SAINT MARCELLIN, prêtre et PIERRE, exorciste et leurs compagnons martyrs (304).
Fête le 2 juin
Dioclétien, devenu seul maître de l'empire voulu se décharger d'un fardeau trop lourd en s'associant à un collègue. Le 1er avril 286, il revêtait de la dignité d'auguste le Panonnien M. Aurelius Maximianus. Officier de fortune comme Dioclétien, et comme lui sans naissance, sans éducation ni lettres, Maximiens, surnommé Hercule, avait de plus que lui l'activité militaire et l'énergie du commandement. Mais de grands vices jettent une ombre sur ces qualités: licencieux jusqu'à la débauche, avare et dissipateur tout ensemble, il était naturellement cruel et prenait plaisir à verser le sang. Lorsque l'édit de persécution générale (303) eut été lancé par Dioclétien et Galère, Maximien Hercule s'empressa de le mettre à exécution dans ses états, et particulièrement en Italie.
Au mois d'Avril 304, Hercule était à Rome. Une réunion du Sénat eut lieu le 22 au Capitole. L'empereur s'adressant aux Pères conscrits, soumis à leur ratification l'ordonnance suivante: "Je permet que dans tous les lieux où seront trouvés des chrétiens, ils soient arrêtés par le préfet de la ville ou par ses officiers, et obligés de sacrifier aux dieux." Les sénateurs se séparèrent en répétant:"Sois victorieux, Auguste ! Auguste ! Puisses tu vivre avec les dieux !" acclamations que la foule, assemblée au dehors, repris avec enthousiasme.
Ainsi fut promulgué à Rome, par autorité de l'Auguste qui régnait en Occident, l'édit imposé en Orient par Galère à la faiblesse de Dioclétien. C'est durant cette persécution que devaient mourir les Saints Marcellin et Pierre. Le premier était prêtre, le second exorciste. L'exorciste avait pour mission spéciale de délivrer les possédés, et, au moment du baptême, il prononçait sur les catéchumènes les formules des exorcismes. Il est intéressant de noter que le plus ancien exorciste dont il soit fait mention dans l'histoire est précisément notre martyr.
Les deux serviteurs de Dieu furent jetés dans une prison obscure et chargés de chaînes dont le poids énorme les contraignait à une complète immobilité. Or, le gardien de la prison nommé Arthémius, avait une fille unique, vierge, qui portait le nom de Pauline, et qu'il aimait beaucoup, mais elle était possédée du démon. Comme il se lamentait journellement de ce malheur, l'exorciste Pierre lui dit: " Ecoute mes conseils, Arthémius, et croit au fils unique du Dieu vivant, le Seigneur Jésus-Christ, qui est le libérateur de tous ceux qui croient en lui; si tu crois sincèrement, ta fille sera bientôt délivrée".
"J'admire ta sagesse répondit Arthémius, ton Dieu ne peut te délivrer bien que tu croies en lui et que chaque jour tu sois couvert de plaies et chargé de chaînes pour son nom; comment pourrait il délivrer ma fille si je crois en lui ?"
"Mon Seigneur est assez puissant pour me délivrer de ces chaînes et de toutes sortes de tourments, mais il ne veut pas me priver de ma couronne; il veut au contraire que je parvienne ainsi à la gloire éternelle".
"Si tu veux que je croie en ton Dieu, je vais aujourd'hui même te lier avec des chaînes plus lourdes, te renfermer seul dans le lieu le plus obscur de la prison dont je fortifierai toutes les issues, et si, après cela, ton Dieu te délivre, alors je croirai en lui; ce que je ne ferai toutefois qu'après avoir constaté la délivrance de ma fille".
"La faiblesse de ta foi pourra être guérie si tu fais ce que tu viens de dire".
"Oui, je croirai en lui s'il te délivre de tes liens".
"Va dans ta maison et prépare-moi un logement, car sans que tu m'ouvres la porte de la prison, sans que tu m'ôtes ces chaînes ni que tu diriges mes pas, j'irais te trouver chez toi au nom de mon Seigneur Jésus-Christ; si alors tu crois, ta fille sera sauvée. Et cela arrivera ainsi, non point pour satisfaire tes idées un peu capricieuses, mais pour attester la divinité de mon Seigneur Jésus-Christ".
Arthémius, branlant la tête, dit en lui-même: "Cet homme-là parle comme un fou; ce qu'il faut sans doute attribuer aux souffrances qu'il a endurées". Puis il se retira.
De retour dans sa maison, le gardien se mit à raconter à sa femme, nommée Candide, tout ce qui venait de se passer dans la prison. A quoi Candide lui dit: " J'admire comment tu appelle insensé celui qui te promet la santé et comment tu te moques de la sincérité d'un homme qui assure pouvoir procurer la délivrance de notre fille. A-t-il fixé un terme bien long ?"
"C'est aujourd'hui même qu'il prétend venir".
"S'il le fait réellement, qui pourrait, après cela, douter que le Christ en qui il croit ne soit le vrai Dieu ?"
"Comme tu es folle, toi aussi ! Quand les dieux eux-mêmes descendraient du ciel, ils ne sauraient le délivrer: Jupiter en personne n'aurait pas le pouvoir de le tirer de là".
"C'est en quoi le Dieu de homme sera plus glorifié; et certainement, il faudra bien croire en lui s'il fait ce que Jupiter lui-même ne pourrait faire".
Comme ils parlaient ainsi, après le coucher du soleil, et lorsque déjà la sombre nuit laissait scintiller les étoiles au firmament, soudain l'homme de Dieu, Pierre, se présente devant Arthémius et Candide, couvert de vêtements blancs et portant à la main le signe triomphal de la croix. Dès qu'ils l'aperçurent, ils se jetèrent à ses pieds et s'écrièrent:
"Véritablement il n'y a qu'un Dieu, et Jésus-Christ est vraiment le Seigneur".
Au même moment, leur fille, la vierge Pauline, confessa le Seigneur et, se jetant aux pieds de l'homme de Dieu, elle fut délivrée.
Le démon criait dans l'air en s'enfuyant: "La vertu du Christ qui est en toi, ô Pierre, me chasse et m'éloigne du corps virginal de Pauline".
A la vue d'un tel prodige, tous ceux qui étaient dans la maison d'Arthémius crurent en Dieu et furent baptisés.
La nouvelle de ces événements se répandit aussitôt dans le voisinage et chacun accourut à la maison d'Arthémius, en sorte que, dans l'assemblée, on compta plus de trois cents hommes; quand aux femmes, elles étaient plus nombreuses encore. Toute cette multitude criait à l'envi:
"Il n'y a point d'autre Dieu tout-puissant que le Christ".
Comme ces personnes désiraient toutes se faire chrétiennes, l'exorciste Pierre alla trouver le prêtre Marcellin et l'amena au logis d'Arthémius. Quand ils furent suffisamment instruits dans la foi, Marcellin leur conféra le baptême.
Sur ces entrefaites, Arthémius se rendit près des autres prisonniers dont il avait la garde et leur dit:
"Si quelqu'un d'entre vous veut croire au Christ, qu'il laisse là ses chaînes et qu'il vienne dans ma maison pour embrasser la vie chrétienne".
Tous les prisonniers le suivirent avec joie et furent baptisés par le prêtre Marcellin.
A la même époque, le juge Sérénus tomba malade, ce qui donna loisir aux nouveaux baptisés de s'affermir dans la foi, durant plus de quarante jours, grâce aux instructions qu'ils recevaient de Pierre et de Marcellin.
Lorsqu'il fut rétabli, Sérénus envoya dire à Arthémius de se tenir prêt, la nuit suivante, avec les personnes qui étaient détenues dans sa prison.
A la réception de se message, le geôlier dit à ses prisonniers:
"Que ceux qui veulent venir au martyre viennent avec intrépidité; quant aux autres, qu'ils se retirent librement où ils voudront".
Le jour suivant, dès le chant du coq, Sérénus s'assit sur son tribunal et donna l'ordre d'introduire les personnes qui devaient être interrogées.
Arthémius se présenta d'abord et dit:
"Pierre l'exorciste des chrétiens, que tu avais laissé à demi-mort après l'avoir fait battre de verges, a brisé les liens de tous les prisonniers au nom de son Dieu, et leur a ouvert les portes de la prison; puis après en avoir fait autant de chrétiens, il leur a donné la liberté. Quant à lui-même et au prêtre Marcellin, ils n'ont pas usé de la même faculté, et toutes les fois que j'ai voulu réintégrer Pierre et Marcellin dans leur prison, ils ne m'ont opposé aucune résistance".
Ce discours alluma la colère du juge Sérénus; il se fit alors amener les deux coupables: Pierre et Marcellin.
"Les bourreaux, leur dit-il, vous tourmenteraient moins cruellement si vous renonciez à votre religion, mais voici que j'apprend que vous avez fait sortir de la prison des gens nuisibles et criminels".
"Un criminel, répondit Marcellin, demeure dans son crime aussi longtemps qu'il ne croit pas à Jésus-Christ; mais dès qu'il a reçu la foi, après qu'il a été purifié de toutes ses fautes, il devient le fils du Dieu souverain".
Comme le prêtre Marcellin lui tenait ce discours et d'autres semblables, le juge le fit battre à coups de poing; puis il ordonna de le séparer de Pierre, de le renfermer nu et enchaîné en un lieu couvert de fragments de vases de verre et de lui refuser l'eau et la lumière.
Pierre, l'exorciste, se tournant vers Sérénus lui dit:
"Quoique tu sois serein de ton nom, tes actions te rendent tout nuageux et ténébreux, aussi tu seras condamné à un supplice sans fin et à des larmes éternelles".
Le juge commanda alors aux soldats de reconduire Pierre dans les chaînes et de lui mettre aux pieds des entraves très serrées.
Tandis que les martyrs étaient dans deux cellules séparées, que le prêtre Marcellin gisait étendu sur un tas de verres brisés et que Pierre était chargé de chaînes et les pieds dans des ceps, un ange du Seigneur apparut à Marcellin, qui était alors en prière, le revêtit de ses habits et lui dit: "Suis-moi".
Marcellin se leva aussitôt et entra avec lui au lieu où Pierre était détenu, et l'ange, l'ayant délié, dit aux deux martyrs: "Suivez-moi".
Ils arrivèrent ainsi dans la maison ou s'étaient réunis pour prier tous ceux qui avaient reçu le baptême. L'ange leur dit alors de les raffermir dans la foi pendant sept jours et après ce temps d'aller se présenter au juge Sérénus.
Le lendemain de l'emprisonnement des martyrs, les satellites s'étant présentés à la prison, ils n'y trouvèrent ni Pierre ni Marcellin. Le juge en étant informé, envoya chercher Arthémius ainsi que son épouse et sa fille. Il voulut alors les contraindre de sacrifier aux dieux, mais tous trois répondirent:
"Nous confessons le seigneur Jésus-Christ et rien au monde ne pourra nous forcer à nous souiller par les rites des sacrifices".
Sérénus, voyant leur constance, donna l'ordre de les conduire sur la voie Aurélienne et là, de les enterrer sous un tas de décombres. Comme ils se dirigeaient vers ce lieu, tous les chrétiens qui s'y trouvaient vinrent au devant d'eux: les satellites apercevant cette grande multitude eurent peur et prirent la fuite. Les plus jeunes chrétiens se mirent à leur poursuite et les exhortèrent d'embrasser la foi chrétienne. Sur leur refus, le peuple les retint jusqu'à ce que le prêtre Marcellin eut célébré la messe dans la crypte même où ils devaient subir la mort. Quand le sacrifice fut achevé, tout le peuple se retira. Marcellin dit alors aux satellites:
"Vous voyez qu'il n'a dépendu que de nous de vous faire un mauvais sort, mais nous ne l'avons pas voulu, nous pouvions aussi vous enlever Arthémius avec son épouse et sa fille, nous ne nous le sommes pas permis; nous même nous pouvions ensuite échapper, et Dieu semblait favoriser notre fuite; nous avons négligé cette facile occasion. Que dites-vous de cela ?"
Les satellites, exaspérés par tous ces contretemps, frappèrent Arthémius de leur glaive, puis ils précipitèrent Candide et Pauline par la pente de la crypte et les accablèrent de pierres. Saisissant ensuite le prêtre Marcellin et l'exorciste Pierre, ils leur lièrent les mains derrière le dos et les attachèrent à un arbre; quelques uns d'entre eux restèrent pour les garder, tandis que d'autres allaient trouver Sérénus.
Le magistrat, ayant été informé de tout ce qui s'était passé donna l'ordre de conduire Marcellin et Pierre en un lieu appelé la "Foret Noire" et de les y décapiter.
Lorsqu'on fut arrivé au milieu de la foret, Pierre et Marcellin arrachèrent de leur propres mains les ronces qui jonchaient le terrain, puis, s'y étant mis en prière, ils se donnèrent le baiser de paix et reçurent le coupe de la mort. Ceux qui les avaient décapités attestèrent qu'ils ont vu leurs âmes sortir de leur corps, comme de blanches vierges, ornées d'or et de pierreries et vêtues de robes écarlates; ils avaient vu en même temps des anges qui les soulevaient et les emportaient toutes joyeuses dans les cieux.
A la même époque, vivaient deux femmes chrétiennes, nommées Lucile et Firmine; elles étaient apparentées du martyr Tiburce. L'amour et la vénération qu'elles avaient pour lui ne leur permettaient pas de quitter le tombeau; elles avaient même construit un petit édifice où elles passaient les jours et les nuits.
Un jour, saint Tiburce leur apparut, accompagné de nos deux saints martyrs Marcellin et Pierre, et les instruisit de ce qu'elles devaient faire pour enlever leur corps de la Foret Noire et les placer près du sien dans la partie inférieure de la crypte; ce qu'elles exécutèrent ponctuellement, aidées de deux acolytes de l'Eglise de Rome.
Le Pape Saint Damase a composé pour leur tombeau une inscription en vers dans laquelle il rapporte, d'après la confession du bourreau lui-même les circonstances de leur martyre.
"Marcellin, Pierre, écoutez le récit de votre triomphe.
"Quand j'étais enfant, le bourreau m'a raconté, à moi Damase,
"Que le persécuteur, furieux, avait donné l'ordre
"De vous trancher la tête au milieu des broussailles,
"Afin que personne ne pût retrouver votre sépulture.
"Joyeux, vous avez préparé celle-ci de vos propres mains.
"Après que vous eûtes pendant quelques temps reposé dans une blanche tombe,
"Vous fîtes savoir ensuite à Lucile
"Qu'il vous plairait d'avoir vos très saints corps enterrés ici.
Ces deux confesseurs de la foi furent si célèbres à Rome qu'ils sont inscrits parmi le nombre de martyrs nommés au Canon de la Messe.
La crypte des Saints Marcellin et Pierre, qui fait partie de la catacombe "ad duos lauros" (aux deux lauriers), située à trois milles de Rome, sur la voie Labicane, a été découverte par M. Stevenson, lors des travaux faits dans la catacombe de 1895 à 1897. Un escalier y conduisait. Près de la chambre, un antique pèlerin avait tracé une inscription en leur honneur. La chambre est vaste et a été taillée dans le stuc, de manière à recevoir de nombreux visiteurs.
Les deux tombes qui s'y trouvent ont contenu le corps des martyrs que, par un sentiment de respect, on n'avait pas voulu transporter dans une sépulture plus monumentale; on s'est contenté de décorer sur place les humbles "loculi" de pilastres et de marbres.
Au dessus de la catacombe elle-même, une basilique fut construite par Constantin en l'honneur des Saints Marcellin et Pierre. Il y fit inhumer sa mère, Sainte Hélène, dans un magnifique sarcophage en porphyre, qui se trouve actuellement au musée du Vatican.
Après les incursions barbares, ce sanctuaire était tombé en ruine, le Pape Urbain VIII le fit restaurer en 1632 et le confia au Chapitre de Saint Jean de Latran.
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