en vent a été entièrement dessinée en pieds. Ainsi les montants de la structure de support mesurent par exemple un demi-pied, comme les montants du soubassement du socle du grand corps. Il y quatre grands soufflets cunéiformes superposés, en chêne, de 9 x 5 pieds; chacun d'eux est pourvu d'un rideau régulateur. L'actionnement se fait, soit par un grand ventilateur électrique, soit par la force humaine via quatre grands leviers. Cet ensemble est logé en contrebas du grand buffet, sur la tribune du narthex. Le vent provenant des quatre soufflets est récolté dans un seul grand porte-vent avant d'être redistribué aux différents sommiers.

Le réseau de porte-vent, entièrement en chêne, se trouve partiellement extérieur à l'arrière du grand corps pour ne pas encombrer la caisse de résonance. La pression est de 75 mm CE pour tout l'orgue.

Le tremblant est construit comme un tremblant doux et se situe sur le porte-vent central avant le départ vers l'Oberwerk. Les sommiers ont été construits entièrement en chêne massif de premier choix et chaque gravure est fermée côté table et côté fond par une latte qui s'appuie sur les battées des barrages, garantissant ainsi l'étanchéité parfaite des sommiers à long terme. La table est garnie de peaux de mouton. Les sommiers supérieurs sont reliés aux sommiers inférieurs par des postages en plomb ou en bois. Les soupapes sont en cèdre et recouvertes d'une double peau de mouton. Les boursettes sont en peau.

La console

La console d'origine avait complètement disparu et la fenêtre avait été élargie au XIXe siècle en taillant les montants gauche et droite pour y insérer un pédalier plus large. La fenêtre a été ramenée à ses dimensions d'origine. Nous avons choisi un recouvrement en buis pour les touches et en ébène pour les feintes. Les joues des claviers ont reçu un plaquage d'ébène orné d'incrustations de buis. Les pommeaux des registres ont été tournés en poirier. Le nom des jeux est conforme à la terminologie allemande ancienne qui, très cohérente, a été adoptée en grande partie aux Pays-Bas. Une terminologie française aurait suggéré des associations sonores avec l'orgue classique français, au demeurant d'une esthétique très différente. De plus, certains jeux comme le Zincke ou la Zimbel, bien caractéristiques de l'orgue Renaissance, n'ont pas d'équivalent en français. Les noms des j'eux sont inscrits à l'encre de Chine sur des étiquettes en parchemin de chèvre. Conformément à la tradition ancienne, les tirants des jeux du positif de dos se trouvent sur le buffet même du positif. Le pédalier, assez particulier, avec des touches parallèles très courtes, entièrement en chêne, a été réalisé sur le modèle ancien de celui de l'église Saint-Nicolas d'Utrecht.

La mécanique

Le tracé de la mécanique a été dicté à la fois par l'emplacement des sommiers et la structure des buffets. Le Rückpositiv est actionné par des pilotes foulant une barre d'équerres tirant des vergettes qui distribuent le mouvement à la laye du sommier par un abrégé horizontal sous le plancher du pédalier, suivi d'une seconde barre d'équerre. Au Hauptwerk, le mouvement est transmis par une mécanique suspendue directe et par une grande table d'abrégé. L'Oberwerk dispose également d'une transmission par double équerre puisque la laye s'ouvre vers l'arrière. La pédale possède une mécanique plus complexe, passant par plusieurs tables d'abrégé et équerres; en effet, les sommiers sont disposés derrière les deux platefaces extérieures du grand corps. Une seconde traction actionne le Praestant 16' du Hauptwerk, disponible en transmission au pédalier. Hormis les vergettes en cèdre, les éléments de la mécanique de traction sont en chêne. Cependant l'abrégé de l’Oberwerk fait exception, et ses rouleaux sont en métal pour en diminuer la hauteur et faciliter l'accès à la tuyauterie du sommier supérieur du Hauptwerk. Les tirants et les sabres de la registration sont en chêne, alors que les rouleaux sont en acier.

La tuyauterie

La sonorité des tuyaux dépend de plusieurs paramètres tels que la taille, l'alliage, la forme, l'embouchure, etc. Aucun orgue de l'époque Renaissance n'est conservé intégralement, mais les nombreuses recherches effectuées aux Pays-Bas et ailleurs par Jan Van Biezen et Koos van de Linde ont cependant permis d'avoir une idée suffisamment précise de la tuyauterie et de l'harmonisation de l'époque pour pouvoir tenter une reconstruction. Les fragments d'orgues de Nicolas Niehoff de Hasselt et de Beek ne permettaient pas une reconstruction fiable, mais indiquaient suffisamment de points communs avec des jeux de l'école de Jan van Covelens et avec l'orgue de Hendrik Niehoff de Lüneburg pour se servir de ce dernier comme base. Les éléments anciens des instruments suivants ont donc servi à la reconstruction de la tuyauterie des jeux à bouche: Lüneburg, Saint-Jean par Hendrik Niehoff, Leiden, Saint-Pierre par Jan Van Covelens en 1530; Haarlem, Saint-Bavon par Jan Van Covelens en 1523; Amersfoort, Saint-Georges par Cornelis Gerritz 1550; Utrecht, Saint-Nicolas par Cornelis Gerritz en 1547, Utrecht, dôme par Peter de Swart en 1571 et Zierikzee, Niehoff. Pour les jeux d'anches l'orgue de Wijk près de Duurstede par Albert Kiespenning vers 1620 a servi de modèle pour la Trommete 8' et le Schallmey 4' tandis que le Zincke 8' s'inspire de celui d'Appingedam, construit vers 1600 par un auteur anonyme. Le Régal 8' du Rückpositiv a été construit sur le modèle d'un jeu conservé dans l'orgue de Medenblik et daté d'environ 1600.

L'alliage est identique pour tous les tuyaux et comporte 95 % de plomb, à l'exception des tuyaux de façade, réalisés en 75% d'étain pour une question de poids. Les tuyaux en plomb sont réalisés en métal martelé et les tuyaux ouverts voient leurs corps amincis vers le dessus. Tous les tuyaux sont en métal, à l'exception des résonateurs du Régal 8' et des deux tuyaux du Trommel (Tambour) qui sont en bois. Au total, l'orgue abrite 2.578 tuyaux, dont deux tuyaux pour le Trommel et deux petits tuyaux pour le Vogelgesang (Rossignol).

Le clavier du Hauptwerk comporte essentiellement les jeux de principaux, avec des doublures typiques à partir de la tessiture de 4' pour les "principaux" de 16', 8' et 4'. La Mixtur et le Scharp découlent encore directement de la conception caractéristique du Blockwerk gothique en s'échafaudant progressivement de II-VIII pour la Mixtur et de IV -XII rangs pour le Scharp, comprenant jusqu'à cinq fois le même tuyau par note. Dans l'aigu, le "Plenum" possède 28 rangs.

Le "Plenum" du Rückpositiv est organisé selon les mêmes préceptes. Les principaux de l'Oberwerk possèdent les mêmes doublures, mais, malgré sa taille principalisante, la Zimbel n'entre pas dans le "Plenum" et reste plutôt un jeu colorant par sa composition et ses reprises particulières à plafond constant. Toutes les flûtes sont de taille large et se fondent admirablement entre elles. Les Holpipe 8' et 4' des premier et troisième claviers sont à cheminée, le Gedact 8' du deuxième clavier est bouché, tandis que toutes les autres flûtres sont ouvertes. Toutes les calottes sont soudées. Les jeux d'anches sont particulièrement caractéristiques des recherches de sonorité de l'époque Renaissance, essayant d'imiter les instruments à vent. La Trommete 8' et le Schallmey 4' ont un résonateur cônique à longueur réelle leur conférant l'éclat et la puissance. Le Zincke 8' possède un résonateur cylindrique à diamètre constant sur toute l'étendue du jeu. La Vox humana 8' possède un résonateur avec une partie cylindrique étroite, surmontée d'un double cône. Le Régal 8' possède, quant à lui, des résonateurs très fins, courts et tournés en poirier.

L’harmonisation et le tempérament

L'harmonisation de l'époque découlait directement du mode de fabrication des tuyaux et a été reproduite dans l'orgue de Saint-Jacques. Les pieds ne présentent pas d'embouchure arrondie comme aux époques ultérieures mais reçoivent le plein vent. Les biseaux ne portent aucune entaille et l'harmonie se fait par leurs positions et celles des lèvres, la lumière étant assez large. Le résultat sonore est étonnant de fraîcheur, à la fois riche en fondamentales et en harmoniques, intense sans être criard.

Le choix du tempérament mésotonique, le plus répandu jusqu'au XVIle siècle, est la conséquence logique et indispensable de l'option d'esthétique sonore. Cela permet de rendre les tonalités les plus couramment utilisées à l'époque aussi pures que possible. Le tempérament mésotonique est basé sur 8 tierces majeures pures, c'est-à-dire sans battement: Do-Mi, Ré-Fa#, MibSol, Mi-Sol#, Fa-La, Sol-Si, La-Do#, Sib-Ré. Cela se traduit, dans un usage normal de l'orgue par un grand calme et une limpidité de la sonorité ainsi qu'une différenciation marquée des demi-tons chromatiques ou diatoniques (comme par exemple Do-Do# et Si-Do). Une simple mélodie est de ce fait très colorée. lnversement, un usage intentionnellement erroné de l'orgue provoque des dissonances particulièrement tendues. Dans la plupart des tempéraments en usage aujourd'hui pour l'interprétation de la musique baroque, ces duretés utilisées consciemment comme des effets sonores sont perdues et, à cause de cela, la musique des XVIe et XVIIe siècles perd une bonne part de sa couleur tendue et donne de ce fait une impression erronée de monotonie.

La restauration sera complètement achevée lorsque les nouveaux volets seront décorés et accrochés.

Pour le facteur d'orgues, une reconstruction comme celle de l'orgue de Saint-Jacques s'apparente plus à une création nouvelle. Sa tâche consiste essentiellement à rassembler une multitude de fragments éparpillés pour les refondre dans un ensemble musical cohérent et convaincant. Le résultat nous a tous surpris, surveillant des travaux, technicien-conseil et membres de la Manufacture d'orgues; il a dépassé toutes nos attentes.

Puisse l'orgue de Saint-Jacques, non seulement contribuer à la revalorisation d'un répertoire négligé à tort, mais aussi éveiller chez les compositeurs contemporains le désir de gratifier un tel instrument d'un nouveau répertoire.

L’ARCHITECTURE DES ORGUES ET DU MUR DE FOND

La première impression ressentie lors d'un regard vers le fond de l'église Saint-Jacques est celle d'une harmonie parfaite de cet ensemble majestueux formé par les buffets d'orgue et la galerie des apôtres.

L'équilibre des proportions repose sur des rapports très simples dans l'architecture du bâtiment. La dimension de base est constituée par la largeur de la nef principale, à savoir de 40 pieds de 28,4 cm (pied carolingien). La hauteur de la nef est le double, la largeur de chaque travée, la moitié et les six travées jusqu'au transept, le triple. De même les bas-côtés ont la moitié de la largeur de la nef principale, soit 20 pieds.

Le mur du fond lui-même témoigne déjà d'une structuration remarquable. Divisé en hauteur en trois, les points déterminants sont respectivement le niveau du sol puis le point supérieur des deux puissantes arcades qui dominent le tiers inférieur et livrent le passage vers l'avant-corps depuis les modifications apportées au début du XXe siècle par Delsaux et Halin, ensuite le chapiteau qui sert d'appui aux nervures de départ de la voûte et enfin la clé de voûte.

Cette même hauteur, divisée en quatre (numérotée à gauche du croquis n° 1) accentue à la fois certains points architecturaux et des éléments de l'orgue, soit le niveau du sol, puis au 1er quart, le chapiteau de la colonnette engagée du départ des arcades de passage vers les travées des nefs latérales, ensuite à la mi-hauteur exacte, la corniche intermédiaire dit socle du grand buffet, aux trois quarts la limite supérieure des platefaces du Grand Orgue sans la frise supérieure et enfin la clé de voûte (cf croquis 1)

La galerie des apôtres conçue pour un Jubé séparant le choeur du reste de l'église fur déplacée vers le fond à la fin du XVIe siècle, avant l'installation des orgues. Elle est composée d'un groupe central de 3 statues disposées en hémicycle flanquées de part et d'autre de 6 apôtres. Si l'espace architectural est donc aisément lisible en proportions simples, la conception des buffets d'orgues se révèle nettement plus complexe.

Les exigences étaient en effet doubles, d'abord celle de la technique de construction de l'instrument et ensuite celle de la meilleure intégration possible dans ce cadre architectural donné. Quelques rapports très simples et la section d'or ont guidé le concepteur dans la réalisation de cette oeuvre. Le mesurage précis du buffet a permis de déterminer tout d'abord que l'unité de mesure appliquée n'est plus le pied carolingien utilisé en architecture, mais bien celui de Saint-Lambert de 29,2 cm.

Les orgues de Saint-Jacques se composent de deux corps séparés l'un appelé Grand Orgue et l'autre, Positif de dos, puisque inséré dans la balustrade derrière le dos de l'organiste.

Le Grand Orgue est formé par un socle surmonté de l'étage plus large des tuyaux, répartis en sept compartiments. La tourelle centrale semi-circulaire largement dominante est flanquée de deux petites platefaces superposées, ensuite d'une grande plateface et finalement d'une partie d'angle en quart de cercle en retrait.

Le Positif de dos présente cinq compartiments et une structure simplifiée sans platefaces superposées, mais avec une même tourelle centrale surélevée et des platefaces d'angles en retrait. La silhouette générale du Grand Orgue avec le dessus dit "en gradin" correspond à un modèle largement répandu depuis le milieu dit XVle et jusqu'à la fin dit XVIle siècle. D'autres exemples de cette disposition se trouvent à Quenast (provenant de Saint-Barthélemy à Liège) à Saint-Denis, Saint-Antoine et Sainte-Croix à Liège, à la basilique de Maastricht, à l'église des Minimes ê Bruxelles.

La lecture des buffets doit se faire ensemble, c'est-à-dire Grand Orgue et Positif de dos réunis. En effet, Ia frise inférieure qui parcourt tout le long de la tribune et du Positif se situe plus bas que le plancher de la tribune et donc en dessous du socle du Grand-Orgue.

Ensuite, il faut mentionner que le bas du socle du Grand Orgue n'est pas polychrome, parce qu'il est caché en grande partie par le positif de dos. L'analyse montre également que de toute évidence la conception de l'ensemble à été élaborée en géométrale, sans tenir compte de l'effet de perspective du Positif de dos avancé.

Dans leurs grandes dimensions et leurs lignes de force verticales qui lui confèrent cette élégance élancée, les buffets sont en proportions simples avec l'architecture. Ainsi la largeur du grand corps à l'étage des tuyaux mesure la moitié de la largeur de la nef ou encore un quart de la hauteur totale, formant un carré presque parfait avec la hauteur de la tourelle centrale, sans les supports ajourés qui la surmontent (croquis 2 cote b°) Cette même mesure se vérifie aussi du plancher de la tribune jusqu'au chapiteau d'appui des nervures de la voute.

La large frise sculptée entre socle et corps supérieur a une fonction de raccord et peut être vue de deux manières:

  • la frise ajoutée au socle, celui-ci forme ainsi un carréé presque parfait (cote c)
  • ajoutée au grand buffet, l'ensemble se divise selon la section d'or ainsi le socle sans frise étant le mineur, le grand corps le majeur et toute la superstructure ajourée, le mineur du socle (cotes a1, a2, a3). Le socle comprend toujours la frise inférieure du Positif de dos qui, à lui seul, est d'une hauteur de a3. Le petit culot de la tourelle centrale du Positif correspond d'ailleurs exactement au couronnement supérieur de la grande tourelle.

La largeur des tourelles centrales découle directement de la galerie des apôtres et du mur de fond: le pilier qui sépare les arcades de passage vers le narthex a la même largeur que le groupe central en 3 niches de la galerie des apôtres et la même largeur que la tourelle centrale du grand corps avec ses deux montants.

La tourelle du positif a la même largeur que le compartiment avec la Vierge à l'Enfant de la galerie des apôtres, mais l'entablement supérieur débordant renvoie à la largeur de la tourelle du grand corps. Cette mesure s'intègre par ailleurs dans une suite de distances en section d'or, qui détermine les subdivisions internes du grand corps aussi bien en largeur qu'en hauteur (série b0-b1-b2-b3).

La comparaison des buffets entre eux démontre également des proportions intéressantes: ainsi la hauteur totale du Positif de dos avec son culot est le quart de la hauteur totale du Grand Orgue ou encore la moitié de la hauteur de la tourelle du Grand Orgue. Comme de nombreux autres instruments de l'époque, les orgues de l'église Saint-Jacques étaient pourvues à l'origine de volets peints, qui ont disparu probablement avec les transformations de l'orgue par Clerinx. Un dessin du peintre espagnol Genara Perez Villaamil exécuté vers 1843 en donne cependant un aperçu global. Les volets épousaient le relief des buffets tant dans leurs parties plates qu'arrondies. La majeure partie du temps, ils étaient sans doute ouverts. L’orgue et les volets se déployaient donc pratiquement sur toute la largeur de la nef. Mais l'ouverture à 180° n'était cependant pas possible vu la faible profondeur du buffet et la butée de l'angle supérieur des volets contre les nervures de la voûte. L'ouverture maximale limitée favorisait la réverbération du son et permettait une meilleure lisibilité des peintures des panneaux concaves.

En outre, si on suppose le même angle d'ouverture pour les volets du Positif, les parties correspondantes aux platefaces s'alignent sur le bord extérieur du socle du Grand Orgue, alors que le bord extérieur correspond au centre des tourelles du grand corps. Poussée dans de tels détails, la conception intègre toutes les composantes de l'ensemble - architecture-orgue - dans une cohérence parfaite.

Une telle maîtrise de son auteur resté anonyme, force respect et admiration.

TABLE DES MESURES

GO = Grand-Orgue

RP = Ruckpositiv (positif de dos)

Pied
Carolingien
(28,4 cm)
Calcul
théorique
Mesuré Ajustement
en %
Cote
Largeur GO sans débordement corniche 20' 568 569 0,2
Largeur RP 9' 255,6 257,9 0,8
Largeur RP avec corniche débordante 10' 284 285 0,4
Hauteur sol -> corniche centrale milieu socle GO 40' 1136 1139,5 0,3
Largeur tourelle centrale RP avec les 2 montants 3' 85,2 84,2 1,2
Hauteur totale nef 80' 2272 2285,5 0,6
Hauteur GO 45' 1278 1281,5 0,3

Pied
St Lambert
(29,2 cm)
Calcul
théorique
Mesuré Ajustement
en %
Cote
Hauteur totale GO 44' 1283,9 1281,5 0,2
Hauteur tourelle centrale GO 20' 583,6 581 0,4
Hauteur tourelle centrale avec corniche inférieure 22' 642,4 637 0,8
Largeur socle GO 15' 437,7 438 0,1
Hauteur socle --> corniche médiane 6' 175,1 174 0,6
Largeur tourelle centrale GO + 2/2 largeur montants 4' 116,7 116,5 0,2
Hauteur totale RP avec culot -> toit tourelle centrale
= 1/4 hauteur totale GO
1/2 hauteur tourelle centrale GO
11' 321 320 0,3
Hauteur RP sans culot 9,5' 277,4 277 0,1
Distance entre pointes de diamant ext. du socle
= distance entre pointes des ogives des portes vers le narthex
= M de base
= distance mur ext. -> bord ext. socle GO
= bord ext. socle GO bord pos. de dos dans toute sa largeur
12' 351 348 0,8 b1
Hauteur RP sans culot: frise GO comprise 15' 438 440 0,4 c


LES FACTEURS D’ORGUE DE SAINT JACQUES

1600 Anonyme
1669 André Séverin
1816 Arnold Graindorge
1854 Arnold Clerinx
1888 Charles Anneessens
1993 Guido Schumacher

LES ORGANISTES DE SAINT JACQUES

? -1894 Gaston Dethier
1894-1909 Joseph Jongen
1898-1908 Léon Jongen (co-titulaire)
1909-1942 Lucien Mawet
1942-? Pierre Froidebise
1949-1978 Albert Haumont
1979-1985 Christian Croufer
1986 Pierre Thimus

QUELQUES INDICATIONS

L'orgue de Saint-Jacques comporte 35 jeux répartis sur 3 claviers et pédalier. Au total, il abrite 2578 tuyaux. Il a fallu près de 16 m3 de chêne massif pour la réalisation de toutes les boiseries. La restauration a nécessité près de 14.000 heures de travail, de février 1993 à juin 1998, par une équipe spécialisée de facteurs d'orgues, d'ébénistes sculpteurs, de mécaniciens et de tuyautiers.

Facteurs d'orgues Manufacture d'orgues Schumacher de Baelen
Maitre d'ouvrage La Ville de Liège
Surveillant des travaux Pierre Thimus
Technicien-conseil Koos van de Linde
Polychromies Jacques et Hugues Folville
La Manufacture d'orgues
Schumacher de Baelen
Luc André, Walter Becker, Manfred Croe, Francis Doudelet, Marc Garsou, Pascal Herzet, Pierre Maréchal, Daniel Packb*ier, Hadrien Paulus, Roger Schmuck, Ferdi Simon, Geoffroy Schoonbroodt, Fatima Makkaoui et Guido Schumacher.
Tuyaux en métal Alex Belmans et Ernst Lösewitz
Tuyaux de façade et Untersatz Fa Bier

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