AVANT-PROPOS
Peu de villes ont subi, depuis la fin du XVIIIe siècle, autant de transformations que la cité de Liège et on peut même affirmer que pas une autre peut-être ne se trouve plus éprouvée par la pioche des démolisseurs qui jusqu'à ce jour s'acharnent à en enlever les vestiges du passé.
Toutefois rien n'a été plus radicalement modifié que la partie aujourd'hui occupée par la place Saint-Lambert où le « modern Style » s'est installé en maître avec de grandes vitrines à l'instar de Paris. A cet endroit s'élevait une superbe et vaste Cathédrale, à la fondation de laquelle se rapportaient non seulement les commencements de la nation liégeoise, mais encore les dotations carolingiennes et féodales qui établirent l'ancienne principauté.
L'histoire de l’église Saint-Lambert est des plus illustre et riche en documents, mais il est beaucoup plus difficile de la décrire complètement car bien rares sont les vues et dessins qui la représentent en détail à l'extérieur (2).
Quant à l'intérieur on n'en possède que les vues des ruines (3).
Cet état de choses explique jusqu'à un certain point pourquoi nombre de Liégeois non seulement ne connaissent pas leur vieux SaintLambert, mais ignorent même, en général, l'emplacement exact de l'édifice qui donna naissance à la noble cité, et brilla d'un si vif éclat pendant plus de dix siècles.
Et cependant tous les anciens Liégeois aimaient de père en fils leur Cathédrale; pauvre et riche, tout habitant s'y trouvait chez lui, et aucun testament n'était fait sans qu'un patar au moins ne fût légué au patron de la principauté. C'était de tradition constante.
Le vénérable monument personnifiait le passé héroïque intimement lié au pays tout entier, et nous allons le rappeler en quelques pages consacrées à cet ancien Palladium de la cité.
I. HISTORIQUE
Au cours du mois de novembre 1898, des travaux de grande canalisation mirent au jour sur la place Saint-Lambert des restes considérables de fondations de très gros appareil. On était, sans aucun doute, dans les substructions des dépendances de l'antique Cathédrale, dans les sous-sols de Notre-Dame-aux-Fonts. Certains archéologues qui ont fait de sérieuses études relativement aux fouilles préhistoriques et romaines prétendirent y avoir découvert des tuiles spéciales et en tirèrent la conséquence que cet emplacement du vieux Legium était peut-être un établissement fondé par les conquérants des Gaules. Cette opinion provoqua des polémiques de journaux; on a toutefois trouvé à Herstal, aux portes de Liège en 1899 et 1900 non seulement des restes bien conservés d'une villa romaine, mais des objets en bronze de tout premier ordre. Cela n'a au reste rien d'étonnant car les « maires du palais » d'Austrasie auront probablement bâti une métairie sur les ruines d'un emplacement romain, peut-être dans la suite occupé par les Francs Saliens, lors de la conquête.
Discuter cette thèse serait, quant à Legium, sortir du rôle que nous nous sommes proposé ici.
Quoiqu'il en soit, il a souvent été question d'un oratoire primitif dédié aux saints Cosme et Damien (4), fondé au VIe siècle par saint Monulphe, évêque de Tongres. A l'emplacement de cette chapelle où vers 696 saint Lambert fut assassiné, son successeur saint Hubert érigea au commencement du ville siècle une église sous le vocable de NotreDame (5) et du martyr, son prédécesseur.
Certains auteurs affirment que ce temple relativement modeste et restreint ne fut dénommé « Cathédrale » que sous l'évêque Floribert qui succéda à saint Hubert en 730 sur le siège épiscopal de Liège. Grimoald (second), fils de Pépin de Herstal, assassiné à Saint-Lambert en 714 par le Frison Rantgar y fut inhumé. Charlemagne y fêta pompeusement les fêtes de Pâques en 770, 807 et 813. En 876, Charles le Chauve chercha un refuge dans ses cloîtres après la bataille d'Andernach; l'église fut dévastée par les Normands en 882.
L'évêque Eracle avait formé le projet de la rebâtir; son successeur Notger le mit à exécution; il édifia également Notre-Dame-aux-Fonts, laquelle non seulement fut la première église paroissiale de Liège, mais qui dès cette époque posséda pendant plusieurs siècles l'unique baptistère (6) de la ville à l'instar des basiliques du Nord de l'Italie d'après une tradition que Charlemagne avait probablement rapportée d'au delà des Alpes.
Cette Cathédrale de Notger, à deux absides semi-circulaires, devait assez bien représenter la Cathédrale de Worms (7). En effet avant Notger il n'existait à Saint-Lambert que le vieux choeur dit de saint Materne dont le chevet était tourné vers l'Ouest (8). De cette époque data la fondation du grand choeur oriental (9) dont nous parlerons ci-après.
L'évêque Notger qu'on a appelé à juste titre le véritable fondateur de la ville de Liège et qui après sa mort mérita ce si bel éloge: « Notgerum Christo, Notgero caetera debes » fut un des plus grands princes de son époque si tourmentée. Il fortifia sa capitale, approfondit le canal de la Sauvenière pour les besoins de la navigation et édifia de belles églises qu'il dota généreusement, entre autres les collégiales Sainte-Croix, Saint-Denis et Saint-Jean où il voulut être enterré.
Dans un travail relativement récent, M. Godefroid Kurth, le savant professeur de l'université de Liège, a établi que notre antique Legium s'était élevée dans le principe non seulement sur la place Saint-Lambert, mais aussi sur les coteaux qui environnent l'endroit où la Légia rejoint la vallée (10). Cette situation mettait éventuellement les habitants à l'abri des inondations; toutefois, le temple du patron de la cité restait situé proche de l'endroit où Notger bâtit son palais, dont la façade primitive subsista jusqu'à l'incendie de 1734 (11).
La nouvelle basilique commencée par Notger était terminée sous Baldric II et consacrée le 25 octobre 1015 par saint Héribert, comte de Rothenburg, archevêque de Cologne (12).
C'est à Saint-Lambert que l'empereur d'Allemagne Henri IV, mort à Liège le 7 août 1106 (13), fut inhumé par les soins de l'évêque Otbert, son fidèle vassal, en attendant son transfert au caveau impérial de Spire.
La Cathédrale fut dévastée par la foudre en1111 et 1117. Saint Bernard y serait venu en 1131 et 1147 (14).
Le 28 avril 1185, sous l'évêque Radulphe, l'imprudence du maître sonneur causa à Liège un effroyable incendie qui, paraît il, dura quatorze jours et consuma presque toute l'agglomération en comprenant dans ce désastre la basilique et la collégiale Saint-Pierre, sa voisine. Gilles d'Orval nous apprend qu'une consécration de l'église réfectionnée eut lieu le septième jour des Ides de septembre de la même année, par Philippe de Heinsberg, archevêque de Cologne. L'architecte qui avait présidé à cette rapide restauration était un certain Henri, de Louvain, qui habitait en la paroisse Saint-Michel, à Liège.
Le 4 mai 1212, jour de l'Ascension, Henri 1er duc de Brabant, livra la cité au pillage et le 28 février 1214, après la victoire de la Warde de Steppe, il faisait amende honorable à la Cathédrale en présence de l'évêque Hugues de Pierrepont.
N'oublions pas qu'en 1167 Lambert-le-Bègue, déplorant les malheurs des temps, avait prédit qu'un jour la cathédrale de Saint-Lambert serait anéantie et que les troupeaux paisseraient à son glorieux emplacement (15). Cette prédiction a été malheureusement réalisée; nous ne sommes toutefois qu'à la fin du XIIe siècle, et déjà une superbe église était à peu près terminée en 1252.
C'est cette troisième Cathédrale qui a subsisté jusqu’en 1794. Le grand choeur rebâti sur les bases de celui de Notger fut inauguré le 1er mai 1250 par le légat du Pape en présence de l’empereur Guillaume de Hollande; il ne fut achevé qu’en 1319.
C'est à partir de cette date que la châsse de saint Lambert eut sa place sur un haut jubé à l'entrée de ce choeur.
La grande tour avec sa superbe flèche avait été commencée sous Jean de Bavière en 1392 et ne fut terminée que sous Jean de Heinsberg au milieu du XVe siècle. (vers 1425)
Il serait superflu de rappeler ici ce qu'on eut à souffrir à Liège des suites du sac par Charles-le-Téméraire en 1468.
Ce fut sur le maître-autel de la Cathédrale que le comte de Berlo prit le « gonfanon » (16), palladium de la cité, qui tant de fois avait mené les Liégeois à la victoire et ne devait les conduire cette fois qu'à une défaite glorieuse dans les plaines de Brusthem.
Quant à la basilique, quoique l'impitoyable vainqueur eût défendu sous peine de mort de porter atteinte aux édifices religieux, elle se ressentit, toutefois à l’intérieur, des déprédations des soudards Bourguignons.
Après sa triste campagne de Liège, le duc de Bourgogne aurait essayé, dit-on, de conjurer les anathèmes pontificaux en faisant don à la maison de Monsieur saint Lambert du riche reliquaire en or massif actuellement encore au trésor de la cathédrale Saint-Paul et sur lequel on le voit représenté en posture de suppliant sous la protection de Monsieur saint Georges (17).
L'édifice ne fut pas atteint par la révolte des Rivageois (18); au contraire à cette époque le prince Erard de la Marck, dont nous parlerons ci-après, l’enrichit de dons magnifiques.
Lors des guerres intestines des Chiroux et des Grignoux, le temple fut le centre du mouvement populaire et sous sa grande couronne de lumière on vit exposé pendant trois jours la dépouille sanglante du bourgmestre La Ruelle; ce fut aussi à Saint-Lambert que ces dissensions qui avaient duré treize ans se trouvèrent pacifiées en 1646.
Arrivons à l'an 1789, époque tourmentée, où un groupe de Liégeois ambitieux, parmi lesquels on comptait cependant des artistes de talent (19), proposa la démolition de cette Bastille en haine de l'ancien régime. Cette manière de voir fut renforcée par l'entrée de Dumouriez, à Liège, en 1792. Le 18 février 1793, une Assemblée de « patriotes » présidée par le citoyen Nicolas Bassenge avait à l'unanimité décrété la suppression de l'édifice gothique ci-devant cathédrale (20).
L'arrivée des Autrichiens, le 5 mars 1793, fut suivie, le 28 juillet 1794, de l'entrée définitive des troupes de la République.
On vit alors le 9 août de la même année (22 thermidor an II), commencer la destruction du plus bel édifice du pays, qui avait été de tout temps le sanctuaire des franchises du peuple le plus libre du monde et aux degrés duquel s'étaient calmées tant de haines politiques.
On commença par enlever le plomb des toitures et descendre les cloches historiques qui furent brisées.
Le docteur Bovy (auteur de mémoires si intéressants), de famille verviétoise, qui était né à la citadelle où son père était fonctionnaire de l'armée, raconte en ses notes manuscrites qu'il vit, étant enfant, du haut des remparts du fort, enlever le coq qui surmontait la grande tour de la Cathédrale, premier acte de spoliation que devait suivre un pillage en règle de tout un passé d'héroïsme et de gloires artistiques. Dans la suite, la démolition se fit au fur et à mesure des besoins des habitations voisines. Le mobilier avait dès le principe été bazardé aux plus offrants et bien peu d'objets purent être préservés (21). Les superbes tombeaux des évêques et des grands hommes de la principauté avaient été enlevés par des entrepreneurs peu scrupuleux; quant aux restes mortels qui y étaient renfermés, ils avaient été jetés au vent.
Cette dévastation commencée le 21 février 1795 fut une indignité, qui ne peut se comparer qu'à la profanation des tombes royales et historiques de Saint-Denis. Moins heureux que nos voisins français, nous n'avons pu reconstituer les mausolées qui évoquaient tant de noms illustres du pays de Liège (22).
La grande tour fut démolie dès le 20 juin 1795. Ce ne fut toutefois qu'en 1817 que les ruines des tours de sable (23) qui regardaient la place Verte furent rasées. On avait commencé à les détruire en 1803. La place ne fut guère déblayée qu'en 1828. Les portails vers le Marché dits des degrés ne furent seulement enlevés qu'en 1845 (24); leurs vestiges ont été déposés au Musée archéologique liégeois.
La cathédrale Saint-Lambert était construite en pierres dites orangées du calcaire de la Meuse, sauf toutefois les deux tours occidentales qui étaient composées de pierres de sable de Maestricht (25). Parfaitement orientée, la basilique avec ses nombreuses dépendances, s'étendait de l'extrémité de la place Verte jusqu'à la hauteur de la rue de la Violette, près de l'Hôtel de ville.
Le tout comprenait le terrain occupé de nos jours par la plus grande partie de la place Saint-Lambert, le carré de maisons où se trouvent la Société militaire, le haut du Marché, la rue Royale, presque toute la rue de Bex et toute la ligne partant même en deçà du Grand-Hôtel au théâtre du Gymnase.
Quant à la Cathédrale elle comprenait trois nefs avec des chapelles latérales; elle possédait trois tours, deux choeurs et deux transepts. L'aspect extérieur du vaisseau était assez lourd avec des arcs-boutants très simples à double arc sans pinacles et des contreforts peu saillants.
La Cathédrale était bornée au Sud par Notre-Dame-aux-Fonts qui était le baptistère de la cité, par les compteries, la chapelle des Flamands, les rues Maillard, Gérardrie et Souverain-Pont. A l'Ouest par la place Verte au fond de laquelle se trouvait l'ancien Séminaire, où l'officiai fut transféré en 1734 à la suite de l'incendie du palais; par la rue des Mauvais Chevaux bordée par des hôtels de chanoines tréfonciers. Au Nord par le Vieux Marché; enfin à l'Est par le Grand Marché.
Quand on procéda à la démolition de Saint-Lambert les diverses constructions successivement élevées, avaient laissé sur place des traces intéressantes de leurs époques respectives, depuis le style roman de Notger qu'on retrouvait au vieux chœur de Saint materne jusqu'à l'architecture de la renaissance qui était venue à tort ou à raison enjoliver le monument des XIIIe et XIVe siècles. Mais ce qui formait le corps de la construction représentait la superbe 'architecture ogivale, comprenant la grande nef à lancettes avec colonnes cylindriques à crochet (26) et les ajoutes du style rayonnant où dominait la ligne verticale.
Quoique manquant d'unité absolue, le tout formait un ensemble imposant et des plus artistique, attestant la grandeur qui distingua les « maîtres » de la noble cité dans le cours des siècles.
En partant de la place Verte, ancien témoin des duels judiciaires, on se trouvait en face des deux tours de sable. Ces tours quoique moins massives et moins élevées avaient beaucoup d'analogie avec celles de Notre-Dame de Paris; comme celles-ci, elles étaient restées sans flèches. En deçà se trouvait l'entrée dite le Beau portail orné de statuettes de grande valeur exécutées par Jean de Cologne. Ce portail ne donnait pas dans l'église ce qui eût été contraire aux traditions liégeoises (27), mais dans les « vieux cloîtres » qui contenaient les dépendances telles que les compteries, les salles chapitrales, le chartrier, sans compter la chapelle des Flamands.
Aux deux côtés du transept occidental qui enserrait le vieux chœur se voyaient deux superbes portails (28) ornés de statuettes de Lambert Zuttman ou Suavius (29) exécutées en sable polychromé à la fin du XVe siècle. Quelques autres statues dataient toutefois du XVIIIe siècle.
Ces portails étaient dignes des plus belles basiliques connues. Ils étaient surmontés de roses ornées de verrières du XIVe siècle (30).
Près du grand choeur se trouvait vers le palais une galerie surplombant la rue des Onze Mille Vierges qui mettait les appartements du prince en communication avec la Cathédrale.
Au transept Sud se trouvait la grande tour avec sa superbe flèche couverte en plomb doré depuis le XVIe siècle (31). La grande croix qui la surmontait était au niveau de l'esplanade de la Citadelle (105 mètres).
Derrière le transept oriental venait le grand choeur fondé par Notger et reconstruit en cintre sur les fondations romanes de celui-ci; cela explique probablement pourquoi son abside était si peu accusée. C'était là le « nouveau chœur » et â ses côtés les « nouveaux cloîtres » (32).
A la sortie de ceux-ci, vers la place du Grand Marché, se trouvaient ces fameux « degrés de Saint-Lambert », droit d'asile inviolable pour le délinquant qui parvenait à les atteindre et par lesquels tant de princesévêques firent leur joyeuse entrée à la Cathédrale après avoir juré de respecter les privilèges de la cité et du pays, emplacement mémorable où se passèrent des incidents aux époques troublées (33).
Toutes ces dépendances formaient avec la basilique, le bloc immense que nous avons décrit ci-dessus.
INTÉRIEUR DE LA CATHÉDRALE
L'intérieur de notre Cathédrale, comportait deux choeurs, deux transepts peu accusés, trois nefs, ayant sur les côtés des chapelles latérales comme cela se retrouve à Saint-Paul, à Saint-Martin et à Sainte-Croix (34).
Il mesurait du commencement du vieux choeur au chevet de l'abside 108 mètres de longueur (le vieux choeur avait 18 mètres de long).
La largeur totale des trois nefs et des chapelles comprenait 43 mètres.
La largeur de la grande nef était de 15 mètres et sa hauteur de 31 m. 75 sous clef de voûte (35).
La grande nef de six travées était soutenue par quatorze piliers cylindriques a bases circulaires mosanes (36), surmontés par une galerie de quarante-deux colonnettes lancéolées, le tout dominé par des fenêtres à triples lancettes, surmontées d'une ogive assez surbaissée.
Philippe de Hurges écrit en 1615 dans son Voyage à Liège: « Quant à l'église Saint-Lambert qui doibt estre réputée entre les belles de l'Europe, elle est toute voultée, haute, large, couverte en plomb et bien longue par le dedans; elle est aussi bien illuminée de verrières (37) et de chassis, ayant doubles carolles ou galleries tout à l'entour, avec un nombre très grand de chapelles qui continuent par tout son circuit; ses voutes sont toutes peintes de jaulne, de branchages et de fleurs (38); elle n'est pères ornée de peintures ny d'autres agencements pour estre si riche, comme on la tient; et mesmes les formes et siéges des chanoines. qui se tiennent si grands y sont de fort simple ouvrage, de mode que le dedans n'y est pas correspondant au dehors, qui est de superbe apparence. »
Malgré cette description très relativement flatteuse pour la partie intérieure, qui n'aurait pas été polychromée à l'exception de la voûte, nous ne devons pas perdre de vue que notre Cathédrale était un somptueux musée où la valeur artistique des chefs-d'oeuvre le disputait à l'intérêt historique qu'ils rappelaient.
Le prince-évêque Erard de la Marck, notamment, enrichit au XVIe siècle sa basilique de dons superbes, entre autres du fameux buste de saint Lambert. Travail de Henri Zuttman (39), qui fait encore de nos jours l'orgueil du peuple liégeois.
Le prince Erard fut comme Notger, le restaurateur du pays et de sa capitale; comme lui, succédant à une époque de ruines, il sut attirer les savants et les artistes et ce fut son règne qui vit rebâtir la plus grande partie du palais avec ses cours merveilleuses et les majestueuses églises de Saint-Jacques et Saint-Martin. Il révisa en outre la constitution des Etats liégeois et fortifia les points importants de la principauté, après avoir relevé les remparts de la cité (40).
Quant au cérémonial usité à la Cathédrale, le colonel Duplessis l'Escuyer écrit en 165o, « le service divin s'y faict avec plus grande cérémonie qu'en aucun lieu que j'aye veu, excepté â Rome et à Notre-Dame de Paris ».
Saumery, l'auteur des Delices du pays de Liège, admire au XVIIIe siècle la masse de l'édifice en déplorant toutefois son style « gothique » qu'il intitule des « temps barbares » (41).
A noter également qu'un plan de reconstruction de Saint-Lambert fut proposé en 1783 en style de temple grec à colonnes doriques (42). Ce dégoût du style ogival explique peut-être la cause pour laquelle les Liégeois regrettèrent relativement si peu leur Cathédrale lors de sa destruction.
Un riche jubé en style renaissance séparait la nef du grand choeur; c'était au-dessus que la châsse de saint Lambert s'étalait à la vue de tous (43).
La chaire de vérité à deux escaliers était un délicat travail du commencement du XVIIe siècle.
Rappelons également que le maître-autel, en marbre d'Italie, représentait d'une façon réduite celui de Saint-Pierre â Rome. Le prince Maximilien-Henri de Bavière l'avait fait ériger en 1657.
Dans la grande nef se trouvait suspendue à environ six mètres du sol la grande couronne de lumière, sous laquelle les Verviétois exécutaient leur danse annuelle (44). Elle avait été donnée par Frédéric Barberousse, en même temps que celle qu'on voit encore à la cathédrale d'Aix-laChapelle.,
Les tours de sable, a la façade, ne contenaient que les cloches en bois usitées pendant la semaine sainte, dont notre illustre Grétry parle dans ses mémoires.
La grande tour, à la croisée méridionale, renfermait dans son campanile un carillon de dix-huit clochettes (45). Elle contenait en outre plus de vingt-quatre cloches, dont plusieurs étaient historiques; entre autres: la cloche du Ban qui convoquait le peuple; la Rikopeëe ou cloche d'alarme; la Kopareïe ou couvre-feu et qui a été chantée par le poète wallon Simonon, car elle était populaire entre toutes; enfin, l'Erard et la Chrysogone, gros bourdons réservés aux circonstances solennelles (46).
Il serait superflu de parler ici du riche trésor (47) accumulé depuis des siècles, des tombeaux et des souvenirs historiques, du tombeau d'Erard de la Marck, des tableaux, chefs-d'oeuvre des Jordaens, Lambert Lombart, Douffet, Lairesse, Bertholet Flémal; des sculptures des Zuttman, Delcour et de tant d'autres maîtres, dont les oeuvres faisaient de la Cathédrale un grandiose musée d'art religieux.
III. DERNIÈRES CONSIDERATIONS
Si les passions politiques et les révolutions entraînent des ruines et des désastres irréparables, ne doit-on pas aussi déplorer en même temps que la fureur insensée des iconoclastes, l’ignorance et l'indifférence des populations au commencement du XIXe siècle.
A Saint-Lambert, les ruines étaient relativement bien conservées et un mouvement patriotique eut pu réédifier le monument comme on avait rebâti ses devanciers.
Circonstances fatales, le despotisme militaire du premier Empire, les désastres économiques qui suivirent, tout empêcha la reconstruction de la basilique, laquelle eût peut-être moins coûté que l'enlèvement des décombres laissés par les démolisseurs.
Quand on pense que pour établir la banale place Saint-Lambert, telle qu'elle existe actuellement, nos ascendants ont dû payer des sommes colossales pour l'époque, comme le prouvent les archives de la Préfecture, actuellement au palais provincial de Liège. L'administration centrale avait si bien compris les difficultés des déblaiements, quelle avait formé le projet d'un jardin pittoresque, pour utiliser les différences de niveau. Le dessin ci-joint montre ce que devait devenir l'emplacement de la séculaire basilique, le texte et le plan sont extraits de la collection de feu M. le chanoine Henrotte (48).
« L'économie », énonce le texte, « devant être la base du projet, je propose un jardin champêtre dont les chemins irréguliers agrandiront les promenades; on entremêlerait les bosquets d'arbrisseaux, de fleurs comme lilas, roses, boules de neige, etc.
On placerait des groupes de figures de distance en distance, des cafés champêtres: des berceaux se trouveraient placés entre les arbrisseaux. Dans le milieu du jardin serait placé le temple de la Liberté, entouré d'eau; par le moyen de bosquets, on pourrait laisser exister les irrégularités qui se trouvent dans le terrain; les plantations les cacheraient et le jardin en serait que plus pittoresque. »
(Non daté). Signé: D.
Ce plan fantastique ne fut pas exécuté: on craignait la dépense, car restait l'emploi des matériaux. Que faire, en effet, des grandes murailles lézardées qui auraient pu, semble-t-il, gêner l'artiste jardinier-entrepreneur? » (49)
L’auteur du projet semblait trancher la question en affirmant, qu' »avec ces décombres on pourrait exhausser la place Verte et celle aux Chevaux de trois ou quatre pieds, ce qui adoucirait la pente rapide de la haute Sauvenière et du pont d'Isle, et comme le dernier est extraordinairement étroit, on pourrait construire un pont en face de la place Verte et passer dans le jardin des Dominicains. »
Ce dernier desideratum a été réalisé par le comblement du canal de la Sauvenière et les ruines enlevées à grands frais ont en partie formé les anciens quais de Liège.
On doit déplorer aussi l'indifférence des pouvoirs publics au commencement du XIXe siècle, car le Liégeois avait toujours eu jadis de l'amour pour sa Cathédrale. Quelles raisons peuvent bien excuser cet état des esprits? On n'aimait plus le style ogival à cette époque de transition où l'esprit militaire et le genre utilitaire trop positifs avaient pris le dessus. Reconstruire une église du moyen âge eût semblé un non-sens chez nous.
Et cependant, singulière coïncidence, la cathédrale de Cologne qui eut sous tant de princes des destinées communes avec celle de Liège (50) tombait en ruines, inachevée depuis des siècles, alors que la basilique de Saint-Lambert était démolie en pleine conservation. Bonaparte (qui, parait-il, aurait en 1803 blâmé la destruction du monument liégeois) avait refusé à la Métropole rhénane un subside de 20,000 livres, destiné à consolider le superbe choeur qui s'effondrait; et circonstances extraordinairement disparates, c'est en 1817, alors qu'on détruisait les tours de sable de Saint-Lambert, qu'un prince protestant, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, prenait les premières mesures destinées à restaurer le « Dom de Cologne », que ses fils Frédéric-Guillaume IV et Guillaume Ie devaient achever. Honneur à ces souverains et à ce grand empereur allemand qui avaient en eux le culte inné de l'art et des souvenirs! La conservation de la cathédrale de Cologne comptera parmi leurs plus beaux titres de gloire.
Ah! Si chez nous, à cette époque de domination hollandaise, un prince d'Orange avait eu les sentiments d'un Hohenzollern, nous aurions encore Saint-Lambert (51) !
Mais à quoi bon s'arrêter à des considérations stériles?
Donnons un dernier coup d'oeil à notre cathédrale et voyons si, comme style, elle était irréprochable à l'époque de sa destruction. Répondre à cette question, serait soulever la critique de toutes les grandes basiliques existant à la fin du XVIIIe siècle.
Pour parler avec impartialité, Saint-Lambert était sans aucun doute ce que Liège possédait de plus vaste et de plus beau; plusieurs restaurations pouvaient certes s'imposer, mais quelle cathédrale n'en a pas reçues depuis cent ans?
Certains vieux Liégeois des meilleures familles qui avaient connu les ruines et déploraient la disparition de l'édifice, n'hésitaient toutefois pas à affirmer que celui-ci était « mal placé. » Il était, en effet, enserré dans des constructions, mais presque toutes les anciennes églises n'étaientelles pas dans la même situation?
Les dégagements, en cas de restauration, se trouvaient ici tout naturellement indiqués.
Presque tous nos grands édifices de la Belgique sont actuellement restaurés, et on peut affirmer que l'un des plus majestueux eût certes été le monument par excellence de la patrie liégeoise et de la Wallonie mosane.
G. RUHL
(1) Causerie donnée à la Société verviétoise d'histoire et d'archéologie.
(2) On cite notamment:
a) Celle des Delices du pays de Liège, par SAUMERY, dessins de Leloup (1737).
b) Une grande vue jadis en la collection de feu M. le chanoine Henrotte et que M. J.-S. Renier, de Verviers, possède; c'est un beau lavis de Deneumoulin (1780), qui a été lithographié en 1850 par Cremetti. Il en existe Une réduction reproduite ici.
c) Une vue de trois quarts, prise de la place Verte, dont l'original appartient à la famille de M. Wauters-Cloes, à Liège. Elle fut dessinée en 1852, par M. Mansson, réfugié français.
d) Une vue, à peu près prise de trois quarts également de la place Verte, dessin à l'encre de Chine, de la fin du XVIIIe siècle, actuellement au palais épiscopal de Liège.
e) Vue prise du côté de Notre-Dame-aux-Fonts, reproduite dans les deux ouvrages sur SaintLambert, par le comte van den Steen de Jehay.
f) Grand dessin colorié avec blason pris du même côté, actuellement aux archives de l'Etat, à Liège. Il est daté de 1565.
g) Différentes vues et perspectives du monument reproduites dans les plans à vol d'oiseau de la cité.
(3) Les plus connues ont été gravées par Chevron, Louis Denis et J. Depireux. De beaux spécimens et dessins orignaux se trouvent chez M. Célestin Marésal, à Liège, au musée Renier, à Verviers. Une autre vue, y compris « les degrés du Marché », prise de l'Est, fut dessinée et gravée par Dreppe; l'original a appartenu en ces derniers temps à feu M. Alex. Minette, avocat, à Liège.
Dans son intéressant travail sur le Vieux Liège, publié en 1888, M. Léon Béthune a reproduit plusieurs vues inédites de l'ancienne Cathédrale.
Quant au plan de la Cathédrale, le seul connu a été édité par le comte van den Steen de Jehay, dans son grand ouvrage de 1880 sur Saint-Lambert. Il a été reproduit par M. AUG. HOCK (1881, Liège au XVe siècle, et par la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liège (La Cathédrale de Saint-Lambert, conférence par M. Gustave Francotte, 1889).
(4) La première église de Liège, par M. Joseph DEMARTEAU (Bulletin de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liège, t. III).
(5) Saint Hubert avait doté son église d'un collège de vingt chanoines. Floribert porta ce nombre à trente. Ii exista dans la suite à Saint-Lambert deux espèces de chanoines: ceux de saint Materne, saint Gilles ou saint Hubert, dits de la « petite table, » au nombre de six, puis de onze qui occupaient le vieux choeur, et le chapitre cathédral, si illustre, dit « des tréfonciers, » qui siégeait au grand choeur. Il se composait de cinquante-neuf chanoines. La soixantième stalle était double et appartenait aux deux tréfonciers préposés au service du Prince, quand il officiait pontificalement.
Primitivement composé de nobles, dont on exigeait encore au XVIe siècle huit quartiers probants, il se composa dans la suite de personnalités dont les titres étaient exigés, mais comprenant aussi des docteurs en sciences, des médecins, des jurisconsultes ou des personnes qui avaient rendu des services éminents à l'Etat ou à l'Eglise.
Ce chapitre proposait le nouveau Prince-Evêque et pendant la vacance du siège exerçait le pouvoir exécutif jusqu'au nouvel avènement. Il était le premier des trois Etats du pays et s'appelait l'Etat primaire (les deux autres étaient l'Etat noble et l'Etat tiers).
Le dernier survivant des tréfonciers fut Albert-Joseph, chevalier de Grady de Croënendael, reçu en 1785, mort en son château de Croënendael, le 1er juin 1840. Il avait été également prévôt de Saint-Jacques en 1793 et était fils de Jean-Charles, chambellan du Landgrave de HesseDarmstadt, et de Dieudonnée de Thier de Grimonster.
La famille de Grady, dont la branche historique est celle de Croënendael, a donné entre autres de hauts dignitaires à l'église, à l'armée, à la magistrature et plusieurs bourgmestres à la cité.
(6) Ces fonts baptismaux, qui représentent un des plus curieux spécimens de la dinanderie au moyen âge, se trouvent actuellement à l'église Saint-Barthélemy, à Liège. Ils datent de 1112 et auraient été l'ouvre du batteur de Dinant, Lambert Patras. Il est actuellement établi, par un travail de M. KURTH sur Maurice de Neufmoustier (1892), que leur auteur a été un certain orfèvre de Huy de la même époque, du nom de Renier (Bulletin de l'Académie royale de Belgique, t. XXIII, p. 671, note).
(7) Ce plan est souvent usité dans les églises de la Germanie à cette époque. Outre la cathédrale de Worms, on revoit ces formes dans les basiliques de Spire, Mayence, Goslar, Hildesheim et Halberstadt, avec des proportions différentes.
(8) Ce choeur, quoique occidental, n'avait rien d'anti liturgique (il en existe un à l'église Sainte-Croix, à Liège). Dans la primitive église, comme encore actuellement au maitre-autel de Saint-Pierre, à Rome, le pontife célébrait la Messe ayant la tête tournée vers les fidèles.
(9) A cette époque les deux choeurs de la Cathédrale avaient chacun une crypte. Au choeur oriental était l'autel de Notre-Dame et saint Lambert; au choeur occidental celui des saints Cosme et Damien où se trouvait sur l'autel (dans le haut moyen âge) la châsse de saint Lambert, car c'était en cet endroit qu’il avait reçu la mort (Essai de reconstitution de la Cathédrale notgérienne, par M. G. KURTH. conférence faite à la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liège, le 16 mars 1898. Voy. aussi Archives liégeoises, publications de la même Société, année 1898, art. 42).
(10) Cette enceinte de Notger comprenait les quartiers du Mont Saint-Martin, Saint-Servais et Sainte-Croix, la Haute-Sauvenière; les places Verte, Saint-Lambert, du Marché et les abords de la Basse-Pierreuse, une partie de la rue Hors-Château, puis aux bords de la Meuse vers la tour Saint-Denis et le fortin dit « petit Engin, » en face du Pont-d'Ile (M. G. KURTH, Les origines de la ville de Liège, dans Bulletin de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liège, t. II; GUST. RUHL, Bulletin de la même Société; Leodium, 1902, n° 6: Les remparts de Liège à l'aurore du XIe siècle).
(11) L'ancienne façade du palais incendiée en 1734, fut reconstruite peu après sous le règne de Georges-Louis de Berghes, dans le style lourd et prétentieux du XVIIIe siècle. Les pouvoirs publics viennent de faire rétablir le blason de ce prince, avec ses ornements et attributs. Le tout avait été martelé à la révolution.
(12) L'archevêque de Cologne était le métropolitain du diocèse de Liège.
(13) D'après une tradition contestée, il serait mort dans une maison de la rue Féronstrée, qui 'avait jusqu'en ces derniers temps conservé une inscription commémorative de cet événement.
(14) Saint Bernard arriva à Liège le 22 mars 1131 avec le pape Innocent II qui couronna, le 29 du même mois, dans la cathédrale Saint-Lambert, l'empereur Lothaire II et sa femme Richilde. Il prit aussi part au Concile ouvert à Liège le lendemain par le Pape; il y revint le 14 janvier 1147 pour prêcher la seconde croisade.
(15) Ce texte de Gilles d'Orval (chap. 52), est reproduit par FOULLON (Hist. Leod., t. I, p. 282): « Eheu! inquit! dies erunt, cum sub te sues terram effodient, et quae Coelitum honori Ara dicata es, fies hara porcorum.» Anno 1167.
(16) Il serait à désirer de le voir reconstituer à la cathédrale Saint-Paul.
(17) M. Jules Helbig a établi, d'après les comptes de 1467 de l'argentier du duc de Bourgogne, que cette admirable pièce avait été commandée par Charles-le-Téméraire en 1467, à son orfèvre Gérard Loyet, pour en faire hommage à la Cathédrale de Liège; donc avant le sac de la cité. Il ne fut toutefois offert qu'en 1471.
(18) La cérémonie expiatoire eut lieu à Saint-Lambert, le 27 juillet 1531.
(19) Entre autres le peintre Léonard Defrance, qui passent avec Lambert Bassenge, frère de Nicolas, pour les vrais promoteurs de la destruction de Saint-Lambert.
(20) Voy. les chroniques de J.-B. Mouhin, publiées par ULYSSE CAPITAINE, dans le Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. II, p. 146, sous le titre: Le dernier chroniqueur liégeois.
(21) Deux autels latéraux de Saint-Lambert se trouvent actuellement en l'église de GrandRechain, au fond des nefs latérales. Ils furent sauvés en 1799 par M. Mathieu Marésal-Delcour, mayeur, puis bourgmestre de Grand-Rechain, qui les donna dans la suite à son église (Communication de son petit-fils M. Célestin Marésal, archéologue, à Liège).
(22) En 1809 on retrouva dans le sous-sol de l'ancienne cathédrale, le cercueil en plomb d'Erard de la Marck, qu'on transporta le 17 octobre de la même année dans un caveau situé dans la chapelle septentrionale près du choeur de la ci-devant collégiale Saint-Paul. Peu de temps auparavant y avaient été déposés les restes des princes Georges d'Autriche (+ 1557), Gérard de Groesbeck (+ 1580), Jean-Louis d'Elderen (+ 1694), Georges-Louis de Berghes (+ 1743), JeanThéodore de Bavière (+ 1763) et César-Constantin-François de Hoensbroeck (+ 1792).
Le 4 août 1887, le bureau de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liège obtint l'autorisation d'ouvrir le cercueil d' Erard de la Marck. Nous y avons vu le prélat vêtu de son costume cardinalice, en parfait état de conservation. La dalle qui recouvre le caveau ne porte que trois noms de princes-évêques.
(23) Le 30 juin 1902, j'ai eu l'avantage de parler à Mme Cajot de Parfondry, de Hodimont, qui allait atteindre sa centième année. Cette dame se rappelait parfaitement les tours de sable, les fûts de colonnes et le vaste amas de ruines qui couvraient, dans son enfance, la place SaintLambert actuelle.
(24) M. le docteur Alexandre, de Liège, et M. Jean-S. Renier, de Verviers, se rappellent cette démolition.
(25) Ce défaut d'unité dans un gros oeuvre architectural n'est pas le seul qu'on ait pu constater à Liège. On revoit en effet cette pierre de sable dans les intrados des arcades se trouvant à la grande nef de la cathédrale Saint-Paul. A considérer également les colonnes de Saint-Jacques, Saint-Martin et Sainte-Croix, qui sont partie en granit, partie en pierres de sable.
(26) Des débris sont au Musée archéologique.
(27) Une particularité propre à la ville, au pays de Liège et même aux régions voisines, consiste en ce que les portails des églises anciennes étaient presque tous latéraux. On la remarque à Saint-Paul, Saint-Jacques, Saint-Martin, Sainte-Croix, Saint-Denis. Saint-Barthélemi (son portail est une ajoute du XVIIIe siècle), Saint-Gilles, Saint-Servais. Saint-Pholien, les anciennes églises démolies de Saint-Laurent, Saint-Pierre, Saint-Adalbert. Saint-Nicolas aux-Mouches, Saint-Nicolas Outre-Meuse, Saint-Remacle en-Mont, l'ancienne entrée de Saint-Christophe, à Liège, la collégiale de Huy, les églises de Theux, Herve, Charneux, Sart, Andrimont, Visé, etc. Ces particularités mosanes sont attribuées à des causes climatologiques.
(28) Le portail septentrional regardant le palais s'appelait le « petit portail ». Il était large de 22 mètres à l'entrée et de 8 à l'intérieur et élevé de 6 marches. Il avait été construit vers 1275, grâce à la générosité du tréfoncier Burckart de Hainaut, neveu de l'empereur d'Allemagne Guillaume Ier, par Engoran le Behenghon. Le portail méridional du côté de Notre-Dame-aux-Fonts était moins orné et les statues moins artistiques (La cathédrale de Saint-Lambert, par le comte VAN DEN STEEN DE JEHAY, 188O). Philippe de Hurges affirme que « ces portails sont les plus excellents après ceux de Reims ».
(29) Voy. l'intéressant ouvrage sur L'oeuvre de Suavius, par M. J.-S. RENIER (1878).
(30) La rose du côté du palais avait été donnée en 1250 par Gérard de Bierset. Celle du côté de Notre-Dame-aux-Fonts aurait été contemporaine de Jean d’Enghien (Fisen, Hist. Leod., t. II p. 9). Les roses sont rares au pays de Liège. Une des plus belles est le fameux « rondia » de la collégiale de Huy.
(31) Quand au commencement du XIXe siècle (28 octobre 1809), on dota la nouvelle cathédrale Saint-Paul d'un clocher, l'architecte s'inspira de la structure de cette flèche dont la silhouette était chère aux Liégeois, sans pouvoir toutefois la reproduire ni comme pureté de lignes, ni comme proportions. Elle a 90 mètres de hauteur. Les pierres jaunes enserrant les abats-son proviennent des tours de sable de Saint-Lambert.
(32) Par opposition aux « vieux cloîtres » qui se trouvaient au « vieux chœur » du côté de la place Verte. Ces deux cloîtres étaient perpendiculaires à l'axe de l'église comme cela se voyait généralement dans les sanctuaires antérieurs à saint Bernard, entre autres à Notre-Dame de Tongres, à Saint-Jean et jadis à l'abbaye de Saint-Gilles, à Liège. Si la configuration du terrain ou la voirie s'opposaient à cette disposition, on plaçait le cloître de préférence au Sud comme on le voyait à la plupart des églises collégiales de Liège sauf à Saint-Martin où il se trouve au Nord). (Renseignements dus à l'obligeance de M. Pascal Lohest de Waha).
(33) Les deux petits portails des degrés dataient de la seconde moitié du XVe siècle.
(34) Ces chapelles latérales étaient au nombre de douze, mais il en existait encore d'autres dispersées dans les dépendances des deux choeurs. Le tout est parfaitement décrit dans le bel ouvrage du comte VAN DEN STEEN DE JEHAY, La cathédrale de Saint-Lambert, 2 édition. Liège, 1880. Ce travail est d'autant plus intéressant que les renseignements et documents y rappelés proviennent de personnes qui avaient connu l'édifice avant sa destruction.
(35) voici les dimensions comparatives de quelques grandes églises de Liège
Saint-Paul mesure:
longueur sans la tour: 70 mètres.
largeur totale avec les chapelles latérales: 33 mètres.
largeur de la grande nef: 12 mètres.
hauteur de la grande nef sous clef: 24 mètres.
Saint-Jacques mesure:
longueur sans la tour: 78 mètres (avec la chapelle de l'abside).
largeur totale: 28 mètres.
largeur de la grande nef: 11 mètres.
hauteur de la grande nef sous clef: 24 mètres.
Saint-Martin mesure:
longueur totale sans la tour: 6o mètres.
largeur totale avec les chapelles: 32 mètres.
largeur de la grande nef: 12 mètres.
hauteur de la grande nef sous clef: 22 mètres.
(36) Ces bases circulaires sont des particularités spéciales à la vallée de la Meuse. On les retrouve à Saint-Paul, Saint-Martin et Sainte-Croix, à Liège, aux collégiales de Huy et de Dinant. à l'ancienne église des Minorites à Maestricht et même à Sittard. Cet état de choses existait également à l'ancienne église Saint-Remacle, à Verviers.
(37) Un fait rapporté par des traditions liégeoises consistait en ce que les vitraux du chœur de Saint-Lambert étaient éclairés par l'extérieur pour les solennités de la Noel.
(38) Des voûtes analogues se voient à Saint-Paul et à Saint-Jacques, à Liège.
(39) Fils de Lambert Zuttman qui avait sculpté les statues des portails latéraux dont nous avons parlé ci-avant.
(40) La résidence favorite d'Erard de la Marck était le château de Franchimont. De plus, n'oublions pas qu'il accorda aux habitants de Verviers plusieurs privilèges importants.
(41) Une description peu enthousiaste de Liège et de sa Cathédrale en 1786, existe dans un travail intitulé: L'homme sans façon, lettres d'un voyageur allant de Paris à Spa. Lettre XII, p. 183. M. Léon BETHUNE, archéologue, à Liège, l'a rééditée dans le journal Le Vieux-Liège, 2 année, n° 38.
(42) Le dessin original de la façade se trouvait dans la collection de feu M. le chanoine Henrotte, archéologue, à Liège.
(43) La chasse de saint Lambert a été décrite: par PHILIPPE DE HURGES dans son Voyage à Liège et à Maestricht en 1615 (publié en 1872 par la Société des Bibliophiles liégeois); Voy. Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. X, par le chanoine 0.-J. THIMISTER; Ibidem, t. XXIV, par le baron J. DE CHESTRET DE HANEFFE.
L'ancienne « fierté » de saint Lambert en bois de chêne très bien conservé fut construite en 1143, par ordre d'Albéron Il, évêque de Liège, après le triomphe de Bouillon. Le loculus contenant les reliques de saint Lambert, a été remis dans la nouvelle châsse exécutée en 1897, par M. Wilmotte fils à Liège, d'après les plans de l'éminent baron Béthune. Il est toutefois à regretter que les superbes travaux d'orfèvrerie qui la décorent n'aient pas été réappliqués sur l'ancienne châsse actuellement reléguée au musée diocésain.
(44) Voy. Récits Verviétois, par le R. P. HAHN, S. J., Verviers, L-M. Léonard, 1896; Les Croix de Verviers, par le même, Société verviétoise d'archéologie et d'histoire, t. I, p. 209; Ibidem, par M. le docteur TIXHON, à Theux, t. III, p. 228.
(45) Le premier carillon datait de Georges d'Autriche. Il fut fondu sous le règne d'Ernest de Bavière et transformé en une cloche (comte VAN DEN STEEN DE JEHAY).
Le carillon dont nous parlons ici avait été fondu à Liège, le 4 octobre 1726, par Gilles de Befve. Le 5 germinal an XII (26 mars 1804), il fut ainsi que l'horloge mis à la disposition du Conseil de fabrique de la nouvelle cathédrale Saint-Paul (chanoine O. THIMISTER, Notice historique sur Saint-Paul, Liège, 1867).
(46) Quand le 27 ventôse an III (17 mars 1795) furent brisées les cloches, on pesa I' « Erard ». Elle avait un poids de 16.500 livres et son marteau de 480.
(47) Voir relativement au trésor :
a) Voyage de Liège à Maestricht en 1615, par PHILIPPE DE HURGES.
b) La cathédrale de Saint-Lambert, 2e édition (1880), par le comte VAN DEN STEEN DE JEHAY.
c) Description du trésor de Saint-Lambert en 1718, visité par Martène et Durand (Bulletin de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liège, t. II), par M. Jos. DEMARTEAU.
d) Visite des reliques de saint Lambert (Conclusions capitulaires, reg. CXXVI, p. 365, aux archives de l’Etat, à Liège).
Le grand ostensoir en vermeil, haut de cinq pieds, fut commandé par le prince MaximilienHenri de Bavière, au grand artiste-orfèvre Nicolas Mivion de Liège (qui était né à Huy).
(48) M. Nicolas Henrotte, chanoine honoraire de la Cathédrale de Liège, chevalier de l'Ordre de Léopold et décoré de la croix civique de classe, était né à Andrimont le 13 janvier 1811. Aumônier de l'hôpital de Bavière à Liège, pendant près d'un demi-siècle, il trouva le moyen, malgré ses multiples occupations, de classer et collectionner une foule de documents précieux pour l'histoire et l'archéologie de son pays. Membre collaborateur de plusieurs sociétés savantes, il a laissé à Liège les meilleurs souvenirs parmi tous ceux qui ont été assez heureux de profiter de ses connaissances. Il mourut à Liège le 22 avril 1897 âgé de 86 ans.
(49) En 1795, l'Administration de Liège avait déjà décidé de tirer parti de l'emplacement de la « Cathédrale dont la démolition, arrêtée par les voeux du peuple... », par suite d'un rapport de Léonard Defrance (Les rues de Liège, par M. TH. GOBERT, t. II).
Le Corps législatif, le 15 pluviôse an IX (4 février 1801), transmit par une loi à la ville, la propriété de l'emplacement de la Cathédrale, avec obligation de déblayer. C'était un cadeau embarrassant. On le comprend, car la suppression de Saint-Lambert a coûté plus de 2 millions de livres, sans compter la perte des oeuvres d'art (Archives provinciales de Liège; Les rues de Liège, par M. TH. GOBERT).
(50) Nos princes-évêques Ernest, Ferdinand, Maximilien-Henri et Joseph-Clement, tous de la maison de Bavière, furent en même temps électeurs de Cologne et sont enterrés en la Cathédrale de cette ville.
(51) Nombre d'auteurs de talent ont déploré cette destruction; Citons entre autres: « Qui a aurait cru », a écrit Ferdinand Henaux, « il y a cinquante ans, que la cathédrale de Saint Lambert qui faisait l'ornement de notre ville, l'illustration du pays auquel elle avait, en quelque sorte, donné naissance; qui aurait cru, que ce temple magnifique, disons-nous, après avoir fait l'édification de la chrétienté, après avoir été regardé pendant douze siècles et demi comme le lieu le plus saint, serait enfin anéanti par la force brutale du sacrilège! » (Description de la ville de Liège, 1837 et 1842, p. 154).
« L'antique et splendide cathédrale de Saint-Lambert qui fut pendant tant de siècles la sauvegarde de la liberté du peuple et qu'on a détruit au nom d'une liberté sauvage qui couvrait de son nom un hideux despotisme, renfermait sur le jubé la grande chasse de saint Lambert.
(NAUTET, Notices historiques sur le pays de Liège, t. I, p. 479).
C'esst adon k dé vandâl
On distru I Catedrâl,
On distru tocosté
Lé monumin d nos' glwér,
Lè monumin d istwér,
D âr è d antikité.
Ch. N. SIMONON, Poésies en patois de Liége.
Liege, MDCCCXLV : Li Côparey, n° 35, p. 46.