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Château de Chokier

Les armoiries du lignage des Surlet
par Léon Naveau

Le nom de Surlet est très ancien et très illustre dans l'histoire de Liège. Les armes et insignes propres de cette famille sont d'or au saultoir de gueules, l'écu surmonté d'un casque ouvert, duquel sort la figure du prophète Moïse, revêtu d'une toge d'or, avec la croix de gueules sur la poitrine.

Cette famille fait remonter son origine à Louis Surlet, échevin de Liège, et le premier bourgmestre, ou maître-à-temps cité dans le Recueil héraldique. Il vivait à la fin du XIIe siècle, et était, au dire de Hemricourt, le plus riche et le plus puissant bourgeois de la cité de Liège, et plus absolu dans cette ville, que n'était l'évêque Hugues de Pierpont qui vivait alors. Il était fils d'un gentilhomme allemand, nommé Louis aux chausses rouges, qui avait quitté sa patrie, le pays de Juliers, par suite des guerres, et était venu s'établir à Liège, où il contracta un mariage avantageux. Son fils Louis prit le nom de Surlet, et épousa Marguerite de Hozémont, fille du dernier comte Gérard Rulant de Hozémont et de la fille aînée du seigneur Otto de Lexhy. Il prit également, par suite de ce mariage, les armes de Hozémont qui devinrent celles des Surlet. A cette époque, on changeait très facilement d'armoiries; souvent des enfants prenaient les armoiries de leur mère; ainsi fut fait par les Surlet, dont le fils du premier prit les armes de Hozémont (de sa mère Marguerite de Hozémont), lesquelles armes devinrent celles des Surlet.

Le 2 octobre 1620, les bourgmestres de la Cité de Liège attestaient officiellement que, de temps immémorial, « les nobles armoiries et blasons de la maison de Surlet étaient la croix de Bourgoigne ou saultoir de gueulle en champ d'or, et pour timbre, sur le heaulme, Moyse revêtu de la même croix. »

Lorsqu'ils attribuaient d'une façon absolue au célèbre lignage liégeois les armes pleines des « comtes » de Hozémont, dont il était issu, nos magistrats étaient sans doute de bonne foi, mais ils se trompaient: en effet, leur affirmation n'est à peu près vraie que pour la seconde moitié du XVe siècle et n'est entièrement conforme à la réalité qu'au XVIe siècle, pour les deux dernières générations de la famille.

Comme dans la plupart des races patriciennes, les armes, chez les Surlet, n'eurent, à leur origine, aucun caractère de stabilité. Ici comme ailleurs, on pourra voir des frères adopter des emblèmes différents, des fils porter un autre blason que celui de leur père.

Ces signes distinctifs personnels, si l'on peut ainsi s'exprimer, s'expliquent par la nécessité dans laquelle se trouvait le guerrier de se faire reconnaître quand, armé de toutes pièces et visière baissée, il combattait sur le champ de bataille.

Des alliances de guerre, des mariages, le désir de faire revivre le souvenir d'une ascendance éteinte dans les mâles, souvent même le caprice et la fantaisie, contribuèrent à ces fréquents changements.

Les seules références authentiques que l'on possède au sujet des armoiries des maisons nobles aux époques lointaines du moyen âge sont les sceaux appendus aux chartes et les blasons des défunts sculptés sur leurs pierres tombales. Semblables documents sont malheureusement trop rares, mais ils ont le mérite d'être l'indiscutable expression de la vérité. Le sceau est, en quelque sorte, la signature de son titulaire; la dalle tumulaire est tout aussi personnelle au gisant, qui, maintes fois l'a fait exécuter lui-même, ne laissant à ses héritiers que le soin d'y faire inscrire la date de son décès.

Les armoiries qui nous sont transmises par les sceaux et par les tombes sont, émaux réservés, exactement celles qui figuraient sur le bouclier ou le penonceau du chevalier, sur les ailettes de sa cuirasse ou sur le caparaçon de son destrier.

Le temps des guerres privées passa. Quand il n'eut plus qu'à combattre, à son rang, dans l'armée de son suzerain ou du dynaste qui l'avait pris à sa solde, l'homme d'armes ne jouait plus un rôle aussi individuel qu'autrefois. Le blason se ressentit de cet état de choses; il s'uniformisa pour tous les membres d'une même famille et devint héréditaire. Au XVe et au XVIe siècle, les armoriaux et les peintres héraldiques négligèrent la plupart des brisures anciennes et appliquèrent d'une manière rétrospective les usages de fixité que mettaient en pratique les gentilshommes de leur temps. Ils attribuèrent ainsi les armes de leurs contemporains à tous leurs ancêtres.

C'est ce qui est arrivé à l'égard de l'écu des Surlet.

Les premiers descendants de Louis aux rouges chausses, dont les sceaux se trouvent dans nos dépôts d'archives, sont ses petit-fils: Gilles Surlet dit le Beir (mort en 1284) et Louis Navea (vivant en 1258 et en 1275).

Celui du premier, de forme elliptique, nous montre, gravé dans le Champ, un dais gothique, sommé de trois pinacles, sous lequel se trouve un fauconnier avec un oiseau perché sur son poing gauche, et portant de la main droite un instrument de fauconnerie. Légende:

S • EGIDII • DCI • SVRELET • SCABINI LEOD

Louis Navea, cousin germain de Gilles Surlet, se servait d'un scel de forme ronde; dans le champ, figure un chatel a trois tours, entouré de la légende:

S • LODEWICI • NAVEA.

Chacun de ces deux personnages a donc un sceau sans type héraldique proprement dit. De véritables armoiries ne tarderont pas à apparaître.

Gilles le Beir eut trois fils qui laissèrent postérité: Louis (l'aîné), Jean et Radoux.

Louis fut échevin de Liège de 1275 jusqu'à sa mort (12 août 1299). Il se composa des armoiries qu'il semble avoir tirées de celles de son aïeule maternelle, N. de Ville, femme d'Albert d'Aaz et soeur de Perceval de Ville-en-Hesbaye.

Son écu présente une fasce échiquetée de deux traits et accompagnée de deux cotices. Or, d'après Hemricourt, les Ville portaient « d'or à une fasce germelle de gueules ».

Son frère Jean, le grand mayeur, tué à Saint-Martin en 1312, adopta les armes de sa grand-mère paternelle, Marguerite, fille de Gérard de Rulant, « comte » de Hozémont, que l'auteur du Miroir des Nobles blasonne « d'or au sautoir de gueules »

Quant à Radoux, le cadet, son sceau ne nous est pas parvenu. Nous devons nous borner à signaler ci-dessous les armoiries portées par ses descendants.

A la génération suivante, les trois branches des Surlet semblent s'être mises d'accord pour prendre les armes de Hozémont, quitte à chacune d'elles de les accommoder à sa guise pour se distinguer des deux autres.

Ainsi, les enfants de l'échevin Louis cantonnèrent le sautoir de Hozémont de quatre macles, empruntées au blason de leur mère, Ode, fille de Jean Boveal, riche bourgeois de Liège, qui portait, dit Hemricourt, les armes de Sougnez « d'or à une faixh de gueules, à trois rutures d'azure». Brisées de la sorte, ces armes figurent sur le sceau que l'un d'eux, Louis, citain de Liège, mettait, le 15 mars 1307, au bas d'une charte de l'évêque Thibaut de Bar et sur celui que l'arrière petit-fils de l'échevin, Gilles Surlet, chevalier, fait prisonnier à Baesweiler, apposait, en 1374, à une quittance donnée à l'occasion de la célèbre bataille.

Enfin, quand le guerrier de Baesweiler, dernier représentant mâle de sa branche, vint à passer de vie à trépas (février 1411), c'est encore le sautoir accompagné de quatre macles qu'on grava sur sa tombe, dans l'église paroissiale de Saint-Etienne.

Radoux Surlet contracta deux alliances. D'une fille de l'échevin Mathieu le Prévôt, dit Mathot (1260-1285), sortit un rameau sur le compte duquel nous n'avons pas de renseignements héraldiques et qui s'éteignit dès la seconde moitié du XIVe siècle en la personne de Gilles Surlet, seigneur de Beausaint en Ardenne et de son frère Bauduin, chanoine et prieur de Flône.

La seconde femme de Radoux, Ide, fille de Henri Pollarde, dit de Neuvice, portait les armes des de Prez « alle comble, assavoir lossengieit d'argent et d'azure, à un chief de geules » . De ce mariage, provint une lignée dont quelques représentants vivaient encore à Liège dans le second quart du XVe siècle. Mais, bien que changeurs et alliés à des familles s'adonnant au même genre de négoce, ils étaient « sofraiteuz de leur chevanche et s'en est petit conte » ainsi que le note Hemricourt. Quelques années plus tard, on perdra même complètement leurs traces.

Comme leurs cousins de la branche aînée, ces Surlet du second rameau de la branche cadette empruntèrent à la famille de leur mère la brisure qu'ils imposèrent au sautoir des Hozémont.

On en trouvait la preuve, à Liège, dans l'église de Saint-Servais, sur la pierre tombale de Jacques, dit Jacquemin Surlet, décédé le jour de la fête de St-Martin 1431, et à Cuttecoven, au comté de Looz, sur celle de sa soeur Marie, femme de Jean de Cuttecoven, dit de Looz, licencié in utroque jure et avocat à la Cour de Liège.

Ces deux arrière-petits-enfants de Radoux Surlet dormaient leur dernier sommeil sous des blasons ( d'or) au sautoir ( de gueules ) chargé d'un écu losangé (d'argent et d'azur) au chef (de gueules) plein.

Celui de Jacques était timbré d'un casque surmonté, comme cimier, d'un buste d'homme habillé de l'écu, sans le surtout.

Enfin, le fils du grand mayeur de Jean de Flandre, Jean Surlet, dit de Lardier, le beau chevalier dont Hemricourt parle avec tant de complaisance, l'auteur de la branche puînée, la plus illustre des trois, eut successivement deux sceaux à ses armes. Le premier, dont il se servait alors qu'il n'était encore qu'échevin de Liège, porte le sautoir brisé en coeur d'une macle (prise dans le blason de sa Mère, N. de Lardier, dont la famille portait d'or à la fasce de gueules accompagnée de trois macles d'azur). Devenu chevalier, il se fit graver un autre sceau mentionnant sa nouvelle dignité et substituant une fleur de lis à la macle empruntée aux Lardier.

Hemricourt ne connut que ce dernier, car il dit que « Monssaingnor Johan de Lardier, chevalier, esquevin de Liége, portoit d'oir à on satoir de geules, à une fleur de lis d'argent ».

Deux des fils de Jean de Lardier laissèrent postérité. L'aîné, Jean Surlet, bailli de Hesbaye et seigneur de Chokier par sa femme, fille aînée de Gérard de Hozémont, mourut avant son père.

Nous connaissons les armoiries de deux de ses arrière petits-enfants: Jean, sire de Chokier, tréfoncier de Liège et prévôt de Maeseyck, dernier mâle de ce rameau, mort le 12 mars 1446, et sa soeur Elisabeth, XVIIe abbesse du Val-Benoît, qui survécut à son frère jusqu'au 7 février 1451. La tombe de l'un se trouvait dans la chapelle de Saint-Luc, à la Cathédrale; l'autre gisait au Val-Benoît, dans l'église abbatiale. Le héraut d'armes van den Berch, qui nous a conservé leurs deux épitaphes, y renseigne deux blasons, l'un et l'autre aux armes pleines de Hozémont, sans brisure.

Thibaut de Lardier, le frère puîné du bailli de Hesbaye remplaça la fleur de lis d'argent du blason paternel par un écu aux armes d'Ochain: de gueules à deux léopards d'argent l'un sur l'autre, sans doute en souvenir de son aïeule maternelle, Catherine d'Ochain, première femme de Gilles delle Cange. Ainsi modifiées, ses armes furent gravées, en 1370, sur sa tombe, dans l'église du couvent des Dominicains.

Vers le milieu du XVe siècle, et vraisemblablement à partir du moment ou la seigneurie de Chokier, l'antique domaine des Hozémont, entra dans leur rameau, les descendants de Thibaut de Lardier abandonnèrent le surtout aux armes d'Ochain et adoptèrent l'écu, non brisé, du feu prévôt de Maeseyck.

On en trouve la preuve à Ulbeek, sur la tombe de Jean Surlet, seigneur d'Aldenhoven et maître de Liège en 1441, dont l'épitaphe armoriée nous est connue par deux copies du héraut van den Berch. Et si le neveu de ce personnage, Henri Surlet, seigneur de Guygoven et vicomte de Colmont, se crut, en sa qualité de cadet de quatre frères, obligé de briser son sautoir d'une étoile à six rais, son exemple ne fut même pas suivi par ses filles.

Dès lors, le recès donné par les bourgmestres de Liège le 2 octobre l620 allait devenir l'exacte expression de la vérité, et les armoiries des derniers Surlet devaient rester ne varietur, d'or, au sautoir de gueules, ayant, comme Cimier, un buste d'homme habillé des armes de l'écu.

Dans la suite, elles personnifièrent si bien le célèbre lignage, que ce furent elles que s'empressèrent successivement de s'adjuger les familles de Chokier et Thonnar de Chokier, quand elles se mirent à prétendre qu'elles descendaient en ligne directe et masculine des anciens seigneurs de Chokier du nom de Surlet.

Léon Naveau

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