MANUSCRIT DE MIL HUIT CENT DOUZE
CONTENANT LE PRECIS
DES ÉVÉNEMENTS DE CETTE ANNÉE
POUR SERVIR À L'HISTOIRE DE L'EMPEREUR NAPOLEON
par Agathon Jean François baron Fain
son secrétaire-archiviste à cette époque
1827
Volume complet sur googlebooks
CHAPITRE IX.
RÉPONSE DES RUSSES APPORTÉE PAR LE BARON DE SERDOBIN. - NOTE DE M. DE KOURAKIN. MISSION DE M. DE NARBONNE. - DÉPART DE NAPOLÉON.
Sur ces entrefaites, la réponse si longtemps attendue de Saint-Pétersbourg arrive enfin. C'est le baron de Serdobin, attaché à la légation russe, qui en est porteur. Le 24 avril, deux heures après la réception de ses lettres, le prince Kourakin se rend auprès du duc de Bassano, et lui annonce que la Russie exige pour condition préalable de toute négociation que les armées françaises évacuent la Prusse et se rutirent derrière le Rhin.
Ceux qui dirigent le cabinet de Saint-Pétersbourg ont sans doute calculé qu'en adressant à Napoléon une pareille sommation, on lui arracherait infailliblement la déclaration de guerre dont l'empereur Alexandre ne veut pas prendre l'initiative.
Il n'est guère possible, dit le duc de Bassano à l'ambassadeur, « que, dans les circonstances actuelles de l'Europe, votre proposition ne soit pas considérée comme offensante. Votre maitre méconnaît le caractère de la nation française et celui de son souverain. Nous faire une telle demande, c'est nous blesser encore plus que par un refus positif de négocier. Ne vous trompez-vous pas sur le sens des instructions que vous venez de recevoir? »
Le prince Kourakin insiste; il assure que ses ordres sont formels , et sollicite une audience de l'empereur. On lui Iaisse deux jours de réflexions.
Ce n'est que le 27 avril qu'il est admis aux Tuileries; dans cette audience, Napoléon se contient assez pour éviter l'éclat qu'on attend de lui. Il renvoie l'ambassadeur au ministre pour la discussion des propositions de la Russie. Mais le duc de Bassano a l’ordre secret d'éviter toute explication. Après avoir entendu, le 28, M. de Kourakin, il ne lui accorde plus de conférence.
Deux jours se passent ainsi. Cependant, le 30 avril, l'ambassadeur russe prend le parti d'adresser par écrit ses conditions; elles méritent d’être consignées ici.
La Russie exige expressément:
L'évacuation des états prussiens et de toutes les places fortes de la Prusse;
La diminution de la garnison de Dantzick;
L'évacuation de la Poméranie suédoise,
Et la conclusion d'un arrangement avec la Suède.
Quand ces demandes seront accordées par la France, la Russie répondra d'une manière satisfaisante sur les quatre points en litige:
1° Sans renoncer au commerce des neutres elle maintiendra les mesures prohibitives contre le commerce direct avec l’Angleterre
2° On conviendra du système de licence à introduire en Russie, a l'exemple de la France;
3° Ou traitera par un arrangement particulier des modifications à faire au tarif des douanes russes dans l'intérêt du commerce français;
4° Enfin, ou conclura un traité d'échange du duché d'Oldenbourg contre un équivalent convenable 1. (1 L'empereur Alexandre sentait bien que les griefs avoués ne portaient que sur des accessoires. (M. de Buturlin, tom Ier. Pag. 71.)
Une résolution tellement prononcée de la part des ministres russes, et soutenue d'une manière si obstinée, semble ne plus laisser d'espoir de s'entendre, Dès ce moment la guerre est décidée entre les deux cabinets mais elle ne l'est pas encore entre les deux monarques. Le soin avec lequel Napoléon vient d'éviter de rien compromettre, indique déjà l'arrière-pensée qui l'occupe. Mettant de côté M. de Kourakin et ses notes, il en a appelé directement à l'empereur Alexandre. Le 25 avril, le lendemain de l'arrivée de M. de Serdobin, dès qu'on a su les premiers mots de la réponse du cabinet russe, l'ordre de partir pour Saint-Pétersbourg a été donné à M. le comte de Narbonne, le même qui, tout récemment, était à Berlin. Les dernières ouvertures entamées à Londres out fourni le prétexte qui couvre le message de cet aide de camp diplomate. Il va communiquer au cabinet russe les pièces de la correspondance anglaise. C'est un dernier égard que nous voulons avoir pour les stipulations de Tilsit. L'empereur Alexandre, dit-on dans la note officielle, y prendra part, ou comme ami de Ia France, ou comme allié de l'Angleterre. La vraie mission de M. de Narbonne est toute confidentielle; c'est la continuation de celle de M. de Czernicheff, qui parait avoir été mal remplie. On saura enfin si l'empereur Alexandre peut encore être arraché à l'influence qui le domine, ou s'il est décidément gagné contre nous.
Cependant le mois du mai est commencé; un rendez-vous a été donné à l'empereur d’Autriche à .Dresde; il faut s'y rendre, et Napoléon part le 9. Il va se rapprocher de ses armées; mais le séjour qu'il se propose de faire dans la capitale de la Saxe, peut encore donner le temps à M. de Narbonne de prévenir les hostilités.
|