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Le village de Chokier

La ferme d'Othet les Bois du Couvent d'Aywieres

par René GENTES

La ferme d'Othet les Bois - Chokier - Flemalle
La ferme d'Othet les Bois

Le couvent cistercien d'Awirs Notre-Dame

S'il est un aspect de notre histoire locale souvent sujet a caution c'est bien ce couvent cistercien de femmes, fondé au début du XIIIe siècle sur le territoire de la seigneurie d'Awirs.

St la plupart des historiens sont d'accord sur le fait, aucun n'est jamais arrivé à situer avec précision l'emplacement de ce couvent, se limitant toujours à la formule laconique "... fut fondé près de Liège, au village des Awirs où il prit le nom d'Aywières ".

S'il est vrai qu'au plan architectural ce couvent n'a guère laissé de souvenir concret il faut bien convenir qu'au plan anecdotique la tradition orale a tissé autour de l'évènement une véritable toile de mystère émaillée de vestiges imaginaires

Nombreux sont les anciens (et les nouveaux) habitants d'Awirs persuadés d'habiter dans de vieilles demeures qui sont les vestiges de ce couvent, à moins qu'ils n'aient un jour découvert dans leurs jardins ou prairies quelques vieilles briques " qui sont des ruines du couvent ".

Certains anciens notables du village, maintenant disparus, ont ainsi répandus l'idée qu'ils habitaient dans ce qui fut jadis le couvent lui-même (rien de moins) ajoutant même que leur habitation actuelle était construite sur les caves de l'antique édifice.

C'est un peu pour démystifier cette "phobie du couvent" que j'ai entrepris, dès 1965, des recherches plus sérieuses sur le sujet, ce qui m'a autorisé a des conclusions qui, si elles ne sont pas exhaustives, éclairent quand même d'une manière plus tangible un sujet tellement mal traité par certains qu'il pourrait faire naître chez d'autres des lubies aberrantes.

J'ai publié une première fois ces conclusions dans le tome XXIV du bulletin des Chercheurs de la Wallonie, année 1977 - 1979, pages 203 à 211, mais comme cette publication ne s'adresse qu'aux membres de la dite société, peu de lecteurs ont eus la possibilité d'apprendre ce qu'il serait certainement pompeux de nommer l'histoire du couvent d'Awirs, mais qui constitue cependant, jusqu'à ce jour, la seule relation la plus proche de la vérité des faits qui ont émaillé la vie de ces religieuses d'Awirs et de leur maison sur le territoire de notre village.

Membre de la Commission de recherches de Flémalle, depuis l'année de la fusion des communes, en 1977, j'ai eu la possibilité, par l'intermédiaire de cette association, d'avoir accès à d'autres archives sur le sujet qui me permettent maintenant une publication plus complète qu'en 1979.

Avant d'aborder le vif du sujet, il est bon de signaler les divers endroits où le couvent en question aurait été construit, les plus souvent concernés sont: l'ancienne maison dite la Tourette qui a même été parfois nommée Tour des béguines - l'ancienne école de religieuses à la Basse-Awirs - le groupe de maisons en face de l'église - l'ancienne maison Gardedieu - une vieille bâtisse dans la rue des Béguines - la métairie du Thiers-Pays - la ferme d 'Othet.

Seule la ferme d'Othet est la plus proche des événements qui nous concernent ici, mais cependant, bien qu'ancienne propriété des religieuses, elle ne fut jamais un couvent, les autres situations sont purement imaginatives.



LA SEIGNEURIE

Pour mieux comprendre la suite du récit, il convient également de mieux connaître ce qu'était la seigneurie d'Awirs l'époque ou se sont déroulés ces événements.

Sous la tutelle des seigneurs d'Aigremont, cette seigneurie s'étendait depuis la Meuse, au Sud, jusqu'aux confins de Hozémont, au Nord, vers l'Ouest elle était limitée au territoire d'Engis et vers l'Est elle touchait a l'enclave de Stavelot qui la séparait de ce qui deviendrait plus tard le village de Chokier.

A cette époque (XIIIe siècle), le hameau de la Gleixhe n'existait pas, de même que le château et la seigneurie de Hautepenne qui n'apparaîtront qu'au XIVe siècle.

Il n'y avait aux Awirs que l'église St-Etienne, le château d'Aigremont (la ferme), deux ou trois moulins à eau, quelques maisons au hameau de Basse-Awirs et quelques autres réparties à la Haute-Awirs et sur les coteaux voisins.

Le nombre d'habitants était peu élevé et n'excédait sans doute pas plus de 100 unités s'occupant principalement de culture et d'élevage, la seule manifestation à caractère industrielle étant la meunerie.



L'ENCLAVE DE STAVELOT

Curieuse configuration topographique, représentée sur la reproduction de la carte de Ferraris ci-dessous par un trait gras, l'enclave de l'abbaye de Stavelot dans la principauté de Liège est née vers le IXe siècle et a cessé définitivement d'exister avec les fusions de communes en 1977. A la limite Est de cette enclave se trouve la ferme d'Othet dont la plus grande partie des terres sont situées dans l'enclave elle-même dont le centre est le hameau des Cahottes. Le premier morcellement de l'enclave eut lieu en 1895 par le rattachement de partie Sud au village de Chokier.

La vie, dans nos petits villages d'alors, était pénible pour les populations souvent soumises aux exactions de toutes sortes émanant autant des seigneurs locaux que de leurs voisins qui occupaient leurs nombreux loisirs en combats et sévices de toutes sortes, lesquels n'étaient préjudiciables qu'aux seules populations

C'est dans ce contexte troublé que prend naissance, dès le début du XIIIe siècle, ce que l'histoire nommera " le mouvement béguinal ", lequel fut déja amorcé dans le dernier quart du siècle précédent, vers 1165,sous l'impulsion de " femmes dévotes ".

Cette vocation fut provoquée par une rupture de l'équilibre démographique causée par le départ de nombreux hommes pour les croisades.

Aussi curieux que cela puisse paraître, par la faute de cette absence de partis avantageux, la plupart des filles " bien nées " ne trouvèrent plus a se fixer dans les mariages de leur convenance et décidèrent alors de se grouper afin d'aider leurs semblables souvent placées dans le dénuement le plus total pour les mêmes raisons.

Des femmes dévotes prirent le nom de béguines, cependant il convient de ne pas les confondre avec les religieuses, car la différence est essentielle.

Les béguines ne prononçaient pas de voeux les liant un ordre quelconque, elles s'engageaient simplement a promettre obéissance, pauvreté et chasteté pendant la période où elles séjournaient au sein du groupement, mais elles pouvaient à tout moment reprendre leur liberté et la vie ordinaire.

Elles n'appartinrent jamais à aucun ordre religieux et ne vécurent jamais cloitrées, elles créèrent cependant leur propre milieu, le béguinage, qui fut par la suite, dans quelques cas, érigé en paroisse indépendante.

Ce genre de vie les fit considérer longtemps comme des marginales dans ce XIIIe siècle qui fut celui des grands mouvements religieux qui donna le véritable départ à la fondation de nombreux couvents et abbayes assimilés à des ordres précis.

L'origine de ce mot béguine a souvent opposé les historiens et si certains le situe au pays de Liège où il serait né au XIIe siècle sous l'impulsion de ce prêtre nommé Lambert le Bègue, d'autres pensent que c'est à Andenne, sous la houlette de Ste-Begge, que sont apparues les premières béguines.

Certains pensent que c'est à Nivelles, grâce à Ste-Gertrude, soeur de Begge, qu'elles sont nées et quelques-uns évoquent l'étymologie du mot "albigeois" qui s'écrivait alors "al-bigensis" ou simplement "beggini" pour expliquer l'origine ce mot curieux.

Quoi qu'il en soit des diverses opinions qui n'apportent aucune réponse, toutes ces hypothèses prennent naissance aux environs du début du XIIe ou XIIIe siècle.

On peut donc considérer que le "mouvement béguinal" prit son essor vers le début du XIIe pour se développer chez nous au début du siècle suivant d'une manière plus concrète.

Des " femmes dévotes " existent déjà aux Awirs dès la moitié du XIIe siècle et en 1196 on retrouve les traces de donations que fit une dame Wilburge de Dinant, qui demeurait à Huy et qui céda " cens et rentes " aux " Dames d'Awirs ".

Ce genre de donation atteste que la communauté des femmes dévotes d'Awirs a déjà acquit, en cette fin du XIIe siècle, sinon une certaine importance du moins une évidente réputation.



LE SITE

Une réputation telle qu'au début du siècle suivant et plus précisément en l'an 1202, le seigneur d'Aigremont, Louis de Chiny, estime nécessaire de conforter un peu plus la situation de "ses" béguines et il leur confère quelques revenus, le droit de nommer le curé de la localité, la dot de l'église St-Etienne ainsi que l'assise du moulin voisin (le moulin banal de Fexhe, alias le moulin Londot).

De plus, il leur permet de déplacer la voie publique qui passe alors devant l'église ainsi que d'acquérir, dans le pourtour immédiat, des jardins, prés et maisons pour agrandir les lieux et leur donner le calme.

Voiçi donc posées les bases de ce qui pourrait devenir une abbaye mais qui n'est encore que les prémices d'un béguinage.

Le mouvement béguinal est amorcé et la même année on voit intervenir Hugues de Pierpont, évèque de Liège qui constate "... des religieuses sans abbesse, ni couvent jusque là, désirent occuper les biens que leur offre l'avoué Louis".

L'année suivante, en 1203, c'est l'évêque de Prénest, Guidon de Faray, qui gratifie à son tour les " monniales " qui, dit-il, " servent Dieu suivant la règle de St-Benoit ".

Pour la première fois un ordre est cité, la règle de St-Benoit est en effet la base de l'ordre bénédictin, lequel est né en l'an 534 pour être repris et modifié par St-Bernard en l'an 1115 et devenir ainsi, au départ de l'abbaye de Citeaux, l'ordre Cistercien.

Les béguines vont continuer leurs oeuvres sur la juridiction d'Aigremont et, en 1205, reçoivent à nouveau "18 bonniers de terres incultes et inutiles au lieu-dit Altéa, sur la juridiction de Mons".

Cette donation importante leur est faite par le chapitre de St-Lambert qui exige néanmoins qu'elles devront placer dans ces 18 bonniers de terres et de bois un " mensionnaire " qui payera un " cens " de 5 deniers par bonnier aux religieuses.

Ce lieu-dit " Altéa ", en latin, est la ferme d'Othet actuelle, mais à l'époque ces terres sont situées aux confins du village de Souxhon, lequel dépend de la seigneurie de Mons.

Le bien d'Othet est enclavé dans une portion de territoire qui appartient aux moines de l'abbaye de Stavelot, cette curieuse configuration remonte au IXe siècle et cette " enclave de Stavelot " fait partie de la seigneurie de Hozémont.

Le fait de déboiser pour rendre des terres à la culture était une des règles de l'ordre Bénédictin reprise plus tard par les Cisterciens et le domaine d'Othet-les-bois correspondait exactement à ces prescriptions puisque son nom primitif évoque une terre couverte de forêts.

Nous reviendrons plus tard sur la ferme d'Othet et le rôle important qu'elle va jouer au sein de la communauté d'Awirs, mais pour l'instant continuons d'examiner l'évolution du couvent.

En 1206 va survenir l'évènement le plus important, celui qui influencera toute l'évolution du couvent d'Awirs.

Les Dames d'Awirs sont maintenant bien dotées, elles possèdent la rente de l'église, celle du moulin de Fexhe, des terres et des bois, la protection de leur seigneur et de leur évêque. Il ne leur manque qu'une chose importante l'affectation à un ordre, car la gestion de telles prodigalités ne peut être laissée à de simples béguines.

Or pour accéder à un ordre il leur faut une abbesse, qui sera la " tête " de cette structure.

Hugues de Pierpont semblait déjà avoir bien prévu la chose, lui qui constatait, en 1202 que les dames en question vivaient " sans abbesse ni couvent " et qui, la même année, assistait à Tongres à la profession de foi d'une jeune religieuse flamande du nom de Leutgarde.

Ce fut donc lui, représenté par un prélat nommé Jean de Lierre, qui intervint auprès de Leutgarde pour décider de son orientation et l'amener vers les dames d'Awirs afin d'être leur abbesse.

Leutgarde étant cistercienne, Louis de Chiny adresse alors une supplique au pape Innocent III pour demander l'affectation à cet ordre de " son " couvent naissant et l'élection d'une religieuse ayant le titre d'abbesse.

Le pape accepte et en cette année 1206 arrive aux Awirs Lutgarde de Tongres, cistercienne flamande, qui devient ainsi la première abbesse du couvent.

Lutgarde à alors 24 ans et ne sait pas prononcer un mot de français, il est vrai que pendant ses quarante années de présence en terre romane elle ne sera même pas capable de demander du pain dans la langue du pays, ce qui ne l'empêcha pas de demeurer jusqu'à l'âge de 64 ans à la tête du couvent.

Nous reviendrons plus tard sur la vie de celle qui deviendra dans la suite Ste-Lutgarde, mais pour une bonne compréhension de la chronologie du couvent il vaut mieux continuer la suite des évènements.

A partir de 1206 on peut considérer que le couvent est fondé puisqu'il possède une abbesse et est affecté à un ordre, en l'occurrence, cistercien.

Mais les règles cisterciennes sont précises et logiques et un couvent de cet ordre ne peut s'établir au milieu d'une communauté, il doit être construit " à l'écart des hommes et de leur commerce, près de la rivière qui sera son miroir, dans la vallée qui est humble, là où il trouvera la pierre pour construire à l'abri du feu et le bois qu'il défrichera pour trouver des terres de culture ".

Cette règle est bien pensée et elle rassemble les éléments qui furent toujours la base de tout établissement des hommes: l'eau, source de vie, la pierre, élément de construction, le bois, second élément de construction, de chauffage et qui abrite un nombreux gibier, source de nourriture.

En conclusion, le centre du village, l'église St-Etienne et le moulin de Fexhe ne peuvent devenir le lieu d'érection du couvent et il faut choisir un endroit plus approprié.

Toutes les conditions sont réunies non loin de là, au bout du village, là où la nature est demeurée sauvage, où n'existe aucune habitation, ni château, ni église, ni moulin, seulement un immense marais entouré d'une épaisse végétation... la Gleixhe.

A cette époque le site ne porte pas de nom particulier, il est simplement la zone limite entre Awirs et Hôzémont, il dépend du seigneur d'Awirs mais ne présente pour ce dernier aucun intérêt à cause des conditions particulièrement pénibles qu'y impose la nature.

C'est précisément ces conditions que cherchent les cisterciens pour établir leur refuge.

La preuve écrite de la donation de cette terre aux religieuses n'a pas encore été retrouvée, mais il est vrai que les archives du début du XIIIe siècle sont rares et en ce qui concerne la fondation primitive de leur maison. Il est quasi certain que les religieuses auront toujours conservé ce document qui les aura accompagné dans leur périple suivant.

Comme la plus grande partie des archives du couvent est conservée aux dépots de la région de Bruxelles et du Brabant et que le reste a été détruit lors des diverses vicissitudes qu'a connu leur couvent, il est probable que ce document ait disparu comme grand nombre d'autres.

De toute manière il existe trop de présomptions sur le site de Gleixhe pour douter encore du lieu d'érection originel.

Nous développerons ces " présomptions " plus loin, mais comme nous touchons à la fin de l'existence des religieuses sur notre territoire, il convient mieux au récit de terminer ici ce chapitre.

Les religieuses ne vont plus demeurer longtemps aux Awirs et dès 1209 elles quittent définitivement cette terre où est né leur couvent pour aller s'établir dans le Brabant Wallon et plus précisément à Lillois tout d'abord, puis ensuite a Maransart dès 1215.

C'est dans cette vallée de la Lasne qu'elles vont alors construire leur vrai couvent, qu'elles nommeront AYWIERES en souvenir de son origine chez nous et qui va exister jusqu'à la révolution française.

Comme nous venons de le constater, si le couvent cistercien d'Awirs fut bien fondé sur notre sol au plan administratif et dans ses premiers émoluments, il n'y eut jamais de construction à proprement parler qui y fut réalisée, les religieuses n'eurent pas le temps, en trois années d'édifier un couvent dans le sens ou on le comprend généralement.

On ne peut cependant pas conclure en considérant que rien ne fut établi à Awirs et nous allons maintenant mieux considérer ce qui reste sur notre terroir de la présence des religieuses qui l'occupèrent quand même depuis 1196 jusqu'en 1209.



LA GLEIXHE

Nous avons observé plus haut qu'avant l'arrivée des religieuses l'endroit où existe maintenant le hameau de la Gleixhe n'était que la partie terminale du village, une sorte de lande marécageuse entourée de bois.

La première construction d'un couvent fut toujours son église et c'est autour d'elle que vont s'articuler tous les bâtiments conventuels.

D'après une tradition orale bien établie il y aurait eu, sur l'ilot central des étangs de Hautepenne, une " églisette ", une sorte de petit oratoire.

D'après les légendes antiques cette " églisette " aurait été construite par St-Materne ou St-Martin, vers l'an 250 de notre ère, alors que cet évêque évangélisateur venait d'être "chassé ignominieusement de Horion" et qu'il trouva à Awirs une population plus apte à l'accueillir.

Rien ne permet déjà d'affirmer qu'en l'an 250 il y avait aux Awirs une "population", les premières mentions d'Auguriae, le nom ancien d'Awirs, remontent seulement en l'an 850 - 900, soit six siècles plus tard.

De plus, vu l'état actuel de la Gleixhe, qui est celui qu'elle connut tout au long des siècles, il est peu probable qu'en l'an 250 un apôtre, aidé de quelques disciples, ait été capable d'y édifier un "oratoire", qu'il aurait plutôt tenter d'établir au centre du village... qui n'existait pas encore.

C'est pourquoi on ne peut guère apporter de crédit a de telles divagations et s'il est vrai que "les légendes sont les racines secrètes de l'histoire" on ne peut écrire cette histoire sur de telles bases... même si elles sont sacrées.

Ce qui m'a semblé plus logique c'est que cette " églisette " fut construite entre 1206 et 1209 par l'abbesse Lutgarde et ses soeurs désireuses d'élever le plus rapidement possible leur future " maison " dans cet endroit qui leur convenait si bien.

De toute manière une " église " ou " églisette " a été construite dans cet endroit qui en conservera plus tard le nom, car la Gleixhe a comme racine étymologique l'église, dans son ancien vocable " l'englische ", tout comme pour le village de "la Gleize", près de Stoumont, dont l'origine est identique.

A l'appui de cette thèse, il faut également considérer l'endrott où elle est censée avoir existé, cet îlot en élévation au dessus du niveau des eaux de l'endroit, cette " motte ".

La " motte " est une survivance du moyen-âge et désigne un endroit surélevé entouré d'eau où était généralement établi un ouvrage défensif, plus souvent une simple tour qu'un château.

Or, il y eut à Gleixhe, plus de 130 ans après le départ des religieuses, vers l'an 1345, une seigneurie, celle de Haultepenne, qui possédait un " sous-fief ", celui " del motte "

La seigneurie de Haultepenne et son fief de la Motte naquirent vers cette moitié du XIVe siècle avec la venue du premier seigneur de l'endroit, Lambert de Harduémont, lequel est certainement le constructeur du château actuel.

L'histoire a conservé le nom de quelques seigneurs de la Motte; les Langdris, Rocour, Chenoit et d'Oudomont et au XVIIIe siècle la terre de Gleixhe est toujours définie comme " seigneurie de Hautepenne et de la Motte ", cette appellation sera encore d'application au XIXe siècle lorsque les princes d'Arenberg possédèrent le bien.

Si ce genre d'appellation " Motte " trouve son origine vers le Xe ou XIe siècle il était suffisamment connu au XIIIe pour être utilisé par les religieuses pour établir " hors-eau " le premier édifice de toute maison conventuelle; son église ou mieux encore sa chapelle d'où le vocable " églisette ".

C'était en effet le seul moyen de construire " hors-eau " dans un endroit semblable où il suffisait de creuser un fossé en forme de cercle et de ramener les terres vers le centre pour établir, en une seule fois, une éminence et un fossé empli d'eau qui l'entoure, cela assurait en même temps la sécurité par l'isolement et la faculté de construire " a sec ".

Si l'église primitive a été construite là, elle était certainement en bois ce qui explique que tout vestige a entièrement disparut.

Un autre élément plaide en faveur de la Gleixhe, qui s'est toujours distinguée des Awirs par l'appellation Awirs-Ste-Marie ou Awirs-Notre-Dame, alors que le village fut toujours Awirs-St-Etienne.

Ste-Marie ou Notre-dame, c'est la vierge... c'est la patronne des religieuses cisterciennes et la même caractéristique apparait également au Val-Notre-Dame à Antheit qui se nommait avant l'arrivée des cisterciennes, le " val de Rodum ".

De plus, de nombreux lieux-dits de la Gleixhe, tombés maintenant en désuétude, rappellent cette présence cistercienne; la " haie Notre-Dame " - " terre Vierge sainte " - "rue Ste-Marie" ou encore "rue des Béguines".

La rue "des Béguines" doit retenir plus notre attention que tout autre endroit à la Gleixhe car, excepté la rue Ste-Marie, qui est le chemin qui conduit actuellement à l'église, cette rue "des Béguines" se trouvait à Gleixhe et non aux Awirs, comme elle se trouve maintenant.

Elle se trouvait à la base de la route de Warfusée qu'elle coupait perpendiculairement en se faufilant entre les quelques maisons du hameau pour rejoindre le ruisseau du Broussoux et de là remonter dans les terres "des Béguines" vers le sommet de la Héna.

C'est une décision du conseil communal d'Awirs, en 1895, qui changea cet état de fait en débaptisant la "rue des Anes" (actuelle Béguines) car les habitants du lieu jugeaient ce vocable péjoratif.

La vraie rue des Béguines joignait la " motte " de Hautepenne au hameau de la Héna.

S'il ne reste aucun vestige de l'église primitive il n'en reste pas plus de la seconde église de Gleixhe qui avait toujours comme patronne "Notre-Dame" et qui exista jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

En 1770, une estimation en arrive à la conclusion que "... la dite englische estoit pret a rwiner " et qu'il conviendrait d'entreprendre rapidement des réparations.



L'EGLISE DE GLEIXHE

C'est en 1779 seulement que l'église actuelle sera construite, mais comme cette construction sera exécutée aux frais du chapitre de St-Lambert, la paroisse de Gleixhe sera alors placée sous la protection de ce saint et " Notre-Dame " disparaîtra définitivement de la terre des religieuses, effaçant ainsi la dernière trace tangible de leur présence.

De cette église "... pret a rwiner " il ne reste pas de souvenir iconographique à l'exception, peut-être, de celle qui figure dans la grande peinture qui orne le mur Est du hall d'entrée du château d'Aigremont.

Cette peinture, qui fut réalisée vers 1720 - 1721, par un nommé Deloye, représente le site voisin d'Aigremont entourant le château.

Dans la partie gauche de l'oeuvre figure une église située dans un vaste bois, il ne s'agit pas de l'église d'Awirs, ni de celle de Hozémont, qui est sur un promontoire.

De plus, le style de cette église ne représente aucun édifice de la région, il semblerait que ce soit là le seul document qui représente l'ancienne église de Gleixhe, celle qui fut remplacée par l'actuelle et qui datait vraisemblablement du XVe ou XVIe siècle.

Mathias Clercx, constructeur du château d'Aigremont de 1715 à 1730, était une haute personnalité du clergé liégeois, de plus il était responsable auprès du chapitre de St-Lambert de " l'état financier des paroisses du diocèse " dont il avait été chargé de rétablir l'équilibre.

Il a certainement été concerné dans la reconstruction de l'église de Gleixhe et ce sera pour cette raison qu'il aura voulu la faire figurer dans sa peinture

De toute manière cette reconstruction est contemporaine de Mathias et commandée par " son " chapitre, ce qui n'a pu le laisser indifferent.

Afin de concrétiser cette reconstruction le chapitre de St-Lambert a surmonté la porte d'entrée de l'église de ce chronogramme: totaLiter eXtrVIt CapItVLVM LeoDlense,qui donne la date de 1779 et qui signifie "entièrement élevée par le chapitre de liège". (voir détails pages 30 et 31)

N'étant considérée que comme chapelle jusqu'en 1558, la Gleixhe fut, dès cette date, élevée au rang de chef lieu de paroisse avant de devenir, le 30 Décembre 1842 " succursale".

L'appellation d'Awirs-Notre-Dame ou Awirs-Ste-Marie continuera d'apparaître dans des actes notariés jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

Un dernier clin d'oeil à ces curieuses appellations; le moulin qui est situé près de l'église de Gleixhe, communément nommé " moulin Nyst ", du nom de son dernier meunier, s'est souvent vu désigné au cours de son histoire sous le vocable " mollin delle motte " ou encore " mollin delle englische Sancti Mariae".

Toutes ces considérations sur la Gleixhe étaient nécessaires pour confirmer la présence des religieuses dans cette portion du territoire d'Awirs... plus que tout autre part dans le village où nous allons maintenant nous rendre pour observer un autre édifice important ayant pour origine les religieuses d'Awirs: la ferme d'Othet-les-bois.



LA FERME D'OTHET LES BOIS

Cette imposante ferme de type hesbignon est actuellement située dans ce qu'il est convenu de nommer " le grand Flémalle ".

Au plan administratif elle se trouva successivement: sur le territoire de Souxhon, qui dépendait de la seigneurie de Mons - dans l'enclave de Stavelot, qui dépendait de cette abbaye - sur le territoire de Hozémont, qui partageait la possession avec Stavelot - rattachée à Chokier et enfin à Flémalle.

Construite dans la longue campagne dite " campagne des Trixhes ", elle est implantée à la limite du vallon qui descend vers le " fond de Cahottes " au bord de l'ancien " chemin royal d'Othet " et de l'actuelle " rue d'Othet ".

Nous avons observés que cette " terre d'Othet " avait été offerte aux religieuses dès l'an 1205, avec 18 bonniers de terre (plus ou moins 16 Ha) et l'obligation d'y établir un " mensionnaire ".

La surface ne semble pas importante au départ, mais la ferme d'Othet possédera ensuite quasi 100 Ha de terres, bois et friches.

Cette ferme fut le don le plus important que reçurent, en terre liégeoise, nos religieuses et elles ne vont jamais le perdre tout au long de l'existence de leur couvent, il faudra la révolution française pour entreprendre, dès 1794, le démantèlement de leur " maison " et transformer la ferme d'Othet en " bien national ".

Pendant plus de cinq siècles la ferme ne va pas cesser de diversifier l'utilisation de ses terres où trouveront alternativement place la culture, la houillerie, l'industrie de l'alun, l'élevage et l'exploitation des bois.

Le chemin de liaison entre Othet et la Gleixhe était constitué jadis par une route qui porte encore le nom des religieuses; la " rue des nonnes " ou parfois des " nonettes ", elle descend la colline Est du village, s'engage dans la rue du Palais, continue ainsi jusqu'au moulin Londot (de Fexhe), suivait ensuite le bief de ce moulin (ce sentier est devenu la rue Edmond Plumier), longeait la base du bois du Thiers-pays pour aboutir, près du moulin Servais à la terre de Gleixhe.

Modifiée au cours des temps, elle se termine maintenant la jonction avec la rue Bois-des-moines, mais jusqu'au siècle dernier elle continuait dans la campagne d'Othet jusqu'à la ferme, c'est à partir de 1903, lorsque fut ouvert le charbonnage du Pays-de-Liége dans cette campagne, que le chemin d'accès à cette importante houillère, mieux entretenu, plus adapté au charroi de l'époque devint la voie principale entrainant progressive ment l'abandon de cette ancienne artère, sans doute une des plus vieilles de notre village.

Il est malaisé de situer exactement la date de construction des premiers bâtiments d'Othet, mais dans un acte de Hugues de Pierpont, confirmant en l'an 1210 les concessions des religieuses est cité " le fermaige dotte ", ce qui laisserait supposer qu'un " fermage " est déjà établi dans ce lieu.

Au plan architectural il est également difficile d'établir une chronologie précise de la ferme car ce genre de bâtiment n'a jamais cessé d'évoluer suivant les besoins et les orientations du fermage.

Un important témoin daté, le seul dans notre région faisant allusion aux religieuses, existe cependant dans le mur, côté cour, de la grange.

Il s'agit d'une dalle commémorative de la reconstruction de la ferme au XVIIe siècle et qui est ainsi libellée:

POST INCENDIUM FUNDITUS EXTRUI CURAVIT Rda DNALUDOVICA DE BLATTON ABBATISA AQUIRIENSIS INCHOATUMIN APRILY 1676.

Au dessus de ce texte latin figure le blason crossé de Louise de Blatton, abbesse du couvent de 1590 à 1632.

Ce remarquable témoin mérite, à lui seul, quelques explications.

Tout d'abord la traduction du texte qui signifie littéralement:

APRES INCENDIE FONDATIONS CONSTRUIRE QUI A SOIN REVERENDE DONNA LOUISE DE BLATTON ABBESSE AYWIERES A COMMENCER A ELEVER AVRIL 1676.

En des termes plus contemporains cela veut dire: Après l'incendie qui détruisit jusqu'aux fondations, la révérende Louise de Blatton, abbesse d'Awières, qui a soin de construire, a commencer a élever. Avril 1676.

Louise étant décédée en 1632, on pourrait se demander pourquoi cette dalle porte une date qui est postérieure de 44 ans a sa mort et malgré tout lui est dédiée.

Louise de Blatton fut élue abbesse d'Aywières en 1590 et elle est considérée comme la bâtisseuse et la réformatrice du couvent qui était, lors de son avênement, dans un état pitoyable suite aux troubles qu'il avait connu dans les années précédentes, de même certaines possessions de l'abbaye avaient également fait l'objet de lourdes dégradations.

C'est ainsi que la ferme d'Othet avait souffert du passage des troupes de Jean de Wert en 1636.

Transitant par chez nous avec ses soudarts Hongrois et Lorrains pendant les conflits entre l'Espagne et les Provinces-unies, ce triste sire avait établi ses quartiers dans cette ferme opulente oui possédait tout ce qui était nécessaire à une troupe en campagne.

Le fait était alors courant de voir des troupes armées s'établir sans autre forme de proçès dans des fermes et villages où elles obligeaient les habitants à leur fournir asile et pitance tant a eux qu'à leurs montures.

Après une semaine d'exactions la troupe de Wert quitta Othet et en guise de remerciement bouta le feu à la ferme qui fut presque entièrement détruite ainsi que de nombreux animaux qu'ils n'avaient pu emmener avec eux.

Louise de Blatton était déjà morte depuis quatre ans lorsque les faits se produisirent, mais comme elle avait mis en marche la grande restauration d'Aywières, l'abbesse Jeanne Boularts, qui lui succéda jusqu'en 1648, demanda aux membres de la cour de justice de Chokier, en date du 21 Juillet 1636, de se rendre à Othet afin de lui rendre compte des dégâts.

L'expertise d'alors est révélatrice de l'état des lieux après l'incendie: " la maison, chambres, chapelle et estaubles des vaches et chevaux estoit entièremer bruslés et démolit jusqua la terre, ainsi que les xhures et graignes qui n'ont plus de toiture ", de nombreux animaux sont morts sur, place et les terres, cultures et bois sont également dans un état "... qui inspiroit la pitié".

Les travaux de restauration commencent rapidement, mais en 1676 la grange est de nouveau détruite.

Vu l'importance d'une grange de ferme, où se trouvait souvent les réserves de grains d'une région entière, cette dernière sera remise en état la même année et c'est pour cette raison que la " dalle " a été placée dans le mur de cette grange.

En 1676, lorsqu'elle fut détruite pour la seconde fois, c'était l'abbesse Benoite de la Motte qui était à la tête d'Aywières, elle avait succédé à Lutgarde de Lonchin (1648 - 1670) et à Jeanne Marsille (1670 - 1674).

Benoite est élue en 1675 et va le rester, jusqu'en 1700, mais son élection a été difficile et elle a été pratiquement imposée à sa communauté par des autorités importantes, elle est donc en quelque sorte une abbesse peu aimée de sa congrégation.

C'est pour cette raison qu'elle tient particulièrement a continuer l'oeuvre de la bonne Louise de Blatton afin de rentrer dans les bonnes grâces de ses soeurs et c'est pour la même raison qu'elle dédicace la dalle au nom de Louise alors qu'elle sera placée sous son abbatiat.

Cette petite parenthèse sur quelques religieuses d'Aywières était nécessaire pour éclairer définitivement l'orientation du texte de la dalle d'Othet qui a souvent fait l'objet de contestations entre historiens au sujet de la date et du nom de l'abbesse.

Comme nous l'avons fait remarquer plus haut, les religieuses avaient installé à Othet un " responsable-Fermier " et pendant toutes ces années où elles conservèrent le fermage on vit apparaître divers noms de fermiers comme les Loncin - Delplanche et Mouton.

Au XVlIe siècle, en 1635,se trouve à Othet la famille Lonchin, elle va s'y maintenir jusqu'en 1785 et donner l'abbaye une abbesse, Lutgarde.

Succédant aux Loncin apparaît alors la famille Delplanche qui y reste jusqu'en 1790, lorsque vient à Othet le fermier Mouton.

Cette famille va y demeurer jusqu'en 1814 lorsqu'y revient de nouveau le fermier Delplanche qui demeurera jusqu'en 1826.

Devenue " bien national " depuis 1794 le bien d'Othet est alors vendu en 1826 à la baronne de Serdobin.

Françoise Marie Louise de Serdobin est la fille du général d'empire Louis Henri Loison, lequel avait acheté le château de Chokier en 1816.

En Décembre de la même année le général décède à Liege et sa fille hérite de tout le domaine, elle épouse alors Alexandre Nicolas, baron de Serdobin en 1817.

Cet acte de vente détermine définitivement la fin de la possession d'Othet par ce qui reste des religieuses d'Aywières et qui vivent maintenant retirées dans leurs familles d'origine ou dans des refuges établis dans plusieurs villes de Belgique.

Othet fut toujours, pour le couvent, une source de revenus non négligeable. Il servit également de refuge aux religieuses liégeoises lors des troubles nombreux qui affectèrent leur maison, après la révolution française qui ruina totalement cette dernière ce sont les revenus d'Othet qui permirent encore à quelques "réfugiées" au pays de Liège de survivre.

C'est cet attachement d'Othet au couvent qui fit écrire à l'historien Ivan Delatte " la ferme d'Othet se confond avec le couvent ", ce qui fit conclure à d'autres que " le couvent était situé à la Ferme d'Othet ".

Le domaine de l'abbaye d'Aywières se composait,au XVIIIe siècle, de plus ou moins 2'050 Ha répartis principalement dans le Brabant wallon.

En plus des grandes quantités de terres de labours il y avait notamment huit grandes fermes (dont Othet) - deux moulins - une brasserie - une houblonnière - deux charbonnages (Othet) - 500 Ha de bois etc...

Ces nombreuses possessions constituaient un évident revenu financier mais exigeaient également de nombreux frais d'entretien, réparations etc..

Les revenus les plus intéressants restent les dîmes - cens - rentes et autres tailles qui se paient généralement en argent comptant mais également en nature sous forme de grains - charbons - bétail - vins - bières ou autres.

L'examen des "rentrées et dépenses" de l'abbaye serait fastidieux et de toute manière impossible a établir d'une manière rigoureuse, il a cependant fait l'objet d'une belle étude par Désiré Denuit dans son ouvrage " Blanches dames d'Aywières " et nous nous bornerons a examiner ici quelques sources de revenus limités au fermage d'Othet.

Le loyer de cette ferme s'élevait a 1.600 Fl. par périodes de trois années (au XVIIIe siècle), mais il était souvent augmenté suivant les termes, c'est ainsi qu'il variait de plus ou moins 300 Fl. en plus à chaque terme échu.

A ce loyer il convient d'ajouter: les ventes de pommes de terre - laines - moutons - porcs - vaches et avoines qui rapportaient souvent en un an bien plus que le loyer triennal de la ferme, soit 1'200 Fl. l'an.

Les terres d'Othet renfermaient également de précieux filons de houille qui furent exploités dès le XIVe siècle et d'alun, que l'on traita dès le XVIe siècle.

Actuellement on peut encore observer, lors des labours, de petits monticules de couleur noire qui sont les emplacements des anciens puits d'extraction et de loin en loin des terris boisés qui concrétisent la même affectation.

Les plus anciens vestiges de ces " fosses à houille " se situent vers le vallon de Cahottes et notamment dans le " horê dè leû " et le " bois St-Remacle ", de même le profond vallonnement qui descend de la ferme vers le " fond de Cahottes " est littérallement truffé d'anciens puits de mines qui disparaissent, en saison, sous les cultures.

Régulièrement les divers fermiers qui se sont succédés à Othet tentent d'araser ces mamelons qui gênent le travail des engins modernes, ce qui explique que reste seule visible une " tache " circulaire dans le terrain.

Les veines de charbon sont ici tellement nombreuses qu'à l'époque des religieuses leur exploitation exista pendant au moins 400 ans, malheureusement elles ne purent jamais profiter des améliorations techniques qui auraient permis d'exploiter plus en profondeur, ce que firent, au début de ce siècle les sociétés industrielles qui reprirent ces veines aux deux extrémités des terres d'Othet avec le charbonnage du "Pays de Liège " et celui de " Cahottes " dépendant de la société "Arbre St-Michel" à Mons.

Si les charbonnages s'étendaient sur toute la surface des terres d'Othet, depuis le bois de Chokier et le Houlbouse jusqu'aux confins de Cahottes, l'industrie de l'alun, plus tardive, se limita à une ligne qui va depuis Aigremont jusqu'à la limite de Flémalle en longeant la bande de roches calcaires.

Les religieuses ont eus des intérêts dans cette industrie également et on voit apparaître leurs noms aux XVIe - XVIIe et XVIIIe siècles dans des contrats autorisant l'exploitation du schiste alunifère sous leurs terres et dans leurs bois.

Dans ces deux types d'industries les droits s'établissent souvent en un nombre défini de " panier " d'extraction mais il y avait également d'autres rentes perçues sous forme d'argent notamment en ce qui concerne les araines et les chemins d'accès.

Les sommes à payer varient également si le bure est à bras ou aux chevaux, s'il y a simple ou double dommage, auquel on ajoute encore une somme suivant la " rupture de gazon " simple ou double également.

La " rupture de gazon " est le trou que constitue le puits établi dans une terre de culture ou de pature, si ce puits empêche soit la culture, soit la pâture, autrement dit s'il s'agit d'un ouvrage plus important avec un " harnaz as chevaux " alors il y a double dommage.

L'araine est un canal d'évacuation des eaux de mines qui conduit ces eaux depuis les travaux souterrains jusqu'à une rivière ou un ruisseau.

Il fallait payer le " cens d'araine " à son propriétaire, qui n'était pas toujours le même que celui de la mine, si cette araine coulait sur un bien appartenant à l'abbaye il fallait également payer une "location" à l'abbaye et cette rente était indépendante de la mine car souvent l'araine a une durée de vie supérieure a l'exploitation.

A toutes ces rentes minières il faut encore ajouter les " rendages " des bois, les " passées ", ces ventes de portions établies soit à l'année soit par bail lorsqu'il s'agit de "beaux" bois mais qui étaient également dûes s'il s'agit simplement de " raspes ", ou taillis et basse futaie.

Une " passée de raspe " rapportait 700 Fl., une " passée " de bon bois pouvait atteindre 900 ou 1'000 FI., la " rupture de gazon " se payait en " panier ", soit le 60e ou le 100e panier extrait, l'alun se payait à la livre produite, soit 1/15 ou 1/18 de la production etc...

De plus les abbayes et autres grandes propriétés ecclésiastiques étaient exemptes de toutes taxes sur les chemins, des droits de passages, barrières d'octrois etc...

A ces revenus s'ajoutent encore les droits qu'elles percevaient sur la chasse, la pêche, les passages d'eau et autres frivolités du moment qu'elles jugeaient utile de taxer.

On le voit, un bien comme Othet avec ses cultures, ses élevages, ses houillères, alunières, bois et autres taillis et bocages était entièrement rentabilisé, seul le droit de survol par les oiseaux n'était pas repris.

Le rôle joué par cette ferme a également été déterminant pour le développement de la communauté de Chokier qui ne possédait pas de terres de cultures, mais uniquement une colline sur laquelle croissaient quelques vignobles et des roches calcaires qui donnèrent naissance à quelques fours à chaux

Le défrichement du grand bois qui se trouvait sur le plateau et qui donna son nom a " Othet-les-bois " par les cisterciennes dès le XIIIe siècle procura a la communauté de Chokier ses premières terres de culture qui, bien que propriété des religieuses, étaient données en location à un fermier qui dut trouver au village de Chokier une main-d'oeuvre suffisante.

De ces " terres incultes et inutiles " comme l'exprime l'acte de donation de 1205, l'ordre cistercien fit une immense terre de culture homogène qui couvrit tout le plateau de Chokier depuis la limite de Mons jusqu'à la juridiction d'Awirs... l'enclave de Stavelot, se répandant jusqu'aux " fond de Cahottes " où elle joignait les terres et le bois St-Remacle.

Comme Chokier était un fief de l'avouerie d'Aigremont les seigneurs de ce lieu dépendirent du seigneur d'Awirs jusqu'au XIVe siècle, cependant le moulin de Chokier était situé sur la juridiction d'Awirs dans les temps qui suivirent et le curé de la paroisse était nommé alternativement par le seigneur d'Aigremont ou le curé des Awirs " ou telle autre personne a qui ce droit pourrait appartenir ", comme le curé en question était soumis a l'autorité de l'archidiacre du Brabant... ou se trouvait l'abbaye, l'abbesse se réclama souvent du droit de nommer elle-même le curé.

Comme l'autorité du doyen de Hozémont s'exerçait également sur la cure de Chokier on comprend combien les religieuses estimaient avoir des droits sur la nomination de ce dernier.

Chokier ne fut érigé en paroisse indépendante des Awirs qu'en 1592 mais par la suite on observe que tout ce qui concerne juridiquement Othet est souvent traité par " les autorités de Chokier " (acte de visitation de 1636 par exemple).

On le voit donc, tout au cours de son appartenance à l'abbaye, la ferme d'Othet fut intimement liée à la juridiction de Chokier et contribua au développement de cette communauté.

C'est d'ailleurs dans l'église de Chokier que se trouve une colonne offerte par le fermier de Loncin, tenant d'Othet, qui porte comme texte " le sieur Michel de Loncin, tenant de l'église de Chokier, censier en Othet et demoiselle Marie de Lompré son espouse m'ont donné l'an 1706 ", la même année les époux Loncin offrent également un vitrail a l'église qu'ils " signent " de la même manière que la colonne.



LES FERMIERS D'OTHET

Nous avons observés plus haut qu'en 1826, lors de l'achat de la ferme par la Baronne de Serdobin, se trouvait à Othet le fermier DELPLANCHE.

Ce dernier se maintint-il dans l'exploitation?, nous ne le savons pas avec certitude mais en 1876 apparait la famille DEGIVE qui demeurera jusqu'en 1896.

Elle sera suivie par Henri MATHY qui s'y maintiendra jusqu'en 1916, puis s'en ira tenir le fermage du château d'Odoumont à Verlaines.

Succédant aux Mathy viendra alors le fermier Louis GASPARD qui restera a Othet jusqu'en 1953.

Cette année 1953 verra l'arrivée de Charles FORCEILLE qui tiendra le fermage jusqu'en 1975, année de sa pension.

L'histoire n'étant qu'un éternel recommencement c'est de nouveau un membre de la famille DEGIVE, Fernand, qui revient alors à Othet qu'il tient depuis 1975.

Depuis les religieuses, la superficie d'Othet n'a guère varié et la ferme possède encore plus ou moins 95 Ha. de terres de cultures.

Malheureusement les alunières et les houillères ont entièrement disparus de ce fermage et, seuls, quelques terrils attestent encore de ces activités.

Complètement arasés pour certains, légèrement mamelonnés pour d'autres, boisés pour les derniers ils laissent tous apparaître entre deux cultures, de vastes espaces noirâtres de loin en loin qui constituent encore des points de rencontre traçant en surface l'orientation des anciennes mines de charbon qui existent toujours en profondeur dans les vastes terres d'Othet.



L'ABBAYE EN BRABANT

Othet peut donc être considérée comme le seul vestige important des propriétés de l'abbaye d'Aywières en pays de Liége, grâçe à l'attention des fermiers qui s'y sont succédés le bâtiment est encore actuellement en parfait état et représente un magnifique exemple de la ferme hesbignonne avec ses quartiers en carré et sa belle entrée cochère implantés au centre d'une grande surface terrière.

Le vieux "chemin royal d'otte" passe toujours devant l'édifice, les empreintes des vieux charbonnages des religieuses sont toujours visibles dans ces grandes terres et la présence de ces dernières reste confirmée par la seule pierre écrite et armoriée qui existe dans notre région... celle de la "bonne" Louise de Blatton.

L'abbaye d'Aywières a bien vécut, il suffit de se rendre maintenant au village de Couture-St-Germain, près de Waterloo, pour y retrouver les derniers vestiges, avec son mur-cloture et les deux portes d'accès, la vaste maison de l'abbé, l'entrée monumentale du parc et les communs, on peut encore s'y faire une petite idée de la surface couverte par cette abbaye qui occupa le site pendant plus de 580 années.

Aywières a accueilli plus de 800 religieuses encadrées par 37 abbesses et assistées par des dizaines de frères converts et de soeurs converses, une multitude de servantes, seriteurs, meuniers, fermiers, valets de fermes etc...

La gestion d'un tel domaine fut une oeuvre gigantesque et l'ombre de tous ceux qui y participèrent plane encore sur notre petit hameau de Gleixhe où, par une froide matinée de l'an de grâce 1206, une abbesse liégeoise flamande et quelques religieuses wallonnes se sont posées tant de questions devant cet endroit sombre et humide où elles allaient devoir établir leur maison.

Mais d'autres étaient là qui veillaient pour eux et qui surent les conduire vers la totale expansion dans ces terres du Brabant où l'abbaye d'Aywières a posé son empreinte d'une façon admirable a tel point que son image n'en disparaîtra jamais.

L'ABBAYE AU DEBUT DU XVIIe siècle -- Cette vue de l'abbaye extraite des "Antiquitates Brabantiae" de Grammaye en 1606 est simplement titrée "Aquiria". On y remarque, au centre, la première église, construite vers 1240,où reposaient les corps de Ste-Lutgarde et de Sybille de Gages (religieuse de 1235 à 1248).



LEUTGARDE

Sans verser dans le mysticisme béat il m'a semblé bon d'insérer ici quelques lignes sur celle qui donna l'impulsion au couvent et en devint la première abbesse.

Née à Tongres vers l'an 1182 d'un père noble et d'une mère bourgeoise, comme l'écriront plus tard ses biographes, ses parents lui donnent le prénom de Leutgarde, qui signifie dans la langue germanique " gardienne du peuple ".

La prime jeunesse de Leutgarde se passe dans le bonheur tranquille d'une famille aisée de l'époque, partagée entre la foi chrétienne de la mère et le désir du père d'en faire dans la vie " une bourgeoise au beau parti ".

Mais il semble que la fillette ne soit pas destinée cette orientation car sa mère, dès l'âge de 12 ans, la présente au couvent des bénédictines de St-Trond.

L'intention de la mère n'était pas d'en faire une religieuse mais seulement de donner à sa fille une bonne et saine instruction en rapport avec sa condition.

Leutgarde entretenait alors de tendres relations avec un jeune homme de la noblesse locale, mais sa mère lui répétait souvent " si tu veux être l'épouse du christ je te trouverais un bon monastère, mais si tu veux épouser un mortel tu ne pourras jamais avoir qu'un bouvier ", singulières paroles à l'intention du jeune "noble" qui continuait de la poursuivre de ses assiduités au parloir de Ste-Catherine.

Maintenue dans la vie religieuse du couvent, Leutgarde en devint rapidement la prieure et demeura environs 12 années dans cette maison de St-Trond.

C'est là également qu'elle fut l'objet du " miracle " qui allait déterminer sa représentation iconographique.

Un jour qu'elle se rendait aux "matines" et qu'elle était en retard, donc seule dans les longs couloirs du cloître, elle passa devant un grand Christ en bois dont elle baisait régulièrement les pieds.

Ayant accompli son acte de piété elle allait continuer sa marche lorsque le christ prit vie, détacha son bras droit de la croix et attira vers son coeur sa servante.

C'est le propre biographe de Lutgarde, Thomas de Cantimpré, qui rapporte l'évènement qui se produisit alors que la jeune fille avait atteint l'âge de 20 ans.

C'est l'âge ou elle est préparée pour faire sa " profession de foi ", pour prononcer ses voeux et entrer ainsi au service de Dieu dans cette maison de Ste-Catherine où elle vit maintenant depuis huit années.

C'est ainsi, qua peine agée de 21 ans, Lutgarde fut élue prieure de ce couvent, un titre qui correspondait a celui de mère supérieure et qu'elle ne souhaitait absolument pas, se refusant le moindre honneur.

A partir de cette époque elle envisagea de quitter cette maison où trop d'honneurs lui étaient prodigués.

Non loin, de St-Trond, à Herkenrode, existait alors un couvent cistercien fondé depuis 1182 où elle aurait aimé se rendre pour vivre selon cet ordre plus strict.

Mais l'évêque de Liège décida autrement et par l'intermédiaire du prélat responsable de la maison de St-Trond, un nommé Jean de Lierre, obligea Lutgarde a choisir une maison établie en région wallonne.

C'était une nouvelle épreuve pour la " fille de dieu " qui ne connaissait pas cette langue, qu'elle ne voulut d'ailleurs jamais apprendre au point qu'en 40 années de vie en terre wallonne, elle ne savait même pas demander du pain.

Mais la décision du prélat était irrévocable et Lutgarde ente dans sa maison définitive d'Awirs en 1206.

Comme l'écrivait alors ses biographes: "la fleur du Limbourg a été transplantée et va donner sa pleine floraison en terre wallonne".

Cette " floraison " va durer 40 années que Lutgarde passera au sein du couvent d'Aywières.

Depuis 1235 elle est aveugle, mais comme ses charges se résument a une vie contemplative elle demeure l'abbesse de son couvent et sa vie se passe en miracles, jeûnes et autres longues périodes de contemplations.

Lutgarde meurt le 16 Juin 12 46, un Jeudi, " Dieu a choisi ce jour pour cueillir le lys immaculé et le planter aux jardins éternels du paradis ".

L'abbesse d'Aywières sera inscrite au Martyrologue Romain dans le courant du XVIe siècle et son culte se répandra travers toute la Belgique, mais également dans d'autres pays.

Les reliques de celle qui devint Ste-Lutgarde sont réparties dans différentes églises et maisons conventuelles de plusieurs pays d'Europe, mais chez nous ce sont principalement les églises d'Ittre et de Ways qui focalisèrent le plus le culte de la sainte.

On l'honore principalement pour la délivrance des femmes enceintes, mais il était alors nécessaire de porter le "cordon de Ste-Lutgarde" et d'aller s'asseoir un court moment dans " sa " chaise, laquelle est actuellement conservée au couvent des soeurs de Kerniel, près de Tongres.

Dans la partie Flamande de notre pays on considère Ste-Lutgarde comme la "patronne"... car elle ne voulut jamais apprendre le wallon, tandis que dans la partie Wallonne elle est simplement la bienfaitrice, celle qui supprime tant de maux et annihile tant de problèmes.

Dans l'église des Awirs se trouvait une inscription flamande en l'honneur de la sainte: "Heilige Lutgardis bid voor ons" (Ste-Lutgarde priez pour nous), elle surmontait une statue de la sainte et était inscrite au dessus de l'autel de droite.

La statue (qui n'était pas celle de Ste-Lutgarde) fut enlevée et l'inscription supprimée lors de la grande réfection de l'église en 1961.

Le dernier effort d'un prêtre awirien pour tenter de relancer le culte de l'abbesse-fondatrice de notre couvent en amenant vers Awirs les pélerins flamands ne fut pas bien suivi et tout traces de son passage dans notre village ont totalement disparus.

Au siècle dernier la vraie statue de Ste-Lutgarde était posée dans la niche du portail de la ferme d'Othet, mais elle fut enlevée, vers 1912, par un "varlet" des fermiers, lesquels trouvaient curieux "ce christ avec un bras cassé "



CHRONOLOGIE DE L'ABBAYE

L'nistoire du couvent d'Awirs peut se résumer comme suit:

1196 Une association de dames existe déja et reçoit des dons.
1202 Premières "donations" émanant du seigneur d'Aigremont.
1203 Confirmation de l'adhésion à la règle de St-Benoit.
1205 Les Dames reçoivent le bien d'Othet-les-bois.
1206 Arrivée de Lutgarde de Tongres.
1209 Départ des Awirs pour Lillois, en Brabant wallon.
1211 Départ de Lillois pour Ittre,village voisin de Lillois.
1215 Départ d'Ittre pour Maransart, peu éloigné d'Ittre.
1216 Etablissement à Couture-St-Germain qui prend la nom d'Aywières.
1216 - 1783 Durée de vie du couvent, cependant 1783 - le 17 Mars est publié l'édit qui supprime les maisons conventuelles.
1787 Un premier inventaire des biens de l'abbaye est dressé.
1793 Quelques religieuses sont invitées à regagner leur "maison".
1794 La dernière religieuse prend le voile sous le nom de soeur Augustine.
1796 Le 4 décembre, les commissaires français commencent la vente des biens.
1804 Les quelques religieuses qui le désirent sont accueillies au château de Fauquet,les autres retournent dans leur foyer respectif.
1824 Elles y vivent toujours en communauté restreinte.
1827 Les onze religieuses qui restent quittent Fauquet pour le château d'Ittre où leur directeur spirituel, le curé Tricot, a fait construire une annexe qui leur sert de couvent.
1830 La Belgique devient indépendante, mais il est trop tard pour les deux religieuses qui demeurent de l'ancienne communauté et qui finiront leur vie en subsistant grâçe aux dons et aumônes du voisinage.

La boucle est ainsi bouclée, elles sont venues en mendiantes à Ittre en 1211 et elles s'y retrouvent, toujours en mendiantes, après plus de 600 années de vie conventuelle. La dernière abbesse, Claire de Marbaix,élue en 1783,est morte à Fauquet en 1820, c'est elle qui avait rédigé l'inventaire de 1787. La vente des 2'050 Ha. de l'abbaye et de toutes ses possessions a continué jusqu'en 1807, soit 11 années pour disperser tout le domaine d'Aywières et clore jamais la vie de cette belle abbaye de femmes qui avait établi ses bases dans les tristes étangs de la Gleixhe à Awirs-Ste-Marie.

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