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Edifices civils de Liège - la Violette

Façade de la Violette dans le manuscrit d'Abry
partie des pages supprimées dans la publication de Loyens

par Louis ABRY


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Extrait de l'étude de cette facade dans Histoire de la Maison de la cité de J. Demarteau, Chapitre 3, § 1.


Ce dessin, jusqu'aujourd'hui connu de quelques initiés seulement, nous représente, en effet, tel qu'il fut dans ses grandes lignes et principaux détails, l'édifice de la Violette pendant les deux siècles qu'il dura, de 1497 à 1691, et ce simple croquis authentique jette, on s'en convaincra aisément, un jour tout nouveau sur un coin important de l'histoire de la Cité liégeoise, généralement ignoré.

Quant au texte, avant toute remarque, le voici intégralement:

« Comme la beauté d'une ville consiste aux édifices, ainsi le magistrat songea de pourvoir à un fonds pour le rétablissement de la Maison de Ville; elle était ruinée et le pont de bois qui se communiquait d'icelle au consistoire des eschevins nommé à le Destùr vis-à-vis d'icelle, déplaisait à merveille, parce que Guy de Brimeux-Humbercourt l'avait fait dressé pour son plaisir l'an 1466 qu'il possédait en Liege comme substitué du duc de Bourgogne, pour dompter également les Maîtres et les Eschevins. »

L'an 1497, ils eurent l'honneur de la mettre en état de service comme on la voit aujourd'hui; ce bâtiment fut considéré pour un des plus beaux des pays d'alentour, tout irrégulier qu'il est par la voûte de sa salle haute, qui rompt la régularité du front.

Le dessous n'est pas méchant, encore bien qu'il est gothique.

Son sommet est haussé d'une bannière de fer à l'aigle éployée et dans son timpan pointu la même aigle notablement plus grande y est dorée.

Les écussons de l'empire et de l'évêque de Horn suivent immédiatement; les écussons de Liége, Tongres, Maestricht, Huy et Dinant y sont posés un peu plus bas, qui sont suivis des autres comme ils sont rangés ci-dessus.

Plus bas que les fenêtres de la salle, on y voit aussi les blasons des trente-deux métiers disposés selon leur plus ancien usage; cette rangée est toute en largeur, soutenue de six consoles de cinq à six pieds hautes, sculptures chacune: la première des armes du pape Alexandre VI de, la maison des Borgia, espagnols de Valence, de l'empereur Maximilien, de l'évêque de Horn, de la ville de Liége et des dits bourgmestres de Warfusée et de Huy; tout ceci fut reluminé et doré plus curieusement que devant.

L'an 1568, du temps Jean de Streel et Pierre Bex, alors bourgmestres, la voûte même de la salle haute était ornée des armes ou écussons de tous les royaumes joints à la maison d'Autriche. C'est ce que l'on voit encore aujourd'hui avec des lambrissements de bois portant les écussons des trente-deux métiers, des quatre chanceliers et des divers couples de bourgmestres qui les ont fait faire de temps en temps.

Le balcon de cuivre est une addition de l'an 1609 par les bourgmestres Jean de Merlemont et Hubert de Loen; c'est aussi le plus beau de tout et ce qui le relève; il est couvert d'un toit de plomb souporté de deux colonnes aussi de cuivre adossées des images de Notre-Dame et Saint­Lambert. Les piédestaux portent leurs dits blasons et les pilastres de dessous qui forment l'entrée de la cave d'icelle.

Leurs successeurs firent aussi renouveler les vitres de l'arcade de la salle du côté du marché, comme on voit par leurs blasons rangés sous ceux du prince Ernest de Bavière, de Liége, de Bouillon, Franchimont et de Looz.

Tout le dessous est de pierre de taille jusque aux consoles, le reste est de bois. L'arc de la porte principale porte encore deux écussons de l'évêque de Horn coupés et au-dessus d'icelle, on voit un tableau avec les chronogrammes en vers.

Il y a aussi des blasons de divers bourgmestres qui ont été posés sus diverses réparations (lui serviront dans ce recueil), comme portes, lambris, chapelle, la cheminée, et autres. On a aussi divers tableaux aux armes des bourgmestres... »

Le manuscril Abry-Loyens (que M. Victor Henaux a mis obligeamment à notre disposition) renferme cette phrase significative, supprimée dans le Loyens imprimé, de même que le dessin: « L'auteur de ce présent recueil a tiré le frontispice de cet hôtel avant que le bombardement de 1691 ne l'eut, détruit. » Sauf certaines corrections de détail, le texte du dit manuscrit est conforme à celui du Recueil héraldique. Nous remarquons cependant dans ce manuscrit même la suppression d'une phrase finale: « Cette maison, achevée en 5 ou 6 ans, toute irrégulière qu'elle fut, ne laissa point d'être considérée comme un des plus magnifiques édifices de ce temps-là. »

Notre dessin, dont la vue constitue une intéressante révélation pour nous tous qui cherchions inutilement à nous faire jusqu'ici une idée exacte de l'ancienne Maison communale, occupe presque une page entière de l'in­folio, et il a été enlevé très lestement par Abry, homme, exercé, ainsi qu'on sait. Il est tracé à l'encre; le balcon de cuivre de l'escalier et les statues de Saint-Lambert et de la Vierge, patrons de la ville, sont enluminés de jaune. Les fenêtres de l'étage étaient autant de verrières armoriées; des inscriptions indiquent sur les vitres de la salle ronde les armes de Franchirnont, Liège, Ernest de Bavière, Bouillon, Looz (5 ); Trouillet, Woot, Chockier, Trappé, Werteau, Beeckman, Franck (7); Saunier, Dans, Méan, Trouillet, Blisia, Merlemont, Liverloo (7), à gauche de la fenêtre ronde, des bonnes villes: Beeringen, Peer, Brée, Visé (4); à droite, Bilsen, Stockem, Maeseyck, Verviers (4).

Au second étage, des deux côtés de l'aigle impériale, est inscrit ce distique, qui implique, dans des termes moins forcés que ceux transcrits plus haut, la suzeraineté impériale

Nos teget alarum, Jovis armiger, umbra tuarum

Sub quibus instabit nullus ab hoste timor.

En-dessous viennent les écussons d'autres bonnes villes du pays: Bouillon, Franchimont, Looz, Homes (4); Dinant, Tongues, Liége, Trecht, Huy (5); Waremme, Fosses, Thuin, Couvin, Ciney, StTrond, Châtelet, Looz, Hasselt, Herck (10).

Il est inutile de remarquer l'importance publique du blason; la mémoire historique avait pris cette forme expressive, et le monument communal lui emprunte sa parole. L'ancienne Violette n'était qu'un blason; sur la place du Marché, elle était comme le Miroir, pour employer un terme de Hemricourt, où se reflétait tout entière l'organisation politique et civile du pays. La commune emprunte les formes extérieures du pouvoir souverain, les armes du pape, de l'évêque, avec l'aigle du Saint-Empire. L'état clerc liégeois n'est pas représenté; l'état noble ne figure qu'en suite de l'investiture populaire donnée aux magistrats, et la série des écussons des bonnes villes fait revivre l'ancienne union des communes.

Qu'on ne s'étonne point trop de cette fenêtre ronde, dont l'effet en façade, à côté d'une fenêtre carrée et de date postérieure peut-être, est assez singulier. Nous devons penser que le plancher intérieur derrière ce cintre se trouve bien en-dessous de la base extérieure de la fenêtre même. La Violette avait là pour pièce principale une de ces salles à voûte ronde, toute en boiseries enluminées, qui étaient un des ornements les plus prisés des anciens édifices, de ceux qu'on s'est ingénié, quand on l'a pu tenter de nos jours, à restaurer dans divers monuments du meilleur style.

Au-dessus du toit, à gauche et à droite, sont inscrites ces deux dates: 1493-1497.

L'ensemble se compose: d'un rez-de-chaussée avec grand escalier et palier extérieur, en-dessous duquel est une cave; d'un premier étage en encorbellement et d'un second étage à fronton triangulaire. Ce sont là les dispositions générales de notre Hôtel-de-Ville d'aujourd'hui, qui a succédé à l'ancienne Violette. Malgré de notables changements, la tradition a été en général conservée, et celle-ci remonte loin.

La Violette, maison centrale des Métiers, était construite à l'instar des habitations bourgeoises où les métiers eux­mêmes avaient leur Chambre. La grande salle du Conseil reposait au premier étage sur un encorbellement; cette saillie, propre à nos anciennes constructions, était dite sèieûte ou sèeute, (du verbe. sâii ou sèii, salire, sauter ou saillir). Une chambre de métiers occupait aussi généralement un premier étage, au-dessus de la sèieûte; le Conseil de la Cité tenait de même, à cette place de la Violette, sa sieulte (sèute, siete ou siiète, du verbe sedere, seoir, qui a donné seance) , autrement dit ses assises ou délibérations. L'usage a fait rencontrer dans une même place et sous une forme presqu'identique deux mots d'une origine différente.

Que ces étages de bois sur encorbellement au-dessus d'un rez-de-chaussée en pierre de taille aient duré du temps de l'époux de Marie de Bourgogne jusqu'à celui du marquis de Boufflers, de 1497 à 1691, d'un désastre à un autre désastre, cela s'explique encore quand on songe à la résistance de ces anciennes charpentes de chêne taillées à vive arête, savamment entrecroisées, mortaisées solidement dans le coeur du bois et bien couvertes d'ailleurs.

Généralement, on trouve à la fin des actes de la Cité la mention faite du Conseil tenu en la salle haute de la Violette. Qu'on nous permette de rappeler le sens du mot: haut ne se disant pas seulement pour marquer l'étendue du bas vers un point élevé, désigne aussi ce qui est placé au­dessus relativement à d'autres parties. Une chambre haute, dans l'ancienne langue, classique ou populaire, est une chambre sise à l'étage, et c'est dans ce sens que l'expression est, par exemple, employée au XVII siècle par Boileau ou Scarron. La salle haute de la Violette était cette même salle ronde dout on voit la fenêtre sur le dessin. Il y avait aussi une salle basse.

Le perron de l'escalier avançait plus que la sèieute de l'étage. C'était, celui-là, un signe de puissance comme de juridiction; les châteaux avaient leur perron, où, au moyen­âge, le suzerain recevait ses vassaux; la Maison de la Cité voulut donc avoir son perron. Elle eut le sien comme généralement les hôtels-de-ville, et de cette haute plate-forme architecturale, on proclamait les volontés du gouvernement populaire. Enlever à une Maison de Cité son perron, c'était la priver de ses droits, comme il arriva effectivement en d'autres villes, à la suite d'une rébellion ouverte, puis comprimée.

L'intérieur même de l'ancien édifice était orné, autant que la façade, de blasons de toute sorte. Les Magistrats qui se succédaient, deux par an, tenaient à honneur de laisser un souvenir durable de leur séjour à la Violette, en y apportant un embellissement ou en la réparant sur quelque point. Cheminée, balustrade, porte, corridor, rien n'y était établi sans porter les blasons couplés du Magistrat sous une inscription, généralement en vers latins, indiquant en même temps la date au moyen du chronogramme. Ce genre était à la mode dans une principauté ecclésiastique. Mais généralement la phrase est compliquée par les besoins du mètre, les mots sont employés dans un sens détourné en vue de lettres servant de chiffres, si bien que, détachées de leur objet, comme le sont quelques inscriptions conservées, celles-ci n'ont plus qu'une signification banale ou bien n'arrivent plus qu'à n'être pas intraduisibles.

L'édifice, dans le cours de sa longue existence, a-t-il subi des transformations très notables? Aucun texte, à notre connaissance, ne l'indique, et l'on ne manquerait sans doute pas de renseignements écrits, alors qu'il n'est, pour ainsi dire, pas de chronique manuscrite liégeoise qui ne porte la date première de la construction: « En 1498 fut faite et dressée la Maison de Ville qu'on appelle la Violette. »

La question la plus curieuse que soulève, la vue du dessin d'Abrv est celle qui concerne le soubassement. Celui-ci, en pierre de taille et avec ses belles fenêtres de style gothique, serait-il un reste du monument antérieur, de celui-là qui fut construit vers 1394, et démoli après le sac de la ville? On aimerait à retrouver ainsi une partie importante du principal de nos monuments civils datant de la fin du XIVe siècle, antérieur à la dévastation de 1468, comme à l'édification de 1497.

Il conste que la Violette, saccagée, atteinte même, mais partiellement par l'incendie qui dévora les maisons particulières d'alentour, était encore debout au départ de Charles le Hardi, puis de son lieutenant Humbercourt. Elle allait à sa ruine, mais supportait encore le pont des Bourguignons.

Sans doute, c'est la base d'un édifice qui présente, la dernière et le mieux, les qualités de solidité requise; a-t-on pu garder et utiliser celle-là en un temps où les ressources pécuniaires étaient des plus rares ? Examinons ce point.

La reconstruction de la Violette nouvelle a duré longtemps. Abry, comme Loyens, synthétisant, ramènent les travaux, tant du commencement que de la fin, aux années 1493 et 1497; mais ils y sont entraînés par la répétition des mêmes magistratures: Raes de Warfusée et Gilles de Huy, collègues à ces deux dates, en ont l'honneur tout entier.

WARFVSÉ AVEC HVY EN SINQVE ANNÉES INCLVES M'ONT ACHEVÉS ICY, est-il dit au-dessus du dessin du manuscrit de Warfuzée. II s'agit sans doute des travaux les plus importants, et l'on doit croire que l'édification a été poursuivie pendant l'intervalle; de même aussi ils ont été commencés beaucoup plus tôt. Le texte du Chronicon Leodiense cité plus haut précise: Au mois de mars, dit-il, de l'an 1480, on commença à jeter les fondements (fundari) de la Violette. Voilà 17 années bien comptées, et l'on a eu certes le temps de tailler, par exemple, ces jolies fenêtres du rez-de-chaussée qui ressemblent à celles de l'ancien Hôtel-de-Ville de Maestricht. Le terme fundari est significatif, et l'on doit croire qu'il a été employé à dessein. Enfin, dernier et, meilleur argument, la Cité entendit reconstruire la Violette dans de plus grandes dimensions, et elle demanda, en 1480 encore, au Métier des Tanneurs, dont la Halle était contiguë, qu'ils voulussent bien lui céder 15 pieds et demi de terrain: ce qui fut fait, en échange du même espace repris sur la Mangonie, sise plus loin et voisine.

Si c'est à la façade que l'ancien monument, très symétrique, gagne cet espace, on pourra justement en inférer que la façade tout entière a été refaite à nouveau.

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