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Notre Dame aux Fonts à Liège

La première église de Liège - l'abbaye de Notre-Dame

par J Demarteau

Lettre à M. Godefroid KURTH -Président de la section d’histoire de la Société d'Art et d'Histoire du diocèse de Liège

« Notre-Dame et saint Lambert! ,

(Devise et cri de guerre des Liégeois).

MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

Dans une de ces causeries familières, qui font l'agrément et l'utilité pratique des réunions de la Section d'histoire de notre Société, j'avais relevé quelques faits qui autorisent, suivant moi, les Liégeois à penser que le plus ancien oratoire élevé en leur ville fut une chapelle de la Vierge Marie.

Je n'ai pas eu l'heur d'amener tous ceux qui m'écoutaient à partager sur ce point une croyance qui ne repose, d'ailleurs, que sur des présomptions, des inductions et des textes plus ou moins discutables. Votre adhésion entre autres a fait défaut à divers points de ma thèse. Vous m'engagez cependant à reprendre cette thèse, et, parce qu'en lui-même le problème est de ceux qu'il y aurait profit pour l'histoire à s'efforcer de résoudre, et, parce qu'en le discutant, j'ai du moins, pensez-vous, dissipé l'erreur dans laquelle nos écrivains nationaux ont versé jusqu'à ce jour, en confondant une institution abolie chez nous au XIIIe siècle, l'antique abbaye de Notre-Dame, avec cette église baptismale de Notre-Dame-aux-Fonts, fermée seulement par la Révolution francaise.

Je défère à votre appel, mon cher Président, et voici ce que je vais tâcher d'établir:

Une petite église, vraisemblablement paroissiale, existait au hameau de Liége avant la fin du VIle siècle, avant le martyre de saint Lambert.

C'est cinq cents ans plus tard qu'on a commencé à prétendre que cette église était une chapelle des saints Cosme et Damien.

Il y a bien plus de raison de croire qu'elle était dédiée à Notre-Dame, et pour justifier cette croyance, on peut invoquer: le fait que si la cathédrale de cette ville a été, peu après l'an mil, dédiée à la mère de Dieu autant et plus qu'à saint Lambert, cette double dédicace ne répondait pas seulement au double patronage sous lequel était placé le diocèse, mais aussi à une situation et à des traditions locales plus anciennes; l'existence jusqu'au XllIe siècle de l'abbaye de Notre­Dame de Liége, l'antiquité de cette institution, son rétablissement après les pillages normands, l'importance de ses revenus et des charges attachées à la fonction d'abbé; la haute position, l'influence et les oeuvres de ceux qui se succédèrent dans cette dignité; la façon dont on constitua, au moyen de ses prébendes, ce collège des chanoines dits de Saint-Materne rattaché, pour le service du culte, au chapitre même de Saint-Lambert; enfin, après la suppression de l'abbatialité, le caractère et l'étendue des attributions dont héritèrent soit le prévôt de Saint-Lambert, soit l'église baptismale et archidiaconale de Notre-Dame­aux-Fonts.

Notre-Dame et saint Lambert est le cri national de nos pères. C'est aussi l'indication, dans l'ordre le plus vraisemblable, des deux premiers sanctuaires édifiés à Liège.


I.

QUE LA PLUS ANCIENNE ÉGLISE DE LIEGE NE FUT PAS SAINT-LAMBERT.


Nous serons d'accord en commençant pour reconnaître que le premier oratoire de Liége ne fut pas Saint­Lambert.

La source la plus sûre pour l'histoire du saint de ce nom est la biographie écrite par un contemporain; la version la plus digne de foi de cette biographie est celle que nous trouvons dans un manuscrit, contemporain aussi, manuscrit du VIIIe siècle, conservé à la Bibliothèque nationale de Paris. Je vous dois d'en avoir pu reconnaître l'importance et publier le texte, pour les Bibliophiles liégeois et les amis de notre histoire. D'après ce texte, quand saint Lambert se trouve à Liége, Leodium, où le martyre viendra l'atteindre, il y habite non de passage ou par hasard, mais chez lui, à demeure, au sein d'une vraie communauté, avec une réunion assez considérable formée de ses neveux, de clercs, de disciples et de serviteurs. Un de ceux-ci fait même la garde chaque nuit pour la sécurité des autres. Chaque nuit aussi, tous interrompent leur sommeil pour aller chanter l'office ensemble. On les sait si nombreux, que pour triompher d'eux par surprise, les assassins du martyr arrivent avec toute une petite armée, disposée en plusieurs corps (1).

Ce séjour d'un évêque dans un humble hameau n'était pas une exception pour le temps, ni une nouveauté pour saint Lambert: les historiens et les poètes de l'époque mérovingienne, Grégoire de Tours et Fortunat par exemple, mentionnent et décrivent fréquemment des maisons de campagne d'évêque; Lambert lui-même avait été élevé à Wintershoven, une obscure bourgade du pays tongrois, à l'école de Landoald, au milieu d'une petite colonie de saints. Liége avait peut­être remplacé Wintershoven, comme école épiscopale, - nous dirions aujourd'hui comme petit séminaire; la communauté de Leodium aurait été, dans son isolement, ce qu'est encore aujourd'hui Saint-Roch pour notre diocèse.

Séminaire, maison de plaisance ou l'un et l'autre à la fois, Leodium, pour recevoir l'évêque et sa suite, et pour leur permettre de célébrer les saints offices, devait avoir son église, l'avait peut-être depuis trente ans qu'y venait saint Lambert; car on évalue à ce temps la durée de son épiscopat, et vous savez qu'à peine nommé évêque, peut-être un peu avant, c'est à Leodium qu'il avait ramené le corps de son maître et prédécesseur, saint Théodard, tué dans le Biwalt par des brigands.

Nous avons pour garants de cette translation, d'abord l'affirmation de l'auteur de la vie de saint Théodard; et j'espère avoir prouvé, ailleurs (2), que cet auteur est l'un de nos plus sûrs historiens du Xe siècle, Hérigère - ensuite ce fait que les restes mortels de saint Théodard n'ont jamais reposé autre part qu'en notre ville. Saint Hubert, en effet, quand il quitta Maestricht pour Liège, n'emporta de là que le corps de saint Lambert, il laissa les autres trésors sacrés du diocèse aux églises maestrichoises elles les conservent encore. Si donc nous trouvons ici les reliques de Théodard, si le biographe contemporain de saint Lambert emploie même le pluriel pour parler des « pontifes et martyrs » dont Liége garde le tombeau (3), c'est que Liége possédait ces restes de saint Théodard avant que n'y vînt saint Hubert, puisqu'on ne connaît de ces reliques que la translation faite par saint Lambert.

Pourquoi ce dernier, d'autre part, avait-il choisi Leodium pour recevoir les dépouilles de son maître? Peut-être parce que Théodard lui-même avait habité, aimait Leodium; et peut-être parce qu'on l'y enterrait, comme d'usage pour les évêques du temps, dans une église, auprès d'une communauté érigées par lui.

A supposer ces conjectures aussi peu fondées qu'elles sont vraisemblables, encore reste-t-il absolument certain qu'au temps de saint Lambert, un oratoire était élevé à Liége pour les offices épiscopaux et j'imagine aussi pour les besoins religieux de ce groupe de hameaux, dont plus tard la réunion devait former la grande ville

Leodium, Publemont, la Sauvenière, Avroy, etc., où les relations contemporaines de saint Lambert et de saint Hubert nous font voir qu'il y avait à la fois des habitants assez nombreux, pêcheurs, agriculteurs, ferronniers peut-être, parmi eux plusieurs aveugles, de petites gens et des notables, seniores loci.

Quelle apparence qu'un évêque, si plein de zèle, eût laissé sans église et sans clergé un lieu ainsi habité, lieu de son séjour fréquent et de l'inhumation de son prédécesseur? Point d'évêque en ce temps qui ne fût inhumé dans une église!

Je n'ai pas besoin d'ajouter que l'oratoire où venait officier saint Lambert devait avoir un autre patron que lui-même. Ce qui n'est pas moins certain, c'est que le saint ne fut pas martyrisé dans cet oratoire, et que la première église bâtie â Liége en son honneur ne remplaça pas cette première chapelle.

Sans doute, le texte du biographe contemporain ne mentionne pas directement l'existence de cette chapelle. Il fait mieux: il la rend incontestable par les détails qu'il donne de la dernière nuit du martyr. Il ne nous dit pas si elle faisait partie du même ensemble de bâtiments que l'habitation du saint: il fait voir qu'elle n'était pas dans le logis particulier de l'évêque. Lambert se lève au milieu de cette nuit et s'en va, solitaire, poursuivre presque jusqu'à l'aurore ses oraisons et le chant des psaumes, ce qui ne se faisait vraisemblablement pas sur le seuil d'un dortoir. A l'approche de l'aube, il revient à son habitation, et frappant du bâton à la porte du dortoir de ses disciples, il les fait lever pour les matines (4). L'office achevé, il revient de nouveau dans l'habitation reversus est domum, et se dispose à prendre quelque repos dans sa chambre à coucher. C'est dans cette chambre qu'on accourt l'avertir de l'approche des assassins, de Dodon et de sa troupe; c'est là qu'au saut du lit, pieds nus, son premier mouvement est de saisir une arme, pour vendre chèrement sa vie; le second, de la rejeter pour attendre le martyre (5). Quand ses neveux ont repoussé la première attaque des assaillants, c'est dans cette chambre qu'ils reviennent le trouver, qu'il les engage à accepter la mort en expiation de leurs péchés; dans cette chambre qu'à leur demande, il ouvre son psautier pour y trouver l'annonce tout ensemble de son martyre et de la vengeance divine; c'est de cette chambre qu'il fait sortir tout le monde, pour s'y prosterner sur le sol et attendre, les bras en croix, le coup suprême des bourreaux; c'est en grimpant enfin sur la toiture de cette chambre à coucher, qu'un de ses assassins découvre le pontife et l'immole (6).

L'habitation où le saint logeait avec ses disciples, et dans cette habitation, sa chambre particulière; voilà donc, et non pas un oratoire, - le théâtre sacré du martyre. Tout cela, mon cher Président, vous-même l'avez déjà mis en lumière dans votre Etude critique sur saint Lambert et son premier biographe (p. 54). Inutile d'insister.

Encore qu'il eût été parlé par les agresseurs d'incendier l'habitation de l'évêque, elle ne fut pas détruite; on ne voit pas même qu'elle ait été pillée par les bourreaux; son lit, son peigne même s'y retrouvent: la chapelle voisine, à plus forte raison, a dû être plus respectée que le logis de la victime. Les assassins, le pontife égorgé, n'avaient pas tardé à s'éloigner, puisque aussitôt après, ceux des fidèles de la petite communauté qui avaient échappé au massacre venaient relever le corps du saint et l'emportaient, par barque, à Maestricht. Là, ce corps est déposé dans le sépulcre du père même de l'évêque.

Bientôt pourtant les prodiges commencent à Liège, non pas dans l'oratoire du lieu, mais dans la chambre à coucher où le saint a péri (7). Cette chambre resplendit d'un tel éclat dans la nuit, que la maison tout entière en semble illuminée. Un peigne y est resté, précieux peigne liturgique sans doute, qu'une femme ose s'approprier: une vision et un châtiment miraculeux obligent la voleuse à restituer.

Une autre vision avertit un aveugle liégeois du nom de Baldigisle, d'aller nettoyer cette chambre; il y retrouve la vue! Un second aveugle, Raganfroid, reçoit le même avis, et celui-là, non moins miraculeusement guéri, s'est, dès ce jour, nous dit le narrateur contemporain, constitué le gardien du lieu sacré (8).

Jusqu'ici, non seulement tout nous montre que le pontife n'a péri ni dans un oratoire ni devant n'importe quel autel, mais rien n'apparaît encore d'une église dédiée à saint Lambert. C'est à la suite de ces merveilleuses guérisons, que les populations entourent d'une vénération croissante l'endroit sanctifié par l'effusion du sang du martyr et commencent à jeter les fondements d'une église en son honneur (9). Une jeune fille étrangère, du nom d'Ode, aveugle aussi, se fait conduire à Liege, y recouvre la vue à la seule approche du « lieu saint »: la maison de l'évêque assassiné. Ce prodige pousse les fidèles à redoubler d'efforts pour achever l'église en construction (10). Mais rien, absolument rien ne permet de croire que ce temple s'élève en remplacement d'un autre; on ne voit pas même qu'il occupe la place de la chambre à coucher, objet de la vénération populaire. Il semble plutôt résulter du texte qu'il faut distinguer de la basilique nouvelle le lieu du martyre, lieu où l'on installe et vénère, en attendant d'autres reliques (11), le lit soigneusement orné du pontife, comme cela s'était fait peu auparavant à Nivelles pour sainte Gertrude.

Plus tard, saint Hubert ramène de Maestricht à Liége, treize ans après l'assassinat, les reliques de son maitre et prédécesseur (12) c'est bien dans cette nouvelle église, qui sera et restera Saint-Lambert ou, comme l'écrit le biographe contemporain de saint Hubert, basilicam sancti martyris Lamberti, qu'il vient les déposer.

Liége, à l'arrivée de saint Hubert, comptait incontestablement deux églises: l'oratoire où saint Lambert avait officié, vraisemblablement église paroissiale de Leodium, et l'église que l'on venait d'édifier en son honneur, où l'on allait conserver les reliques du martyr. Hubert en ajouta une troisième en construisant Saint­Pierre.

Si trois églises pour une localité aussi peu considérable que Liége à cette date, peuvent surprendre quelqu'un, ce ne sera pas vous qui savez ce qu'était alors une église, et comment il ne se fonda presque pas en ce temps d'établissement religieux qui n'en comptât plusieurs.

Ce que les écrivains de l'époque décorent du nom de basilique n'était, le plus souvent, qu'un pauvre petit oratoire, dont ne s'accommoderait plus la moindre de nos congrégations: dimensions fort modestes, architecture plus modeste encore: on peut s'en faire une idée par la crypte, retrouvée naguère, sous l'église de Saint­Servais, à Maestricht. Un siècle après le martyre de saint Lambert, le tout puissant Charlemagne, ne pourra élever dans notre diocèse, à Aix-la-Chapelle, une véritable église, qu'en en faisant apporter les matériaux soit des ruines romaines de Trèves, soit d'au delà des monts d'Italie!

De cette impuissance de l'architecture du VI au VIIIe siècle, vint l'habitude de suppléer par le nombre à l'exiguïté des églises. Là où quelque communauté gardait le corps d'un saint, il devint presque d'usage de construire au moins trois de ces églises: l'une où les pèlerins allaient vénérer les restes du saint, où les malades se faisaient porter, passaient même la nuit couchés sur un grabat devant la châsse ou le tombeau; une autre, réservée aux offices des prêtres et clercs chargés du service religieux; une autre enfin qui servait d'église paroissiale pour l'administration des sacrements aux fidèles du lieu, à quoi l'on joignait parfois une quatrième, chapelle sépulcrale.

Vous savez comme moi, mon cher Président, que saint Amand avait édifié deux couvents, plusieurs églises au village de Gand pagum Gandavum, et qu'à Elnone, où il s'en fut mourir, on en comptait au moins trois: Saint-Pierre, Saint-André et celle qui prit de lui son nom de Saint-Amand, parce qu'après avoir enterré l'apôtre dans l'oratoire de Saint-Pierre, sanctuaire des religieux fort peu vaste et où ne pouvaient être admises les femmes, il fallut, pour ne point gêner la célébration des offices, d'une part, et pour répondre de l'autre à l'affluence des fidèles, transférer les reliques du fondateur dans une chapelle plus large et accessible à tous (13).

Saint Remacle, non content de juxtaposer à peu de distance ses deux couvents de Malmedy et de Stavelot, avait, dans cette dernière localité, élevé pour ses moines une église de Saint-Pierre, et tout près de celle-ci un oratoire de Saint-Martin, où il fut enterré, jusqu'à ce que son troisième successeur transférât ses reliques dans l'église conventuelle, près de laquelle devait s'élever ensuite l'église paroissiale dédiée à saint Sébastien (14).

De même avaient fait d'autres fondateurs de la même époque, saint Ursmer à Lobbes, où proche de l'église de Saint-Pierre, généralement réservée aux religieux, il érige l'église paroissiale de la Vierge Marie (15); et plus loin sainte Aldegonde, à Maubeuge, où elle bâtit tout ensemble une église monastique dédiée à la Vierge et aux saints Pierre et Paul, une église paroissiale dont elle assura la dotation et qu'elle avait dédiée à saint Quentin, enfin une église de Saint-Maurice, à la fois chapelle particulière de l'abbesse, des soeurs converses et des gens de service (16).

A Nivelles, on comptait déjà, du temps de saint Hubert, pour le moins quatre églises: Saint-Pierre, où furent déposées sainte Gertrude, sa mère sainte Itte, et celle qui succéda la première à Gertrude, l'abbesse Wulfetrude; Saint-Paul, où l'on avait placé le lit de Gertrude, comme une précieuse relique; Sainte-Marie où la communauté célébrait ses offices, enfin la quatrième, élevée en l'honneur même de la fondatrice, peu de temps après sa mort (17).

A Andenne, c'était bien mieux: sainte Begge, la soeur de Gertrude, la diocésaine et la contemporaine de saint Lambert, y avait, pour un seul couvent, et pour une petite localité, élevé à la fois sept églises qu'on y vit subsister jusqu'au siècle passé. Et cette septaine d'églises pour une seule personne, voire pour une seule institution religieuse, n'était pas une exception: sainte Berte, non contente de donner trois églises à son couvent de Blangy, en Artois, avait tenu à en bâtir sept autres en l'honneur de saint Martin (18). Sainte Salaberge, abbesse de Saint-Jean-de-Laon, morte en 655, en avait, comme sainte Begge, construit sept pour un seul monastère de religieuses (19).

Dans notre diocèse, autour de Notre-Dame de Huy, se dressaient plusieurs petites églises dont l'origine se perd dans l'obscurité des temps mérovingiens. Que voyons-nous alors aux portes de Liége? D'un côté, le village de Herstal a déjà sous le pontificat de saint Hubert, son église paroissiale de Notre-Dame, et sa chapelle commémorative d'un miracle de saint Lambert. De l'autre, Chèvremont réunit dans l'enceinte fortifiée qui couronnait sa montagne, une église de Notre­Dame encore, une église de Saint-Jean et un troisième sanctuaire.

Il n'y avait donc rien d'extraordinaire à ce que Liége où les évêques du diocèse allaient définitivement s'installer, Liége, où les pèlerins affluaient de plus en plus au tombeau d'un martyr, eut comme tant d'autres localités moins importantes, ses trois basiliques: une église pour ce tombeau, pour ces pèlerins et pour les ecclésiastiques, fratres, chargés de recevoir ceux-ci et de veiller au culte de celui-là; une église pour servir de cathédrale, et j'incline à penser que cette cathédrale fut d'abord Saint-Pierre, où nous voyons célébrer les funérailles de saint Hubert; une église enfin pour le service paroissial, pour l'administration des sacrements, notamment de ces baptêmes solennels des grandes fêtes de l'année auxquels on verra Charlemagne assister dans notre diocèse, au témoignage d'une lettre adressée par lui à notre évêque Gerbald, et où il interrogeait les parrains sur le Pater et le Credo (20): l'existence de cette première église paroissiale de Liége semble d'autant plus certaine que nous n'avons pas le moindre indice que Saint-Lambert ou Saint-Pierre aient jamais tenu lieu de paroisse.

Sans doute, une basilique de Sainte-Marie n'est mentionnée ni dans la lettre de Charlemagne à Gerbald: - l'empereur n'indique pas la localité où il a fait la constatation dont il se plaint; ni dans les vies contemporaines de saint Hubert et de saint Lambert. Sous le pontificat du premier, il n'y avait à Liége qu'un seul oratoire : à quoi bon le désigner par un nom de patron? Quant à saint Hubert, son plus ancien biographe ne nous nomme que la basilique qu'il avait aidé à fonder: Saint-Lambert, et celle que seul il avait édifiée, Saint-Pierre; mais il ne nous dit pas que Liege n'en comptait pas d'autres, ni que Hubert les ait visitées toutes, quand, averti de sa fin prochaine, l'évêque va prier au sépulcre de son prédécesseur, et se recommander aux pieux souvenirs des gardiens, puis désigne, dans la basilique de Saint-Pierre, dans sa fondation, l'endroit où il désire être enterré (21).

Les textes les plus anciens démontrent donc l'existence d'un oratoire antérieur à Saint-Lambert et à Saint­Pierre. On ne peut opposer à l'attribution du patronage de sainte Marie à cette chapelle aucun document primitif. Il n'y a contre elle que la légende tard venue, d'après laquelle ce premier oratoire de Liege aurait été consacré aux saints Cosme et Damien. Voyons ce que vaut cette légende.


II.

QUE LA PREMIÈRE ÉGLISE DE LIEGE N'A PAS ÉTÉ UN ORATOIRE DES SAINTS COSME ET DAMIEN.


Ce qu'ont répété à l'envi, sans jamais remonter à la source de leur récit, les historiens liégeois des derniers siècles, c'est que le premier oratoire érigé sur le sol de Liege, fut un oratoire des saints Cosme et Damien: il avait été, nous disent-ils, élevé par saint Monulphe, évêque de ce diocèse; vers 558, ce saint avait été, à la vue du val solitaire encore de la Légia, le prophète du martyre de saint Lambert et des grandeurs de la ville à venir, et avait construit soit sur l'emplacement, soit comme monument de sa prophétique vision, cette chapelle commémorative que la cathédrale de Saint­Lambert devait remplacer un jour.

Cette légende, pour poétique qu'elle soit, ne peut être acceptée par la critique.

Liége, en effet, a ses historiens dès le jour où un évêque vient y mourir: ce sont les biographes contemporains des saints Lambert et Hubert.

Eh bien, ces biographes, et après eux les chroniqueurs du VIIIe et du IXe siècles, le continuateur de Fredegaire, les auteurs des annales du règne de Charlemagne, nous parlent bien de l'église de Saint-Lambert; pas un mot d'un oratoire des saints Cosme et Damien. Cet oratoire n'est pas plus connu de l'évêque de Liége Etienne qui, au début du Xe siècle, remit en meilleur latin la biographie primitive de saint Lambert, et rédigea le premier office du patron national, ni du poète monastique Hucbald qui, à l'occasion de cet office peut-être, traduisit en vers l'histoire de saint Lambert.

A la fin du même siècle, le propre secrétaire de Notger, l'érudit et laborieux Hérigère, nous donne la première histoire suivie de nos évêques, y recueille tout ce qu'on peut savoir d'eux, de saint Monulphe entre autres, y note avec soin l'existence, à Huy, d'une autre chapelle, moins importante, des mêmes saints Cosme et Damien, où l'évêque Jean l'Agneau fut inhumé. Au milieu du XIe siècle, le chanoine Anselme, le Harigère de Wazon, reprend et poursuit l'histoire de nos évêques. Moins de cinquante ans après lui, l'écrivain qui fut le plus instruit de son époque en matière historique et le plus prisé des chroniqueurs du moyen âge, Sigebert de Gembloux, rédige, d'après tout ce qu'on connait alors de sources historiques, deux vies de saint Lambert. Eh bien, Etienne, Hucbald, Hérigère, Anselme, Sigebert, pas plus que les biographes ou les annalistes leurs devanciers ou leurs contemporains, n'ont connu quoi que ce soit de la prétendue vision de saint Monulphe, n'ont soupçonné l'existence d'un ancien oratoire des saints Cosme et Damien dans cette ville où cet oratoire devait être le monumental souvenir d'un miracle, où tous les amours-propres étaient intéressés à en rappeler l'existence, et où tant d'écrivains apportaient tout leur zèle à relever les souvenirs du passé, à noter le moindre détail à la gloire du patron du diocèse!

Il faut, pour que nous entendions une première fois - plus de cinq cents ans après l'épiscopat de saint Monulphe - raconter sa prophétique aventure, il faut qu'un étranger nous arrive de France, le pays des beaux parleurs et des romanciers. Cet étranger est le prêtre Joconde (22). Il n'a fait que traverser notre diocèse; il en écrit vers 1088 au plus tôt, en se qualifiant lui-même d'homo alienus; on peut juger de ses connaissances par les confusions qu'il fait entre Charlemagne et Charles Martel; de sa crédulité, par la naïveté avec laquelle il professe que saint Servais était le parent de Notre Seigneur Jesus-Christ; de son jugement, par ses admirations pour le très misérable empereur Henri IV, et par la facilité avec laquelle il range parmi nos évêques légitimes, en le notant d'un éloge sans réserve, ce Pharamond, prélat intrus par qui saint Lambert avait été sept ans injustement dépouillé de l'autorité épiscopale.

« Homme crédule à l'excès, disent de lui les savants Bénédictins de l'Histoire littéraire de la France, sans goût, sans discernement, sans connaissance de l'antiquité, défaut qui lui ont fait épouser des fables les plus insipides et les plus grossières. » Ce qu'on a publié de lui au sujet de saint Servais est rempli, ajoutent-ils, « d'anachronismes et d'absurdités. De sorte qu'on le prendrait volontiers non pour un roman, parce que la vraisemblance n'y est pas même gardée, mais pour un amas de fables extravagantes. »

Son docte éditeur allemand, dans les Monumenta, n'en parle pas autrement.

Voilà cependant l'écrivain qui, le premier, nous a conté cette vision à la suite de laquelle saint Monulphe, averti des futures grandeurs de l'obscur hameau de Liége, y aurait édifié cette chapelle des saints Cosme et Damien. L'amour-propre national et l'amour populaire du merveilleux trouvaient trop bien leur compte dans cette histoire pour n'avoir pas plaisir à la reproduire: Sigebert qui, cependant, semble avoir connu quelque chose de ces récits et fait quelques emprunts à Joconde sur d'autres points, où sans doute il croyait pouvoir le suivre, Sigebert s'est gardé de rien lui emprunter de ce conte. Mais, dès la première moitié du XIIe siècle, un nouveau biographe de saint Lambert, le chanoine Nicolas, s'est plu à le reproduire: tous les suivants l’ont imité, et ainsi est-on venu à donner cette historiette pour une sorte de tradition nationale.

Le témoignage de Nicolas, que les chartes de Saint­Lambert attestent avoir été membre de ce chapitre, de 1118 à 1145, et qui dédia son oeuvre à Wéric, abbé de Liessies, au diocèse de Cambrai, de 1124 1147, n'était pas cependant pour donner plus de crédit à ce qu'il accepte soit d'après les écrits d'auteurs fidèles qu'il ne nous fait d'ailleurs pas connaître, soit d'après une tradition orale, relatu majorum, que cinq siècles et demi avaient pu rendre fort infidèle. C'est précisément en alléguant ce que raconte l'antiquité et ce qu'apprennent des écrits de pères, dont il n'indique pas les noms, qu'il nous rapporte l'incident de la prophétie de Monulphe et de l'érection d'une chapelle des saints Cosme et Damien (23). Lui-même convient qu'il n'insère ces détails que pour augmenter la vénération des Liégeois envers leur patron, et malheureusement nous le prenons plus d'une fois en flagrant délit d'arrangement des faits, en vue de cette édification sans doute: il donne, par exemple, pour disciple à saint Lambert, vers 690, cette sainte Ode d'Amay, morte et enterrée avant l'an 636. Un respect mal entendu pour la gloire de son héros, lui fait supprimer, dans la narration de ses derniers instants, la mention, répétée par toutes les narrations antérieures, du premier mouvement de l'évêque à l'approche des bourreaux le saint commença par saisir une arme pour charger ses assassins. Nicolas veut aussi, contrairement à tous ses devanciers, que les neveux du saint se soient laissé égorger sans défense. Bien plus, c'est de lui que nous tenons cette fabuleuse histoire d'un ange portant à Rome la nouvelle de l'assassinat, et du pape Sergius reconnaissant et sacrant miraculeusement, à l'instant même, Hubert comme successeur de Lambert; c'est lui aussi qui, le premier, contre tous les textes anciens, modifie le théâtre du martyre, et au lieu de placer celui-ci dans la chambre du pontife, le transporte, bon gré mal gré, dans l'oratoire dédié à des saints dont nul n'avait rien dit avant le trop inventif Joconde (24).

Cette pieuse légende de la prophétie, occasion de l'érection d'une chapelle, manque si bien de point de départ certain, que Gilles d'Orval, au siècle suivant, nous en donne deux versions, pour une (25), et deux versions contradictoires en des détails essentiels: car dans l'une, il fait proférer l'annonce des grandeurs de Liége par saint Monulphe, des bords de la Meuse, dans un voyage de Maestricht à Dinant, à l'aspect de ce val charmant, sauvage et inconnu pour le prélat où celui-ci est arrivé sans en connaître le nom; dans l'autre, il la lui fait prononcer aux bords de l'Ourthe, à Vaux, en descendant de la montagne de Chèvremont, à côté d'une chapelle érigée là aux saints Cosme et Damien, et à la suite de l'apparition d'une croix miraculeuse sur le vallon lointain de Liege. Le premier récit ne dit rien de cette croix merveilleuse, occasion et justification de la prophétie, le second rien de cette chapelle en mémoire de laquelle le problématique oratoire des saints Cosme et Damien aurait été érigé sur le sol liégeois! Une version veut qu'à côté de cet oratoire, Monulphe ait élevé une maison épiscopale; l'autre ne lui fait construire au pied levé, et consacrer aussitôt, dans le court espace d'une halte de cavaliers en voyage, qu'une chapelle solitaire. Celle-là ajoute, comme complément, que le Publémont dut son nom à un romain du temps d'Auguste; celle-ci achève l'histoire de Monulphe en contant, qu'au moment de mourir, il aurait prêché le jugement dernier à tout son peuple, trois jours durant et sans relâche: per triduum sine intermissione!

On peut juger par là du sens critique ou de la valeur d'informations de ce Gilles d'Orval, de ce Nicolas, de ce Joconde, les premiers à flous donner, sept, six, cinq siècles au plus tôt après l'événement, les saints Cosme et Damien, comme les patrons de la première chapelle liégeoise.

A la légende de saint Monulphe, vous ne croyez pas plus que moi, mon cher Président. Aussi je passe à la plus forte objection que vous puissiez me faire: l'autel et la chapelle des saints Cosme et Damien sont mentionnés, à plusieurs reprises, dans la version publiée par le docte Chapeaville, en 1612, de la vie primitive de saint Lambert, vie que l'éditeur attribuait à Godeschalc, diacre de Liége au temps de Charlemagne.

Il se peut que Godeschalc ait, en effet, mis en meilleur latin, avant Etienne, la vie primitive, contemporaine du glorieux martyr. Chapeaville, en tout cas, déclare avoir reproduit sans y rien changer deux très anciens manuscrits, l'un de Saint-Lambert, l'autre de Saint-Laurent (26).

Devant l'attestation d'un éditeur aussi digne de foi, il faut admettre sans hésiter qu'il a toujours fidèlement reproduit soit l'un, soit l'autre de ces deux textes, celui sans doute qui lui semblait le meilleur. Chapeaville toutefois ne nous dit pas s'ils étaient absolument semblables; il ne distingue pas ce qui vient de l'un de ce qui vient de l'autre; il ne nous indique surtout pas de quelle époque dataient ces manuscrits très anciens. Au XVIIe siècle, n'a-t-on pas qualifié de la sorte, à l'occasion, tout ce qui provenait d'avant la Renaissance? Les manuscrits invoqués étaient-ils antérieurs au pillage de Liége de 1468, ou n'avaient-ils été copiés qu'après? Etaient-ils purs de toute interpolation? Aucune main plus récente n'avait-elle prétendu compléter, par une ajoute, le premier texte authentique? Il faut bien convenir que nous n'en, savons rien, et que, dès lors, ni l'attestation donnée par Chapeaville de l'antiquité générale du monument, ni ce fait qu'il l'avait reproduit sans rien changer au style, ne suffisent pour nous imposer la certitude que la mention des saints Cosme et Damien n'a pas été intercalée soit par une correction postérieure à celles du copiste, soit par ce copiste même, s'il a pris la plume après l'écrit de Joconde.

Plus d'un détail de cette version de Chapeaville me semble, je l'avoue, trahir des connaissances, une rhétorique, un vocabulaire, une tournure d'esprit philosophique moins anciens que le VIIIe siècle, en contradiction avec la simplicité narrative du récit primitif.

Un contemporain de saint Lambert nous aurait-il, comme cette version, décrit l'habitation du saint à la façon d'une forteresse du moyen âge? Se serait-il livré aux considérations émises à propos d'une apparition de croix ou aux jeux de mots où se plaît cette version pour expliquer les hautes ambitions du bourreau qui se jucha sur la toiture afin d'atteindre sa victime?

Ce contemporain aurait-il imaginé la petite dissertation, chapitre IX de cette version, dans laquelle on établit que ce n'est pas les lieux, mais les auteurs d'un crime qu'il convient de réprouver?

Aurait-il surtout songé à opposer petites chapelles à grandes églises (27), alors qu'on ne connaissait chez nous rien de ces vastes temples sortis seulement de notre sol après Charlemagne? Cette description d'habitation et ces considérations d'architecture trahissent une époque où l'on ne se contentait plus du rez-de-chaussée des villas romaines, et où les collégiales romanes avaient succédé aux petits oratoires mérovingiens.

Un contemporain de saint Lambert ou un écrivain du siècle suivant ne pouvaient connaître non plus les développements que le culte et la popularité du martyr allaient donner à l'obscur hameau de Leodium; cette version parle de son grand renom avec une certitude qu'on n'a pu acquérir avant les jours de Notger (28).

Autres différences notables entre la version prétendument primitive de Chapeaville, et celle dont nous possédons le texte authentique soit à Paris, dans le manuscrit du VIIIe siècle, soit dans les vieilles copies qu'éditèrent Mabillon et les Bollandistes. Ce manuscrit et ces éditions ne nous donnent point le nom du père de saint Lambert; la version de Chapeaville nous apprend qu'il s'appelait Aper, ce que personne n'avait écrit avant Sigebert de Gembloux, à la fin du XIe ou dans les premières années du XIIe siècle.

D'après ces manuscrits de Paris, de Mabillon et des Bollandistes, l'un des miracles qui signalèrent la translation des restes du saint de Maestricht à Liége se produisit à Herstal; la version de Chapeaville le fait arriver à Hermalle, comme Sigebert encore avait été le premier à le rapporter, par erreur, puisque l'écrivain contemporain affirme, lui, qu'on éleva une église en l'honneur du saint partout où s'était produit un miracle - et qu'il n'y a pas trace d'une église de ce genre à Hermalle.

La version de Chapeaville commet enfin l'incontestable erreur de faire sortir le saint de sa chambre pour l'envoyer mourir dans le prétendu oratoire des saints Cosme et Damien. Devant tous les témoignages contraires des textes authentiques, ne serait-ce pas assez pour faire refuser toute valeur à celui-ci ?

Ce texte que Chapeaville nous donne pour du Godeschalc, ne peut donc être qu'une revision plus tardive du récit primitif, révision interpolée après et d'après le récit de Joconde, de Sigebert et du chanoine Nicolas, lequel composa son travail au plus tard dans le second quart du XIIe siècle.

Aussi j'ai vainement cherché dans le relevé que les savants Bollandistes ont fait des manuscrits hagiographiques de nos grandes bibliothèques belges, une copie de cette version qui fut antérieure au siècle de Joconde et de Nicolas: les plus anciennes sont du XIIe.

S'il s'en rencontrait une seule, de date antérieure à Joconde, portant mention dans son texte de l'oratoire des saints Cosme et Damien, je n'aurais qu'à m'incliner, mais jusque-là, vous me permettrez de constater, n'est­ce pas, que les manuscrits authentiques font défaut pour nous renseigner une chapelle des saints Cosme et Damien à Liége au temps de saint Lambert.

J'ai déjà rappelé que tous les historiens du saint de Liége et du diocèse pendant les quatre siècles qui suivent le martyre, les biographes et annalistes contemporains, l'évêque Etienne, le poète Hucbald, l'historien Hérigère, son continuateur Anselme se sont accordés à ne dire mot d'une chapelle dédiée à ces saints, comme à placer l'immolation du pontife dans sa chambre à coucher. Après eux, Sigebert, le plus laborieux et le plus savant de nos chroniqueurs, est le premier à nous parler d'une biographie ou plutôt d'une revision biographique due à Godeschalc: il discute même le texte de Godeschalc à propos des causes du martyre, et Sigebert cependant, qui n'a laissé perdre aucun détail des relations antérieures et prétend parfois les compléter, Sigebert s'abstient également de toute mention d'un oratoire des saints Cosme et Damien dans les deux rédactions (29) qu'il a faites de la vie et de la mort du glorieux pontife. N'est-ce pas décisif pour établir qu'il y a interpolation dans le texte de Chapeaville?

Le chanoine Nicolas, l'écrivain du XIIe siècle, reste donc pour moi, jusqu'à preuve du contraire, le premier qui ait donné pour théâtre à un martyre de la fin du VIIe, un oratoire des saints Cosme et Damien au lieu de la chambre à coucher de saint Lambert. Qu'il ait été entraîné à cette erreur, d'un côté par ce qu'un pieux romancier, Joconde, avait conté trente ou quarante ans auparavant, de la vision et de la chapelle de saint Monulphe, et, d'un autre côté, par ce fait que bien longtemps après le martyre, peut-être après la reconstruction et l'agrandissement de l'église Saint-Lambert par Notger et Baldric, un autel aux deux saints frères étrangers se trouvait élevé sur le lieu du martyre, lieu englobé alors dans le nouveau temple, voici ce qui me semble acquis: ou la version de Chapeaville est la vraie version primitive, et il faut croire en ce cas que cette version ne nous est parvenue que dans une copie datant au plus du XIIe siècle et qu'aucun des historiens liégeois qui, pendant cinq siècles, ont écrit sur nos évêques et sur nos saints, absolument aucun ne l'a connue, pas plus ceux qui l'ont cru traduire soit en vers, soit en prose, que ceux qui ont cru la résumer ou la développer soit dans leurs récits, soit dans les offices liturgiques; ou bien cette version de Chapeaville est interpolée; nous pouvons alors nous en rapporter à l'unanimité de ces historiens, aux manuscrits authentiques les plus anciens conservés dans nos bibliothèques et, par suite, ne plus faire état de ce qu'une biographie éditée en 1612 nous raconte d'un oratoire des saints Cosme et Damien.

Il n'y a pas à le contester toutefois: on n'a pu perdre à Liege le souvenir précis du lieu où le grand martyr avait succombé, ni faire erreur en désignant comme ce lieu, la partie de la Cathédrale où, après l'an mil, nous retrouvons positivement une chapelle des saints Cosme et Damien. La plus ancienne mention faite d'un autel de ces saints dans cette Cathédrale est celle du continuateur de Sigebert, l'abbé Anselme de Gembloux, qui, notant les événements de son temps, raconte qu'en 1117, peu avant que Nicolas ne prit la plume, un coup de foudre vint, pendant un orage terrible, frapper un clerc occupé à lire à l'autel des saints Cosme et Damien (30). Cet auteur n'indique pas en quel endroit de la Cathédrale était érigé cet autel.

Mais si depuis lors la tradition n'a point varié, en donnant l'emplacement de cette chapelle pour le lieu du martyre, c'est une preuve de plus que l'érection de cette chapelle est postérieure d'assez bien à la mort de saint Lambert, puisque l'endroit où il fut égorgé n'était certainement pas un oratoire, mais sa chambre à coucher, et que nous avons vu les fidèles vénérer ce lieu, y transporter son lit, des miraculés veiller à son entretien, indépendamment de l'érection du second oratoire de Liége, celui de Saint-Lambert.

Quand changea-t-on ce cubiculum en oratoire? Fut­ce seulement lorsque l'évêque Notger reconstruisit vers l'an mil, l'ensemble des édifices qu'on n'avait qu'incomplètement relevé depuis les invasions des Normands, ensemble qui comprenait l'église de Notre­Dame-aux-Fonts, baptistère de la cité, le palais épiscopal et la cathédrale Saint-Lambert? On sait que sa reconstruction agrandit beaucoup cette Cathédrale. Il ne serait donc pas impossible qu'il aurait alors seulement érigé dans ce nouveau temple une chapelle des saints Cosme et Damien. Ces saints, au temps des Othon, étaient encore tout particulièrement vénérés à Rome où trois églises leur avaient été dédiées: Notger, qui fit de longs séjours dans la ville éternelle, en aurait pu rapporter leur culte à Saint-Lambert de Liége, comme il rapporta dans son église de Saint-Jean, celui de saint Vincent et des saints Fabien et Sébastien; comme l'archevêque-duc saint Brunon avait, peu auparavant, introduit à Cologne, notre métropole, dans ce monastère de saint Pantaléon où il voulut être enterré, cette même dévotion aux deux saints de Cilicie; comme Prague dut peut-être de les adopter pour patrons au saint évêque Adalbert, compagnon de Notger à Rome.

Faudrait-il plutôt s'en rapporter à la version de Gilles d'Orval, au sujet du culte des deux saints frères à Chèvremont, et croire que Notger aurait relevé à Liége leur autel qu'on avait dû renverser à Chèvremont, tout comme il aurait relevé, en construisant Saint-Jean, une autre église du même saint détruite avec la périlleuse forteresse?

Rien n'empêche de reporter plus haut que Notger l'apparition du culte des saints Cosme et Damien sur l'emplacement du lieu du martyre de saint Lambert: on n'avait pas pour eux moins de vénération dans nos régions au temps des rois mérovingiens qu'au temps des Othon. Nous avons vu l'un des prédécesseurs de Lambert, saint Jean l'Agneau, se faire enterrer, vers l'an 647, sur le rocher de la forteresse de Huy dans un oratoire dédié aux deux saints. Un autre et plus célèbre évêque, le père de l'histoire de France, Grégoire de Tours, rapporte que, de son temps déjà, l'intercession des deux saints médecins était pour les malades un des meilleurs moyens d'obtenir guérison et que beaucoup avaient reçu d'eux en vision l'indication de ce qu'il y avait à faire pour recouvrer la santé (31). Un détail de la dévotion que Grégoire professait pour les saints Cosme et Damien est intéressant à relever: il avait retrouvé dans son église de Tours des reliques de divers martyrs, entre autres de ceux-ci: « C'est dans la cellule de saint Martin, nous dit-il, contiguë à son église même, que je plaçai ces reliques des martyrs Cosme et Damien » (32).

Cette cellule de saint Martin était le petit réduit où le célèbre apôtre habitait proche de sa Cathédrale, lors­qu'il demeurait dans sa ville épiscopale. Pourquoi un des successeurs de saint Lambert n'aurait-il pas fait à Liége, pour le cubiculum du martyr, ce que Grégoire avait fait à Tours pour la cellula du thaumaturge, en transformant en chapelle ce logis révéré, ainsi qu'on le fait encore de nos jours des chambres où ont vécu, où sont morts des saints ou des princes?

Les restes mortels du martyr qu'on avait retrouvés intacts, ayant été déposés sans qu'on en distrayât rien dans la basilique de Saint-Lambert, on n'avait pu consacrer au culte sa chambrette qu'en y déposant d'autres reliques, en donnant à cet oratoire un autre patron. Le choix de Cosme et Damien pour le patronage de ce nouvel oratoire eût été d'autant plus naturel, qu'ils étaient déjà honorés dans notre pays, implorés aussi pour la guérison des maux dont on venait demander délivrance à saint Lambert, et que leur fête, célébrée le 27 septembre, suivait de tout près l'octave du saint liégeois.

Rien ne se comprend mieux, dès lors, que la confusion amenée dans l'esprit des populations par la coincidence de ces deux cultes voyant honorer Cosme et Damien dans le lieu que le martyr avait consacré par l'effusion de son sang, elles auront tout naturellement pensé que l'autel érigé après sa mort avait été le témoin même de cette mort, et pour faire concorder l'histoire avec cette croyance, les écrivains liégeois, à commencer par Nicolas, auront changé le caractère du lieu du martyre et, petit à petit, auront accrédité, en justification de ce changement, la prophétique aventure et la légendaire construction prêtées à saint Monulphe.

On finit même si bien, non seulement à Liége, mais à l'étranger, par unir l'immolation de saint Lambert au souvenir des saints médecins de Cilicie, qu'à Rouen, par exemple, saint Lambert était, par suite de sa prétendue mort devant leur autel, révéré comme patron lui-même, à leur place, des chirurgiens, dentistes, bandagistes et sages-femmes (33)

Quoi qu'il en soit, les indications de la topographie peuvent aider ici à confirmer les déductions de l'histoire. Liege est née au pied du Publémont « in nova valle juxta Leodium, » comme le porte une vieille mention du martyre de saint Lambert (34).

Ce Publémont, descendant des hauteurs qu'occupent aujourd'hui Saint-Martin et Sainte-Croix, venait, en s'abaissant, expirer au bas de ce que nous nommons aujourd'hui degrés de Saint-Pierre, Haute-Sauvenière, et, entre la Sauvenière et ces degrés, le lieu de rencontre de la place Saint-Lambert et de la place Verte, coin du café Charlemagne. Là s'étendait, entre la côte et la Meuse, une petite plaine bornée d'un côté par la montagne, de l'autre, à gauche, en descendant de cette montagne, par la rivelette de la Légia qui, débouchant du vallon de Saint-Séverin, obliquait entre le pied du Publémont et le territoire de Saint-Servais, et se dirigeait vers le fleuve en traversant le futur marché; à droite, un embranchement de la Meuse servait de limite, en faisant le coude aux pieds de la Sauvenière; en face, le cours même de la Meuse. C'est dans cette petite plaine que s'élevait, protégée par la montagne, la villa de l'évêque.

En rapprochant la topographie actuelle du plan terrien que nous avons gardé de l'ancienne cathédrale de Saint-Lambert, remplacée partiellement aujourd'hui par la place du même nom, il est facile de constater que, d'après la tradition liégeoise et d'après l'emplacement du vieux choeur, â l'entrée de cette Cathédrale, c'est assez bien au lieu devenu le point central de la place actuelle que le saint fut martyrisé, par conséquent qu'il avait son habitation. Notre-Dame-aux-Fonts était sise un peu plus vers l'Orient, sur la droite de cette habitation, en face de ce qui est devenu la rue Gérarderie. La première église bâtie en l'honneur de saint Lambert a dû être construite en avant de cette habitation, soit entre Notre-Dame et l'emplacement du futur palais des princes-évêques, ou plus près du confluent de la Légia et de la Meuse, puisque ce ne put être que cette Légia qui, changée par les pluies en torrent impétueux, emporta en 858, au rapport de Prudence de Troyes, jusqu'à Saint-Lambert, pour les précipiter dans le fleuve, édifices, bêtes et gens (35).

On a déjà rappelé combien étroites étaient les églises au début du VIIIe siècle: celle-ci, commencée d'enthousiasme dans un hameau sans ressources, par un petit groupe d'habitants, avant que saint Hubert vînt s'y fixer ou y apportât les reliques de son prédécesseur, ne pouvait être un monument bien solide ni bien important, puisque cet Hubert crut devoir ériger, à ses côtés mêmes, une autre église, celle de Saint-Pierre. La façon dont l'édifice avait été construit, les pèlerinages dont cet édifice devint le but, les premiers développements de Liége durent rendre nécessaire un agrandissement de Saint-Lambert, au plus tard dans le temps où Charlemagne et sa cour vinrent y solenniser les grandes fêtes de l'Eglise. Est-ce alors ou un peu après que l'on a enclos dans ce temple agrandi, le lieu du martyre du saint?

Toujours est-il qu'un siècle après, nous voyons, par un acte de novembre 932, dont l'historien Anselme nous a conservé le texte, l'évêque Richaire ériger dans l'église de Saint-Lambert une chapelle de la Sainte­Trinité (36). La version donnée de cet acte, dans le recueil de Chapeaville, mentionne expressément que l'autel en fut érigé sur le lieu de sépulture du saint, sur le tombeau où se gardaient ses reliques (37). Nous savons, d'autre part, que jusqu'après Chapeaville, un autel de la Trinité, Notre-Dame et saint André se dressait dans la chapelle qu'il appelle des saints Cosme et Damien; brisé par la chute d'une fenêtre, cet autel n'en fut enlevé qu'après 1646, et le chapitre (38), pour obtenir l'approbation nécessaire du légat du Pape, alléguait que le lieu du martyre était devenu trop étroit pour les cérémonies que l'on y devait faire: grand'messe, réception de serment des bourgmestres, etc. La chapelle des saints Cosme et Damien du XIIe siècle et des suivants, la chapelle mortuaire de saint Lambert, n'était encore au Xe, après Richaire, que le sanctuaire de la Sainte Trinité.

Cela cadrerait, en tous cas, avec le nom de vieux choeur qu'elle reçut aussi dans la suite, après que Notger, renouvelant et agrandissant encore Saint-Lambert, et reportant le nouveau choeur plus avant, vers l'Orient, n'eut plus fait de l'ancien choeur qu'une sorte d'abside d'entrée, entre les tours, comme il s'en érigeait beaucoup alors, à preuve encore Sainte-Croix chez nous, le dôme de Trèves et maintes autres églises romanes des bords du Rhin.


Ill.

DE L'ANTIQUITÉ DU CULTE DE NOTRE-DAME A LIEGE.


Une église existait à Liége, avant le martyre du patron du diocèse; on ne peut la confondre ni avec celle qui, bâtie après ce martyre, devint la cathédrale de Saint-Lambert, ni avec Saint-Pierre, fondation de saint Hubert, ni avec la chapelle consacrée beaucoup plus tard aux saints Cosme et Damien, sur l'emplacement précis de la chambre à coucher où le saint évêque avait péri. Sous quel patronage était donc placée cette église primitive? Il n'y en a point qui soit aussi nettement indiqué que celui de Notre-Dame.

Quelle bonne fortune, mon cher Président, et peut­être quelle lumière décisive pour nous éclairer sur les premières origines de Liege, s'il vous était donné, dans vos recherches, de ramener au jour le texte disparu de ce privilège que le roi d'Austrasie, Clovis III, dut délivrer, entre 691 et 695, à l'évêque Lambert, sur la demande même du prélat, pour garantir l'immunité et les possessions de Sainte-Marie. Nicolas, notre historien du deuxième quart du XIIe siècle, Nicolas, qui semble avoir vu la pièce et paraît en citer quelques mots, parfaitement en rapport avec les formules du VIIe siècle, Nicolas nous affirme qu'on en avait, jusqu'au temps où il écrivait, gardé le texte chez nous: apud nos: « De quelle estime et de quelle autorité le bienheureux Lambert jouit auprès du prince, écrit-il, on peut s'en rendre compte lorsque l'on voit le même pacifique souverain l'appeler non seulement évêque, mais son père et homme apostolique, dans le privilège » octroyé, à la demande même du saint prélat, pour garantir l'immunité et les possessions de l'église de sainte Marie, toujours vierge. C'est sous le nom et en l'honneur de Notre-Dame, qu'en ce temps florissait à Maestricht, après Tongres, certaine dignité de la chaire pontificale. Ce privilège, il n'y a pas de doute qu'il s'est conservé chez nous jusqu'à ce jour (39) ».

Dans ce qu'ajoute Nicolas à sa mention du sujet de la charte, il en parle, on l'entend, comme si elle se rapportait à la cathédrale de Notre-Dame de Maestricht, encore héritière en fait, au temps de saint Lambert, de Notre-Dame de Tongres. Cette interprétation de la pièce citée appartient visiblement à l'historien. Si pourtant le chez nous, l'apud nos de Nicolas, si l'indication du lieu où se conservait cette charte désignait non pas Maestricht, mais Liége, comme il eût été naturel de la part d'un Liégeois, attaché au service d'une église liégeoise, ne serait-on pas autorisé à croire que ce document concernait une église, liégeoise aussi, l'église de Sainte-Marie et non pas le diocèse même? Entre les diplômes donnés plus tard en faveur de la cathédrale de Saint-Lambert, les plus vieux qui soient venus jusqu'à nous datent du IXe siècle; ils visent les privilèges antérieurs, délivrés par d'autres souverains: Pepin, Charles, Louis, Lothaire, privilèges perdus aujourd'hui pour nous. Comment donc ne trouve-t-on dans ces pièces du IXe siècle, nulle mention du diplôme de Clovis III? Comment, s'il se fût agi dans ce diplôme de l'église diocésaine, de la Cathédrale, et non d'une autre fondation ecclésiastique, comment les évêques qui obtinrent pour cette Cathédrale les diplômes postérieurs à celui de Clovis, n'auraient-ils pas fait rappeler une pièce aussi importante, conservée parmi nous, le titre primitif le plus intéressant? Nous aurons l'occasion de constater plus loin l'existence d'une communauté de Sainte-Marie, distincte du chapitre de Saint-Lambert: ne fut-ce pas son titre de fondation ou l'une des pièces de sa dotation, que ce diplôme de Clovis III?

Au surplus, à qui appartenait cette villa de Leodium où le saint a péri, surpris par ses assassins au milieu de cette communauté religieuse, de ses neveux, de ses disciples et de ses gens, non loin de la première chapelle liégeoise où il avait accoutumé d'officier avec eux ?

Il y avait déposé les restes de son prédécesseur, ce qui donne à croire que ce prédécesseur avait pu en être le fondateur, le propriétaire au moins, et que cette chapelle était bien aussi ancienne que ce dépôt. Lambert s'y trouve en tous cas chez lui, il y habite, y pontifie, y commande en seigneur et maître. Ses successeurs en font autant, sans qu'il soit besoin d'un titre nouveau pour leur permettre de disposer de toutes choses à Liege, réserves faites de certains droits de l'abbé de Sainte-Marie: si saint Hubert, au dire du biographe contemporain de saint Lambert, tient à s'entendre avec les seniores loci, les maitres de l'endroit, lorsqu'il y ramène de Maestricht à Leodium les restes du martyr, c'est, ce semble, pour prendre leur avis au sujet de la cérémonie de la translation. La construction de Saint­Pierre, le fait incontesté qu'il a donné aux habitants de Liége leurs premières lois, leurs premiers magistrats, leurs poids et leurs mesures, atteste que sous la garantie de l'immunité déjà signalée ce territoire relève bien du pontife, ou plutôt, doit appartenir à l'église, au diocèse, dont le pontife se trouve la personnification. Or, si l'on peut contester aisément la prétention de Tongres d'avoir vu s'élever dans ses murs le premier temple dédié à la mère de Dieu de ce côté des Alpes, on ne contestera pas que ce diocèse eut pour première cathédrale Notre-Dame de Tongres, pour deuxième, non point Saint-Servais, mais Notre-Dame de Maestricht, bref, que jusqu'au temps où le nom de saint Lambert fut associé dans ce patronage à celui de la Vierge, la patronne du diocèse, dès ce temps-là, c'est Notre-Dame. Propriété des évêques ou de leur diocèse, Leodium était par là même propriété de Notre-Dame: c'est donc sous le patronage de Notre-Dame qu'abstraction faite de toute autre donnée historique, il est le plus vraisemblable qu'a été placée la première église, la paroisse naissante de Liége.

Et s'il n'en avait pas été ainsi, en un temps où il était d'usage fréquent de consacrer l'église d'une paroisse nouvelle, au patron de l'institution dont relevait ce territoire, à une époque où les sanctuaires de notre pays, qui durent leur construction à saint Lambert et à saint Hubert, furent placés sous l'invocation ou de saint Pierre ou, surtout, de Notre-Dame, comment expliquer que, par une exception unique, pour une ville de cette importance, Liége, dans la suite, aurait grandi, multiplié ses édifices religieux, sans en placer aucun sous le patronage spécial, unique de Notre­Dame? Comment expliquer en outre, et c'est un point sur lequel il sera revenu, que nous trouvions plus tard, en tête des paroisses de Liege, par ordre d'ancienneté comme par ordre de prépondérance, l'église de Notre­Dame-aux-Fonts?

Si peu que nous sachions de l'histoire de Liége au temps de saint Lambert et de saint Hubert, nous en savons moins encore pour leurs premiers successeurs jusqu'à la fin du règne de Charlemagne. Il ne semble pas qu'au cours du siècle et demi qui sépare la mort de saint Hubert de la destruction de Liége par les Normands, en 881, la petite ville se soit fort développée: rien n'indique du moins qu'on y aurait élevé une église de plus. Et comme on ne voit pas que Saint-Lambert ni Saint-Pierre aient jamais servi au culte paroissial, comme Liége ne compta un second baptistère qu'après que Notger l'eut établi dans ce quartier de l'île où il érigea l'église de Saint-Jean, il est permis de croire que, pendant un long temps, Notre-Dame est restée l'unique paroisse de Leodium, l'église baptismale comme celles dans lesquelles le grand empereur demandait à notre évêque Gerbald de faire annoncer prières et processions pour les nécessités du temps.

Je sais qu'après le pontificat de saint Hubert, au cours du VIIIe siècle et même d'une partie du IXe, les documents ne nomment qu'une église à Liége celle de Saint-Lambert. Si Notre-Dame n'est pas mentionnée dans les pièces venues à nous de cette époque, Saint­Pierre ne l'est pas non plus, dont nul pourtant ne peut contester l'existence affirmée par le biographe d'Hubert.

Je n'ignore pas que, dans la suite, le nom de Sainte­Marie n'est souvent ajouté à celui du martyr, n'est parfois même employé seul que pour désigner le même temple de Saint-Lambert. Mais il faut prendre tous ces noms aux sens divers que leur attribua chaque siècle.

Après Charlemagne seulement, pendant l'épiscopat de Walcand, nous trouvons Notre-Dame associée parfois, puis de plus en plus, au martyr dans ce patronage de l'église Cathédrale (40). Serait-ce que jusqu'alors Maestricht, restée en fait plus considérable que Liége, serait demeurée en droit la ville épiscopale du diocèse et que le transfert définitif du siège pontifical dans le bourg moins important de Liege, aurait coïncidé avec le séjour du célèbre empereur dans notre diocèse, aurait suivi peut-être les agrandissements que, selon toute apparence, il fallut faire à Saint-Lambert, quand il y venait célébrer les grandes fêtes chrétiennes, ou peut­être enfin concordé avec la translation à Andage des restes de saint Hubert?

Tout cela pourrait se soutenir, à la condition de produire des preuves, et les preuves manquent jusqu'ici. En réalité, on n'a pas le moindre indice ni d'un acte quelconque qui aurait déclaré l'église de Maestricht déchue de son rang de cathédrale pour élever un temple liégeois à cet honneur, comme on n'en a pas d'un acte antérieur qui aurait fait passer officiellement la cathédrale de Tongres à Maestricht. Ces transferts, autant qu'il est permis d'en juger par le manque ou le silence absolu des documents sur ce point et par similitude, ces transferts semblent s'être effectués lentement, s'être trouvés faits accomplis à la longue, sans décision officielle, sans pièce authentique ou cérémonie spéciale pour en prendre acte.

Une translation solennelle de ce genre eût été d'autant plus surprenante au cours des temps mérovingiens à l'an mil et peut-être après, que l'église cathédrale n'était pas alors comme de nos jours tel sanctuaire unique, exclusivement réservé à l'évêque. A Rome, les fonctions les plus importantes des souverains pontifes s'accomplissaient en diverses basiliques. Dans nos régions, la Cathédrale se trouvait le sanctuaire où le pontife établissait son siège et présidait aux cérémonies sacrées, tantôt ici, tantôt là dans la ville où il résidait d'ordinaire, voire dans quelque autre possession de son église. Les dernières fonctions que l'évêque de Liége, Wazon, put remplir avant de mourir, en 1048, furent, au témoignage d'Anselme, la célébration des fêtes de saint Pierre et de saint Paul, non pas à Saint­Lambert, mais dans les collégiales placées sous le patronage des deux apôtres. Au Xe siècle, en actant dans une charte de 907 que le monastère de Sainte­Marie et de Saint-Lambert était la résidence principale de l'évêque, domus principalis, ne faisait-on pas assez entendre déjà qu'il en avait d'autres? Si donc on veut bien se souvenir qu'en ces temps-là, différentes églises d'un diocèse pouvaient en être également les cathédrales, on s'expliquera mieux que des souverains aient même parlé, comme d'une seule église, de Sainte­Marie de Tongres et de Saint-Lambert de Liege, ou de Sainte-Marie de Liége et de Sainte-Marie de Huy.

La désignation est des plus nette dans le diplôme par lequel Charles le Gros donne Madières, le 26 juin 884, à Sainte-Marie et Saint-Lambert, de l'église de Tongres ou de Liége: « ad partem sanctae Mariae sanctique Lamberti ecclesiae tungrensis vel leodiensis (41). » Elle ne l'est pas moins dans un diplôme du 15 novembre 889, de l'empereur Arnould, donation de l'abbaye de Lobbes, « tant à l'église tongroise de la bienheureuse Mère de Dieu, qu'à l'église liégeoise du saint martyr Lambert (42). »

On sait que l'empereur Othon II eut à confirmer la donation de Huy faite à Notger par saint Ansfried. N'est-il pas intéressant de noter à ce sujet que cette confirmation fut octroyée à « Notger, évêque des Tongrois et des Liégeois, pour lui et pour ses successeurs, appelés à desservir Sainte-Marie et Saint-Lambert, sancte Marie sancto que Lamberto desservituris » et surtout, qu'en rappelant les largesses des souverains précédents, l'acte impérial porte qu'elles ont été faites à « l'église Sainte-Marie, établie soit à Liege, soit à Huy (43), » comme si la possession semblable de ces pays, par Notre-Dame, en eût d'avance assuré l'union et l'unité?

Ce qu'il importe de noter, c'est qu'au VIIIe siècle et après, ces mentions de titres patronymiques de sanctuaires, fut-ce à propos d'évêque, correspondaient à des églises réelles (44). C'est ainsi que dans un placite de 775, où l'on voit un évêque de Paris revendiquer une propriété pour sa cathédrale, celle-ci est désignée sous le triple nom de Casa sanctae Mauiae et sancti Stephani, et sancti Germani, l'église de Sainte-Marie, de Saint­Etienne et de Saint-Germain, trois édifices très distincts qui formaient alors à la fois la triple cathédrale de Paris (45): Saint-Germain existe encore à présent et Saint-Etienne ne disparut qu'au XIIIe siècle, quand, pour remplacer deux édifices trop étroits par la splendide basilique qui est aujourd'hui Notre-Dame de Paris, l'évêque Maurice de Sully réunit en un seul temple l'ancienne Notre-Dame et sa voisine de Saint­Etienne. Ce que Saint-Etienne avait été jusque-là près de Notre-Dame à Paris, Notre-Dame l'était à Liége, l'avait été, devait le rester jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, à côté de Saint-Lambert.

Au temps de Charlemagne, c'était encore par l'évêque que le baptême s'administrait aux fêtes solennelles. Sainte-Marie, le baptistère de Liége, pouvait donc être alors, ne fut-ce qu'à ce titre, la cathédrale liégeoise.

Quantité d'abbés dirigeaient alors plusieurs monastères à la fois: pourquoi nos évêques n'auraient-ils pas pris le titre de plusieurs cathédrales ?

Rien n'empêche d'entendre en ce sens la donation par laquelle Louis le Débonnaire dédommage l'évêque Walcand des générosités que ce prélat avait faites au monastère renaissant de Saint-Hubert, et nous laisse de la sorte la plus ancienne mention venue jusqu'à nous de l'union de Sainte-Marie et de Saint-Lambert, en ces termes patronymiques, « partibus sanctae Mariae et sancti Lamberti (46).

C'est dans le même sens, que pour indiquer le voisinage d'une propriété de la Cathédrale diocésaine, le prêtre Oduin, dans l'acte de la donation faite par lui, en 824, à l'abbaye de Stavelot, déclare que la manse de Navania, en Condroz, l'objet de ce cadeau, est sise « inter confines sanctae Mariae et sancti Lamberti (47). »

Donation est faite de Theux, par Zwentibold, le 8 octobre 898, la sainte Eglise en l'honneur de la bienheureuse Vierge Marie et de l'illustre martyr du Christ Lambert, établie à Liege, église à laquelle préside le vénérable évêque Francon: « Largimur ecclesiae sanctae in honore beatae Mariae, et preclari Christi martyris Lamberti Leodio constituti, cui prœsidet Franco venerabilis episcopus (48). » Fosses est donné le 26 octobre 907, par Louis, roi de Germanie, au même évêque Etienne, ou plutôt au monastère de Sainte-Marie et de Saint-Lambert, où se trouve établie la maison principale de l'épiscopat. « Donavimus ad monasterium sanctae Mairiae et sancti Lamberti ubi illius episcopii domus est principalis (49).

Le 18 janvier 908, le roi Louis confirme les biens de l'église de Liége « pour l'amour de Dieu, de sainte Marie et de saint Lambert (50) »; et le 25 août 915, une forêt, dépendance de Theux, est pareillement octroyée par le roi Charles, « partibus sancte Dei genitricis Marie alimque martyris Lamberti (51). De même, Malines et Hastières, sont, entre 908 et 915, offerts par le roi Charles, « à sainte Marie et saint Lambert (52).

L'évêque Eracle se titre, en 961, évêque de l'église liégeoise de la sainte Vierge Marie et du saint martyr Lambert. « Sanctae Mariae Virginis sanctique martyris Christi Lamberti, leodiensis ecclesiae episcopus (53). » Tous ces textes peuvent tout aussi bien, et parfois mieux, s'entendre de deux églises que d'une seule. On voit, dans l'acte souscrit par Eracle à Cologne, le 2 juin 965, que c'était en l'honneur de la Mère de Dieu et de saint Lambert qu'il se proposait de reconstruire sa Cathédrale, où s'élève aujourd'hui Saint­Martin: « In honore beatissime Dei genitricis et virginis Marie, sanctique Lamberti pontificis (54). »

Notger dans la qualification qu'il se donne et dans le double patronage sous lequel il maintint cette Cathédrale reconstruite, Notger n'a donc fait que suivre les traditions de son prédécesseur immédiat, et des documents plus anciens: « Notger, écrira-t-il de lui-même, avant 982, à l'abbé Womar de Gand, Notger que l'on qualifie évêque, bien qu'il ne soit que le serviteur indigne de Sainte-Marie et de Saint-Lambert, quam acsi indignum sancte Marie sancti que Lamberti mancipium praedicant (55); » ou bien, en 1005, dans l'acte impérial de saint Henri, confirmatif de la fondation de Sainte-Croix: Notger évêque, proviseur et gardien de l'église de Sainte-Marie et du saint martyr Lambert: « Ecclesiae sanctae Marie sanctique Lamberti martyris provisor et custos (56). »

A partir de Notger toutefois, il n'y a plus à douter que l'expression « l'église de Sainte-Marie et de Saint-Lambert, » ne caractérise plus tant l'agglomération d'édifices religieux divers, le monastère à plusieurs églises où l'évêque de Liége avait son siège, que le temple Unique et principal reconstruit par Notger et dont nous savons positivement qu'il fut placé, celui-là, sous le double patronage de Notre-Dame et de Saint­Lambert.

Anselme, qu'un élève de Notger, le pieux Wazon, avait pu renseigner sur le grand homme, le chroniqueur Anselrne désigne bien sous le nom de maison de Sainte-Marie et de Saint-Lambert l'unique Cathédrale: ainsi, dira-t-il de Francon, enterré dans cette cathédrale, que la maison de sainte Marie et de saint Lambert nous garde ses dépouilles. « Domus sanctae Mariae et sancti Lamberti, terrae creditos ejus servat cineres. » C'est dans le même sens qu'il rapportera de Notger qu'il renouvela la maison de sainte Marie et de saint Lambert (57), « domum sancte Mariae et sancti Lanberti... renovavit, » et qu'il ajoutera du successeur de Notger, Baldric, qu'il fit la dédicace de cette maison de sainte Marie et de saint Lambert (58).

Mais nul écrivain ancien n'a mieux mis cela en lumière que ce biographe anonyme du Xle siècle, dont vous venez si heureusement, mon cher Président, de reconstituer l'ouvre à l'aide des extraits de Gilles d'Orval. C'est à propos de la construction d'une autre église, Saint-Jean-en-Ile:

« Cette église de l'apôtre de la charité qu'aima le plus le Christ, nous dit-il, Notger l'édifia dans la partie la plus élevée de l'Ile, juste bien en face de ce temple de saint Lambert, consacré principalement à l'honneur de Marie toujours Vierge. De la sorte, le fils donné à la Vierge, dans le testament suprême de la Croix, devait conserver toujours la vue de la Mère du Christ et le saint gardien de Notre-Dame se trouver lui-même gardé par la Vierge (59). »

Dès Notger, dans le langage des documents officiels, empereurs, pontifes, chapitres, historiens, bienfaiteurs, correspondants ou chanoines de Saint-Lambert, tendent de plus en plus à désigner cette Cathédrale sous les noms de Sainte-Marie et Saint-Lambert: « ecclesiae sanctae Mairiae sanctique Lamberti, » disent également l'empereur Othon en 987, l'empereur Henri en 1006, l'empereur Conrad en 1024 (60). Un autre Henri donne, en 1040, la Hesbaye « leodiensi ecclesiae in honore Dei sanctae genitricis ac preciosissimi Lamberti martyris constructae, » et le quatrième du nom ratifie, en 1071, l'inféodation du Hainaut « sanctae Mariae, sanctoque Lamberto, » comme Frédéric confirmera, en 1155, les possessions « beatae Mariae, preciosique martyris Lamberti. » C'est à l'église de Sainte-Marie et de Saint-Lambert, qu'Ermengarde fait cadeau de Waremme en 1079 (61); c'est pour elle que l'évêque Obert acquiert Couvin, le 14 juin 1096; l'évêque Rodolphe Herstal, en 1171; c'est à elle que Godefroid de Bouillon avait cédé son château avant de partir pour la croisade; pour elle encore que l'évêque Henri II déclarait, en 1154, avoir acquis d'autres possessions (62).

Le chanoine Anselme termine sa relation des miracles du martyr par une prière patriotique à la Vierge et finit son livre en rappelant aux autres églises du diocèse leur devoir envers leur mère. « Matrem suam ecclesiam, scilicet sancte Marie, sanctique Lamberti. »

Le moine de Saint-Hubert, auteur de la très intéressante chronique de ce monastère, connue sous le nom de Cantatorium, nomme l'église de Liege: « la libre et glorieuse église de Sainte-Marie et de Saint-Lambert (63); » l'avoué de cette église se qualifie, dès le XIe siècle, « advocatus sanctae Mariae et sancti Lamberti (64).

Les membres du Chapitre ne se désignaient pas autrement. Elbert se disait, en 1085, « serf de Sainte-Marie et de Saint-Lambert » (Cartulaire de Saint-Lambert,). Vers 1119, le doyen Raimbauld, dans la dédicace de son livre sur la vie canonicale, se nomme « Reymbaldus sanctae Mariae, sauctique Lamberti ecclesiae humilis filius (65). » En 1116, Frédéric se titrait prévôt de Sainte-Marie et de Saint-Lambert. » Son successeur de 1136, le prévôt Steppo se dit: «per Dei misericordiam sanctae Mariae sanctique Lamberti prepositus; » l'archidiacre Alexandre, en 1147, archidiaconus et prepositus ecclesiae sanctae Marie virginis, sanctique Lainberti (66).

Un acte de l'évêque Alberon, de 1139, est passé « Leodio, in capitolio sanctae Mariae sanctique Lamberti; » les lettres du Chapitre à l'abbé Wibald, en 1148, ont pour entête: « Domino Wibaldo humilis sanctae Mariae, sanctique Lamberti conventus » - et la réponse de Wibald est adressée au doyen et « omnibus ecclesiae sanctae Mariae sanctique Lamberti canonicis. »

L'autel principal de cette Cathédrale n'est pas désigné autrement que le Chapitre ne se désigne: l'un des biographes de saint Bernard nous relate, par exemple, les miracles du saint en 1147, « après la célébration de la messe à l'autel de la bienheureuse Marie et de saint Lambert dans la grande église (67). »

On en était venu à croire, comme le rapporte le prieur Hugues, dans son Histoire de ta fondation de Lobbes, que Saint-Lambert avait même été d'abord une église de Notre-Dame où le martyr avait presque usurpé la place de la Mère de Dieu (68).

L'évêque Obert avait été inhumé, nous dit son historien, dans le choeur inférieur, c'est-à-dire dans celui de la Vierge Marie (69), et nos divers chroniqueurs monastiques, Reiner, Gilles d'Orval, Rupert, signalent à l'envi ce détail de l'incendie qui, en 1185, détruisit la plus grande partie des reconstructions de Notger, la Cathédrale entière, un seul autel excepté; « Le principal autel, celui de la Mère de Dieu, resta intact. La flamme ne put entamer ce que protégeait une telle patronne. Celle-ci n'a-t-elle pas d'ailleurs miraculeusement conservé sa propre église paroissiale (70).

Aussi, quand en 1250, l'archevêque de Rouen, légat du Saint-Siège, consacra le grand autel de la Cathédrale restaurée, devant le roi Guillaume, ce fut « à la bienheureuse Marie, toujours Vierge et au saint martyr Lambert qu'il la dédia (71).

Il y aurait donc mauvais gré à ne pas en convenir: il n'est pas toujours facile de reconnaître dans nos documents les plus anciens ou nos plus anciens écrivains, à quoi se rapportent les mentions faites, à propos de Liége, de l'église de Notre-Dame. Ce terme église désigne parfois le diocèse même, et comme notre diocèse eut pour première et constante patronne Notre­Dame, église de Sainte-Marie peut signifier, dans ce sens: diocèse de Tongres, de Maestricht ou de Liége.

Au cours du Xe siècle, il arriva même qu'on omettra le nom de Saint-Lambert, dans l'indication de l'église diocésaine. Ainsi Othon Ier, en 952, parle du siège de Liége, en le dotant de Maeseyck, comme s'il était seulement dédié à Marie toujours Vierge: « tradidimus ad leodicensem sedem, in honore semper virginis Mariae dedicatam quoddam monasterium Eeche vocatum (72).

L'église de Liège se désignait parfois elle-même par le seul nom de Sainte-Marie. Telle est du moins l'adresse donnée par l'évêque Wazon (73), à l'envoi du secours qu'il fit parvenir à l'église ruinée de Verdun. « Sainte-Marie de Liege envoie 50 livres de deniers à Sainte-Marie de Verdun, moitié pour ses chanoines, nos frères, moitié pour la réparation du sanctuaire. Sancta Maria leodiensis mittit ... Sanctae Mariae Virdunensi (74).

L'expression d'église de Sainte-Marie peut en outre, à Liége même, désigner soit le Chapitre de la Cathédrale, corps ecclésiastique qui se plaça sous le patronage de la Vierge en même temps que de saint Lambert, soit deux édifices très divers: l'église Cathédrale dédiée à Notre-Dame et à Saint-Lambert, et la petite église baptismale de la Vierge, édifiée à côté de Saint-Lambert, comme l'était à Trèves, joignant la Cathédrale, cette église de Notre-Dame à la fois distincte et voisine de cette Cathédrale.

Chez nous, aussi, Notre-Dame-aux-Fonts s'éleva toujours à côté de Saint-Lambert, fut toujours, pour les regardants, comprise dans l'agglomération que formait le monastère ou l'ensemble des constructions de Saint-Lambert, et de cette complication des noms, des édifices et des institutions sont venues bien des confusions qu'il n'est pas toujours aisé de faire cesser.

Admettons même que dans tous les textes produits jusqu'ici, il ne s'en rencontre pas un qui se puisse appliquer à l'église particulière de Notre-Dame, et qu'il faille tous les entendre, en dépit des raisons de similitude, de circonstances ou de leur sens le plus naturel, soit comme une désignation du diocèse seulement, soit comme l'indication du temple plus connu sous le nom de Saint-Lambert; il n'en resterait pas moins certain qu'à côté de Saint-Lambert on constate l'existence, antérieure à l'invasion normande, d'un sanctuaire et d'une communauté importante. Ce sanctuaire n'eut jamais d'autre patronne que la Vierge et devait demeurer le baptistère de la Cité; cette communauté et son chef devaient garder dans la ville entière les privilèges d'une église primaire et de l'autorité archidiaconale.

On sait cependant quelle importance eut de bonne heure la basilique de Saint-Lambert: élevée par l'accord de saint Hubert, des habitants de Leodium et des premiers pèlerins qu'y amenèrent les miracles arrivés sur le théâtre sacré du martyre, elle fut dès sa construction ce qui caractérisait Liége pour l'étranger, au point que le nom de son patron faillit devenir celui de la localité « ad sanctum Lambertum. » Dès l'abord, elle se trouva la grande église. Le collège de ses chanoines devint le sénat de la principauté, jouit seul du droit de choisir nos princes, gouverna le pays à leur place, pendant la vacance du trône. Comment cette toute puissante Cathédrale aurait-elle laissé dans la ville même où elle régnait de si particulières attributions au sanctuaire obscur et pauvre de Sainte-Marie, sinon par respect pour des droits antérieurs, parce qu'à Liege Sainte­Marie était l'aînée de Saint-Lambert, et la première paroisse de la localité?


IV.

LES ABBÉS DE NOTRE-DAME DE LIÈGE.


Voici cependant que les Normands se jettent sur le pays de Liege. Reginon flous les montre à Elsloo en 881 et dès leur première et impétueuse incursion, dévastant tout ce qui les entoure, ils livrent à l'incendie la cité de Liége, la place forte de Maestricht et la ville de Tongres. Les annales de Hincmar flous les font voir détruisant tout ensemble les palais royaux d'Entre­Meuse et Rhin et tous les établissements religieux du diocèse de Tongres: « omniaque monasteria parochiarum tungrensis. »

Liege, avant leur approche, avait vu princes et grands tenir conseil dans nos murs, moins pour leur résister que pour préparer la fuite. Son évêque Francon fut de ceux qui contribuèrent le plus à leur infliger la défaite finale; aussi put-il trouver un tombeau dans cette cathédrale de Sainte-Marie et de Saint-Lambert, qui avait été sans doute, après la libération du pays, le premier temple qu'on releva tant bien que mal â Liége. Restauration incomplète et provisoire sans doute: plus de vingt ans après ce désastre, un pieux écrivain rapportait comme un miracle de saint Lambert que la neige ayant pénétré par toutes les fenêtres dans l'église du saint, les voiles seuls qui recouvraient sa châsse n'en furent pas couverts (75) et moins d'un siècle après les Normands, Eracle devra projeter l'érection d'une Cathédrale nouvelle, Notger exécuter le dessein d'Eracle.

L'oeuvre de réparation commencée par Francon se poursuivit sous ses deux successeurs et pour ce qui regarde notre sujet, le texte le plus intéressant à relever est un passage des Gesta abbreviata d'Orval, composés au temps où le même Gille y préparait sa compilation.

Celui-ci, » dit-on de Richaire, « reconstruisit dans son diocèse, comme ses prédécesseurs Etienne et Francon, de nombreuses églises détruites par les Normands, et dont les abbés, moines et nonnes avaient été mis à mort. Ils y établirent des neuvaines de clercs, entre lesquels ils décidèrent qu'il y en aurait un qui prendrait la direction et présiderait, présent ou absent, à l'hospitalité et ils lui donnèrent le nom d'abbé, pour empêcher de se perdre de vieilles institutions de la piété. Noms de ces abbayes la première est celle de Liége, de Sainte-Marie et de Saint-Lambert. Deuxième, de Sainte-Marie, de Sainte-Renile et de Sainte-Herlinde, de Maeseyck. Troisième, de Sainte-Marie, de Saint­Georges et de Sainte-Ode, d'Amay. Quatrième, de Sainte-Marie et de Saint-Domitien, de Huy. Cinquième, de Sainte-Marie et de Saint-Sévère, de Meffe. Sixième, Sainte-Marie, de Ciney. Septième, Sainte-Marie et Saint-Hadelin, de Celles. Huitième, Sainte-Marie, de Dinant. Neuvième, Sainte-Marie, de Namur. Dixième, Sainte-Marie, Saint-Pierre et Saint-Bertuin, de Malonne. Onzième, Sainte-Marie et Saint-Pierre, d'Alne. Douzième, Sainte-Marie et Saint-Théodard, de Thuin. Treizième, Sainte-Marie et Saint- Rombauld, de Malines, au diocèse de Cambrai. Ces abbés sont appelés chapelains de l'évêque, et doivent avec lui, chacun son mois, séjourner et chanter les heures (76).

Ce texte n'aurait pas de valeur décisive en lui-même, s'il ne datait que du temps de Gilles, du milieu du XIIIe siècle. Mais il semble bien être une simple transcription d'annotations antérieures. Nul ne sait mieux que vous, mon cher Président, que le recueil entier de Gilles n'est qu'une mosaïque formée d'extraits de ce genre d'auteurs plus anciens; vous-même avez pu en tirer toute une histoire de Notger, du XIe siècle. Les restaurations de ces treize établissements sont attribuées, dans ce passage, à nos trois évêques du début du Xe siècle, sans déterminer nettement la part de chacun; ce vague n'est assurément pas une raison de croire que la liste donnée ait été rédigée par un contemporain de ces évêques. D'autres détails, par contre: la mention des patrons primitifs de Malonne ou d'Amay; celle de cette abbaye de Saint-Sévère à Meffe, qui a pris fin sous Henri de Leyen, en 1149, un siècle avant Gilles d'Orval, voilà ce qui plaide pour l'ancienneté de ce passage; de plus, ce que nous connaissons de l'histoire, soit des établissements religieux cités dans cette liste, soit des chapelains de l'évêque, témoigne de l'exactitude de l'auteur..

Sans doute, dans la nomenclature de ces abbayes ou collégiales, le nom de la sainte Vierge est chaque fois cité le premier, et c'est après celui-là qu'apparaissent ceux d'autres patrons spéciaux de la localité; puis, comme on n'en donne pas d'autre que celui de Notre-Dame pour Ciney, Dinant et Namur, l'ajoute du nom de Saint-Lambert à la mention de l'abbaye liégeoise de Notre-Dame, pourrait amener à se demander, a première vue, si ce n’est point simplement de la cathédrale de Saint-Lambert qu'il est question dans ce passage. Ce serait s'abuser que le croire: nous trouverons nombre de mentions d'un abbé liégeois de Sainte-Marie, jamais d'un abbé de Saint-Lambert; l'abbaye de Notre-Dame eut pendant plusieurs siècles, comme nous l'allons voir, des dignitaires, des attributions, des biens distincts de ceux de la Cathédrale et l'autonomie de l'abbaye ressortira même de ce fait que si elle fut quelques fois dirigée par un dignitaire du chapitre de Saint- Lambert, d'autres fois ce fut par le chef d'une autre collégiale.

Entre ces abbés de Sainte-Marie, le plus ancien dont le nom soit venu jusqu'à nous est peut-être ce Guntrannus (77) qui souscrit, avec l'unique qualification d'abbé, après le prévôt de Saint-Lambert, avant le coste et les archidiacres, à cet acte du 1er juillet 961, par lequel l'évêque de Liege, Eracle, consensu fidelium, octroie, en Basse-Sauvenière, un refuge aux moines de Stavelot.

Le second est un personnage plus connu et qui devint dans le diocèse, au temps de l'évêque Théoduin, le plus important après l'évêque: il s'appelait Bozon et semble avoir appartenu au pays de Huy, peut-être à quelque noble famille de cette région; du moins y possédait-il des biens et fut-il à la fois abbé de Sainte­Marie à Liege et restaurateur de Notre-Dame de Huy. Huy lui dut en tous cas sa nouvelle église de Notre­Dame, le relèvement de sa collégiale et vraisemblablement quelque chose au moins de ses premières franchises. Fisen et les auteurs du Gallia christiana veulent qu'il soit mort vers 1044 (78). Il semble bien cependant que ce soit lui que nous voyons souscrire au rang d'honneur à toutes les chartes de Théoduin qui intéressent Huy, donations de cet évêque à la collégiale où il choisit son tombeau, libertés accordées la même année aux bourgeois de Huy (79), cadeau fait à la même église de l'alleu d'Ulbeck en 1067, privilèges octroyés aux brasseurs hutois en 1068 (80). Théoduin, en achevant la grande église de Huy, n'avait fait que compléter l'ouvre de Bozon: la paternité de celui-ci ressort à la fois de la mention inscrite au livre des anniversaires de cette église « Commémoraison du seigneur Bozon, archidiacre, père de ce lieu, » et de ce fait relaté par Gilles d'Orval et par les chroniqueurs hutois: qu'au milieu du choeur de l'église relevée par Bozon, et où il avait porté à quinze le chiffre de ces chanoines, rétablis au nombre de neuf après les invasions normandes, s'élevait le tombeau du fondateur Bozon, abbé de Sainte-Marie, à Liege (81).

Il ne paraît pas avoir toujours aussi bien usé de sa haute position et s'il est vrai, comme une lettre de Grégoire VII le donne à croire, d'après Herman de Metz, que l'entourage de Théoduin doit être rendu responsable des actes de simonie reprochés par le Pape au clergé liégeois, cette simonie avait peut-être servi à payer la restauration de Notre-Dame de Huy (82).

Un historien de Stavelot nous a conservé le récit des hardies et victorieuses démarches que vinrent faire à Liege, auprès de l'empereur Henri IV, qui s'y trouvait alors, l'abbé et les moines de Stavelot, contre la suprématie desquels s'étaient insurgés ceux de Malmedy: on y voit qu'en ce temps-là Bozon était le bras droit et, de fait, l'actif coadjuteur, l'inspirateur et le représentant ordinaire de Théoduin, infirme et fort âgé (83). De même, quand l'abbé de Saint-Hubert, comme le raconte le chroniqueur monastique contemporain du célèbre cloître ardennais, se rendit à Liége, pour faire reconnaître par Théoduin le privilège que Grégoire VII avait octroyé, le 29 avril 1073, à cette abbaye. « Celui-ci, » Théoduin, nous dit-on, « accablé par la vieillesse, avait confié à Bozon la conduite de toutes les affaires de son diocèse, et Bozon aurait fait montre, à l'égard de Saint-Hubert, de dispositions fort vindicatives et de sentiments fort peu romains. Bozon ne jouit pas cependant d'un moindre crédit sous le successeur de Théoduin, sous Henri de Verdun. Le même chroniqueur de Saint-Hubert, mentionne que Bozon était alors abbé aussi de Sainte-Marie à Huy, que son neveu Lambert y remplissait les fonctions d'administrateur suprême et y rendait la justice (84).

Cette situation, en ce qui regarde Bozon, semble avoir dû prendre fin au plus tard en 1078. Du moins, un acte de cette année-là, de l'évêque Henry, acte de libéralité envers la collégiale de Saint-Barthélemy, nous renseigne-t-il sur une opposition faite et des droits maintenus par l'abbé liégeois de Sainte-Marie, et si cet abbé se trouve être, comme il est vraisemblable, celui qui souscrit à cette charte avec le titre d'archidiacre et d'abbé, sans mention de siège, le remplaçant de Bozon était alors l'abbé Godeschalc (85).

Godeschalc ne dut pas occuper longtemps cette dignité. Un autre archidiacre, Théoduin, souscrit en 1092, en se qualifiant abbas (86), à la fondation de Flône; en 1099, en se titrant abbas sanctae Mariae (87), à un jugement par lequel le prince-évêque Obert statuait sur un différend survenu entre le chapitre de Saint-Martin et celui de Sainte-Croix.

Nous en savons plus long d'un cinquième, l'abbé Hellin; les célèbres fonts baptismaux de Lambert Patras, sont restés jusqu'à nos jours le monument de ses artistiques libéralités pour son église de Notre-Dame; une charte, dont le manuscrit 833 de l'Université de Liege, collection formée par H. Van den Bergh, nous a gardé la copie (88), nous montre Hellin et deux prêtres de sa communauté, Etienne et Thierry, « annuente Hellino abbati de Sancta Maria cum suis presbyteris Theoderico et Stefano », intervenant â l'acte de donation de l'église de Saint-Léonard à Liége au monastère de Saint-Jacques. Hellin souscrit, avec sa qualité d'abbé de Sainte-Marie, à une autre charte du même prince-évêque, délivrée en 1111, au sujet de Lixhe en faveur de Saint-Paul (89), et comme abbé encore, en 1116, à une autre de Frédéric, prévôt de Saint-Lambert (90). Deux ans après, en 1118, Hellin mourait à Rome, et celui de ses collègues du chapitre de Saint­Lambert, qui, dans sa chronique locale en vers latins de dix syllabes, nous a gardé sur cet abbé d'intéressants renseignements, déplore comme un jour de misère ou de calamité, celui où périt le noble abbé Hellin.

Ce poète décrit la fameuse cuve baptismale, l'oeuvre de dinanderie qui, conservée de nos jours encore à Saint-Barthélemy, continue d'y faire l'admiration des artistes et des archéologues. Il rappelle les travaux hydrauliques entrepris par Hellin pour amener les eaux alimentaires sur le marché de Liége; l'hôpital qu'il acheva ou restaura dans les cloîtres de Saint-Lambert, et où il fonda une messe quotidienne; les bâtiments, granges ou greniers dont il enrichit les cloîtres; l'aspect princier de ces constructions. On avait alors oublié à Liége, ajoute le poète, les réunions synodales annuelles du clergé. Hellin se trouvait-il le chef en notre ville de la fraction la plus fidèle à soutenir les droits du Pape et de l'église romaine, en face d'un évêque trop complaisant pour le pouvoir impérial et qui, à diverses reprises, avait vu la résistance des abbés et des seigneurs les plus attachés au Pape lui susciter de grands embarras dans ces synodes? Toujours est-il que Hellin se rendit à Rome pour provoquer la restauration des synodes, mais qu'après un an de séjour et de démarches, l'affaire n'était point finie, quand la fièvre emporta le zélé prélat: Liége n'eut plus qu'à le pleurer et le regretter, nous dit son contemporain, comme un autre Wazou (91).

Ce que ne rappelle pas le poète, c'est que l'abbé Hellin avait été aussi le fondateur de la confrérie de Saint­Luc, établie entre une trentaine de prêtres, pour la sépulture des pauvres et le soulagement de leurs âmes.

Ce même poète nous fait connaître le successeur donné bientôt après à Hellin dans l'abbatiat de Sainte­Marie. Siefrid dont le nom se rencontre dès 1107, sans mention de titre dans une charte d'Obert pour Andenne, et apparaît avant celui même de l'abbé Hellin, à la suite de ceux des archidiacres dans la pièce de 1111 relative â Saint-Paul, Siefrid, à ce que nous apprend le poète, était un vaillant encore: deux fois il avait eu à supporter l'épreuve de l'exil; les tribulations avaient épuré l'or de sa vertu. Liége avait ouvert son sein à celui qu'avait repoussé un peuple à dure cervelle, qu'on ne nous désigne pas autrement, - le peuple gantois peut-être, si ce Siefrid était le même chanoine de Liége qui rédigea, le 12 juin 1073, une déclaration relative à la translation des reliques de Sainte-Pharaïlde à Gand. A Liége, il gagna bientôt la popularité de son prédécesseur: soutien des veuves, appui des orphelins, unissant le courage du lion à la douceur de l'agneau, l'abbé Siefrid excella tout ensemble, nous dit-on (92), à refréner l'orgueil des superbes, et à pardonner à ceux qui ne persévéraient pas dans le mal.

Plus tard la dignité de doyen de Saint-Lambert vint s'ajouter pour Siefrid à celle d'abbé de Sainte­Marie: on croit qu'il mourut vers 1125.

Vingt ans après, c'est dans un acte épiscopal relatif à l'église de Cornillon (93), qu'entre la signature d'un prévôt et celle du doyen de Saint-Paul à Liege, nous rencontrons celle d'un Ulric, abbé de Sainte-Marie, le même Wéric peut-être qui, l'an suivant, quittait toutes ses dignités ecclésiastiques pour suivre saint Bernard à Citeaux et devenir l'un des plus zélés lieutenant du grand conquérant monastique.

En 1154, nous retrouvons, inscrit le second, entre deux noms d'archidiacres, sur une charte de l'évêque de Liége Henri II, relative à l'église de Flône, un nom d'abbé de Sainte-Marie; c'est le nom d'Amalric (94). Est­ce du même Amalricus archidiaconus et abbas que fut signée vingt-deux ans après celle de Raoul de 1176 (95)? A cette époque, il est fort malaisé de distinguer entre les nombreux Amaury, membres du chapitre de Saint-Lambert.

Toujours est-il, qu'en 1173, un autre qu'Amalricus est abbé de Sainte-Marie, ainsi qu'il appert d'une donation faite cette année-là aux religieux hospitaliers (96); c'est l'archidiacre Henri qui signe alors, comme il le fera en 1181, dans une pièce relative à Waremme (97), et, le 28 mars 1182, dans une charte en faveur d'Alne, abbas de Sancta-Maria ou Sauctae-Mariae. C'est le même que nous voyons dans d'autres pièces, soit se qualifier seulement abbas en 1178 (98), soit unir son titre d'abbé de Sainte-Marie à celui de doyen de Saint-Paul en 1178 encore, et en 1182 (99). D'après un ancien livre d'anniversaires, c'est en 1184 qu'il est mort en possession de ces deux titres.

Quel fut son successeur immédiat à l'abbaye'? Nous ne pouvons que constater que dès l'an 1200 au moins (100), le doyen Henri de Saint-Paul se trouve remplacé, comme abbé de Notre-Dame, par le doyen de Saint-Lambert, Walther ou Gauthier de Ravenstein, de Chavenci ou de Caverchin. Nous aurons à revenir sur la première réorganisation qu'il introduit à cette date dans son abbaye; notons seulement à cette page qu'elle était trop complète, cette réorganisation, pour être l'oeuvre d'un homme entré de la veille en fonctions. D'autres documents nous font voir que Walther de Ravenstein avait été archidiacre dès 1192, écolâtre en 1197 (101); doyen de Saint-Lambert l'an suivant (102), il souscrivit, à ce titre, un acte d'Albert de Cuyck en faveur d'Heylissem. Il joint à la mention de son décanat et de son archidiaconat celle de sa dignité d'abbé dès l'an 1200, notamment en 1203 (103), et la commémoraison faite de lui dans les livres de l'hôpital Saint-Mathieu à la Chaîne, nous montre qu'il suivit les traditions généreuses des Bozon et des Hellin ses devanciers: « L'an du Seigneur 1207, mourut le 22 novembre, Walther, doyen et abbé de Sainte-Marie, en l'église de Liége, qui institua dans la dite église dix chanoines en l'honneur de saint Materne, et fut le fondateur de cet hôpital (104).

Le doyen Gauthier eut pour successeur, comme abbé de Sainte-Marie, le seul dignitaire du chapitre de Saint-Lambert qui fut au-dessus de lui, Jean d'Eppes, prévôt de la Cathédrale de 1202 à 1229; on le voit se qualifier abbas Sancte Marie dans des pièces de 1209 et 1223, où il confirme la réorganisation de Gauthier et ajoute un onzième chanoine au dix institués par son prédécesseur (105). Jean d'Eppes ne quitta tout ensemble, en 1230, les dignités de prévôt de Saint-Lambert et d'abbé de Sainte-Marie, que pour remplacer, sur le trône épiscopal de Liége, son oncle Hugues de Pierpont.

Par une coïncidence curieuse son héritier à la charge abbatiale devait l'être ensuite à l'épiscopat et à la principauté. Cet héritier n'abandonna, en effet, ses fonctions d'abbé que pour devenir évêque de Langres, puis son évêché français que pour monter au trône de Saint-Lambert, et se trouver chez nous le prince-évêque Robert de Torote: il avait été, avant cela, son contemporain Gilles d'Orval en fait foi, notre dernier abbé de Sainte-Marie (106).

Si incomplète que soit la nomenclature que l'on vient de dresser de ces abbés, elle permet du moins de se faire une idée de la place importante qu'ils ont tenue à Liege, du X au XIlle siècle.

Rétablie par l'évêque après la défaite des Normands, et comme restauration d'une institution déjà antique de la piété des ancêtres, cette dignité d'abbé de Sainte-Marie était à la collation de cet évêque; elle est de celles, qui sont des chapellenies du chef du diocèse et pour lesquelles les statuts donnés en 1203 au clergé liégeois par le légat du Pape, Guy de Preneste, réservent à l'évêque le droit de nomination. En outre, et c'est une preuve de plus de l'importance de cette charge, ces statuts stipulent que ces dignités abbatiales ne pourront être conférées qu'à des chanoines de la Cathédrale.

Celui qui est honoré de celle-ci prend, d'après l'ordre des signatures relevées dans les chartes du temps, le pas sur la plupart de ses collègues du chapitre de Saint-Lambert. Il signe parfois après les archidiacres, plus souvent parmi eux, d'autre fois à leur tête, immédiatement à la suite de l'évêque, toujours en rang d'honneur.

Il est archidiacre lui-même; il peut être, en même temps qu'abbé de Sainte-Marie, doyen d'une autre église, comme l'abbé Henri le fut à Saint-Paul; il peut arriver même comme Siefrid et Gauthier de Ravenstein, à l'honneur du grand décanat de la Cathédrale, ou comme Jean d'Eppes à celui de la prévôté, la plus haute prélature de Liege après le pontificat princier: les deux derniers titulaires de Sainte-Marie, n'ont même abandonné la crosse abbatiale que pour prendre l'épiscopale. La grandeur des constructions érigées par les plus connus de ces abbés, à Liége ou à Huy, l'importance des fondations religieuses ou hospitalières établies par les Bozon, les Hellin, les Gauthier, donnent à croire que cette dignité était réservée à la grande fortune ou qu'elle la procurait. On a vu l'influence qu'elle valait à ses dépositaires auprès des évêques et du clergé, l'indépendance et la haute position qu'elle leur assurait. Comment ne pas conclure, de ce chef seul, à l'antiquité de l'institution dont ils étaient les régents? Comment s'expliquer leurs privilèges, en regard de la puissance du chapitre de Saint-Lambert, autrement que par l'antériorité de ces privilèges sur ceux de la Cathédrale: parce que Notre-Dame les faisait bénéficier ainsi de son droit d'aînesse ?


V.

ATTRIBUTIONS DE NOTRE-DAME DE LIEGE.


Il ne sera pas sans intérêt de rappeler de quelle manière acheva de disparaître, par l'arrivée de Robert de Torote à l'épiscopat, une abbaye dont les prébendiers étaient déjà tous passés, dès I'abbatiat de Gauthier, dans le chapitre de la Cathédrale. Mais avant de nous arrêter aux détails de cette disparition, disons quelles avaient été les attributions de Notre-Dame de Liége.

C'était un vaste territoire que celui que nous voyons soumis à sa juridiction, si loin que nous puissions remonter dans notre passé religieux: il s'étendait sur la plus grande partie de ce qui constitue de nos jours la ville de Liege: depuis, ce qui devait devenir les quartiers de Sainte-Walburge et Sainte-Foi, jusqu'à ce qui devait être Saint-Jacques.

L'évêque Henry de Verdun, pour assurer leur provision de vin aux frères ou chanoines de Saint-Barthélemy, leur donne, en 1078, sur les coteaux liégeois qui se prolongent vers Sainte-Waihurge, des vignes qu'il avaiit reçues de ses prédécesseurs ou fait planter lui­même: il ne parvient pas, tout évêque qu'il est, à obtenir que la dîme en soit abandonnée par Sainte­Marie à ses protégés de Saint-Barthélerny: il lui faut ordonner à ceux-ci de reconnaître, par un payement annuel, les droits antérieurs de l'abbé de la vieille communauté sur les biens mêmes de l'évêque (107).

L'approbation de l'abbé Hellin et de ses deux prêtres de Sainte-Marie, permet seule, en 1112, à un autre évêque, et non des plus scrupuleux, Obert, de donner l'église de Saint-Léonard au couvent de Saint-Jacques, la libérant de la sujétion dans laquelle, nous dit l'acte même de libération, les autres chapelles de Liége sont placées à l'égard de leur église-mère, de Sainte-Marie. « Liberam feci ab omi subjectione quae ceterae capellae subjacent matri Ecclesiae Sanctae Mariae (108). »

Et lorsque l'évêque Raoul de Zahringhen règle en 1187 les obligations du curé de Saint-Remy lez Saint­Jacques, les premiers appelés à souscrire aux arrangements pris, sont encore les prêtres de Sainte-Marie.

Celle-ci est si bien reconnue pour l'église-mère de Liege, qu'au XVIe siècle même, nous entendrons, le 8 avril 1592, le chapitre de Saint-Lambert rappeler, par une conclusion capitulaire formelle, aux collégiales de Saint-Martin, Saint-Paul, Sainte-Croix, Saint­Jean, Saint-Barthélemy, qu'elles « sont obligées, suivant l'antique usage, de visiter à certaines époques leur église- mère, Notre-Dame-aux-Fonts (109).

Nous avons vu l'abbé Hellin passer une année à Rome, comme représentant du clergé liégeois, pour y négocier une réformation religieuse et le rétablissement de ces synodes qu'on reprochait à l'évêque Obert de ne pas tenir assez régulièrement.

L'intervention de l'abbé de Sainte-Marie, au sujet de ces synodes, est d'autant plus naturelle que c'était, non pas à la Cathédrale, mais en son église, qu'ils se tenaient, - sans doute encore comme dans l'église­mère. - Ainsi voyons-nous qu'un accord conclu entre notre évêque Théoduin et l'évêque d'Utrecht pour renouveler un arrangement paroissial pris entre leurs prédécesseurs, Baldric de Liege et Adelbold, a été signé le 30 octobre 1057, en l'église de Sainte-Marie, par tous les membres tant clercs que laïcs du synode, et a été officiellement publié dans cette église par lecture donnée au clergé et au peuple (110).

Aux termes du diplôme de 1208 de Philippe, roi des Romains, c'est le privilège de tous les bourgeois de Liége de ne pouvoir être cités et excommuniés que par le synode, pour certains cas déterminés, et cela en l'église de Sainte-Marie (111). De même, d'après la sentence arbitrale, rendue en 1230, sur un différend pendant entre l'évêque et les chanoines de sa Cathédrale, c'est à l'abbé de Liége, à l'abbé de Notre-Dame, puis aux curés, qu'il appartient d'exécuter en ville les sentences d'excommunication édictées par le chapitre de la Cathédrale lui-même, contre les malfaiteurs dont il avait à se plaindre (112). Tant il est vrai que l'abbé de Notre-Dame avait été, dès les temps primitifs, le curé primaire de Liege, le chef du clergé paroissial de la Cité!

L'éloge que nous avons entendu un poète local du XIIe siècle, nous faire de la façon dont Siefrid, après son élévation à la charge d'abbé de Notre-Dame, châtiait l'orgueil des uns et pardonnait au repentir des autres ne permet pas de refuser à cette fonction les prérogatives d'une magistrature répressive. Ces prérogatives passèrent dans la suite, comme on le verra, au grand prévôt, et c'est en vertu de cette transmission sans doute que celui-ci en vint à exercer dans la Cité une police morale, une sorte de justice de paix, un pouvoir correctionnel, dont la lettre du prévôt de 1349 sur les rixes des femmes, suffirait à nous donner la preuve pittoresque.

Comment donc toutes ces attributions n'auraient­elles pas été dès l'abord réservées, comme elles le furent en partie après le XIIIe siècle, aux dignitaires de Saint­Lambert, à « la grande église ainsi qu'on disait dès lors, si Sainte-Marie n'avait déjà eu ses droits acquis quant fut bâti Saint-Lambert?

Sainte-Marie n'était point seulement la paroisse de Liége par excellence; elle était aussi le sanctuaire de la paix, et le temple conservateur de la propriété libre, le lieu sacré où venaient s'apaiser les discordes et se transmettre solennellement les patrimoines indépendants.

On sait que pour arrêter ces guerres privées qui désolaient alors nos régions, l'évêque Henri le Pacifique constitua, le 27 mars 1082, pour ses sujets et pour les princes les plus notables du pays, un célèbre tribunal de paix c'est à Sainte-Marie que ce tribunal tenait ses audiences, à la porte de Sainte-Marie que se faisaient au son de la cloche du ban, de huitaine en huitaine, la citation à comparoir adressée sept fois aux prévenus défaillants, à Sainte-Marie que s'exécutait la condamnation qui comprenait excommunication et bannissement et c'est assisté de l'élite de sa noblesse et de son clergé, en tête duquel l'archidiacre de Liége l'abbé de Sainte-Marie - que l'évêque rendait l'arrêt sans appel. Pour les jugements le siège de l'évêque se dressa d'abord dans le temple, à la place même où l'on enterra, en 1281, ne pouvant ou ne voulant pas l'inhumer dans sa Cathédrale mise en interdit, le prince-évêque Jean d'Enghien (113), plus tard ce fut parfois au dehors de l'église, mais à l'abri de ses murs encore et, suivant l'expression consacrée, « entre Sainte-Marie et Saint­Lambert (114). »

Au XVe siècle cependant, des actes authentiques étaient encore passés: « Che fut fait et convenanchié, en l'eglise parochial N-D az Fons a Liege, en lieu condist: ou monsseigneur siet al Paix (115). »

On ne rendait pas à Notre-Darne que les arrêts d'arbitrage du tribunal de paix; d'autres arrangements y étaient souscrits: ceux-là, par exemple, qui dégageaient les citoyens de lien de dépendance à l'égard d'un domaine ou d'un seigneur. Aussi, sera-ce là que, le 20 février 1211, Walther, l'avoué de Châtelet, viendra faire acter, in judicio pacis, les franchises qu'il accorde à Châtelet et à Pont-de-Loup: justice indépendante, exemption de tailles, suppression de main­morte et le reste (116).

Le lieu où se tenaient ces séances pacificatrices ou libératrices et ces synodes à la fois civils et religieux, qui devaient devenir les journées d'Etats de la principauté, le baptistère où se conservaient les titres de légitime descendance, cette première église de Liége était en quelque sorte désignée, pour servir de local aux assises de la Cour allodiale, cour d'enregistrement des transmissions de la propriété libre au pays de Liége.

Que cette Cour soit sortie directement des synodes, du tribunal de paix, ou simplement de l'affluence qu'amenaient ces assemblées, et de la facilité qu'elles offraient aux grands propriétaires d'y passer les actes qui réclamaient, comme ces transmissions, la présence d'un certain nombre de leurs pairs, toujours est-il que c'est à Sainte-Marie que nous voyons s'effectuer ces transmissions et mentionner dès le XIIIe siècle, qu'elles s'y font conformérnent à d'antiques usages.

En 1204, une église cédée aux Prémontrés de Liege leur et remise symboliquement « entre Sainte-Marie et Saint-Lambert (117). »

Ebroin de Fleron, en qui un acte de 1208 nous fait voir le président même de la Cour allodiale (118), veut céder en 1207 son alleu de Hunbroux et d'Alleur aux monatères d'Alne et du Val-Saint-Lambert. « Cet alleu, » ainsi s'exprime le prince Hugues de Pierpont, dans sa charte (119) signée de trois archidiacres, trois chanoines, trois nobles et trois bourgeois, - « cet alleu, Ebroin le remit d'abord dans nos mains, à titre d'aumône, puis suivant l'ordre et les coutumes, ce fut devant ses pairs qu'il l'affecta aux dits monastères, par donation régulière et solennelle, entre l'église de la bienheureuse Vierge et l'église du bienheureux Lambert, au lieu où il est coutume d'effectuer toute donation d'alleu (120). »

Ces cérémonies ne sont-elles, comme on l'a prétendu, que le maintien d'anciens usages francs? On ne sera que plus frappé de les voir se produire à Sainte-Marie, car si la formule consacrée fut à Liége pendant des siècles: « entre Sainte-Marie et Saint-Lambert, » c'est que l'église même de Notre-Dame avait bien été la première enceinte réservée à la passation de ces actes. Avant de remettre symboliquement dans les mains de l'évêque les alleux, objets de la transmission, ce fut sur l'autel de la Vierge qu'on les déposa, et les membres mêmes du chapitre de la Cathédrale n'en usèrent pas à cet égard d'autre façon que les propriétaires laïcs.

Ainsi, en 1085, un certain Elbert, attaché au service de la grande église et qui se qualifie « serf de Sainte-Marie et de Saint-Lambert, » obtient des membres du Chapitre, « ses seigneurs et maîtres, » un alleu qu'ils venaient d'acquérir à Liers; il en obtient de l'évêque Henri un autre, tout proche d'Ans. Eh bien, c'est sur l'autel de Sainte-Marie devant les seigneurs et frères du Chapitre, nombre de gens de la famille de l'église et d'hommes libres que l'évêque commence par déposer symboliquement sa donation, « posuit terram illam super altare Sanctae Mariae ut esset fratribus in allodium, mihi vero in hereditatem... Inde accepi donum in capitulo (121). C'est donc bien de l'autel de Sainte-Marie que le bénéficiaire reçoit cet alleu pour lui et pour ses héritiers, en retour de quoi il établit certaines fondations religieuses, à desservir à l'autel même de Notre-Dame.

A l'origine, comme on le voit, l'acte de la transmission de biens ou de droits effectuée à Sainte-Marie, était délivré par l'intéressé même ou par l'évêque. Dès la première moitié du XIIIe siècle, à la suite peut-être des changements dont nous aurons à parler, l'usage s'établit de réserver au chef du clergé de cette église, la charge d'authentiquer, par l'apposition de son sceau, le document qu'on vient de dresser « entre Notre-Dame et Saint-Lambert. » En 1220, « Noé sacerdos et investitus sancte Marie (122), » souscrit le premier, avant tous autres prêtres et témoins, à un acte de la Cour allodiale. Dès 1250, au plus tard, comme on peut le voir par une pièce de cette date du Cartulaire d'Alne, le principal desservant de Sainte-Marie, donne acte de la transmission par document écrit et scellé de son sceau, et le même Cartulaire (123) nous présente peu de temps après, en 1266, un acte semblable, rédigé en français, comme tous ceux de cette Cour le sont dès lors: il est délivré et scellé par « maistre Jehan li Coies, archiprestres et chanoines de Saint-Pierre à Liége (124). »

Le principal desservant de Notre-Dame continua, dès lors, d'être sous ce nom d'archiprêtre de Liége, en vertu même de ses fonctions religieuses, membre de droit de la Cour allodiale; du moins l'apposition de son sceau fut-elle nécessaire pour valider les actes de cette Cour. En 1403, la Modération de la paix des seize, constate déjà l'ancienneté de l'usage établi sur ce point; l'article 34 de cette paix, prescrit aux membres de la Cour de sceller leurs pièces du sceau d'icelle, « avec le sceau de l'archiprêtre de Liege, comme d'antiquitié (125)

Le régent de Notre-Dame en serait-il venu, en l'absence sans doute des membres de la compagnie, à passer parfois en son propre nom, ces actes de donation ou de transmission de biens allodiaux? Toujours est-il qu'un record du 18 octobre 1658, rappela qu'il n'avait point ce droit, mais qu'il lui appartenait d'apposer son sceau sur les actes (126). Il garda jusqu'au dernier jour de la principauté cette prérogative de chancellerie allodiale, en même temps que l'honneur d'être le doyen, premier en titre, du clergé paroissial de la ville entière, ou comme le portait son nom: « l'archiprêtre de Liege, nom significatif et privilège qui ne s'expliqueraient guère si son église n'avait été la première et générale paroisse du Liége primitif.


VI.

SUPPRESSION DE L'ABBAYE DE NOTRE-DAME.


D'autres que l'archiprêtre de Sainte-Marie devaient recueillir une part des attributions de l'abbaye et de l'abbé de Notre-Dame, et c'est ici que nous aurons, nous reportant au début du XIIIe siècle, à rappeler comment disparurent, dans la première moitié de ce siècle, et l'abbaye et l'abbé.

Il avait déjà fallu, dès le milieu du XIIe siècle, supprimer un autre de ces Collèges rétablis, comme Notre­Dame, au Xe siècle, aussitôt après le départ des Normands: l'ancienne abbaye de Saint-Sévère à Meffe, qui ne comptait plus qu'un seul clerc, quand, en 1149, l'évêque Henri de Leyen finit par la remettre aux Bénédictins de Saint-Laurent.

Cinquante ans de plus ne rendirent pas la situation meilleure à Liége pour l'abbaye de Notre-Dame. La fin du XIIe siècle surtout avait été désastreuse. Aux frontières de la principauté, de fréquentes hostilités mettent de plus en plus le pays liégeois en lutte avec le Brabant, préludes d'une invasion qui devait amener le sac de Liege de 1212. A l'intérieur, les élections de prince-évêque sont chaque fois l'occasion de compétitions ardentes, malaisées à éteindre: l'évêque Albert de Louvain périt assassiné à Rheims; Albert de Cuyck et Hugues de Pierpont ont, pour se faire reconnaître, à triompher de vives résistances. Discordes dans l'Eglise où la simonie et le relâchement des moeurs avaient provoqué les accusations excessives et les révoltes de Lambert-le-Bègue et de ses pareils; discordes aussi dans la capitale et les principales villes où des libertés communales naissantes sortent de cruels déchirements. On voit même à Liége le clergé lutter contre le peuple soutenu par son évêque, comme à Huy le prince contre les bourgeois.

Ajoutez à cela que l'incendie de l'an 1185 avait réduit en cendres tout le coeur de la capitale: la cathédrale, le palais et plusieurs églises voisines, qu'il fallait rebâtir; ajoutez que de l'an 1195 à 1197 la famine avait désolé le pays. Ajoutez qu'à l'approche d'un siècle, qui allait être celui de l'organisation des corps de métiers, les développements mêmes de l'industrie et du commerce avaient pu, comme nous le voyons parfois de nos jours, diminuer la valeur de ces revenus de la propriété rurale, dotation de toutes les institutions religieuses. Les éléments les plus divers contribuaient de la sorte à multiplier les abus et aggraver la crise.

Cette crise, l'abondance de la foi et de la sainteté du siècle de sainte Julienne devait en triompher chez nous; ces abus, l'Eglise les déraciner. On les a fort exagérés sans doute dans les relations d'après coup, dans cette vie notamment d'Odile et de l'abbé Jean son fils, pieux roman dont un maître vénéré, M. le chanoine Daris, a depuis longtemps fait ressortir les inexactitudes (127). Impossible cependant de ne point constater la nécessité de la réforme par le zèle même de réformateurs, en tête desquels viennent se placer les envoyés du Pape. Impossible de ne pas reconnaître tout d'abord la décadence à Liége de l'abbaye de Notre-Dame.

Des neuf ecclésiastiques établis là, au Xe siècle, sous la conduite de l'abbé, nous n'en retrouvons plus que trois au début du XIIe. La charte d'Obert de 1112, par laquelle l'église Saint-Léonard est soustraite à l'obédience de Notre-Dame, pour être remise aux moines de Saint-Jacques, n'est délivrée par cet évêque que de l'assentiment de l'abbé Hellin et de ses deux prêtres: « annuente Hellino, cum suis presbyteris Theoderico et Stephano. » A la fin du même siècle, un acte de 1178 ne mentionne plus que deux prêtres de Sainte-Marie: l'abbé Henri et Henri de Hasselart (128). En 1187, dans la pièce par laquelle Raoul de Zahringhen fixe les obligations du curé de Saint-Remy, il ne paraît plus qu'un prêtre de Sainte-Marie: « D. Juliani presbyteri Sanctae-Mariae, » et les considérations alléguées par l'abbé Gauthier pour justifier sa réforme radicale constateront, qu'en effet, de la fondation primitive, Sainte-Marie, comme Saint-Sévère de Meffe en 1149, n'a gardé qu'un seul prêtre pour suffire aux charges de la communauté (129).

D'après l'auteur inconnu de la vie d'Odile et du petit abbé Jean, on en serait venu à Liege au XIIe siècle, à ce point d'oubli des lois de I'Eglise, qu'un boucher aurait mis aux enchères, en plein marché, des bénéfices ecclésiastiques. Le point de départ ou le prétexte de ces accusations trop générales, ne serait-ce pas bien ce qui ne s'était que trop réellement passé pour les prébendes de Notre-Dame?

C'est l'abbé même qui nous le certifie, les prébendes des neuf clercs réunis dans l'abbaye après l'invasion normande, avaient été subdivisées entre un nombre beaucoup plus grand, toujours croissant de bénéficiaires, et nul de ceux-ci ne pouvant en vivre, elles ne s'étaient plus trouvées que de petites aubaines que les laïcs, les moins dignes d'en jouir, se partageaient sans souci d'en exonérer les charges.

Le chef de l'abbaye toutefois occupait en vertu de cette dignité même, et par les hautes fonctions qu'il y joignait si souvent, une place trop importante, celle-là, pour qu'on put en réduire les attributions. L'émiettement ou la disparition de celles de ses subordonnés n'avait pu que fortifier sa prépondérance et l'amener à retenir pour lui de plus en plus de ces revenus dont à peu près tous les autres mésusaient: l'abbaye avait fini par n'être plus guère représentée que par ses abbés.

On a vu comment plusieurs de ceux-ci surent du moins employer ces ressources pour le bien, en bonnes et grandes oeuvres. Une réforme n'en était pas moins nécessaire, urgente, au moment où Hugues de Pierpont fut appelé à succéder à Albert de Cuyck sur le trône épiscopal et princier. Nous allons assister à cette réforme.

L'initiative en doit-elle être attribuée au nouvel évêque? La réorganisation achevée, nous entendrons Hugues proclamer qu'elle émana de lui pour grande part, et lorsqu'il s'agira de lui trouver un tombeau dans la Cathédrale, le premier endroit où l'on ouvrira sa fosse sera cette chapelle même de Saint-Materne dont il avait consacré l'autel, érigé comme le monument de cette réorganisation (130).

De même cependant que les premiers documents qui nous font connaître cette réforme, l'épitaphe de l'abbé Gauthier fait honneur à celui-ci de la fondation nouvelle, et peut-être ne serait-il que juste de réserver une part de l'initiative aux légats du Saint-Siège.

Quoiqu'il en soit, les privilèges de l'abbé de Sainte­Marie, l'indépendance et l'autorité dont il jouissait à tant d'égards faisaient en quelque sorte une loi de convenance à ses supérieurs de lui laisser le mérite de prendre les devants et la charge de triompher des difficultés du chemin. Gauthier de Ravenstein était d'ailleurs mieux en position que personne d'opérer une réforme qui intéressait à la fois les deux institutions dont il réunissait la direction dans ses mains: son abbaye en décadence, et ce chapitre de Saint-Lambert dont il était le doyen, chapitre où il fallait alors tout à la fois relever l'église et les cloîtres incendiés, et rétablir la régularité du service religieux.

Gauthier n'hésita point à reconnaître que ses prédécesseurs non seulement n'avaient point réprimé les abus, mais d'année en année s'étaient fait, au détriment de leurs subordonnés, la part trop belle dans les revenus de l'abbaye. Une restitution s'imposait de sa part, comme une réforme aux autres. Fort de l'appui de l'évêque, des archidiacres et du chapitre de Saint­Lambert, l'abbé doyen, assisté d'un certain nombre de notables, réunit les bénéficiaires de ces petites prébendes tombées en mains trop nombreuses, si peu dignes et si peu capables. Il leur fit comprendre ce que la situation offrait d'incorrect et approuver son dessein: tous se prêtèrent à résigner ces parts minimes de bénéfices dont ils ne remplissaient, dont ils ne pouvaient même remplir les charges. De tout cela, Gauthier constitua dix canonicats pour cette église de la bienheureuse Vierge Marie « déchue à ce point d'abandon, » nous dit-il, « qu'à peine avait-elle gardé un seul et unique vicaire. » L'abbé conféra ces dix canonicats à autant d'hommes instruits et de bonnes moeurs, avec charge de célébrer offices de jour et de nuit dans cette église de Notre-Dame. Il ne réserva, pour lui et pour ses successeurs, que le privilège de conférer ces canonicats suivant que les titulaires viendraient à décéder; il défendit aux confrères de rien exiger du nouveau chanoine soit avant, soit après sa réception, mais laissa leur Chapitre absolument libre de porter l'élu de ses membres aux fonctions de prévôt, doyen, chantre, scolastique, camérier, coste ou carillonneur. Aucun d'eux ne pouvait désormais occuper un autre canonicat à Liége, ou devait, s'il l'acceptait, résigner celui de Sainte-Marie. Gauthier - et c'est ici qu'interviennent indirectement les restitutions de l'abbé Gauthier - percevait entre autres, à ce titre, des revenus en nature et en argent sur des propriétés en dehors de Liége. Ces propriétés, détail intéressant à relever en faveur de l'antiquité de l'abbaye, se trouvaient précisément dans cette partie du diocèse où s'était étendue d'abord la civilisation romaine, dans cette Hesbaye où les fondateurs de la maison peppinnienne avaient possédé de grands domaines: l'abbé renonce, à peu d'exceptions près, pour en faire la dotation des nouveaux chanoines, à tout ce qui lui revenait de ce domaine, dîmes, cens et rentes, en espèces ou en nature, à Villers­l'Evêque, et dans ses dépendances Naveroulle, Freres ou Freeren, Thys ou Tilice, Tongres, Lantin, les Awirs. « Pour observer toutes les formalités prescrites à ce sujet et ne rien oublier de leurs détails, j'ai reporté, » ajoute-t-il, « ces possessions, en même temps que l'évêque de Liége Hugues, qui, lui aussi, y a mis la main, sur l'autel de Sainte-Marie, et de là, j'ai institué les dits chanoines possesseurs et maîtres (131). »

Peu de temps après la passation de cet acte de restauration de l'antique chapitre de Notre-Dame, le légat du Pape, Guy de Preneste, arrivait à Liege au commencement de l'an 1201 et approuvait formellement, au nom du Saint-Père, la nouvelle répartition de prébendes et l'institution des dix canonicats de Sainte­Marie, « établie par notre vénérable frère Hugues, évêque de Liége, et notre cher fils Walter, doyen de Saint-Lambert et abbé de Sainte-Marie. » Ce n'était pourtant qu'une première et incomplète esquisse de la réorganisation qui allait se poursuivre.

Trois ans n'étaient point passés que la situation déplorable dans laquelle l'incendie, les troubles civils, les guerres, les pertes de toutes sortes et de fâcheux abus, avaient réduit l'église de Saint-Lambert, et le zèle sans doute de l'envoyé du Pape, décidèrent l'abbé-doyen à compléter son oeuvre. Dans un acte nouveau, passé avec la même solennité que le précédent et devant des témoins plus nombreux encore, en tète desquels le légat lui-même du Pape, il reproduit les considérants de sa première réforme, ses donations, son institution des dix chanoines, et ajoute que ces canonicats ne pourront être conférés qu'à des clercs irrévocablement entrés dans les ordres, au moins par le sous-diaconat. Il réserve formellement derechef à l'abbé de Sainte­Marie le droit de conférer ces dix offices, mais voici le changement le plus important c'est dans le chapitre de Saint-Lambert, ou plutôt dans le service de cette église, et non plus dans celui de Sainte-Marie, qu'entreront les nouveaux chanoines: ils devront, de même que les autres clercs de Saint-Lambert, obéir au doyen, assister aux offices de jour et de nuit, suppléer, dans ces offices, de préférence aux vicaires, les chanoines absents. En cas d'infraction, c'est au chapitre de Saint­Lambert qu'il appartiendra désormais de les juger suivant les règles de l'institution; à ce Chapitre aussi de les protéger et de faire respecter leurs droits.

L'abbé de Sainte-Marie qui les choisira aura donc à les présenter au grand doyen de Saint-Lambert: à celui-ci de les installer au choeur de la Cathédrale au­dessus des simples vicaires ou bénéficiers, au rang des deux chapelains impériaux, tout proche des chanoines mêmes de Saint-Lambert. Un nom nouveau est par suite donné aux dix institués de Gauthier; leur appliquer le titre de chanoines de Sainte-Marie eût prêté à confusion, puisque Notre-Dame et saint Lambert étaient déjà les patrons des chanoines proprement dits de Saint-Lambert. L'abbé doyen se souvint-il à ce moment que toutes nos plus anciennes églises de la Vierge revendiquaient saint Materne pour fondateur? Attribuait-on peut-être alors à ce saint Materne la construction de notre plus vieille église, Notre-Dame de Liége? Ce fut en tous cas sous le patronage du premier évangélisateur connu de nos régions que Gauthier plaça ses dix chanoines de Notre-Dame transférés à Saint-Lambert, et qu'il fit d'eux ce qu'on appela, dès lors, le chapitre de Saint-Materne. Pendant quelque temps, en effet, comme le prouvent les chartes les plus anciennes de ce nouveau corps ecclésiastique (132), on ne manqua pas, à l'étranger surtout, de donner à ses membres le double nom, qui rappelait leur origine et leur réformation, de « chanoines de Sainte-Marie et de Saint-Materne; » bientôt toutefois l'usage s'établit de n'employer plus, pour les désigner, que le titre de chanoines de Saint-Materne, et c'est sous cette appellation qu'ils devaient se perpétuer jusqu'aux abolitions édictées par la Révolution française.

Comme suite de cette institution sans doute, un autel en l'honneur de saint Materne avait été érigé dans une chapelle de la Cathédrale; l'évêque Hugues l'avait bénit, et le souvenir de ce prélat resta si bien attaché à cette fondation qu'on a vu qu'après sa mort, ayant de se décider à l'inhumer au lieu d'honneur de la Cathédrale, sur l'emplacement sacré par le sang du martyr, ce fut dans la chapelle et devant l'autel de saint Materne, qu'on voulut creuser la tombe où devait reposer Hugues de Pierpont.

Le légat Guy de Preneste ne manqua point de confirmer au nom du Saint-Siège, l'institution à la réorganisation solennelle de laquelle il avait assisté en personne et il suffit de parcourir les statuts que le même mois, et peut-être le même jour, dans la même réunion, il donnait au clergé de la Cathédrale (133), pour constater que ce transfert à Saint-Lambert du chapitre de Notre­Dame avait pour but de concourir à l'établissement d'une réforme plus générale. Ces statuts interdisent entre autres soit de donner voix délibérative aux chanoines qui ne sont pas dans les ordres, soit de diviser un canonicat entre plusieurs prébendiers; ils stipulent qu'on rétablira dans leur intégrité les canonicats dont les revenus auraient été fractionnés, et ce dernier point est même de ceux que le légat prescrit de rappeler à tous dans la réunion solennelle du synode annuel; ils visent surtout à assurer dans le Chapitre la célébration de la messe quotidienne et l'assistance aux offices du choeur, à quoi venaient s'employer précisément les chanoines de Saint-Materne; ils réservent même à ces derniers, en même temps qu'aux deux chapelains impériaux et aux prêtres du chapitre de Saint-Lambert proprement dits, le privilège de célébrer la messe des grandes fêtes au maître-autel de la Cathédrale.

En vertu de ces dispositions, le chapitre de Notre­Dame avait vécu (134); il ne subsistait plus de l'antique abbaye que son nom et l'abbé. Ce nom même ne devait point tarder à disparaître à son tour. Mais avant de passer à l'exposé de cette dernière disparition, il n'est peut-être pas inutile de constater un fait encore: c'est que, dans toutes les pièces relatives à ces transformations, si l'on voit bien que l'abbaye ainsi réformée est une institution fort antique, nulle mention n'est faite de ceux qui l'avaient fondée. Tandis que nous connaissons soit par des actes authentiques, soit par les relations de vieux auteurs, les fondateurs, l'origine de tous les autres monastères, de toutes les autres collégiales de Liége, ces titres ou ces affirmations de contemporains nous manquent pour Notre-Dame. N'est-ce point que Notre-Dame existait chez nous avant cette histoire locale, qu'on n'y vit naître qu'après le martyre et dans la première biographie de saint Lambert?


VII.

SUPPRESSION DES ABBÉS DE NOTRE-DAME.


L'abbatiat de Notre-Dame ne fut pas supprimé par le transfert de ses prébendiers à Saint-Lambert. Les statuts de Guy de Preneste, qui font mention de ces chanoines de Saint-Materne, réservent formellement le droit de l'évêque de nommer aux abbayes qui sont ses chapellenies, et rien n'indique qu'on ait songé alors à supprimer cette dignité d'abbé, pour Notre-Dame.

Les pièces du temps continuèrent encore pendant plus d'un quart de siècle à mentionner l'abbé ou l'abbaye; l'église dont ils portaient le titre restait le baptistère de la cité, la paroisse primaire de la ville, le siège du synode et de tribunaux ecclésiastiques ou civils importants, et le prêtre appelé à la desservir, sous le nom même d'archiprêtre, n'était toujours que le vicaire des abbés. Celui de ces abbés qui, pour affermir l'institution des chanoines de Saint-Materne venait de se dépouiller d'une part notable des revenus que ses prédécesseurs avaient de plus en plus monopolisés, le doyen Gauthier de Ravesteyn, ne se contenta point d'assurer par cette fondation le service du culte à Saint-Lambert, sortant des ruines de l'incendie; il y assura en même temps le service de la charité, en établissant ou plutôt en rétablissant (135) et développant dans les cloîtres un hôpital, qui prit, du patron de sa chapelle, le nom de saint Mathieu. C'est à cet hôpital que l'abbé de Sainte­Marie avait destiné la plus grande partie de ce qu'il s'était réservé de rentes en nature: pois et paille, dans les propriétés de Villers-l'Evêque (136).

Peut-être, en s'employant de la sorte, en employant une part de ses revenus abbatiaux, comme son successeur continuera de le faire (137), à relever et subventionner l'hôpital, l'abbé de Sainte-Marie revenait simplement à l'accomplissement de la fonction que ses plus anciens prédécesseurs avaient eu à remplir à Liege, comme il avait été rappelé quand on releva l'abbaye après l'expulsion des Normands et qu'on y mit neuf clercs, sous la direction de l'abbé, « qui curam gereret et hospitalitatem exhiberet (138).

Quoiqu'il en soit, lorsque Gauthier mourut, le 22 novembre 1207, c'est devant l'autel de la chapelle de cet hôpital de Saint-Mathieu, aux cloîtres de la cathédrale, qu'on l'enterra sous une pierre qui rappelait que l'abbé de Sainte-Marie avait été le fondateur de cet asile (139).

L'envoyé du Saint-Père, Guy de Preneste, avait cependant poursuivi son oeuvre de réformation: après l'hôpital des cloîtres et les prébendiers de Saint­Materne, les chanoines mêmes de Saint-Lambert. En 1204, - et ce fut dans les premiers temps de l'année, si l'on peut s'en rapporter à l'ordre suivi dans ses annotations par le chroniqueur liégeois contemporain, le moine Renier de Saint-Jacques, - le chapitre de la cathédrale procéda, sous l'inspiration du légat, à une répartition nouvelle des prébendes de Saint-Lambert. Divers accommodements aboutirent à faire attribuer au prévôt, comme dotation de sa dignité, le bien important de Pont-de-Loup, à charge par ce dignitaire de payer chaque année sur les revenus de ce bien, 18 marcs à huit de ces chanoines: arrangement provisoire toutefois, car dès cette date aussi, la suppression même de la prévoté se trouvait résolue (140), et il était entendu que cette dotation de Pont-de-Loup viendrait tout entière, dans l'avenir, renforcer celle des canonicats trop mal pourvus de Saint-Lambert: la mesure, d'ailleurs, ne devait s'exécuter qu'après la mort ou le déplacement du titulaire.

Ce titulaire de la prévôté était alors Jean d'Eppes que son oncle, Hugues de Pierpont, semble avoir élevé à cette charge dès le début d'un grand épiscopat, tandis que le nouveau pontife avait encore à lutter, pour se faire reconnaître comme évêque, contre une partie du Chapitre: nous voyons du moins Jean d'Eppes, souscrire dès 1202 des actes publics, avec ce titre de prévôt (141): il ne l'abandonnera que pour recueillir plus tard, après le décès de son oncle Hugues, le titre même d'évêque de Liége. Mais il devait, avant celle-là, bénéficier d'une autre succession.

A la mort de l'abbé doyen Gauthier, ses deux fonctions n'échurent pas à un seul héritier: Thierry, prévôt de l'église Saint-André de Cologne, lui succéda comme doyen de Saint-Lambert. Comme abbé de Sainte-Marie, ce fut le prévôt de Liege, Jean d'Eppes ou « Jean li prevos » comme le porte la dernière signature et le premier mot de français que l'on trouve, en 1220, dans une charte liégeoise (142). C'est d'ailleurs de Jean d'Eppes aussi que nous devait venir, en 1233, le premier document officiel de notre histoire, complètement rédigé en français.

Dès 1209, le nouvel abbé de Notre-Dame s'était fait un devoir de confirmer, comme tel, les fondations de son prédécesseur (143), d'abandonner comme celui-ci, à l'hôpital Saint-Mathieu, ce qui lui revenait encore en pois et en paille à Villers-l'Evêque. Complétant cette oeuvre, en mai 1226, il était le premier à autoriser à titre de seigneur « domini nostri les chanoines de Saint-Materne à racheter, au prix de 35 marcs liégeois, une fois payé à l'hôpital, l'obligation qu'il leur avait imposée de prélever chaque année, pour cet établissement sur leurs revenus de Villers sept muids de pois et sept charretées de paille (144). Il ne fut point non plus étranger sans doute ni à l'extension donnée, en 1215, par un de ses collègues en archidiaconat, Ludolphe, aux revenus des chanoines de Saint-Materne dans cette propriété de Villers (145), ni à leur installation, en Gérardrie, dans deux maisons du chapitre de Saint­Lambert (146), auxquelles un chanoine de cette église ajoutait l'an suivant, en 1221, une moitié de son verger (147). En 1223, Jean d'Eppes fondait lui-même un nouveau canonicat de Saint-Materne, le onzième (148), et lui attribuait, comme dotation, avec l'approbation de l'évêque et du chapitre de la Cathédrale, puis du légat du Pape, les revenus de l'église de Gelinden, qui appartenaient au fondateur, à titre d'abbé de Sainte­Marie (149).

Il n'eùt, comme on sait, à délaisser abbaye et prévôté que pour monter au trône épiscopal, où les voeux unanimes du clergé, de la noblesse et du peuple l'appelèrent à succéder immédiatement à son oncle Hugues de Pierpont (150) et son élection du 24 mai 1229, ne put qu'être facilitée par cet arrangement de 1204, en vertu duquel l'élévation du prévôt à l'épiscopat, en amenant la suppression de la prévôté, assignait désormais dans la Cathédrale le premier rang à l'élu non plus de l'évêque, mais des chanoines, au doyen tenu jusqu'à cette époque au second et amenait, en outre, le partage entre les chanoines des revenus de la prévôté.

Un nouveau légat du Pape cependant était alors envoyé dans nos provinces: c'était Otton, cardinal diacre de Saint-Nicolas in carcere Tulliano. Arrivé à Liége en février 1230, il y trouva la prévôté supprimée, mais il estima devoir la rétablir. En considération de nous ne savons quelle importante affaire, à laquelle était intéressé le Saint-Siège au fort de la lutte contre Frédéric Barberousse, Otton rétablit la charge de prévôt pour la conférer au primecier de Metz, Jacques, frère du duc de Lorraine et parent de Jean d'Eppes (151).

Les chanoines de Saint-Lambert se prêtèrent-ils de bonne grâce à cet arrangement, ou firent-ils entendre quelques réclamations? Il n'était que juste, en tous cas, de ne point les dépouiller irrémissiblement du supplément de ressources que le légat précédent avait jugé nécessaire à la dignité de leurs fonctions et qu'il avait entendu leur garantir. Le nouveau nonce le comprit: lui-même sollicita du prince-évêque une réorganisation dernière dont l'initiative revenait d'autant plus naturellement au pontife que c'était à lui qu'il appartenait de conférer l'abbaye. Le légat lui proposa de remplacer, comme institution à sacrifier aux chanoines, la prévôté par l'abbaye de Notre-Dame, sauf à réserver les droits acquis des titulaires en possession: Jacques de Lorraine d'une part prévôt de Saint-Lambert et de l'autre, le chanoine Robert de Torote, qui venait de succéder à Jean d'Eppes dans l'abbaye. L'évêque agréa la proposition et nous expose dans une pièce datée de Huy, 23 mai 1230, toute l'économie de cette combinaison (152).

Répondant donc, y dit-il en somme, aux intentions du légat à qui nous avons toujours tenu à témoigner notre déférence, et attentifs à ce qui peut être utile à la grande église, objet constant de notre affection spéciale, nous avons jugé devoir accorder ce qu'on nous demandait et voici ce que nous avons arrêté: Du jour où le prévôt Jacques viendra soit à décéder, soit à se démettre de sa prévôté, les profits attachés à celle-ci et la totalité de ses revenus, le bien de Pont-de-Loup avec tous ses appendices, entreront dans le patrimoine commun des chanoines, pour en être le produit distribué entre ceux de ces chanoines présents aux offices quotidiens, suivant qu'il avait été réglé précédemment par le Chapitre même. Les honneurs et la juridiction de la prévôté, la justice de la Sauvenière, hommage de fiefs, tels que nous les avons possédés nous-mêmes, ajoute l'évêque, lorsque nous occupions cette dignité, continueront toutefois d'appartenir à cette prévôté. Mais tout cela viendra s'adjoindre aux attributions de l'abbé Robert, si c'est celui-ci qui survit au prévôt Jacques. En ce cas, Robert abandonnera ce nom d'abbé pour prendre celui de prévôt: les profits, rentes et juridiction, honneurs et charges de l'abbaye, ne lui resteront pas moins acquis pour en jouir désormais lui et ses successeurs, sous le nom de prévôté. Ce qui disparaîtra, en tous cas, dans cette fusion et par le fait de ce transfert de revenus, ce sera le nom même de l'abbaye: il en sera décidément éteint, car s'il arrivait que ce fut l'abbé Robert qui mourût avant le prévôt Jacques ou abandonnât sa fonction n'importe de quelle manière, l'arrangement stipulé n'en sera pas moins exécuté: l'ensemble des biens et rentes de la prévôté Pont-de-Loup et ses appendices, entreront dès ce jour aussi dans l'avoir commun des chanoines. La juridiction de la prévôté, avec ses attributions actuelles continuera d'appartenir au prévôt Jacques et à ses successeurs. Mais en même temps lui seront dévolus les profits, revenus, juridiction, charges et honneurs de l'abbatiat, et sous le nom de prévôté, il en jouira en remplacement des biens de Pont-de-Loup, cédés aux chanoines. De ce jour aussi tomberont comme il a été dit les noms d'abbé et d'abbaye, tandis que la prévôté, avec sa dotation nouvelle, subsistera toujours sous son nom.

Il eût été difficile, on le voit, de prévoir plus minutieusement toutes les éventualités.

Le prévôt, Jacques de Lorraine, demanda au légat (153), le 11 septembre 1230, de ratifier ces arrangements, et, comme l'envoyé du Pape tardait peut-être à couronner, par son approbation, une réorganisation que lui-même avait provoquée, le Chapitre insista dans le même sens et chargea deux de ses membres de lui porter ces instances épistolaires. Otton y répondit de Trèves (154), le 20 janvier 1231: en vue du bien de l'église et de la bonne entente entre les membres du Chapitre, il confirmait la suppression de l'abbaye de Sainte­Marie de Liege, dans les conditions indiquées.

Deux mois et demi après, en avril de la même année, le Chapitre de Cologne et l'archevêque de ce siège, métropolitain de Liege, apportaient, par acte public, leur approbation à l'arrangement arrêté par Jean d'Eppes pour l'abbaye, la prévôté et le quartier de la Sauvenière (155).

Le pape Grégoire IX enfin le rendit définitif, cet accommodement, par la bulle de ratification adressée le 23 décembre 1231, au doyen et au chapitre de Liege: du jour donc où le chanoine Robert viendra soit à décéder, soit à résigner cet office habituellement appelé l'abbaye, celle-ci aura cesser d'exister; ses attributions, sa dotation passeront au prévôt, et la dotation de la prévôté aux chanoines de la Cathédrale dans la mesure de leur présence au choeur (156).

A la date où le Souverain-Pontife prononçait le dernier mot de l'autorité suprême, le nom de l'abbaye allait, conformément à ces arrangements mêmes, disparaître définitivement. L'abbé Robert, dont on avait prévu avec tant de détail, le décès ou la résignation, Robert de Thorote, frère du bailli de Champagne et de l'évêque de Verdun, fut, en 1232, appelé au siège épiscopal de Langres, et du jour de son acceptation, le titre d'abbé tombait, la dotation de ce titre se partageait entre les chanoines de la Cathédrale et le prévôt de celle-ci unissait aux prérogatives de sa charge, celles de l'abbatiat supprimé de Notre-Dame.

Par une rencontre curieuse cependant, l'évêque de Langres ne devait point mourir parmi l'épiscopat français. A la mort du prince-évêque Jean d'Eppes (2 mai 1238), le choix de son successeur donna lieu derechef à de fâcheuses divisions. Les uns élurent Othon de la Marck ou d'Eberstein; les autres, un candidat plus digne, Guillaume de Savoie. L'empereur se prononça pour le premier; le pape pour le second, qui malheureusement mourut en Italie avant d'avoir pu prendre possession d'un siège qu'occupait indument son rival. L'élection du successeur de Guillaume dut donc se faire en dehors du territoire occupé par l'intrus, sous la présidence du légat: le choix des chanoines qu'il avait convoqués à cette fin auprès de lui, en France même, se porta d'autant plus aisément sur le prélat français dont ils avaient pu sans doute apprécier la valeur, alors qu'il remplissait parmi eux les fonctions archidiaconales d'abbé de Sainte-Marie; ils élurent l'évêque Robert de Thorote (157). Celui-ci, cédant aux désirs du légat, quitta Langres pour Liége, comme huit ans auparavant il avait quitté Liége pour Langres. Ce nouveau pontificat devait durer peu d'années: il valut du moins à Robert, de rencontrer sainte Julienne, et, sur les instances de celle-ci, de se trouver, parmi les évêques du monde catholique, le premier à célébrer cette Fête-Dieu, dont l'institution, étendue bientôt après à la chrétienté tout entière, reste ainsi dans l'histoire la meilleure gloire du dernier abbé de Notre-Dame de Liege.

Telle est, mon cher Président, autant qu'on peut la reconstituer dans une première étude, l'histoire des abbés de Sainte-Marie. Elle ne fait pas voir seulement combien importante était la fonction occupée du Xe au XIIIe siècle par tant d'hommes de mérite; et qui, prévôts, doyens, fondateurs de grandes oeuvres, coadjuteurs d'évêques, évêques eux-mêmes, tinrent une si grande place dans la principauté. L'étendue et la variété de leurs attributions, le nombre des autorisations et des approbations dont on crut devoir s'entourer soit pour transférer à Saint-Lambert les prébendiers de Notre-Dame, soit pour fondre l'abbatiat dans la prévôté, tout jusqu'au lointain mystérieux dans lequel se dérobe à nos yeux l'origine de cette institution, tout dans son histoire, n'est-il pas de nature à nous convaincre que Liege n'eut pas d'institution plus ancienne'?


VIII.

L'ÉGLISE ET LE CLERGÉ DE NOTRE-DAME AUX-FONTS.


Que devinrent, après la suppression de l'abbaye, l'église et le clergé de Notre-Dame-aux-Fonts?

On se souvient qu'en même temps qu'il relevait dans des proportions plus vastes, Saint-Lambert, ses cloîtres, ses dépendances et le palais épiscopal, Notger avait aussi reconstruit de fond en comble, l'église paroissiale de Sainte-Marie; de quoi l'on a pris souvent occasion dans la suite, de lui en attribuer, à tort, la fondation première (158). L'humble sanctuaire devait durer plus longtemps que la grande basilique notgérienne à l'ombre de laquelle il s'abritait. Des processions spéciales s'y rendaient en des occasions solennelles pour implorer l'intercession de la Mère de Dieu. Ainsi voyons-nous les moines de Stavelot, lorsqu'ils assiègent si hardiment, en 1071, avec les reliques de saint Remacle, l'empereur Henri IV au palais de Liége, promener le cortège de leurs supplications publiques de la crypte de Saint-Lambert, dans l'église de Notre­Dame, et déposer dans celle-ci la châsse du patron au nom duquel ils réclamaient justice (159).

Le grand incendie de 1185 l'épargna, comme par miracle: poussées sans doute par le vent d'Est, les flammes semblent s'être jetées de la Cathédrale sur les bâtiments adjacents, sur le palais du prince et sa chapelle des Onze-mille-Vierges; elles avaient gagné jusqu'à la collégiale de Saint-Pierre et l'église de Saint­Clément et Saint-Trond aux pieds du Publémont. Resté intact au sein des flammes, seul debout au milieu des ruines (160), le petit temple de Sainte-Marie dut se retrouver alors, pour quelques années au moins, la véritable Cathédrale. Sa conservation paraissait aux contemporains le témoignage merveilleux de la protection de la Vierge pour la Cité dont elle était la première patronne. Aussi est-ce là que, lors d'un pèlerinage solennel fait peu après à Liége par les Hutois, avec les reliques de leur saint Domitien, on réunit la châsse du patron de Huy, et celle du grand martyr liégeois (161).

Un martyrologe de Munsterbilsen, que l'on croit de la seconde moitié du XIIe siècle, mentionne une translation du corps de saint Lambert faite le 24 décembre « de l'église de Sainte-Marie dans la crypte, et la consécration, ce même jour, de la crypte à tous les saints (162). » A moins de se rapporter à la reconstruction de la Cathédrale par Notger, cette translation ne peut être que celle qui, après la restauration de Saint­Lambert, à la suite de l'incendie de 1185, ramena, de Notre-Dame, dans la chapelle souterraine de la nouvelle Cathédrale, les reliques du patron national.

On ne s'étonnera pas, qu'en 1212, alors que cette restauration ne pouvait être achevée, au moins pour l'ameublement du temple, les pillards brabançons se soient attachés surtout à dépouiller l'église, vraisemblablement mieux garnie, de Notre-Dame. Un d'entre eux ne craignit même pas de répandre sur le sol les hosties consacrées, pour s'approprier le vase qui les contenait (163).

On ne sait pas bien, quand, dans la suite, Saintes­Marie fut rebâtie; mais il n'y a pas à douter qu'elle occupait, dès lors, l'emplacement qu'elle devait garder jusqu'à son dernier jour: son entrée du moins s'ouvrait encore au XVIIIe siècle, comme nous le voyons au commencement du XIIIe, sur le portail même de Saint­Lambert (164).

Les derniers dessins qui nous restent de Saint­Lambert, nous font voir ce qu'était Sainte-Marie auprès de la grande Cathédrale et nous montrent que la petite église paroissiale n'avait plus rien gardé, quand elle fut abattue, des caractères de l'architecture romane des jours de Notger. Faut-il prendre pour l'époque de sa restauration, la fin du XIVe siècle, alors qu'on y apporta la cloche d'Eicke, et que l'on commença d'y enterrer des bourgmestres, comme en témoignaient les plus vieilles pierres sépulcrales du lieu? Faut-il reculer cette restauration jusqu'aux derniers temps de la période ogivale? Les plus vieux vitraux du sanctuaire dataient du milieu du XVle siècle, et c'est au commencement du suivant, le 14 juin 1623, que le chapitre de Saint-Lambert décidait (165) la démolition d'une boutique, aux abords du portail de la Cathédrale, pour permettre l'érection du petit portique, en toiture à double versant, qui devait servir d'entrée à Notre-Dame (166).

A s'en rapporter aux rares dessins qui nous en sont restés, et aux notes et souvenir des Liégeois qui l'avaient connue à la fin du XVIIIe siècle, Notre-Dame se trouvait établie un peu en contrebas de Saint-Lambert, à la droite de la Cathédrale, entre le portail d'entrée de l'Est, et la grande tour du choeur de cette Cathédrale. Un étroit jardin longeait celle-ci; entre ce jardin et Notre-Dame-aux-Fonts, s'étendait le cimetière de la petite paroisse (167).

Le choeur s'éclairait de trois fenêtres ornées de vitraux : la principale offrait l'image et les quartiers de l'évêque Robert de Berghes en prière devant la Vierge: elle devait donc dater de 1557 1564; les vitraux d'une autre représentaient les trois vertus de foi, d'espérance et de charité; ceux de la troisième rappelaient l'artistique et patriotique souvenir de cette paix de Cateau­Cambresis qui avait valu au pays de Liége la restitution de Bouillon et d'autres places de notre frontière française: l'on y voyait réunies, par un étrange contraste pour un vitrail d'église, les figures d'Elisabeth d'Angleterre et du roi Philippe II avec celles du roi Henri II et de l'empereur Ferdinand 1er (168).

Le vaisseau de l'église lui-même était percé de trois fenêtres d'un côté, trois fenêtres de l'autre: toutes étaient décorées de vitraux du XVIe siècle, représentant des scènes du Nouveau Testament, don d'un grand prévôt de la noble maison de Bocholt. Au fond de l'église, où le jubé portait des orgues de Bernard Picard, trois fenêtres ogivales geminées prenaient jour dans la façade; au-dessus de la fenêtre centrale on remarquait de l'extérieur un trio de minces baies en lancettes; elles occupaient le haut du fronton que surmontait un bout de tour carrée, coiffée elle-même d'une petite flèche aiguë. La cloche principale de cette tour, venait, disait-on, de la ville de Maeseyck: enlevée au cours de l'expédition des Liégeois contre le comte de Gueldre en 1397, elle avait été emportée par le métier des febvres, et donnée par celui-ci à l'église de la Corporation.

A Notre-Dame, en effet, outre les autels fondés de la Vierge, de sainte Catherine, des saints Simon et Désir, de saint Laurent et de sainte Agathe, on remarquait celui de saint Eloy: la plus vieille paroisse de Liege était en même temps le siège religieux de sa plus importante corporation industrielle, celle de nos vieux ferronniers. Et par une rencontre non moins intéressante, c'était aussi dans le plus vieux temple de la Cité qu'était érigée, - humble pierre d'attente pour le monument dogmatique de l'avenir: la confrérie liégeoise de l'Immaculée Conception.

Un plafond de bois cachait la voûte de l'église: Gilles Delcour, le frère du célèbre sculpteur, l'avait, à la fin du XVIIe siècle, décoré de ses peintures. Le maître-autel était orné d'une Assomption de Bertholet, d'une Conception plutôt, cadeau du commissaire de Harenne; et le choeur offrait, en regard d'une autre Assomption, de Carlier, un saint Charles Borromée en prière au milieu des pestiférés donné par Charles de Coninx, chanoine de Saint-Martin (169). C'est ce tableau qu'emportèrent les spoliateurs de 1792, et qui, après avoir occupé quelque temps une place d'honneur dans les musées de Paris, fut rendu, en 1815, à la nouvelle Cathédrale de Liege.

Outre les célèbres fonts baptismaux de Hellin et de Lambert Patras, devenus de nos jours le joyau artistique de Saint-Barthélerny, Notre-Dame-aux-Fonts renfermait une chaire de vérité sculptée par Werburc.

Son pavé ne se composait guère que de pierres sépulcrales, sous les sculptures et les inscriptions desquelles reposaient de nombreux Liégeois, dignitaires de l'église, nobles, simples bourgeois, le peintre la Fabrique, inhumé là en 1733, et dix bourgmestres de Liége ensevelis pour la plupart à côté de leur femme ou de leurs parents. Ces bourgmestres étaient Goeswin de Flémalle, mort en 1386; Gilles de Mollin, en 1424; Gérard Tollet, en 1494; Mathieu de Tongres; Onufride de Celliers, en 1539; Henri Haweal; deux Jean Piteit, en 1551 et en 1578; Jean de Soheit, en 1571; enfin l'auteur des Nobles devant les tribunaux, le bourgmestre Jean-François de Malte, décédé en 1703 (170).

La Révolution ne devait pas traiter mieux que des dépouilles d'évêques, ces derniers ossements de magistrats populaires: leurs pierres tombales furent brisées, réduites en chaux dans le four établi au milieu des ruines, ou employées aussi à réparer des murs d'eaux, à combler un vieux canal; quant aux ossements, ils durent passer sous la meule avec les os de ces princes­évêques que ces magistrats communaux avaient aimés ou combattus, et le tout servit à fournir du salpêtre aux soldats de la République libératrice.

L'humble église elle-même, profanée par les emplois les plus sacrilèges, mais qu'on n'avait pas abattue à cause des habitations adossées à ses murailles, ne devait pas être définitivement plus épargnée que le grand monument national dont elle avait partagé la fortune. En 1798, ce que les pillages avaient laissé de mobilier à Notre-Dame avait été vendu, pour la somme de 622 francs. L'église restait sous séquestre. Accueillant les propositions de l'administration de Liege, une loi du 13 février 1801, vint octroyer à la Ville le terrain occupé par les dernières ruines de la Cathédrale et par Notre­Dame-aux-Fonts, à la condition, pour la commune, de se charger de déblayer celui-là et de démolir celle-ci. Un an après rien n'était fait; aussi le 16 février 1802, le maire était-il officiellement invité à prendre les mesures nécessaires pour la démolition de Notre-Dame­aux-Fonts et des baraques ou maisons attenantes (171).

L'édilité finit par s'exécuter. Au cours des dévastations précédentes, les cadavres trop peu consumés qu'on avait rencontrés dans les monuments ou le sous­sol de la Cathédrale, avaient été entassés dans de grandes fosses creusées au cimetière de Notre-Dame­aux-Fonts: terres, pierres, restes mortels furent indifféremment enlevés et servirent à remblayer soit des excavations formées par la Meuse dans ses murs d'eau négligés, soit celles qui se trouvaient au quartier d'Outrerneuse.

Avec l'église furent abattues les constructions qui l'entouraient et qui s'adossaient au vieux baptistère, ou s'alignaient entre cette petite église et la grande tour de Saint-Lambert, les unes établies au niveau du cimetière, d'autres plus bas, sur la rue. Aux pieds de celles-ci s'ouvraient de petites boutiques dans lesquelles, dès le XVIIe siècle, s'installaient des marchands d'oranges.

Les plus notables de ces constructions formaient ce qu'un acte de 1475 appelait « les démorages des archiprêtre et pleban delle église Notre-Dame-aux-Fonts, joindant al arvol dessous la tour Saint-Lambert, d'une part et, d'autre part, az grez de la dite église (172).

On se souvient que Gauthier de Ravesteyn, le fondateur du chapitre de Saint-Materne, invoquait comme un des motifs principaux de sa réforme, ce fait qu'on en était venu, d'abus en abus, à n'avoir plus qu'un vicaire pour desservir Notre-Dame. Réorganisateur si zélé du culte dans la Cathédrale, et jusque dans l'hôpital des cloîtres, encouragé tout particulièrement d'ailleurs par un nonce préoccupé d'assurer mieux chez nous l'administration des paroisses qui relevaient des collégiales liégeoises, l'abbé-doyen Gauthier n'a pu manquer de reconstituer autant qu'il en était besoin, le service sacerdotal du baptistère et de la plus ancienne paroisse de Liége; tout au moins d'attacher deux prêtres à ce service. Aussi voyons-nous, dès le XIIIe siècle, apparaître â Sainte-Marie ce desservant principal, qui prend le nom d'archiprêtre de Liege et souscrit, avec ce titre, aux actes de la Cour allodiale. Un autre viendra le seconder qui, plus spécialement chargé de l'administration paroissiale, recevra le nom de pléban, parfois de curé, plebanus et pastor, dira-t-on en 1765, comme on disait, en 1224, sacerdos et investitus. Tous deux resteront, jusqu'à la fin, les élus du prévôt, successeur lui-même, pour leur conférer ces fonctions, des anciens abbés de Notre-Dame.

Jusqu'au dernier jour, d'ailleurs, l'archiprêtre de Notre-Dame devait demeurer le chef du Concile, de la réunion des trente-deux curés de la ville, ou, comme il signe, par exemple, dans les pièces adressées au pape au sujet de l'élection du prince d'Outremont en 1763: « Concilii postorum leodiensium decanus et archipresbyter nostrae Dominae. » Et cette qualification n'était pas qu'un vain honneur: l'archiprêtre exerçait véritablement les fonctions de doyen de ce clergé paroissial, et de président effectif des réunions de ce Concile. Le local officiel de ces réunions joignait même à la fois son habitation et l'église dont ce local dépendait, comme on le voit par un acte de 1688 « maison situées sous la chambre des 32 pasteurs de N.-D., joindant vers l'église aux degrés de la maison de l'archiprêtre, vers le marché aux boutiques de la Rose, et derrière à Notre-Dame (173).

Là tout près se trouvait le plus ancien siège de la justice échevinale et par suite du plus ancien conseil de la Cité: ce conseil aussi n'aurait-il pas commencé par n'être qu'une institution de Notre-Dame, et n'est-ce pas du sol du domaine de la Vierge, sous la protection des immunités de l'Eglise, qu'ont germé, poussé nos premières franchises communales?

A la longue d'autres églises de Liége avaient obtenu le droit de posséder aussi des fonts baptismaux comme Sainte-Marie: ç'avait été d'abord Saint-Adalbert pour le quartier de l'Ile; plus tard Saint-Jean-Baptiste dans le quartier Hors-Château; plus tard enfin, sur la rive gauche de la Légia, Saint-Servais, à la fin du XVIe siècle.

Notre-Dame-aux-Fonts n'en restait pas moins, par excellence, le baptistère de la ville. Les vieux registres, gardés par son clergé, constituaient l'état civil et le livre d'or des citoyens liégeois. Les grandes familles de la Cité, alors même qu'elles l'eussent pu faire ailleurs, tenaient à honneur de voir administrer le sacrement de l'initiation chrétienne à leurs nouveaux-nés, dans le sanctuaire historique de Notre-Dame-aux- Fonts; l'évêque, jusqu'aux derniers temps, quand il baptisait ne le faisait qu'en ce sanctuaire. C'est là aussi que ces grandes familles aimaient à faire célébrer les mariages de leurs membres, et de là que, mourants, la plupart des Liégeois recevaient l'Extrême-Onction.

De même qu'aucune des collégiales de la Cité ne pouvait, dit-on, mettre ses cloches en branle chaque jour, avant que celles de Saint-Lambert ne se fussent fait entendre de même nulle des paroisses n'avait à commencer la sonnerie de ses offices, avant que le signal ne fut parti du petit clocher de Notre-Dame: à celle-ci de déterminer les heures paroissiales de la ville entière (174).

En vertu d'un usage plus surprenant pour nous, et qui témoignait une fois de plus du caractère d'église­mère qu'avait Notre-Dame à Liege, c'était à l'entrée du choeur de celle-ci que se présentaient soudain, à quelque quartier qu'ils appartinssent, les fiancés au mariage desquels les parents s'étaient opposés par des considérations d'antipathie, d'âge ou de rang. Au moment où l'archiprêtre ou le pléban arrivaient à l'autel pour y accomplir une fonction sacrée, ces fiancés déclaraient â haute voix, devant tous, qu'ils se prenaient pour époux le prêtre, témoin forcé de leur union, ne pouvait se refuser leur en donner acte, sauf aux parents à intervenir, en certain cas, pour empêcher la vie en commun de mariés trop jeunes (175).

On ne reviendra pas sur cet autre privilège de Notre-Dame d'être le siège de plusieurs de nos plus importants tribunaux. Quand même ils ne se tenaient pas à la lettre dans cette église, mais « entre Notre­Dame et Saint-Lambert » le porche de la Cathédrale qu'ils occupaient semblait encore lui être commun avec la petite église. Le tribunal s'installait alors sur un grand pallier au haut de la première volée des marches de pierre, qui, derrière la porte d'entrée, conduisaient à Saint-Lambert: les statues, si remarquablement sculptées, qui décoraient cette porte, la suite et l'élévation de ces larges marches, le dais majestueux de ces belles voûtes ogivales devaient faire un cadre artistique pittoresque et solennel aux délibérations de ces tribunaux où l'évêque siégeait, en pontife, entouré des dignitaires de son clergé, de sa noblesse et de l'administration de sa capitale. Le portail de Saint-Lambert n'était cependant plus, dans cette circonstance, qu'un prolongement de Sainte-Marie, et les juges n'avaient d'autres cloches d'appel que celles de cette église. C'est ce que nous attestent à la fois nos écrivains judiciaires de la fin du XIVe siècle: « Monseigneur de Liége, » dit Jacques de Hemricourt, en son Patron del temporaliteit (176), « Monsingnor de Liege et nul autre que lui ne peut siéger au tribunal de paix à Liege en l'église Notre-Dame, près de la grande église de Liége, et non autrepart, le samedi et nul autre jour. » De même pour le tribunal de l'Anneau du palais: « Quand les enquêtes seront faites, les enquêteurs les devront clore, sceller et rapporter en main de celui qui gardera la parole de Monseigneur, lequel les devra remettre pour le jugement à rendre, à quelque prud'homme sans suspicion, et celui-ci les devra ouvrir par devant l'assemblée des hommes de Monseigneur en la dite église de Notre-Dame et non autrepart (177). »

De même pour la condamnation des contumaces, qui ne peut être rendue qu'après sept sommations, comme le rappelle Jean d'Outremeuse: « Mais à la septième il convient en rester là. Alors doit-on les cloches de Notre-Dame sonner; un homme proclameur jure doit monter à l'autel et doit prononcer que l'accusé est fors-jugé, » jugé par contumace (178).

Le lieu ou l'évêque se plaçait dans ces cérémonies, était celui où nous avons vu inhumer dans l'église, les restes mortels de Jean d'Enghien: il semblait donner une authenticité plus puissante aux conventions qu'on y passait: « Che fut fait et covenanchié, » lit-on, par exemple, dans un acte du XVe siècle, « en l'église parochial N-D az fons à Liege en lieu condist ou Monsseigneur siet al Paix (179).

Au premier rang des juges de ce tribunal de paix, au-dessus de l'archiprêtre et du pléban de Sainte-Marie un autre dignitaire demeura jusqu'à la fin le régent suprême de cette église: c'était celui qui, en sa qualité d'héritier des anciens abbés conférait à l'élu de son choix archipresbytérat et plébanie, tout en conservant pour le ressort entier de la ville, à titre toujours d'héritier de ces abbés, les attributions des archidiacres: c'était le grand prévôt de Saint-Lambert. Il ne serait pas sans intérêt de relever le détail des luttes qu'il eut à soutenir, à ce titre, contre cette autorité communale qui se substitua de plus en plus dans la commune de Liege aux vieux pouvoirs issus de la possession du sol liégeois par la communauté religieuse des premiers jours. Ces recherches nous conduiraient trop loin et ne sont pas strictement nécessaires pour justifier la thèse ici développée. Tout diminué qu'il fut, ce pouvoir du prévôt conserva quelques-unes de ses attributions jusqu'au dernier jour de la principauté. Un autre usage, qui ne prit fin qu'avec elle, fut celui qui avait fait de l'archiprêtre de Notre-Dame le garde-sceau de la Cour allodiale.

Plus n'est besoin non plus d'y revenir, pour vous le demander une fois encore, mon cher Président: les attributions caractéristiques de cette église, de son clergé et de l'héritier de ses abbés, ces privilèges judiciaires, baptismaux, matrimoniaux de Notre-Dame­aux-Fonts, cette primauté de sonnerie et cette juridiction archidiaconale et décanale pourraient-ils s'expliquer mieux que par ce fait que cette église était à Liége la mère de toutes les autres'?


IX.

NOTRE-DAME ET SAINT-LAMBERT.


Seriez-vous tenté de m'objecter que si l'on ne peut contester à Sainte-Marie l'honneur d'être la plus ancienne paroisse de Liége, si toutes ses soeurs ont reconnu ce droit d'aînesse, ou plutôt de maternité, il n'est pas prouvé jusqu'ici que Saint-Lambert l'ait également reconnu: la paroisse de la Vierge n'aurait-elle pu être, de bonne heure, une sorte de succursale détachée de la Cathédrale primitive?

S'il ne restait que cette objection à résoudre pour emporter votre conviction, mon cher Président, je ne désespérerais pas d'en achever la conquête.

Au surplus, nous en conviendrons sans peine, il n'est pas aisé de distinguer au premier coup d'oeil promené sur le vieux Liége, au temps le plus ancien, les limites du domaine de Saint-Lambert et de celui de Notre-Dame.

Vous aurez remarqué pourtant, dans les arrangements qui réglèrent la transformation de l'antique abbaye sous Jean d'Eppes, les mentions répétées de la Sauvenière, et vous ne l'ignorez, certes, pas: la Sauvenière était alors une de ces localités autonomes, comme le furent Avroy, Fragnée ou d'autres, dont la fusion dans l'agglomération liégeoise, devait former lentement la grande ville.

Le diplôme donné le 23 décembre 1107 par l'empereur Henri V, en faveur des immunités des personnes ecclésiastiques à Liége, avait nettement stipulé que le pouvoir séculier de la Cité, n'aurait nul droit d'intervenir dans la Sauvenière - à la différence de Liége même - si ce n'est contre les larrons et dans les cas soit d'emploi de fausses mesures, soit de ces troubles publics particulièrement graves, appelés stuer et burines. En ce qui concerne le cens des habitations, impôt ou rente, il en sera jugé, ajoute l'acte impérial, par le chanoine auquel il appartient: les chartes postérieures nous ont fait voir que ce chanoine était le prévôt - l'administrateur du temporel du chapitre de Saint­Lambert (180).

La Sauvenière conserva cette autonomie, quelque temps encore après la fusion de l'abbaye et de la prévôté. Aussi l'article 77 du Pawelhars, met-il en scène un certain « Johan jadit de Harsta, borgeois delle Sablenier (181) » et vers 1324 encore, le Liber officiorum Ecclesiae leodiensis, continue de mentionner pour un dîner obligatoire le bailli de la Sauvenière: « Villicus de Sabuleto cum sua uxore, » et les droits du coste sur ce mayeur « Super villicatum de Sabuleto sextarium vini et quatuor capones (182).

La Sauvenière, en réalité, ne fut réunie à la ville de Liége qu'en vertu de l'article 25 de la Paix des clercs, traité solennel conclu le 7 août 1287, entre la commune et les autorités religieuses. Cette annexion fut même alors payée par la ville 300 marcs, comme un véritable achat de territoire fait à la prévôté, qui conserve d'ailleurs dans le quartier cens, rentes et privilèges pareils à ceux que gardent les échevins de Liége (183). On eut soin de stipuler, dans l'article suivant, que les habitants de la Sauvenière ne pourraient être imposés par leurs nouvelles autorités communales qu'à l'avenant des autres quartiers de la ville, et que la grande église se réservait le droit de ne laisser user que comme il lui plairait de la place « entre le pont d'Ilhe et la maison Mailhar delle Salvenier, » maison sise en la Basse-Sauvenière.

Ce quartier de la Sauvenière, alors beaucoup plus étendu que de nos jours, comprenait la plus grande partie du Publémont, en montant jusqu'à Saint-Martin au moins et en descendant jusqu'à la Meuse qui longeait alors le pied de la Sauvenière, de Roland gouffre au Pont-d'Ile. Ne ressort-il pas des pièces citées, qu'à l'origine, il n'était compris ni au civil, ni au religieux dans la localité de Liége proprement dit, et que cependant il formait le patrimoine propre de Saint-Lambert? Géré, - grâce au privilège d'une antique immunité sans doute, - par l'administrateur même de Saint­Lambert, son prévôt, il lui devait cens, rentes, hommages et recevait de lui protection et justice. Le prévôt y garda même jusqu'à la Révolution française la nomination des curés de Saint-Michel et de Saint-Nicolas­aux-Mouches.

Vers l'an mil déjà, quand Notger veut, au haut de la Sauvenière, faire ériger une église sur l'emplacement redoutable où un seigneur puissant projetait d'élever un château-fort, n'est-ce pas au plus ancien prévôt dont le nom soit venu jusqu'à nous, au prévôt Robert, qu'il fait prendre l'initiative de la construction (184)? On sait les difficultés que le prédécesseur immédiat de Notger, l'évêque Eracle, eut avec les habitants de Liége (185). On sait même qu'il projeta de transférer sur un tout autre emplacement que l'ancien, et la cathédrale et le palais qu'il avait à reconstruire: ce fut sur la Sauvenière qu'il s'établit lui-même; à son extrémité qu'il commença de bâtir l'église qui ne devint pas la Cathédrale, comme il l'avait projeté en 965 (186), mais la basilique de Saint-Martin; et sur les flancs de la Sauvenière aussi qu'il concéda en 961, aux moines de Stavelot, le terrain que ceux-ci sollicitaient de lui pour s'y ménager un refuge (187). L'évêque saint Hubert le premier n'avait-il pas choisi, pour y ériger son monastère de Saint­Pierre, le pied du même Publémont; n'avait-il pas dû s'entendre pour ramener les restes de saint Lambert au lieu de son martyre avec les seniores loci (188)? Devant ces indices et ces faits n'est-on pas autorisé à penser que si le chapitre de Saint-Lambert et nos plus anciens fondateurs d'églises collégiales ne purent se donner un patrimoine territorial ou ériger des fondations tout à fait indépendantes que dans cette partie de la future grande ville, c'est que le reste relevait d'une autre autorité religieuse et temporelle, formait le domaine d'une autre institution antérieure à Saint-Lambert?

Cette institution, impossible de la retrouver ailleurs que dans Notre-Dame de Liege! Pas la moindre trace dans la première enceinte de Leodium d'une autre église peu connue, d'une autre communauté que celle­là! La seule fondation dont on ait parlé, - tardivement, - la chapelle des saints Cosme et Damien, par là-même qu'elle fut toujours donnée pour le lieu précis du martyre de saint Lambert, n'a pu être l'église où il allait prier en dehors de son habitation. Cette chapelle de saint Cosme, quand nous en constatons l'existence, n'a jamais, à aucun moment, rien d'une paroisse, rien d'une communauté ecclésiastique, ni desservants, ni dotation, ni juridiction quelconque. Une légende d'après coup a pu seule présenter cette chapelle, qu'aucun document ne prouve avoir existé en dehors de la Cathédrale, comme plus ancienne que le saint en l'honneur duquel cette Cathédrale fut érigée.

Tout nous ramène ainsi, lorsque nous recherchons la première église de Liége, à celle dont la sainte patronne partage, du plus loin, avec le saint martyr, le culte de nos aïeux; à l'abbaye que nous avons vu relever la première, après les destructions des Normands: Prima leodiensis sancte Marie; » au sanctuaire qui conserva le baptistère de Liége et l'état civil de ses citoyens, abrita la Cour allodiale et l'état civil des propriétés libres, les synodes épiscopaux, le tribunal de paix de l'évêque et le tribunal des juges ecclésiastiques; à cette paroisse primaire dont la juridiction archidiaconale s'étendait à toute la ville, excepté d'abord la Sauvenière, domaine particulier de Saint-Lambert, - à cette église-mère enfin, si bien reconnue telle par nos plus vieilles collégiales, que toutes lui devaient à ce titre l'hommage de certaines visites annuelles.

Rien de plus caractéristique à ce sujet que cette décision, prise par le chapitre même de Saint-Lambert, dans sa réunion du 8 avril 1592, décision à laquelle il a déjà été fait allusion.

Les collégiales de Saint-Martin, Saint-Paul, Sainte­Croix, Saint-Jean, Saint- Barthélemy, ayant omis de se conformer à l'usage, le chapitre de la Cathédrale les fait rappeler à l'ordre par les prévôts respectifs, et leur fait transmettre, d'après les chartes de Saint-Lambert, les articles d'un antique règlement, dont les dispositions avaient été confirmées comme très anciennes déjà, leur dit-il, par un bref du pape Clément III.

Ce pape, dont le court pontificat ne s'étendit que du 20 décembre 1187 au 27 mai 1191, avait donc expressément constaté et confirmé, dès la fin du XIIe siècle, l'usage et l'obligation des collégiales de Liege, de rendre processionnellement, à certaines époques et jours déterminés, « visite à leur mère, l'église de Notre-Dame, c'est-à-dire de Notre-Dame-aux-Fonts (189).

N'aurions-nous point conservé les clausulae approuvées par Clément III et visées dans ces conclusions? Copie en avait été, en 1592, envoyée pour rappel aux prévôts des collégiales en cause, mais par une coïncidence fâcheuse, les procès-verbaux de la plupart de ces collégiales sont perdus à cette date; les autres ne font point, que l'on sache, mention de l'incident.

Nous trouvons bien, à la fin du premier volume du recueil de Chapeaville, recueil dont on sait que le chapitre de Saint-Lambert a surveillé de fort près la composition (190), nous trouvons bien une sorte de mémoire qu'on nous donne comme une ajoute de Gilles d'Orval, et qui détaille les visites que les collégiales liégeoises doivent à « leur église-mère, c'est-à-dire Sainte-Marie et Saint-Lambert. » Cette note a été rédigée en faveur de la grande église, pour établir les droits du chapitre et du doyen de celle-ci à l'égard de ces collégiales, et, dans ces indications, on semble avoir confondu à plaisir ce qui regardait Saint-Lambert, et ce qui pouvait concerner Notre-Dame-aux-Fonts.

II en ressort qu'à certaines fêtes, Noël, Pâques, Pentecôte, saint Lambert, Dédicace des églises, Purification, Ascension et Toussaint, les cinq collégiales de Saint-Martin, Saint-Paul, Sainte-Croix, Saint-Jean et Saint-Barthélemy, devaient se faire représenter soit par une partie ou par l'ensemble de leurs écoliers, leur maîtrise, soit par certaines délégations de chanoines ou les deux à la fois; les obligations des deux autres collégiales de Saint-Pierre et de Saint-Denis étaient semblables, quoique un peu moindres. Il en ressort surtout que ces visites consistaient partie en processions, et en actes de présence qui devaient se faire parfois à Sainte-Marie, « ad fontes.

On ne saurait, sans autres éléments, faire la part exacte de la seule église de Sainte-Marie dans ces processions. Mais une pièce même de Clément III est de nature à nous éclairer, dans une phrase qu'on n'avait pas assez remarquée, et comme cette pièce est la seule de ce pape, relative à ce sujet, que nous trouvions dans ces livres de chartes de Saint-Lambert, invoqués par le Chapitre en 1592, c'est bien la substance de nos clausulae qui nous est donnée dans la lettre pontificale du 14 avril 1189.

Clément III, dans cette lettre, s'adressant â Albert de Rethel, prévôt de la Cathédrale et peut-être abbé de Sainte-Marie â cette date, confirme d'abord à l'église de Liege quelques-unes de ses possessions, sans doute en ce moment-là plus menacées, plus contestées, et confirme surtout « la liberté ou le privilège dont jouit Saint-Lambert de n'être pas soumise envers la mère église aux mêmes obligations que les sept autres collégiales en ce qui regarde soit l'hommage de déférence des sept collégiales de la même cité, soit les stations qu'elles ont à faire auprès de leur mère église, à Noël, à la purification de la Bienheureuse Vierge Marie, aux Rameaux, à Pâques, à l'Ascension, à la Pentecôte et en d'autres solennités (la fête de saint Lambert?) comme elles l'ont fait depuis cent ans et plus et le font régulièrement à présent (191). » Il n'y a plus à douter après cela que dès le XIIe siècle, on considérait comme une des prérogatives les plus antiques à Liége, le droit de Sainte-Marie de recevoir cet hommage filial de nos plus puissantes collégiales et que c'était par une faveur unique que le chapitre même de Saint-Lambert avait pu se soustraire à cette obligation.

Il est intéressant de rapprocher ce texte de ce fait, qu'à Huy, le 21 septembre 1130, lors de la consécration de la maison de Neufmoustier, pour régler la situation de la communauté nouvelle en regard du premier temple de la cité de Pierre l'Ermite, l'évêque déclara simplement établir Neufmoustier en face de Notre-Dame de Huy, dans la condition des églises de Liége, en face de leur église-mère (192).

Il est intéressant aussi de noter cet usage qu'observait au siècle passé le chapitre de la Cathédrale, d'aller au jour des morts faire en procession une solennelle prière, non pas au cimetière de Saint-Lambert, mais à celui de Sainte-Marie, à l'ossuaire qui, formé d'os et de crânes desséchés réunis en forme de Calvaire, s'élevait contre le choeur même de l'église de Notre-Dame­aux-Fonts (193).

Que cet usage se rattache ou non à ceux dont Clément III relevait la haute antiquité; que les sept collégiales aient ou non transformé en visites à Saint­Lambert celles qu'originairement elles devaient à Sainte­Marie, qu'on puisse ou non rattacher à l'exemption maintenue par Clément III le texte déjà cité, où le contemporain de ce pape, Hugues de Lobbes, montrait Saint-Lambert se substituant à Liége comme église principale à Notre-Dame; il n'y a plus à le contester en présence de l'interprétation officielle donnée en 1592 à la lettre de Clément III, et en présence du texte même de cette lettre papale rappelée encore dans le bref de 1230, de Grégoire IX (194), au chapitre de Saint­Lambert jusqu'à la fin du XVIe siècle, au moins, ce fut une tradition admise dans ce Chapitre que l'église­mère, à Liege, était Notre-Dame, et que mère elle était, pour la Cathédrale elle-même, au point qu'il avait fallu l'intervention de la plus haute autorité de l'Eglise pour exempter les tout-puissants chanoines, électeurs du prince et sénat de la principauté, du devoir de reconnaître plusieurs fois par an, la suzeraineté religieuse de leur humble voisine. Est-ce assez clair?

Sans doute, à moins de produire au débat des documents décisifs, inconnus ou perdus jusqu'ici, on ne dissipera jamais toutes les obscurités qui entourent les premiers commencements de Leodium, mais à travers les brouillards qui nous dérobent cette naissance du VIle siècle, brouillards semblables à ceux qui couvraient là, dans la nuit du 17 septembre, la marche criminelle des assassins du bienheureux Lambert, ne vous semble-t-il pas, mon cher Président, que nous pouvons distinguer du moins quelques vagues contours, et, si humble qu'il soit, le premier sanctuaire du hameau nouveau-né?

N'avez-vous pas déjà remarqué comment, sous l'action providentielle, les fondations religieuses de cette race de Pepin et d'Arnulphe, qui devait nous donner Charlemagne, se rapprochent de plus en plus, pendant ce VIIe siècle, du val où le sang de saint Lambert devait faire lever, lui, la grande cité wallonne?

Les cloîtres des filles du vieux Pepin, de Gertrude de Nivelles et de Begge d'Andenne, sont dotés, pour bonne part, avec leurs patrimoines hesbignons. Plus près de nous, Ode a élevé, sur les bords de la Meuse, la communauté religieuse d'Amay; saint Arnulphe que le moyen âge a voulu croire, - et rien n'empêche de partager sa foi, - le fils de cette sainte Ode, Arnulphe et Clodulphe, ont établi proche de ces localités tongroises que nous avons vu fournir la dotation de Sainte­Marie de Liege, la communauté pieuse, le cloître hospitalier de Russon (195); après eux, Pepin de Herstal assure mieux encore cette communauté de Russon. Plus près de nous, n'est-ce pas, ce semble, des libéralités de Grimoald que saint Remacle a reçu, pour son monastère de Stavelot, le territoire de Horion?

Plus près de nous encore, à l'extrémité du vallon sauvage où viendra se développer Liége, Chèvremont s'élève, communauté religieuse du même caractère, sous le patronage de Notre-Dame, institution au moins aussi ancienne et plus chère encore à la famille carolingienne (196). A l'autre extrémité de Liége, c'est Jupille, séjour du second des Pepin, qui garde dans son église patronale de Saint-Amand le souvenir d'un de ces apôtres épiscopaux, les mieux accuellis dans cette famille des Pepin; c'est Herstal, où Charles Martel et ses successeurs viendront établir leur princière résidence, proche d'une autre église de Notre-Dame. Ainsi le domaine pippinien entoure sur la droite du fleuve, de Chêvremont ou d'Angleur à Herstal le futur territoire liégeois; sur l'autre rive il le borne encore à Herstal et vers la Hesbaye. Comment, ce voyant, ne pas se demander si Liege a pu être autre chose, qu'un fragment démembré de ce grand patrimoine carolingien qui l'enserrait de toutes parts? Alors que tous les plus anciens établissements religieux d'alentour se trouvent ainsi venir d'ancêtres de Charlemagne, quelle plus vraisemblable origine aurait pu avoir cette communauté primitive de Leodium voisine de leurs résidences?

Là, saint Lambert, rétabli par l'un d'eux sur son siège épiscopal, vivait, commandait, séjournait, officiait, entouré de disciples et serviteurs; là il avait déposé les restes mortels de son prédécesseur saint Théodard (197); c'est vraisemblablement pour cette communauté, qu'au rapport du chanoine Nicolas, il avait obtenu ces privilèges dont la trace se retrouve dans la juridiction des abbés de Sainte-Marie, sur le territoire liégeois, de Herstal à Angleur?

A la lueur fugitive, mais suffisante, ce me semble, qui se détache du choc de ces détails et de ceux recueillis ci-dessus, le territoire de Liège m'apparaît, à travers les brumes de sa première histoire, partagé en deux domaines sacrés.

Celui de Notre-Dame, la paroisse primitive, est le plus ancien et le plus grand; c'est dans la plaine du fond de la vallée qu'il s'étend, le long de la Meuse. Distrait du vaste patrimoine des ancêtres carolingiens, octroyé par un Pepin, Grimoald, Ansegise, ou par quelque princesse de leur maison, à saint Amand, à saint Remacle ou à saint Théodard, il a dû son église au plus tard à celui de ces pontifes dont il eût à garder le tombeau.

L'autre domaine joint celui de Notre-Dame: comprenant un territoire moins fertile et plus restreint dans ses limites, puisqu'il s'est formé le second, au VIIIe siècle seulement, peut-être même tiré de l'autre, c'est sur la montagne inculte, sur le Publémont ou mont public, sur le vrai Leodium ce semble, qu'il s'étend principalement: il vient s'arrêter au bas de la Sauvenière, à ce bras de Meuse qui sépare Liège de l'île dont il sera réservé à Notger de faire un troisième quartier de la cité: c'est le domaine nouveau de l'église et des frères de Saint-Lambert, qui deviendront le chapitre de la Cathédrale. Le pouvoir de celle-ci ira toujours si bien croissant, qu'elle finira par absorber, comme nous l'avons vu, dotations, prébendes, juridiction, l'abbé, le nom même de l'abbaye de Notre-Dame. Elle n'a que trop longtemps, trop complètement fait oublier l'autre!

Rendons sa place à chacun: ni le temple national du martyr, ni le Chapitre de ses tréfonciers n'y perdront rien de leur gloire religieuse, de leurs privilèges princiers. La ville y gagnera d'avoir eu pour berceau son baptistère même et d'être née sous le patronage premier de la mère de Dieu.

Ce tableau est-il trop conjectural encore Ces conclusions, à défaut de s'appuyer sur un texte absolument décisif, n'ont-elles pas pour elles, autant que je le crois, de justes présomptions, de précieux indices, toutes les vraisemblances? J'espère au moins, mon cher Président, qu'il ressortira de cette étude, pour vous comme pour moi, que l'église de Sainte-Marie fut, dans l'ordre des temps, la première église de Liege. Nos pères, dans leurs monuments, faisaient bien de représenter leur cité par la colonne de pierre élevant fièrement la croix, entre saint Lambert, d'une part, et sainte Marie, de l'autre. Ensemble Notre-Dame et saint Lambert avaient fondé Liége; ensemble ils la devaient protéger pour jamais et c'est bien à l'autel de la Vierge, que le pontife avait été prendre, dans la nuit du martyre, le courage de mourir triomphant pour nous garder l'Evangile et pour fonder la patrie.


(1) « Vidit turbam multam hostile exercitu venientern per turmas et cuneos (Saint Théodard et saint Lambert, p. 162).

(2) Saint Théodard et Saint Lambert, vies anciennes publiées par Joseph Dernarteau, rédacteur en chef de la Gazette de Liege, p. 10.

(3) « ... Cum nusquam ad presulum et martyrum tumbam hodie cessant fieri signa (Saint Théodard et saint Lambert, p. 64).

(4) Tunc adveniens vir Dei landebertus pontifex in villa jam dicta leodio, circa mediam noctem sicut solebat exsurgens solitarius ibat in nocturno ad orationem devotus totam spem suam donino committens, psalmorumque cantus vigiliarum que studio prope ad lucis ortum orando usque perduxit. Postea vero veniens, tangens quem manu tenebat fuste ostium camerae appelans discipulos dixit: Expergiscemini et levate jam adpropinquat et hora est ut psallamus domino in matutinum laetitiae. » Elevatis que fratribus... una cum illis domino matutinum redit obsequia. Officio que peracto et cursu expleto reversus domum et ... ad lectum vadens cupiebat quiescere paululum (Saint Théodard et Saint Lambert, p. 161).

(5) Pontifex nec in sopore conversus adhuc expectabat felice somno dormire ... sed hoc audio nuntio velocissime surgens, discalceatis pedibus, fortissimus proeliator, adprehenso gladio, in manibus suis ut contra hostes suos pugnaturus accederet. Sed Christus, etc. » (Idem, p. 162).

(6) « His dictis, omnibus ex cubiculo ejectis, prostravit se terrae, extensis brachiis in cruce, orationem fundens cum lacrymis. Et subito pervenerunt carnifices, ingressi sunt domum, interfecerunt in ore gladii omnes quos ibidem invenerunt. Unus autem ex ipsis ferens (scandens) super tectum cubiculi ubi sanctus dei orabat, in ictu teli jaculavit eum » (Saint Théodard et Saint Lambert, p. 165).

(7) « Infra cubiculum ubi sanctus Dei felicem fudit cruorem luminaria ex divina accensa potentia, resplendebant crebrius ita ut omnis domus illa tota refulgeret (Idem, p. 167).

(8) « Baldigislus ... amonitus fuit per visum ut surgeret et exscoparet locum diligenter ubi vir Dei interfectus fuerat ... Raganfridus admonitus in sommis emundare locum ... Sanus demum ad ipsa loca non destitit servire » (Saint Théodard et Saint Lambert, p. 168).

(9) « Et jam cum basilicam populus ibidem coepisset fundare, audita miracula per universam terram ... omnis populus laudes dabat deo » (Idem, p. 168).

(10) « Itaque ex hoc amplius concurrebant mixtus vulgus utriusque sexus, senes et parvuli basilicam in honore ipsius sancti œdificare quae, auxiliante Domino, velociter consummata est » (Idem, p. 169).

(11) L'auteur contemporain mentionne, en effet, trois manifestations de la foi populaire, après le miracle dont Ode a été gratifiée : 1° l'achèvement de l'église de Saint-Lambert à Liège même; 2° l'érection d'une chapelle commémorative au lieu, proche de Liége, où ce miracle s'était produit (la tradition a toujours indiqué Sainte-Walburge); 3° l'ornementation du lit du saint dans le lieu du martyre: « Similiter ubi Virgo lumen ex fide recepit, basilica in ejus nomine constructa et assidue veneranda et iam fideles timentes Deum composuere lectum et fabri arte ornaverunt illud et posuerunt in loco ubi jaculatus fuerat. »

(12) « Port haec turba universa cum sancto pervenit ad locum optatum. Audito psallentio magno exierunt obviam omnes habitatores loci illius, gaudentes et exultantes, susceperunt eum et dignum et proeparaverunt mausolium in quo opere copiosa mole auri et argente mirabile fabricatum super corpus ejus posuerunt ... ibi que urbana ut decebat composita venerabili mernoria servatur amplius cotidie veneranda » (Saint Théodard et saint Lambert, p. 173).

(13) Ghesq., Acta Sanctorum Belgii, t. IV, pp. 266 et 273.

(14) Idem, t. III, pp. 453, etc.

(15) Lobbes, par l'abbé Vos, t. I, p. 91.

(16) Ghesq., Acta Sanctorum Belgii, t. IV, p. 302; Analectes de Louvain, t. II, p. 49.

(17) Voir la vie contemporaine de sainte Gertrude, dans les Monumenta historiae germaniae; Scriptorum rerum merovingicarum, t. II, pp. 437, 461, 466 et 474.

(18) Ghesq., Acta Sanctorum Belgii, t. VI, p. 568.

(19) Migne, Patrologie latine, t. CLVI, p. 1004.

(20) Mon. SS., t. I, p. 241.

(21) « Ad basilicam sancti martyris Landberti quam ipse paraverat veniens, diutissime ad orationem ad ejus tumbam immoratur ... Deinde progressus ad aliam basilicam, quam in honore apostolorum ipse condiderat, orando visitaret ... » (Ch. de Smedt, Acta sancti Huberti, pp. 45 et 48).

(22) Histoire littéraire, t. VIII, p. 342; Mon. SS., t. XII, p. 86.

(23) Chapeaville, Gesta Pontificum Leodiensium, t. I, p. 400.

(24) « At electus Dei sacerdos Lambertus ante altare sanctorum martyrum Cosmae et Damiani, martyr mox ipse futurus, in modum crucis se prostraverat... » Chapeaville, t. I, p. 405.

(25) Mon. SS., t. XXV, pp. 27 et 58.

(26) « Desumpsimnus haec scripta Godeschalci ex duobus vetustissimis manuscriptis codicibus, uno Ecclesiae sancti Lamberti Leodiensis; altero rnonasterii sancti Laurentii propre Leodium, nulla styli mutatione facta » (Chapeaville, Gesta Pontficum Leodiensium, t. I, p. 321.

(27) Illic, non in spatiosis edibus aut operosis oedibus, sed in parvae vilis que clausurae ecclesia, sanctorum Cosmae et Damiani, insistebat orationi, certus non minus fructuosam esse orationem, in his angustis quam in capacibus magnae et principalis ecclesiae. Quod enim temporale est ampla et profusa et lata requirit, quia voluptas mundi parvitatem et mediocritatem refugit, et quod spirituale est omnia aequa lance metitur, quia in spatiosis non plus dilatatur et in angustis non plus coarctatur « (Chapeaville, Gesta Pontificum Leodiensium, t. I, p. 366).

(28) « Mox ad villam parvi adhuc nominis nec minoris vero meriti, sed magnum nomen et magnum meritum ex triumpho et corpore sancti Lamberti paulo plus promerituram » (Chapeaville, t. I, p. 336).

(29) Migne, Patrologie latine, t. CLX, pp. 759 à 810.

(30) 1117. Fulmen a parte aquilonali ingrediens quemdam clericum retro altare sanctorum Cosme et Dainiani in pulpito legentem et alterum ante crucifixum orantem, tertium de scriptorio ecclesie proximo egredientem in ipso ecclesie ingressu extinxit » (Migne, Patrologie latine, t. CLX, p. 242).

(31) Mon. SS., t. I, p. 553.

(32) « In cellula sancti Martini ecclesiae ipsi contigua sanctorurn Cosmae et Damiani martyrum reliquias posui » Historia francorum (Ibidem, p. 448).

(33) Voy. O. Lacroix, Les corporations de Rouen.

(34) Acta Sanctorum Belgii, t. VI. Sainte Ode.

(35) Mon. SS., t. I, p. 452.

(36) « Curavirnus quoddarn oratorium in ecclesia sancti Lantberti struere » (Mon. SS., t. VII ; Anselme, § 21).

(37) « In ecclesia sancti Lantberti super sepulturae ejus locum altare » (Chapeaville, Gesta Pontificum Leodiensium, t. I, p. 171).

(38) Stan. Bormans, Conclusions capitulaires, 1646.

(39) « Quantae autem existirmationis et authoritatis beatus Lambertus apud regem fuerit, manifeste patet; cum eum idem pacificus rex, non solum episcopum, sed et patrein, et apostolicum virum appellet in eo privilegio, quod promulgavit, ipso sancto praesule petente, pro immunitate et possessionibus ecclesiae sanctae Mariae perpetuae virginis, in cujus nomine et honore, eo tempore Trajecti vigebat, post Tungris, quaedam dignitas pontificalis cathedrae. Quod privilegium usque hodie apud nos conservari non dubium est » (Nicolas. Gesta sancti Lamberti, Chapeaville, t. I, p. 380.

(40) Grimoald est tué en 713, « in basilica sancti Lantberti martyris » (Annales de Metz, Mon. SS., t. I, p. 322). Charlemagne célèbre la fête de Pâques, « apud sanctum Lantbertum in vico leodico (Idem, t. I, p. 148). Eginhard appelle Liége le bourg public, « ubi sanctus Lantbertus corpore requiescit)) (Idem, t. XV, p. 251). Dans son récit de la translation du corps de saint Hubert, de Liége à Andage, le contemporain, Jonas, parle des nobles venus là, ex monasterio Sancti Lantberti » et du transport qu'on fit des reliques, « in beati Lantberti ecclesiam » (Idem, idem, p. 235). Notons ici que dans les Annales du IXe siècle attribuées à Hincmar, on ne nomme parfois notre évêque Francon que « episcopus sancti Lantberti » Mligne, Patrologie latine, t. CXXV, p. 1224, que dans les Annales de Fulda, du même siècle, pour désigner Liége, lieu d'une rencontre de rois, on écrit simplement: apud sanctum Lantbertum » (Mon. SS,, t. I, p. 388) et que saint Lambert est encore nommé seul dans la fondation d'une chapelle de la Trinité, par l'évêque Richaire, le 16 novembre 932: « Curavimus quoddam oratorium in ecclesia sancti Lantberti struere » (Mon. SS., t. VII; Anselme, § 21). Mais les copies de ce testament diffèrent assez dans les manuscrits.

(41) Cartulaire de Saint-Lambert, p. 6.

(42) Mon. diplom.

(43) » Notgerus Tungrentium vel Leodiensium episcopus ut ei vel successoribus suis sancte Marie, sancto que Lamberto desservituris … et quia quod reliquum erat regiae ditionis, ... munificentia regum vel imperatorum predecessorum nostrorurn Ecclesiae sanctae Mariae Leodio vel Hoio positae jam cesserat (Cartulaire de Saint-Lambert, p. 21).

(44) « Conformément à l'antique usage, » écrit Quicherat dans la Bibliothèque de l'école des chartes, t. I, 6e série, p. 551, « le siège épiscopal de Paris fut établi, non pas dans une église unique, mais dans plusieurs églises à la fois; en d'autres termes, la Cathédrale fut d'abord un corps composé de plusieurs membres et le nombre de ces membres paraît avoir varié selon les temps. Il consistait encore au Xe siècle dans l'union de Saint-Etienne et de Notre-Dame ... Des actes de la fin du VIIIe siècle dénomment Notre-Dame, Saint-Etienne, Saint-Germain (le vieux), Saint-Marcel, Saint-Cloud, c'est-à-dire des basiliques situées hors de la cité aussi bien que dans la cité; et dans les unes comme dans les autres, se célébraient les services fondés près la mère église; dans les unes comme dans les autres, l'évêque séjournait, officiait, trônait suivant sa convenance ou suivant les besoins de son ministère»

(45) Mabillon, De re diplomatica, p. 498.

(46) Mon. SS., t. VIII, p. 571.

(47) Ritze, Ukunden, p. 6.

(48) Cartulaire de Saint-Lambert, p. 9.

(49) Ernst, Histoire du Limbourg, t. VI, p. 91; Cartulaire de Saint Lambert, p. 11.

(50) Cartulaire de Saint-Lambert, p. 12.

(51) Idem, p. 14.

(52) Idem, p. 16.

(53) Amplissima collectio, t. II, p. 48.

(54) Ernst, Histoire du Limbourg, t. VI, p. 95.

(55) Mon. SS., t. XV, p. 601.

(56) Idem, Diplonu.

(57) Migne, Patrologie latine, t. CXXXIX, p. 109.

(58) Migne, Patrologie latine, t. CXXXIX, p. 103.

(59) « Nam hanc ecclesiam propter directionem apostoli a Christo amplius dilecti et a christianis amplius diligendi in edition loco insulae et directo ante faciem constituit ecclesie sancti Lamberti, que principaliter consecrata est ad titulum semper virginis Mariae ut filius deputatus Virgini a Christo summo testamento in cruce matris sue semper profectum habeat divina constitutione et custos Virginis custodiatur a Virgine » (Mon. SS., t. XXV, p. 59).

(60) Cartulaire de Saint-Lambert, pp. 22, 26 et 30.

(61) Cartulaire de Saint-Lambert, pp. 32, 37, 38 et 77.

(62) Idem, pp. 47, 73 et 89.

(63) Mon. SS., t. VIII, p. 602,

(64) Détail relevé par M. le chevalier Camille de Borman.

(65) Ernst, Histoire du Limbourg, t. II, p. 311.

(66) Miraeus, Opera diplomatica, t. III, p. 710.

(67) « Cum ad altare beate Marie sanctique Lamberti in majori ecclesia pater sanctus missarum solemnia celebrasset ... » (Mon. SS., t. XXV, p. 105).

(68) « Leodii enim ecclesia habetur in honore beatae Mariae virginis, sed dignitatem obtinuit memoria sancti Lamberti martyris (Idem, t. XIV, p. 542).

(69) « In choro inferiori, scilicet sanctae Dei genitricis Matriae (Idem, t. XXV, p. 94).

(70) Principale tamen altare, quod est sanctae Dei genetricis, mansit intemeratum. Non enim potuit temerare flamma, quod tanta voluit conservare patrona. Nonne et ipsam suam mirabiliter conservavit ecclesiam parochialem? » (Reiner de Saint-Laurent, Migne, Patrologie latine, t. CCIV, p. 154).

(71) Hocsem dans Chapeaville, t. II, p. 277.

(72) Mon. SS., p. 236; Cartulaire de Saint-Lambert, p. 17.

(73) Migne, Patrologie latine, t. CXLII, p. 743.

(74) Note de numismatique. Me sera-t-il permis de tirer de ce fait que la Cathédrale de Liége finit par être principalement dédiée à sainte Marie, en même temps qu'à saint Lambert, une conclusion un peu à l'écart de mon sujet, bonne néanmoins à noter en passant? Nos numismates se sont fait une sorte de loi d'attribuer à la ville de Huy ou à d'autres villes que Liege, dotées comme Huy d'une église de Notre-Dame, les monnaies de notre pays où ne se voit que la représentation d'une église de la Vierge. Plusieurs de nos princes-évêques cependant, et de ceux parfois dont le règne fut assez long, Raoul de Zahringhen, Albert de Cuyck, Hugues de Pierpont, par exemple, n'ont pas laissé de monnaie à l'effigie de saint Lambert. Faudrait-il attribuer à un autre lieu que leur capitale, toutes celles de leurs monnaies qui nous offrent la reproduction d'un temple de Notre-Dame, et ne conviendrait-il pas plutôt d'examiner si certaines pièces liégeoises ne désignent pas notre Cathédrale, comme le faisait le diplôme d'Othon ou la lettre de Wazon même, en ne mentionnant ou ne représentant qu'une église de Sainte-Marie?

(75) « Nivium enormis exuberantia, prout totum erat patulum fenestris affluens, nihil penetralium nisi tantum ejus sandalia dimisit inoperiens (Vie en vers de saint Lambert et documents du Xe siècle, publiés par J. Demarteau, p. 13).

(76) « Richarius ... Hic reedificavit per dyocesim suam sicut et predecessores sui Stephanus et Franco, plures ecclesias a Normannis destructas, interfectis abbatibus, monachis et monialibus. In quibus novenos constituerunt clericos, inter quos unum statuerunt, qui curam gereret et hospitalitatem, tam presens, quam absens exhiberet, ipsumque abba tem vocaverunt, ne antiqua devotio deperiret. Nomina abbatiarum Prima Leodiensis, sancte Marie, sanctique Lamberti ... Hii abbates dicuntur capellani episcopi et per menses singulos debent cum eo esse et horas decantare » (Mon. SS., t. XXV. P. 130).

(77) Martène, Amplissima collectio, t. II ; Bertholet, Histoire du Luxembourg, t. II, app. 89.

(78) Gallia christiana, t. III, p. 396; Fisen, anno 1044.

(79) Miraeus, Opera diplomatica, t. I, pp. 68 et 352.

(80) Cartulaire de Huy, Bulletin de la Commission d'histoire, 4e série, t. I, pp. 94 et 98.

(81) Mon. SS., t. VIII, pp. 577, 58o, 584, 585 et 595; t. XXV, pp. 17, 78 et 131; Incunabula Ecclesiae Hoyensis, p. 11.

(82) Gauchie, La querelle des investitures dans les diocèses de Liege et de Cambrai, t. I, p. 26.

(83) Triumphus sancti Remacli, Chapeaville, t. II, p. 515.

(84) Mon. SS., t. VIII, loc. cit.

(85) Daris, Notices, t. VI, Cartulaire de Saint-Barthélemy.

(86) Miraeus, Opera diplomatica, t. III, p. 309.

(87) De Theux, Chapitre de Saint-Lambert, charte 19.

(88) Catalogue, p. 471.

(89) Thimister, Cartulaire de Saint-Paul, p. 3.

(90) Bormans et Schoolmeesters, Cartulaire de Saint-Lambert, p. 51.

(91) Chronica lobbiensia et Chronicon rytmicum, édition des Bibliophiles liégeois, p. 164; Mon. SS., t. XII, p. 419.

(92) Baron Misson, Chapitre d'Andenne, p. 289; Chronicon rytmicum, p. 170.

(93) Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. IX, p. 337.

(94) « Amalricus abbas Sanctae Mariae de Theux, charte 72.

(95) Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. IX, p. 344.

(96) Bulletin de la Société d'art et d’histoire, Schoolmeesters, Regesta de Raoul de Zahringhen, p. 156.

(97) Notice sur Waremme, par A. de Ryckel, p. 13.

(98) Cartulaire de Saint-Lambert, p. 98.

(99) Cartulaire de Saint-Paul, p. 13.

(100) Cartulaire de Saint-Lambert, p. 121.

(101) Analectes de Louvain, t. VIII.

(102) Ibidem, t. VI.

(103) Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. IX, pp. 349 et 350.

(104) Dans, Notices, t. IV, p. 206, l'Hôpital Saint Mathieu la Chaîne; Stéphany, Mémoires pour servir l'histoire monastique du pays de Liege, p. 87.

(105) Cartulaire de Saint-Lambert, pp. 162 et 201.

(106) Mon. SS., t. XXV, p. 127.

(107) Dans, Notices, t. VI, p. 183. « ... Sed cum abbas de Sancta Maria nollet de eis decirmas dare, et rustici nollent vinum fratribus et abbati duos denarios, in festivitate sancti Remgii pro decimis solvere, precepi fratribus ut ipsi solverent ex sua parte … »

(108) Manuscrit 833, fol. 18, la Bibliothèque de l'Université de Liége, Van den Bergh). Catalogue, p. 471.

(109) Bormans, conclusions capitulaires de Saint-Lambert, anno 1592.

(110) Miraeus, Opera diplomatica, t. IV, p. 349; Cartulaire de Saint­Lambert, p. 33.

(111) « Civis leodiensis, sive vir vel femina non debet citari, neque ex­communicari ad sanctam Mariam, nisi per synodalium sententiam, nisi contingat culpam talem esse unde synodales non debeant judicare. »

(112) « Capitulum amodo liberam habeat potestatem excommunicandi malefactores suos et interdicendi terras eorum et quod possunt sententias hujusmodi executioni demandare in civitate per abbatern leodiensis eccIesiae et plebanos civitatis; extra civitatem per archidiaconos vel presbiteros sive decanos... » (Cartulaire de Saint-Lambert, p. 301).

(113) « In ecclesia sancae Mariae sub muro ad latus quo pacis judicio proesidere solent episcopi tumulatur » (Chapeaville, Gesta Pontificum Leodiensium, t. II, p. 311; Mathias de Lewis, Chronicon, p. 79).

(114) Dans, Histoire du diocèse et de la principauté de Liége, t. I, p. 408.

(115) Convenances et testaments, aux archives de l'Etat à Liege, p. 433.

(116) Daris, Notices, t. XII, p. 61.

(117) Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, t. IX, p. 350.

(118) Bormans, Les seigneuries allodiales du pays de Liege, p. 7.

(119) Analectes de Louvain, t. I, p. 363.

(120) « Hoc allodiurn prius quidem nomine elemosine in manus nostros reportavit prefatus Ebroinus, postea vero inter ecclesiam beate Marie et ecclesiam beati Lamberti, in loco ubi allodiorum solet firmari donatio, ordine et consuetudine, qua debuit, coram paribus suis predictis monasteriis, legitima donatione illud solemniter affaitavit. »

(121) Bormans et Schoolmeesters, Cartulaire de Saint-Lambert, p. 43.

(122) Daris, Notices, t. IV, p. 96.

(123) Devillers, Cartulaire d'Alne, chartes n° 251 et 254.

(124) Voici la fin d'un acte de cette Cour, du dimanche devant la Saint­Pierre, 1280, que nous avons sous les yeux: « Et nos Renirs, archiprestes de Liege, a la requeste des homes delle Chise-Dieu desordis, avons pendut à ces presens lettres nostre ppre saïal en tesmoignage de veriteit. »

(125) Art. 34 : « Allewens jugans entre Sainte-Marie et Saint-Lambert: Et useront en leur office d'un common seal, aveucques le seal del archeprestre de Liege, comme d'antiquisteit at useit de teiles lettres a saieler... lequeil archeprestre ne porat demander pour son seal que un viez gros tant seulement » (Coutumes du pays de Liege, t. II, p. 119).

(126) Bormans, Les seigneuries allodiales du pays de Liege,, pp. 12 et 13.

(127) Daris, Notices, t. TV, p. 161.

(128) Bormans et Schoolmeesters, Cartulaire de Saint-Lambert, p. 98.

(129) Bormans et Schoolmeesters, Cartulaire de Saint-Lambert, p. 121.

(130) Mon. SS., t. XXV, p. 122.

(131) Bormans et Schoolmeesters cartulaire de Saint-Lambert, p. 122.

(132) Cartulaire de Saint-Lambert, p 161.

(133) Cartulaire de Saint-Lambert, p. 132.

(134) Le Cartulaire de Saint-Lambert, publié par MM. Bormans et Schoolmeesters mentionne (p. 214) un seul incident qui pourrait se rattacher à l'arrangement pris au sujet des petites prébendes par la réunion desquelles l'abbé Gauthier avait constitué la dotation des chanoines de Saint-Materne. C'est un procès relatif à de petites prébendes sur lesquelles un certain Magister prétendait conserver certain droit, procès qui fut terminé entre 1225 et 1229, par une transaction et le paiement d'une certaine somme au réclamant.

(135) L'acte le plus ancien que nous ayons sur cet hôpital, nous vient du légat Guy, 25 janvier 1204, et prouve qu'avant les générosités dont il y est parlé, cette maison possédait déjà terrains et revenus (cartulaire de Saint-Lambert, p. 139).

(136) Cartulaire de Saint-Lambert, p. 162.

(137 ibidem.

(138) Mon. SS., t. XXV, p. 130.

(139) « Anno Domini MCCVII obiit XXII die mensis novembris bonae memoriae Galterus, decanus et abbas sanctae Mariae ecclesia leodiens qui instituit in dicta ecclesia X canonicos in honore beati Materni, ac fundator hujus hospitalis » (Daris, Notices, t. IV, p. 207. Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. XI, p. 233).

(140) « Canonici sancti Lamberti possessiones Ecclesiae mediante Cardinali et episcopo assentiente, inter se dividunt et praepositum destituunt » Annales sancti Jacobi, anno 1204 (Cartulaire de Saint-Lambert, chartes du Chapitre, p. 150, et de Jean d'Eppes, 1230, p. 267).

(141) X. de Theux, chapitre de Saint-Lambert.

(142) Cartulaire de Saint-Lambert, p. 194.

(143) Ibidem, p. 162.

(144) Cartulaire de Saint-Lambert, p. 217.

(145) Ibidem, p. 180.

(146) Ibidem, p. 186.

(147) Ibidem, p. 197-

(148) Ibidem, p. 201.

(149) Ibidem, pp. 203 et 208.

(150) « Ab universo clero, a ducibus et comitibus et nobilibus, a militibus et plebeis. absque ullius contradictione eligitur » (Annales sancti Jacobi, édition des Bibliophiles liégeois, p. 146).

(151) Cartulaire de Saint-Lambert, p. 267. - J'avais pris copie de ces pièces au Liber cartarum de Saint-Lambert, dans le dessein de les éditer comme annexe à ce travail. On les trouvera dans la publication si soignée que font de ce Cartulaire MM. Bormans et Schoolmeesters, à qui j'exprime ici mes vifs remerciements pour l'obligeance avec laquelle les épreuves de leur travail ont été mises à ma disposition et ont ainsi facilité le mien.

(152) Cartulaire de Saint-Lambert, p. 267.

(153) Cartulaire de Saint-Lambert, p. 269.

(154) Ibidem, p. 278.

(155) Ibidem, pp. 280 et 281.

(156) Ibidem, p. 291.

(157) « Fuerat siquidem iste Robertus quondam cannonicus Sancti Lamberti et abbas Sanctae Mariae Leodiensis quod est quidam magnae dignitatis titulus in majore ecclésia » (Aegidius Aurea, Mon. SS., t. XXV, p. 127).

(158) Mon. SS., t. XXV, p. 58.

(159) Chapeaville, Gesta Pontificum Leodiensium, t. II. pp. 551 et 562.

(160) « Nonne et ipsa (Dei genitrix) suam mirabiliter conservavit ecclesiam... Illa tamen ecclesia, refugientibus et torpentibus flammis intacta perstitit et illaesa (AEgid. Aureaev., Mon. SS., t. XXV, p. 111).

(161) Lamberti parvis Annales (édit. des Bibliophiles liégeois), p. 43.

(162) Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. XII, p. 33.

(163) Mon. SS., t. XXV, p. 176.

(164) « Fatigatus tandem pervenit ad porticum ante ostium ecclesiae sanctae Mariae (Chapeaville, Gesta Pontificum Leodiensium, t. I, p. 126; Mon. SS., t. XXV, p. 42).

(165) Bormans, Conclusions capitulaires, anno 1623.

(166) Si Notre-Dame-aux-Fonts devait se relever aujourd'hui dans son emplacement et ses proportions d'autrefois, c'est au bas de la place Saint­Lambert, dans la partie de la voie pavée entre les lignes du tram et les maisons, à quelques mètres seulement de celles-ci qu'elle réapparaîtrait, son porche d'entrée en face de la librairie Desoer, son vaisseau se prolongeant vers l'orient, et le choeur venant se terminer, presque en face, en deça de Souverain-Pont. Voir le plan terrier de Saint-Lambert, page 73, du volume des Conférences de la Société d'Art et d'Histoire sur la Révolution française au pays de Liège, 1889.

(167) C'est dans ce cimetière qu’en 1299 on enterra les malheureux tués à Bleret et à Pousset, et de la tombe desquels on ne put éloigner leurs chiens (Hocsem; Chapeaville, Gesta Pontificum Leodiensium, t. II, p. 333).

(168) Delvaux, Mémoires manuscrits sur l'histoire de Liege, t. II, p. 75, à la Bibliothèque de l'Université de Liège.

(169) J. Helbig, Histoire de la peinture liégeoise, p. 183.

(170) Recueil héraldique des bourgmestres de Liege, pp. 88, 133, 164, 219, 247, 251, 258, 278, 280, 284, 285, 300, 497, 502, 521, 529, 533 et 534; Van den Steen, La Cathédrale de Saint-Lambert, p. 135, etc.; Delvaux, manuscrit cité, t. II, p. 75.

(171) Van den Steen, ouvrage cité; Memorial de la ville de Liege, p. 222.

(172) Archives de l'Etat à Liége, échevins, reg. 35, fol. 282.

(173) Je dois l'indication de ce détail et de quelques autres de ce chapitre à l'obligeance de M. Théod. Gobert, auteur des Rues de Liége.

(174) Delvaux, manuscrit cité.

(175) Van den Steen, ouvrage et page cités.

(176) Raikem et Polain, Coutumes du pays de Liege, t. I, p. 275.

(177) Idem, p. 275.

(178) Jean d'Outremeuse, t. IV, p. 275.

(179) Archives de l'Etat à Liege, convenances et testaments, p. 433.

(180) « 5. Si autem non claustralis sedis, sed mansionarie terre domus fuerint, ipsas domos spoliandi, obserandi, habitatores capiendi jus erit forensi potestati; excepta Sabulonaria, in qua forensis potestas nullum jus nisi in latronibus, in falsis mensuris, in seditionibus quas vulgo stuer et burine dicimus, judicandis; de censu autem domorum et lite finium terre, canonicus cujus ea fuerit judicabit » (Raikem, Coutumes de Liége, t. I, p. 354).

(181) Raikem, Coutumes de Liege, t. I, p. 98.

(182) Cité par F. Henaux, Bulletin de l'Institut archéologique liégeois, t. IV, p. 164.

(183) « 25. Delle Salvenier est-il accordeit en telle manière que cilh delle Salvenier seront à tous frais delle vilhe et seront de teile jurisdiction et de teile justiche comme Ii aultres bourgeois; et parmi chu, nous le vilhe de Liège devons donner IIIc mars liegeois qui seront en la disposicion de prevost et de l'englieze, et ne doit plus li prevost avoir en le Salvenier que chose que li esquevins de Liège gardent et ses cens et ses rentes; et parmi chu doit avoir C mars de ligois ou C souldées de terre par an, de queils C mars ou C souldées de terre par an cilz de Liège ont asseis fait, et nous li prevost et li englieze nous en tenons bin payez » (Raikem, Coutumes de Liège, t. I, p. 400).

(184) « Accersito archidiacono, eidemque majoris aecclesiae praeposito, nomine Rotberto » (Anselme, édition Koepke; Migne, Patrologie latine, t. CXXXIX, p. 1098).

(185) Anselme, Ibidem, p. 1088.

(186) Martène, Amplissima collectio, t. VII, p. 54.

(187) Ibidem, t. II, p. 47-

(188) Acta sanctorum novembris, t. I.

(189) « VIII april 1592. Cum quinque ecclesiae sancti Martini scilicet, sancti Pauli, Crucis, Joannis et Bartholomei ex antiquissima et per sanctissimum dominum Papam Clementem tertium confirmata consuetudine, consueverint et teneantur matrem suam ecclesiam Divae Mariae scilicet ad fontes, et hanc certis statutis diebus et temporibus visitare, prout certae clausulae ex libris cartarum hujus venerandi capituli desumptae, ac dicta confirmatio Papae Clementis tertii in hoc capitulo lectae, id fieri debere arguunt, dictae autem ecclesiae seu illorum aliquae in eo jam aliquoties defectuosae extiterint, resolutum fuit copias dictarum clausularum et confirmationis reverendis et generosis dominis proepositis ecclesiarum sanctorum Martini et Joannis, simul et ecclesiarum sancti Pauli et Joannis (sic) ac domino Gennaert tradi debere, fine et effectu ut singuli sua capitula serio moneant ut officio suo, melius quam hactenus fecerunt, satisfaciant. - Traditae fuerunt per me singulis copiae » (Date indiquée. Conclusions capitulaires, aux archives de l'Etat à Liege).

(190) Bormans, Conclusions capitulaires.

(191) On avait jusqu'ici interprété ce texte comme une indication des obligations des collégiales envers Saint-Lambert, mais en le rapprochant des termes de la décision capitulaire de 1592, où il est si nettement indiqué que l'église de Sainte-Marie est Notre-Dame-aux-Fonts, il devient manifeste que l'acte pontifical ne confirme pas un droit, mais une exemption du chapitre de Saint-Lambert: « Clemens episcopus servus servorum Dei dilectis filiis Alberto praeposito et capitulo Leodiensis ecclesiae... Libertatem quoque et prerogativam Leodiensis ecclesiae de obsequio septem ecclesiarum canonicarum in eadem civitate et stationibus ad matrem ecclesiam in Natali, in purificatione Beatae Mariae, in ramis palmarum, in pascha, in Ascencione, in Penthecoste, et aliis solemnitatibus sicut centum annis et amplius fecerunt et hodie incunctanter faciunt ... auctoritate apostolica confirmamus » (Cartulaire de Saint-Lambert, p.111).

(192) « Feci eam liberam cum toto claustro et situ tam in decimatione quam in ceteris exactionibus. Remota itaque omni occasione controversie, concordie et mutue invicem dilectionis gratia, decrevi, ut ecclesia beate Marie mater, ista esset filia, ita videlicet ut idem Jus et privilegium sub ipsa matre haberet in suo ordine, quod ecclesie quae sunt Leodii sub sua matre retinent » (Gilles d'Orval, ajoute de l'interpolateur hutois, Mon. SS., t. XXV, p. 100).

(193) Van den Steen, La Cathédrale de Saint-Lambert, p 75.

(194) Cartulaire de Saint-Lambert p. 263.

(195) Mon. Diplom. reg. Germaniae, t. I, pars secunda, p. 183.

(196) Jos. Demarteau, Notre-Dame de Chêvremont, p. 23.

(197) Jos. Demarteau, Vie de saint Théodard, par Herigère, pp. 26, 32 et 46.

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