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La MEUSE et la LÉGIA à Liège

Histoire de la Légia

par Rodolphe DE WARSAGE

Dédaignant discuter le point de savoir si, comme on nous l'enseigna, le torrent donna son nom à la cité, nous voulons tenter de résoudre un problème auquel nous attribuons une importance beaucoup plus grande: le cours de la Légia, tel que les manuels nous le décrivent, est-il ou non le cours « naturel »? Nous pensons que la question ne fut jamais posée.

Jadis, comme de nos jours encore, le ruisseau impétueux descendait la colline d'Ans pour aboutir d'abord à la cuvette de la place St Séverin dont les habitants redoutent encore ses subits accès de colère. En chemin, elle rencontrait le « Faux Rieux » petit canal que l'homme avait prévu pour détourner la rivelette pendant le curetage périodique de son lit souillé par le menu de houille. Après avoir alimenté le gros moulin de la rue d'Agimont, dont nous n'avons conservé que le souvenir, la Légia empruntait la rue du Fond St Servais où nous pouvons encore l'entendre gronder, furieuse d'être captive, par une grille d'égout face au local de la Police Judiciaire. De là, après avoir traversé obliquement les terrains englobés dans la Gare du Palais, elle atteignait le pied de la Rue Pierreuse et les écuries prétentieuses de Mr le Gouverneur de la Province, lesquelles ont remplacé Li Molin dé Tchènâ (le Moulin du chenal, ou du canal), raison pour laquelle notre torrent prenait dès lors le titre de Rieux d Tchénâ.

Mais il nous semble qu'à partir d'ici, le cours de la rivelette, tel qu'on nous l'enseigna, ne serait plus qu'une « dérivation »; le prouver est l'unique but du présent article; mais auparavant nous rappellerons brièvement le chemin que notre Légia a suivi pendant tant d'années.

Le Rieux du Canal suivait la rue Derrière le Palais où il passait sous les ponts de l'Épervier, de l'Évêque et de pierre. Ce tronçon fut voûté en 1666, et, en 1680, l'administration colloqua en cet endroit le Marché aux vieux Warriers (aux fripiers), ancêtre du marché aux puces de la place Delcour.

Cependant le torrent, parvenu à hauteur de la 3e Cour du Palais (Cour St André), perdait un bras, lequel prenait le nom de Rieux des Pêcheurs. Il traversait ladite cour y faisant tourner li Molin à Brâ ainsi désigné parce qu'affermé au Bon Métier des Brasseurs, puis il s'insinuait entre l'église Ste Ursule et la Prison du Maire; et il débouchait sur le Grand Marché, le Forum liégeois. Là, il alimentait les viviers successifs de l'Apleit, ou Marché au poisson de rivière, en emportait les détritus, et s'en allait baigner les murailles de la Grande Manghenie, ou Boucherie, sur l'emplacement de la rue du Casque.

Cet établissement important était entouré d'une cour circulaire, où s'alignaient les étals, tous pareils, des détaillants, et qui était clôturée par un mur de moellons qui lui donnait des allures de forteresse.

Le torrent malpropre et puant traversait enfin le quartier sordide et populacier de la Madeleine où, après avoir prêté son eau au Molinéal (le petit Moulin), il gagnait la Meuse par li row' dé Rèw' (la rue du ruisseau).

Cependant, le cours principal, arrivé en face du Couvent des Cordeliers, descendait la rue des Mineurs, étroite, tortueuse et coupée par plusieurs « ârvôs » ou portiques; et il atteignait le coin de la Féronstrée. Il fut couvert en 1749. Ici, la Légia servait d'égout à la Petite Halle des Vignerons, qui faisait l'angle de la Féronstrée et de la rue du Pont; et elle allait se jeter au fleuve à proximité de la Ribuée (li ris al bouwèye, le ruisselet à la lessive).

L'autre bras suivait la Féronstrée, passait sous la Hasselinporte ou Porte de Hasselt, arrosait la Jehanstrée jusqu'à la paroissiale St Jean Baptiste (la distillerie de M. Rocour) où il recevait la Richeronfontaine.

Cet autre ruisseau au nom joli, jaillissait du sol dans la paisible rue Mère-Dieu que les vieux de chez nous nomment encore « Es Lîdge (En Liège), baignait les hôtels patriciens de la rue En Hors-Château, puis à hauteur de la chapelle des Carmulins (actuellement les Rédemptoristes), elle traversait la chaussée qui l'enjambait par le Pont des Tisserands; et elle pénétrait dans la Halle au drap de Liège. C'était en sortant de celle-ci que la Richeronfontaine se jetait dans la Légia. En face de la rue Barbe d'Or, les deux ruisseaux en recevaient un troisième qui s'était séparé de la Meuse, au Marché aux Fruits, puis ils alimentaient les cuves des Foulons dans la rue de ce nom (jadis « En. Draperie »); et entraient à la Meuse, au lieu-dit « En Hongrée ».

*

Eh bien, nous croyons que ce cours, tel que nous venons de le décrire, n'est pas le cours naturel de la Légia; et cela, parce qu’il existe deux impossibilités manifestes que nous allons tenter d'exposer dans les pages qui vont suivre.

Il suffirait que le lecteur se plaçât un instant sur le seuil de la Gare du Palais pour qu'il, soit aussitôt convaincu de visu, qu'un torrent descendant la rue de Bruxelles ne s’engouffrerait pas dans la rue Derrière le Palais, mais s'écoulerait tout naturellement vers la place St Lambert.

La cité Notgérienne ne fut pas construite sur un terrain plan, mais sur un plan complètement incliné qui est le versant de la Montagne Ste Walburge, laquelle ne s'achevait réellement que plus loin des deux tiers de la place. Pour se rendre compte de l'importance de la déclivité, rendez-vous sur la place du Marché, où pour atteindre le niveau de la 3e cour (qui est aussi celui de la rue Derrière le Palais) vous verrez que vous aurez à gravir 18 marches d'escalier.

La chute continue jusqu'à proximité du Grand Bazar. Nous lisons que qui venait du Palais pour entrer en St Lambert, descendait 4 marches sous le portail; et que qui venait de Gérardrie pour entrer à la Cathédrale, en devait gravir 16.

Entre l'assiette de la rue Derrière le Palais et la rue qui longe le Bazar, il y avait donc une différence de 38 marches, soit environ de 7 m. 60 e. en comptant 20 centimètres par marche. Avouons que c'est énorme!

Si la Légia avait suivi le tracé de la rue du Palais (avant l'édification de ce dernier) elle n'eut pu se maintenir sous une déclivité aussi prononcée.

Passons à la seconde impossibilité.

Pour se placer précisément à l'abri des entreprises de la Légia, la cité primitive qui se trouvait en bordure de la Meuse, autour de la rue Sur-le-Mont, fit édifier, une digue protectrice qui allait de la rue Mère-Dieu au Pont des Arches. Or, si nous traçons une droite entre ces deux points extrêmes, nous devons admettre que le Rieux de la Féronstrée et celui de la rue du Pont devaient se heurter à la digue et ne pouvaient suivre l'itinéraire que nous avons décrit.

Il semble maintenant que nous pouvons fixer sous le règne de Notger l'époque où notre Légia vit son cours modifié par la main de l'homme.

Notger élève un Palais et crée la première enceinte qui s'attache à sa maison, d'une part, et au donjon de St Martin, d'autre part. Cet ouvrage achevé, voici la route de la Légia barrée et le ruisseau refoulé dans la rue Derrière le Palais, où elle fournit l'eau au fossé de défense de ce château.

Aussitôt, la place St Lambert, jadis marais, s'assèche au point que le Prince livre l'endroit à la bâtisse. C'est le premier agrandissement notable de la cité. Comme seconde conséquence de l'élévation de la muraille, la fameuse digue du nord devient sans objet et disparaît. Désormais, la Légia pourra passer sans encombre. Tout cela paraît logique infiniment.

Mais nous avons mieux à offrir que des présomptions. La preuve de notre théorie fut faite, en 1463, Au XVe siècle, la muraille notgérienne n'est plus. Elle est remplacée par celle dite communément du XIIIe siècle et qui suit la crète de la Montagne Ste Walburge.

Le torrent se fâche, s'engouffre dans la Porte Ste Marguerite, sort de son lit et reprend nécessairement son cours naturel. C'est vers la place St Lambert qu'il se rue et il envahit la Cathédrale où il baigne la base du Maître-Autel placé au­dessus de 7 marches de marbre: « de St Séverin à la rue du Pont, écrit Bouille avec une certaine exagération, ce fut comme un fleuve navigable ».

Nous n'exigeons de personne de croire sans contrôle. Nous offrons à tous le résultat de nos réflexions. Chacun conclura selon sa raison.


R. de WARSAGE

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