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Cathédrale Saint Lambert à Liège

Une estampe liégeoise du XVIe siècle

par Joseph BRASSINE, 1907

Si je vous ay (ô noble bourgoisie)
En sonadant par trop donné réveil,
On si desdaing en pren vostre sommeil,
Pardonné-moy par vostre cortoisie:

Considerant qu'à l’amant et l'amie
Esbattement joyeulx ay fait donner.
Et à vous tous pour étrenne jolie,
Dieu doint vos jours de bien en mieulx finer.

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Ces huit vers se lisent au bas d'une gravure du XVIe siècle, dont il n'existe plus, à ma connaissance, que deux exemplaires.

Celui qui est reproduit ici appartient à la Bibliothèque de l'Université de Liège (1) et le second se trouve conservé au Dépôt des Archives de l'Etat, en la même ville (2). Il est à croire cependant que ce placard avait été tiré à grand nombre: il portait aux bons bourgeois de la Cité les souhaits d'heureuse année des veilleurs de nuit de l'époque et constituait en même temps un appel à la générosité des premiers; telles ces cartes que nos « allumeurs de réverbères» colportent le 1er janvier.

Impossible de prétendre que le graveur de cette estampe fut un artiste: son travail est véritablement grossier et trahit une inexpérience naïve, une ignorance à peu près complète du dessin. Cependant, son oeuvre a pour nous quelque prix parce qu'elle fournit la plus antienne représentation, que nous ayons conservée, de la cathédrale Saint-Lambert.

Les deux tours de sable et la façade du vieux choeur de l'église se présentent â peu près de face, tels qu'on aurait pu les apercevoir de la place Verte, par-dessus les locaux des compteries, dont une partie figure sur la gravure.

La grande tour, malgré un raccourci considérable, occupe une place qui correspond sensiblement â sa situation réelle par rapport à la façade occidentale. Le portail qui se trouve an milieu des bâtiments des compteries portait, dans le langage populaire, le nom de « portail aux belles images ». Au second plan, on aperçoit le pignon et la tourelle de Notre-Dame-aux-Fonts.

Et dominant de toute sa taille cette église, le sommet de son chapeau à la hauteur de la partie supérieure des fenêtres du transept de la cathédrale, se dresse le veilleur de nuit. Vêtu d'un haut-de-chausse galonné, d'un justaucorps (3) et portant la fraise tuyautée, à la mode espagnole, coiffé d'un haut chapeau orné d'une plume, le veilleur tient de la main gauche une dague dont la pointe est dirigée vers le sol.

De la main droite, singulièrement contournée, le veilleur porte à sa bouche une longue trompette, et s'en va « sonadant ». Une banderole pend à cette trompette; elle parait de deux couleurs différentes et est entourée d'une frange; au centre se trouvent les armoiries de la Cité, particulièrement curieuses en ce qu'elles offrent le plus ancien exemple connu du perron accosté des lettres L. G. Sur la cheminée aux armes d'Erard de la Marck, conservée au Musée de l'institut archéologique liégeois, le mot Lyge, dont les deux syllabes sont séparées par le perron, se lit encore en entier.

Les mêmes armoiries se reproduisent, mais cette fois dans un écusson ovale qu'inscrit un cartouche ornementé, à la partie supérieure droite de l'estampe. Leur faisant pendant à gauche, on voit les armoiries de Gérard de Groesbeeck, tandis qu'auprès de la flèche de la grande tour de la cathédrale s'éploye l'aigle bicéphale de l'Empire.

Les armoiries du prince permettent de placer entre les années 1563 et 1580, la date d'exécution de l'estampe. Il est même possible de serrer cette date d'un peu plus près: Gérard de Groesbeeck ayant été promu au cardinalat le 21 février 1578, notre gravure où ses armes ne sont pas timbrées du chapeau de cardinal est antérieure à cette époque (4)

Joseph BRASSINNE.


(1) L'estampe mesure, sans les marges, 0 m145 de haut sur 0 m108 de large.

(2) Cet exemplaire découvert par G. Schoonbroodt a été signalé par X. VAN DEN STEEN DE JEHAY, La cathédrale de Saint-Lambert à Liège, 2 édition, Liège, L. Grandmont-Donders, 1880, p. 32, note 1, et reproduit par L. BETHUNE, dans Le Vieux Liège, Recueil de vues rares et inédites publiées avec un texte explicatif, Liège, Ch. Claesen, 1888, n° XIV, qui le donne a tort pour une « pièce manuscrite ».

(3) Son costume parait être le même que celui des hallebardiers qui, lors de la joyeuse entrée d'Ernest de Bavière, entouraient l'Etendard, le grand mayeur et le maréchal d'armée et que Turner nous représente vêtus de justaucorps fauves et de chausses rouges ornées de galons de fils jaunes, portant ainsi les couleurs de la Cité. (Voy. E POLAIN, dans Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, t. XXXV (1905), pp 204-205.)

(4) Au dire de L. BÉTHUNE, Op. citat., « l'an 1575. On mi un trompette sur la tour de Saint-Lambert pour faire le guet au lieu du cornet qui y était auparavant ». Si cette indication est exacte, la gravure aurait été faite pour le 1er janvier de 1575, 1576 ou 1577. Malheureusement l'auteur ne cite pas sa source et je n'ai pas trouvé la confirmation de cette assertion.

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