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Cathédrale Saint Lambert à Liège

Les colonnettes de St-Lambert

Comme le dit avec raison M. G. Jorissenne dans la Chronique de février‑mars 1911, les fouilles exécutées en 1907 place Saint‑Lambert sont venues renouveler notre histoire locale primitive; mais pour ce qui concerne les griffes, elles n'ont rien révélé: elles ont uniquement confirmé leur emploi au Xe siècle dans les édifices notgériens.

En effet, quelques semaines avant la découverte des bases de Saint‑Lambert, on avait ouvert à la tour de Saint‑Denis, une petite fenêtre ornée d'une colonnette centrale avec base pattée. Or, cette fenêtre, selon toute apparence, date de l'époque de la construction de la tour.

Sa forme primitive, son arc de décharge, en tout semblable aux arcs des deux grandes fenêtres éclairant la chapelle basse, son petit chapiteau cubique rhénan, réduction de celui de la colonne du rez‑de‑chaussée, l'attestent; il en est de même de l'absence complète de solution de continuité dans les maçonneries, comme il a été possible de le constater lors de la restauration (1).

Les bases que l'on découvrit à Saint-Lambert peu de temps après, appartenaient aussi à un monument élevé par Notger. Leur situation dans les fouilles a permis de les dater. C'est une crypte que l'on mit à jour et non le vieux choeur - le monument par sa configuration le prouvait - et une crypte rhénane, à disposition typique, enfoncée à mi-sol, de manière à relever de plusieurs marches le pavé du sanctuaire comme à Strasbourg, à Spire. Le dallage de la crypte de Saint-Lambert, ce fameux dallage rose, se relevait, en effet, vers l’est. Il y avait là un dénivellement propre à faire supposer l'existence de marches, et le niveau supérieur du dallage aurait été celui de la nef de l'église haute.

Or, la cathédrale de Notger a eu deux cryptes, une à l'est et l'autre à l'ouest; c'est cette dernière qui nous occupe. Des relations historiques l'attestent (2), mais aucune ne nous parle de la reconstruction d'une crypte dans la cathédrale de Raoul de Zaeringen. Pourtant, cette confession eût été l'objet d'une singulière vénération puisqu'elle aurait contenu les reliques de saint Lambert. La cathédrale de 1185 avait d’ailleurs été bâtie à une époque où l’usage des cryptes était perdu: les reliques enfermées dans des châsses étaient exposées, souvent sur des autels spéciaux, dans l'église supérieure.

Il était évident, d'autre part, que la crypte de Saint-Lambert avait été construite à une époque antérieure à l'édification de cette dernière église, car les fondations de 1185 coupaient en divers endroits le pavement rose de la nef de l'église haute et on avait élevé, en construisant le nouveau pignon ouest de l'église gothique, un solide et épais mur de renfort - pour porter la surcharge due à la plus grande importance de ce pignon, sans doute, et aussi les poussées des deux tours jumelles de la façade - contre le pignon ouest de la crypte, vers l'intérieur de cette dernière, démolissant ainsi son pavement et lui enlevant presqu'une travée en superficie. Cette crypte, dis-je, doit être celle de Notger. L'oeuvre même, par sa structure, l'a prouvé. Son appareil, son plan (3), si bien marqué par les fondations entières, son caractéristique pavement monolithe rose surtout, l'ont fait placer à l'aurore du roman - de ce puissant roman rhénan, dont les merveilleuses productions illustrent encore les bords du Rhin et de la Moselle - vers le Xe siècle, et personne n'a pu faire de construction aussi importante, à Saint-Lambert, à cette époque, que Notger.

Ce monument, s'élevant sur l'endroit supposé du martyre du saint patron de Liège, pourrait bien être même la partie la plus ancienne de la cathédrale romane, car quoi de plus naturel que le célèbre évêque ait commencé par couvrir le lieu vénéré.

Les bases de colonnettes que les fouilles firent découvrir étaient toujours restées bien en place, maçonnées dans les murs sur leurs socles jaunâtres, entourées d'un enduit non écroulé et non repris (4), et sont bien celles de la fondation.

Rien ne peut faire admettre que l'on ait eu une raison quelconque de les remplacer, car, si la mystérieuse cache à archives, dont parle van den Steen (5), est cette crypte, il paraît fort peu probable, d'après la description qu'il en donne, que ce qu'il en restait après les destructions partielles que les fouilles ont révélées et dont il est fait mention plus haut, ait jamais été accessible directement dans l'église de 1185.

Sans prétendre avoir fait une restitution de la cathédrale notgérienne de Liège, je pense que mon croquis ci‑avant fera comprendre la disposition de la crypte.

Le tracé perspectif a été dessiné - pour ce qui regarde le plan du sous-sol - d'après le relevé que j'ai pu faire en 1907. Le pointillé que l'on remarque vers la gauche du dessin sur le parement extérieur du mur, figure le niveau actuel de la place cet endroit.

Quant au fleuron que M. Jorissenne voudrait attacher à la couronne de nos constructeurs romans, celui d'avoir précédé tous les architectes connus dans l'emploi de la griffe, il n'est malheureusement pas possible de le leur accorder. Les plus anciennes griffes que je connaisse, sont celles du palais de Dioclétien à Spalatro, qui datent du IIIe siècle (6).

C. BOURGAULT

 


(1) La colonnette actuellement en place est entièrement neuve. Les différentes pièces de l'ancienne étaient malheureusement par trop effritées pour pouvoir être réemployées.

(2) Voyez G. KURTH, Notger de Liège, tome II, à la description de la cathédrale, où une crypte est encore mentionnée après l'incendie de 1185, mais le vieux choeur avait été, en grande partie, préservé de cet incendie et naturellement ses fondations, son sous‑sol; c'est à cela sans doute que l'on dut la conservation de la châsse de saint Lambert.

(3) Plan semblable à celui de la crypte de Saint‑Servais à Maestricht. Voyez la petite vue qu'en donne SCHAYES, Histoire de l'architecture en Belgique, t. II, p. 139.

(4) J'ai pu, pendant les fouilles, prendre des photographies où ce que je dis de cet endroit est visible. Le manque de place m’empêche d'en reproduire.

(5) VAN DEN STEEN, La Cathédrale de Saint‑Lambert, p. 31.

(6) Voyez Revue de l’art chrétien, t. VI, p. 289‑290.

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