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Tchantchès

et son évolution dans la tradition liégeoise

par Maurice PIRON

Tchantchès provenant d'anciens théâtres liégeois - Coll. Musée de la Vie Wallonne - Liège.
Tchantchès provenant d'anciens théâtres liégeois - Coll. Musée de la Vie Wallonne - Liège.

Note du webmestre

Tchantches est apparu peu après la création de l'état belge et la dissolution de la principauté de Liège en trois provinces. Il semble correspondre à une réponse à une crise identitaire liégeoise qui s'est focalisée sur son passé glorieux et l'avènement du plus grand de ses enfants: Charlemagne. La marionnette symbole du populaire ne pouvait porter le nom que de " Tchantchès " déformation de " François ", initialement adjectif des personnages populaires, les tchantchès et les tchantchèsses qui fusionneront pour le personnifier.

Le nom de " France " et de ses habitants provient en effet de l'Austrasie " Ostrasia seu Francia " dont Liège fut l'épicentre, nom que reprirent les français actuels quelques décennies après la mort de Charlemagne, soit plus de quatre siècles après sa création en Gaule Belgique sous Clodion (392-448) qui définit la première loi salique et ses successeurs belges, Mérovée, et Clovis, qui fit de Paris sa capitale.

A l'heure d'une volonté séparatiste flamande, certains ont cependant émi une hypothèse sociologiquement intéressante:

A l'origine, Tchantchès ne serait pas un adjectif mais un prénom générique flamand, " Jantches " (" petit Jean " dit d'une manière affectueuse), pour se moquer des travers flamands, ayant fusionnés pour personnaliser un caractère liégeois. Le fait que Tchantchès refuse de parler " sa propre langue flamande " proviendrait de sa volonté de s'identifier à la bourgeoisie flamande parlant le français. Je vous laisse juge de sa pertinence.


INTRODUCTION

Suave est etiam in minimis vera scire.
(JUSTE LIPSE.)


La notion de type populaire n'est pas aussi simple qu'il paraît à première vue. Harpagon et M. de la Palisse sont des types populaires, et jean de Nivelle et Tartempion, et aussi Polichinelle, Robert Macaire et l'Oncle Sam. Autant de cas extrêmes, si l'on veut. Où trouver - en dehors de la popularité qui est leur lot à tous - le trait commun, l'air de parenté qui réunira sur un même plan ces diverses créations de l'esprit humain?

Aux yeux de beaucoup, types populaires et types littéraires, c'est tout un. Pareille assimilation, à la fois trop large et trop étroite, a pour effet d'accueillir des héros dramatiques, poétiques ou romanesques pour la raison principale qu'ils sont sommairement connus de tout le monde. Est-ce que le critère qu'établissait à bon droit Georges DOUTREPONT, à savoir qu'un type populaire est comme l'expression animée « de certains états d'humanité et de moeurs » (1) se vérifie dans l'exemple de Robert Macaire ou dans celui de jean de Nivelle? On peut en douter. D'autre part, le Français qui blâme un Don Juan ou un Landru, le Liégeois qui raille un golzd (niais) ou un marcutchou (enragé pêcheur) (2), font allusion, sans trop le savoir, tantôt au héros d'une fiction littéraire, tantôt à un personnage authentique. Qui ne voit que, pour le public, la discrimination des types s'établit à leur stade d'arrivée, c'est-à-dire d'après l'application qu'il peut en faire autour de lui? Que leur point de départ, dès lors, soit dans un écrit ou dans la vie, n'importe guère. Caliban et Tartuffe proviennent des livres: on évoque Caliban, mais on dit: un Tartuffe. L'usager perçoit une différence essentielle dans la valeur de ces emplois, et c'est là, en définitive, ce qui compte.

Partant d'un tel point de vue, il y a lieu de diviser les types populaires en deux catégories. Dans l'une, on rangera les individus créés ou adoptés par le groupe social - ville, région ou pays - pour représenter ce qu'il croit être un aspect particulier de son tempérament ou un ensemble de traits par lequel il se définit et se manifeste. Dans l'autre classe, on groupera les types qui, sur le plan de la nature humaine, tendent davantage à l'universalité en incarnant un travers, un défaut, une passion, plus rarement une qualité. Des interférences sont évidemment possibles entre ces deux catégories: le chauvin, par exemple, caractérise une forme, considérée comme française, de patriotisme naïf et ombrageux.

Où situerons-nous le modeste héros qui fait l'objet de cette étude? Tchantchès appartient incontestablement à la première catégorie. Quant à son acte de naissance, il ne doit être cherché ni dans les lettres, ni à l'état-civil. Tchantchès est, au départ, une marionnette.

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Le cas n'est point rare de marionnettes promues au rang de types populaires. Sans parler de Pulcinella ni de ses divers avatars après qu'il eut franchi les Alpes, on rappellera, pour la province française, les noms de Guignol à Lyon, de Barbisier à Besançon, de Lafleur à Amiens. Ce sont bien là des localisations, à l'échelle d'un terroir, du rire éternel et de l'esprit moqueur du peuple - au même titre qu'en Belgique, le Ropiyeur montois, le gaumais Djan d'Mâdy et Manneken-Pis de Bruxelles (lesquels n'ont cependant rien à voir avec le théâtre des marionnettes). Tchantchès n'est-il pas leur congénère? Sans doute, mais avec de notables différences individuelles.

Alors que Guignol incarne le canut lyonnais (3), que Barbizier appartient à la caste des vignerons franc-comtois et que Lafleur se perpétue sous les traits d'un valet de comédie à la mode du XVIIIe siècle (4), Tchantchès possède un type social beaucoup moins défini: ouvrier, paysan, domestique, il n'est en principe pas plus l'un que l'autre, et pourtant il est tout cela à la fois en ce sens qu'il est un petit en face des grands et des puissants. Peut-être doit-il à cette imprécision relative d'avoir été si facilement orienté vers le mythe. Tchantchès, dernier né d'une famille nombreuse, est le seul à en être sorti ou du moins - car Tchantchès, comme marionnette, ne cesse pas de vivre - à avoir détaché de son personnage d'acteur de bois une image qui le dépasse, une sorte d'agrandissement idéal. Par d'incessantes transformations, il est devenu un être fictif doué d'une existence littéraire. Dans un ouvrage qui est sans doute le plus complet sur les types populaires de la littérature, Georges DOUTREPONT distingue judicieusement les types individuels et les types traditionnels. Si les premiers constituent « la propriété d'un écrivain ou d'un écrit essentiel », les seconds, en revanche, émanent « d'un ensemble plus ou moins considérable de productions livresques » (5). Que Tchantchès soit un type traditionnel, la chose est certaine puisqu'il a évolué selon les conceptions que se sont faites de sa physionomie les auteurs d'expression française et dialectale qui l'ont accueilli dans leurs oeuvres. Tel est bien, je pense, le point d'aboutissement de cette transformation: personnage non littéraire, Tchantchès, est finalement redevable à une tradition littéraire, au sens le plus large, de sa personnalité actuelle, de sa personnalité seconde, dirons-nous. Pour un Liégeois, il n'est pas seulement le Liégeois du peuple; il est ou tend à être le peuple wallon, à la manière dont Uylenspiegel symbolise « l'esprit de la mère Flandre ». On ne voit pas qu'un sort analogue ait été réservé à ses aînés, Guignol, Barbizier, Lafieur, pas plus qu'au bruxellois Woltje ou aux différents types populaires des marionnettes flamandes (6).

Tchantchès est donc un frère parvenu. D'autres que lui sont arrivés au même stade d'humanisation. Seulement, ni John Bull, ni Uylenspiegel, ni Jacques Bonhomme ne sont issus du théâtre des marionnettes. L'originalité de Tchantchès, c'est qu'en pays wallon, il est à la fois Punch et John Bull, Pierke (ou Neus) et Uylenspiegel, Polichinelle et Jacques Bonhomme.

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J'en reviens à la distinction fondamentale proposée plus haut. Populaire sans conteste, comme cette étude le montrera, Tchantchès est-il néanmoins un type proprement dit? Pour lui, comme pour les personnages qui appartiennent à notre première catégorie, mieux vaudrait parler d'être symbolique. La notion de type, comme celle de symbole, implique « un grossissement de synthèse » autour d'un « état d'humanité morale ». Mais tandis que le type rassemble les divers éléments de cet état « sous un aspect de vie qui le rend proche de nous tous », (7) le symbole se contente d'indiquer « quelque chose de plus vague et de plus général » (8). De plus simple et de plus élevé aussi. Par là un symbole est, bien moins qu'un type, susceptible d'applications à la vie, quoiqu'il évoque à nos yeux un groupe indéfini d'objets (mais ces objets sont d'un genre plus éloigné que ceux auxquels se rapporte le type). Un excellent réactif pour saisir la notion de type populaire, au sens étroit, est d'éprouver si le nom du personnage nous aide à identifier une manière d'être ou d'agir, en d'autres termes si un tel nom propre peut se présenter à notre esprit avec la valeur - imagée - d'un nom commun. Le dialecte liégeois ignore l'emploi de Tchantchès comme nom commun (9) ; il est certain que personne ne dira « un Tchantchès », de la même façon dont nous parlons en français d'un jocrisse. Déclarons alors en termes scolaires que le nom de Tchantchès fournit au discours une prosopopée, non une métaphore. Fait de style bien plus que fait de langue, certes. Mais dont l'usage ne laisse pas d'être significatif. L'essayiste qui veut peindre le Liégeois at home (10), le poète que séduit la vision du peuple actif et joyeux des rivages mosans (11), le journaliste qui confronte l'attitude flamande et un comportement wallon (12), connaissent l'efficace d'un raccourci qui fait image sans fournir prise à l'équivoque. Et c'est tout le problème du contenu de notre type symbolique qui s'ébauche à partir de ces substituts expressifs.

Retracer le curriculum vitae de Tchantchès, c'est d'abord renseigner les Wallons sur un phénomène marquant de leur vie régionale. C'est aussi contribuer à éclairer tout un côté fort curieux de l'histoire des marionnettes liégeoises. Nos recherches ont toutefois, pensons-nous, une portée plus large. M. Paul LEVY, qui s'est penché, en sociologue, sur nos petits acteurs de bois de Flandre et de Wallonie, a bien remarqué la valeur exemplative du cas de Tchantchès, en soulignant combien l'étude de sa carrière serait « pleine d'intérêt et d'enseignement et permettrait d'expliquer fort convenablement l'origine et l'évolution d'un certain nombre de types de théâtre (de marionnettes ou autre) et même de types populaires ». (13) Nous ajouterons: et d'expliquer la genèse d'un mythe qui s'est formé presque sous nos yeux. Certains jugeront peut-être que c'est une ambition déplacée de vouloir analyser pareil phénomène dans le moment où il vient de s'accomplir. Sans doute manquons­nous de recul pour l'apprécier. Mais s'il y a là un inconvénient, il s'est trouvé compensé par l'avantage que nous avons eu de procéder à l'indispensable enquête dans les milieux liégeois, avant qu'il fût trop tard. Aussi bien, attendre qu'une chose soit figée pour y porter attention, c'est risquer de ne jamais la connaître qu'imparfaitement.



CHAPITRE I

LES ORIGINES DE TCHANTCHES

Timbre Tchantchès contre les sarrazins - Le coup de tête empoisonné

Timbre Tchantchès contre les Sarrasins - Le coup de tête empoisonné


La première question qui se pose est celle de l'origine même du nom de Tchantchès. D'où vient ce nom? La réponse paraît, à première vue, indifférente au problème des origines du type populaire - et elle l'est jusqu'à un certain point. Cependant, elle nous permet de fixer un terminus a quo qui limitera singulièrement nos recherches dans le temps.

Tchantchès est une altération du prénom dialectal liégeois Françwès, François (14). Le passage de [frãswé] à [čãčé] s'explique par le changement, devant la voyelle tonique, de la consonne fricative s en une semi-fricative (ou semi-occlusive) tch [č] qui se rapproche de la dentale: une continue fait place à une autre continue de prononciation plus facile. Puis, par redoublement, la consonne nouvelle passe de la syllabe tonique à l'initiale. Nous avons affaire ici à un phénomène de réduplication enfantine qui s'observe dans la prononciation de nombreux prénoms: ainsi, en dialecte liégeois, Djôsèf, joseph se déforme dans la bouche des enfants en Dèdè; Catrène, Catherine, en Tatène; Magrite, Marguerite, en Dadite; Agnèsse, Agnès, en Nanèsse; etc. (15). Ces noms hypocoristiques ne se confinent pas à l'usage enfantin; adoptés par les grandes personnes, ils vivent dans la langue commune où ils possèdent, le plus souvent, une valeur toute familière, discrètement affectueuse ou légèrement ironique.

Françwès n'est pas, au pays de Liège, la forme dialectale héréditaire. Tout comme lwè, loi, rwè, roi, etc., il représente un emprunt fait au français à l'époque où celui-ci prononçait wè le sont noté par oi (16). L'aboutissement phonétique de lat. Franc(ia) + -ëse (<-ensis) est Franceûs [frãsoe], le tonique libre (ē ou i˘ du latin class.) devenant en liégeois oe] : comp. mē(n)se> lg. meûs, fr. mois; pi˘ru> lg. peûre, fr. poire, etc (17). Cependant, Franceûs (fém. -eûse) a aujourd'hui disparu, remplacé par Franwès (fém. -èse). Si nous montrons que cette substitution s'est faite à l'époque moderne, on verra du même coup que l'hypocoristique Tchanlchès ne peut se réclamer d'une bien grande ancienneté.

Dans son Parler de La Gleize, p. 211, Louis REMACLE, après avoir relevé l'existence du prénom Franceûs dans les archives locales des XVIe et XVIIe siècles, ajoute: « Au XVIIIe, et peut­être déjà au XVIIe siècle, Françwès ». Cette constatation, valable pour l'anthroponymie d'une commune rurale, l'est presque autant pour celle d'un centre comme Liège. C'est du moins ce que nous pouvons déduire de sondages dans les registres d'archives de cette dernière ville et des localités avoisinantes qui sont susceptibles de fournir un témoignage non équivoque (18).

La méthode à suivre, en effet, pour dater approximativement le remplacement, dans la langue populaire, de Franceûs par Françwès, ne consiste pas à rechercher depuis quand Françwès est attesté chez nos scribes, car on aurait chance alors de l'y rencontrer beaucoup plus tôt qu'il n'est réellement apparu dans l'usage oral. Trop nombreux sont les actes officiels liégeois où la forme écrite « François », relevée dès le moyen âge, représente seulement une graphie francisante (comp. anc. franç. hoir, « héritier » qui, à Liège, transposait dans la langue écrite une prononciation dialectale eûr) (19). Le procédé le plus sûr pour se rendre compte de l'évincement de la forme traditionnelle par son concurrent nouveau revient à établir la statistique des « Fran­ceux » en regard de celle des « François », pendant l'époque où ces deux formes paraissent avoir vécu réellement côte à côte, autrement dit, à enregistrer la persistance, puis la disparition dans les textes de « Franceux ». Pour cela, nous sommes réduits aux données que nous apportent les registres officiels, ceux du moins où l'on a visiblement tenu compte de la prononciation régionale de notre prénom.

Ces données sont cependant assez nettes et significatives. C'est naturellement dans les localités rurales, là où les greffiers sont moins instruits, qu'on surprendra le mieux la situation réelle (20). Prenons le cas de la commune de Louveigné. Au milieu du XVIIe siècle, le prénom Franceûs y est toujours en pleine vie, mais, à ce moment, Françwès commence à gagner du terrain. Nous indiquons, d'après les registres aux OEuvres (AEL), la courbe de fréquence des deux formes concurrentes:


1647-1655 (reg. 11): 13 « Francheux », 5 « François ».

1655-1663 (reg. 12): 7 « Francheux » ou « Franceux », 6 « François »

1663-1670 (reg. 13): 13 « Francheux », 12 « François »

1670-1684 (reg. 24): 2 « Francheux », 28 « François ».

1684-1701 (reg. 15): à la table: aucun « Franceux » pour toute une page de « François».

1701-1713 (reg. 16): 3 « Franceux », 24 « François ».


Ce qui confirme l'abandon progressif de Franceûs comme prénom à la fin du XVIIe siècle dans un village des environs de Liège (21), c'est que, bientôt ce nom se retrouvera figé comme nom de famille. Le dernier registre examiné nous en offre, pour l'année 1713, un exemple très suggestif: « François-Hubert Franceux » (reg. 16, fol. 337 VO) (22). Une wallonnade satirique écrite à Theux en 1688 et fort curieuse pour l'anthroponymie locale (23), nous met également en face de la concurrence entre Franceûs et Françwès « franceux close », au v. 124, s'oppose à « François lexharché » du V. 42; dans ce dernier cas, la graphie oi semble bien représenter le son wè, si on la compare à celle contenue dans les rimes « bon Diet »: « ligeois s (vv. 61-62).

A Jupille, où les registres aux Oeuvres possèdent des tables à partir du milieu du XVIIe siècle, nous constatons à ce moment, un état de choses un peu différent. La vitalité de « Franceux » semble déjà fort compromise. On le trouve encore noté, de temps à autre comme prénom, à côté des « François », plus nombreux. Mais, à partir de 1663, il disparaît définitivement. M. Albert Baguette, qui a eu l'amabilité de parcourir à mon intention les registres aux Oeuvres du ban de Herve, a noté que, de 1574 à 1627, « Franceux » est l'unique forme employée comme prénom. Aux alentours de 1630, les « Franceux » et les « François » sont mélangés. En 1644 et dans les années suivantes, on ne rencontre plus que « François ». Cette situation se confirme pour Liège où l'examen de registres des Métiers permet, pour la première moitié du XVIIe siècle, des conclusions assez voisines (24).


1497-1644 (part. du reg. 227): 12 « Franceux », 5 « François », 2 « France ».

1588 (part. du reg. 227): 10 « Franceux s, 5 « François ».

1569-1591 (reg. 228): 1 « Franceux », 26 « François ».

1587-1605 (reg. 35 ): 7 « Franceux », 20 « François », 3 « France ».

1590-1615 (reg. 229): 10 « Franceux », 1 « François ».

1615-1639 (reg. 230): aucun « Franceux », 4 « François ».

1629-1650 (reg. 36): aucun « Franceux », 30 « François (25) », 5 « France », 1 « Frank ».

1625-1634 (reg. 141): aucun « Franceux », 23 « François », 2 « France», 1 « Frans ».

1633-1659 (reg. 208): 1 «Franceux », 38 « François », 3 « France ».


La ligne de régression des « Franceux » est nette. On ne s'étonnera pas s'ils réapparaissent, çà et là, en pointe; cela montre simplement que le prénom traditionnel n'est pas encore abandonné, en regard des « François », réels ou transposés, dont le nombre grandit. Ainsi malgré les flottements d'une statistique qu'il serait vain de vouloir rigoureuse par suite de l'impureté de nos sources et des lacunes de la documentation, un fait demeure certain: la disparition progressive du prénom autochtone Franceûs par la forme d'emprunt Françwès s'est opérée dans le cours du XVIIe siècle. Encore qu'il soit impossible de dater avec précision pareil phénomène, on peut conjecturer que cette substitution était déjà chose faite à Liège au milieu du siècle; les campagnes se sont montrées peut-être plus conservatrices. A la fin du siècle, François a la prépondérance et, au XVIIIe siècle, il est seul à régner partout.

On n'est donc pas fondé à faire remonter la forme populaire Tchantchès au delà du XVIIe siècle. Cette forme ne se rencontre d'ailleurs qu'assez tard dans les textes (26), et je l'ai vainement cherchée dans toute la littérature dialectale liégeoise antérieure à 1800. Au XIXe siècle, en revanche, son emploi est attesté par de nombreux exemples.

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Le lecteur jugera sans doute qu'il est temps d'aborder le point capital: à quand remonte l'apparition du personnage de Tchantchès sur le théâtre liégeois de marionnettes? Pour nous et on en comprendra plus loin les raisons - la question revient à dater l'apparition même du théâtre de marionnettes à Liège.

Point n'est besoin d'invoquer Hérodote, ni de remonter aux Égyptiens pour établir la popularité dont les marionnettes de divers types ont joui en tous temps et en tous lieux. C'est d'Italie surtout qu'à l'époque moderne, elles commencèrent à rayonner dans nos pays. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la présence de montreurs de marionnettes, joueurs de pantomimes, etc., Italiens ou non, est attestée dans les archives et les gazettes du temps. J'ai retrouvé le passage de ces troupes nomades à Liège en 1736 (Bourguet), 1775 (Blanzy), 1776 (Perico) et à Verviers en 1810 (27). Spectacles éphémères, qui tenaient souvent de la parade foraine et devaient leur vogue, très certainement, à la virtuosité des poupées qu'on y produisait. Liège a encore possédé, au milieu du XIXe siècle, une sorte de guignol ambulant qui n'a laissé aucune survivance et que nous connaissons seulement par une gravure de l'époque (28) et par des souvenirs d'Oscar HENRION, né à Liège en 1838 (29).

Tout autre est le vrai théâtre liégeois de marionnettes. A l'inverse de ces exhibitions plus ou moins ingénieuses, il se distingue par sa stabilité et par une simplicité d'allure primitive. C'est même ce dernier caractère qui, avec le répertoire des sujets empruntés aux chansons de geste, a fait croire à l'ancienneté de ce théâtre.

Sculptées naïvement par le joueur lui-même - un armurier ou un tourneur en bois (feu d'bwès) le plus souvent -, les marionnettes liégeoises sont mues par une tringle de fer qui se fixe au sommet du crâne. Aucun fil ne permet, sauf en des cas très rares, de tirer parti des articulations des bras et des jambes. La tête seule de l'acteur est mobile horizontalement lorsque celui-ci doit parler, le joueur fait manoeuvrer la tête de gauche à droite à l'aide du fil d'archal qu'il tient entre ses doigts. Vers 1870, nous dit un joueur, M. Victor Verrées, les marionnettes n'étaient même pas articulées; le tronc était habillé de loques confectionnées de manière à laisser place pour les bras et les jambes; des morceaux de bois, taillés grossièrement, étaient alors cloués aux extrémités du vêtement où ils figuraient les mains et les pieds du personnage. Le progrès réalisé depuis lors n'a cependant rien enlevé aux marionnettes de leur cachet fruste et guindé. Malgré l'expression dont les joueurs-fabricants ont cherché à relever les figures de leurs types préférés (tel Charlemagne), malgré l'éclat dont se pare aujourd'hui l'armure des chevaliers, il est visible qu'on n'a pas prétendu donner, par la perfection des moyens techniques, l'illusion de la vie. Essentiellement populaires, les marionnettes liégeoises s'écartent de toute complication comme de toute vulgarité, dans leur structure aussi bien que dans le jeu qui les anime. La seule figure réaliste et plaisante de ce théâtre est celle de notre Tchantchès. Les photographies reproduites à la planche I nous dispensent d'insister longuement sur le caractère et l'ambiance des spectacles de marionnettes qui, naguère, dans les faubourgs de Liège et dans les logis étroits du vieux quartier d'Outre­Meuse, rassemblaient, pour les longs soirs d'hiver, tout un menu peuple d'enfants et d'adultes avides de revivre les prouesses des quatre fils Aymon, les aventures merveilleuses d'Ogier le Danois ou des Amadis, la mort de Roland et des preux. Il y aurait beaucoup à dire sur l'organisation de ces spectacles, sur leur aspect esthétique et psychologique, et l'on citerait sans peine des traits, pris sur le vif, qui montrent à quel point ils ont frappé la mentalité des auditeurs. Précisons encore que le répertoire épique provient ici des romans de la « Biblio­thèque Bleue » ou romans de colportage largement répandus dans les classes populaires au siècle dernier. Quant au scénario de Li Naissance que l'on représente encore chaque année à la Noël, les joueurs en ont pris l'essentiel à une bible des écoles.

« En Belgique, a observé Paul LEVY, le mécanisme des marionnettes populaires varie de localité à localité et il semble que les perfectionnements connus en tel endroit n'aient jamais pénétré sur d'autres scènes de marionnettes ». (30) Une comparaison entre marionnettes wallonnes et marionnettes flamandes n'aurait aucun sens: il y a aussi loin - ou aussi près - des poriginelles de Tournai aux acteurs du Bètième montois que des poesjenellen d'Anvers aux marionnettes liégeoises. Les analogies qu'on relèverait, ici ou là, sont fortuites et du reste inévitables. Chaque théâtre local constitue, je pense, un phénomène isolé, distinct par son origine et par son développement. Et du point de vue de la technique, les marionnettes liégeoises se séparent nettement des autres marionnettes belges. Comme aussi des marionnettes des pays voisins. Je ne vois guère que les marionnettes siciliennes qui puissent s'apparenter étroitement à elles; la ressemblance, de structure et d'esprit entre les deux théâtres est, à vrai dire, fort curieuse à observer (31).

On n'a pas encore consacré aux marionnettes liégeoises l'étude attentive qu'elles méritent (32) et l'on ne s'étonnera pas, dès lors, que la question de leur origine soit demeurée obscure ou, du moins, sujette à controverses. Ceux qui auraient pu, en questionnant les anciens, recueillir des données certaines sur l'histoire de ce théâtre ne l'ont pas fait. Force nous a été d'entreprendre, avec les moyens imparfaits dont nous disposons aujourd'hui, une enquête en vue de dater avec le plus de certitude possible l'introduction des marionnettes à Liège. Dans un chapitre uniquement consacré aux origines de Tchantchès, on comprendra que nous nous bornions à indiquer, sans plus, les résultats de cette enquête (33).

Invoquons d'abord le témoignage de la tradition orale. J'ai interrogé des vieillards nés à Liège aux alentours de 1855. Tous m'ont affirmé avoir fréquenté dans leur enfance les théâtres de marionnettes d'Outre-Meuse. Ceux-ci étaient donc en pleine vogue vers 1860. Mais ces mêmes témoins déclarent que leurs parents avaient ignoré ces spectacles ou, du moins, qu'à l'époque de leur jeunesse, « on n'en parlait pas encore » (34). Certains d'entre eux - des joueurs professionnels notamment - ajoutent qu'au moment où ils connurent les marionnettes, celles-ci étaient, de notoriété publique, une innovation assez récente en Outre-Meuse. Ils vont même jusqu'à citer les noms des plus anciens joueurs qui pratiquaient entre 1855 et 1870: li vî Simon, Antwinne Cornu, le père Elias et, le plus connu de tous, Conti. Un jour que je m'enquérais auprès du poète Henri Simon (1856-1939), né lui aussi au coeur du vieux quartier d'Outre­Meuse, de l'origine de nos marionnettes, il me regarda comme surpris de l'ignorance que je feignais et me répondit: « Mais c'est Conti qui les a apportées à Liège! Son fils, qui fut mon condisciple à l'Académie des Beaux-Arts, me l'a toujours affirmé ». Or, Conti, figuriste de profession, était Italien. (35) De plus, il parcourut son pays avant de venir à Liège (36), ce qui autorise, entre autres suppositions, celle qu'il aurait connu la Sicile et ses puppi...

Le premier document écrit que nous possédions sur les débuts du théâtre liégeois des marionnettes est un texte de l'écrivain Dieudonné SALME (1836-1911) publié à Liège en 1888. Il s'agit du chapitre VI de son roman dialectal Li houlot (Le benjamin) intitulé: Lès marionètes èmon Con'tî. Salme y raconte que le père de Gilles Conti (le joueur de l'époque où écrivait notre auteur) s'associa au Français Talbot établi à Liège depuis longtemps et créa avec lui le premier théâtre de marionnettes qui s'installa au quartier d'Outre-Meuse, à la porte Grumselle. Conti eut bientôt des imitateurs. A sa mort, son fils continua l'entreprise avec succès et perfectionna ses marionnettes dont il fit de vrais pantins articulés. Ce détail est confirmé par joseph MEDARD (1869-1945), un écrivain plus jeune qui a laissé sur le quartier où il naquit et passa son enfance, des souvenirs qui ont une incontestable valeur documentaire (37).

Certains auteurs - R. DE WARSAGE (38) suivi par A. DEITZ, - partisans de l'origine « immémoriale » des marionnettes liégeoises, ont récusé le témoignage de SALME. D'après eux, les marionnettes du théâtre Conti ne seraient pas nos marionnettes traditionnelles, mais un type plus parfait réalisé peut-être par Talbot - dont nous savons, grâce à un témoin oculaire, M. Eug. Polain, qu'en 1870, il promenait encore à Liège un guignol portatif. Les objections que fait R. DE WARSAGE au récit de SALME reposent sur une erreur d'interprétation du texte. SALME distingue: d'une part, les pantins du père Conti qui n'étaient que « dès boquèts d'bwès mà d'grohîs èt afûlés d'clicotes; on vèyéve djusqu'âs cwèrdales qui lès fît roter» (39); et d'autre part, les personnages de son successeur, « des vrêyès mécaniques, rimouwant brès' èt djambes, hossant leû tièsse; les visèdjes ravisèt 'ne saqwè èt lés mousseûres sont-à l'advinant » (40). Que ces marionnettes de Conti II s'écartent du type liégeois que nous connaissons aujourd'hui, nous en tombons d'accord, d'autant plus que MÉDARD observe qu'elles étaient articulées au moyen « de bouts de fils qui se voyaient tout à peine » (41): ce n'aura été là qu'une innovation sans lendemain, sinon sans succès. Mais R. DE WARSAGE, abusé par le mot cwèrdale, s'est imaginé que les marionnettes de Conti I représentaient déjà - un type analogue de fantoche articulé, plus parfait en somme que les poupées actuelles pourvues seulement de fis d'arca (fils d'archal). Si cela était, on aurait depuis lors réalisé un progrès à rebours, chose invraisemblable. En réalité, les cwèrdales dont parlait SALME - le contexte l'indique à suffisance - n'étaient que de grossières ficelles fixées au sommet du crâne des marionnettes pour permettre de les soulever, et le fil d'archal qu'on allait y substituer allait naturellement permettre un maniement plus facile du petit acteur. Disons, au surplus, que les témoins interrogés nous ont tous affirmé avoir vu amon Con'tî les marionnettes liégeoises. (42)

Les faits allégués par SALME nous paraissent antérieurs de trente à trente-cinq ans à la publication de son livre, ce qui permettrait de situer les origines du théâtre de marionnettes à Liège un peu après 1850. Témoin digne de foi, SALME est aussi un témoin bien informé. L'auteur du Houlot était d'ailleurs dépourvu d'imagination, et les premiers chapitres de son roman, consacrés à peindre la vie et les moeurs du pittoresque quartier d'Outre­Meuse, sont pleins de choses vues et entendues. C'est sans doute une tradition orale qu'il nous a rapportée sur les débuts de Conti, et, comme toute tradition orale, celle-ci a ses variantes. Je ne m'étonne pas, pour ma part, des menues contradictions relevées entre les témoignages, oraux ou écrits, que j'ai eu l'occasion de confronter. Ce qui est plus grave, en vérité, c'est que l'accord soit loin d'être parfait entre nos sources imprimées et les renseignements d'état-civil recueillis sur l'unique famille Conti qui puisse être en cause ici (voy. supra, p. 16, n. 1). En face des lacunes de la documentation, il est des hiatus qu'on ne pourra jamais combler. Ne formulons qu'une hypothèse: qui sait si Alexandre Conti, que nous supposons être l'introducteur de nos marionnettes, n'a pas, très tôt, passé la main à un successeur, et si le Djile Con'ti que SALME a connu (le fils de Conti, lui, s'appelait Pierre, à l'état-civil) n'est pas un marionnettiste liégeois qui, ayant été l'auxiliaire de Conti ou bien jouant amon Con'tî, c'est-à-dire là où le vrai Conti avait d'abord joué lui-même (et ce n'était pas nécessairement son domicile réel), devrait son surnom à cette circonstance, comme cela arrive souvent dans le peuple? (43) Poser la question, ce n'est pas, hélas! la résoudre. Nous devons nous résigner à laisser flotter un peu de brume autour des « enfances » de notre théâtre de marionnettes.

Contre l'ancienneté de ce théâtre, on retiendra, enfin, l'argument a silentio. Il est à noter que tous ceux qui ont écrit sur les coutumes et les traditions liégeoises avant le troisième quart du XIXe siècle n'en aient soufflé mot et qu'aucune allusion ne transparaisse dans les nombreux écrits liégeois de tout genre que j'ai eu l'occasion de parcourir. (44) Un folkloriste comme Auguste HOCK (1815-1901), auquel rien de ce qui était liégeois ne restait étranger, n'aurait pas manqué de parler de nos théâtres de marionnettes si, à l'époque où il écrivait ses ouvrages principaux (vers 1860), ces théâtres avaient pu constituer, dans la vie populaire d'alors, un phénomène original et traditionnel. Original, il l'était, à coup sûr, ce délassement nouveau qui attirait la marmaille des ruelles. Mais les gens sérieux allaient-ils s'occuper d'aussi menus faits, destinés peut-être à disparaître sous peu comme tant d'autres? La naissance d'un phénomène folklorique passe toujours inaperçue. Une tradition populaire ne naît pas en quelques années. Il fallait donc l'épreuve du temps, c'est-à­dire l'espace d'une génération au moins, pour que le théâtre liégeois de marionnettes, jouissant désormais d'une existence durable et fixe, entrât dans l'histoire, et d'abord dans les écrits des folkloristes et des publicistes.

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Dans la description qu'il nous a laissée, SALME énumère les types épisodiques qui figuraient au théâtre Conti pendant les intermèdes ou riyot'rèyes qu'on y donnait. Ce sont Pourichinèle, (Polichinelle), Cacafougna. (1) et li bon buveû (le bon buveur). Il n'est pas question de Tchantchès. Cependant, ce dernier était déjà populaire dans les théâtres d'Outre-Meuse vers 1860: nos plus anciens témoins l'affirment formellement.

N'oublions cependant pas que li bon. buveû tel qu'on nous le représente, divertissant l'auditoire par son ivresse scandaleuse, tient un rôle qui est, somme toute, dans les cordes de Tchantchès. Or, li bon buveû, du théâtre Conti (il a existé sur d'autres scènes) correspond grosso modo à des personnages populaires qui s'appellent ailleurs: Bètchou, Hène-è-cwèsse, Djôsèf, li Flamind, Gnouf-gnouf (le nasillard), Trènoupet, etc.; parmi les femmes on connaît surtout: Dadite-âs-oûs, Nanèsse et Tatène. Toute une classe de manants qui tranche avec pittoresque sur l'aristocratie des chevaliers bardés de cuivre!

Et Tchantchès? S'il n'est lui-même, dans cette classe roturière, qu'un individu parmi d'autres, il s'en détache presque toujours comme le prirnus inter pares. Joseph Vrindts (1855­1940) qui fréquenta, dès l'âge de sept ans, un théâtricule situé e'l Pwète di l'infer, è Be'tch (à la Porte de l'enfer, rue Petite-Bêche) se rappelle y avoir vu deux acteurs populaires: Tchantchès et Trènoupèt, tous deux vêtus de même façon. Le premier était un paysan qui vivait au palais de Charlemagne. Quand l'empereur l'avait houspillé, il venait en scène et chantait d'un air dolent:

Quand je gardais les vaches
J'étais bien plus heureux,
Tra-la!
J'étais bien plus heureux...

Mais Trènoupèt arrivait alors et, se moquant de la tristesse de Tchantchès, fredonnait sur l'air: « Au clair de la lune »:

Je ne gaigne guère
Mais je bois beaucoup;
Malgré ma misère
Je suis toujours saoûl.
J (e) bois ma chopinète
Et puis je m'en va:
Machine à bèrwète (46)
Par ci et pa
r là!

Et notre témoin d'ajouter: « Mais le préféré, c'était à coup sûr Tchantchès (47)

Les archives du Musée de la Vie Wallonne (47.B.5) conservent, avec les sujets eux-mêmes, les noms de quelques marionnettes célèbres du joueur Pierre-Paul Pinet: li boti d'è Roteûre, Piére li sôlisse di Beyne-Heusay, li vi Ghaye di Bressoux, Mossieû Fwèt'bîhe, Dj'han l'Flami'nd, etc., et enfin Tchantchès, dont la figure de bois reproduisait les traits de son propriétaire. Or, toutes ces marionnettes sont appelées couramment « des Tchan­tchès », du nom de l'une d'entre elles. Pour désigner le groupe des paysans et des gens du peuple qui figurent dans Li Naissance, on dit « Un groupe de Tchantchès ». « Un Tchantchès » se dit, parmi les joueurs et dans le public initié, de toute marionnette représentant un homme du peuple (48); et, par attraction, « une Tchantchèse » s'applique à une femme du peuple. (49) Détail significatif: le plus ancien Tchantchès conservé provient, d'après R. DE WARSAGE, du théâtre de Félix Elias et s'appelle Bètchou. (50)

Ouvrons une parenthèse pour relever dans le monde des cabotants d'Amiens un point de comparaison suggestif. Là comme chez nous, la seconde moitié du XIXe siècle a vu apparaître une galerie de rôles populaires, parmi lesquels Sandrine, la femme de l'immuable Lafleur. Édouard DAVID note à ce propos que « les joueurs n'appelaient pas tous du même nom l'épouse de Lafleur, du moins au début: chez Dumortier, c'était Martine, chez J. Dailly, Adèle, [etc.] » (51)

Le théâtre liégeois de marionnettes a donc connu, dès ses premières années, un certain nombre de personnages familiers ou bouffons dûs à la fantaisie du joueur et quelque peu différenciés selon les petites salles de spectacle. Le fait intéressant pour nous c'est que l'un d'eux, Tchantchès, se soit en quelque sorte superposé à ses comparses et ait donné son nom à la famille entière. Ainsi naît un prototype, commun cette fois à tous les théâtres, dont le rôle, bientôt fixé, restera sensiblement le même partout. Cette prépondérance prise par Tchantchès suppose, à l'origine, une initiative individuelle et un fait d'influence collectif. Un joueur mieux en verve que ses confrères - nous ne saurons jamais lequel - aura, par son bagou, accusé le relief d'un de ses acteurs populaires, lequel s'appelait d'aventure Tchantchès; on se sera naturellement empressé de lui emprunter et le nom de son héros et l'esprit de son jeu. Cette popularité naissante aura été favorisée par le succès dont le nom même de Tchantchès a joui à l'époque. Françwès et sa forme hypocoristique liégeoise connaissent une grande vogue au XIXe siècle (52); innombrables sont les chansons, les poèmes, les comédies dialectales où l'un des personnages s'appelle Tchantchès. Dans le monde des joueurs et du public, on aura senti tout de suite le rapport de convenance qui s'établissait entre ce prénom d'une valeur familière, un peu naïve (pour ne pas dire plus) et la marionnette fruste, aux allures grotesques, applaudie par les enfants.

Ce rapport de convenance, ne pourrait-on - peut-être - le préciser? Je ne sais dans quelle mesure il est permis d'affirmer avec Jules FELLER qu'« à Liège, [le prénom] Tchantchè (= François) signifie factotum» (53). On relève toutefois avec intérêt que DUMAS fils, dans un texte utilisé par Georges DOUTREPONT (54), cite François parmi les prénoms qui évoquent ordinairement l'image d'un domestique. Or, comme on le verra au chapitre suivant, des rôles et « fonctions » que Tchantchès assume au théâtre des marionnettes, celui de serviteur - de Charlemagne par exemple - est le plus fréquent. Et que tel ait été le rôle primitif de notre personnage, le rôle qui explique son existence et son nom, c'est là, à mes yeux, chose incontrôlable sans doute, mais parfaitement soutenable.

Sur l'existence de Tchantchès - dont l'origine paraît ainsi contemporaine des origines même du théâtre liégeois des marionnettes (55) - la tradition orale nous aura donné son témoignage bien avant la tradition écrite. Celle-ci débute assez tard. La première mention imprimée que j'ai relevée du Tchantchès des marionnettes date de 1885: c'est une simple allusion jetée en passant dans une comédie wallonne d'Henri BARON. (56) Le second texte, de deux ans postérieur, inaugure la véritable série des témoignages à retenir pour l'évolution de Tchantchès. Il émane d'Albert MOCKEL. On lira plus loin (voy. Annexe I), la relation qu'il nous a laissée d'une séance de marionnettes dans la rue Petite-Bêche, devant de jeunes éphèbes, symbolistes et wagnériens, avides de découvertes et d'impressions neuves en même temps que passionnés pour les choses du terroir. Cette page curieuse ne manque pas de mettre en vedette « Tchantchès, l'immortel Tchantchès, le houilleur liégeois, loustic et bon enfant, avisé et d'ailleurs subtil, prompt aux résolutions et fécond en ressources ». (57) MOCKEL ne se doutait certainement pas que l'immortel Tchantchès venait de passer, grâce à lui, de la tradition orale à la littérature.



CHAPITRE II

TCHANTCHES AU THEATRE DE MARIONNETTES


Pour n'être à l'origine qu'un personnage épisodique, Tchantchès n'en a pas moins, au théâtre de marionnettes, un rôle indispensable. Ce rôle, il le doit avant tout à des nécessités scéniques. Il faut en effet, à ce théâtre, une espèce de régisseur qui annonce au public le sujet de la pièce, le remercie de son attention et fasse le boniment du prochain spectacle. Ce sera de même par le truchement de Tchantchès que le joueur réclamera le silence, gourmandera vertement les bavards, glissera un bon mot pour amuser l'auditoire. Mais Tchantchès a dans son rôle d'autres attributions encore. Messager attitré de Charlemagne, il remplit tout ensemble l'office de commissionnaire et de portier. C'est lui encore qui, les batailles finies, vient enlever les morts; il n'y parviendrait d'ailleurs pas sans la main secourable du joueur... Ce dernier, lorsqu'il fait intervenir Tchantchès, baisse le ton. Il n'emploie plus le langage naïvement prétentieux des chevaliers; il improvise avec plus de spontanéité (58) et, par la voix de son modeste acteur, il redevient davantage lui-même, naturel, vivant, enjoué, peuple enfin. Dans le français plus ou moins écorché que parlent Charlemagne, les fils Aymon, Roland et les anges de la Nativité, le drôle place ses boutades en patois. Elles sont d'autant mieux venues qu'elles tranchent bruyamment sur le style grandiloquent des autres et d'autant plus applaudies qu'elles se rehaussent d'une verdeur souvent désopilante. La présence de Tchantchès est le seul élément hautement réaliste du répertoire. Pour un joueur qui sait en tirer parti, quelle ressource précieuse! Tchantchès n'est pas seulement le paysan grotesque qui, de temps à autre, à la manière d'un clown, déride le spectateur et le repose. Le voici qui se mêle insensiblement à l'action, encore qu'il n'y tienne jamais une place de premier plan. (59) Sans lui, l'épopée garderait une gravité trop uniforme, capable de faire fléchir l'intérêt dramatique de la pièce. Ménageant dans l'action des effets de surprise et d'imprévu, ranimant le dialogue de sa verve (parfois aussi tirant le joueur... d'embarras), Tchantchès apparaît un peu comme le Sancho Pança goguenard et bouffon d'une chevalerie héroïque et guindée. Son rôle devient ainsi, par la force des choses, un rôle de repoussoir.

Le type de Tchantchès aux marionnettes ne s'est trouvé définitivement fixé, et sa popularité n'a commencé à se répandre que dès l'époque où l'on vit affluer, certains soirs, vers les théâtres d'Outre-Meuse, une clientèle d'un genre nouveau. Entre 1885 et 1900, les étudiants de l'Université fréquentaient en bande le théâtre d'opérette du Pavillon de Flore situé rue Surlet. Plus d'un vieux Liégeois se rappelle aujourd'hui avec mélancolie les beaux soirs amon Ruth, quand le « pigeonnier » s'emportait en des chahuts sans fin... On commençait à parler des théâtres de marionnettes: leur âge d'or naissait, qui allait durer jusqu'aux approches de la guerre de 1914. De la rue Surlet à la Petite et à la Grande Bêche, à la rue Roture, il n'y avait qu'un pas. Aussi, le public populaire, attentif au beau feuilleton des romans de cape et d'épée, se trouva-t-il bientôt entouré de jeunes gens, en veine de récréations excentriques, attirés par la naïveté du spectacle, - naïveté qu'on allait se charger du reste, dans certains établissements, d'exploiter à des fins intéressées.

On prit ainsi l'habitude, dans les milieux estudiantins, de fréquenter régulièrement les théâtres de marionnettes pour y rire un bon coup. Des bourgeois imitèrent peu à peu les étudiants. On se rendait de préférence chez Léopold, rue Roture. C'est de cette époque que date aussi la coutume liégeoise d'assister, dans la nuit de Noël, à la représentation de Li naissance. On n'a guère songé à consigner ces faits par écrit, mais ils sont encore présents dans de nombreuses mémoires. Diverses personnes âgées aujourd'hui de soixante-quinze ans me les ont confirmés. (60)

Au théâtre de marionnettes, étudiants et bourgeois ont découvert Tchantchès qui en était l'acteur le plus cocasse, le plus amusant. Son parler savoureux faisait prime; sa bonne humeur et sa gouaille le distinguaient plaisamment parmi tous les héros de l'épopée chevaleresque. Il devint l'acteur préféré de ce nouveau public. Certains joueurs s'aperçurent vite qu'on pouvait tirer de là un avantage remarquable et ils s'empressèrent de multiplier les interventions de Tchantchès. De petites pièces comiques furent même imaginées où il paraissait en vedette. (61) On accentua la drôlerie de son rôle. Son parler devint de plus en plus hybride. Dans les jeux de scène et le dialogue, les anachronismes, jusqu'alors involontaires le plus souvent, furent recherchés pour eux-mêmes et atteignirent parfois à la plus plate bouffonnerie. Enfin, on poussa son physique jusqu'à la caricature. Tchantchès eut, notamment, un nez de dimension, un nez étrange, insolent, quasi obscène...

Naturellement, certaines réactions se manifestèrent, tant du côté des joueurs que parmi le public régulier des théâtres de marionnettes. (62) Certains joueurs de la rive gauche, notamment, habitués à donner leurs représentations devant une clientèle homogène et enclins à considérer leur « art » comme chose sérieuse, ne manquèrent pas de voir dans cette prépondérance prise par Tchantchès une déviation, une offense envers la tradition. Pour nous, qui nous bornons à enregistrer les faits et à les expliquer, nous devons bien constater que cette « déviation » est en réalité le point de départ d'une évolution que des Liégeois de vieille roche ont regardée d'un oeil sévère...

Avant de suivre Tchantchès dans son ascension surprenante, tâchons, d'après les souvenirs d'autrui et les nôtres, d'après des sources écrites dignes de foi, de fixer son portrait, son caractère ses attitudes courantes. Contemplons-le tandis qu'il se trémousse au bout du fil d'archal, derrière son nez difforme, sous la faible lumière qui baigne le plateau.

Dans le petit monde des marionnettes où la hiérarchie des personnages est en proportion directe de leur taille, Tchantchès, le manant, le plébéien, le roturier grossièrement façonné ne dépasse pas les quarante centimètres. A d'autres, les oripeaux qui rutilent! Il est affublé le plus souvent d'un pantalon rapiécé, d'un pleûti sårot (sarrau plissé) et d'un foulard à carreaux rouges noué autour du cou. Il est chaussé de gros sabots. Sa coiffure est tantôt la traditionnelle calote di sôye (casquette de soie noire), tantôt un bonnet à floche retombante - ce qui le fait surnommer Tchantchès Bonète -, tantôt encore le haut de forme des vieux bourgeois qui devient, sur son crâne, un couvre-chef des plus cocasses.

Le langage habituel de Tchantchès est moins le pur wallon (63) qu'un mélange hybride de wallon et de français, un français régional, si l'on veut, nettement orienté vers le comique de mots. Ce comique est à peine drôle. Il se complaît dans les déformations bizarres, recherche les contrepetteries ébouriffantes, accumule les pléonasmes plus que vicieux. On l'entendra annoncer de la sorte un visiteur: « Sire di roy, dji vins dîre qu'i-na-st-on croquemwèrt al pwète di l'ouh! » [à la porte de l'huis !], ou encore: « Hê! binamé sire, vochal quéquès paires di mantches [= les pairs de France!] qui y' vinèt dire ine dozainne di bondjoûs ». Son attitude envers Charlemagne, qu'il appelle irrévérencieusement Tchales-qui-magne (Charles-qui-mange) ou Diâle-qu'èl-magne ([Que le] diable le mange !) est d'une familiarité déconcertante. Il n'hésite pas à tutoyer l'empereur, et son tutoiement est vulgaire. Dieu lui-même n'échappe pas au sans-gêne de ses propos. Il aime les turlupinades, quelle qu'en soit la facilité ou l'ineptie. Dans Li naissance, à la scène du massacre des Innocents, un soldat lui demande le nombre de ses enfants. Il répond: « Sept tout nus et sept sans chemise ». D'autres fois, il insinue avec un grain de malice: « Mi, dj'ènn'a nin, mins m'feume, lèy, ènn'a dî-sèt'! ». Ou bien, il confiera: « Li pus vî d'mès valèts, c'è-st-ine bâçèle » [le plus vieux de mes garçons, c'est une fille]. Familier avec les grands ou les étrangers, Tchantchès l'est tout autant avec les petits, c'est-à-dire avec ceux qui composent son auditoire habituel. Pendant les intermèdes, il consent à se laisser donner des pètårds (claques) sur le nez, en échange d'une obole. Le jour de l'an, dans certains théâtres (tel celui de Rocoux, en Potiérue), on l'a vu paraître, tenant un nûle (64) en mains: il s'offrait en récompense à celui des enfants qui parvenait à trouer le nûle à l'aide de menue monnaie.

Le rôle de Tchantchès, on l'a répété souvent, c'est de formuler, un peu à la manière du choeur antique, les réflexions de bon sens pratique que lui suggère le déroulement de l'épopée. Que ce bon sens soit des plus terre-à-terre, qui en douterait? Écoutons-le tirer la morale de l'aventure des fils Aymon qui ont compromis la situation de leur père à la cour de l'empereur: « Ay-aye! vî fré, vos polez bin, avou vos qwate fis, fé nimèrôter vos-ohês, ca 'ne fèye qui nosse vî Tchâles s'î mètrè, il n'y aura pas ni des gnic ni des gnac! » (65) Dès qu'il apprend qu'une bataille se prépare, il s'écrie: « On n'est pus sûr, chal », et il se hâte de mettre à l'abri son anguleux profil. C'est qu'il est à la fois prudent et rusé, notre Tchantchès; et, toujours en quête de la meilleure place (celle où l'on ne fait rien), il n'avoue ni fierté, ni honte. Pourtant, sa peur, il la plaisante à l'occasion. Le voici dans la forêt, aux côtés de Valentin venu combattre le sauvage Orson. A son compagnon qui l'interroge: « François, as-tu peur? », il rétorque, très crâne: « Moi, Monseigneur? Non. Je n'ai jamais eu peur que de ma femme ». Et d'expliquer: « C'èst m' pantalon qui tronne, vèyez-v' ! » (66) Mais ces traits d'amour-propre forment l'exception chez lui. Serait-il à ce point dépourvu de qualités? Disons que son opportunisme ne peut avoir raison de sa farouche indépendance ni sa paresse, de son bon coeur. Dans Li Naissance, il compatit le premier aux angoisses de Marie et de Joseph à la recherche d'un logis. Admis à « visiter » l'enfant-Dieu, il ne manque jamais de pousser un: « ly! qué bê p'tit valet! [Oh! quel beau petit garçon!]. Les questions impertinentes suivent aussitôt. La plus incongrue est celle qu'il pose parfois à saint Joseph: « E-st-i da vosse, pinsez-v'? ». Un berger, l'instant d'après, offre-t-il au nouveau-né de la crèche son sarrau pour le réchauffer? Notre homme renchérit: « Prends donc z-aussi un morceau de ma buse » [haut de forme]!

Malgré qu'il craigne le danger, jamais il n'hésite à dire son fait à qui l'importune. Sa franchise a des côtés terribles. Et sympathiques. Mais, que de défauts encore! Tchantchès est gourmand, querelleur, et, quand il est en colère, batailleur. Le style offensif qu'il préfère alors est le coup de tête; à ses ennemis mortels, il réserve même une spécialité: ce côp d' tièsse èpwèsoné [« empoisonné »] qui jamais ne fit grâce... Bien entendu, il aime plus que de raison le petit verre de genièvre, puis, quand il est ivre, il revient auprès de son épouse qui le morigène. Celle­ci, qu'elle se nomme Nanèsse ou Tatène, possède un caractère invariablement acariâtre. Les démêlés sont fréquents dans le ménage de Tchantchès. On comprend, dès lors, que ce dernier professe à l'égard de la femme une philosophie exempte d'indulgence: « Lés feumes, vèyez-v', c'èst come lès pipes: èles sont mèyeûses ine fèye qu'èles sont passêyes ». (67) Du moins, ce trait a-t-il du piquant, sinon de l'esprit. Les propos de Tchantchès ne nous ont pas gâté sous ce rapport. On a eu raison sans doute de souligner leur verdeur. Mais quant à leur verve, il est juste de rappeler tout ce qu'elle comporte de gros sel, de platitude, de trivialité. Insistons sur ce point: en ne le faisant point, nous risquerions, nous aussi, de prendre place parmi les stylisateurs de Tchantchès!

Tchantchès s'accommode de tous les lieux, de toutes les époques, de toutes les situations. On le rencontre sur les routes de Palestine comme au palais de Charlemagne - et il ne cesse jamais d'être l'homme de Djus-d'là. (68) Dans Li Naissance, il est berger et semeur. Sur la nef qui emporte Tristan et Yseult, il verse aux amants le philtre magique - « du boire amoureux ». Dans Le Lion de Flandre, on l'a vu, habillé comme un garçon boucher, le couteau à la ceinture, tenir le rôle d'un doyen de corporation et parler d'égal à égal à Breydel et de Coninck. Mais partout et toujours, Tchantchès se moque de tout et de tous. Si, parfois, les grands le font souffrir, du moins souffre-t-il avec bonne humeur, avec l'espoir de se venger et de rire aux dépens de ses maîtres. Opprimé, il relève la tête et, avec une boutade ou un brocard cinglant, il met à nu, soudain, la fibre populaire.

Un joueur de marionnettes, François Boucha, l'un des vétérans d'Outre-Meuse, m'a dit un jour: « C'èst nos-autes, avon nosse gueûye, qu' ont fait Tchantchès çou qu'il èst! » (69) j'ai trouvé cet aveu admirable...



CHAPITRE III

TCHANTCHES, TYPE POPULAIRE WALLON


Sur ses modestes trétaux de bois, Tchantchès est resté fidèle à son rôle originel. Le type, une fois constitué - et il a dû l'être assez tôt - n'a plus connu, ou guère, de progression « interne ». C'est de l'extérieur et par l'extérieur qu'il a évolué. Phénomène unique chez les acteurs du théâtre liégeois où l'on compte pourtant des personnages bien plus considérables que notre petit plébéien.

Mais s'il n'est, fonctionnellement parlant, qu'une utilité, Tchantchès est la seule marionnette vivante de ce théâtre, j'entends le seul être qui vive autrement que les autres. Les autres ne représentent rien par eux-mêmes, en dehors du thème romanesque dont ils sont issus et du scénario auquel ils restent rivés. Ils sont Charlemagne, Roland, Olivier, Renaud, Fierabras ou Hérode: un rôle. Il n'y a rien derrière eux. Aucune âme individuelle. Ce sont de purs fantoches. Tandis que Tchantchès est forcément une invention qui ne s'appuie sur aucune histoire préexistante. C'est le joueur lui-même qui doit l'étoffer.

« Aucun caractère d'invention ne devient type, remarque Charles NODIER dans ses Types en littérature, s'il ne présente cette expression d'individualité originale, mais saisissante qui le rend familier à tout le monde ». L'émancipation de la marionnette populaire ne pouvait se dessiner que du jour où elle acquérait, sur les planches, un relief caractéristique; et ce fait, nous l'avons vu, est lié lui-même à une transformation partielle du public de nos théâtricules. C'est enfin à ce moment précis que débute, par voie de conséquence, la tradition écrite.

Il est curieux de constater combien les premières appréciations de la personnalité de Tchantchès offrent de concordance. Nous avons déjà cité le témoignage d'Albert MOCKEL. En 1893, Célestin DEMBLON, le futur tribun socialiste, relate, de façon moins littéraire que MOCKEL, une séance de marionnettes. (70) Il souligne le rôle de « l'indispensable Tchantchès » qu'il appelle « le manant liégeois » et il ajoute: «Toute la race populaire est sommairement personnifiée dans ce type fruste et cocasse, à la fois plein de bonhomie et d'audace, tour à tour plaisant et sérieux. »

En 1895, un écrivain dialectal, Ernest BRASSINNE, présente, lui aussi, les interventions de Tchantchès d'une manière fort significative:

Tchantchès, divins l'barnèdje, n'aveût qu' dès camèràdes
Et s' hah'Iéve-t-on à lames à totes sès couyonàdes.
Çou qui lî fève dé bin, c'èst qu'il èsteût d'l'andrwèt:
C'èsteût tot Djus-d'là Mouse qui djdséve avou s' vwès (71).

Et plus loin, l'auteur de revenir à charge, non sans élargir la portée du personnage:

Tchantchès, c'èst Djus d'là Moûse: di ç'costé-là, ma fwè,
On trouve ine gote di s'song' divins tot coûr lîdjwès (72).

Ce dernier vers est à retenir, car on n'avait pas encore considéré Tchantchès comme le symbole de l'esprit liégeois. Le poète anticipe ici d'une bonne quinzaine d'années sur l'évolution du type. Témoignage précieux, sans aucun doute, mais isolé, comme celui du journaliste qui écrit de Tchantchès en 1899: « Il est sympathique et résume assez bien la figure de l'homme du peuple liégeois », puis ajoute aussitôt: « C'est le Jacques Bonhomme de la Wallonie » (73). Approximation intéressante parce qu'elle contient une généralisation qu'on ne retrouvera que huit ans plus tard, chez J. SOTTIAUX: le passage du plan local au plan régional, du type liégeois au type wallon.

Malgré tout, le point de vue anecdotique ou, si l'on veut, documentaire, reste celui de la plupart de ceux qui, à l'époque, parlent de Tchantchès. Tel, par exemple, Oscar COLSON (74), tel encore Léon BÉTHUNE, pour qui Tchantchès n'est qu'un bouffon. (75) Dans une plaquette qui se veut également documentaire, R. DE WARSAGE, en 1896, décrit assez longuement Tchantchès dans ses divers rôles, après s'être borné à dire qu'il « est la farce du terroir personnifiée », qu' « un spectacle sans lui, ce n'est pas un spectacle » et que « Tchantchès, c'est le bouffon, le comique, le burlesque et l'esprit populaire ». (76) L'étude plus complète que publie l'auteur, en 1905, contient un témoignage négligeable cette fois, parce que dépourvu d'originalité. (77)

L'opinion d'un étranger peut avoir son prix, et même son poids. Dans les Lectures Modernes, Léo CLARETIE, qui visita l'Exposition internationale de poupées anciennes et modernes à Liège en 1903, décrit l'étroite scène où « se dandine la marionnette traditionnelle du type populaire local, non pas Guignol, ni Gnafron, ni Jannot, ni Gilles, mais Tchantchès, personnification naive de l'esprit de la rue et des aspirations comme des goûts du faubourg liégeois ». (78) On ne trouve rien de semblable, en revanche, dans le spirituel article qu'Isi COLLIN consacre en 1905 aux marionnettes liégeoises (79): celui qui allait tant contribuer à créer le personnage symbolique de Tchantchès semble ici n'avoir aperçu que son rôle de comparse. Auguste VIERSET, en revanche, termine un article « alarmiste » sur les marionnettes liégeoises par un couplet consacré à Tchantchès « le vieux Liégeois né malin, (...) aimé des gosses, choyé du public, [qui] synthétise en quelque sorte la verve pétillante, frondeuse et bon enfant du Liégeois » (80). Nous en arrivons ainsi à Alexis DEITZ qui exprime fort bien la conception répandue en 1911, c'est-à-dire à la veille du moment où Isi COLLIN va publier les articles auxquels nous venons de faire allusion: «Tchantchès incarne l'esprit, les vertus et aussi les vices du peuple liégeois; il nous montre le bon coeur, la fierté, l'âme enfin de ceux-là mêmes qui l'écoutent d'habitude. » (81)

Le témoignage des littérateurs, dans la période qui va de la fin du XIXe siècle à 1914, diffère à peine de celui des folkloristes et des publicistes. Un des plus descriptifs, celui d'Edmond GLESENER dans Le coeur de François Remy (1904), n'est peut.-être pas un des plus significatifs à notre point de vue:

(...) Pourtant, le favori, c'est Tchantchès. On ne l'admire pas, celui-là: on l'aime. Dès qu'il paraît, pirouettant dans son vieux sarrau, au bout de la tige de fer vissée à son crâne chauve, et qu'il vous regarde de ses yeux ronds le long de son grand nez, le rire court sur tous les bancs. Tour à tour concierge, laquais, cuisinier, laboureur ou marchand, rude à ses maîtres, terrible de bavardage et de sincérité, gourmand, buveur et paillard, aussi prodigue de coups de tête que de coups de langue, il promène à travers ces épopées la comique rondeur du bon sens et de l'esprit gaulois (82).

L'illustre Bézuquet en Wallonie de Jules SOTTIAUX (1907) nous apporte également, en son chapitre IV, la description d'une Soirée aux marionnettes - mais combien fantaisiste! Si l'auteur ne s'attarde guère à Tchantchès, c'est qu'il lui donne rendez­vous en un lieu plus propice. Le chapitre VI, en effet, contera comment Bézuquet, le découvreur de l'originalité wallonne, fera la rencontre de Jean de Nivelles et de Tchantchès qui l'attendent à Dinant, au pied de la Roche à Bayard. Le premier seul parlera, faisant les frais d'une présentation où nous relevons des passages qu'on ne saurait négliger pour l'époque:

Mon ami que voici est Chanchet de Liège, et je suis jean de Nivelles. (...) A nous deux, nous représentons la Wallonie dans son âme romane sensée, ironique et joyeuse, et dans son âme celtique, pensive et rêveuse.

Chanchet, c'est l'esprit du peuple.

(...) Nous sommes des entités vivantes. La dualité de l'âme wallonne vit en nous.

Langage nouveau certes! Et aussi fait important (dont nous reparlons plus loin) que cette situation de l'entité Tchantchès dans une fiction. Moins de vingt ans plus tôt, l'abbé Michel RENARD, qui publiait la version définitive de son épopée wallonne Djan d' Nivèles (1890), ignorait, combien naturellement, notre Tchantchès: faute de mieux, il voyait le Liégeois par excellence en Tâtî l' Pèriquî devenu.., le dernier des 6oo Franchimontois! En 1907, Tchantchès a fait du chemin. Et il nous faut même jeter un coup d'oeil en arrière.

Tournons-nous d'abord vers la littérature dialectale où les témoignages sur Tchantchès se sont faits nombreux depuis quelque temps. La plupart, à dire vrai, ne sont que de simples allusions dans le genre de celle (déjà citée au chapitre I) de Henri BARON ou bien de jean BURY. (83) En dresser la liste serait d'ailleurs sans intérêt pour notre étude. Que Tchantchès figure, par exemple, un des personnages minuscules et naïvement irréels qui s'agitent à l'arrière-plan du roman de joseph VRINDTS, Li pope d'Anvèrs' (1896), il n'y a rien à tirer de là, si ce n'est une preuve nouvelle - et superflue - de la popularité de notre acteur des marionnettes. (84) Aux vers déjà cités d'Ernest BRASSINNE, joignons toutefois ceux d'Arthur XHIGNESSE qui assimilent dans la renommée Liège et Tchantchès. (85) Et de ce bref excursus dans les lettres wallonnes antérieures à la guerre mondiale, retenons qu'aucun écrivain n'a songé à faire de Tchantchès un personnage littéraire, issu d'une création personnelle et doué d'une existence autonome. (86)

Avant d'en finir avec ces témoignages d'importance secondaire, signalons encore quelques faits qui montrent à tout le moins la popularité croissante dont jouit Tchantchès, en dehors du théâtre des marionnettes. On n'est pas peu surpris de lire, dès 1893, en quatrième page du journal liégeois L'Express (n° du 24 décembre) un texte publicitaire imprimé en grandes capitales et libellé de la sorte: « Tchantchès s'est enrichi parce qu'il s'est servi pour faire ses affaires des Annonces de l'Express qui ne manquent jamais leur but ». Le poète patoisant jean BURY fait paraître, de 1905 à 1910, L'Armanak d'a Tchanchès, « mélange curieux de prédictions sérieuses, tchansons po tchoûler, powèsèyes po rire, monologues po dîre, romances po tchanter, rak'sègn'mints so tot, etc., etc. ». En 1912, Henri BRAGARD mentionne Tchantchès parmi les masques figurant dans le cortège d'ouverture du carnaval de Malmedy. (87) Mais ce qui retiendra notre attention, c'est que, très tôt - à partir de 1895 - Tchantchès est employé comme pseudonyme. (88) On verra souvent, même encore de nos jours, (89) des journalistes s'abriter derrière le nom et la personne de Tchantchès pour polémiquer, dénoncer des abus ou simplement commenter les menus faits de la vie du terroir. (90) Cet emploi par allusion du nom de Tchantchès n'aurait pu se produire et être imité, si le personnage n'avait commencé à devenir, dès ce moment, un symbole.

Tchantchès est entré d'assez bonne heure dans la satire locale. C'est tout naturellement qu'il est devenu le porte-parole de l'esprit de critique et de raillerie inné chez tout Liégeois de bonne souche. Son franc parler ne le conviait-il pas à « continuer à la ville le rôle qu'il assumait à la scène»? Ainsi s'exprime l'éditorial (voy. Annexe III) d'un journal satirique illustré, fondé à Liège en décembre 1899 et intitulé Chanchet. « C'est le pur esprit liégeois que j'incarne » dit Tchantchès en se présentant aux lecteurs. « Je suis la tradition frondeuse, la voix liégeoise qui dit son fait à tout un chacun.»

Tchantchès (nous rectifions l'orthographe de l'époque), qui parut chaque samedi jusqu'en l'été 1902, (91) publiait des notes critiques sur la vie à Liège, sur les notabilités du monde officiel, du barreau, de la scène et des lettres. Les articles étaient signés de pseudonymes empruntés à des personnages du théâtre de marionnettes: Charlemagne, Amadis, Trinopèt, Tatène, Marèye âs-oûs, Pid d'moute. Le meneur du jeu était évidemment Tchantchès. On imagine sans peine quelle dut être l'influence de ce journal; elle marque sans aucun doute un pas décisif dans l'évolution de notre personnage. Une énorme partie du public qui ne fréquentait jamais les théâtres de marionnettes et risquait d'ignorer Tchantchès eut ainsi l'occasion de le connaître par un journal satirique dont il n'est pas besoin de souligner le succès et la popularité. De le connaître toutefois, moins comme une marionnette que comme un type représentatif, moins comme un acteur amusant que comme un symbole. « Ils entendent me faire passer pour un symbole » dit explicitement l'éditorial du premier numéro. (92) Symbole de quoi? De l'esprit wallon tout court? Tchantchès en manifeste pour l'instant l'aspect « bon garçon », jovial, indépendant.

C'est tel encore qu'il apparaîtra, sur le plateau des théâtres, dans les revues locales annuelles. Nous ne l'y avons pas rencontré avant la saison de 1900-1901. Liège-à-Traction, grande revue en trois actes et six tableaux de Georges GARNIR et Gustave THIRIART, jouée au Pavillon de Flore (93), nous réserve une intervention de Tchantchès: au premier acte, celui-ci vient débiter un monologue où il énumère les réformes qu'il réaliserait s'il était échevin. Bientôt, il n'y aura plus de revue où l'on ne taille à Tchantchès des rôles tout en or. Que ne lui feront pas dire les Nello BRETEUIL, les Georges ISTA, les Charles BARTHOLOMEZ, les Louis WESPHAL, plus tard les BEAUDUIN et DUCHATTO, et tutti quanti! On verra même Tchantchès s'évadant du Musée de la Vie Wallonne (Ne l'as-tu as vu? Trocadéro, 1936) ou mettant le traître Borms en fuite (Pour vous, Mesdames, Trocadéro, 1929) et, avec son épouse Nanèsse, magnifiant l'Ame Wallonne dans une apothéose finale (Elle est charmante, Trocadéro, 1933).

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Les textes que nous avons cités plus haut et qui se situent entre 1887 et 1910 permettent d'enregistrer le premier degré de l'évolution de Tchantchès hors du théâtre de marionnettes, étape que nous appellerons de stylisation inconsciente.

La peinture de la réalité diffère toujours de la réalité. Si bien qu'on fasse, on trahit celle-ci en voulant la reproduire. Trahison forcée, mais féconde, puisqu'elle est le commencement de l'art... Quand les joueurs de marionnettes nous disent qu'ils ont fait Tchantchès ce qu'il est, cela signifie qu'ils ont façonné un type original, attachant, et fourni de la sorte une matière vivante au public-auteurs. Et celui-ci, dans ses premiers représentants, ne cherche, au fond, qu'à donner un portrait fidèle, objectif, du bonhomme. Mais du moment qu'on voulait décrire Tchantchès, à moins de s'en tenir au terrain de l'anecdote, on était amené à l'interpréter - et une seule interprétation était possible. Dans ses attitudes courantes, Tchantchès se présente comme un homme du peuple, plein de verve, d'une verve souvent épaisse, avons-nous dit. Mais cet homme du peuple figure à tous les théâtres et il est, en somme, partout le même. De là, à en faire l'homme du peuple par excellence, glissement fatal. A regarder les choses sans illusion, il semble bien pourtant que Tchantchès ne soit que la caricature de l'homme du peuple. Une caricature qui contient certes une bonne part de vérité. Une caricature que le public-auteurs retouchait d'un léger coup de pouce donné dans l'autre sens...

Ainsi donc, les premiers qui écrivirent sur Tchantchès lui ont prêté, sans bien s'en rendre compte, quelque chose qui était davantage en leur esprit que dans le caractère réel du personnage. Certes, on ne commence pas par supprimer les défauts de Tchantchès; de cela, les poètes se chargeront bien plus tard. Pour l'instant, on lui trouve les qualités de ses défauts.

Logiquement aussi bien que chronologiquement, nous voici en face du nom et des écrits (1912-1914) du journaliste-poète Isi COLLIN. S'il ne songe pas encore à taire les défauts de Tchantchès au profit de ses qualités, COLLIN entend toutefois - et c'est déjà beaucoup - magnifier les uns aussi bien que les autres. Et sur­tout il pose résolument l'équation: Tchantchès égale Wallon.

« Qu'est-ce que Tchantchès ? » se demande-t-il. Et de répondre: « C'est l'incarnation de l'âme populaire wallonne; c'est notre type national, né au bord de la Meuse, à l'ombre des noirs terrils fumeux, comme l'Oncle Sam est celui de l'Amérique et John Bull celui du Royaume-Uni. Tchantchès - ne nous fâchons point - c'est nous, les Wallons, franches gueules, frondeurs, Marseillais du Nord avec notre Perron de pierre sur le dos, -l es tièsses di hoye avides de liberté et qui prennent leurs désirs pour des réalités, narguent les princes, attachent à la potence Charles le Téméraire [sic] et chassent, en les bousculant quelque peu, pour rire, leurs Princes­Évêques paillards, la crosse en main et l'épée au fourreau.

Agneaux inoffensifs pour autant qu'on les prenne pour des tigres, les Tchantchès que nous sommes « baltèyent » les grands, empêtrés dans leur roide noblesse; houspillent les Puissants mais s'arrêtent soudain, les yeux emplis de larmes, le coeur déchiré, pour secourir une misère, pour panser une plaie, pour donner le coup de main à celui qui trime.

Tchantchès ne se connaît point de défaut, mais il aime le clair pèkèt de grain qui se diamantise au fond du lourd plat-cou. Peut-on lui en vouloir ? Ne doit-il pas lutter contre ce froid que tant de siècles de domination allemande ont jeté en lui dont l'âme naïve est latine profondément, sincèrement ?

Plus loin I. Collin conclut: « Et si Pulcinella fut créé par le peuple pour se moquer des Princes, notre peuple à nous inventa Tchantchès pour se balter lui-même (94) ».

La citation est longue, mais elle est fort significative et se passe de commentaire. On remarquera toutefois la tendance à laisser dans l'ombre le Tchantchès concret des marionnettes pour ne retenir qu'une personnification morale. « Les Tchantchès que nous sommes » (95) voilà bien qui donne le sens du texte tout entier. Identification de Tchantchès au peuple liégeois - ou wallon (on glisse aisément de l'un à l'autre: le Liégeois se croit volontiers le Wallon par excellence...). Identification dans le présent, mais aussi dans le passé: notons déjà l'intention « historisante » de l'auteur. Les poètes ne manqueront pas de situer Tchantchès dans un cadre approprié à son rôle symbolique.

En 1914, dans un article qu'on lira plus loin en entier (voy. Annexe V), Isi COLLIN dégage plus explicitement encore la signification de Tchantchès:

(...) Si la grisette est, à Paris, le sourire d'une époque, Tchantchès est, dans la gentille ville de Liège, si française, le rire franc de tous les temps. On a négligé ce bonhomme et on l'a calomnié en ne le prenant que pour une simple marionnette de bois: c'est un héros et les Wallons, à présent surtout, doivent en admirer la valeur (96).

Il est toujours difficile de préciser l'influence qu'ont pu exercer des textes comme ceux-ci. Je la crois réelle et décisive en l'occurrence, et je crois que le nom d'Isi COLLIN reste attaché à l'émancipation définitive de Tchantchès. N'est-il pas suggestif, par exemple, de comparer ce qu'écrivait Léo CLARETIE en 1902 (voy. plus haut p. 37) à ce qu'il écrit trois mois après la publication du second article de COLLIN: « Tchantchès incarne l'esprit d'une race, les Wallons... » (97) ?

L'évolution à laquelle nous assistons n'a d'ailleurs été possible que parce qu'elle s'est produite dans une atmosphère particulière, sous l'effet de circonstances favorables.

Nous sommes en 1914, à la veille d'une guerre mondiale. La Wallonie prend peu à peu conscience de son unité spirituelle. Le mouvement flamand a suscité, par voie de réaction tout d'abord, un mouvement wallon dont la forme embryonnaire, purement politique, apparaît en 1888. Parallèlement, un mouvement plus positif va se développer sur le plan culturel. Autour d'Albert MOCKEL et de son groupe symboliste, le nom de La Wallonie (1886-1892) a notamment servi de signe de ralliement aux jeunes forces littéraires de l'époque. Bientôt naîtra une équipe de conteurs et de romanciers dont la veine s'alimente au terroir et, qui plus est, entend rechercher pour elle-même l'évocation des êtres et des choses du terroir. Toute forme de l'esprit local devient une source d'inspiration littéraire. On parle d' « originalité wallonne» et d' « âme wallonne ». Un Congrès réuni à Liège, en 1905, s'efforce de préciser les manifestations de la « sensibilité wallonne » dans les différentes branches de la vie artistique et littéraire. En même temps que se développent et que s'affinent les formes de la littérature en patois, l'amour de la Wallonie se veut de plus en plus conscient sur la lyre des poètes dialectaux chez qui la « fierté » d'être Wallons s'accompagne volontiers d'une pointe de chauvinisme. A l'égal des dialectes, les manifestations de la vie du peuple prennent, aux yeux des intellectuels et des lettrés, une valeur insigne; et, sous la direction d'Oscar COLSON, la vivante revue Wallonici (1893­1914) contribue tout ensemble à promouvoir l'étude des traditions populaires et à former une conscience wallonne par delà les particularismes locaux. Du « folklorisme » apparu au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, naît ainsi une exaltation régionaliste qui imprègne la plupart des activités spirituelles de la petite patrie. On comprendra aisément que l'époque qui vit la fondation de l'Assemblée Wallonne, l'adoption du Tchant des Walons de Théo Bovy comme hymne régional et du drapeau au Coq hardy comme emblème de la cause wallonne, ait aussi ressenti le besoin d'un type national wallon qui synthétisât et symbolisât le groupe ethnique. L'idée, comme on dit, était dans l'air. Peut-être aussi le désir - inconscient ? - d'une réplique wallonne au héros flamand Thyl Uylenspiegel a-t-il joué ici. (98) Quoi qu'il en soit, ce que nous appellerons le mythe de Tchantchès vient s'insérer dans le phénomène plus large du régionalisme wallon tel qu'il se développe à l'aube du XXe siècle.



CHAPITRE IV

LE TYPE LITTÉRAIRE


On peut distinguer deux étapes dans l'évolution « externe » de Tchantchès. La première assure le passage progressif du type populaire des marionnettes au prototype de l'esprit populaire liégeois. Débutant aux origines de la tradition écrite (1887), elle est virtuellement achevée à la guerre de 1914, et la conception qu'elle représente se matérialisera plus tard dans le « Monument Tchantchès » (inauguré seulement en 1936) dont le projet d'exécution remonte à 1922.

La seconde étape se réalise surtout dans la fiction littéraire et s'impose par elle. Des poètes et des dramaturges, principalement au cours de l'entre-deux-guerres, dotent Tchantchès d'une existence nouvelle. Ils l'humanisent, parachevant ainsi l'oeuvre de personnification ébauchée à la période antérieure. Cette conception, je crois, n'a pas été sans influencer, dans une certaine mesure, l'idée que le public se fait aujourd'hui de Tchantchè­symbole.

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Où et quand le personnage de Tchantchès est-il apparu dans la littérature d'imagination? Sauf erreur, ses premières interventions comme héros fictif et non plus comme objet de description, appartiennent à deux romanciers - dont aucun n'est Liégeois: les hennuyers Maurice DES OMBIAUX et Jules SOTTIAUX. Le premier a eu l'idée de placer Tchantchès dans un coin de cette fresque du Liège médiéval qu'entend être Le joyau de la mitre (1901). Quelques années après, Jules SOTTIAUX le campe plu résolument dans L'illustre Bézuquet: le pa sage a été analysé au chapitre précédent.

Ce fut en 1913 ou 1014 que. pour la première fois, un auteur liégeois; Victor CARPENTIER (1851-1922) fit de notre héros le sujet d'une composition poétique. Sa chanson, Tchantchès, parut seulement en 1921 dans le journal Noss' Pèron (no du 1er septembre) et figura plus tard, dans le Bulletin de la Société de Littérature Wallonne (1923). Nous n'insisterons pas sur les qualités, qui sont réelles, de la pièce: on la lira plus loin (voy. Annexe VI). J'ajouterai seulement que le Tchantchès de V. CARPENTIER me paraît revêtir plus franchement que beaucoup d'autres certaine tournure d'esprit, caractéristique des quartiers populaires de Liège (99).

A bien des égards, cette oeuvre reste, comme les textes du chapitre précédent, un témoignage sur le type des marionnettes. Elle innove toutefois en dessinant les premiers linéaments d'un être légendaire. A la fois synthèse et transition. D'une part, elle présente un raccourci de tout ce que la tradition antérieure connaît sur Tchantchès. Soucieux de respecter le pittoresque de son héros, CARPENTIER nous l'a campé en des vers d'un langage vif et coloré:


Tot Lîdje mi k'noh d'ås marionètes,
Là qui dj' fé rire lès grands, lès p'tits;
Tote ine sîse, dji sofèle ås vètes:
Ramasse quî vont tot çou qu' dji di!
I n'a sûr nouk di stok à m' djonde;
Dj'a rézoû lès qwate fis Rêmon;
Dji k'noh tos les lingadjes dé monde,
Mins dj' èlzès djåse tos è walon! (100).


D'autre part, son Tchantchès est conscient de l'entité qu'il représente.


Dji passe po l' påcolèt d'nosse race, (101)


dit-il, après s'être identifié en quelque sorte au pays dont il est issu:


Dji n'a nou parintèdje so l' tére.
Si lon qu' dji r'monte, dji n' ritroûve rin.
Li tére walone, vola m' seûle mère,
Tos les Walons sont mès parints (102).


Le recul dans le temps d'une naissance immémoriale au point d'en devenir fabuleuse donne, si je puis dire, de la hauteur au personnage: c'est, en tout cas, l'apanage d'un être exceptionnel. Retenons cet élément: il constitue le premier trait de la personnalité poétique de Tchantchès. Nous allons le retrouver dans les deux poèmes d'intention épique qui constituent les oeuvres les plus étendues que la littérature dialectale ait consacrées à notre héros.

C'est bien en héros, au sens strict, que se présente le Tchantchès de Théo BEAUDUIN et Michel DUCHATTO (103):


Dj' han Françwès, dit Tchantchès, qu'a spité d'on n' sét wice,
Ca qwand i fourit fêt, Dièw a spiyî l' matrice
Come s'on avah volou pu r'pruzinter l' Lîdjwès,
Amon lès pus virlih, qui n'avah qu'on Tchantchès (I, 2) (104).


Et de définir lui-même sa personnalité:


Mâle djêve po lès grigneûs, min franc coûr po lès-ôtes;
Ine sôre di rôbaleû; di pus' on drole d'apôte
Qui n' sét nin s'abahî la qu' lès-ôtes si stårèt
Et soukant d'ine plinte pèce si Djan'nèsse fêt l'pôlèt;
Efant d'Lîdje po l'pus sûr, ca leûs deûs-àmes èssonne
Ont lès minmès hinêyes, li minme song' è leus vonnes... (ib.) (105).


A cette présentation de Tchantchès par lui-même, comparons celle que nous donne joseph MIGNOLET au début de son grand poème en trois parties, Li tchant di m' tére, en 1935:


Nost-ome n'aveût nol adje...
Mâcrawé cou d'rivadje
Qu'on s' plaîhîve à hoûter,
I rôbaléve djourmày
E ritche djårdin d' nos tåyes
Tot djâsant d' lîbèrté.


Mâgré s' hoyowe calote,
Si såro fêt d'clicotes
Et sès trawés stotchèts,
I twèséve li nôblèsse,
Li consèy, lès priyèsses,
Qwand roûvît d'èsse Lîdjwès.


Tot Lîdje èl kinohéve,
Vrêy qui I'potince vikéve
Li vèye di s'vîle cité.


Après avu chèrvou nosse roslant sint Lambêrt,
I s'aveût pu d'ine fèy batou pu sint Houbêrt
Et-s-aveût-i fêt totes lès guéres dé grand Notger.


Les siékes qui r'vièrsèt tot ni l'avît gote candjî:
C'èsteût todis l' Tchantchès d'nawére,
Li Tchantchès d'oûy et l'ci di d'min;
In-ome di fier todi luron,
Fir di s' cok'sant lingadje èt di s' payîs wallon! (1ere partie, I) (106).


L'identification de Tchantchès au destin de la cité de Liège s'exprime aussi explicitement dans un texte que dans l'autre, et on peut dire qu'elle constitue d'ailleurs le fond des deux oeuvres. (107) L'origine immémoriale du héros est surtout accentuée chez MIGNOLET: il s'agit ici, d'un être qui évolue à travers l'histoire, comme si le temps n'existait pas pour lui. BEAUDUIN et DUCHATTO n'ont guère été aussi loin: ils s'en sont tenus à l'origine inconnue de leur héros (qu'a spité d' on n' sét wice), ce qui auréole d'un léger halo de mystère la physionomie de Tchantchès. Cette dernière, par compensation, est plus nettement dessinée que dans Li tchant di m' tére: du moins ses traits moraux sont plus accusés que son relief physique. Il y a encore trop de plasticité, trop de pittoresque extérieur dans le portrait que nous trace MIGNOLET. Il est vrai qu'en d'autres endroits, le Tchantchès de BEAUDUIN et DUCHATTO est relié à certains éléments de la tradition - et la marionnette reparaît; mais c'est à elle, c'est son sosie de bois que s'adresse le Tchanchès de chair et d'os:


Marionète ! Dji m' ritroûve divins twè, p'tite djodjowe
Tot-î èst: mi canote, mi marone, mi såro;
A mitan di m' visèdje qu'avise todi fé ne mowe.
Mi narène sins nole cogne. A mès pîds, mès sabots
Qui halcotèt sins nole rit'nowe
Djourmày prêt' po k'piter lès sots. (II, 5) (108).


Et voici la tirade du sarrau:


Rèspèctez m' bleu såro come inc vile åbarone!...
Et qwand Tchantchès pus tård alouw'rè s' dièrin djoû,
Wèstez lî tinrûl' mint po l' fé chèrvi d' lîçou
Qu'èl tére di fosse payîs mi mousseûre mi rafûle,
Et qu'insi, mågré l' mwért, mi sâro d'meûre chèrvûle,
Tot tant qu' dji sintirè so m' coûr, come on cov'teû,
Li tcholeûr di s' pôve teûle èt l'carèsse di sès pleûs. (II, 2) (109).


Aussi bien, malgré tout, la psychologie primitive (dans les deux sens du mot) de Tchantchès ne laisse pas de s'affiner dans l'une et l'autre oeuvre. Tchantchès gagne en relief humain et son physique cesse d'être grotesque. Il porte en lui des aspirations d'un ordre élevé. Dans Li tchant di m' tére, il est comme le point de résonance de tous les faits de la communauté liégeoise: i pwèrtéve è s' grande åme li grande åme dêl Patrèye (110). Et l'épopée tout entière qui déroule devant nous la lutte désespérée de Liège contre les Bourguignons et leurs suppôts, nous montre en Tchantchès le plus vigilant, le plus clairvoyant des Liégeois, celui qui est partout, qui prévoit tout et sait toujours où sont les véritables intérêts du pays. Quand Liège sera frappée à mort, Tchantchès disparaîtra; et la renaissance de la Cité sera marquée par son retour:


Wice sont-is, lès Lidjwès ?
Broûlés, touwés, banis...
Mins tant qu'i-n-a Tchantchès
Lîdje ni pôrè mori. (Epilogue) (111)


Le Tchantchès de BEAUDUIN et DUCHATTO, se révèle à nous sous un jour différent, mais tout aussi pur. Il caresse des visions de gloire et d'amour; il a d'ailleurs la bravoure d'un chef sans peur et sans reproches, et la noblesse d'âme d'un amant qui n'hésite pas à se sacrifier pour le bonheur de celle qu'il aime sans être payé de retour.


Voleûr s' ènonder lon... mins d'mani come l'åripe,
Qui moûrt la qu'èle s'agridje, sins glwére èt sins façons;
Ni wèzeûr dire « Dji v's-inme », si ç' n' èst d'vins sès tchansons;
Esse come in-adjèyant, li tièsse divins lès steûles,
Mins tchàssî dès bot' kènes alouwêyes disqu' ås teûles;
Avu l'cogne d'on bribeû, min l' frankisté d'on rwè,
Si dire « Dji so Roland! », ni s' ritrover qu' Tchantchès ! (I, 4) (112).


Au fond, ce Tchantchès a des côtés romanesques. Il est tour à tour moqueur, hautain, tendre, passionné, et il tourne le madrigal. Ne l'a-t-on pas dit plus d'une fois? la pièce de BEAUDUIN et DUCHATTO doit beaucoup, dans sa conception et son style, au Cyrano d'Edmond ROSTAND. On ne s'étonnera donc pas outre mesure que son héros parle bien. Ni même qu'il s'écoute parler.

Tchantchès est entré tard dans la littérature dialectale, si l'on entend par là qu'il ne s'est différencié du Tchantchès des marionnettes que dans la période d'entre-deux-guerres. Le Tchantchès de Victor CARPENTIER était à peine l'ébauche d'un personnage littéraire. Chronologiquement, c'est dans L'Âme dèl cité, pièce historique en trois actes (113) de joseph MIGNOLET que l'on verra pour la première fois un Tchantchès fictif mêlé à une action dramatique. Mais quoique campé à l'avant-plan, le personnage n'a guère qu'un rôle déclamatoire; et l'on ne comprend pas comment, ayant vingt fois l'occasion de tuer le traître de la pièce, il se laisse lui-même tuer dans une scène finale qui tient décidément du mélodrame. MIGNOLET sera plus heureux en esquissant une tout autre figure de Tchantchès dans le poème qui termine son recueil Fleûrs d'osté. (114) Alors que le Cyrano de ROSTAND, inspirait le Tchantchès de BEAUDUIN et DUCHATTO, Le contrebandier du même auteur (voy. Les Musardises), servait de modèle aux vingt-trois strophes de MIGNOLET.

De part et d'autre, le poète fait la rencontre d'un personnage étrange qu'il reconnaît, ici pour être Don Quichotte et là, le Tchantchès d'ås marionètes. Après un long discours qui est tout ensemble un réquisitoire et une profession de foi, le premier remet au poète son armet et le second lui donne sa casquette de soie dont il se fera un emblême:


Dispôy, fîr dé sinti s' grande calote drî mi-orèye,
- Hoyowe calote di sôye qu'on n' vout pus aconter -
Dji va, dreût come on coq, ås cwènes dèl Walon'rèye
Tot fôrdjant dès-istwéres al glwére di nosse passé. (115)


Ce Tchantchès qui personnifie non seulement


Li Walon qu'inme di s'bate po d'finde sès libèrtés,
Li Walon qui mâltraite Charlèmagne di haguète (116)


mais encore et surtout


Li Walon qu' pwète è si-âme li grande åme di s' cité (117)


annonçait déjà, on le voit, le Tchantchès du Tchant di m'tére.

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Nous avons signalé, plus haut, la mention de Tchantchès comme type épisodique chez Maurice DES OMBIAUX. Une trentaine d'années plus tard, le romancier, dans une suite du joyau de la mitre qui s'intitule Liège qui bout (118), reprendra le type de Tchantchès, mais en lui accordant cette fois une place de choix dans l'intrigue romanesque. D'avoir mêlé son héros aux péripéties d'une action mouvementée, chargée d'épisodes truculents, n'a pas empêché l'auteur de l'isoler, à certain moment, de la trame du récit afin d'en fixer un portrait qu'on lira plus loin (voy. Annexe VII). Les traits moraux de ce portrait ne sont que suggérés; tels quels, ils trahissent l'intention de faire de Tchantchès un type représentatif du terroir.

Aussi bien, l'épilogue du roman qui nous fait assister à la proclamation, sur le Marché, d'une sentence de bannissement contre Wathieu d'Athin, le personnage principal, convaincu de brigandage et de traîtrise, conclut-il par une intervention spectaculaire tout à fait significative


Vive le Perron et vive Saint Aubin! répondit Tchantchès, juché sur le bloc de pierre.


Il me paraît que DES OMBIAUX n'a pas été sans influencer MIGNOLET pour la prise d'angle de son héros du Tchant di m'tére. Ici et là, Tchantchès surgit de même façon, à chaque tournant de l'histoire dont il est l'interprète et, quoique le ton des deux oeuvres diffère - enjoué et goguenard chez DES OMBIAUX, enthousiaste et grave chez MIGNOLET -, on sent que les auteurs ont voulu accroître le prestige de leur Tchantchès en lui conférant le prestige même du passé. Leur souci d'archaïsme n'a peut­être pas d'autre raison. Nous avons indiqué en passant le sujet du Tcha'nt di m'tére. Ce poème raconte l'épilogue de la résistance liégeoise à la domination de la maison de Bourgogne et le sac de Liège par Charles le Téméraire en 1468. Pareil sujet, on le devine, était bien fait pour permettre au beau symbole patriotique de Tchantchès de courir ses chances de réussite.

Au Tchant di m'tére, on rattachera Ine pådje d'istwére: Hinri d' Dinant, de Lambert LEMAIRE (119), scène de l'histoire liégeoise du XIIIe siècle, dans laquelle Tchantchès joue un rôle visiblement trop proche de celui qu'il tient chez MIGNOLET. On ne s'y arrêtera donc pas.

C'est aussi dans un cadre historique que prend place le Tchantchès de BEAUDUIN et DUCHATTO. Mais ce cadre est plutôt un arrière-plan, une toile de fond. L'action nous reporte dans la première moitié du XVIIe siècle, au moment où des bandes suédoises viennent d'attaquer l'Empire dont relève la principauté de Liège. Dans les troupes qui doivent porter secours aux Impériaux et prévenir ainsi une invasion de la terre liégeoise, Tchantchès et ses compagnons se sont enrôlés. Le départ de Tchantchès, son courage à l'heure du danger, sa magnanimité pour son rival Biètrand di Bètincourt dont il tait la trahison, le sacrifice enfin qu'il fait de son amour pour la noble Élise: l'action est celle d'une comédie héroïque, non d'une épopée patriale, quasi impossible d'ailleurs au théâtre. Restent alors pour nous les tirades pleines d'envol et de panache, encore qu'assez artificielles. Sans elles, Tchantchès n'aurait que peu d'occasions de manifester le côté « symbole » de son personnage.

Faire intervenir Tchantchès dans l'histoire, ce n'est pas seulement, ainsi que nous venons de le voir, enrichir la personnalité de notre héros populaire, c'est aussi enrichir le passé liégeois considéré comme source de fiction ou thème héroïco-romanesque. Avec Tchantchès, on possède désormais un type apte à incarner la conscience liégeoise au cours des siècles qui jalonnent l'existence de la principauté. C'est ce dont on n'a pu manquer de s'aviser en voyant Le jeu de Liège, poème dramatique de Théo FLEISCHMANN représenté en juin 1939 à l'Exposition Internationale de l'Eau. Au cours de cette reconstitution romancée de l'histoire liégeoise, Tchantchès apparaît à deux reprises. Tout d'abord dans le groupe VII : La période des malheurs (XVIIe siècle). « Oubliant », dit le commentaire du livret, « d'être joyeux drille », Tchantchès interpelle le Fléau qui s'avance:


Fléau, noir cavalier sans voix et sans visage,
Tu peux tourner le mors, donner de l'éperon,
Mais laisse-moi parler... Je suis de tous les âges...
Tchantchès, à l'ombre du Perron,
Aura toujours son franc langage.


Le groupe XIII: C'était le bon temps, nous fait assister à un dialogue entre le Tchantchès d'hier, celui des heures troubles, et le Tchantchès moderne « rieur, dansant, chantant ». (120) Ici donc le héros assume essentiellement un rôle de liaison.

L'histoire, exploitée par la littérature, fournit ainsi à Tchantchès sa légende - un folkloriste préciserait: sa légende explicative, le nom et le personnage ayant entraîné la fable. Mais cette légende ne comportera pas que des aspects grandioses, héroïques. La condition modeste du personnage, le souvenir aussi de son rôle au théâtre des marionnettes où il est mêlé aux récits carolingiens provoquent, si je puis dire, des retours en arrière. Tchantchès, personnage « historique », soit, mais en rapport avec ses origines et son milieu. S'il s'agit de composer une vie légendaire du bonhomme, voici, en 1927, joseph VRINDTS qui en apporte la première image. Dans un poème où il ne campe le héros populaire qu'à travers la marionnette, il fait de Tchantchès le frère de lait de Charlemagne, avant de proclamer:


I n-a-qu'on Tchantchès d'zos l'solo! (121)


Un peu courte, la trouvaille est néanmoins jolie, ingénieuse; elle ne devait avoir aucun écho, si ce n'est chez le poète lui­même. (122)

Jean BOSLY, plus inventif, ira beaucoup plus loin. (123) Ii se fera le biographe concis et truculent d'un roturier « né à Liège, de façon miraculeuse, le 25 août 760, entre deux pavés du quartier d'Outre-Meuse », allaité... au pkèt, sevré avec un hareng-saur, et le reste à l'avenant. Sacré prince de Djus-d'la-Moûse après un cortège où il avait représenté Saint Mâcrawe - la veille de l'Assomption 770 -, Tchantchès est rencontré, flânant sur les rives de la Meuse, par Roland et Turpin qui l'amènent à la cour du grand empereur. Ce qu'il y fait, ce qu'il y dit rejoint, à peu de chose près, le rôle et les réparties célèbres des théâtricules de Roture. Le facétieux chroniqueur intervient à nouveau pour achever la vie de son héros en le faisant mourir, « après une franche ripaille », à l'âge de 40 ans, « à l'endroit même où s'élève son monument, place de l'Yser ». Fantaisie rabelaisienne, conte drolatique: nous quittons ainsi le merveilleux pour le réalisme.

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Il y a ceux qui font entrer Tchantchès dans la légende et il y a ceux qui l'en font sortir. Retour au quotidien, au contemporain. Est-ce une réaction qu'a voulu manifester le long poème narratif, en trois parties, de Louis LAGAUCHE ? (124) Le fait est qu'on se trouve en face d'un héros redescendu au niveau des contingences vulgaires et des jours sans horizon.

L'oeuvre a paru l'année même du Tchant di m'tére, analysé plus haut. On n'imagine pas de contraste plus frappant. Ni plus complet: il se marque dans l'affabulation, le décor, l'atmosphère, le ton et jusque dans la langue.

Le Tchantchès de Louis LAGAUcHE nous reporte un bon demi­siècle en arrière. Cette histoire familière raconte, en de nombreux petits épisodes, la vie d'un gamin d'Outre-Meuse. La naissance de Tchantchès nous convie dans une ruelle sordide où se préparent d'invraisemblables margayes (bagarres) dont la trivialité excessive ne supporte pas la lecture, ni même le résumé.

Impossible de prendre un contact sympathique avec le milieu ou avec les personnages. La suite ne rachètera pas ce fâcheux début. Tchantchès ne sera le plus souvent qu'un flâneur, s'amusant de farces scatologiques et s'accommodant de concubinages d'une plate vulgarité.

Autour du personnage central, l'auteur a évoqué la vie du peuple à Liège, telle qu'il la connut dans son enfance. Les types populaires d'alors: Marcatchou, Paganini, etc., d'autres comme li Flamind, Boule di gôme sont allègrement croqués. Plus d'une scène est rendue avec vivacité et humour. Telle la leçon de catéchisme où le jeune Tchantchès fait au prêtre qui l'interroge une réponse digne de Gavroche...

Mais le personnage campé par Lagauche est bien davantage qu'un gavroche de faubourg. Son caractère prend, peut-on dire, sa couleur spécifique dans la tonalité même du style de l'oeuvre qui est un style délibérément burlesque. C'est à un bouffon, conscient ou non, que nous avons affaire. Or, ce bouffon n'est pas le premier venu: il est Tchantchès, il appartient à une tradition, il possède des éléments déjà fixés. Et, à moins de nous égarer, l'auteur le plus réaliste est bien obligé, tôt ou tard, de compter avec eux. Aussi, LAGAUCHE n'a-t-il pu négliger tout à fait l'aspect symbolique de son Tchantchès que rien, dans les ,50 premières pages du livre, ne préparait au rôle de porte-parole des Liégeois. C'est ici, on s'en doute, que l'invraisemblable confine au grotesque. Je renonce à évoquer les épisodes inattendus au cours desquels Tchantchès ne cesse de se manquer lui-même. Plus que le poème, le personnage devient hybride et faux.

La même impression subsiste, encore accrue, à la lecture d'une petite joyeuseté sans prétention, en français cette fois, antérieure de quelques années à l'oeuvre de LAGAUCHE. L'Histoire de Tchantchès, illustrissime comédien de bois de Rodolphe DE WARSAGE (125) se laisse volontiers diviser en deux parties. La première a toute l'apparence d'une nouvelle rustique traitée à la Demolder ou à la des Ombiaux. Elle narre l'enfance, la jeunesse et le mariage de Tchantchès à la ferme de la Croix des Houx. Il naît coiffé, un dimanche entre deux messes - signe que la croyance populaire juge d'excellent augure; nous le voyons grandir avec un physique caricatural, revêtir les particularités vestimentaires de notre marionnette: sarrau de toile bleue, haut de forme en tromblon et sabots; nous assistons à sa bagarre avec le Flamand Jan Claasen, buveur de bière et savant culotteur de pipes. « Or, si Tchantchès est vraiment le type d'une race, Claasen était celui d'une autre ». Cet antagonisme - élément nouveau ? - est à coup sûr un signe des temps.

C'est donc un personnage humain qui nous est présenté.

Que signifie dès lors son entrée au Théâtre Impérial de Roture où Léopold, le propriétaire-directeur, l'a engagé avec Nanesse? Car nous sommes ici, non dans une salle de comédie, mais dans un authentique théâtre de marionnettes. Et sans que nous sachions comment s'est opérée la métamorphose, sans qu'on nous l'ait même fait pressentir, nous sommes maintenant en présence d'un acteur de bois qui dialogue avec Charlemagne auquel il rappelle leur commune origine hesbignonne! Quelque chose s'est brisé dans la trame du récit. Et ce n'est certes pas le départ de ce Tchantchès pour les tranchées, ni son voyage à Paris, chez les « Amis de la marionnette » en compagnie de... l'auteur lui-même qui nous restituera le fil que nous avons perdu. Une sorte de clivage, dirait-on, s'est opéré dans le héros, chaque partie évoluant pour son propre compte sur des plans tellement distincts qu'ils ne sauraient se rejoindre. Curieux phénomène, en vérité, que celui d'un personnage condamné ainsi, par son créateur, au dédoublement dans l'absurde.

Avec le joyeux compère que peint Georges DELIZÉE, nous revenons sur un sol plus ferme. Des milieux de roture (sans jeu de mot!) où nous avait entraîné Louis LAGAUCHE, nous passons à la cour des miracles - et le pavé en est terriblement gras. Les dernières aventures de Tchantchès (126) ne sont pas les meilleures. Bornons-nous à constater que cette fiction n'ajoute rien de neuf au caractère du type.

Tel n'est sans doute pas le cas du Tchantchès de Georges KOISTER (127), encore qu'ici on soit avant tout frappé par la situation originale où l'auteur a placé son personnage. Ce qu'on nous présente comme une « fantaisie-bouffe écrite sans sujet, ni raison, simplement pour évoquer des types de chez nous » a le mérite, à nos yeux, non plus de faire de Tchantchès un homme du peuple se mêlant à d'autres hommes du peuple dans la vie de tous les jours, mais de le récréer, héros très caricatural des marionnettes, compagnon toujours fidèle d'un Charlemagne retombé en enfance, vieux citoyen de Liège qu'il parcourt en tous sens et, au surplus, veuf de Tatène. Pour le reste, son humanité est celle d'un bon vivant qui, un soir de Noël, se rend dans une famille bourgeoise d'Outre-Meuse où on l'a prié au réveillon. On boit, on chante, on conte des gaudrioles - dans un français extraordinaire - et, constamment, passent et repassent les allusions aux misères de la guerre (nous sommes en 1943) et du ravitaillement. La sîse achevée, l'hôtesse voudrait retenir chez elle, pour qu'il y fixât ses jours, ce vagabond de Tchantchès qui « n'a jamais eu d'autre toit que le ciel de Liège ». Peine perdue! La réponse que fera le compère à la brave femme le révélera dans sa fonction, immémoriale et sans doute éternelle, qui est d'être présent « d'un bout de la ville à l'autre, partout où il [faut] fronder, protester ou blaguer », d'assister les Liégeois dans les bons et les mauvais jours, car « sans Tchantchès, les Liégeois ne seraient plus que des gens comme les autres»

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Ni la fiction héroïque, ni la fiction réaliste ne mettent notre Tchantchès entièrement à l'aise. L'une le tient trop loin et trop au-dessus de ses origines de marionnette. L'autre ne lui permet pas d'incarner avec cohérence le rôle de symbole qu'il doit soutenir sous peine de déchoir et de n'être plus compris. L'une et l'autre enfin risquent de compromettre l'unité du personnage qu'elles créent.

Il restait un nouvel essai à tenter: fondre les deux tendances en une seule. Il ne suffit plus alors d'introduire le type populaire dans un cadre historique, même si celui-ci convient a priori à celui-là - et sous ce rapport l'époque carolingienne est un cadre idéal. Il faut assurer en plus la rencontre naturelle du merveilleux et du réalisme. Quoi de mieux alors qu'une pièce même de marionnettes ou de fantoches, avec l'accompagnement discret d'une ambiance de féerie? C'est ce qu'ont parfaitement compris et heureusement réalisé, chacun dans son domaine, les auteurs de Au temps où Berthe filait..., Marcel FABRY et Gaston BATY (128).

« Tour à tour, émus et tendres, réjouis et curieux, fanfarons et hableurs, sentimentaux à fleur de peau et naïvement réservés, Tchantchès et Nanèsse, quoique plus nuancés que d'ordinaire, restent bien dans leur rôle » (129). Et ils ne sont pas moins fidèles à leur langage terre à terre, d'une familiarité qui n'est pas toujours éloignée de la platitude - on va le voir tout de suite. Nos héros n'acquièrent leur vrai sens que dans l'atmosphère où ils se trouvent placés. Pour ce Tchantchès entouré de je ne sais quelle cordialité wallonne dont semblent aussi procéder Nanèsse et Charlot, le gnome Glawène et la bergère Gante, la chèvre d'or et Beaugard le sanglier, le garde du palais et jusqu'à l'invisible Marcatchou, il ne saurait être question d'un personnage de littérature: Tchantchès est dans la pièce comme une fonction folklorique, le premier de tous ces êtres qui entrelacent, autour de la légende de Berthe et de Pépin, les jeux d'une fraîche et naïve mythologie de terroir.

Si le passé a fourni un cadre et certains personnages à Marcel FABRY, il ne l'a contraint, en revanche, au respect d'aucune donnée historique. Avantage appréciable que n'avait pas la littérature héroïsante des poètes wallons, obligée d'accueillir un mythe dans les frontières de la réalité et gênée par cette servitude même (sans parler du risque constant de fausser, par une telle union, l'homogénéité de l'oeuvre). Ici, nous voguons en pleine légende et, mieux encore, dans une légende dont les traits n'ont jamais été définitivement fixés. La liberté de l'affabulateur ne connaît donc pas d'entrave. Le nom de Berthe, mère de Charlemagne étant à peu près tout ce que l'histoire a retenu, le reste est l'oeuvre de légendes plus ou moins différenciées entre elles; c'est à la plus complète, à la version romanesque du trouvère ADENET LE ROI (XIIIe siècle) que Marcel FABRY a recouru.

Le reste: c'est-à-dire l'histoire de la « fiancée substituée ». Voyons-en le thème. « Le soir même de son mariage avec le roi Pépin, Berthe est victime d'un complot à la suite duquel elle est amenée dans la forêt, tandis que sa soeur de lait, Alix, prend sa place dans la couche nuptiale; la malheureuse est recueillie par un brave charbonnier et sa famille et vit plusieurs années dans la cabane de ces petites gens, jusqu'au jour où Pépin la retrouve, découvre l'infâme trahison et restitue à son épouse sa légitime dignité ». (130)

Les deux premiers tableaux se passent au château d'Herstal, puis dans une clairière des Ardennes où Brun l'ours, Ysengrin le loup et Beaugard le sanglier, mystérieusement avertis du drame qui se joue, transportent la pauvre Berthe abandonnée dans la cabane toute proche d'un charbonnier. Au troisième tableau, le charbonnier est devant nous: c'est Tchantchès (avec Nanèsse, sa femme) volontairement exilé de Djus-d'là-Moûse, parce qu'on lui a préféré, pour les fonctions de mayeur, son rival Marcatchou - un autre type populaire. (131)

Tchantchès. - Marcatchou! Un pêcheur! Autant dire un lècheur de baye... Quand je pense qu'on l'a v'nu trouver au bord de l'eau et qui s'a écroukî en voulant faire un discours, rapport qu'il avait des warbôs dans sa bouche... Un pêcheur! Je t'demande un tout p'tit peu!
Nanesse. - Un pêcheur? Est-ce qu'i n' te vaut pas bien? Pour qui est-ce que tu te prends, donc Tchantchès ? Dirait-on pas vormint
T. - Pour qui je m'prends? Pour le premier citoyen de Liège.
N. - lye binamêye
T. - ...celui qui représente tout note petit peuple, - le coeur sur la main et les cheveux tout près de la tête -, celui qui reprend toujours pour les petites gens, les mâlereux, les mesbrugis, celui qui n'a pas peur de crier aux grands « Ahote ! » quand c'est qu'i veulent faire de leurs airs et qu'i se croyent tout permis d'abord qu'il ont v'nu au monde dans un château...
N. - Pas besoin de faire un discours, Tchantchès. Tu n'es pas ici en Roture... I n'a tout de même personne sur les tapecou pour t'écouter.
T. - Ne rie pas, ne rie pas! J'irai plus loin qu' tu crois, tu me l'rediras... Plus tard, j'aurai mon estatue à Liège... Tu verras, paraît, s'i n'se trouvera pas un jour un échevin pour reconnaître qui qu'je suis... et pour me faire un monument - et un beau encore - et au plein mitan d'Jus d'là-Moûse.

Sept ans plus tard, dans le même décor. Berthe file, tandis que son jeune fils Charlot - le futur empereur d'Occident - écoute Tchantchès raconter ses exploits contre les Sarrazins, au temps où il servait dans l'armée de Charles Martel. Soudain, la porte de la maisonnette s'ouvre: paraît le roi Pépin, qui, égaré au cours d'une partie de chasse, vient demander l'accueil de ses braves amis d'Outre-Meuse. La conversation s'engage, empreinte d'une familiarité à la liégeoise, cependant que Berthe ne parvient pas à cacher un désarroi qui finira par intriguer le roi Pépin, surpris de la ressemblance qui existe entre cette femme et la reine.

Et nous revoici en pleine forêt des Ardennes où vivent Brun, Ysengrin et Beaugeard, où conversent les oiseaux, où les arbres ont des voix mystérieuses, où apparaissent et disparaissent des êtres étranges: les quatre Fils Aymon, Maugis, la Gate d'or, Basin le bon larron, le nain Galopin et ses sotês, les macrales conduites par Belzébuth, saint Hubert et son cerf. Mais l'arrivée des hommes rompt le charme: la forêt livre passage à Tchantchès et à Charlot qui donnent un pas de conduite au roi Pépin. On devine qu'un lien d'affection se noue entre ce dernier et celui que les oiseaux de la forêt mystérieuse viennent de proclamer son fils...

Les sixième et septième tableaux sont d'importance capitale, non seulement pour l'action qui se resserre davantage, mais également à cause du rôle qu'y tiennent notre héros et son épouse. Tout d'abord, nous apprenons par Nanèsse, retour de Liège, que des fêtes se préparent pour recevoir la reine Blanchefleur venue rendre visite à sa fille Berthe. Et Nanèsse - sans comprendre le trouble qui vient de gagner son illustre protégée - se fait l'écho des propos désobligeants qui courent sur l'actuelle épouse du roi Pépin. A une allusion plus directe à la reine Berthe - la vraie - dont Blanche fleur a dit qu'elle « avait de grands pieds, mais un coeur plus grand encore », la mère de Charlot s'évanouit. Les deux époux entrevoient ce qui a pu, ce qui a dû se passer. Et le lendemain, Tchantchès, en sarrau plissé et en haut de forme, est reçu par le roi Pépin au château d'Herstal. On devine le but de cette visite.

En présence de la reine Blanche fleur, l'odieuse supercherie est découverte. La mort sera le châtiment de la sorcière Margiste, mère d'Alix, et de Tibert, le chevalier qui a emmené Berthe dans la forêt. Mais Tchantchès intercède pour celui qui n'a pas voulu être le meurtrier de la reine; le félon partira en Terre-Sainte combattre les Sarrazins. Et Tibert de sangloter, le visage appuyé sur l'épaule de Tchantchès:


« Djans, valèt, j'aime pas ces manières-là, sais-tu moi. Et puis, tu vas cafougni mon beau pleûti sâro. Alèz Montre que t'es un homme, et va faire tes paquets ».

Alors Tibert: « Faut-il que ce soit chez un homme du peuple que je trouve une telle générosité? Tchantchès, tu es un grand coeur!

Et l'autre, d'un geste large, montrant le public: « A Liège, nous sommes tous comme ça! »


Le huitième et dernier tableau est une apothéose. Le rideau lève devant la cabane de Tchantchès, tandis que dialoguent les archanges Michel et Raphaël qui annoncent les temps nouveaux: Carolus Magnus Imperator... Conduits par Tchantchès, roi Pépin et Blanchefleur viennent reconnaître la vraie Berthe, et Charlot, dont le rêve était de régner un jour, peut enfin embrasser son père. Sur ces entrefaites, arrivent des délégués d'Outre-Meuse: ils prient Tchantchès de reprendre sa place dans le populeux quartier illustré par le « noble Métier des Tanneurs de Saint-Pholien et le non moins noble Métier des Vieux-wariers de la place Delcour ». Joie unanime que consacre le cramignon final conduit par notre charbonnier, fier de sa popularité recouvrée et de l'entité qu'il représente.

La pièce a-t-elle été conçue en fonction de Tchantchès ? Non certes. Et c'est là une nouvelle différence avec la plupart des oeuvres examinées plus haut. Au temps où Berthe filait.., est une évocation du légendaire wallon. Mais Tchantchès en est le centre; et voilà le fait qui nous importe. Son rôle dans l'histoire de Berthe apparaît essentiel. Il devient comme l'instrument grâce auquel s'accomplissent les destinées carolingiennes. Sur ce fond de légende médiévale, le personnage détache son relief par sa présence et par ses gestes autant, sinon davantage, que par ses paroles. Conformément à sa nature de marionnette, il est « une parole qui agit », et non plus seulement un protagoniste qui parle. Le symbole, ici, est au coeur de l'action et il en reçoit la vie. Ce que Tchantchès a perdu en valeur littéraire, il l'a gagné en valeur dramatique.

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La littérature relative à Tchantchès est trop proche de nous pour qu'on puisse y déceler l'apport caractéristique des générations qui, on le sait, se succèdent sans se ressembler. C'est ici surtout que le recul nous fait défaut. Convenons cependant que les oeuvres les plus récentes n'ont guère poursuivi dans le sens de l' « héroïsation» du type qu'indiquaient les années 1925-1935. On semble s'en tenir à un personnage plus modeste, plus réaliste, d'un symbolisme moins encombrant. Sur le vieux Marché de Liège, Tchantchès ne tend plus son nez ambitieux vers le Perron: tout à côté, la Fontaine de la Tradition lui suffit - et elle est moins haute.



CONCLUSION


Il n'est pas question pour nous de relever toutes les mentions contemporaines de Tchantchès, ni même tous les textes récents où il figure en plus ou moins bonne place. Pareille tâche n'offrirait qu'un médiocre intérêt et, au surplus, alourdirait inutilement l'exposé. Au cours de cette étude, nous nous en sommes tenus aux témoignages significatifs pour la formation et l'évolution du phénomène qui nous occupe.

Cette évolution, au point où nous l'avons laissée, nous paraît arrêtée dans ses grandes lignes depuis quelque temps déjà. Le circuit que peut parcourir un type populaire se trouve en effet fermé du jour où ce dernier se transforme en symbole. Et un symbole est une entité conventionnelle que le groupe social a fixée. C'est-à-dire immobilisée. De même qu'on ne peut changer les fables reçues, on ne peut guère renouveler ou « déplacer » un être symbolique. On comprend par là pourquoi le type littéraire de Tchantchès est relativement court. Il est même certain que si, d'acteur populaire qu'il reste encore malgré tout, le type devenait exclusivement la proie de la littérature d'imagination, il entrerait du même coup dans une impasse. Tchantchès, rappelons-le, n'est pas de la catégorie des Don Juan ni des joseph Prud'homme. On a beau le présenter sous des éclairages différents, varier presque à l'infini les circonstances où il se manifeste; on ne peut guère ajouter à son fonds. Parce que ce fonds, il le représente plus qu'il ne le possède vraiment. Trop général et trop flou, le personnage ne se décide pour aucun caractère strictement individualisé. Le symbole dépasse toujours la vie. Le destin de Tchantchès en littérature serait-il alors d'hésiter perpétuellement entre le héros trop grand pour soi et l'homme mal incarné dans un être emblématique ?

Le destin actuel du symbole Tchantchès prend, je crois, une tout autre direction. Son élargissement n'étant plus possible, son utilisation demeure. Le mythe, dès lors, va servir.

A vrai dire, cet enrôlement ne date pas d'aujourd'hui. Il n'a même pas attendu pour se produire que le type fût définitivement constitué. Dès le début du siècle, nous avons vu Tchantchès intervenir dans le journalisme et dans l'annonce publicitaire. Tendance qui ne fera que s'accentuer pendant l'entre-deux­guerres au fur et à mesure que la popularité de notre plébéien touchera des sphères toujours plus étendues.

Un sociologue qui se livrerait à une enquête sur la place et le rôle de Tchantchès dans la vie liégeoise d'aujourd'hui serait frappé, d'emblée, par sa présence dans des domaines fort divers.

Sans doute, il tiendra pour peu original son entrée dans la tribu des géants. J'ai sous les yeux une carte-vue montrant un groupe d'orphéonistes, Les Djoyeux des Vennes, dominé par un immense Tchantchès flanqué de son épouse. Leurs prototypes sont évidemment les mannequins célèbres des ommegang et cortèges carnavalesques de Bruxelles, de Termonde ou d'Ath. Le « nouveau folklore » est riche de créations à la manière de... Par ailleurs, il était fatal que l'organisation d'un certain pittoresque local mît notre Tchantchès en vedette. On trouvera tout naturel qu'en plein coeur d'Outre-Meuse, lors de la reconstruction du Pavillon de Flore, la Maison de Tchantchés (parfois appelée Musée Tchantchès) ait été prévue entre la salle de spectacle et le théâtre des marionnettes. Charmant logis en miniature, (132) destiné notamment à abriter la garde-robe du bonhomme - je veux dire ses insignes et ses uniformes.

Car, à l'instar de Manneken-Pis (imitation heureuse?), Tchantchès a reçu de glorieuses promotions: caporal honoraire de la Brigade Piron en 1945, « Warrant officier » de 1ere classe en 1946, premier soldat de la Légion étrangère de France en 1947 - et je ne suis pas sûr d'être complet... N'avait-il pas, au demeurant, bien mérité de la Résistance? Le fait est que, durant les deux occupations allemandes, les suppôts de l'ennemi n'ont jamais réussi sérieusement à l'annexer (133). Ils auront senti à l'avance la vanité - et le ridicule - de pareille tentative.

Bien entendu, le commerce, d'une part, la publicité, de l'autre, ne se font pas faute d'exploiter Tchantchès plus activement que par le passé. Il est des produits qu'il patronne avec autorité et conviction: le tabac ou le pèkè (eau de vie), par exemple. Il est des manifestations qu'il prend tout naturellement sous l'égide de sa goguenarde silhouette: ces fêtes où, chaque automne, s'exalte l'esprit wallon. Sur le rideau-réclame d'une salle de théâtre patoisant, l'invite « Tchantchet vous recommande ces bonnes maisons » (134) crée aussitôt l'ambiance... publicitaire. Si le nez de Tchantchès rehausse maintes affiches, son nom, déjà à lui seul, est engageant et prometteur: il existe un « Théâtre Tchantchès » (135), une « Bibliothèque Tchantchès » (136), une « fanfare Tchantchès » (137) - et n'a-t-on pas vu figurer des « panachés Tchantchès » au menu du banquet organisé pour les noces d'or du poète Vrindts? La solidarité n'avait du reste pas attendu la gourmandise dans la République Libre où l'on fait si bien les choses; depuis 1923 prospère en effet une « amicale Tchantchet », société d' « entr'aide aux décès »...

Tchantchès doit beaucoup au journalisme. Reconnaissons qu'il le lui a bien rendu en s'offrant tantôt pour un titre de gazette, tantôt pour un pseudonyme, tantôt pour un rapprochement pittoresque (138). Il se manifeste de plus en plus fréquemment dans l'actualité politique commentée par la caricature, sans oublier la chanson (139).

Mais peut-être l'emploi le plus remarquable, le plus neuf, de Tchantchès se trouve-t-il dans ce qu'il faut bien appeler, au sens favorable du terme, la propagande. Que la marionnette Tchantchès, en format réduit, devienne une mascotte (140) ou un porte-bonheur, on ne s'en étonnera pas trop, en un temps où le fétichisme se commercialise. Mais notre petit Wallon se fait mieux distinguer on le choisit de plus en plus, seul ou avec son épouse, comme l'emblème que des visiteurs de marque emporteront de Liège (141) et qui leur rappellera l'accueil familier et affectueux de la Cité ardente. Tchantchès ambassadeur? L'expression figure en tout car aux premières lignes d'une circulaire diffusée en 1948 par le « Comité pour l'érection d'un monument Tchantchès à Metz ». Et sans doute est-ce bien là le sens de cette intronisation en terre lorraine où « le symbole populaire de notre esprit frondeur » a pour mission de rappeler que Liège, « ville des marches latines » comme Metz, est, comme elle aussi, «l a ville fervente et volontaire où l'amour de la France et de la liberté, parce qu'il se sent constamment menacé, reste toujours actif et vigilant ».

Des trétaux populaires aux gens de lettres, puis aux hommes d'action... Ainsi, se développe et circule, en pleine époque moderne, un mythe local. Tchantchès, c'est un petit peuple qui se regarde en riant. Mais ce regard et ce rire ont une signification. Ils consacrent, ils fixent, au siècle des nationalismes et des régionalismes, la conscience d'une communauté, cette dernière déléguant en quelque sorte à une figure emblématique un aspect d'elle-même où elle se complaît. Qu'on y prenne attention toutefois! Aux confins du folklore et de la sociologie, l'histoire de Tchantchès révèle un trait typique de nos intellectuels contemporains saturés de lectures et de rêves, emportés par une civilisation de plus en plus technique: ce besoin de remonter vers je ne sais quelle fraîcheur primitive, de communier, par instants, aux charmes imprécis de l'âme populaire. Tchantchès est né d'un de ces instants. Et la masse, qui reconnaît en lui un thème très apte à émouvoir, sinon à flatter sa sensibilité, l'incorpore désormais à son patrimoine de traditions.



(1) Les types populaires de la littérature française, t. I, Bruxelles, 1926, p. 6.

(2) Sur ces deux derniers noms, voy. Enquêtes du Musée de la Vie Wallonne, t. V, Liège, 1948, pp. 81 et 84.

(3) C'est-à-dire le maître-ouvrier en soie. Voy. TANCREDE DE VISAN, Le guignol lyonnais, Paris, 1910, pp. 51 ss.

(4) Sur les origines de ce personnage, probablement un valet qu'une frasque commise en 1649 aurait consacré Amiénois par excellence, vov. l'étude d' ED. DAVID, Le theatre populaire à Amiens: La fleur est-il Picard?, Amiens, 1908, p. 59 et passim.

(5) o. cit., t. I, p. 18.

(6) On alléguera peut-être Hanswurst qui, du théâtre des marionnettes où son rôle le confine, en arrive parfois à désigner le peuple allemand; mais cette appellation semble n'avoir qu'une valeur de sobriquet, avant tout plaisante. Voy. R. RIEGLER, Das Tier in Spiegel der Sprache, Dresden-Leipzig, 1907, p. 209.

(7) G. DOUTREPONT, op. Cit., t. I, p. 38.

(8) Ibid., p. 36.

(9) Comme on le verra plus loin, cet emploi est parfois attesté, mais il est fort rare et comporte toujours des nuances que le contexte seul peut aider à définir.

(10) « Du flanc des collines, en dégringolant par les escaliers vétustes, on risque un oeil dans les demeures [liégeoises]. Tchantchès est fort curieux, curieux et indiscret. [...] Tchantchès enchante ou dépite, enthousiasme ou laisse perplexe, se fait aimer ou détester, vous pique et vous échappe, jamais n'ennuie, jamais ne passe inaperçu ». A. HENRY, Offrande wallonne, Liège, [1946], pp. 39 et 40.

(11) Divant l fornê dès fôdjes ou so l' pêr dès houyîres, / Tchanlchès, l'èfant dé peûpe, tarlatêye si rèspleû. J. MIGNOLET, Fleurs di prétimps, Liège, 1927, p. 49. (Trad. Devant le feu des forges ou dans la cour des houillères, / Tchantchès, enfant du peuple, fredonne son refrain).

(12) « Mais lorsque, fier de lui faire part [du loyalisme des Flamands], je me tourne vers mon ami wallon, je trouve Tchantchès sceptique et goguenard ». M. DELFORGE dans La Revue Nouvelle, 15 avril 1945, p. 368.

(13) Paul M. G. LEVY, Le théâtre des marionnettes et son intérêt sociologique, Revue de l'Institut de Sociologie, t. XVII, Bruxelles, 1937, p. 795.

(14) Tchantchès (auj. archaïque comme prénom) est la forme courante dans la plus grande partie de l'aire liégeoise telle que l'a délimitée le Dictionnaire Liégois de jean HAUST, Liège, 1933 (voy. pp. XV-XVI et carte II). Notons quelques variantes: Fâfè (*) à La Gleize (L. REMACLE, Le parler de La Gleise, Liège, 1937, p. 211); Tchâtcha, dim, de Françwas, à Malmedy (A. VILLERS, Dict. wallon malm. ms. 1792, V° « Chacha ») ; Tantè à Huy (comm. J. HAUST). Voici, également d'après mon regretté maître, un choix de formes relevées en dehors de l'aire liégeoise: Marche Tantè; Laroche Tante; Namur, Chanchè, Panpè; Fosse Chanché (d'où Ché et Chéché); Jodoigne Chanché; Nivelles Pantchè (d'où Pantch et Tchè); Frameries Tchancha; Pecq et Templeuve Chó (de Francho); Virton, Sâssa; Habay, Fâja, Sâssa.

(*) Comp. en savoyard Fanfwé (Revue Savoisienne, t. XLVIII, p. 17).

(15) « Les enfants qui commencent à parler, remarque Maurice GRAMMONT, éprouvent généralement une difficulté plus ou moins grande pour prononcer correctement les spirantes s, z, f, v et surtout ch et j [...]. Joseph devient instantanément dans leur parler * Zèzè par assimilation consonantique et vocalique de la première syllabe avec la seconde, ou, ce qui revient ici au même, par redoublement de la seconde. Mais cette phase * zèzè est fort rare, la plupart des enfants remplaçant au début z par d, d'où Dèdè qui est leur forme courante et celle que répètent les parents (Quelques difficultés concernant les anthroponymes, Premier Congrès International de Toponymie et d'Anthroponymie, ACTES ET MÉMOIRES, Paris [1938], p. 105). Sur les conditions phonétiques dans lesquelles s'opère le recoublement des mots enfantins, voy. W. FOERSTER dans Zeitschrift für rom. Phil., t. XXII, pp. 269 ss. et surtout Ant. GRÉGOIRE, L'apprentissage du langage. Les deux premières années, Liège-Paris, 1937, passim.

(16) La graphie oi a représenté, dès la fin du XIIIe siècle, la diphtongue wé fwè; l'évolution de celle-ci en wa était chose accomplie dans l'usage commun de Paris, à la veille de la Révolution. Voy. F. BRUNOT et Ch. BRUNEAU, Précis de gramm. hist. de la l. fr., éd., Paris, 1949, § 101 ss..

(17) J'exposerai ailleurs les raisons qui me font préférer un dérivé en -ensis à Franciscus comme étymon de François.

(18) Je tiens à exprimer ici ma vive gratitude à M. Albert Baguette, docteur en philosophie et lettres, qui a bien voulu se charger de poursuivre, en 1943, l'enquête que j'avais commencée au dépôt des Archives de l'État, à Liège (= AEL). Au moment de livrer ce travail aux presses, j'ai effectué des vérifications et de nouvelles recherches.

(19) Ainsi, les sondages opérés dans les registres aux OEuvres de Herstal-lez­Liège ne révèlent la présence d'aucun Franceux entre 1612 et 1649, mais seulement celle de François et de France (emprunt du germanique Franz) En revanche, d'autres archives utilisées par A. COLLART, La libre seigneurie de Herstal, 2 vol., Liège, 1938, passim, mentionnent des Franceux avant et après 1600. Il y a plus. Cet historien cite, t. II., p. 581, un « Franchen [lire -eu] Henrottea » (1586) dont le nom réapparaît en 1600: « Franchoys Henrottea ». On trouve de même dans les Oeuvres de Louveigné (AEL, reg. II, 1647-1655): « Françoijs Housar » (f. 97) transcrit dans la table « Francheux Housar »; « Francois Biar » (f. 303), à la table « Francheux [Biar] ». Dans les Oeuvres de Jupille: 1662 « Françoy Franck (f. 366) et en 1662-1663 « Franceu Franck » (f. 397); 1663-64 « Franceu Morea » (f. 176) et « Francoy Morea » (ff. 103 et 311). - On pourrait multiplier les exemples. Ceci montre que les scribes ont usé et abusé de l'alternance graphique -eu / -oi et qu'il est impossible de rien conclure du nombre seul des François. Comme cette forme avait plus de chance d'être préférée à la forme dialectale et que l'hypothèse d'une réaction de la part des scribes en faveur de cette dernière n'est pas vraisemblable, on ne peut s'appuyer positivement que sur le comportement de « Franceux ».

(20) Toutefois, ici encore, notre enquête est entravée par le fait que, fréquemment, les registres aux Oeuvres aussi bien que les registres paroissiaux ne nous sont conservés qu'à partir d'une époque assez rapprochée. D'autre part, on comprendra que, pour des raisons pratiques et afin de faire porter l'enquête sur un plus grand nombre de textes, on ait réservé la préférence aux registres pourvus d'une table des noms. Disons enfin que l'examen des registres aux OEuvres de Herstal, d'Ans et de Moulin, des registres de baptême des Awirs et de Chênée n'a pas donné de résultats concluants.

(21) L'exemple le plus tardif relevé est le fém. « Franceuse » en 1741 à La Gleize (voy. L. REMACLE, o. cit., p. 211). Naturellement, l'attribution du prénom peut être antérieure à 1700.

(22) Naturellement, Franceux a existé comme nom de famille à une époque antérieure. On le trouve à Chênée en 1653 (table du reg. de bapt. 1617-1700; AEL), à Jupille en 1651 « Jean Franceu » (AEL, O., f. 161) et en 1652 « Pirotte Franceu » (ib., f. 205), et à Louveigné même, entre 1647 et 1655: « Gilles Pacquay Francheux » (O., reg. II, f. 305). Un prénom pouvait se transmettre comme surnom -> nom de famille, sans cesser d'être usité par ailleurs comme nom de baptême. L'exemple de 1713 est plus significatif parce que l'on trouve, distinguées dans une même expression anthroponymique, les formes ancienne et nouvelle du même prénom, l'une devenue nom héréditaire, l'autre employée comme prénom véritable

(23) Voy. J. FELLER, Pasquilles wallonnes de Theux, Bull, de le Soc. verv. d'Archéologie et d'Histoire, t. XXIII, pp. 38 et 46. L'original manuscrit de ces pièces repose aux Archives de l'État à Liège où nous avons pu les consulter.

(24) Le tableau qui suit a été établi d'après les registres du métier des Tanneurs; les registres 35 et 36 toutefois, appartiennent au métier des Boulangers et les deux derniers concernent respectivement les Merciers et les Vieux-wariers.

(25) Toujours sous la graphie « Franchoy » à la table.

(26) La plus ancienne mention écrite que j'ailrelevée date de 1789 « le nommé François Mordant appellé le grand Chanchet a été arrêté » (AGR, Conseil du gouvernement général, Liasse 948, n° 23). - La Toponymie de Beaufays par LEJEUNE, JACQUEMOTTE et MONSEUR, Bull. Soc. de Litt, wall., t. 52, Liège 1910, signale, sans texte ancien à l'appui, une fontinne Tchantchèse (p. 208) et une vôye Tchantchèse [= v. Françoise] (p. 212). Ces lieux-dits datent probablement du XVIIIe siècle.

(27) Plus intéressant, pensons-nous, est le cas, non encore signalé jusqu'ici, d'Augustin L. J. Soyer, joueur de marionnettes, mentionné sous ce titre dans l'acte qui fut dressé lors de son décès, à Liège, le 15 avril 1822. Il était né à Arras (vers 1766), et avait élu domicile à Seraing; je n'ai pu encore établir la date de son arrivée dans la région liégeoise.

(28) Voy. L. BETHUNE, Le Vieux-Liège, recueil de vues rares et inédites, Liège, 1888 et Rod. DE WARSAGE, Histoire du célèbre theatre liegeois de marionnettes, Liège, 1905, pp. 24 ss.

(29) Voy. Li p'tit Ligeoès du 28 mars 1897.

(30) Loc. Cit., p. 793.

(31) On s'en convraincra en lisant, dans l'article de Giuseppe PITRE, Le tradizioni cavalleresche popolari en Sicilia, Romania, t, XIII, Paris, 1884, les pp. 316-346: Ii teatro delle marionette. Ce que Pitrè dit de l'opra di puppi à Catane et à Palerme, de la salle où se donne le spectacle, du public qui le fréquente, du répertoire chevaleresque, du style des joueurs, du rôle important des combats, de la richesse des armures, des intermèdes comiques, des personnages épisodiques dont le principal est Nofriu qui « rappresenta il bell'umore del popolino, di cui prende anche il vestire» [comp. Tcliantchès], tout cela peut s'appliquer, presque trait pour trait, au théâtre liégeois. L'Enciclopedia Italiana (t. XXII, V° marionnetta) n'a d'ailleurs pas manqué de rapprocher, pour leur caractère simple et primitif, les marionnettes de Belgique (il eût fallu dire: de Liège) des marionnettes siciliennnes. Celles-ci, toutefois, sont rendues mobiles « par des fils d'acier manoeuvrés du cintre » (E. FAURE, En Sicile, p. 78, Grenoble, s. d., avec une reproduction). Le même auteur ajoute que ce n'est pourtant là qu'un perfectionnement apporté, au milieu du siècle dernier, par le joueur Gaetano Greco (mentionné aussi par G. PITRE). Si je ne m'abuse, les marionnettes liégeoises seraient donc semblables au type sicilien non évolué. - Je n'ai pas eu l'occasion de lire l'article d'Isabel EMERSON, Sicilian marionnettes, Contemporary Review, t. 137 (1930).

(32) Je ne puis considérer comme tel le travail de Rod. DE WARSAGE, Histoire du célèbre théâtre liégeois de marionnettes (Bruxelles, 1905); on n'y distingue pas suffisamment les documents authentiques de la fantaisie de l'auteur. Plus sérieuse est l'esquisse d'Alexis DEITZ, Les marionnettes liégeoises et leur théâtre parue dans le numéro de Noel 1920 de L'Actualité illustrée, avant d'être reproduite dans Wallonia, t. XIX, Liège, 1911, pp. 357-420; les détails fournis par l'enquête directe en constituent de loin la meilleure part.

(33) Celle-ci sera exposée, avec documents à l'appui, dans un article sur les marionnettes liégeoises, actuellement en préparation, qui paraîtra dans les Enquêtes du Musée de la Vie Wallonne.

(34) Ceci à l'encontre d'A. DEITZ (loc. Cit., p. 371) qui écrit: « Nous nous sommes renseignés près de vieilles personnes toutes nous ont assuré que leurs grands­parents connaissaient les marionnettes ». Je me permets de suspecter ce témoignage: il est si facile de faire parler les gens dans le sens qu'on désire Les arguments que DEITZ produit d'autre part en faveur de l'antiquité du théâtre des marionnettes à Liège ne sont ni des plus sérieux, ni des plus neufs.

(35) Né à Barga, sur le territoire de Castel-Vecchio (Toscane) en 2830, CONTI (Alexandre, Ferdinand, Pompée) vint s'établir à Liège en 1854 et avant de se fixer sur la rive gauche, habita quelque temps le quartier d'Outre-Meuse (rue des Écoliers). Il mourut à Liège en 1903. Son fils aîné, Ferdinand-Pierre, né à Liège en 1857, était mouleur en plâtre et habitait rue Saint-Séverin.

(36) D'après les renseignements qu'en 1947 a obtenus sur place, à mon intention, l'éminent folkloriste Raflaele Corso-auquel je suis heureux de dire ma gratitude - le souvenir de la famille Conti n'est pas perdu à Barga où subsiste notamment leur demeure, appelée Ai Conti: on sait encore que « Il Conti Alessandro, da giovane, come tanti altri Bargei, emigro, siu all' estero che nelle città d'Italia facendo solo ritorno al paese natio per brevi periodi » (Lettre du sindaco de Barga).

(37) Voy. Armanak des quate Mathy po 1895, Liège, p. 63 et Dju d'la Moûse, Liège, 1938, p. 114.

(38) Op. cit., pp. 43 sv.

(39) Op. cit., p. 52. - Trad.: « des morceaux de bois mal équarris et affublés de loques; on voyait jusqu'aux cordes qui les faisaient marcher

(40) lb. p. 54. - Trad.: « de vraies mécaniques, remuant bras et jambes, faisant mouvoir leur tête; les visages ont une expression et les vêtements sont à l'avenant ».

(41) Loc. cit. et op. cit.

(42) Ce n'est point parce que Conti II a introduit sur son théâtricule des marionnettes articulées (il en a existé d'autres chez un de ses émules, P. P. Pinet) qu'il devait dédaigner les marionnettes pourvues du fil d'archal. Une chanson de rue d'avant 1900, dont le joueur V. Verrées m'a chanté des bribes, nous apprend au sujet des marioinètes di mon Con'tî que, po lès fé mète â pas, l n'a qu'à sètchî so l'fi d'arca (Trad. pour les faire mettre au pas, il suffit de tirer sur le fil d'archal). Notons, en passant que cette chanson ne mentionne pas Tchantchès; son alter ego y est appelé Hène-è-cwèsse (littéralement: lance-de-travers).

(43) Sans en excepter le peuple des joueurs et des spectateurs de marionnettes... Comment ne pas rappeler ici la succession des Toone, la « dynastie » bien connue des marionnettistes du quartier de la rue Haute, à Bruxelles? Le fondateur seul portait ce nom. Dès la seconde génération, Toone s'appelait à l'état-civil François Taelemans.

(44) Parmi les jeux de foire établis, à la fin du XVIIIe siècle, sur les hauteurs de la Citadelle à Liège, lors de la Sainte-Balbine (1er mai), le Dr. Bovv (Promenades historiques, t. I, Liège, 1839, p. 72) signale les spectacles de marionnettes. Il s'agit naturellement de théâtres ambulants, tout comme ceux qui se montraient jadis à la foire d'Avroy, à Liège, au mois de novembre (Voy. Almanach de Mathieu Laensbergh pour 1840, pp. 51-53).

(45) Ces deux personnages n'ont guère vécu au théâtre liégeois des marionnettes. Leur présence momentanée s'expliquerait du fait que Talbot, l'associé de Conti, était montreur de guignol. La chose est même certaine pour le second, puisque, me dit E. Polain, Talbot était surnommé Monsieur Caca. par les enfants qu'il effrayait en faisant surgir d'une boîte le diablotin à ressort appelé Cacafougna (Voy. Dict. liég. de J. HAUST, s. v. et fig. 161).

(46) Var.: Risinmeû d' çuzètes (aiguiseur de ciseaux). Trènoupet passait pour être rémouleur.

(47) Le témoignage qui précède a été recueilli oralement pendant l'automne de 1937. - Voy. aussi des souvenirs du même dans La Meuse des 25-26 décembre 1937.

(48) On va hoûter bin vol'tî / Tos cès Tchantchès d'amon Con'tî dit une chanson de jean BURY, Mohètes èt pavions, Liège, 1892, p. 84. (Trad.: On va écouter bien volontiers / Tous ces Tchantchès de chez Conti). Rapprochons ce passage de BURY de la fantaisie en prose de Victor CARPENTIER, Ine sîse as marionètes, (Li Spirou, 20-27 décembre 1891), où est imaginé un dialogue entre le joueur conti, sa femme Marie, le public enfantin et les marionnettes, parmi lesquelles Tchantchès, messager de Charlemagne. De ces textes, on pourrait inférer ou bien que le personnage de Tchantchès a existé chez Conti, au moins à partir d'une certaine époque, ou bien que le nom de Tchantchès avait acquis, vers 1890, la valeur d'un terme générique pour désigner les personnages populaires de ce théâtre.

(49) Voy. J. MÉDART Ine cabolêye di tchantchès et d'tchantchèses vinèt potch'ter so t' tèyâte (Arm. des qwate Mathy po 1900, p. 49). Trad.: une multitude de tch. et de tches viennent sautiller en scène.

(50) Op. cit., p. 83 (avec reprod. p. 82).

(51) Les compagnons de Lafleur, Paris, 1927, pp. 32 SS.

(52) Cette vogue paraît bien attestée dès le XVIIIe siècle. Ainsi, à Huy, en 1729, la liste des habitants dressée par les curés comporte 102 François; ce prénom est le plus répandu après celui de joseph mentionné 105 fois (voy. E. DANTINNE, Huy, il y a 200 ans, s. l. n. d., p. 8). - Je ne possède aucune statis­tique pour Liège.

(53) Le Bethléem verviétois, 2e édit., Verviers, 1931, p. 94.

(54) Les prénoms français à sens péjoratif, Bruxelles, 1929, p. 81.

(55) Des hypothèses gratuites, des affirmations fantaisistes sont parfois hasardées sur les origines de Tchantchès. Ainsi, pour Hyacinthe HENRY (La Renaissance d'Occident, t. XIII, 1939, pp. 173-176), Tchantchès serait le Polichinelle du guignol adapté à la liégeoise par Talbot, l'introducteur à Liège du théâtre de marionnettes.

(56) H. BARON, Li colèbeû ou lès mirâkes da saint Lârgosse, se. 10. Djan-Piére (regardant la statue de saint Lârgosse): Là qu'dj'arawe, çou qu' volà! I-n-a l'Itâlyin qu' fait dès posteûres è Pièreûse qu'a sûr'mint roûvi cial on modèle! Pa! c'èst l'tièsse du Tchantchès d'âs marionètes! (Trod.: Tiens, parbleu, ce que je trouve là! L'Italien qui fait des statuettes en Pierreuse a sûrement oublié ici un modèle! Bah! c'est la tête de Tchantchès des marionnettes! ») .- Le figuriste italien visé dans ce passage est sans aucun doute Conti père; il a effectivement habité la rue Pierreuse (après 1857 et avant 1877).

(57) L. HEMMA [=Albert Mockel], Les fumistes wallons, histoire de quelques fous, Liège, s. d. [1887], pp. 96-97.

(58) Le directeur de la salle joue d'après le scénario que lui fournissent ses livres ou ses cahiers; il est rare qu'il suive, mot à mot, un dialogue écrit à l'avance.

(59) C'est à tort qu'à l'étranger surtout, on fait de Tchantchès le principal acteur du théâtre liégeois: encore récemment l'Histoire générale des marionnettes de Jacques CHESNAIS, Paris, [1948], p. 88. - Ceci ne nous empêchera pas de signaler que, depuis la mise en valeur de Tchantchès, certains théâtres de marionnettes, différents d'ailleurs des théâtres traditionnels, ont fait de sa personne la vedette de leurs spectacles. Ainsi en est-il du Theatre Tchantchès que son propriétaire, M. Gaston Engels, promène sur les champs de foire avec un répertoire notablement transformé et rajeuni. Déjà, dans les pièces de chevalerie que jouait le père Engels, à Grâce-Berleur (à partir de 1905), Tchantchès tenait un rôle important. Par exemple, dans Les Quatre Fils Aynzon, il était l'écuyer du vieux duc Aymes et le maître d'armes des quatre frères. Gaston Engels a poursuivi dans la même voie. Quand il s'inspire de l'imagerie d'Épinal, il le fait assez librement de manière à réserver à Tchantchès une place essentielle dans l'action, bien supérieure à celle de ses deux congénères habituels: Piére Narène et Hinri. Dans Lès deûs bribeûs (saynète mi-réaliste, mi-fantastique), on voit Tchantchès livrer combat à la sorcière et aux diables qui retiennent prisonnière la belle princesse que son sauveur finira par épouser... Dans Ali-Baba ou les quarante voleurs, il représente Ali-Baba. Il est un héros, d'ailleurs souvent grossier, et il a toujours raison.

(60) Les textes d'A. MOCKEL et de C. DEMBLON que nous reproduisons plus loin (voy. Annexes I et II) y font cependant une rapide allusion. - Sur la Noël aux marionnettes, les premiers articles-reportages sont, à ma connaissance, ceux de L'Express du 25 décembre 1893 (sous la signature d'Henry ODETTE, pseud. d'Oscar COLSON) et du journal de Liège du 27 décembre 1895. Tous deux relatent le spectacle donné au Théâtre Léopold. Le premier parle de « salles combles », le second de « nombreuse et élégante assistance ».

(61) Voy., dès 1895, le témoignage d'E. BRASSINNE, Djus d'là Moûse: li Noyé às marionètes (Bull. Soc, de Litt, wall., t. 36, p. 445).

(62) Voici un trait que m'a conté, en 1937, le regretté fondateur du Musée de la Vie Wallonne, J. M. Remouchamps. Un marionnettiste du quartier du Nord, jean Lassaux, décédé depuis lors, lui avait confié qu'il osait à peine faire intervenir Tchantchès dans les pièces de chevalerie, même comme simple messager. Le public interpellait le personnage en lui criant « Va-r-z'è / On t'a vèyou assez! » (Trad.: Va-t-en! On t'a assez vu !). D'autre part, le marionnettiste G. Engels m'a précisé, en 1938, qu'aux Biens-Communaux (Seraing), chez Pierre Wislet, les vieillards lancent parfois au joueur: Bodje ti Tchantchès! (Trad. : Enlève ton Tchantchès !) et autres choses analogues. Je pense que de tels faits sont, malgré tout, exceptionnels, et les réactions du public sont loin d'être partout semblables à celles-ci.

(63) Quand il s'adresse au public au début et à la fin de la représentation, Tchantchès emploie régulièrement le patois.

(64) Nûle, hostie que les enfants présentent aux passants, avec leurs souhaits, le 1er janvier.

(65) Trad.: Gare! vieux frère [Tchantchès s'adresse au duc Aymes], vous pouvez, avec vos quatre fils, faire l'inventaire de vos os, car, dès que notre vieux Charles se mettra de la partie, il n'y aura pas à discuter!

(66) Trad.: C'est mon pantalon qui tremble, voyez-vous!

(67) Également chez A. DEITZ, loc. cit., p. 397. - Trad. Les femmes, voyez­vous, sont semblables aux pipes elles sont meilleures lorsqu'elles sont « passées » (c'est-à-dire culottées). - Le jeu de mots est intraduisible en français.

(68) Abréviation familière de Djus d'là Moûse, nom du quartier d'Outre-Meuse à Liège.

(69) Trad.: C'est nous, avec notre bagou [littt: avec notre gueule] qui avons fait de Tchantchès ce qu'il est devenu!

(70) Nous reproduisons ce texte plus loin: voy. Annexe II. - C. DEMBLON écrivit encore sur Les marionnettes liégeoises un article publié dans le journal bruxellois La Réforme du 11 décembre 1895. Il opine pour l'origine récente du théâtre liégeois des marionnettes et parle de Tchantchès « l'homme de la rue en casquette et en sarrau dans des termes analogues à ceux de l'article que nous citons ci-dessus. Il énumère quelques boutades et répliques traditionnelles de Tchantchès; A. DEITZ en a repris plusieurs dans son étude parue en 1911.

(71) Trad.: Tchantchès, dans l'assemblée, ne comptait que des amis. / Et l'on riait aux larmes à chacune de ses boutades. / Ce qui le rehaussait, c'est qu'il était du cru: / C'était tout le quartier d'Outre-Mense qui parlait par sa voix.

(72) Trad.: Tchantchès, c'est Outre-Meuse: à cet égard, ma foi,! On trouve une goutte de son sang dans tout coeur liégeois.

(73) VOLDEMAR, Marionnettes populaires à Liège. Un phénomène public et cependant inconnu, article paru d'abord dans Le Messager de Bruxelles et reproduit dans L'Ame Wallonne du 30 décembre 1899.

(74) Voy. Aux marionnettes, L'Express du 25/26 décembre 1893, sous le pseudonyme d'Henry ODETTE.

(75) Li 15 d'awous', Djus d'là Moûse, 2 édit., Liège, 1896, P. 53.

(76) Au Royaume des Marionnettes, Liège, 1899, p. 30.

(77) « [Toute la race populaire est sommairement] incarnée dans ce chanchet [fruste et cocasse, à la fois plein de bonhomie et d'audace], de familiarité déconcertante, [tour à tour plaisant et sérieux] (Histoire du célèbre theatre liégeois de marionnettes, p. 82) Les passages mis entre crochets proviennent de l'article déjà cité de C. DEMBLON reproduit dans l'Annexe II. - Par la suite, R. de WARSAGE devait fréquemment parler de Tchantchès au cours d'articles de revues ou de journaux, ces écrits abondent en points de vue arbitraires, en considérations « historiques » de pure fantaisie. Au sujet de l'évolution du type de Tchantchès, l'auteur s'est toujours contenté d'enregistrer, assez mollement, l'opinion du moment.

(78) Je cite d'après Liège et son Exposition, Guide pratique, Liège, 1905, p. 40.

L'exposition de 1903 où figuraient en belle place nos marionnettes a été, je pense, la première révélation de Tchantchès à un public étranger. Voy. à ce sujet un grand reportage illustré dans Le Gaulois du Dimanche, Paris, n° des 30-31 mai 1903.

(79) Au pays de « Djus d'là », Revue de Belgique, 2e série, t. 45, Bruxelles, 1905, pp. 82-88.

(80) Tchantchet va-t-il disparaître?, Le Petit-Bleu, n° du 4 octobre 1909.

(81) Loc. cit., p. 394. - Tout le chapitre intitulé Le célèbre Tchantchès (pp. 394 ss.) est à lire.

(82) Le chapitre II d'où nous extrayons ce passage avait paru préaIabenent dans la revue Durandal de 1904, pp. 514-523.

(83) Voy. Mohètes èt pavions, Liège, 1892, p. 104 (pièce datée de 1888).

(84) Voy. pp. 41, 43, 44, 81-82. - De joseph VRINDTS, dont il sera encore question au chapitre suivant, voy. aussi Pâhûles rimês, Liège, 1897, p. 131;

Lète ci Tchantchès dans le journal Chanchet n° des 2/8 novembre 1901; et surtout Tot tûzant, Liège, 1924, pp. 81-82 (Gymnastique de chambre, dialogue-fantaisie entre Tchantchès et Nanèsse), 125-126 (As marionètes), 199-200 (Lès marionètes). Il s'agit du Tchantchès des marionnettes placé dans des situations inspirées par l'actualité. - En outre, voy. infra p. 47, n. 2.

(85) Voy. L'Expôsition d'Lîdje dans La Wallonne, 10e annuaire, (Liège, 1904, p. 71):

(...) Djans ci sèrè 'ne sacwè

Qu' djoûrmâye on n'riveûrè

-Et pôr don qui pwètrè

Lés nos d' Lîdje èt d' Tchantchès

Ossi haut qu' lès nûlêyes!

(86) Il a existé, dans la littérature dramatique wallonne, des « tableaux de marionnettes » où Tchantchès apparaît dans un rôle invariablement burlesque. Citons: A. TILKIN, Ine sîse âs marionnètes, 2 actes (1897); M. BOUCHE, Le Chevalier Triganoff, 1 acte (1900) Djôsèf di Lîdje [= J. KOOLS], Inc sîse è Roteûre, 2 actes (1901); le Tchantchès de cette dernière pièce s'appelle Nicolas. Le prototype de ces saynètes pourrait bien être une fantaisie dialoguée de Victor CARPENTIER, Ine sîse as marionètes èmon Con'tî (Li Spirou, n° des 20-27 décembre 1891), et leur aboutissement, tardif certes, On consèy di minisses amon Tchantchès, 1 acte (1927), de J. ANDRÉ, versifié dans un pénible sabir franco-wallon.

(87) Voy. le journal La Semaine du 24 février 1932 (art. cité par E. GODEFROID dans La Vie Wallonne, t. II, p. 315).

(88) Je le trouve pour la première fois dans Le Vieux-Liège, 1re année, nos 1, 2 et ss. (Liège, 1895). Les reportages, échos, notes satiriques de Ch. J. COMHAIRE, sont signés « Chanchet ».

(89) Le Billet liégeois du quotidien belge Le Soir est signé «Tchantchet ».

(90) Il convient de mettre à part les billets intitulés INe lète da Tchantchès publiés en 1916-1917 par le poète liégeois Jules CLASKIN dans Amon nos-autes, bulletin liégeois des tranchées. Ces « lettres » conçues dans un but de ralliement et de soutien moral, racontent des événements du front et, légèrement attendries, évoquent le pays liégeois. Tatène, épouse de Tchantchès, y est nommée, et aussi Charlemagne, son voisin et compagnon. Il s'agit bien du type populaire liégeois promenant parmi les barbelés l'humour et la franchise de chez nous. C'est surtout après la première guerre mondiale que fleurira, dans les petits journaux, le genre des « Lettres à Tchantchès » ou des « Lettres de Tchantchès ».

(91) Plus tard parut un autre journal du même genre: Tatène, veuve Tchantchès (1911-1914). On y trouve une série de Lettres que la « veuve » envoya pendant quelque temps à son défunt mari.

(92) Cet éditorial peut être attribué à Charles DELCHEVALERIE (voy. Annexe III). Il est intéressant de lui comparer, à presque un demi-siècle de distance, ces passages qui terminent un article du même auteur: « Tchantchès, c'est le peuple de chez nous, dans chacune de ses unités obscures, le descendant de ceux qui, au long de l'histoire liégeoise, ont lutté pour des libertés, et non pour des intérêts ». Et encore: « C'est le plus pur de l'âme liégeoise qui palpite sous le sarrau plissé de Tchantchès ». (Tchantchès devant l'horizon lorrain, La Wallonie, n° des 24-25-26 mars 1947).

(93) Liège, J. Wasseige, 3e éd., s. d., 16 p. (texte français et wallon). - En 1893, le théâtre du Pavillon de Flore avait donné une revue intitulée Lîdge al hape dans laquelle défilaient les « célébrités » liégeoises du moment: Marcatchou, Peûkèt, le chanteur de rue Paganini, Hassertz dit le « Béranger Liégeois » etc. On n'y voit pas figurer Tchantchès. - Dans la revue de Théo Bovy Av' vèyou Tchantchès?, jouée également en 1900-1901 (voy. allusion dans le journal Li Spirou du 5 janvier 1901), il n'est pas non plus question du type populaire, Tchantchès ici étant simplement le nom du compère (Lettre de Mme veuve Bovy, 24 mars 1938). De nos jours, il ne serait plus possible d'intituler de la sorte une revue sans que le public ne songe immédiatement à notre Tchantchès.

(94) Article sans titre, ni nom d'auteur publié en supplément au journal de Liège, n° du 5 octobre 1912, à l'occasion d'une exposition-concours de marionnettes liégeoises. - Je n'ai pu atteindre l'article: Le monument à Tchantchet, que, sous le pseudonyme de « Tièsse di hoye », I. COLLIN publia dans Le Cri de Liège, n° du 7 mars 1914.

(95) Voici d'autres exemples où Tchantchès est employé au figuré avec la valeur proche d'un nom commun. L. LAGAUCHE écrit en 1921 (So m' tére, p. 206): Et chal amon nos-autes / lès Tchantchès / si trovèt / come dès pôtes (= comme des épis) la nuance exacte de cet emploi nous est donnée par le dernier vers de la strophe: Tchantchès vout dire Walon. - Lorsque E. WIKET ironise en disant: Et cès tchantchès / qu' pètèt [= qui jargonnent] l' français (Frûzions dè coûr, p. 272), il désigne par « les Tchantchès » les Wallons en tant que patoisants. - Dans le distique de J. VRINDTS: Nonna, lès Graindôr sont roûvis' / i-n-drè todi dès Tchantchès (Tot tûzant, Liège, 1924, p. 200), le poète oppose trafiquants de l'autre guerre aux Wallons patriotes.

(96) Une statue à un Wallon, Les Marches de l'Est, t. V, Paris, 1914, p. 618. C'est de la publication de cet article que date l'idée du « Monument Tchantchès ». On attendit 1922 avant de la voir reprise par la société « Le Vieux-Liège qui élabora un projet que patronnèrent de nombreuses personnalités officielles. Le monument, conçu et réalisé par le sculpteur J. Zomers, se dresse au quartier d'Outre-Meuse, à l'entrée des rues Puits-en-Sock et Surlet. Il représente une vigoureuse ouvrière de chez nous figurant la Wallonie, qui élève de son bras droit la marionnette Tchantchès. D'après le projet primitif du Vieux-Liège, le monument devait porter l'inscription suivante: A Tchantchès / Symbole de l'esprit wallon / et de la verve liégeoise, / du bon sens et du bon coeur / populaires. (Le Vieux-Liège, 14 mars 1922). Le projet de 1922 fut accueilli avec beaucoup de sympathie; la presse de Liège et de Bruxelles lui consacra de nombreux articles que nous pouvons nous dispenser d'analyser ici, car, ils n'ajoutent rien de neuf, pour l'époque, à ce que nous savions déjà de Tchantchès. Citons à titre de référence: La Meuse des 23 janvier, 14 avril et 1/2 novembre 1922; La Gazette de Liège des 16 mars et 14 avril 1922; le journal de Liège des 9 mars, 7, 14, 15 et 16 avril 1922; La Wallonie des 2 février et 9 septembre 1922; L'Express des 14 et 30 avril 1922; Le National Liégeois des 5 février et 26 mars 1922; La Nation Belge des 8, 26 mars et 12 octobre 1922; La Gazette du 22 mars 1922; Noss' Pèron des 13 et 27 avril 1922; Eve du 6 août 1922; etc.

(97) Chronique sur le théâtre liégeois des marionnettes parue dans L'Évènement de juin 1914.

(98) Si cette hypothèse devait être écartée, il restera néanmoins intéressant de comparer les avatars littéraires d'Uylenspiegel passant du folklore dans l'oeuvre de Charles DE COSTER et de ses successeurs aux destinées de notre Tchantchès chez les écrivains wallons. (Voy. J. HANSE, Charles De Gosier, Bruxelles, 1928, pp. 183 ss. et 319 ss.). - Je relève, d'autre part, dans l'article liminaire du journal Talène (n° 5, 18-25 février 1911), continuateur, à quelque dix ans d'intervalle, de Chanchet, ces lignes où la « veuve » rappelle que son « pauvre cher homme [est] décédé, non comme figure symbolique, car, sous cet aspect, il est immortel comme l'Ulenspiegel des Flandres, mais en tant que patron d'un journal satirique ». Dans le même sens, renvoyons aussi à la fin d'un chapitre d'Henri VAN ROY, Aimer la patrie (Liège, 1949, p. 54), où est évoquée la Terre des Belges, cette vieille patrie de Thyl Uelenspiegel et de Tchantchès ».

(99 ) Pour éviter tout malentendu, je tiens à préciser, au sujet des oeuvres dont je vais m'occuper, que je m'abstiens d'en juger la valeur littéraire. Elles ne sont examinées ici qu'en fonction du personnage de Tchantchès.

(100) Trad.: Tout Liège me connaît par les marionnettes, / Où je fais rire grands et petits; / Tout un soir durant, j'en lâche de vertes: / Ramasse qui veut ce que je dis! / Nul n'est certes de taille à me dompter; / J'ai réduit les quatre fils Aymon; / Je connais tous les langages du monde, / Mais je les parle tous en wallon!

(101) Trad.: Je passe pour le génie de notre race.

(102) Trad.: Je n'ai aucune parenté sur terre. / Si loin que je remonte, je ne retrouve rien. / La terre wallonne, voilà mon unique mère, /Tous les Wallons sont mes parents.

(103) Tchantchès, pièce en trois actes et en vers (Liège, s. d. [1931]).

(104) Trad.: Jean-François, dit Tchantchès, jailli on ne sait d'où, / Car quand il fut créé, Dieu a brisé le moule / Comme si on eut voulu pour figurer le Liégeois, / Parmi les plus vaillants, qu'il n'y eût qu'un Tchantchès.

(105) Trad.: Méchante gueule pour les grincheux, mais coeur franc pour les autres; / Une espèce de vagabond; de plus un curieux homme / Qui ne sait s'abaisser là où les autres s'aplatissent, / Et qui fonce, tête baissée, quand Tartuffe fait le traître; / Enfant de Liège, c'est certain, car leurs deux âmes ensemble / Ont les mêmes émanations, le même sang dans les veines...

(106) Trad.: Notre homme n'avait point d'âge... / Minable flâneur de rues / Qu'on aimait entendre, / Il vagabondait sans cesse / Dans le riche jardin de nos aïeux / En parlant de liberté.

Malgré sa casquette usée, / Son sarrau fait de loques, / Et ses chaussons troués, / Il toisait la Noblesse, / Le Conseil, le Clergé, / Quand ils oubliaient de se montrer Liégeois.

Tout Liège le connaissait, / Il est vrai que le drôle vivait / La vie de sa vieille cité. / Après avoir servi notre saint Lambert resplendissant, / Il s'était plus d'une fois battu pour saint Hubert / Et il avait fait toutes les guerres du grand Notger.

Les siècles qui renversent tout ne l'avaient guère changé / C'était toujours le Tchantchès de naguère, / Le Tchantchès d'aujourd'hui et celui de demain; / Un homme de fer toujours alerte, / Fier de son vibrant parler et de son pays wallon!

(107) En ce qui concerne le Tchantchès, notons les termes dans lesquels Th. BEAUDUIN et M. DUCHATTO ont présenté leur oeuvre au public, lors de la première au théâtre du Trianon, à Liège, le 4 décembre 1931: « Pour les auteurs, il y a dans Tchantchès la personnification de l'âme et du coeur wallons. Tchantchès, pour eux, c'est le reflet fidèle de la cité, et ils ont voulu matérialiser dans une image vivante les ressources de courage, d'énergie et d'abnégation qui formaient le chapelet historique des heures de gloire et de deuil du pays wallon... » (Amon nos-autes, 6 année; 4-10 décembre, 1931). -Faisons observer une fois pour toutes combien est facile et fréquente dans nos textes le glissement de Liégeois à Wallon.

(108) Trad.: Marionnette! Je me reconnais en toi, petit jouet. / Tout s'y trouve: ma casquette, mon haut de chausses, mon sarrau: / Au milieu de mon visage qui semble toujours grimacer, / Mon nez sans forme définie. Aux pieds, mes sabots / Qui balancent sans nulle retenue / Sans cesse prêts à chasser les sots.

(109) Trad.: Respectez mon sarrau bleu comme un vieil étendard! ... / Et quand Tchantchès plus tard aura vécu son dernier jour, / Otez-le lui pieusement pour qu'il serve de suaire: / Que sous la terre de notre pays, mon vêtement me recouvre. / Et qu'ainsi, malgré la mort, mon sarrau me reste fidèle, / Cependant que, sur mon coeur, je sentirai comme un drap tutélaire, / La chaleur de sa toile minable et la caresse de ses plis.

(110) Trad.: Il portait dans sa grande âme la grande âme de la Patrie.

(111) Trad.: Où sont les Liégeois? / Brûlés, égorgés, exilés... / Mais tant que Tchantchès existe / Liège ne peut mourir.

(112) Trad.: Vouloir prendre son envol.., mais rester comme l'arroche, / Qui meurt là où elle s'accroche sans gloire, tout simplement / Ne pas oser dire « Je vous aime » si ce n'est dans ses chansons. / Être comme un géant, la tête parmi les étoiles, /Mais chausser des souliers usés jusqu'à la toile / Avoir l'air d'un mendiant, mais l'audace d'un roi, / Se dire « Je suis Roland! », se retrouver Tchantchès!

(113) Liège, 1923.- Comme plus tard dans Li tchant di m' tére, l'action se situe au pays de Liège, en 1468, au moment où la Cité est menacée d'envahissement par les troupes bourguignonnes.

(114) Liège, 1931.

(115) Trad.: Depuis lors, fier de sentir sa grande casquette derrière son oreille, / - Casquette de soie usée dont on ne veut plus faire cas - / Je vais droit comme un coq, aux coins de la Wallonie, / En créant des histoires à la gloire de notre passé.

(116) Le Wallon qui aime se battre pour défendre ses libertés, / Le Wallon qui traite Charlemagne de mazette.

(117) Le Wallon qui porte en sa grande âme la grande âme de sa ville.

(118) Bruxelles, 1932.

(119) Annuaire du Royal Caveau Liégeois, t. 56, Liège, 1936, pp.66-68.

(120) Voy. Exposition Internationale de l'Eau. Programme officiel, n° 4, Liège 1939, in 4°, non pag. - Au jeu de Liège, on pourrait rattacher une autre manifestation contemporaine, le Cortège nautique du 25 septembre 1939, en tête duquel figuraient trois grands mannequins d'osier: Tchantchès, la Botteresse et la Cotîresse. Première apparition de notre type sous forme de géant, à l'imitation des autres géants célèbres qui rehaussent cortèges et ommegangs de certaines villes belges.

(121) Trad.: Il n'y a qu'un Tchantchès sous le soleil! - Cette pièce est reproduite plus loin (voy. Annexe VIII).

(122) Tot tûsant ... Tchantchès èsteût l'fre d' lèçé' d'à Charlemagne dans La Meuse des 25-26 décembre 1937.

(123) Tchantchès dans Liège, reine de la Meuse et de l'Ardenne, édit, de « Liège touristique », Liège, 1939, pp. 10-11.

(124) Tchantchès, istwére d'on Lîdjwès (Liège, 1935).

(125) Publié en feuilleton dans le bimensuel Le Terroir, 3e année, Nos 8 à 17, Liège, 17/23 février à 13/19 avril 1928.

(126) Bruxelles, 2936.

(127) Pièce en 1 acte, créée à la Société Libre d'Émulation, à Liège, le 7 novembre 1943.

(128) Au temps où Berthe filait..., conte de la forêt d'Ardenne en 2 parties et tableaux, représenté à Paris en mai-juin 1948, puis à Liège en septembre 1948.

(129) Albert MAQUET, Les marionnettes de Gaston Baty à Liège: Au temps où Berthe filait..., La Vie wallonne, t. XXII, Liège, 1948, p. 274.

(130) A. MAQUET, loc. cit., p. 273.

(131) Sur ce dernier, voy. Enq. du Musée de la Vie Wallonne, loc. cit.

(132) Il a été inauguré le 15 avril 1947. Dans La Meuse des 31 mai-1er juin 1947, 2e page, Georges DUPONT la décrit comme suit: « La façade en briques rouges est abondamment pavoisée aux couleurs liégeoises entre lesquelles claironne le coq hardi. Tchantchès est « sur » sa porte et Nanesse à sa fenêtre. Le drapeau de la République flotte gaiement, au-dessus de deux gayoûles où gruzinent des canaris. Sur le toit, un beau pigeon bleu mayeté s'apprête à pénétrer èl colèbîre» .

(133) Bien anodin en tout cas était le feuilleton illustré Les aventures de Tatène et Tchantchès qui parut quelque temps, en 1940, chaque samedi, dans le quotidien La Légia.

(134) Théâtre du Trocadéro (noté en octobre 1946).

(135) Probablement d'une durée éphémère. Je ne le connais que par une carte­invitation (dans les Arch. du Musée de la V. W.) conviant à la « Grande Tragédie de la Nativité » sic), le 28 décembre 1928.

(136) Elle a fait paraître, à partir de 1929 et pendant les années qui suivirent, quelques pièces de théâtre pour marionnettes imaginées par M. Talbot, principalement en vue de permettre aux petits Liégeois de jouer avec le théâtre portatif que beaucoup recevaient comme cadeau de Saint-Nicolas

(137) Citée dans le journal liégeois Le Perron, n° de mai 1945. - Une carte imprimée, s. d. (Arch. du Musée de la V. W., n° 41412) annonce la projection, au Coliséum (Liège), de Tchantchès, « le premier film parlant et chantant wallon ». Je ne connais pas autrement ce film.

(138) « A la manière de Tchantchès »: tel est le titre d'un fait-divers de La Meuse du 17 avril 1947. On y relate l'exploit d'un chauffeur d'auto, « imitateur de Tchantchès », qui, d'un coup de tête, brisa trois dents et blessa au visage un ouvrier-manoeuvre dans un café du centre de Liège.

(139) A titre d'exemple, je me bornerai à citer L'arèdje ê manèdje da Tchantchès, chanson politico-satirique de Gui FADEUX (« La Wallonne », 38e annuaire, Liège, 1938 pp. 54-55). Tchantchès y raconte ses tourments domestiques et annonce qu'il va divorcer parce que Trine, sa femme, qui est flamande, prétend faire la loi, allant jusqu'à lui ordonner; Tchantchès, ti djås'rès flamind! L'allusion est claire.

(140) Relevons, à titre d'exemple, une vente de « Tchantchès-mascottes » organisée en 2927 au profit du monument à ériger en Outre-Meuse (voy. Le Vieux-Liège, t. XIV, col. 60, 11 mai 1927).

(141) Ainsi, lors de la visite du général de Lattre de Tassigny à Liège, nous apprend L'Express des 18-19 novembre 1945, « une petite botteresse offre au général les symboliques marionnettes Tchantchès et Tatène ».

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