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Eglise Saint Jacques à Liège


Guda, Veuve de Thiebauld, Comte de Fouron
Recluse de Saint Jacques au commencement du XIIe siècle

par H Demaret, Bulletin de la société d'Art et d'Histoire du diocèse de Liège, t. 4, 1886.

Lien: Notice sur les recluseries du Moyen age - Cruls

 

Ceux qu'une légitime curiosité a portés à voir, par eux-mêmes, dans la tour de l'église Saint-Jacques, la pierre tombale, sous laquelle reposent les cendres d'André Severin, l'auteur des orgues qu'on admire dans cette basilique, auront peut-être remarqué, tout à côté de cette dalle, une inscription, dont les caractères romans indiquent de prime abord la respectable antiquité.

La partie ombrée de la planche ci-jointe montre ce que plus de sept siècles et demi et les continuelles injures, que lui font les pas des sonneurs, nous en ont laissé.

Il sera peut-être intéressant de posséder l'inscription entière et d'en savoir plus long au sujet de la noble et pieuse femme dont elle nous conserve le souvenir.


I.

Monsieur le chanoine Henrotte, qui a accumulé dans ses riches collections tant de précieux documents concernant nos anciennes églises, avait depuis longtemps extrait de l'ouvrage de Langius (1590) et des oeuvres du chanoine Vandenberg, cette même inscription, principalement intéressante à ses yeux pour les beaux vers latins qu'elle renferme. II a bien voulu me la communiquer.

Le doyen Delvaux a aussi transcrit de Langius la même inscription dans ses manuscrits que possède l'Université de Liège.

Ayant étudié la forme du fragment de dalle en question et la distribution des lettres qui s'y trouvent actuellement (elles sont soulignées dans le dessin), je crois pouvoir affirmer que le monument de Guda avait la forme d'un trapèze dans les dimensions indiquées par la planche ci-contre.

Lorsqu'en 1882 on a creusé dans le sol du transept de Saint Jacques, pour y établir les appareils de la chaufferie, on a rencontré près de la chapelle du Sacré Coeur de Jésus, à deux mètres environ de profondeur, plusieurs tombeaux en maçonnerie recouverte de dalles en grès; ils affectaient aussi la forme du trapèze, mais, au milieu de l'extrémité la plus large, se trouvait ménagé un petit espace évidemment destiné à recevoir la tête du cadavre.

Le monument d'Etienne III (mort en 1138), abbé de Saint-Jacques, reproduit par le doyen Delvaux dans son manuscrit, présente également la forme du trapèze.

L'inscription qui fait l'objet de notre étude se compose de trois lignes; celle du milieu nous fait connaître le nom du personnage: « Guda, » son genre de vie: « sanctimonialis, » c'est-à-dire religieuse, et la date de sa mort: le 2 des calendes de juillet 1125. La première et la dernière lignes sont deux beaux vers latins qui, conformément au gout de l'époque, sont remplis de consonnances: dicata Guda, Deo quiesco, mea sua, me que seque, dedi mihi.

Il y a une petite variante entre le texte donné par Langius et celui recueilli par Vandenberg. Le premier a lu: hic tam Deo peccatrix; le second: hic dicata Deo peccatrix. Si ce n'est pas une infidélité de mémoire qui a induit Langius en erreur, il faudrait croire que ce mot fut déjà illisible de son temps et qu'il dut y suppléer, mais en ce cas, il n'aurait pas été heureux, car le vers, tel qu'il l'écrit, cloche singulièrement, tandis qu'avec le mot dicata, lu ou suppléé par Vandenberg, il marche très correctement.


II.

Qui était donc cette « Guda? »

Les Annales de Saint-Jacques (Annales minores, Bibliophiles liégeois, p. 16) n'en font mention que par deux mots et une date « 1125 … obiit Guda; » mais ce peu suffit à prouver que Guda n'était pas étrangère pour le monastère bénédictin de Saint-Jacques. Ce laconisme même semble assez dire que sa mémoire était gardée avec une telle vénération et conservée par des monuments tellement connus et évidents alors, que son nom seul la rappelait parfaitement au souvenir des religieux de Saint-Jacques.

La Gallia Christiana (t. III, p. 977) nous la présente en ces termes comme bienfaitrice de l'abbaye fondée par Baldric II: « l'abbé Olbert II obtint en 1125 un diplôme de l'empereur Henri par lequel sont confirmées les donations de Thiebauld de Fouron et de Guida son épouse ensevelis dans l'église SaintJacques. »

La Gallia Christiana ne parle que d'un diplôme de l'empereur Henri V, mais nous en avons deux que nous allons analyser.

La première de ces chartes est reproduite dans le tome VI, page 125, de l'Histoire du Limbourg, par Ernst. La seconde se trouve dans le même ouvrage, page 124, dans le manuscrit du chanoine Vandenberg (Bibliothèque de l'Université de Liège, n° 188) et son original repose au Palais provincial dans les archives de l'Etat.

Une troisième charte, plus ancienne que les précédentes, nous aidera aussi dans nos recherches, c'est dans le même manuscrit de Vandenberg, page 60, que nous l'avons trouvée; nous en publions le texte à la fin de cette petite notice.

Par la première charte, l'empereur Henri V, confirme la donation faite à l'abbaye de Saint-Jacques, par Thiebauld de Fouron et par Guda son épouse, de certains biens situés à Bilstin et ailleurs, 31 mars 1125 (Analyse d'Ernst).

Le texte nous dit que Guda fut épouse très fidèle de Thiebauld de Fouron, que celui-ci avait ordonné à sa femme et à son neveu Arnulphe de lui procurer la sépulture à Saint-Jacques, et de faire donation à l'abbaye de deux biens situés l'un à Colombier (1) et l'autre à Bilesten (2), qu'ils exécutèrent ce legs le jour même de son enterrement et que le susdit Arnulphe devint avoué de ces deux alleux.

Ce même diplôme confirme en outre la donation que Guda, qualifiée ici de « venerabilis, » a faite elle-même d'un bien appelé Struona, situé sur la Moselle, et dont elle laisse à l'abbaye pleine liberté de choisir l'avoué.

Dans le second document, l'empereur Henri V confirme la donation de deux alleux faite à l'abbaye par la noble Dame Guda, 31 mars 1125 (Analyse d'Ernst).

Cette pièce nous apprend que la donatrice est de race noble « mulier nobilis, » qu'elle est veuve et d'une conduite honorable « vidua honorabilis, » qu'elle n'a pas de postérité « secundum voluntatem Dei privata fructus ventrissui, » qu'elle a choisi Saint-Jacques pour héritier de ses biens « elegit sibi successorern et rerum suarum heredem Beatum Jacobum, » c'est-à-dire qu'elle donne à l'église du Bienheureux Apôtre située en Ile à Liège, l'alleux de Eira (3) et celui de Witham (4).

Le même document constate qu'Arnulphe, frère de la donatrice, devenu avoué de ces biens légués, les fit recevoir par Arnulphe, comte de Looz, avoué du monastère de Saint-Jacques.

Les expressions d'épouse très fidèle, de vénérable, d'honorable veuve, qui accompagnent le nom de la noble dame dans les chartes, attestent suffisamment que le qualificatif, avec lequel elle se désigne elle-même dans le premier vers de son épitaphe : « peccatrix Guda, » ne doit pas être pris avec rigueur, mais être attribué à un profond sentiment d'humilité.

La comtesse Ide de Boulogne, mère de Godefroid de Bouillon, emploie exactement le même terme dans un acte de 1096, par lequel elle donne différents biens à l'abbaye de Munster- Bilsen: « pro hâc ergo fide spe et karitate ego peccatrix Ida … trado » (Ernst, Histoire du Limbourg, t. VI, p. 113).

Si nous rapprochons ces expressions que nous trouvons à l'adresse de Guda dans les documents que nous possédons, de celle-ci qui accompagne son nom sur sa pierre tumulaire: dicata Deo, consacrée à Dieu, terme usité spécialement pour indiquer la profession religieuse; si nous n'oublions pas qu'elle s'est dépouillée de tous ses biens pour les donner à Saint-Jacques, comme l'attestent la seconde charte et le second vers de son épitaphe « cui (Deo) mea ... dedi; » si nous considérons enfin qu'elle s'est donnée elle-même à Dieu « cui mea meque dedi, » ne devons-nous pas conclure que ce mot « sanctimonialis, » gravé en lettres plus grandes sur sa tombe, et par lequel elle-même se désigne, doit être pris, non pas dans le sens de pieuse et sainte femme, éloge singulièrement déplacé qu'elle ferait elle-même de ses vertus, après s'être humiliée dans le premier vers, mais dans toute la valeur de sa signification première et indiquera que la noble darne Guda a pris le voile de religieuse après la mort de son mari?

La veuve de Thiebauld de Fouron se fit donc religieuse; mais fit-elle partie d'une Communauté? Cherchons à résoudre cette question.

Il n'est pas impossible que le monastère de Saint Jacques fut double à cette époque. Composées à la fois d'un cloître de religieux, et d'un couvent de femmes du même ordre, ces maisons, séparées entièrement par de hautes murailles, comme l'atteste Mabillon (Annales benedictines, t. III, p. 10), vivaient ordinairement des mêmes revenus et étaient gouvernées par un même supérieur. Les religieuses trouvaient ainsi sans difficulté une subsistance plus assurée, une protection plus efficace contre les vexations du dehors, et une direction plus savante et plus puissante dans l'esprit de leurs règles.

C'était le cas pour l'abbaye de Rolduc et c'est précisément vers cette époque que la duchesse Jutte, veuve de Waleran II, duc de Limbourg, se retira dans cette sainte maison, y prit l'habit religieux sous la règle de Saint-Augustin, après avoir fait don au monastère du droit de patronage de l'église et de la dîme du village de Lommersheim, et, au rapport de l'annaliste du couvent, y mourut le 24 juin 1151.

Jusqu'en 1270, quantité de monastères Norbertins furent doubles. Ainsi celui d'Averbode le fut de 1134 à 1200.

Ermesinde, comtesse de Namur, prit le voile dans le monastère des Norbertines situé à l'endroit nommé l'enclos de Saint-Martin, près de la célèbre abbaye des Prémontrés à Floreffe. Elle y mourut le 24 juin 1141 (Barbier, Floreffe).

La maison religieuse de la Chaîne, à Liege, était double en 1204. celles de Beaufays et de Vivegnis le furent avant 1235.

Quant aux couvents doubles de Bénédictins, nous pouvons citer, d'après Mabillon, ceux de Tabanos et de Cuteclaire, près Cordoue, en 851, d'Onia en 1011, de Saint-Michel, à Vécéla, en 1063, tous en Espagne, les monastères « Fructuaria apud Taurinenses, » en 1110, de « Molismum, » à trois lieues de « Juliacum ou Julleium in Lingonensi parochiâ,» en 1113, de Sainte Marie, à Ligueux, en 1114, d'Obazine, en 1142, de Schonaugiense propè Bingam, » dans le diocèse de Trèves, en1130.

Enfin nous trouvons que le monastère de Saint Martin, à Tournay, était double également (1095) et que, dès avant 1194 jusqu'en 1231, les Bénédictines de Sainte-Catherine, à Saint-Trond, avaient leur couvent auprès de la grande abbaye de Bénédictins de cette ville.

Il faut dire cependant qu'on ne connaît aucune preuve positive de l'existence d'un monastère de Bénédictines à Saint-Jacques. C'est ce qui nous porte à croire que Guda se retira dans une solitude plus complète, et que, s'étant fait construire une cellule non loin de l'église Saint-Jacques, qu'elle devait affectionner tout particulièrement, puisqu'elle lui avait donné tous ses biens, que son époux y reposait, qu'elle y avait fondé des anniversaires pour tous ses proches (2me charte) et qu'elle-même voulait y avoir sa sépulture, elle y vécut en pieuse recluse comme la bienheureuse Eve, à Saint-Martin (1265), comme Richilde, à Saint-Jean (1177), Cunégonde (1065) et Helluy (1263), à Saint-Pierre, et Osilia (1200), à Saint-Séverin.

On objectera peut-être que ces églises, qui viennent d'être citées comme ayant eu des récluseries, étaient collégiales ou paroissiales, mais nous pouvons prouver par des témoignages et par des faits, l'existence de ces institutions pieuses auprès des églises monastiques.

Mabillon atteste (t. III, p. 354) qu'il y avait non seulement des reclus, mais aussi des recluses vivant dans des cellules fermées, auprès des monastères de Bénédictins; et dans son tome IV, à l'année 1033, il affirme, en ces termes, que cette admission de recluses, auprès des églises des religieux de Saint-Benoît, était devenue une coutume: « moris erat tunc temporis, ut religiosae feminae prope monasteria nostra recluderentur ut in illo reclusorio vitam a saeculi corruptelis longe remotam ducerent. » Il cite sainte Wiborada, Rachilde et Kerhilde comme recluses au monastère de Saint-Gal (Xe siècle).

La bienheureuse Helvisa se voua au même genre de vie au monastère « Columbensi, » dans le diocèse de Carnute (1033). Walburge, abbesse du couvent de Sainte-Scholastique, à Juriniaco, fut recluse auprès du monastère des religieux Bénédictins de Saint-Agericus, à Verdun. Hodierna l'était en 1072, au couvent de Saint-Arnulphe, au diocèse de Metz, ainsi que Hildeburge, au monastère « Pontisarense Sancti-Martini » (1094) ; Eve, à Sainte-Eutropie, à Galonne; Heltopirgis, à «Gotwic in dioecesi Pataviensi, » en 1094, et Mechtilde, à Spanheim, près Creutznach, dans le diocèse de Mayence.

Une fille du comte Ricolphe se retira dans cette absolue retraite au monastère de Saint-Alban, dans le même diocèse.

Enfin, l'église des Carmes, à Liège, avait aussi une recluserie, qui fut habitée, vers l'an 1457, par une religieuse carmélite, nommée soeur Agnès (5).

Deux observations nous confirment dans cette opinion:

1° La recluse Helluy, qui eut sa cellule auprès de Saint-Pierre, à Liége, fut enterrée dans la tour de cette église, car c'est en cet endroit que sa pierre sépulcrale fut retrouvée. Ce monument fort intéressant se trouve aujourd'hui au Musée archéologique liégeois.

Le chanoine Fanius, dans son histoire de l'institution de la Fête-Dieu, dit que la bienheureuse Eve fut ensevelie à Saint-Martin, « au côté occidental de l'ancien bâtiment de l'église, proche des degrés par où l'on montait sur le clocher. »

Or la pierre tombale de Guda se trouve aussi dans la tour de Saint-Jacques, et rien ne prouve qu'elle n'y ait pas été toujours, car nous devons croire que la partie carrée et massive de la tour actuelle fut construite en même temps que l'ancienne église romane, au XIe siècle; l'identité de son appareil avec celui des vestiges de constructions que nous avons rencontrés à diverses reprises dans le sol de l'église actuelle, laquelle est évidemment bâtie sur l'emplacement de l'ancienne, et un texte des Annales de Lambert-le-Petit, religieux de Saint-Jacques, nous semblent ne permettre aucun doute à cet égard. Ce chroniqueur, parlant de l'abbé Drogon (+1173), s'exprime ainsi: c'est lui qui a élevé en hauteur la tour de l'église et l'a recouverte de lames de plomb, « ipse sublimavit in altitudine turrim templi, cooperuitque laminis plumbeis.

Cette singulière analogie dans l'emplacement de ces tombes ne peut-elle pas nous porter à croire à une coutume et nous confirmer dans l'idée que Guda fut recluse à Saint-Jacques, comme Eve à Saint-Martin et Helluy à .Saint-Pierre?

2° Dans la charte, que nous avons rapportée en second lieu, Guda fonde plusieurs anniversaires à Saint-Jacques, puis elle donne la somme de « decem solidos, » à l'effet de fournir un cierge pour chaque nuit: « ad unam candelam singulis noctibus comparandam. » Ne serait-ce pas pour qu'elle pût voir pendant la nuit le tabernacle où reposait le Saint Sacrement et honorer la présence de Dieu dans l'Eucharistie, qu'elle a fait cette fondation? Ou bien encore, afin de pouvoir participer de sa cellule aux prières que les religieux Bénédictins faisaient pendant la nuit ? L'une et l'autre de ces suppositions nous font penser que Guda devait avoir sa cellule tout à proximité de Saint-Jacques et même qu'elle devait avoir vue sur l'intérieur de l'église. Or telle était bien la disposition des cellules de recluserie.

Combien d'années la pieuse Guda a-t-elle passées dans sa sainte retraite?

Il est certain que Thiebauld de Fouron mourut avant 1119, puisque la première charte, qui confirme les donations exécutées après sa mort, atteste que la prise de possession des alleux de Colombier et de Bilstain eut lieu en présence d'Olbert, évêque de Liège, et que, d'après les Annales minores Sancti-Jacobi, Olbert est mort en 1118 (ou 1119, en comptant l'année à partir de janvier).

Il est même certain que l'époux de Guda mourut avant 1112.

Le chanoine Vandenberg a inséré dans son manuscrit, page 60 (n° 188 de la Bibliothèque de l'Université de Liège), une charte par laquelle Etienne, abbé de Saint-Jacques, fait savoir que Stepon (6), chanoine de Saint-Lambert, fit enterrer dans l'église Saint-Jacques son frère Thiebauld, de noble race, « que les alleux de Colombier, Bilstain et Struona ont été donnés pour l'âme du défunt, » et qu'à son tour, Steppon donne une partie de l'alleux de Masnil (7), dont son neveu Arnulphe, fils de son frère Arnulphe, devait être héritier (Voir le texte de cette charte à la fin de cette petite notice). Cette pièce est sans date; de plus, vers cette époque, il y eut deux abbés de Saint-Jacques du nom d'Etienne, le premier de 1095 1112, le second de 1135 à 1138.

Un mot peut cependant nous faire quelque lumière.

C'est sous le titre de chanoine de Saint-Lambert que Steppon est désigné; or les chroniques nous disent qu'il avait déjà cette dignité en 1095; ensuite, il apparaît en la qualité d'archidiacre dans les chartes de 1116 1127, notamment dans les diplômes de 1125, que nous avons analysés, et enfin en la qualité de prévôt de Saint-Lambert, de 1131 à 1136.

Si donc il s'agissait du second Etienne, qui ne fut élu qu'en 1135, comme auteur de ce diplôme, il eut donné à Steppon, dont il fait connaître le bienfait, son titre d'archidiacre ou de prévôt de Saint-Lambert, car il ne pouvait raisonnablement se contenter de l'appeler du nom de chanoine.

Nous avons d'ailleurs une autre preuve. Vandenberg, à la page 64 du même manuscrit, a inséré une autre charte d'Etienne, datée de 1111, et il donne la description du sceau de cet abbé. Or, il se trouve que cette description est littéralement la même que celle que nous lisons à la fin de la charte dont nous cherchons la date.

Il faut donc conclure que l'auteur de ces documents est Etienne II, qui mourut en 1112, et par suite nous avons le droit d'affirmer que Guda était veuve avant cette date, que dès lors, elle avait au moins commencé à se dépouiller de ses biens, puisque, dans cette charte d'Etienne, il est fait mention du bien de Struona que nous avons vu avoir été cédé par Guda elle-même et en son propre nom.

Nous ne pouvons sans doute induire de là que la veuve de Thiebauld a pris le voile dès cette époque, mais qu'elle a pu le faire.

Quant à la cession du reste de ses biens, elle doit avoir eu lieu avant 1125, car l'intervention de Henri V, en 1125, n'est qu'une confirmation des actes passés auparavant. Les termes de ces documents l'indiquent et Grandgagnage (Vocabulaire, p. 209), ainsi que l'auteur de la Gallia Christiana (t. III, p. 977), sont de cet avis.

La bulle de 1136, par laquelle Innocent II confirme les biens et privilèges de l'abbaye de Saint-Jacques, nous porte même à croire que toutes ces donations ont eu lieu presqu'en même temps, car elle attribue aussi à Thiebauld et à Steppon la cession d'Eira et de Witham qui cependant étaient le patrimoine de Guda et ont été donnés par elle seule.

Il est donc probable que Guda passa au moins 13 ans (1112 à 1125) dans sa cellule de recluse auprès de l'ancienne église de l'abbaye de Saint-Jacques.

 

H. DEMARET,

Curé de Saint Gilles, à Liège ancien Vicaire de Saint Jacques.


(1) Columbire ou Colombire. Dans Miraeus, tome I, page 353, il est fait mention d'une « villa vocabulo Columbaria. »

Il y a un Colombier qui est une dépendance de Lebbeke, Flandre Orientale et un autre qui ressort de Nivelles.

(2) Bilesten doit être Bilstain, d'après Grandgagnage,

(3) Eira. Ce nom est encore écrit de la même manière dans la bulle d'Innocent II, confirmant vers l'an 1136 les possessions du monastère de Saint-Jacques et dans une charte de 1140.

Le dos de la charte, que nous venons d'analyser et qui est conservée dans son original aux Archives de l'Etat à Liège, porte écrit par une main plus récente le nom Ora. Ce même nom est écrit aussi en marge dans le manuscrit de Vandenberg.

Grandgagnage croit que ce nom correspond très bien à celui d'Heure, mais il pense qu'il s'agit probablement d'un autre endroit qu'Heure-le-Romain ou Heure-le-Tixhe. Il y a encore Heer sur la Meuse entre Dinant et Givet, écrit aussi anciennement Ore ou Oire sur Meuse et Heure près Marche en Famenne, etc.

Pour moi, j'incline à croire qu'il s'agit d'Heure-le-Tixhe ou le Thiois, c'est-à-dire le flamand, parce que les témoins de la prise de possession d'Eira sont des seigneurs des environs: Thierry de Looz, Cuno de Boers (Boirs) et Gérard de Horpala (Horpmael).

(4) Witham, écrit quelquefois Witeham, doit être Wittem d'après Grandgagnage.

(5) Manuscrit des Pères Carmes, cité par Monsieur Cruls, curé-doyen de Saint-Martin, dans son ouvrage sur le Saint Sacrement et l'église Saint-Martin. On trouve dans ce livre de Monsieur Cruls tout un traité sur les recluseries et des renseignements fort intéressants pour l'histoire de cette pieuse institution dans notre pays.

(6) Ce Steppon, qui intervient ici et que les chroniques nomment « Steppon ou Reppon de Maules, frère de Thibaut, comte de Foron, » est le même qui, d'après ce que Chapeaville raconte (t. Il, p. 193) sur le récit qu'il tire lui-même de Thomas de Catimpré (+1263 ou 1280), employa la violence pour retirer du monastère de Saint-Jacques un de ses proches qui y était entré. N'ayant pu obtenir justice devant l'Evêque, l'abbé cita ce Steppon, qui était alors le prévôt de Saint-Lambert, au jugement de Dieu. Le quarantième jour après la citation, Steppon se trouvait au bain, lorsqu'il entendit sonner les cloches du monastère: ayant appris que l'abbé venait de mourir, il tomba en convulsions et s'écria : « C'en est fini de moi, je suis perdu, » et il expira entre les bras de son domestique. (De Theux, Chapitre de Saint-Lambert, t 1er, pp. 99 et 100.)

(7) Masnil. Dans la bulle confirmative des biens et privilèges de l'abbaye de Saint- Jacques d'innocent II (vers 1136), ce nom est écrit sous cette forme, Massûul; dans celle d'innocent IV, Massûûl. Il y a Manil, dépendant de Hollogne-sur-Geer; Maesnil ou Masnil, dépendant de la commune de Gelinden, près Saint-Trond; Maesnil, près Ruremonde, Ita Grangagnage, Vocabulaire, page 226.


Charte d'Étienne, abbé de Saint Jacques (avant 1112).

In nomine Sanctae et lndividuae Trinitatis aequum est et omnino necessarium elemosinas Deo et Sanctis ejus ad stipendium eorum qui eis purè ac devotè famulantur collatas adversus omnem controversiam omnibus modis praemunire ut qui debent orationi vacare et contemplationi vivere semper valeant cum tranquillitate. Quamobrem ego Stephanus Dei favente gratiâ hujus provisor ecclesiae notum facio omnibus tam futuris quam praesentibus quod frater noster Dorninus Steppo canonicus Sancti Lamberti, qui apud nos fratrem suum Tiebaldum militem fecit sepeliri, pro cujus anima habernus tria praedia scilicet Columbier, Bilesten, et Struona, suam quoque volens specialem elemosinam Sancto Jacobo ex proprio conferre, partem allodii quoci dicitur Masnil cum omnibus ejus appenditiis videlicet agris, pratis, montibus et camba illi donavit. Cujus quidem praedicti allodii cum Arnulfus fihius fratris çjus Arnulfi post obitum suurn legitimus heres esse deberet, placuit illi magis ut dignâ ab eodem domino Steppone pecuniâ acceptâ, illud repudiaret, ac Sancto Jacobo donari concederet. Ad quod legitirnè adstipulandum dorninus Steppo Reinerum advocatum suum conducere (?) fecit ut advocationern manu sua emitteret et in manu Arnulfi comitis advocati nostri traditione et vestiturâ propriâ subnixam eamdem poneret. Testes hujus rei Teodericus frater comitis de Los Guilelmus de Dolehen et alu multi. Deindè ubi ecclesia hoc allodium praedictis modis per dominum Stepponem obtinuit proprium decrevit ipse ut Arnulfus servicus suus et heres ejus si legitimum heredem ex se progenitum haberet, hereditaria lege illud tenerent et exindè constitutum sibi censum annuatim persolverent. At si ille herede careret aut heredis ejus successio deficeret totus ipsius allodii redditus ad utilitatem et praebendam fratrum integre perveniret. Turn etiam ut ipsi nullum aliquando generale placitum tanquam mansionarii vel haistaldi consedeant, sed pro ratione neglecti censûs, et aliqua offensa quae respiciat ad hoc bonum lege parium suorum in caminata abbatis respondeant. Quisquis vero illorum requirit istam hereditatem in die quando de manu abbatis accipiet donum, hamam vini pro honore et praemio se novent esse fratribus daturum. Quod si earn qualibet causa vigente ahquando fuerit necesse vendere vel in vadimonium ponere, nullatenus eis licere ut in illam aut cognatum vel amicum seu quemque hominem inducant, sed ecclesiae, cul magis proxima est ipsam offerant et justum tam vadirnonium quam venditionis pretium ab illa accipiant. Quantitas autem constituti censûs infra est subscripta et quibus terminis sit deferenda in annuntiatione dominicâ honore et amore Dei Genitricis Mariae ut eidem largitori propitia sit apud omnipotentem lilium suum, quinque solidos ad refectionem fratrum, totidem quoque dabunt ad celebrandum illius anniversarium turn libram cerae et duo luminaria ecclesiae et ad opus pauperum pensam farinae. Quibus ita ritè compositis feci tandem Arnulfo suum donum in capitulo fratrum cum auctoritate Dei et nostra istis apicibus litterarum et sigilli nostri impressione legitimè roboratum. Quod si aliquando quispiam praesu mpserit aliquatenus infringere perce de terra illius memoria nisi resipuerit dignâ paenitentiâ.

 

Demi figure teste nue tenante en main droite la crosse et de la gauche un livre fermé.

Manuscrit de Vandenberg, page 60; n° 188, Bibliothèque de l'Université de Liège.

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