WWWCHOKIER



Edifices civils de Liège

Le fond de cabane néolithique découvert à Liège sous la place Saint-Lambert

par Marcel de PUYDT, 1909

Les fouilles de la place Saint-Lambert ont été étudiées au point de vue géologique par le professeur Max Lohest, qui a publié une coupe des terrains partiellement reprise au plan reproduit figure 1. L'emplacement habité ou fond de cabane néolithique, se trouvait 4 m 30 en dessous du niveau actuel de la voirie et était séparé du dépôt romain par une couche de limon de plus d'un mètre d'épaisseur (1).


CLIC TO ENLARGE

La présente communication traite la question des fouilles au seul point de vue des antiquités préhistoriques (2).

Dans un travail sur les fonds de cabanes néolithiques de la Hesbaye, l'auteur a résumé les comptes-rendus de nombreuses recherches et déterminé les caractères généraux de l'industrie (3).

Envisagés dans leur ensemble, les produits archéologiques découverts place Saint-Lambert sont de même nature que ceux des villages néolithiques hesbignons; la chose n'est pas douteuse au vu des pièces recueillies à Liège en 1907, dont voici un court inventaire donnant une idée suffisante d'un mobilier relativement abondant. L'emplacement habité, plus spacieux que d'ordinaire, mesurait au moins 6 m 20 sur 3 m 15.



INVENTAIRE (4)

Silex: 5 grattoirs, 2 scies, 8 nucléus, 3 couteaux avec faces polies par l'usage, pointe retouchée, 300 lames diverses et déchets de la taille, 17 éclats ayant subi l'action du feu et 6o fragments de silex brut.

Poteries: 100 fragments, 2 tessons avec mamelons, 5 mamelons détachés, le tout en pate grossière; 43 débris de poteries fines la plupart avec dessins; 1 mamelon perforé.

Os et débris de cuisine dont le détail est donné page 43.

Matières diverses: 1 éclat d'outil poli en grès, 10 fragments de grès divers, 92 cailloux roulés et un débris de psammite.

Les pièces suivantes, provenant du même fond de cabane, méritent une mention spéciale.



PARTIE LITHIQUE

La figure 2 reproduit cinq grattoirs en silex et une scie dont les arêtes polies et luisantes témoignent d'une utilisation prolongée.

La figure 3 montre: 1° une pointe retouchée incomplète; 2° une lame de facture régulière, formant la partie inférieure d'un couteau ou d'une scie dont un bord a été rendu brillant par l'usage; 3° un instrument du genre grattoir, épais de 6 millimètres vers le centre; à sa base, la croûte naturelle facilite la préhension de cet objet d'aspect inusité en Hesbaye. Quant au petit silex dont le dessin rappelle une pointe à tranchant transversal, ses retouches ne sont pas assez nettes pour le qualifier avec certitude.

La matière première est en général celle rencontrée sur les hauteurs même de Liège avoisinant la Hesbaye. Aucun silex de provenance étrangère n'a été signalé. Les variétés de patines peuvent provenir de causes diverses, peut-être d'habitats successifs; en tous cas, plusieurs spécimens revêtus d'une épaisse patine blanche se différencient complètement de la masse des produits; les uns ont été extraits de la couche de limon brun, au-dessus du fond de cabane exploré en 1907, tels les numéros 1 et 2 de la figure 4; d'autres pièces, comme celles numéros 3 et 4, ont été trouvées à une profondeur de 4 m 50 à 5 mètres, dans les tranchées ouvertes en janvier 1909, à environ cinquante mètres à l'Est du fond de cabane.



PARTIE CÉRAMIQUE.

Parmi les fragments de poteries, six présentent un intérêt tout particulier. L'agglomération du Grandchamp (5) avait, en effet, fourni un tesson avec dessin en creux contenant les restes d'une substance blanche, mais la pièce était unique et en si mauvais état qu'elle aurait pu paraître douteuse à quelques-uns.

Les découvertes de Liège sont venues apporter une série de six tessons ornés de filets remplis d'une matière blanchâtre parfaitement visible même sur la reproduction en photogravure de la planche annexée.

EXPLICATION DE LA PLANCHE

1 et 6. Tessons appartenant à un même vase en pâte grise, noircie à la surface intérieure.

2. Tesson avec dessin analogue.

3. Autre motif ornemental; un mince filet de pâte blanche existe au fond des rainures.

4. Tesson plus épais que les autres et revêtant une teinte rose.

5. Petit fragment ayant le mieux conservé la matière blanche et montrant l'heureux effet du jeu des couleurs.

7. Tesson provenant du gisement de Grandchamp, commune de Les Waleffes, en pâte noirâtre, avec dessins en creux contenant des restes d'une substance blanche.


D'autre part, la figure 5, numéro 1, représente un bord de vase avec ornementation d'un ton jaunâtre inconnu jusqu'ici en Hesbaye. La matière colorante, mal conduite, s'est répandue en dehors des creux du pourtour du vase. Le dessin numéro 2 ne manque pas d'élégance. Le numéros 3 indique la reconstitution présumée d'un petit vase apode, eu terre grise. Le numéro 4 est d'une pâte homogène dure et lisse, de bonne facture. Le numéros 5 reproduit un motif ornemental souvent rencontré sur les tessons en pâte fine de la Hesbaye.



PIÈCES EN AUTRE ROCHE QUE LE SILEX.

Le bloc d'oligiste oolithique, figure 6, mesure 0 m 06 et pèse 0 kg 100; plusieurs de ses faces sont usées et polies.

Des traces de poudre d'oligiste ont été remarquées lors des fouilles, notamment sur l'instrument, figure 7, dont on serait tenté de mettre l'authenticité en doute s'il n'avait été recueilli par un archéologue spécialement compétent, dans un milieu considéré par lui comme néolithique (6). L'outil est formé d'un bloc de grès gédinnien de 0 m 15 de long, pesant 0 kg 200. Il est poli surtout à sa partie inférieure et marqué de lignes ou raies nombreuses vers le bord de la surface concave. Cette dernière est uniformément usée comme le serait une pierre à aiguiser. On pourrait penser aussi à un instrument à lisser. Quoi qu'il en soit, aucune des agglomérations explorées au pays de Liège n'a produit chose semblable.

La figure 8 représente deux fragments d'outil poli caractéristiques de l'industrie des fonds de cabane; les coupes montrent leur surface inférieure absolument plate. Le plus large des deux est en roche éruptive trachytique (?) pouvant provenir de l'Eifel; sou travail est soigné. Poids: 0 kg 030.

L'autre bloc, figure 8, n° 1, est en mauvais état; en le nettoyant, la surface polie s'écaillait dans la main tant la matière première était devenue friable. Il s'agit, en effet, d'un calcaire fortement altéré. La constatation d'une roche de ce genre est un fait inédit et remarquable, car son peu de dureté relative est, sans aucun doute, en rapport avec la destination de l'outil. Poids: 0 kg 043.

Dans les milieux néolithiques à industrie Robenhausienne, avec hache polie en silex, nous n'avons non plus jamais recueilli d'instruments en calcaire ni aucun éclat taillé intentionnellement là où cette roche se trouvait en place (7).

L'espèce de ciseau, figure 9, est un bijou archéologique; aucun outil n'a été travaillé et poli avec plus de soin. Les deux éclats enlevés du tranchant sont de facture ancienne et font croire qu'il ne s'agit pas d'une pièce symbolique. Elle a été formée d'un caillou de quartzite cambrien. Cette roche, très dure, est connue aux environs de Vielsalm; des fragments épars, originaires des Ardennes françaises, s'en retrouvent toutefois dans les graviers de la vallée de la Meuse. L'objet est d'un beau vert foncé, tacheté de blanc. Longueur: 0 m 055. Largeur: 0 m 014. Epaisseur: 0 m 016. Poids: 0 kg 022.

Les fouilles de la place Saint-Lambert devaient encore révéler une autre curiosité préhistorique. C'est la moitié environ d'un outil en grès ou d'une arme du genre casse-tête (?) formé d'un bloc arrondi. La pièce est traversée par une double cupule dont la confection a vraisemblablement provoqué l'éclatement de la pièce et sa mise au rebut. La figure 10, numéros I et I bis, la représente de deux côtés de façon à montrer son diamètre maximum et la facture de la perforation inachevée et pratiquée en deux fois. Diamètre: 0 m 074 Hauteur: 0 m 044 Poids: 0 kg 100.

Le second objet à double cupule tronconique provient du village néolithique de Jeneffe (8). La face dessinée présente un mode de perforation identique à celui pratiqué à Liège et il est certain qu'à Jeneffe, l'outil a éclaté en cours de fabrication puisque l'autre partie a été trouvée deux jours après la première, dans le même emplacement.

S'agit-il de l'ébauche d'un casse-tête?

La supposition n'est pas invraisemblable, mais la série des grès troués de Jeneffe mérite une étude spéciale; disons seulement ici que ces perforations sont choses simples et peuvent être accomplies uniquement par un travail de percussion à l'aide des silex recueillis sur place (9)



OUTILS EN OS ET EN BOIS DE CERF.


DÉBRIS DE CUISINE.

La figure 11 reproduit en grandeur naturelle et sur ses deux faces un petit outil en os à 4 dents; il est entièrement poli d'un côté et partiellement de l'autre, vu les rugosités de la matière. Les bords de la pièce revêtent le même polissage et son extrémité inférieure est intentionnellement aiguisée et appropriée pour un usage déterminé.

On a dit et écrit qu'il s'agissait d'un peigne destiné à former les dessins des poteries et spécialement les rubans ornant les bords des vases.

C'est une hypothèse possible.

Un autre objet en os utilisé, est une esquille polie sur un bord. La pièce est incomplète.

Une pointe d'aiguille, également en os, finement travaillée, a été recueillie en place par M. Paul Lohest.

Ces outils ont conservé toute leur solidité de même que les débris de cuisine soumis à l'examen de notre collègue, Julien Fraipont, lequel, à leur sujet, a bien voulu remettre la note suivante:

« Parmi les ossements d'animaux provenant du fond de cabane de la place St-Lambert, j'ai reconnu:

1° De nombreux fragments de bois de cerf noble (Cervus elaphus) ainsi que différents os du même animal;

2° Des dents et des fragments d'os d'un petit boeuf (Bos) dont l'espèce n'a pu être déterminée;

3° Des dents et des fragments d'os de jeunes porcs (Sus scrofa);

4° Quelques fragments d'os d'oiseaux dont ni le genre ni l'espèce ne peuvent être déterminés. »

Il est à remarquer que, déjà en 1892, Julien Fraipont avait pu déterminer, malgré leur mauvais état, des restes de dents d'un Bos de petite taille et une molaire de Sus scrofa provenant du village préhistorique d'Omal.

Les bois de cerf ont toujours été fort en usage dans les gisements robenhausiens et plusieurs débris en ont encore été mis au jour sous la place Saint-Lambert en 1909, dans un limon brun, à 4 m 50 ou 5 m. de profondeur, lors de l'ouverture d'une tranchée nécessitée par des ouvrages de voirie.

L'outil, figure 12, mesure 0 m 16 de longueur, le tranchant est aiguisé, une partie de la pièce manque; complète, elle pouvait atteindre une trentaine de centimètres à en juger par comparaison (10). La cassure s'est produite dans les parois amincies par suite du travail de perforation.

Le dessin laisse voir la cavité intérieure et la partie de la corne usée et polie qui avoisine l'orifice. L'examen de l'outil montre qu'en l'espèce, le trou n'a jamais eu un diamètre suffisant pour permettre une emmanchure. Il doit s'agir d'un rebus de fabrication.

Les kjökkenmöddings danois ayant déjà fourni des peignes en os et des herminettes en corne de cerf, il n'y a pas lieu, à notre avis, de tirer argument de la découverte de Liège, en faveur de la thèse qui voudrait reporter les fonds de cabanes de Hesbaye à l'aurore de l'âge des métaux.

Nous pensons, au contraire, que l'examen de la coupe, figure I, donne plutôt l'impression d'un gisement ancien et rien, dans le résultat des fouilles de la place Saint­Lambert, ne vient contredire notre conviction que l'industrie des fonds de cabane de la Hesbaye est antérieure au Robenhausien à hache polie en silex.



OBSERVATIONS GÉNÉRALES ET CONCLUSIONS.

A) Sous la place Saint-Lambert existait, non une habitation isolée, mais une agglomération analogue, selon toute vraisemblance, à celles d'Omal ou de Jeneffe.

L'emplacement exhumé à Liège a été enseveli dans le limon brun (littera d) provenant des crues d'inondation de la Légia. Une inondation semblable avait dû précéder l'installation de la cabane sur la couche de limon (littera d) constatée par le géologue Max Lohest, entre le tuf et le dépôt archéologique.

B) Un seul emplacement habité a pu être exploré à Liège dans des conditions particulièrement difficiles et cependant, les fouilles ont produit plusieurs éléments nouveaux et intéressants: outils en os et en calcaire, débris de cuisine, bois de cerf, ornements en pâte blanche sur les poteries.

C) L'industrie lithique et céramique, étant dans son ensemble, la même sur le plateau de la Hesbaye et sous la place Saint-Lambert, on doit en conclure que la disparition des ossements dans le limon hesbayen provient uniquement de phénomènes naturels à Liège, en effet, les produits osseux se sont conservés intacts dans le limon brun d'inondation de la Légia.

D) Puisqu'il existe des fonds de cabanes à la côte de niveau d'environ 62 et à 3 mètres seulement au-dessus de l'étiage actuel du fleuve, on peut présumer découvrir d'autres agglomérations dans les plaines fertiles de la rive gauche de la Meuse. Ces terrains devaient, en effet, répondre aux besoins du peuple agriculteur et pacifique dont nous n'avons jusqu'ici découvert les débris archéologiques qu'en Hesbaye, à la côte moyenne de140 à 145 mètres.

E) L'attention des préhistoriens doit être attirée sur cette présomption en attendant la mise au jour de nouveaux villages néolithiques dans la vallée de la Meuse, qu'il nous soit permis, comme co-auteur - avec M. Davin­Rigot - de la découverte des Fonds de cabanes de la Hesbaye, de leur conserver cette dénomination locale, correspondant à l'Omalien de la classification de notre savant collègue Rutot.


(1) Annales de la Société Géologique de Belgique, t. XXXV, Bulletin, p. 62.

(2) Les fouilles archéologiques de la place Saint-Lambert ont été décidées par le Conseil communal et pratiquées par l'Institut archéologique liégeois, sous la direction de M. Paul Lohest, ingénieur et conseiller communal. Le plan, (fig. I), dû à l'obligeance de M. Paul Lohest, est emprunté à son compte-rendu général des fouilles, qui paraîtra prochainement.

(3) Considérations générales sur les fonds de cabanes néolithiques de la Hesbaye et observations sur les dernières découvertes de poteries au village préhistorique de Jeneffe, dans Compte-rendu du Congrès de Liège, XXIe session (1909).

(4) Inventaire dressé avec le concours de Jean Servais, conservateur-adjoint de l'Institut archéologique liégeois. Le dépôt n'a pas été entièrement vidé. Il est forcément resté en place bon nombre de pièces, vu le danger de prolonger les galeries d'exploration. Elles serviront de témoins, le cas échéant.

(5) Commune de Les Waleffes. - Bulletin de la Société d’anthropologie de Bruxelles, séance de novembre 1907.

(6) M. Jean Servais. C'est lui également qui a pu observer avec notre collègue Eugène Polain, la place exacte dans le limon brun, de l'outil en bois de cerf figure 12. D'autre part, les deux pièces importantes, figures 9 et 10, ont été extraites en notre présence par MM. Hamal-Nandrin et Jean Servais. Il n'y a aucun doute non plus sur la découverte in situ de l'instrument en os, figure II, par M. Eugène Polain.

(7) Formulons cependant des réserves au sujet d'un fragment plat et allongé de calcaire, mesurant 0 m 12, dépose en 1908 dans notre collection par M. Levers qui l'a trouvé sur une hauteur aux environs de Hamoir. Les arêtes usées et polies montrent une utilisation intentionnelle incontestable qu'il est difficile de présumer moderne.

(8) Ce gisement important a été exploré par MM. Marcel De Puydt et Hamal-Nandrin avec le concours dévoué de leurs collègues de l'institut archéologique, MM. Davin-Rigot et fils et Jean Servais.

(9) L'expérience a été pratiquée plusieurs fois par M. Herman Davin, en moins de 4 heures.

(10) Notamment avec l'outil en bois de cerf, de Gentbrugge, reproduit au Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, tome XXI, pl. VI. Un instrument analogue à celui de Liège fait partie de la collection du docteur Tihon cédée à la Ville. Il provient d'une des grottes de Goyet et, sans aucun doute, d'une sépulture néolithique.

PLAN DU SITE