Plusieurs restaurations, surtout stabilisations, d'édifices anciens sont actuellement encours à Liège et sont intéressantes à la fois par leur méthode d'intervention et par le principe même de l'opération.
• Dans la cour du palais provincial, par exemple, la reprise en sous-oeuvre et la mise en charge des colonnes renouvelées s'opèrent par vérins plats du type Freyssinet. Pour ce cas-ci, une solution meilleure aurait été d'insérer une poutrelle métallique dans la colonne ancienne creusée, afin de faire reprendre à cette poutrelle les charges de la colonne caduque; au moins ainsi un document d'histoire aurait été sauvé.
• Autre application: l'église Saint-Antoine en Hors Château, est entièrement déversée par tassement des fondations sous les trépidations de la rue qui la longe; elle est stabilisée dans son état déversé par la poussée positive et permanente des fermes métalliques de la charpente des bas-côtés, par les tensions de resserrement des tirants précontraints, réalisés par fils de quelques millimètres de diamètre, et par le ripage de la base de certaines colonnes (sans démontage) pour les ramener à la verticale.
• La stabilisation de l'église Saint-Jacques s'est faite en employant l'acier d'une manière particulière, imposée par les problèmes concrets. En voici l'explication.
L'église Saint-Jacques, à Liège, conserve un avant-corps roman; les nefs, le transept et le choeur appartiennent au gothique du XVIe siècle. L'intérêt particulier de ces parties est le plafond peint de la partie centrale, qui est d'origine.
Il y a quelques années, des chutes de pierres et d'enduits ont attiré l'attention sur l'état précaire de certaines parties. L'examen détaillé a montré des dévers de 35 cm et plus, des fissures dans les voûtains et les nervures de ramification très complexe, des décollements de parties dans la voûte et même l'inversion de courbure de certains arcs, ouverts au vide. L'intervention était impérieuse et urgente. Le travail de restauration fut confié par la Ville de Liège à l'architecte N. Leclerc, avec les directives de la Commission Royale des Monuments et des Sites et des Laboratoires du Patrimoine Artistique du Cinquantenaire.
La stabilisation fut étudiée par l'ingénieur H F Joway, de l'Institut supérieur de Restauration de Monuments historiques de Liège; l'assurance contrôle fut contractée avec le Bureau Seco. L'adjudication désigna les entreprises Bailly de Liège, avec en sous-traitance la firme Poncin d'Ocquier pour la partie métallique, et la firme Arté pour la préservation et la consolidation des peintures.
Les voûtes de la nef centrale avaient déjà fait l'objet de consolidation, surtout au XIXe siècle: des ferrures traversent et défigurent les clefs ou soutiennent les nervures avec des éclisses, comme pour un bras cassé; ces ferrures, orientées en tout sens, sont reprises par des pièces en bois enchevêtrées et déformées; les clavettes de réglage sont souvent à fond de course. Ces dispositions sont actuellement sans effet.
La structure originale principale de l'édifice est en calcaire de Meuse; des interventions ultérieures ont employé souvent le petit granit, en particulier pour les contreforts, mais l'état actuel de cette pierre est déplorable. Les nervures des voûtes sont en tuffeau, grès calcaire des environs de Maestricht. Les voûtains sont aussi en tuffeau ou en briques; la couche picturale s'en détache par endroits, et la couche support est parfois pulvérulente.
Le principe de la consolidation fut de stabiliser l'état actuel de l'édifice: lui redonner solidité, sans redresser les déformations, par structures non préjudiciables à l'aspect intérieur ou extérieur, ni à la vérité de l'édifice, ni à son tempérament; les parties détruites sont remplacées par des éléments similaires, intégrés et en famille avec l'ensemble, sans plagiat servile.
L'analyse des poussées au sein des maçonneries, suivant une coupe transversale, faite par l'épure de Méry et vérifiée par les équations d'équilibre de la courbe moyenne, confirme les dévers observés. Les déformations vers l'extérieur des parties hautes sont dues principalement à l'action oblique des voûtes supérieures, tandis que la charge des contreforts glisse sur les reins des voûtes des bas-côtés, en déformant les piliers vers l'intérieur. Les contorsions prennent donc la forme générale en S.
Les travaux sont de trois types: réfection des voûtes des bas-côtés, reprise des contreforts, consolidation de la voûte de la nef centrale.
Les voûtes des bas-côtés sont en tuffeau, laissé apparent. Les voûtains défectueux sont renouvelés en moellons, aux teintes légèrement nuancées pour retrouver l'harmonie initiale. Les anciennes carrières de tuffeau de la région de Maestricht n'étant plus disponibles, le tuffeau employé provient de Sibbe, localité du Limbourg hollandais, proche de Valkenburg, et il appartient à la formation de Kunrade, d'une dureté supérieure à celle de la région de Maestricht. Toute l'habileté des maçons fut d'obtenir la variation régulière des joints pour répartir un même nombre d'assises sur des nervures obliques et de longueurs différentes. Le courbures souples et progressives furent obtenues par un arceau mobile formé de deux parties coulissantes l'une dans l'autre et glissant sur les nervures, à la façon des artisans du Moyen Age. Trois paires de poutrelles U sont prévues par travée pour la reprise ultérieure éventuelle des voûtes des bas-côtés.
La maçonnerie des contreforts est déficiente dans la partie située sous les combles des bas-côtés: les ouvertures nécessaires à une reprise en sous-oeuvre habituelle y seraient dangereuses; des parties importantes de voûte encore en bon état auraient dû être démontées (fig. 2).
La résultante des poussées des parties hautes aurait pu être ramenée vers le centre du pilier par une poussée horizontale appliquée à la hauteur du triforium, comme cela est fait à l'église Saint-Antoine à Liège. Cette poussée pourrait être obtenue à partir d'une ferme en treillis établie dans le plan de la toiture des bas-côtés, et prenant appui à ses extrémités dans les maçonneries du transept et de l'avant-corps. Cette solution n'a pas été retenue, quoique intéressante, parce que les crédits ne prévoyaient pas le renouvellement de la toiture.
La solution adoptée a été de serrer très fortement deux voiles en béton armé contre le contrefort de manière à les rendre parfaitement solidaires, puis de reporter l'action de ces voiles au centre du pilier. Le serrage des voiles est obtenu par douze tiges en acier A 52, traversant librement béton et petit granit du contrefort et précontraintes chacune à 20 t à l'aide d'une clef dynamométrique, étalonnée aux Laboratoires universitaires du Val-Benoît. Des fermes métalliques triangulées reportent les charges au centre du pilier et sur les murs extérieurs, sous forme de réactions verticales; la forme en treillis pour ces fermes en augmente la raideur, tout en diminuant le poids mort.
Bien que des fluctuations de niveau de la nappe phréatique n'ont pas été constatées pendant les travaux de vérification, il serait intéressant d'établir un périmètre de protection dans lequel tout rabattement du niveau d'eau devrait se faire avec puits de vérification proche de l'église Saint-Jacques. Même avec charges excentrées les fondations n'ont accusé aucun tassement; leur situation actuelle est améliorée par le recentrement de la résultante générale. Au niveau du soubassement, les tensions sont réduites au tiers de ce qu'elles étaient.
Les travaux à la voûte supérieure ont commencé par l'établissement près de la voûte d'un plancher résistant général sur toute la nef centrale. Après dépoussiérage minutieux, la couche picturale a été raffermie et fixée par de l'acétate de polyvinyle, puis protégée par un matelas moelleux et souple. L'ensemble de la voûte a été étançonné à partir du plancher et les anciennes suspensions ont été lâchées. Les nervures, déformées, en tuffeau, ont été remises en forme en travaillant sur les joints; les claveaux fissurés ont été remplacés; les joints ouverts ont été dégagés et renourris au mortier; les clefs, meurtries et défigurées, ont été restaurées. Quelques rares voûtains, en briques, trop déformés ou broyés, ont été réfectionnés.
La reprise de la voûte ne pouvait être une « suspension », les nervures ne sont stables que par compression et les parties centrales de la voûte sont proches de l'horizontale, donc très sensibles aux moindres mouvements. Pourtant, il fallait neutraliser la poussée des voûtes vers l'extérieur.
Cette neutralisation aurait pu être opérée par une paire de chevalets (bride DIN 50 et montants 30 DIN), mais ces chevalets auraient pesé 2,3 fois plus que les fermes en treillis, tout en étant 2,5 fois moins raides. Ce sont donc des fermes en treillis qui reprennent une «partie » du poids des voûtes. Reprendre cette partie dès avant tout mouvement de la voûte: tel était le problème posé, et posé en termes combien imprécis.
Le principe de cette reprise partielle a été de charger préalablement les poutrelles destinées à la reprise, puis de les décharger après leur solidarisation avec la voûte, d'une manière progressive, dans les charges et dans le temps, afin de pouvoir s'adapter exactement et immédiatement aux charges réelles, à leurs interrelations momentanées et en évolution.
Ces poutrelles sont des paires de U posées tous les mètres. Chaque nervure est traversée par au moins deux tiges en bronze au nickel-silicium, qui supportent un plat du même bronze placé en dessous de la nervure. Cette nuance de bronze a été choisie pour éviter tout risque d'altération, en particulier par les condensations inévitables et pour éliminer tout risque de corrosion fissurante par season cracking; ce bronze a d'ailleurs la même résistance que de l'acier. Ces tiges en bronze sont supportées par les paires d'U, et ceux-ci par les entraits des fermes en treillis, disposées de part et d'autre des fermes en bois, au droit des piliers. Ces fermes ont dû être montées pièce par pièce à cause de l'exiguïté des accès possibles, et elles sont assemblées par boulons à haute résistance.
La flexibilité des poutrelles U a été choisie en relation avec la souplesse naturelle des voûtes. Les voûtes gothiques constituent un organisme déformable pour arriver à l'équilibre: y créer un point raide serait un risque de rupture. L'ensemble des poutrelles U d'une travée a d'abord été chargé de sacs de sable représentant la moitié (adoptée à titre d'essai) du poids de la voûte; les écrous des tiges de suspension ont été ensuite serrés à la main (pour obtenir une homogénéité tactile, plus nuancée qu'une clef dynamométrique). L'ensemble est laissé huit jours, puis le même ouvrier repasse le serrage, qui a évolué par la mise en place de la voûte: fait contrôlé par les différences de serrage et par un nivellement très précis. L'organicité de la voûte est d’ailleurs telle qu'un serrage un peu trop marqué en un point dérange toute une plage.
Le déchargement de chaque travée dura une journée: Il se fit sac par sac dans un ordre et un rythme déterminés, avec vérifications constantes des faces inférieure et supérieure, et nivellement permanent. Les U, préfléchis d'environ 6 mm, n'ont pas repris leur position initiale ce qui signifie une reprise partielle d'environ la moitié du poids de la voûte. Aucune fissuration particulière n'a été constatée, et les hors-plomb des piliers, contrôlés chaque semaine par fils à plomb laissés à demeure n'ont pas varié.
Après l'enlèvement de tous les étançons, quelques retouches discrètes ont été faites au strict minimum aux parties remaniées, et les plats en bronze, sous les nervures, ont été peints en accompagnement. Deux tirants obliques pénètrent dans les murs gouttereaux, directement au-dessus des tas de charge. Ils sont destinés à reprendre les poussées résiduelles éventuelles vers l'extérieur. Pour le moment, ils sont simplement réglés pour être tendus sans effort particulier.
Actuellement les nefs sont entièrement dégagées jusqu'au transept, toutes fraîches d'une nouvelle jeunesse: il faut vraiment savoir la nature des travaux effectués pour deviner les interventions à la voûte haute.
Le plafond, peint et nervuré, sera mis plus encore en valeur par l'éclairage judicieux prévu par les Services d'Electricité de la Ville.
L'entreprise continue actuellement parla consolidation du transept du choeur.
C'est vraiment en contact permanent avec l'édifice et en étroite collaboration de tous, que les solutions, établies dans leurs grands traits dès le départ, ont pu être adaptées dans leurs détails à chaque particularité, pressentie par l'ouvrier, qualifiée et quantifiée par le technicien: il a vraiment fallu se retrouver artisans bâtisseurs du Moyen-Age, travaillant en corporation, mais disposant des techniciens et des matériaux les plus actuels.
On touche ici du doigt la nécessité de voir les travaux de restauration seulement confiés à des «praticiens qualifiés, aussi habiles et sensibles qu'avertis, associant exécution, sensibilité et science, dans une même dialectique avec l'édifice.