Liège, capitale d'une principauté ecclésiastique, possédait autrefois, dans plusieurs de ses églises, des monuments funéraires élevés à la mémoire de ses évêques.
La cathédrale Saint-Lambert en comptait un bon nombre parmi lesquels, le plus remarquable, était incontestablement celui du Cardinal Erard de la Marck, qui occupait le centre du choeur. D'autres, sans avoir la même importance, ne manquaient toutefois pas d'une réelle valeur artistique, notamment ceux du Cardinal de Groesbeeck, de Jean-Louis de Elderen, de Georges d'Autriche, de Georges-Louis de Berghes, du Cardinal Jean-Théodore de Bavière, de Velbruck-Sarath.
Richair avait son mémorial en la collégiale Saint-Pierre, Notger à Saint-Jean, Walbodon à l'abbaye de Saint-Laurent, etc
Aujourd'hui, hélas Liège est pauvre, très pauvre en monuments de ce genre. Tous ont disparu, la plupart dans les ruines accumulées par la Révolution française.
A une exception près toutefois. Dans la crypte de la basilique Saint-Martin, on peut encore admirer le très beau mausolée du prévôt Conrad de Gavre, de la fin du XVIe siècle.
C'est dans cette même crypte que reposait, depuis quarante ans, les restes de l'évêque Eracle, lorsqu'ils furent solennellement reportés au chœur, le 3 octobre dernier.
Eracle mourut le 28 octobre 972, après douze ans d'épiscopat.
Il fut inhumé, selon son voeu, dans la collégiale Saint-Martin qu'il avait fait bâtir, et sur son tombeau, le chapitre éleva un monument.
En 1226, ce monument qui occupait le milieu du choeur, fut déplacé vers le côté, et peut-être même fut-il complètement transformé.
La démolition de l'église primitive, au début du XVle siècle entraîna celle du tombeau d'Eracle, mais aussitôt que le temple splendide que nous connaissons, fut construit, le chapitre y fit élever, dans le coeur, un nouveau mausolée pour y déposer le corps de l'évêque. C'était en 1542.
Deux siècles plus tard, en 1746, en vue du Ve centenaire de l'institution de la Fête-Dieu, les chanoines de Saint-Martin firent transformer la, décoration intérieure de leur collégiale, selon le goût de l'époque. Le mausolée d'Eracle n'ayant pas été trouvé en harmonie avec cette décoration nouvelle, fut démoli et les restes de l'évêque furent enfermés dans une crédence. Lors de la restauration de l'édifice, en 1890, cette crédence disparut à son tour, pour être réédifiée dans la crypte, dix ans plus tard.
Les amis du passé - et les amateurs d'art déploraient la disparition du mausolée du XVle siècle. Il en restait plusieurs vestiges, à l'église même et au musée Curtius.
De plus, un dessin, détaillé de ce mausolée, dû à l'archéologue Van den Berch (XVIIe siècle), a été naguère découvert, la bibliothèque de l'Université de Liège, par M. le Professeur Brassinne.
On était donc en possession de tous les éléments nécessaire pour réédifier très exactement le beau mausolée contemporain de la basilique actuelle.
C'est ce qui vient d'être très heureusement réalisé sous la direction compétente de M. l'architecte Camille Bourgault.
Le mausolée, tout en marbre noir, est formé d'une base moulurée assez élevée, sur laquelle repose une statue gisante de l'évêque en habits épiscopaux, enveloppé d'une chasuble, mitré et tenant la crosse. Le gisant est surmonté d'une arcature surbaissée, portée par quatre piliers rectangulaires. Sur la face du monument est fixée la lame de cuivre primitive, portant gravée l'épitaphe de l'évêque, accostée des armes de Pologne et de Saxe.
Eracle était le fils du duc de Pologne et de la fille du duc de Saxe. C'est du moins ce que nous apprend l'inscription susdite.
S'étant voué à l'état ecclésiastique, il se distingua par une vive intelligence, ce qui décida ses supérieurs à lui faire pousser ses études jusqu'aux grades les plus élevés.
Devenu prêtre, ii fut chargé de l'enseignement de la philosophie et de la théologie dans les hautes écoles de Cologne.
L'empereur Othon qui le portait en haute estime, en fit son conseiller et le pria de l'accompagner dans plusieurs de ses déplacements à long cours.
Quand un 959, le siège épiscopal de Liège devint vacant par le décès de l'évêque Baldéric, Eracle fut désigné pour l'occuper à la grande joie de l'empereur, mais aussi du clergé et du peuple liégeois.
Il reçut la consécration épiscopale des mains de Brunon, archevêque de Cologne.
Le premier soin de ce pontife qui jusque là avait consacré sa vie à l'enseignement, fut de doter sa ville épiscopale d'écoles qu'il voulut fortes et disciplinées. A cette fin, il fit appel à des savants étrangers et lui-même, malgré ses multiples charges, s'y réservait certains cours. Aussi les écoles d'Eracle ne tardèrent-elles pas à avoir une réputation justifiée qui ne fit que croître dans la suite. Avoir fait ses études à Liège était, dans tout le moyen âge, la meilleure des références.
Les actes du Concile d'Aix-la-Chapelle, tenu sous la présidence de l'empereur, nous rapportent qu'Eracle y fit rapport sur l'emplacement défectueux de sa cathédrale et de sa résidence épiscopale, exposées toutes deux au double danger des invasions étrangères et des inondations, et il soumit le projet de construire une nouvelle cathédrale et les bâtiments nécessaires aux services diocésains, sur une colline toute proche, le Publémont, qu'il se proposait de fortifier.
Ce projet ayant obtenu l'approbation du Concile, Eracle se mit aussitôt à l'oeuvre. Il fit défricher le Publémont et les constructions furent entreprises. Or, tandis qu'elles étaient en cours, l'évêque fut affligé d'un chancre cancéreux, à la face. Il eut recours à l'intercession du saint le plus populaire à cette époque, saint Martin, patron des Gaules, et voulut malgré les difficultés sans nombre, de ce voyage, se rendre en pèlerinage à son tombeau, à Tours.
L'évêque en revint guéri et, dans sa reconnaissance, il décida de dédier à son bienfaiteur, l'église qu'il bâtissait sur le Publémont.
D'autre part le mécontentement causé à la population surtout commerçante qui, depuis trois siècles, s'était fixée sur les rives de la Légia, près du tombeau de saint Lambert, par le projet de déplacement du centre de la cité, avait amené Eracle à renoncer à ce projet, sans toutefois lui faire perdre de vue la nécessité de fortifier le Publémont et d'en faire un refuge sûr.
Coincée entre la Meuse et la colline, Liège ne pouvait guère se développer. Eracle décida d'exhausser l'île située entre les deux bras du fleuve et de la rendre propre à la bâtisse. Au centre de cette île il commença l'édification d'une vaste collégiale, en l'honneur de saint Paul.
Ainsi cet évêque enrichit sa cité de deux temples qui devaient devenir, dans la suite des siècles, l'un le berceau de la Fête-Dieu et la basilique du Saint-Sacrement, l'autre la cathédrale du diocèse.
C'est encore sous l'épiscopat d'Eracle que les bénédictins fondèrent sur le Publémont, l'abbaye de Saint-Laurent qui devait connaître, huit siècles durant, une glorieuse histoire.
Eracle fut incontestablement un très grand évêque. Il prépara magnifiquement les voies à son successeur immédiat, Notger, qui devait faire de Liège, la capitale d'une principauté.
De la longue série de nos évêques, Eracle est donc le seul qui ait encore un mausolée dans notre cité historique.
L'exemple donné sur Saint-Martin ne sera-t-il pas suivi?
Saint-jean ne rendra-t-il pas au grand Notger, l'hommage qui lui revient, et pourquoi, dans notre cathédrale actuelle où il repose depuis qu'on la retiré des décombres de Saint-Lambert, ne réédifierait-on pas quelque jour, l'imposant mausolée de l'illustre cardinal Erard de la Marck, à qui Liège doit ses plus somptueux édifices, le palais des princes-évêques, et les merveilles que sont nos églises actuelles de SaintMartin et de Saint-Jacques ?