Les fouilles proprement dites sur la place Saint‑Lambert ont commencé le 17 septembre et les résultats en ont été beaucoup plus intéressants qu'on ne pouvait le prévoir, Nous donnons, avec le présent numéro, un plan des murailles retrouvées avec indications des différentes trouvailles, ce qui permettra à nos lecteurs de se rendre compte plus exactement du travail effectué.
Comme on pourra le voir, d'après ce croquis, il a, au moins, deux édifices, parmi les murailles qui s'enchevêtrent les unes dans les autres. L'un se distingue par ses murs épais, de six pieds (1m70) et correspond exactement à la cathédrale détruite à la fin du XVIIIe siècle. L'autre est formé de murs plus minces, de trois pieds (0m90) et appartient à un édifice plus ancien. Bien que, comme nous le disions il y a deux mois, il faille être très prudent avant d'attribuer à telle époque tel bâtiment, nous avons de fortes raisons de croire que l'édifice à grosses murailles, évidemment la cathédrale rebâtie après l'incendie de 1185 a été construit sur les fondements même de la cathédrale de Notger. En effet, nous avons retrouvé à une certaine profondeur, dans ces murs, un appareil assez différent et certainement plus ancien que l'appareil supérieur. Cet appareil ancien, d'ailleurs, se retrouve également, mais à une plus grande hauteur, dans le vieux choeur qui lui-même, correspond exactement aux gros murs. De plus, les grosses murailles, d'un appareil assez peu soigné comme aspect, sont évidemment des murailles de fondation et non des murs dont l'extérieur serait visible. Enfin, le ciment rose dont nous avons déjà parlé précédemment et qui a été, le fait est acquis, coupé pour refaire les grosses murailles parait bien avoir été le dallage de l'église notgérienne. C’est en effet, en dessous de ce dallage que se sont retrouvés les sarcophages, pour la plupart du moins, et il semble bien aussi que ces sarcophages seraient du Xe siècle. Dernier argument, les dimensions données à l'église à grosse murailles répondent bien à une cathédrale bâtie par un prince qui voyait beau, et grand et qui, certes, n'aurait pas donné à la cathédrale des dimensions plus restreintes qu'aux églises collégiales qu'il a bâties.
Entre les grosses murailles s'en trouvent d'autres, plus anciennes. On avait cru y voir les restes de la cathédrale bâtie par saint Hubert mais, à tout prendre, nous pensons que ces murs appartiennent à un édifice plus ancien et nous risquerions même l'hypothèse que ce seraient ceux de la villa romaine. En effet, leur disposition ne répond pas du tout à une église. En plus, bien qu'ils soient enterrés profondément, aujourd'hui, on peut remarquer qu'ils sont d'un appareil très soigné jusqu'à la profondeur de 3 m 75.
C'est à ce niveau que se rencontre leur fondation en gros moellons irréguliers posés sur l'argile du fond et, à la profondeur de 3 m 65 environ, on remarque, dans le terrain, une aire ou dallage, brun et jaune, qui semble être le sol de cet ancien bâtiment. C'est d'ailleurs dans les environs de ce niveau, on s'en souvient, que dans notre article du mois d'août, nous avions dit avoir retrouvé un dallage en ciment rose, placé au pied d'une muraille rejointoyée en rouge et crépie d'un double plâtras dont le supérieur était peint à fresque en rouge. Cette peinture, dont nous n'avions retrouvé alors que des fragments, a été relevée en place, sur une hauteur de près de 1 m 50, dans un angle formé par cette muraille avec une autre perpendiculaire à celle-ci; au pied de cette muraille, mais vers le nord, nous avons retrouvé, en outre, de remarquables fragments de marbre, de faible épaisseur et ayant, à toute évidence, servi de revêtement à l'une des salles de la villa. Ces marbres, blanc, noir, rouge et vert, étaient encore adhérents à du plâtras rose analogue à celui de la muraille peinte en rouge et à celui peint à fresque en blanc, rouge, vert et noir signalé dans notre article précédent. Au pied de cette même muraille rouge, comme en dessous du vieux choeur, se retrouvaient de considérables déblais contenant des fragments de tuiles et des débris de l’hypocauste, des poteries et des instruments. Seulement, tandis que, le long du mur rejointoyé en rouge, le dépôt romain se trouvait à une profondeur de 1 m 40, il se rencontrait, dans le vieux chœur, plus d'un mètre plus bas, ce qui confirme l'hypothèse que nous émettions alors, que ces déblais romains avaient rejetés contre la muraille rouge lors du creusement de la fondation d'une muraille voisine - l'une de celles du vieux choeur, sans doute,
Dans ce dépôt romain, gisaient d'innombrables débris de poteries dont plusieurs très fines, mêlées à de grossières céramiques de ménage. Nous y avons retrouvé une tèle presque intacte, des cruches à col étroit, des plats à bords peu élevés, en terre rouge, une belle poterie avec sigle, les couvercles avec bouton, des aiguilles ou poinçons, des épingles et une aiguille à coudre les peaux, en os, deux styles à écrire, en bronze, du verre et une monnaie à l'effigie d’Hadrien. La villa existait en tout cas au IIIe siècle, à en juger par les fragments de certaines poteries décorées à la barbotine. II semble bien, d'autre part, que la villa devait s ‘étendre aussi sous le vieux choeur.
Si la légende qui dit que saint Lambert a été martyrisé sous le vieux choeur est réelle, ce serait sur l’emplacement de la villa romaine que l'on devrait voir le domaine particulier de l'évêque et l'on comprendrait pourquoi il préférait séjourner en cet endroit, centre, sans doute, d'une agglomération d'une certaine importance, et comment il aurait fait transporter dans sa résidence favorite le corps de saint Théodard, ce qui ne s'entendrait guère si, comme on l'avait cru jusqu'ici, il n'y avait à ce moment, à Liège, qu'une misérable bourgade avec une chapelle de bois. Fisen, d’ailleurs, se fait l'écho d'une tradition qui voulait que saint Materne eût fondé, à Liège, une chapelle sous invocation de Notre‑Dame,
Quoi qu'il en soit d'ailleurs, de cette hypothèse, les murs de cette ancienne bâtisse ont été entaillés pour laisser la place libre à l'église démolie à la fin du XVIIIe siècle et pour ne pas avoir à les détruire, on les a simplement arasés et on a relevé le niveau du sol jusqu'à la hauteur du ciment rose dont nous avons parlé, en comblant, soit au moyen des déblais romains, soit au moyen d'argile ou de sable.
Le vieux choeur, nous l'avons dit plus haut, correspond exactement aux murailles de l'église en gros appareil et il est lui‑même en appareil épais. De plus, les murailles qui en subsistent sont encore d'aspect notgérien. A l'intérieur la crypte présente encore les pilastres en tuffeau qui, sans doute, portaient des voûtes en plein cintre donnant tant en dessous des deux tours jumelles accostant le choeur, que vers la grande nef.
Le vieux choeur nous paraît avoir moins souffert de l’incendie de 1185 que le reste de l'église, mais il nous semble qu'il fut comblé après cet incendie, si nous en croyons la nature des déblais qu'il renfermait. On a retrouvé, dans ses murs, du côté sud, d'intéressants fragments d'architecture: morceaux de chapiteaux, de colonnes à contre-cannelures, de frise, qui semblent provenir d'un riche édifice plus ancien, peut‑être même romain. Au dessus de ces déblais avait été établi un dallage que l'on a retrouvé à 1 m 10 environ de profondeur et qui semble avoir été le dernier. Par dessus ce dallage étaient tombés les débris tant des tours de sable que du vieux choeur lui‑même. Dans ces déblais il y avait des fragments de pavement en terre cuite vernissée jaune à incrustations rouges, des fragments de marbre, des morceaux de colonnes et de pierres peintes à fresque en rouge, noir, blanc et jaune, des plâtres également peints, de petits carreaux triangulaires, jaunes et verts, des débris du vitrail de la grande « rose » de la façade occidentale et foule de débris de toutes sortes parfois malaisés a identifier.
Des deux côtés du vieux choeur il y avait encore, en place, des bases de colonnettes qui, si l'on s'en rapporte à ce que dit Van den Steen, supportaient une sorte de galerie en colonnade tout autour du vieux choeur. Du côté gauche, une seule de ces bases existait encore avec une partie de banquette entière; à droite, il en existait une autre et la partie inférieure d'une seconde. Ces bases de pilastres ne semblaient pas de construction homogène. La partie inférieure, en pierre blanche, paraît être un remploi de matériaux plus anciens; le dessus, montrant un tore circulaire reposant sur une base cubique avec griffes dans les angles, appartient au commencement du gothique, au XIIe siècle et est en grès gris tendre. Au centre du vieux choeur, contre la grande nef, on voyait encore les trois marches sur lesquelles était surélevé l'autel.
Les recherches faites dans l'intérieur de l'ancienne cathédrale pour en retrouver l'enceinte et les limites, ont mis à découvert plusieurs sépultures. A côté des débris de celles que l'on avait déjà découvertes, on a mis au jour, à une assez grande profondeur, un petit sarcophage entier, en pierre de sable, contenant un squelette; plus à l'est, on en retrouvé, encore quatre autres. Deux d'entre eux contenaient plusieurs corps. L'un de ces sarcophages avec couvercle presque plat renfermait un corps encore recouvert de son suaire qu'il nous a été possible d'enlever en entier, du moins dans la partie antérieure, de même que la ceinture maintenant un vêtement en toile très fine. Plus au sud, un autre sarcophage, très rapproché du niveau du sol, renfermait un cadavre ayant possédé notamment une étole dont les bouts étaient garnis de franges d'or. Un cinquième ces sarcophages fut découvert plus au sud encore (1). Un sixième enfin, à demi engagé dans les murailles minces avait, en même temps que ces murailles, été coupé en deux lors de la construction des gros murs,
Les recherches dans les chapelles méridionales ont amené dans un des bas côtés voisins du transept occidental, la découverte de trois autres sarcophages, recouverts de dalles; un caveau analogue à ceux que l'on avait découverts dans les basses chapelles du nord, près de la rue Royale, a aussi été relevé dans le cimetière des chanoines, au pied de la tour de sable méridionale et en dehors de celle‑ci.
Une découverte sensationnelle due à ces fouilles fut celle d'une habitation de l'âge de la pierre en dessous de notre ancienne cathédrale. C'est en cherchant le foyer de l'hypocauste de la villa romaine, que nous soupçonnions se trouver dans les environs de la tour de sable septentrionale, sous le vieux choeur, que nous en fîmes la découverte. En creusant à un endroit où les vestiges de l'hypocauste abondaient, nous arrivâmes, à la profondeur de 3 m 90, à une couche d'argile fortement mélangée de charbon de bois que nous reconnûmes immédiatement pour un fond de cabane analogue à ceux que l'on trouve en Hesbaye. Notre fouilleur, Timmermans, homme très expert et qui a fouillé pendant de longues années sous la direction de M. Huybrigts, de Tongres, fut également de notre avis et la couche défoncée donna, en ce moment, puis, par la suite, quelques silex blonds, une corne de cerf pointue, un lissoir en corne de cerf à deux pointes, un autre lissoir muni d'un côté d'une pointe et de l'autre de quatre dents servant, évidemment, à tracer sur les poteries les lignes et chevrons qui les décorent et quelques fines poteries ornées, avec, de grossières céramiques. En dessous de ce premier lit préhistorique, sous une couche d'argile d'alluvion, il y avait une seconde couche néolithique, de terre noire fortement mêlée de débris organiques et qui nous donna de très nombreux silex, nucléus, lames et éclats, des ossements de divers animaux, des poteries fines et grossières et divers cailloux dont quelques‑uns ont pu être utilisés comme outils. Quelques traces d'oligiste existaient aussi dans ce dépôt.
Le dépôt supérieur, en argile jaune, ne devait pas avoir plus de 1 m 50 de diamètre; le second était au moins le double plus étendu. Une argile d'inondation séparait les deux dépôts, dont l'inférieur reposait sur un tuf calcaire semblant celui d'un marécage, sans doute formé par la Légia, ce qui rendrait vraisemblable l'hypothèse que le dépôt inférieur aurait été l'emplacement d'une habitation lacustre.
Vers le nord, chose singulière, le dépôt néolithique et l’argile jaune avaient été percés par une fosse, puits, citerne, remplie de moellons, de débris de tuiles et de terre analogue au dépôt romain. Cette fosse s'étendait jusque sous les fondations de la tour de sable septentrionale où il faudrait la reconnaître.
Des silex out été retrouvés, d'ailleurs, à d'autres endroits plus à l'est et il semble vraisemblable qu'il y eut, sur les rives de la Légia ou dans le marais formé par celle‑ci, plusieurs habitations néolithiques.
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La ville de Liège n'ayant accordé les facultés et l'autorisation de fouiller qu'en se réservant la propriété des objets trouvés et leur dépôt au Musée archéologique, toutes les trouvailles seront remises en notre Musée. Quant aux sarcophages, ceux que l'on a pu retirer intacts, reposent actuellement à la Maison Curtius.
Eugène POLAIN.
(1) La place de ces sépultures est indiquée au plan ci‑joint mais très approximativement.