Journal des mines N° XLIII Germinal
RAPPORT FAIT À L'INSTITUT NATIONAL,
Sur un Mémoire du Citoyen BAILLET, Inspecteur des mines, relatif à l’exploitation des mines en masses ou en amas;
par le Citoyen DARCET, Membre de l'institut.
Parmi les divers travaux dont s'occupe avec succès la conférence des mines, l'institut n'en verra pas sans intérêt un dont nous avons dans ces derniers temps, plus que jamais, reconnu la nécessité, et dont les résultats ne peuvent pas manquer d'être d'une importance majeure pour le bien de la Chose publique.
Il s'agit de l'exploitation des mines; mais comme ce sujet pris dans son ensemble présente un plan très vaste, le conseil a jugé nécessaire de le diviser. Il se propose de le traiter par parties, afin d'attacher à chacune toutes les lumières de détail qu'exige une sage et utile exploitation.
Les mines ne sont pas toutes de la même espèce; la manière de les exploiter varie donc suivant la différence de leur nature, suivant qu'elles sont en masse, en plus ou en moins grande masse, ou qu'elles marchent en filon: et à cet égard, la nature du sol, les lits de pierres ou de terres plus ou moins inclinés, la dureté, la solidité, la consistance des roches ou des terrains, leur élévation au-dessus des vallons voisins, l'eau enfin, dont elles peuvent être plus ou moins pénétrées; mille autres circonstances qui peuvent traverser ou faciliter le travail, en font varier ou changer la méthode d'exploitation.
La partie de la minéralogie qu'on a arrêté de traiter la première, c'est les mines en masse, et le choix n'est pas de hasard; il a été dirigé sur les objets que les arts et la guerre ont rendus de première nécessité, et dont la révolution nous a fait si cruellement sentir le besoin; je veux parler du fer, du cuivre, du plomb et du charbon de terre.
On a donc commencé par rechercher les obstacles qui se rencontrent dans ce genre de travaux; et d'après cet examen, on a passé à l'analyse des moyens adoptés jusqu'ici pour y remédier: cette marche sage et mesurée a fait naître des idées, établi des comparaisons, et fait poser des principes qui serviront de bases aux diverses méthodes qu'on propose. C'est ce premier travail que le Citoyen Baillet, après l'avoir rédigé avec grand soin, est venu présenter à l'Institut; et si, comme il l'a dit lui-même, on n'ose assurer que ses méthodes soient exemptes d'inconvénients, du moins paraissent-elles être les meilleures qu'on puisse adopter dans l'état actuel de ce genre d'exploitations.
Lorsque le filon ou la couche n'a pas au-delà de deux mètres d'épaisseur; lorsque ses parois ne sont pas trop éloignées et qu'elles ont de la solidité; lorsque le massif de la mine a de la consistance et que son inclinaison approche plus ou moins de la verticale, on rencontre alors peu d'obstacles, et s'il s'en présente, il est plus aisé d'y remédier; l'exploitation enfin est plus facile.
Mais si la puissance de la mine passe ces bornes, si ce n'est plus un filon ni des couches, mais un amas d'une épaisseur et d'une étendue indéterminée; si les parois sont très éloignées; si le massif n'a point de ténacité, alors les obstacles se multiplient à l'infini et deviennent souvent insurmontables; comment suffire à l'énorme quantité de bois qu'il faut pour étayer, ou pour rétablir ce qui ruiné comment parer aux éboulements qui deviennent si fréquents comment dans une grande et profonde exploitation qui se fait par galeries placées les unes sur les autres, s'assurer d'un juste aplomb dans les piliers alors les obstacles naissent en foule; la mine qu'on étaye d'un côté va s'écroulant de l'autre, on est forcé de sacrifier en piliers ou en massifs de sûreté le tiers ou la moitié de l'exploitation: l'aérage et l'épuisement des eaux deviennent presque impossibles, et le feu, qui dans les mines de houille pyriteuses prend si souvent dans les parties éboulées ou négligées, excite bientôt un incendie qui se communique à toute la masse; alors il faut tout abandonner.
Tels sont les obstacles qui s'opposent si souvent à ces travaux; et bien grandes sont les dépenses et les difficultés qui se présentent, lorsqu'il s'agit d'y remédier: mais avant d'en chercher les moyens, on a pensé, avec raison, devoir exposer de quelle manière s'exploitent aujourd'hui les mines de ce genre, tant en France que dans les pays voisins. C'est dans les mines d'alun du pays de Liège, dans celles de calamine du pays de Limbourg, dans les mines en amas de Hongrie, dans les mines de fer, dans celles de houille, dans les ardoisières et les carrières de pierre, que l'auteur va puiser les exemples variés qu'elles présentent; et c'est de l'examen détaillé et de la comparaison des méthodes qu'on y suit, des avantages enfin et des inconvénients qu'on y trouve, qu'il déduira les principes, et qu'il établira les règles d'une bonne ou d'une meilleure exploitation.
Le premier exemple de ce genre est pris des mines d'alun du pays de Liège: ce sont des couches de schiste alumineux et pyriteux, qui ont de 15 à 20 mètres d'épaisseur, et dont l'inclinaison varie de 80 à 85 centièmes du quart de cercle; elles peuvent donc à raison de leur puissance, être considérées comme des mines en masse; et comme la manière de les exploiter est particulière au pays, on les a jugées dignes d'attention.
On pratique d'abord une fosse d'extraction, qu'on place hors des couches alumineuses du côté du mur; on la prolonge jusqu'à une galerie d'écoulement; car les deux premiers objets qu'on se propose dans toute exploitation de ce genre, qui ne se fait pas à ciel ouvert, c'est l'écoulement des eaux intérieures et la libre circulation de l'air: on parvient à remplir ces conditions, à l'aide des galeries d'écoulement et des puits d'aérage; et si la situation des lieux ne le permet pas, on a recours aux machines hydrauliques et aux machines à feu.
Les premiers travaux commencent par la partie supérieure et près du jour: on pratique une galerie de traverse qui vient couper les couches alumineuses au mur et se prolonge jusqu'au toit, afin de bien reconnaître, la puissance de la mine.
L'exploitation se mène ici de la partie supérieure en descendant: eIle se fait par des galeries d'allongement pratiquées le long du mur et qu'on mène jusqu'à 100 mètres, ou tant que la jouissance de l'air peut le permettre; c'est par ces galeries d'allongement qu'on exploite en travers, depuis le mur jusqu'au toit, les couches alumineuses, et que la mine est portée auprès du puits d'extraction.
En même temps qu'on ouvre les traverses, on étaye; une traverse étant finie, on enlève les étais et l'on fait ébouler successivement de droite et de gauche jusqu'à la galerie d'allongements. La deuxième traversée n'est pas plutôt terminée, qu'on en recommence une autre; et ce premier niveau fini, on reprend le même travail à six mètres au dessous.
On donne aux galeries deux mètres de hauteur, et on laisse toujours un massif de quatre mètres entre le ciel de la galerie et le sol des parties supérieures déjà exploitées.
Enfin, à mesure que les entailles transversales sont terminées, on facilite la chute des massifs; on enlève la mine éboulée, et l'on descend successivement à un niveau plus bas.
Cette manière d'exploiter a plusieurs avantages:
1. les affaissements des terrains supérieurs ne peuvent jamais être dangereux; l'exploitation se trouve toujours assise sur un sol ferme et neuf;
2. les eaux qui s'infiltrent entre les terres éboulées se réunissent et vont se perdre par la galerie d'écoulement;
3. cette manière d'exploiter épargne une grande main d'oeuvre à cause des éboulements qu'on pratique et qu'on peut évaluer aux deux tiers de la mine;
4. le boisage est peu dispendieux, le même bois servant toujours d'un ouvrage à l'autre;
5. le puits d'extraction est solide, étant percé hors de la mine, et les ouvriers toujours en sûreté, par conséquent placés sur un sol ferme, ils conduisent les éboulements à volonté.
Mais il faut dire, aussi que cette méthode oblige de laisser une partie de la mine en piliers ou dans le plafond, lorsque la mine n'éboule pas.
Au reste cette méthode, qui est bonne pour les mines d'alun et pour celles dont le minéral est homogène, ne peut pas autant convenir aux mines de houille, parce qu'elles sont toujours mêlées de crains et de failles, et qu'il importe pourtant de les obtenir pures et en gros morceaux.
Ce mémoire est d'ailleurs accompagné d'une carte ou plan qui facilite beaucoup l'intelligence de cette exploitation, et sans lequel il serait difficile de s'en faire une idée nette et précise.
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