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Le Perron de Liège

Les Perrons liégeois
APPENDICE IV du Précis d'Histoire Liègeoise.

par F Magnette

Le peron de Liège - Godin

L'origine du mot de Perron (ou Peron) (1): on s'accorde généralement à la trouver dans le mot latin peira, pierre, par extension, bloc taillé; plate-forme de pierre à degrés. Le nom de perron, pierre, est à rapprocher du mot anglais pier (ou pyre).signifiant jetée, mais aussi pile de pont pilier, colonne.

En effet, l'un des éléments primordiaux et des plus anciens des perrons est la base, le socle sur lequel se dresse une colonne.

Le perron de Liège peut se décomposer, en outre de la pierre primitive, en cinq éléments attribuables à autant de périodes distinctes.

1° La colonne, d'origine germanique ou païenne.

2° La pomme de pin, due à une influence gallo-romaine.

3° La croix, dont l'apposition sanctifia le maintien ou l'introduction du Perron dans la société chrétienne.

4° Les lions et la couronne, qui datent de la féodalité.

5° Le groupe des trois grâces, qui représente l'art du XVII siècle.

Pour ce qui est du socle, généralement en forme d'escalier, il faudrait y voir la survivance des anciennes « pierres de justice » analogues aux « arbres de justice », où siégeaient en plein air, conformément au vieil usage germanique, les titulaires des juridictions locales. (Piot, Borgnet, Goblet d'Alviella, Kurth).

Les perrons étaient fort probablement, à l'origine, comme des croix haussées sur des degrés ayant pour objet de symboliser une juridiction et ces croix de juridiction ne doivent être elles-mêmes que « la forme donnée depuis un temps immémorial aux mégalithes qui, dans l'époque barbare, servaient de lieu de juridiction et de siège aux tribunaux » (Kurth). Ces mégalithes étaient des points de repère consacrés par la croyance de l'époque, autour desquels devaient se tenir les assemblées des hommes libres, se traiter les affaires communes, s'ouvrir les marchés et se prononcer les jugements (Goblet) (2).

La colonne est un élément d'un emploi général dans les perrons. Ce prolongement du socle primitif vient de ce que l'on jugea un jour à propos d'ajouter à celui-ci, pour renforcer ou justifier le prestige qui s'attachait aux pierres de juridiction, un symbole évoquant d'une façon plus directe l'image de l'autorité supérieure, laïque ou non, qui était censée présider aux décisions, sanctionner les jugements, recevoir les serments, etc. (Goblet).

La croix avait également une signification symbolique; son adjonction répondait à ce trait propre au moyen âge qui était la tendance à « imprégner d'un caractère religieux la réalisation de tous les rapports sociaux ». Cette croix se comprenait d'autant mieux dans les pays qui, comme celui de Liège, étaient soumis à la double juridiction, temporelle et ecclésiastique, d'un souverain épiscopal. Le perron indiquerait même, a-t-on pensé, avec sa colonne et sa croix, la juxtaposition des deux pouvoir. Quand l'Eglise s'introduisit chez les populations barbares, ne planta-t-elle pas partout des croix pour marquer sa prise de possession? Cet emblème, de même que les lions, les écussons armoriés, les animaux héraldiques agrémentant souvent la colonne, marquait l'empreinte de la féodalité, ne fut qu'un complément ou le sceau qui imprima une valeur chrétienne à un assemblage de symboles préexistants (Goblet).

La croix surmontait la pomme de pin. Il semble que celle-ci ait été introduite au XIIIe siècle, en remplacement d'une boule, et il faudrait la considérer comme un simple ornement d'inspiration gallo-romaine, que, du reste, les sculpteurs de tous les temps ont utilisé dans leur art décoratif, en lui attribuant toujours une signification symbolique. Mais il est impossible de donner à celle-ci un sens exact.

Sur le fût de la colonne s'aperçoit un anneau de pierre. Voici l'explication ingénieuse qu'on en a donnée. Quand un ouragan eut renversé, en 1448, leur Perron, les Liégeois rassemblèrent pieusement les débris de la vieille colonne qui s'était rompue par le milieu et les rajustèrent à l'aide d'un anneau qui, reproduit ultérieurement en pierre, a fait partie intégrante du monument à travers toutes ses restaurations ultérieures (E Polain).

Qu'ont donc été les perrons? Ils ont été par essence des instruments et des emblèmes de juridiction, lis ont servi, quelles qu'en ont pu être les variantes antérieures, à symboliser tantôt la souveraineté du prince, tantôt les privilèges ecclésiastiques, surtout et enfin les franchises communales. Car ils eurent, à un moment donné, quand l'établissement des Communes érigea un pouvoir rival à côté de celui des princes et de leurs cours de justice, cette fortune singulière de devenir à leur tour, subissant une dernière évolution, au début du XIVe siècle (1303), la symbolisation des libertés publiques, une sorte de palladium vénéré par le peuple (3).

C'est sur les marches des perrons que partout on faisait les proclamations officielles, les élections des bourgmestres et des jurés, qu'on lisait à haute voix les édits du prince. Ces cérémonies s'appelaient le cry du peron. C'était là également que, suivant les localités, s'accomplissaient les ventes à l'encan, les adjudications publiques, certaines formalités relatives à des transmissions de propriété, en un mot les diverses opérations qui exigeaient une publicité étendue; là également qu'on dénonçait les crimes contre la chose publique, qu'on proclamait les sentences de bannissement, etc.

La plus ancienne mention et représentation à la fois du perron, dans la principauté de Liège, se rencontre sur les monnaies de l'évêque Raoul de Zaehringhen (1167-1191). Les autres représentations figurées du perron liégeois ont varié à travers les siècles.

On pense que ce n'est qu'au début du XIVe siècle (vers 1305) que le Perron aurait été placé sur une fontaine qui ornait depuis 1287, ou même antérieurement, la place du Marché. Renversé par un ouragan en 1448, relevé ensuite, ii fut transféré à Bruges en 1467 par Charles le Téméraire, vainqueur des Liégeois (voir plus haut, page 147). Restitué à sa mort en 1477, remis à neuf en 1570, il fut de nouveau renversé par une tempête en 1693. Ii est aisé de comprendre qu'au milieu de tant de vicissitudes, le Perron ait subi bien des changements d'aspect. Aujourd'hui, dit M. Kurth, celui qui se dresse à Liège n'est qu'une imitation moderne de l'ancien Perron. - C'est le grand statuaire J. Del Cour qui fut l'auteur de la dernière ordonnance de la fontaine qui surmonte le Perron actuel. On lui doit le groupe des Trois Grâces que domine la pomme de pin et la croix et par lequel il remplaça les trois paillards primitifs. Après la reconstruction en marbre de la fin du XVII siècle, on dut, en 1719, renouveler les bassins. « Finalement, le monument a été en 1848 rétabli tel qu'il se présente à nos yeux aujourd'hui» (Demarteau).

On a pu relever la présence ou du moins la trace d'une quinzaine de perrons dans la province de Liège, de six dans le Limbourg, de quatre dans la province de Namur (4). De ces monuments, quatre ou cinq seulement restent debout.

Citons ceux de Theux (encore existant; le plus ancien est de 1456), de Sart-lez-Spa, 1457 (encore existant), de Spa, de Jalhay, de Verviers (encore existant), de Stavelot (encore existant), de Maestricht (1454), de Saint-Trond (1362), Limbourg, Herve (1407), Huy (1235), Thuin (1372), Namur (Perron de Saint-Aubin), Cerfontaine, Liernu, Aische-en-Refail, Meeffe. On en a signalé également dans les communes de Chaudfontaine, Chênée, Jupille, Statte, Wanze, Warzée, Waret-l'Evêque; - Hasselt (1461), Looz (1461), Maeseyck (1566); - Malmedy.

On a pu rapprocher des perrons des parties wallonnes et allemandes des anciens Pays-Bas, les perrons ou Steenen, ou Steene Mannen, de certaines localités flamandes, telles qu'Alost, Audenaerde, désignant, là aussi, des lieux de juridiction. Enfin les colonnes de nos perrons ont pu être fort légitimement rapprochées des colonnes de Roland, Roland­säulen, érigées dans une cinquantaine de localités saxonnes, ainsi que des Markett Cross, ou croix de marchés qui, dans de multiples cités d'Ecosse (Edimbourg, Glascow, Dundee, Aberdeen, etc.) jouent un rôle absolument identique à celui de nos perrons et, avec leur plate­forme en escalier, leur pilier surmonté d'une croix ou d'une calotte, rappellent visiblement la forme si curieusement caractéristique de nos monuments symboliques.


(1) Le mot s'est écrit aussi Péron, Peiron, Pairon, Piéron (dans le latin du moyen âge, pero, onis).

(2) Il y avait de simples pierres de justice, vestiges des mégalithes, à Saint-Gérard (Namur), à Tournai, à Biévène (Enghien), à Namur surtout.

(3) Sous Ferdinand de Bavière, le parti des Grignoux affecta de regarder la pomme de pin comme le symbole de l'union qui devait régner entre les citadins de Liège contre les entreprises de l'autorité épiscopale (Naveau.) Pour F. Henaux, la pomme symbolisait pour la Cité une « existence unie, mais distincte ».

(4) On en rencontre encore dans les villes voisines de notre frontière qui font aujourd’hui partie des provinces rhénanes.

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