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L'ARCHITECTURE

ET LES

MONUMENTS DU MOYEN AGE A LIEGE

PAR CHARLES DELSAUX

1847


Le palais des Princes-Evêques.


La description et la restauration monumentale du palais des Princes Évêques de Liège ont motivé cet écrit. Cependant mon travail pour offrir tout l'intérêt dont il me paraît susceptible ne peut se renfermer dans ce cadre restreint; il doit embrasser, d'une manière plus générale, les principaux édifices gothiques de la ville de Liège, afin d'y suivre pas à pas les développements de l'architecture ogivale, dont le dernier produit dans cette ville a été le magnifique monument qui nous occupe.

La conservation, les époques de la construction des grands édifices et leur succession chronologique ne sont pas seulement intéressantes sous le rapport de l'art, elles le sont aussi au point de vue historique. Si la cité de Liège a montré un zèle si ardent pour conserver le palais de ses princes, c’est que la destruction ou la mutilation de cet édifice eût brisé la chaîne historique de ses monuments, où elle trouve le tableau fidèle des principales phases de son histoire et des témoins irrécusables de sa grandeur passée.

Il n'entre pas dans ma pensée de sortir de ma spécialité pour faire une excursion dans le domaine de l'histoire. Mon but, en interrogeant l'origine des monuments que je cite, n'est autre que de les préserver de nouvelles dégradations et e les rendre en quelque sorte plus vulnérables en constatant leur âge, leur caractère et leur style. Tous les édifices élevés au moyen-âge sont dignes d’être conservés avec soin, par cette raison qui me paraît supérieure à tout autre: c’est que l’intérêt historique ne s’improvise pas et qu’ainsi les constructions modernes, quel que soit leur mérite d’ailleurs, ne peuvent jamais les anciennes sous ce rapport.

J’ai aussi pour but d’être utile à ceux de mes concitoyens qui ont le désir d’étudier l’architecture ogivale, en leur démontrant qu’ils en possèdent presque tous les éléments sous les yeux. Il existe des édifices plus beaux que les notre sans doute, mais il est peu de villes, après Rome, Paris, où l’on en trouve un plus grand nombre et surtout d’aussi variés. A partir de Notger (970) nous avons conservé des traces de tous les styles d’architecture; c’est de cette époque que datent la prospérité de la ville et ses principaux embellissements, c'est donc à juste titre que l'on honore ce grand homme et qu'on veut perpétuer la reconnaissance qu'on lui doit, en lui élevant un monument dans une de nos églises.

Je ne discuterai pas la classification des différents styles d'architecture du moyen âge; il me suffit ici, d'en décrire les principaux caractères afin de les faire reconnaître facilement. J'adopte donc comme bien établie la division suivante:

1° Le style roman du 10e au 12e siècle, et le style de transition du 11e au 13e siècle;
2° Le style ogival primaire ou à lancettes, du 12e au 13e siècle;
3° Le style ogival secondaire ou rayonnant, 14e et 15e siècle;
4° Le style ogival tertiaire ou flamboyant, du 15e au 16e siècle;
5° Le style de transition du gothique à la renaissance, au 16° siècle.

Ces périodes peuvent bien ne pas être rigoureusement exactes pour d'autres pays, mais elles le sont pour Liège.




Architecture Romane, appelée aussi Lombarde ou Byzantine
et architecture de transition.


Le caractère le plus saillant de l'architecture Romane est l'arc plein cintre employé aux fenêtres, ou servant à réunir des colonnes grandes ou petites. Dans ce style l'arc semble toujours essentiel, réel ou fictif et servant souvent d'ornement: il offre une grande variété dans ses dimensions, depuis ceux qui embrassent toute la hauteur de l'édifice jusqu'à ceux de la plus petite espèce, qui se superposent l'un sur l'autre ou s'enchaînent en horizontales infinies. Généralement les corniches du toit ainsi que les cordons horizontaux ou obliques, présentent, en dessous, de petits arceaux, ordinairement en plein cintre, tantôt se terminant par des modillons décorés de moulures ou de figures diverses, tantôt descendant en pilastres ou plates-bandes qui ornent verticalement les murs des édifices. Ces franges festonnées ainsi que les galeries à jour formées de petites colonnettes, donnent à cette architecture une physionomie toute particulière.

Les édifices de ce style à Liège sont: la tour de St Jean­en-Isle (vers 982); l'abside ancienne de Ste Croix; le bas de la tour et une partie de la nef de St Denis vers 990; le chœur et la chapelle des Cornillons (vers 4107); l'abside de la chapelle de St Nicolas en Glain (1147 à 1152); la tour de St Jacques (1163 à 1173); la tour si remarquable de Ste Croix, que l'on restaure en ce moment (fin du 12e siècle au commencement du 13e); St Christophe (1179 et 1241); les tours et les parties extérieures des nefs de l'église St Barthélemy (1185 à 1251) et enfin à St Pholien quelques vestiges d'une église bâtie vers 1189.

On peut observer dans ces édifices tous les détails de l'architecture romane - par exemple à St Denis , la lourdeur des premières formes , ainsi qu'une très belle colonne avec son chapiteau cubique; à Cornillon et à Ste Croix, les colonnettes annelées, c'est-à-dire dont les fûts sont partagés par des anneaux; à St Christophe, la forme générale des églises de la transition, bâties en forme de croix, les colonnes de cette église et leurs chapiteaux offrent des réminiscences corinthiennes; à St Barthélemi la forme des tours et de leurs toits, et à l'intérieur quelques colonnettes formant un triforium; à Ste Croix et à St Nicolas en Glain, les absides ornées de galeries à jour formées d'un grand nombre de colonnettes; enfin à la tour de Ste Croix et à l'intérieur de celle de St Jacques, la beauté de plusieurs détails de corniches, d'arcatures, de chapiteaux , de colonnes et d'arrangements de fenêtres géminées ayant deux cintres encadrés dans un plus grand.

Dans le style de transition, depuis la moitié du XIIe jusqu'à la seconde moitié du XIIIe siècle on voit le mélange du plein cintre et de l'ogive. Alors les églises prennent des dimensions considérables. Il n'y a point d'arcs-boutants aux nefs, parce qu'il n'y a point de voute, non plus qu’aux églises romanes. Les nefs souvent sont formées par des plafonds carrés en charpente ornée.

Les choeurs sont assez petits, ils forment ordinairement un carré terminé par une abside circulaire voutée, comme à Cornillon, à Ste Croix et à l'église primitive de St Jacques, dont une ancienne gravure nous a conservé la forme. Quelquefois aussi vers cette époque le transept est couronné par une tour octogone, comme à Ste Croix.

L'orientation ne semble pas avoir été aussi scrupuleusement observée à ces églises que plus tard, l'ancienne abside de Ste Croix est tournée vers le sud-ouest.

De tous les détails architectoniques, c'est la colonne qui s'éloigne le moins de la forme antique, elle n'a cependant pas d'entassis et les chapiteaux sont plus lourds; celles de St Christophe ont une belle élévation, et quoique les bases soient enterrées par l'exhaussement du sol, le vaisseau de cette église présente un aspect imposant. Il est facile encore de reconnaître à travers les nombreuses modifications qu'on a fait subir à ce temple, les formes primitives et les principaux détails de son ornementation.




Style ogival primaire.


Plusieurs parties de l'église de St Christophe (1241) et les parties inférieures des nefs de l'église de St Paul (1289), avec le chœur, (mais non compris la tour, les chapelles, ni l'abside du chœur), sont les seuls restes de cette architecture à Liège. Ce qui caractérise principalement ce style, c'est la forme rétrécie et allongée des arcades et surtout des fenêtres qu'on appelle à lancettes, à cause de leur ressemblance avec un fer de lance. Les ogives sont peu élevées ou très élancées et dépassent de beaucoup le tiers point, comme on le voit aux arcades qui réunissent les colonnes à St Paul.

Le plan des églises est toujours celui de la transition, c'est-à-dire principalement en croix et à trois nefs.

Les grandes fenêtres des façades ou des transepts sont fréquemment ornées de trois arcades ayant celle du milieu plus élevée que les deux lancettes latérales. La partie ancienne de St Paul et l'église de St Christophe dont les fenêtres primitives ont été conservées derrière le chœur, et aux frontons des transepts, offrent ces caractères. Parmi les fenêtres lancéolées, les unes sont simples et sans ornements, d'autres sont trilobées. Les plus belles sont surmontées d'une rosace. Les deux grandes fenêtres du chœur de St Paul, quoique imparfaitement exécutées offrent ce modèle.

Les contreforts sont peu saillants et en forme de pilastres. Les églises n'ont point de chapelles. Celles qui existent à St Paul sont d'une date postérieure. Les nefs sont formées par des colonnes cylindriques un peu lourdes avec les chapiteaux ornés de feuilles en crochets, comme à St Christophe et en feuilles galbées comme à St Paul.

La galerie simulant le triforium ou les tribunes anciennes est employée pour orner cette partie des murs où sont adossés les toits des petites nefs.

On s'aperçoit par les dimensions des édifices comme par la perfection de leur travail, qu'ils deviennent plus importants à mesure que la ville croit en prospérité. Les profils des moulures qui n'étaient d'abord que des masses informes, se dessinent et deviennent plus gracieux; les chapiteaux sont décorés de feuilles élégantes, les corniches sont ornées de moulures plus nombreuses et mieux comprises.

Mais il est curieux surtout d'étudier la forme des voutes et la naissance de l'ogive qui s'annonce d'abord aux tours de St Jacques, de St Barthélemy et de Ste Croix; elle s’accuse par un petit rehaussement (ou relèvement) vers le milieu de l’arc plein cintre, son épaisseur est unie et la clef existe toujours, soit qu'il y ait un rang de voussoirs ou deux rouleaux pour former l'arcade. L'ogive craintive à son berceau est limitée à des espaces peu considérables et faciles à réunir. On semble ne l'employer qu'avec regret et tandis que le plein cintre domine aux parties apparentes des tours dont je viens de parler, l'ogive est cachée aux mêmes édifices et ne se trouve qu'à l'intérieur, pour former cependant les voûtes qui ont le plus d'ouverture; elle se développe un peu au chœur et an transept de St Christophe, mais elle atteint rapidement toute son élégance et sa hardiesse imposante aux belles églises de St Paul, de Ste Croix et de St Lambert (XIVe et XVe siècles).

Il faut s'arrêter un instant à cette admirable époque de l'art chrétien qui je crois ne sera jamais dépassée et se rappeler les principaux éléments de construction de l'architecture ogivale, pour bien comprendre ce mélange harmonieux de richesse et de simplicité.




Considérations relatives à la construction dans l'architecture ogivale,
Avantages de la voute.


L'architecture chrétienne offre une différence bien distincte d'avec l'architecture grecque. Cette différence que l'on peut rattacher à la construction consiste dans la manière de réunir les colonnes ou les murs des édifices.

Le système grec, commun à presque tous les peuples anciens, a pour principe la réunion des colonnes par une poutre ou une pierre horizontale et de là dérivent les entablements et les plafonds carrés. L'espacement des colonnes est ici nécessairement borné, par la dimension des pierres ou des poutres et ne petit jamais être très étendu. D’un autre côté l'absence du verre à vitre inconnu aux Grecs les obligeait de placer les colonnades à l'extérieur de leurs temples, arrangement qu'un doux climat et leurs cérémonies qui se faisaient principalement au dehors, motivaient suffisamment.

L'architecture chrétienne a pour principe la voute substituée à l'entablement et aux plafonds carrés. Cette manière de réunir les supports, procure l'immense avantage de ne plus borner leur espacement aux dimensions de certains matériaux, mais uniquement à la résistance qu'on peu opposer aux voutes; aussi les dimensions gigantesques des nefs de nos cathédrales prouvent tout le parti que l'on a pu tirer de ce principe. Ensuite la découverte ou plutôt l'introduction du verre à vitre dans l'architecture ayant permis de ramener les colonnades à l'intérieur des édifices et de les éclairer, la physionomie des monuments religieux fut entièrement changée.

Les modifications et les perfectionnements de la voûte furent aussi très remarquables. Déjà connue et employée par les Romains du paganisme et dans les premières basiliques, par les Grecs et même par les Égyptiens, elle fut abandonnée quelque temps parce que le toit et les plafonds en charpente étaient le moyen le plus simple de satisfaire à des besoins plus urgents, plus tard pourtant avait été introduite dans les édifices byzantins la lourde voûte plein cintre. Les nouveaux architectes reprirent la voûte d'arête essayée aussi antérieurement, mais abandonnée par les Romains (Hope, Hist. De l’architecture, trad. de Baron, pages 240et 346). Ce système fut porté bientôt à un si haut degré de perfection qu'on l'adopta exclusivement et qu'il est regardé, à juste titre, comme une des plus grandes gloires de l'art chrétien. La voûte d'arête, en effet, a le triple avantage de diminuer la poussée des voûtes par le croisement des cintres, d’amener tout l'effort sur les pieds-droits et enfin de faire place dans l'intérieur même de la voûte à des fenêtres qui, en éclairant l'édifice, ajoutent encore à son élévation. De plus, l'entablement nécessaire au support d'une voute cylindrique et qui produit en perspective un abaissement si considérable disparait totalement, enfin la ligne horizontale anéantie fait place à la ligne verticale qui domine et qui s’élève majestueusement dans toute sa beauté.

Cependant la voûte tendant à repousser en dehors les appuis perpendiculaires de l'intérieur des édifices, on dut chercher, autant que possible, à atténuer cet inconvénient. L'arc ogival, conséquence peu être de la projection des voûtes d'arêtes, fut employé de préférence parce qu'il offrait beaucoup d'avantages sous le rapport de la poussée; mais la pression oblique exercée au sommet dut être contrebalancée par une résistance dirigée également en sens oblique. Les contreforts et les arcs-boutants furent imaginés. La voûte intérieure fut soutenue par une courbe non interrompue, depuis le faîte du bâtiment, jusqu'au point le plus reculé de ses fondations. Le tout fut couronné par l'introduction des pinacles dont la pression verticale arrêta la tendance divergente des arcs et renferma, dans des limites mieux circonscrites, les points d'appui de leurs supports extérieurs.

Les architectes du moyen âge ne s'arrêtèrent pas à la combinaison des voûtes, ils se dérobèrent à l'empire des styles antérieurs en élargissant et en multipliant les ouvertures et surtout en amincissant le plus possible les supports, pour ne leur donner qu'un léger point d'appuis sur le sol. Ils eurent toujours soin de ramener tous les efforts sur les piliers et sur les nervures, en ne remplissant les intervalles que de maçonneries légères, afin que la construction imitât la nature dans l'économie des animaux vertébrés, où tout ce qui est nécessaire à la charpente du corps forme de longues lignes étroites, séparées l’une de l’autre et dont l’espace qui les réunit est rempli par une chair élastique et des téguments déliés.

Tout le système de l'architecture ogivale repose donc sur la construction et la combinaison des voûtes avec leurs supports et sur les moyens d’assurer leur résistance. La manière de défendre les édifices des intempéries de l'air et les matériaux employés complètent ensuite le caractère matériel de ce style. Quant à sa décoration, tout ornement a un but d'utilité et chaque partie essentielle devient un ornement. L'appareil de la construction reste continuellement en évidence, aucun détail ne vient en cacher les secrets; l'œil en suivant les belles divisions verticales formées par les colonnes, n'est jamais heurté, ne rencontre jamais d’obstacle. Les plus petits détails sont étudiés avec le même soin que les grandes divisions dont ils ne sont que la reproduction sous mille formes diverses. Ce qui a fait dire que l'architecture ogivale était l'image de l'infini. De là naît ce caractère de grandeur et d'élévation si bien en harmonie avec les sentiments que la religion inspire.




Remarques sur les matériaux employés aux édifices de Liège.


Les matériaux impriment partout aux monuments une physionomie particulière, à Liège ils caractérisent en outre les époques. Le grès, la pierre de sable et la pierre de taille ou calcaire bleu furent successivement mis en usage pour les parements extérieurs.

Le grès a principalement servi pour les édifices de style roman; la pierre de taille n'y figure que comme objet de luxe pour les petites consoles supportant les arcatures et quelquefois, mais rarement pour les colonnettes. Cependant les grandes colonnes sont très souvent en pierre de taille.

La pierre de sable est employée aux édifices de style secondaire et tertiaire, à partir de la hauteur des lambris, elle à servi surtout exclusivement pour construire les meneaux des fenêtres. Néanmoins le sable qui présente tant de facilité sous le rapport de l'exécution des plus petits détails, n'a pas l'avantage, pour l'extérieur, de résister pendant plusieurs siècles à l'influence des saisons. Cet inconvénient fut pour les anciens architectes l'occasion d’une disposition de moulures fort ingénieuse. Toute leur attention était portée vers les moyens de garantir les édifices, surtout de l'infiltration des eaux de pluie dans les maçonneries; ils placèrent à cet effet, de distance en distance, des cordons horizontaux munis de forts larmiers aux extérieurs des murs et des contreforts. Mais la disposition La plus heureuse et la mieux combinée se voit dans les moulures qui forment les pieds-droits on chambranles des fenêtres gothiques: ces parties sont ornées de moulures dont les membres principaux figurent des boudins alternant avec des gorges profondes qui, arrivés à la partie cintrée, forment autant de larmiers dont l'effet est de garantir les membres inférieurs. Comme il y en a quelquefois deux et trois, si le premier membre à la suite du temps vient à disparaître, les eaux rencontrent le second et ainsi de suite. Indépendamment de cette disposition de moulures, si savamment raisonnée, on sait l'heureux effet de perspective qu'elles produisent, à cause de l'évasement des chambranles.

La pierre calcaire, appelée vulgairement pierre de taille, indique à l'extérieur les dernières périodes du style ogival, ou des réparations faites postérieurement. Quelquefois elle se trouve mélangée avec le stable et généralement elle est employée aux parties intérieures des édifices de style ogival pour former les colonnes, les soubassements, les seuils des fenêtres et les larmiers en chanfrein qui garantissent les murailles

La taille de la pierre a aussi varié, elle a toujours été travaillée à la pointe pour les édifices romans et de style ogival primaire et secondaire; mais à partir du style tertiaire, la taille au fin ciseau a été uniquement en usage.

Le grès est donc employé partout avant le XIIe siècle; la pierre de sable vient ensuite jusqu'au milieu du XVIe siècle avec les parties inférieures des édifices en pierre de taille et enfin celle-ci domine surtout à l’extérieur. Ce dernier mélange paraît être le meilleur usage que l'on puisse faire des matériaux que Liège trouve à ses portes.

Ces observations générales étant les seules que je puisse consigner ici, je reviens à la description des édifices.




Style ogival secondaire

Aussitôt qu’elle eut franchi les errements craintifs de ses premiers essais, l’architecture ogivale en se développant amena, à Liège comme ailleurs, toutes ces belles et savantes combinaisons de voutes, toutes ces divisions riches et variées de meneaux aux fenêtres et aux triforiums que l'on admire encore aujourd’hui. L'ornementation prodigieuse de sculpture et surtout de peinture sur verre, où le peuple trouvait des enseignements clairs et palpables des doctrines de la religion, atteignit son plus haut point de perfection. Confondus dans une même pensée et ne paraissant et recevoir d'autre impulsion que celle qui les réunissait, tous les arts trouvèrent leur place dans les monuments pour les enrichir. Cet enchainement même que l’on y remarque, l’accord qui y règne démontre clairement que c’est dans le pays que se trouvait la tête qui concevait et les bras qui exécutaient. L'architecture surtout trace tous les cadres et reste continuellement en évidence. Les conditions d'existence et de solidité combinées d'après des principes géométriques et sanctionnées par l'expérience donnent toutes les grandes divisions; le triangle, le carré, les polygones et le cercle sont les éléments des formes de la construction. Ces figures et leurs tracés s'appliquent aux colonnes, aux pieds-droits, aux bases, aux chapiteaux et aux meneaux des fenêtres et même souvent à la disposition des moulures.

Les contreforts qui caractérisent l'extérieur de nos édifices ne sont pas moins remarquables de combinaisons que le reste. Leur décoration nait uniquement de leur usage et de leur subdivisions: ce sont des larmiers qui facilitent l’écoulement des eaux et des pinacles qui ont pour double but de soutenir les galeries et de donner de la consistance aux extrémités des contreforts. Destinés uniquement à opposer de la résistance aux voutes, les contrefort furent d’abord lourds et massifs; mais le poids remplaçant la masse pour résister à un effort latéral , on tira un parti ingénieux de cette particularité en diminuant le volume en largeur et en profondeur pour l’augmenter en élévation; ensuite comme un pilier carré que l’on voudrait renverser, résiste mieux à un effort agissant dans le sens de la diagonale de sa base que dans le sens d’un de ses côté, cet avantage fut rarement perdu de vue et il motive suffisamment la disposition des corps saillants, qui présentent souvent à la vue l’arête de leur angles. Enfin les contreforts dont l’objet est de soutenir, sont eux même contrebutés dans tous les sens, par une quantité infinie de petits contreforts terminés eux aussi par des pinacles, comme le corps principal ; ce qui prouve par un exemple pris entre mille que le principe de subdiviser les grandes divisions a amené cette richesse inouïe de détails étalée sur les édifices du moyen-âge.

Les exemple de style ogival secondaire à Liège, sont: l’abside du chœur, les chapelles et la partie supérieure de la grande nef de St Paul, vers 1450 ; le chœur de St Denis, les églises de Ste Croix et l’ancienne Cathédrale de St Lambert (On sait que l’église de St Lambert a été démolie en 1792)

Les caractères principaux du style secondaire sont l’élargissement des fenêtres, des portes et des arcades; l'abondance des formes et des décorations linéaires; les meneaux qui remplacent les colonnettes aux galeries, aux portes, aux fenêtres et qui décorent les parties unies des murs ; les nervures qui se continuent même jusque dans les colonnes pour en former des faisceaux, ensuite la forme anguleuse des ornements.

La largeur des fenêtres latérales des nefs, est souvent la moitié de leur hanteur, elles sont subdivisées en quatre quelquefois cinq et six lancettes formées de meneaux surmontés de rosaces de trèfles et de quatre feuilles. Le dessin de ces fenêtres est souvent varié dans le même édifice, mais toujours arrêté par des formes géométriques, telles que le triangle équilatéral, le cercle et les polygones. Les plus belles fenêtres de Liège sont celles qui éclairent les transepts de Ste Croix et de St Paul; elles sont admirables de composition et peuvent passer pour des modèles du genre.

Il est à remarquer que le tiers point est souvent en usage pour décrire les arcades ogivales des portes, des fenêtres ou pour celles qui réunissent les colonnes.

Dans le style les niches placées en encorbellement, entre les fenêtres, aux côtés des portes et sur les contreforts, sont aussi employées fréquemment.

Les portails collatéraux se terminent par un gable ou pignon traversé par une galerie: telle était la porte de St Paul dont les vestiges existent vers Vinâve d'Isle, les côtés du gable sont hérissés de crochets et son tympan est orné de niches à arcades tribolées.

Il existait aussi des balustrades soutenues par des pinacles pour couronner les murs des églises de style secondaire, mais elles ont disparu.

Les colonnes sont cylindriques, à bases rondes ou octogones et les chapiteaux sont ornés de feuilles de vigne, de choux frisé ou de chardon. Les colonnes sont souvent formées de nervures rondes, prismatiques ou angulaires, réunies en faisceaux, s'élançant en partie d'un seul jet, pour former les nervures des voûtes qui se croisent dans tous les sens et en partie se bifurquant pour former les arcades des fenêtres ou des lambris simulés. Sous ce rapport, l'abside du chœur de St Paul et le petit porche d'entrée vers Vinâve d'Isle ainsi que le chœur de St Denis peuvent passer pour des modèles corrects d'élégance et d'harmonie.

Le plan des églises conserve la forme générale employée aux époques précédentes, sauf l'addition des chapelles à chaque collatéral de la nef, nécessitées par le nombre toujours croissant des fidèles et, peut-être aussi pour soutenir les contreforts. Ste Croi, St Martin et St Paul ont des chapelles. A St Paul, elles sont d’une autre époque que le reste de l’édifice. St Lambert était la seule église à Liège où il y eût des collatéraux autour du chœur.

On n'explique pas d'une manière satisfaisante la déviation que l’on remarque dans l’axe du chœur de plusieurs églises ogivales. Je pense que le défaut d'exactitude, dans le raccordement des agrandissements ou des reconstructions successives en est l'unique cause. Si l'inclinaison était toujours d'un même côté on pourrait y rattacher une raison symbolique; mais il est à remarquer que tantôt la déviation est à droite et tantôt à gauche. A St Paul l'axe du chœur incline à droite, d'environ 50 centimètres; aux autres églises de Liège on ne remarque pas de différence bien sensible; mais j'ai constaté qu'à l'église de Huy, le chœur incline à droite d'environ 70 centimètres et qu'à celle de Dinant, au contraire, il incline à gauche à peu près dans la même proportion.

Sur le point de terminer ce qui à rapport au style secondaire, je ne puis me, dispenser de mentionner particulièrement l'église de Ste Croix pour la beauté, l'originalité et la hardiesse de sa construction. Les voûtes des trois nefs ont la même élévation et les colonnes paraissent à peine suffisantes pour les porter; néanmoins elles résistent encore à la poussée de la grande voûte qui prend naissance en encorbellement aux deux tiers de leur hauteur, tandis que les deux voûtes latérales s'appuient sur les chapiteaux. Ce tour de force, petit être unique en son genre, explique la conduite de l'architecte qui s'enfuit, dit-on, laissant à d'autres le soin de décintrer les voûtes.

Enfin l'église de St Paul, actuellement la cathédrale, quoique construite à différentes époques présente, un plus magnifique vaisseaux et à coup sûr le mieux proportionné de Liège. La noble simplicité de ses détails, les belles et savantes combinaisons des masses et des lignes, le détail ingénieux des meneaux aux fenêtres, donnent à cet édifice un caractère de grandeur et d’élévation qui impressionne plus vivement que s'il y avait plus d’ornements. Le vitrail colorié qui se trouve dans la fenêtre du transept droit est un des plus remarquables que l’on puisse voir.




Style ogival tertiaire.


Après avoir servi à la construction des plus vastes monuments dans les plus beaux siècles de l'inspiration religieuse; après avoir épuisé toutes les formes des divisions de la géométrie et des nombres le plus souvent rattachés à des idées symboliques, l'art ogival s'altère et tout y annonce une époque de décadence. L’ogive surtout se surbaisse et les arcades qui étaient ordinairement en tiers points s'aplatissent; le centre qui les décrit se rapproche de l’axe pour se trouver, du moins en général, au milieu entre ce point et le chambranle des pieds-droits, c'est-à-dire que le rayon qui décrit l'ogive a pour longueur les trois quarts de l'ouverture de l'arcade. Quelquefois aussi l'ogive devient elliptique et généralement pour les petites arcatures des galeries ou des meneaux, le demi cercle est employé. Les fenêtres s'élargissent, les meneaux sont composés de lignes s'entrecroisant arbitrairement pour former des chœurs flamboyants, des flammes ou d’autres figures contournées. Cependant cette époque semble vouloir racheter par l'abondance des ornements ce qu'elle perd de sa pureté et de son élévation, Les nervures des voutes disposées prismatiquement, ou en étoiles, sont décorées à leurs nombreuses intersections de médaillons et de pendentifs, les espaces des voutes sont peints de diverses manières, les voussures des arcades sont ornées d'innombrables festons trilobés; les murs eux mêmes sont décorés d'arabesques, de figures et de tous les capricieux dessins de la plus fine dentelle, en sorte que l’intérieur d'un monument complet de ce genre, présente en perspective l'aspect d'une broderie légère.

Le plan des églises de style tertiaire est toujours comme ci-devant en forme de basilique en croix et à trois nefs, quelque fois avec des chapelles.

Les cloitres de St Jean-en-Isle, la fenêtre de la tour et les cloitres de St Paul, les cloitres de St Barthélemy, ensuite l'église de St Martin, sont de style tertiaire. Le plus beau modèle de ce genre non seulement de Liège, mais de la Belgique entière est l’église de St Jacques. Elle a été commencée dans les premières années du XVe siècle, abandonnée, puis reprise en 1513 et achevée en 1538.

« L'aspect intérieur de cette église est admirable, la nef vaste, majestueuse et légère, élève l’âme sans peser sur elle » a dit un touriste français.« La voute est comme dérobée sous un réseau de fines arêtes qui s'entrecroisent avec symétrie et courent autour de médaillons, où sont peintes des têtes, les unes nues, les autres portant le casque du XVIe siècle, celles-ci d'hommes, celles-là de femmes; mystérieux assistants, placés entre la terre et le ciel. On dirait un immense berceau dont le treillis de pierre offre à chacun de ses points d'intersection un camée antique, et dont les ouvertures laissent voir l'azur du ciel, figuré par les fresques bleues qui remplissent les parties vides de la voute. Ce berceau tombe, en s'arrondissant, sur de légères murailles coupées d'immenses fenêtres et portées par deux galeries en arcades ogivales, que surmonte un balcon à jour dont la pierre a été tressée comme du jonc, et qui semble posé sur la pointe des arcades. Les profils des ogives sont des broderies. Un élégant feston monte du bas des deux arcs jusqu'à leur sommet, et de là encore s'élance et grimpe le long du mur en manière de bas-relief. Dans l'espace plein qui s'étend entre les tètes de chaque arcade, sont représentés en médaillons les portraits des rois, princesses, prophètes et prophétesses de l'Écriture, avec leurs noms et les versets du livre sacré qui les concernent, et qui forment, de chaque côté de la nef, comme une inscription continue, écrite en caractères gothiques ... »

Mais à mon avis ce qui distingue surtout l'église de St Jacques, c'est cette heureuse distribution des ornements qui, brillants de détails et se détachant toujours sur des parties lisses, se montrent d'abord échelonnés de distance en distance, à la grande et aux petites nefs. 0n dirait que l'architecte a voulu donner le temps de les saisir et de les apprécier. Bientôt tous ces ornements, se rassemblent et se pressent, les arcades, les élégants festons, le triforium si riche, les statues avec leur dais, les voutes et les nombreux compartiments du plafond avec les fenêtres et les magnifiques verrières; en un mot tous les éléments de décoration d'architecture, de peinture et de sculpture, qui ont servi à orner les nefs, viennent se réunir dans un ensemble et un ordre admirable, pour former le plus beau chœur qu'il soit possible d'imaginer. Jamais les contrastes et les gradations n'ont été mieux observés et jamais peut-être on n'a réuni avec plus de bonheur, dans un petit espace, toutes les richesses architecturales.

L’église de St Martin achevée vers 1542 et bâtie sur les plans d'un Liégeois nommé Paul de Rickel, est loin d'être aussi riche de détails que St Jacques, mais elle se fait néanmoins admirer par son étendue, sa noble simplicité et le beauté linéaire de sa décoration. Le chœur surtout est remarquable ‘ensemble et d'harmonie, il est décoré de belles et longues fenêtres lancéolées ornées de vitraux peints, entre lesquelles se trouvent d'élégantes colonnettes supportant les nervures de la voûte qui se ramifient en compartiments prismatiques.

Les églises de St Martin et de St Jacques pourraient suffire pour l'étude complète du style tertiaire; on y trouve une variété infinie de fenêtres, de divisions de voûtes, de galeries, de triforium, de dais ornés, de festons, etc., etc.

Le petit portail de la cathédrale donnant sur la place derrière St Paul, est aussi un charmant modèle à étudier, ainsi que le retable d'autel qui se trouve placé au transept de St Denis. Ce dernier ouvrage de sculpture en bois, passe à juste titre pour la plus belle production en ce genre de la Belgique.




Style de transition du gothique à la renaissance.


A son dernier effort, l'architecture ogivale se mêle à la renaissance, c'est-à-dire à ce style dont l'architecture grecque est la base et qui veut atteindre à l'élévation du gothique par la superposition des ordres et par la richesse de son ornementation. Dans la transition, une partie des formes ogivales subsiste encore, mais tout prend un caractère différent; l'ogive redevient plein cintre ou se transforme en anse de panier, quelquefois continue et quelquefois un peu en pointe, la dernière moulure des archivoltes se surélève assez souvent en forme de courbe mauresque; les corniches et les lignes horizontales reparaissent; l'abondance des ornements y est elle que ces monuments paraissent créés pour un jour de fête.

Quoique le style de transition, comme tout ce qui n'est pas simple et pur, ne puisse servir de modèle, il a néanmoins été appliqué à décorer un grand nombre de beaux monuments, et même, lorsqu’ a été traité par un homme habile, il en a pu produire de si remarquables, qu'il ne paraît pas qu'aucun autre style soit parvenu le surpasser.

Entre tous les édifices de Liège, il en est un appartenant au style de transition du gothique à la renaissance, dont tous les archéologues et les artistes se sont occupés particulièrement, à cause de son étendue, de son originalité et de la magnificence de sa décoration. Une foule de faits historiques s'y rattachent et il rappelle aux Liégeois leur splendeur passée. C'est le palais des Princes Evêques rebâti par Erard de la Marck en 1508. Il a été créé pour les besoins d'un grand prince qui gouvernait une riche principauté; il est l'œuvre d'un homme de génie et il présente toutes les perfections du genre; c'est ce palais dont je vais donner la description pour arriver ensuite, à l'aide des vestiges existants, à donner les plans de restauration des façades.



Il est assez curieux et important de comparer toutes les phases de l'ogive, pour montrer comment la forme des arcades a été successivement transformée, qui réunit les colonnes ou qui forme les voûtes peut faire reconnaître l'époque de l'architecture.

Ainsi, aux tours de Ste croix et de St Jacques, l'arcade romane forme un demi-cercle, quelque fois un peu surhaussé. L'ogive naissante est formée de deux arcs de cercle dont les centres se trouvent horizontalement sur la ligne de naissance des voutes à une petite distance de l'axe de l'arcade (la clef existe toujours aux voûtes).

L'ogive primaire est peu élevée ou le tiers point est quelquefois dépassé, comme aux arcades qui réunissent les colonnes de la grande nef de St Paul, où le centre se trouve même à l'extérieur des archivoltes. (Il n'y a plus de clef aux voûtes.)

Pour l'époque secondaire, le tiers point est souvent employé, c'est à dire que l'ogive forme un triangle équilatéral dont la base est la ligne de naissance des voutes, et le sommet l'intersection des arcs curvilignes. Ste Croix et St Paul en offrent les plus beaux exemples.

A l'époque tertiaire, l'ogive se surbaisse et le centre des arcs qui la décrit se rapproche du milieu, comme à St Martin, à St Jacques et à une partie de Ste Croix, où le centre de chaque arc ogival se trouve ordinairement au milieu, entre le point de l'axe de l'arcade et celui de l’intérieur des chambranles des fenêtres. A cette époque aussi l’ogive se transforme en anse de panier plus ou moins surhaussée, comme aux basses nefs de St Jacques et au palais ; puis le plein cintre revient à mesure que l’on approche de la renaissance. Au palais surtout le plein cintre est souvent employé et les arcades elliptiques, dans certaine pâties, ne figurent plus l’ogive.

Formes principales de l'arc ogival à Liège.

A Voute romane existant aux tours de Ste Croix, St Jacques et St Barthélemy A Nef inférieure de St Paul
B Ogives à St Jacques B Chapelle et choeur de St Paul
C St Barthélemy CEG Nefs de St Jacques
D Nefs inférieures de St Paul DEFHI Palais

On voit donc que les centres qui décrivent les arcs des voutes, après s’être trouvés dans l’axe même pour le style roman, se sont éloignés de cet axe pour le style gothique, afin de décrire l’ogive ; qu’ils s’en rapprochent pour la renaissance où le plein cintre revient, et qu’enfin à mesure que reparait le linteau droit, le centre qui formait l’arc continuant le chambranle, se rapproche de ce chambranle, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que les angles seulement qui soient arrondis. L’arcade qui réunit les colonnes ou les pieds droits devient alors insignifiante et bientôt reparaît le linteau droit. Assez souvent pendant cette période, l’ogive avant de disparaître complètement semble, comme un mourant, faire son dernier effort ; elle se dessine encore quelques fois par un petit surélevement à la dernière moulure du chambranle ou de l’archivolte, comme à la seconde cour du palais, aux cloîtres de St Paul et à quelques constructions de maisons particulières.




Le Palais des Princes Evêques de Liège.


Description

La construction d’un palais épiscopal, à Liège, parait remonter à St Hubert. Il était alors situé près de la boucherie. L'emplacement actuel fut choisi par Notger qui a si puissamment contribué à agrandie la ville; ce prince posa les premiers fondements d'un autre palais en 973. Soit manque d’appropriation ou vice de construction, il fut réparé sous le règne d'Otbert; mais en 1185 un incendie le ruina complètement, ainsi que l'église de St Lambert et toutes les maisons environnantes. Immédiatement après cet incendie on le reconstruisit. Un second désastre en causa encore la ruine: il fut de nouveau dévoré par les flammes en 1505. Enfin trois ans après ce funeste événement, l’évêque Erard de La Marck, fit commencer le palais actuel qu'il n'eut pas la satisfaction de voir achever. La mort l'ayant surpris au milieu de ses immenses travaux, l'ouvrage fut terminé par Corneille de Berg, son successeur.

Charles-Quint citait, dit-on, le palais de Liège comme étant le plus vaste et le plus remarquable à sa connaissance et la reine Marguerite, au 16, siècle, écrit dans ses mémoires: « C'est le palais le plus beau et le plus commode que l'on puisse voir, avant les plus belles fontaines et plusieurs jardins et galeries, le tout tant peint tant doré et accompagné de tant de marbres qu'il n'y a rien de plus magnifique et de plus délicieux» Le savant Guichardin qui visita Liège vers 1560 dit : « En ceste cité, les bastiments y sont très beaux, et bastis en pierre, et surtout est somptueux le palais de l'évesque, si magnifique et superbe » (Polain, Liège pittoresque)

Ce vaste édifice est divisé en plusieurs cours quadrangulaires dont la principale est entourée d'une galerie ouverte en portique à arcades ogivales surbaissées reposant sur des colonnes en pierre de taille. Ces colonnes sont l'œuvre de François Borset, né à Liège vers la fin du XVe siècle elles sont aussi remarquables par leur originalité que par la perfection d'exécution des sculptures. Il y en a soixante, toutes d'un dessin différent, ce qui fait autant d'œuvres de sculpture remarquables pour l'époque. Les ornements d'un caractère large et bien dessiné, semblent y avoir pris naissance et en être sortis pleins de vie et de mouvement. Chaque colonne se compose d'un piédestal, quelquefois carré et quelquefois circulaire, supportant un fût uni, coupé par un gros bourrelet sur lequel arrive la partie de la colonne qui figure une espèce de balustre sculpté sur toute la surface. Un chapiteau à corbeille cubique, orné aux angles de feuilles élégamment profilées entourant un masque grotesque qui apparait à chaque face, couronne la colonne et soutient les archivoltes des voutes; le chapiteau supporte de même les colonnettes extérieures des trumeaux de la façade.

Une remarque importante à faire dans la construction des colonnes du palais, c'est que les joints des pierres sont cachés d'une manière ingénieuse et se trouvent toujours recouverts par une moulure horizontale. Ainsi les éléments même de la construction servent encore ici de cause principale à la décoration. Ce principe de cacher les joints des pierres peut être la base de tout un système d'architecture.

Au dessus des portiques, une Galerie ou triforium simulé comprend, à chaque milieu d'arcade, un écusson dont les charges détruites représentaient sans doute celles des La Marck.

Le premier rang des fenêtres vient ensuite, elles sont inscrites dans une grande arcade ogivale dont la partie supérieure est ornée de dessins, de meneaux flamboyants et simulés. Les fenêtres sont divisées en quatre parties par des croisillons en pierre à moulures se raccordant avec celles des pieds-droits. Entre les fenêtres, des colonnettes cylindriques reposant sur le chapiteau de la colonne inférieure supportaient des statues qui ont toutes été supprimées.

Le couronnement des façades a aussi disparu. Il était formé, comme on peut le voir dans la seconde cour et par d'anciennes gravures, de pavillons s'élevant alternativement à chaque arcade et réunis par une galerie à jour qui formait, dans les intervalles, le bord du toit. Les colonnettes au milieu des trumeaux prenaient naissance aux portiques, s’élevaient majestueusement jusqu'aux statues, où interrompues seulement par ces statues, elles reparaissaient au dessus, sur un dais sculpté, d'où elles s'échappaient de nouveau pour venir se terminer par un élégant pinacle servant de point de résistance à la poussée des corniches du tympan des pavillons. Chaque pavillon, éclairé par une, fenêtre, comme au premier étage, était surmonté d'un tympan dont les rampants ornés de crochets se terminaient par un fleuron de choux frisés ou de feuilles de chardons. Dans tous les ornements, il existait une variété infinie de détails; on en a la preuve par ceux qui subsistent encore.

Les pavillons avaient pour but de dissimuler la hauteur du toit, qui couvrant des appartements très large, eut sans cela été excessivement disproportionnée avec le manque d'élévation du bâtiment, comme on peut le voir, dans l’état actuel du palais; ces pavillons sont détruits et cette mutilation a été suivie d’une autre plus considérable, lorsqu'on a reconstruit deux ailes entières en briques, dans le style moderne, s'il est possible de donner le nom de style à de pareilles constructions.

Les détails de sculpture de la seconde cour du palais sont bien conservés. Cette partie est celle qui présente le plus d'éléments assurés pour parvenir à une restauration fidèle; les formes des pavillons y sont complètes, excepté les tympans supérieurs qui ont été détruits; on y retrouve surtout intacts les armoiries et les écussons auxquels ni le temps ni les hommes n'ont porté aucune atteinte.

La seconde cour est comme la première entourée de bâtiments de même élévation. Deux ailes correspondantes ont, au rez de chaussée, des portiques formés par des colonnes reposant sur un piédestal et couronnées par des chapiteaux cubiques ornés de feuilles aux angles. Les colonnes sont cannelées verticalement, obliquement en hélices, en losanges quelquefois coupées de moulures mais toutes d'un dessin différent; elles supportent des arcades dont les archivoltes à moulures sont surmontées par un larmier gothique qui se relève au milieu pour se terminer par un fleuron de feuilles diverses. Au dessus des portiques et sur un cordon horizontal, s'élèvent des arcades divisées par des croix en pierre formant les fenêtres. Alternativement, une arcade s'arrondit à la hauteur de la naissance du toit et la seconde s'élève en pavillon comprenant un second étage; chacune est ornée sous la partie cintrée d'un tympan bouché, composé de meneaux flamboyants et simulés, se raccordant avec les pieds-droits et avec les croisillons des fenêtres.

Les pavillons étaient couronnés par un tympan dont les rampants bordés de crochets se, terminaient par un fleuron de chardon ou de chou; ils se trouvaient aussi réunis par une galerie qui dans les intervalles formait le bord du toit.

Les deux façades des autres corps de bâtiments de la seconde cour, diffèrent des premiers en ce que n’ayant pas de portiques, les pieds-droits des arcades descendent jusqu’au rez de chaussée, au lieu de commencer seulement au dessus.

Les armoiries sont placées sous l’appui de fenêtre du premier étage. On remarque aussi à ces façades, un espacement d'entre-axe qui varie suivant les exigences de la distribution intérieure. L’époque permettait ces licences.

La façade de la troisième cour vers le nord correspond à la partie intérieure de la seconde cour; cette façade est bien conservée: toutes les divisions s’y retrouvent encore.

La façade longeant la rue derrière le palais est la plus riche de toutes; elle est décorée d'une prodigieuse quantité de moulures, de colonnettes, de chapiteaux et de dais. Il y avait aussi une infinité de blasons et de statues, mais il n’en reste plus aucunes. Cette façade est formée comme les autres, de grandes arcades successives découpées par les fenêtres avec leurs meneaux, etc. On y remarque, comme à celle de la deuxième cour intérieure des différences dans les entre-axes, ce qui augmente ou diminue la largeur des arcades.

Au XVIe siècle, il existait quatre tourelles au palais, il y en a trois qui ont disparu ainsi que la façade vers St Lambert, la plus remarquable du monument. Le portail surtout était d'une grande richesse de détails. En 1734, un violent incendie détruisit encore une fois cette partie du palais, et en 1737 la façade actuelle sur la place St Lambert fut reconstruite d'après les dessins d'un architecte de Bruxelles nommé Annesens. Le premier étage, qui a été si maladroitement rajusté sur les colonnes, aux deux façades correspondantes de la grande cour intérieure, a été construit dans le commencement de ce siècle.


Restauration monumentale du palais.

Afin de parvenir à restaurer les façades du palais, je les ai d’abord dessinées et mesurées telles qu'elles sont; mais comme il n'existe point d'autre monument à Liège, de cette époque si curieuse à étudier dans l'espèce de lutte existante entre l'art qui s'en va et celui qui arrive, il m'a fallu rechercher les éléments de même genre que présentent les autres édifices de Liège, d'une date un peu antérieure. J'ai retrouvé à St Jacques, St Paul, St Martin et St Denis, des modèles pour compléter les vestiges du palais même; ensuite une foule de documents et de renseignements dans les nombreux ouvrages imprimés ou manuscrits, où l'on s'est occupé des édifices du moyen âge de Liège, m'ont donné des bases pour arrêter mon projet de restauration des façades.

Pour faire convenablement ce travail, j'ai dû dessiner et restaurer la façade de la grande cour, ainsi que celle vers la rue Derrière le Palais, parce que le style général de l’édifice, quoique n’ayant que des modifications de détails, offre cependant des variétés bien distinctes, qu’il faut saisir et qu’il est nécessaire de comparer.

Les dernières traces du style ogival, à Liège, existent à l'église de St Servais en 1584, à l'église couventuelle de Ste Claire, enfin à l'église de Ste Walburge en 1610.

Dans mon projet de restauration de la façade à portique de la seconde cour sur le jardin (l’une et l’autre correspondantes sont à peu près les mêmes); les croisillons aux fenêtres sont rétablis tels qu’ils étaient et selon les traces qui subsistent encore. Les pavillons sont aussi complétés; il en reste des éléments à une de ces façades, mais le tympan qui couronne chaque pavillon a disparu. On sait qu'à cette époque, à Liège, les constructions semblables étaient toujours terminées par des tympans; je les ai restaurés avec un motif d'ajustement de fenêtre pris à un pignon du palais, qui lui même forme tympan. Les ornements des rampants sont dessinés d'après les motifs employés à cette époque et suivant les anciennes descriptions du palais.

La restitution des galeries qui formaient le bord du toit, complète mon dessin, j'ai adopté un arrangement de meneaux se relevant alternativement pour faire correspondre la tablette des parties basses de la galerie avec le croisillon horizontal de la fenêtre; ensuite cette forme étant encore donnée naturellement en prenant pour base les grandes divisions des arcades, je reproduis en détail, suivant le système ogival, le motif indiqué par les principales dispositions.

J'ai aussi dessiné et restauré une partie de la façade du bâtiment de la Cour d'assises vers la deuxième cour, sur le jardin. Il n'y a de différence notable avec l'autre façade à portique dont je viens de parler, que celle qui provenait des arcades lesquelles descendent jusqu'au rez-de-chaussée. Seulement cette façade est plus uniforme et plus linéaire que l'autre, parce qu'il y a plus de division de meneaux et que les moulures et les renfoncements sont moins prononcés.

Quoique l'on ne s'occupe pas maintenant des façades de la grande cour, j'ai dû en restaurer une, comme je l'ai dit plus haut, afin de pouvoir me rendre compte des différences qui existent dans les façades et afin de profiter de tous les détails qui peuvent s'appliquer de l'une à l'autre. J'ai choisi pour cela la façade du bâtiment qui sert maintenant au dépôt des archives et je l'ai fait graver.

Sauf les pavillons et la galerie qui couronnaient anciennement cette façade il y manque peu de chose.

D'abord les blasons qui ont été détruits à la révolution française doivent être refaits ainsi que le triforium simulé qui les comprend. On a déjà des indications de blasons dans la seconde cour; ils peuvent donc servir de base et de point de départ pour ceux qu'il s'agit de restaurer. Quant au triforium il existe aux trois autres façades; il n'y aura de même qu'à le continuer. J'ai rétabli les blasons et le triforium, sur mon dessin, ainsi que les meneaux simulés et flamboyants qui existent aux parties supérieures des arcades des fenêtres. A la partie qui nous occupe il ne reste aucun de ces meneaux; mais à l'autre façade correspondante ils sont très bien conservés: seulement on remarque qu'ils alternent avec une partie sans ornement.

Il est à présumer que les voutes de ces dernières arcades sans ornement, ont été refaites après, mais je suis d'avis qu'elles ne devront pas être dérangées, parce qu'il faudrait les ôter toutes, et peut-être même aussi les croisillons des fenêtres, si jamais on entrait dans cette dernière voie.

Le couronnement de la façade et le replacement des statues, sont l'objet principal de mon projet de restauration. Sans être arrêté positivement sur le choix des statues, je pense qu'il faut représenter, les anciens Princes-Evêques de Liège. C'est du reste une affaire à décider ultérieurement et qui ne regarde pas tout à fait l'architecte. Quant aux pavillons, il est certain qu'ils ont existé jadis: toutes les anciennes vues du palais les retracent; le principe et la forme de ces pavillons sont déterminés positivement dans la seconde cour, à la façade du bâtiment de la Cour d'assises, où les fenêtres du second étage sont formées avec les mêmes croisillons qu'au premier étage; ces indications me dictaient la marche que j'avais à suivre, pour leur restauration

Les statues devant être recouvertes de dais ornés, j'en ai choisi le motif à la façade longeant la rue Derrière le Palais, ainsi que l'arrangement des colonnettes principales de chaque pied-droit, qui, employées de la même manière et commençant au seuil des fenêtres durez de chaussée, s'élancent jusqu’au toit sans autre interruption que les statues. On peut de même voir à la façade de Derrière le Palais, comment les colonnettes reprennent naissance sur un petit piédestal placé sur les dais. Cet ajustement est assez ingénieux.

J'ai ensuite rétabli les tympans des pavillons d'après les mêmes principes que pour la seconde cour, en y employant un motif de fenêtre trouvé à un pignon du palais et en rétablissant aussi les rampants ornés avec crochets, fleurons, etc.

La galerie qui réunît les pavillons à la hauteur du toit, termine ce qui reste à expliquer de mon dessin de restauration de la façade de la grande cour. Cette galerie, formée de meneaux ornés de colonnettes dont l'espacement est donné par ceux du triforium, présente principalement un dessin de chœurs flamboyants tirés des fenêtres. Une tablette dont la hauteur est déterminée par le croisillon horizontal des fenêtres des pavillons couronne cette partie.

La restauration de la façade vers la rue Derrière le Palais est l'objet de mon quatrième dessin.

Dans l'état où se trouve maintenant cette façade, il n’y a plus ni blason, ni aucune statue, ni aucun pavillon; mais leurs traces sont visibles. On remarque surtout qu'aux endroits où il y avait des pavillons, la corniche horizontale au bord du toit, qui est en pierre au dessus des arcades les moins élevées, est en bois aux arcades des pavillons. De plus la pièce de bois, en interrompant toutes les moulures verticales, prouve évidemment que ces moulures ont été emportées.

Enfin sur mon dessin, d'après les principes que j'ai déjà développés et en suivant les mêmes données, j'ai rétabli les blasons, les statues ainsi que les pavillons avec la galerie au bord du toit, comme pour les autres façades.

Je ne croîs pouvoir mieux terminer ce travail qu'en exposant les principes généraux dont on ne peut s'écarter dans les restaurations.


Conditions d'une bonne restauration.

Un monument devant surtout être conservé pour l'histoire de l'art et pour rappeler une époque passée, ne peut être l'objet de fantaisies particulières ni servir aux caprices de l'imagination.

Restaurer un monument, ce n'est pas seulement en prévenir ou en arrêter la chute, c'est le garder dans toute sa pureté, dans toute son intégrité; pour cela les restitutions doivent se faire dans le style primitif avec les détails historiques ou symboliques qui s'y rapportent et surtout en employant les mêmes matériaux.

Je suppose que l'on s'écarte de ces données, alors les artistes ne seront plus arrêtés par aucune borne; toutes les bigarrures d'une imagination déréglée et sans principes dépareront les plus belles formes; les uns ajusteront bravement de l'indien sur du gothique; les autres qui n'ont étudié qu'un style voudront en faire l'application; d'autres encore, créeront un style d'architecture qui s'adaptera, suivant eux, aux autres constructions, et sous le prétexte d'imprimer aux monuments du moyen âge un cachet de l’époque en harmonie avec les progrès de la civilisation, on fera des chapiteaux en carton, parce qu'il est facile à travailler, on fera des contreforts et des colonnes en fonte qui imiteront la pierre à s'y méprendre et puis on terminera par des minarets en zinc mis en couleur; enfin chaque détail sera un anachronisme et le chaos du siècle dernier reviendra, trainant à sa suite toutes les excentricités que le caprice ne manquera pas d'enfanter.

Heureusement pour l'art, l'Europe entière, l'Angleterre, la France et l'Allemagne surtout ont admis une base uniforme pour les restaurations. Elles doivent se faire dans le style primitif et avec les mêmes matériaux. L'expérience du reste, a déjà sanctionné cette manière de voir.

Le cadre d'un architecte restaurateur est donc nettement tracé: sa mission exige une abnégation raisonnée de sa personne ou de ses idées; il doit s'effacer complètement et n'ambitionner que le désir de reconstituer convenablement les parties de l'édifice qui ont disparu, à l'aide des parties qui subsistent encore. Moins sa main sera visible, plus il y aura de mérite. Pour cela il faut beaucoup de recherches et surtout avoir la connaissance parfaite du monument, de son style et des faits moraux, historiques et politiques qui s'y rattachent.

Il faut aussi que l'architecte étudie à fond les divers styles qui ont précédé celui auquel appartient le monument dont la restauration lui est confiée. La raison en est toute, simple, il suit ainsi les progrès de l'art et devient un élève formé par les maitres anciens.

On conçoit que des changements de destination ou de nouvelles dispositions peuvent introduire de nouvelles formes en créant d'autres besoins, mais les changements doivent toujours être combinés en se reportant à l'esprit des artistes du temps, afin de parvenir à ne pas rompre l'unité et l'harmonie qui doit toujours exister dans tous les cas. Il se peut qu'un architecte rencontre quelquefois beaucoup de difficultés pour satisfaire à toutes ces exigences; mais, à l'exemple de ceux du moyen âge, qu'il étudie bien le problème qu'il a à résoudre et que chaque difficulté soit pour lui une nouvelle occasion de déployer les ressources de son génie.

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