Extrait de "Deux plans anciens du palais de Liège" par R. Forgeur dans le vieux Liège.
Le premier plan dessiné à l'encre de Chine et colorié au lavis, n'a ni échelle ni rose des vents. Au revers, se lit l'inscription: « plan du premier estage ». Le papier mesure 27 centimètres sur 48,8. L'écriture et la manière de dessiner indiquent clairement que le plan date de la fin du 17e ou du début du 18e siècle. Il est certainement antérieur à l'incendie de 1734 qui devait entrainer de fortes modifications aux constructions du palais.
A ma connaissance, ce plan est le seul qui soit antérieur aux grandes transformations du 18e siècle et qui nous montre le palais dans un état assez proche de son aspect originel. En effet, depuis son achèvement au 16e siècle, le palais n'avait plus guère été modifié considérablement; au 16e siècle, il était neuf; au 17e siècle, les princes de la maison de Bavière habitaient tous Arnsberg en Westphalie ou Bonn. Jean‑Louis d'Elderen fut plongé dans les difficultés financières dues aux guerres de Louis XIV, Joseph-Clément de Bavière avait été expulsé de ses états par l'empereur et Georges-Louis de Berghes venait de monter sur le trône lorsque l'incendie de l'aile sud survint. Peu de temps après, les ruines de cette aile furent abattues pour faire place à l'aile sud que l'on voit de nos jours place Saint-Lambert, édifiée vers 1740.
Notre plan indique la disposition des locaux avant ces travaux importants au moment où se dressait encore la façade édifiée sous Jean de Heinsberg, connue par la célèbre gravure de Jean Blaeu, de 1627. (2)
Cette aile se composait essentiellement de l'ouest vers l'est, soit, sur le plan, de gauche à droite, de deux salles rectangulaires, une salle polygonale attenante à une grande chapelle à choeur polygonal lui aussi dont l'autel est indiqué sur le plan. A côté une vaste salle de 30 mètres de long environ, puis l'escalier appelé royal, deux rangées de quatre salles et la chapelle du prince.
La galerie de la première cour était encore surmontée de la grande galerie du premier étage, conçue comme telle, dès les origines du palais mais déjà à l'époque du plan on avait trouvé utile de ne pas perdre cette grande superficie et d'en tirer le meilleur parti possible. L'aile occidentale est partagée en six salles, numérotées de 1 à 6. Au 18e siècle, cette aile était réservée aux échevins, à leurs salles d'audience et leurs cabinets et l'aile portait généralement le nom d'« aile des échevins ». Ceux-ci s'étaient établis au palais vers 1600 avec l'autorisation provisoire d'Ernest de Bavière qui leur avait concédé la « moitié de la grande salle ». Est-ce l'aile occidentale ou la grande salle de l'aile sud dont j'ai déjà parlé qu'on leur aurait reprise par après ?
Pareillement l'aile orientale de la première cour avait été modifiée. On avait partagé ses salles en neuf autres dont cinq portent un chiffre sur le plan. Le long de ces salles, la grande galerie avait été non pas morcelée mais isolée des autres galeries afin de la transformer en une salle démesurément longue pour sa largeur. Aux deux petits côtés de ce local, au milieu des murs, se voient deux dessins en forme de trèfles à trois feuilles, dont la tige traverse l'épaisseur de la muraille. Je pense qu'il s'agit de poêles de faïence comme on en faisait alors fréquemment en Europe centrale et dont un prince de Bavière a probablement introduit l'usage chez nous. Ces poêles étaient alimentés par des bûches de bois que l'on introduisait par une bouche percée dans la muraille à laquelle le poêle est adossé. Le mur était donc percé de part en part comme le plan l'indique. Cette vaste salle semble avoir servi au 18e siècle, de salle à manger. De nos jours elle est appelée « galerie de la cour d'assises ».
A trois angles de cette première cour, s'élevaient encore trois tours dominant les toitures du palais. Celle de l'angle nord-est, où se trouve de nos jours le cabinet du procureur du roi, s'écroula sous le prince Charles d'Oultremont, victime du manque d'entretien et peut-être, de malfaçon, et ne fut jamais réédifiée. Les deux autres, celles de l'occident, construites aux deux extrémités de l'aile des échevins sont bien visibles sur le plan; elles contenaient alors deux grands escaliers. Datant de la construction d'Erard de la Marck, et percées de fenêtres gothiques à accolades elles furent abattues par l'architecte Delsaux, vers 1848 pour édifier l'actuel palais provincial.
Cet étage de la première cour était accessible par cinq escaliers et doté de sept lieux d'aisance.
On notera que le nombre de fenêtres n'a pas été représenté très correctement. Au lieu de 16 fenêtres à l'aile nord, façade vers la cour, il en faut 17. Cette aile est la seule qui ait conservé ses fenêtres gothiques anciennes, sans changement aucun. L'aile sud a perdu deux fenêtres, remplacées par une seule, au‑dessus du grand porche d'entrée.
L'étude de la seconde cour nous retiendra beaucoup moins. Son plan affecte en réalité la forme d'un trapèze et non d'un rectangle, cantonné aux quatre angles d’un large escalier. Les ailes nord et sud étaient encore composées d'une seule vaste salle. Celle du sud avait servi de grande salle à manger lorsque Erard de la Marck y recevait. Au 18e siècle, on y séchait la lessive; celle du nord, marquée Z sur le plan devait être convertie en billard par les derniers évêques et abriter, de nos jours, la bibliothèque des avocats.
L'aile orientale contenait les cuisines et leurs annexes au rez-de-chaussée, différents logements du personnel et des pages aux étages.
En résumé, nous pouvons affirmer que ce plan, malgré ses lacunes évidentes et la perte du texte auquel il se rapportait, est d'une importance capitale pour connaître le palais de Jean de Heinsberg et d'Erard de la Marck. Il est le seul connu, antérieur à l'incendie de 1734 et aux grandes transformations subséquentes. Il soulève des problèmes non résolus mais permettra une meilleure intelligence des textes décrivant le palais.
Un des problèmes en suspens reste l'identification de la grande salle du premier étage, placée entre la chapelle et l'escalier royal. Citée sous Ernest de Bavière et sous Joseph-Clément de Bavière qui voulut la convertir en théâtre, elle n'était peut-être pas affectée à un usage bien défini. Juste en dessous, se trouvaient les locaux affectés au Conseil ordinaire, situés entre le grand porche et l'escalier royal. L'incendie de 1734 qui anéantit ces locaux nécessita une description de l'état des lieux, très précieuse pour la connaissance du palais (3). Réédifiés vers 1740 ces beaux locaux abritent de nos jours le Parquet général.
R. FORGEUR
1. Figure 1, conservé aux Archives de l'État à Liège, sous le numéro 273. Sa provenance est inconnue. Il est probable qu'il appartint aux archives de la Chambre des comptes.
2. Publiée entre autres par T. GOBERT, Liège à travers les âges, t. 4, p. 405. Liège, 1926. Cette gravure est entachée de pas mal d'erreurs, notamment en ce qui concerne le nombre de fenêtres et la galerie orientale de la deuxième cour.
3. M. YANS, L'incendie du palais de Liège en 1734 dans La vie wallonne, t. 33 (1959), p. 178 - 183.