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Château de Chokier

Iconographie - 1565 Thomas Puteanus

Saint Jean à Patmos rédigeant l'Apocalypse

par Estelle FLORANI

Miniature de Thomas vanden Putte dit Puteanus, illustrant le missel calligraphié en 1565 par Robert Quercentius, chanoine de la collégiale Saint Jean sur ordre de Robert de Bergues en 1560.

Miniature de Thomas van den Putte dit Puteanus, illustrant l'évangéliaire calligraphié en 1565 par Robert Quercentius, chanoine de la collégiale Saint Jean.

Le paysage présente en arrière plan le château, le village de Chokier et la ville de Liège

On y distingue:

- L'ensemble de la masse rocheuse supportant le château de Chokier avec à son pied la tour Dame Polarde flanquée de sa tour escalier plus petite. Le rocher est percé de deux grottes dans lesquelles Schmerling trouvera un outil néolithique en 1829 (Schmerling, recherches sur les ossements fossiles, Chap. II, Section I). Seul le fond de la première cavité subsiste actuellement suite de l'exploitation du calcaire.

- Les éléments les plus marquants du village de Chokier semblent avoir été placés devant la masse rocheuse et non derrière elle: La maison "à la large porte", un bâtiment avec avancée d'étage à la liégeoise présent à l'avant plan de la vue de Mathieu Xhrouet et la belle maison aux pignons à redents encore présente aujourd'hui dont les proportions de longueurs de rives sont figurées. On aperçoit encore deux personnages derrière un tonneau car les moines de Saint Jacques cultivaient la vigne à Calcaria dès 1086 (Stiennon, Etude sur le Chartrier et le domaine de l'abbaye de Saint Jacques de Liège, 1951).

- L'accès à la ville de Liège par la Meuse avec de gauche à droite: le pont d'Avroy et sa porte fortifiée; la tour aux lapins ouverte à sa base pour alimenter le bief de Saint jacques; entre les deux, ce qui pourrait apparaître comme le clocher de la tour octogone et ses deux tours jumelles. La tour de gauche semble amputée de sa partie supérieure suite à l'ouragan de 1651; de l'autre côté de la Meuse, la tour en Bêche munie de son pont d'accès, et enfin le pont des Arches.

Détail de la miniature de Thomas van den Putte dit Puteanus, illustrant le missel calligraphié en 1565 par Robert Quercentius, chanoine de la collégiale Saint Jean sur ordre de Robert de Bergues en 1560.

- Au centre de la composition, apparait la tour de sable de la Cathédrale Notre Dame et Saint Lambert telle qu'elle apparait dans la vue de Daniel Meissner publiée par Fürst dans le " Thesaurus Philopoliticus " à Nuremberg en 1637.

Détail de la miniature de Thomas vanden Putte dit Puteanus, illustrant le missel calligraphié en 1565 par Robert Quercentius, chanoine de la collégiale Saint Jean sur ordre de Robert de Bergues en 1560.


Cette illustration de Thomas Puteanus correspond à un état antérieur imaginé par l'auteur car nous découvrons sur l'autre rive l'état d'avancement effectif de l'exploitation du massif calcaire qui ne présente plus qu'une lame assez mince entourant les vestiges des anciennes grottes. Notons au passage que ce détail nous permettra de lier la vision de Lucas van Valckenborch aux vues primitives de la forteresse.

Thomas Puteanus s'est à l'évidence inspiré d'une oeuvre de Hieronymus Cock intitulée Tobias et l'archange Raphael datée de 1558. Ce dernier a représenté à plusieurs reprises la forteresse de Chokier et nous y reviendrons ultérieurement.

Détail de la miniature de Thomas vanden Putte dit Puteanus, illustrant le missel calligraphié en 1565 par Robert Quercentius, chanoine de la collégiale Saint Jean sur ordre de Robert de Bergues en 1560.

Le choix de la ville de Liège et de la forteresse de Chokier pour illustrer le thème de la rédaction de l'Apocalypse semble s'inspirer de l'incendie de Sodome et Gomorrhe par Johachim Patinir.

Le thème de la destruction de la ville de Sodome pour avoir transgressé les traditions de l'hospitalité s'apparente naturellement à la rédaction de l'Apocalypse par St Jean à Patmos. La ville de Liège qui donna naissance aux premiers droits de l'homme ne manquait pas de porter ombrage aux Grands des territoires voisins qui craignaient qu'elle ne fasse tâche d'huile. Egalement convoitée pour ses richesses et sa situation commerciale avantageuse, Liège s'était vue détruite en 1468 par Charles le Téméraire. A l'exception des édifices religieux, elle avait été entièrement incendiée et l'on rapporte que l'on avait perçu la lueur des flammes jusqu'à Aix la Chapelle. Liège offrait aux peintres un modèle de premier ordre pour illustrer l'anéantissement d'une cité.

1521 Joachim Patinir - Incendie de Gomohrre
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Joachim Patinir n'a pas repris la forteresse de Chokier pour illustrer la forteresse de Massena également juchée sur un promontoire rocheux. Il a préféré placer une petite tente sur une surface plane en retrait de l'aplomb rocheux dont la situation et les proportions sont peut-être plus proches de la réalité de Massena. On peut pourtant penser qu'il s'agit bien du massif calcaire de Chokier donc on reconnait la roche percée ainsi que la fortification et le pont permettant de percevoir le tonlieu au gué de Chokier. Quand à la ville de Liège, Johachim Patinir nous offre un perron d'une facture audacieuse et visionnaire.

1520 Joos van Cleve l'ancien - Crucifixion flanquée du donateur et de son épouse agenouillés

Dans cette vue, il est fort difficile de reconnaitre la ville de Liège. Celle-ci est inversée. Nous pouvons toutefois émettre l'hypothèse que l'auteur n'a représenté qu'une partie de la ville selon un angle qui lui permet d'en présenter distinctement l'élément essentiel pour illustrer le thème de cette oeuvre: La collégiale de saint Jean l'Evangéliste ici présentée sur fond de Publémont et précédée de la porte d'Avroy. Cette composition n'est cependant pas incompatible avec la manière toute particulière de composer les paysages de Joachim Patinir qui place dans un ordre personnel les éléments les plus marquants du sujet représenté.

Notons encore à l'appui de cette hypothèse que cette représentation de la ville de Liège sera également utilisée vers la même époque dans un vitrail illustrant saint Lambert. La collégiale de Saint Jean l'Evangéliste de Liège, représentée à gauche, avait été édifiée par Notger selon un plan similaire au Dom d'Aix la Chapelle de Charlemagne. Elle abrite probablement encore la dépouille de Notger qui n'a pas été retrouvée à ce jour. Ce vitrail offre donc une vue symbolique des deux fondateurs de Liège.

ST LAMBERT (Début XVIe siècle)

Détail de la collégiale St Jean dans le vitrail de St Lambert. Superposition du Dom d'Aix la Chapelle et de la collégiale St Jean à Liège
Détail de la porte d'Avroy, de la collégiale
St Jean l'Evangéliste, et du Publémont.
¨Superposition du Dom d'Aix la Chapelle
et de la collégiale St Jean à Liège.

Johachim Patinir a représenté la forteresse de Chokier à de nombreuses reprises mais cette oeuvre inspirera directement Henri met de Bles.

1526 - Herri met de Bles - Incendie de Sodome et Gomorrhe 1533 - Herri met de Bles - Le Christ et les témoins d'Emmaus
Incendie de Sodome et Gomorrhe
1526 par Herri met de Bles
Le Christ et les témoins d'Emmaüs
1533/50 par Herri met de Bles

Dans une vue fort semblable mais non inversée sur le même thème, Herri met de Bles y représentera Massena sous la forme d'une forteresse juchée sur la masse rocheuse empruntée à Patinir. Il la dupliquera un peu plus bas dans une silhouette plus réaliste de la forteresse de Chokier, préfigurant ainsi la multiplication des points de vues qu'il abordera dans " le Christ et les témoins d'Emmaüs " pour offrir une synthèse de ses représentations. Nous y reviendrons en détail ultérieurement. Permettez-moi toutefois de vous mettre en appétit en précisant que le point de vue de la forteresse située en haut à gauche de cette oeuvre est inspiré d'une oeuvre de Lambert Lombard et qu'elle présente probablement la ville de Liège selon un point de vue tout a fait original.


La forteresse de Mont Iohy ( Iokir - Jokir - Chokier )

La représentation de l'ancienne forteresse de Chokier, encore appelée Mont Iohy à l'époque de Catherine Surlet et Everard de Floyon dit Berlaymont (1533-1564), ne manque pas d'intérêt car elle confirme et précise les informations transmises par des gravures postérieures.

La miniature de Puteanus de 1565 nous offre en effet une vue de la forteresse pourvue de ses deux enceintes primitives clairement distinguées par les teintes grises pour la première et brunes pour la seconde.

Nous découvrons une forteresse bâtie sur le massif calcaire baigné par la Meuse. Celui-ci bien plus vaste à l'époque a été progressivement raboté par l'exploitation du calcaire pour venir à flanc de l'édifice actuel. La présence de la grotte "Schmerling" nous fait mieux comprendre le mode d'exploitation du calcaire qui a abouti à la grande dalle en porte à faux. Le château de forme polygonale était en outre entouré d'une enceinte plus vaste située à un niveau inférieur. Celle-ci était constituée d'une suite de bastions hémicirculaires reliés entre eux par des courtines.

A gauche, une tour basse apparait clairement là où subsistent encore ses vestiges et ses meurtrières. Dès lors, elle semble devoir être assignée à l'enceinte primitive et non à l'extension ultérieure de la forteresse. Le donjon actuel est présent en esquisse masqué partiellement par l'aile courbe ainsi que deux tours à front de Meuse. S'ensuivent une série de bastions de l'enceinte secondaire qui, bien que masqué partiellement sous de nouvelles maçonneries, apparaissaient encore sur quelques photos avant l'éboulement du 2 décembre 1946.

Près de deux cents ans plus tard, vers 1738, Remacle Leloup nous présente une forteresse pourvue d'une large terrasse flanquée de deux bastions. On y distingue clairement la tour basse dont ne subsistent actuellement que les vestiges.

Vue du chateau de Choquier et ses environs - Remacle Leloup

Une représentation d'un anonyme dépeint le château de plaisance sis sur le propugnaculum d'une forteresse plus vaste où l'ont distingue un bastion éventré de plan circulaire relié à un mur d'enceinte. Le niveau des bastions vus de face ne coïncide cependant pas avec ceux situés sous la terrasse du château de plaisance.

Les seigneurs de Berlo voulant niveller le terrain édifièrent des murs de soutenement en y incrustant leurs armoiries et enterrèrent les bastions sur la face ouest. Aujourd'hui, ce mur amputé de la moitié de sa hauteur laisse encore apparaitre les armoiries.

Un relief sur le sol apparait encore à l'endroit ou devait se trouver le bastion proche de la terrasse. Il est probable que des débris végétaux se sont accumulés aux fils des ans sur les vestiges des maçonneries pour former la butte actuelle. Quelques pierres qui affleuraient autrefois ont d'ailleurs été enlevées pour faciliter la tonte. Il est à supposer que les maçonneries sont toujours présentes en sous sol mais elles ont dû être fortement endommagées par les racines de l'arbre visible sur la photo.

Un peu plus loin, au niveau du bastion éventré de la représentation d'un anonyme, les vestiges d'anciennes maçonneries étaient également apparus lors de la combustion de la souche d'un arbre. Les murs n'avaient malheureusement plus aucune cohésion et s'apparentaient à un amas de pierre.

La concordance de tant d'éléments représentés permet peu de douter l'assignation de ce paysage au village de Chokier et à la ville de Liège. Le tracé de l'enceinte secondaire semble avéré dans une oeuvre dont le but n'est pas de magnifier la forteresse par une taille imposante car celle-ci apparait plus petite que les bâtiments du village.

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D'un point de vue religieux, la forteresse de Mont Iohy symbolise ici le Mont Sion, ancienne capitale de David au Sud de Jérusalem, où la tradition catholique situe la dernière scène. Saint Jean y vivait encore avec Marie après la Pentecôte et c'est là qu'eut le lieu l'assomption de Marie vers le ciel.

On notera que la vierge est vêtue de Rouge nimbée d'une aura Dorée à une époque où, suite au changement des idées religieuses du XIIe siècle traduisant un Dieu de lumière, elle fut habillée de bleu pour évoquer la couleur bleue du ciel. Ce rouge issu d'une antique tradition persistait aux origines de Liège.


Une tradition à laquelle appartient également le Gonfanon de Liège, de gueule frangé d'or. La légende veut que le rouge représente le sang versé par saint Lambert mais il n'explique pas la frange d'or.

Le gonfanon pourrait symboliser non seulement le sang versé de Saint Lambert mais également Notre Dame vêtue de rouge et nimbée d'or. Cette association se trouverait ainsi non seulement dans le cri de Liège " Notre Dame et Saint Lambert " mais également dans les couleurs du gonfanon de Liège.

« Cet étandart ou gonfanon étoit d'étoffe rouge attachez à une lance surmontée d'une croix nichée de Saint Antoine à laquelle pendoit une sonnette pour inviter également les clerques et le peuple armé pour le suivre. Il étoit soutenus et gardez par une partie des seigneurs de la Cathédrale aussy armez, avec quelques gentilhommes de considération.

La haute vouerie de Hesbaye avoit seul le droit de porter le grand etandart qui se conservoit dans la Cathédrale, quand il s'agissoit de prendre les armes pour la deffence de l'Eglise et du Pays, pour quel effet, ledit voué se trouvet dans la ditte Cathédrale où on l'abilloit de blanc, soub la grande couronne de cette Eglise, avec beaucoup de cérémonies, après quoy on le conduisoit sur le Marchez pour monter un cheval aussy blanc et luy confier ledit étandart, qu'il juroit de porter et deffendre au prix de sa vie. V. le Père Fisen, Tome I, fol. 108. 799 ce doit être 809.

Cette charge fut institué en l'an 799 par la promotion même qu'en fit Charlemagne Empereur, qui la conférat à Oger le Danois très fameux dans l'histoire.

Elle a depuy succedez héréditairement à la famille des Prez qui l'a conservez plus de 300 ans et jusque à l'an 1129 qu'Oger des Prez la portat à la bataille de Duras donnée le 16 février du temps Alexandre, premier de la famille de Geldre, évecque de Liège, contre Ghisbert, comte de Duras qui maltraitoit tout le voisinage et principalement la ville de Saint-Trond, sur les confins de la Hesbaye, qui avoit attirez à son secource les Brabansons et autres dont il s'étoit rendus vassal contre la dévotion qu'il devoit à Monsieur de Liège et son Eglise. Le dit châteaux de Duras fut rasez et les Brabansons entièrement défait dont le grand étandart du duc de Brabant fut print et ramenez à Liège, avec les quatre boeuf qui le trainet sus un chariot richement parez. Ledit étandart avait étez accomodé et brodez par la Reyne d'Angletere qui en fit présent à ce duc qui eut le déplaisir de le laisser conduire tous les ans en processions pour marcque de cette victoire. »

Louis Abry

« Cet étendard ou gonfanon estoit de soye rouge, bordé d'une crépine d'or, et à peu près de la forme ici exprimée. Dessous le fer qui terminoit la lance, il y avoit une croix dont la partie inférieure estoit vide ou en niche, dans laquelle pendoit une cloche. »

Loyens,
Recueil héraldique, pp. 2 et seq.

« Charlemagne fit present à la Ville d'un Etendart en forme de Gonfanon, & ordonna qu'il seroit gardé par le Chapitre, & dont l'usage étoit tel.

Lors que la guerre avoit été resoluë, par les Etats de la Province, contre quelque puissance, le peuple en étoit averti par un coup de cloche, ensuite le Prévôt tiroit l'étendart de la Tresorerie, & l'arboroit dans la nef sous la couronne, ou bien il l'attachait a une colonne qui touchoit à la chasse de Saint Lambert, jusqu'à ce que la Bourgeoisie vint à sortir de la Ville.

Le jour de la marche étant Venu, l'Advoüé, ou Voüé de la Hesbaye venoit à l'Eglise de Saint Lambert se ranger sous la couronne, où les Chanoines le revêtoient d'une armure blanche, puis on le conduisoit jusqu'au Maitre Autel, où après avoir touché les livres sacrés, il juroit solemnellement de rapporter l'étendart, s'il n'étoit tué ou fait prisonnier. Après cela le Prévôt levoit l'étendart, & alloit se rendre au marché, où il étoit attendu par la Bourgeoisie qui étoit sous les armes; le Voué marchoit entre deux Chanoines, étant suivi de tout le Chapitre; sitôt qu'il avoir descendu les degrés du Marché, il montoit un cheval blanc, recevoit l'étendart des mains du Prevôt, & marchoit à la tête de l'armée. Si l'Evêque faisoit la guerre de son autorité privée pour la défense de son Eglise, il n'y voit de commandes aux armes que les Vassaux de l'Eglise & les Paysans, il étoit libre aux Citoyens des Villes d'y aller ou non, ensorte que les Beneficiers des Villes n'étoient obligés de suivre l'armée, que lors que l'Evêque y étoit en personne; passoit-on les frontieres? l'Evêque devoit leur restituer leurs chevaux & leurs armes; mais non pas les racheter s'ils étoient faits prisonniers; & les prisonniers ennemis demeurroient en la puissance de l'Evêque.

...

805. Charlemagne ayant été couronné Empereur, & voulant reconnoitre les services, & la fidélité des Citoyens de Liège envers l'Empire, leur accorda par privilege de porter le vair, des écussons, & boutons d'argent, pour marque qu'il les annoblissoit. »

Theodose Bouille, 1725

Notice sur un livre d’évangile conservé dans l’église de Saint Jean Evangéliste, à Liège par M. L. Polain

L'évangéliaire qui va nous occuper n'est pas un manuscrit d'une antiquité aussi respectable que celui de l'église de Tongres, dont notre confrère M. Petit-de Rosen a publié dernièrement une si bonne description. Mais, à défaut de ce mérite, il en possède un autre qui a bien aussi son prix aux yeux des bibliophiles; il est d'une exécution véritablement splendide, et comparable, par le fini des miniatures, à quelques-uns des plus beaux volumes de l'ancienne bibliothèque des ducs de Bourgogne.

Cet évangéliaire, de format in-folio et sur vélin, comprend 116 feuillets de texte et 24. feuillets liminaires.

La souscription placée au bas de la page 113 est ainsi conçue:

« Hunc Evangeliorum librum anno Domini 1564 Leodii scribebat et 1565 absolvebat Robertus Quercentius, Cameracensis hujus ecclesiae collegiatae sancti Joannis apostoli et evangelistae canonicus. Virtute duce, comité patientiâ ».

Une préface adressée aux chanoines de St Jean, et qui se trouve en tête du volume est également signée: Robertus Quercentius, cameracenus, scriptor.

Les savants du seizième siècle avaient, comme on sait, l’habitude de latiniser ou de gréciser leurs noms de famille, et ce n'est pas toujours une besogne facile que de retrouver sous ce voile la forme primitive de ces noms. On peut affirmer aujourd'hui, parce que des contemporains ont pris soin de nous en informer, que Torrentius est l'équivalent de Van der Beke, Dumaeus de Van der Haghen, Macropedius de Lanckveld, etc.; mais, comme il ne nous a été fait aucune confidence de ce genre relativement à notre calligraphe, force nous est de lui laisser la dénomination latine qu'il lui a plu de se donner.

A quelle époque Quercentius, qui était de Cambrai, vint-il au pays de Liège? C'est ce qu'il nous a été impossible de découvrir. On lit dans la préface mentionnée plus haut qu'il fut d'abord attaché à la personne de Georges d'Autriche, évêque de Liège, son bienfaiteur (1), et la faveur dont il jouit à la cour de cet évêque, paraît lui avoir été continuée par ses successeurs Robert de Bergh et Gérard de Groisbeck. Pourvu d'une prébende à la collégiale de St Jean, vers 1564, il fut chargé, par ses confrères, d'exécuter, à titre de première résidence, le bel évangéliaire que cette église conserve encore aujourd'hui (2), grâce aux soins éclairés et à la vigilance de M. le curé Du Vivier.

Ce volume est écrit en lettres rondes, à longues lignes, avec capitales en or sur fond de couleur à chaque alinéa. Il est enrichi de six grandes miniatures occupant, les unes la moitié des pages, les autres la page entière. Chacune de ces miniatures est bordée d'un cadre dont le fond est peint en or, et dans lequel on voit des oiseaux, des insectes, des fleurs et des fruits exécutés avec une rare perfection. Toutes rivalisent d'éclat, de coloris et de fraîcheur.

Si l’on pouvait attribuer ces belles productions à Quercentius , le chanoine de St Jean ne serait pas seulement l'un des calligraphes les plus habiles du seizième siècle, on devrait également le ranger parmi les peintres les plus distingués de cette époque; maïs il nous a semblé résulter de son propre aveu qu'il faut en laisser le mérite à un autre: « Liber iste, lit-on dans la préface, per me conscriptus ac Vestris sumptibus tam egregiis iconibus picturisque exornatus. »

Quercentius ne pouvait évidemment se donner à lui-même de pareils éloges; la chose étonnerait moins ayant lieu de nos jours, mais il ne faut pas oublier que ces lignes ont été écrites au seizième siècle.

Notre premier soin a naturellement été de chercher à découvrir l'auteur de ces belles miniatures; après avoir passé en revue les principaux artistes qui vivaient chez nous à cette époque, nous n'en avons trouvé aucun, si ce n'est Lambert Lombard à qui on puisse les attribuer. Lambert Lombard, après avoir visité l'Italie, à la suite du cardinal Polus, qu'il avait eu l'avantage de connaître à Liège, et à qui il avait été recommandé par le prince Erard de la Marck, revint dans sa patrie en 1539, espérant y être employé à l'achèvement du splendide palais dont Erard avait jeté les premiers fondements en 1508; mais cet évèque venait de mourir, et ses successeurs Corneille de Berg, Georges d'Autriche et Robert de Berg, n'estimant pas autant que lui les travaux des arts, l'existence de Lombard devint des plus précaires; on le vit alors, en même temps qu'il pratiquait la peinture, composer des dessins de toute espèce pour les sculpteurs et les verriers, graver des estampes sur cuivre et sur bois, enluminer des livres, etc. Il trouvait dans ces travaux les moyens de subvenir à ses plus pressants besoins, et de satisfaire en même temps son goût pour les antiquités, notamment pour les médailles grecques et romaines dont on sait qu'il rassembla une ample collection (3).

Lambert Lombard n'est mort qu'en 1566 (4); il a donc pu exécuter les miniatures de l'Evangéliaire de St Jean; l'invention et la bonne disposition du sujet, le dessin et l'expression des figures, la parfaite convenance des draperies, et certains détails d'architecture qu'on y rencontre, rappellent évidemment la manière de ce maître. Nous n'avons pu malheureusement trouver de document officiel à l'appui de notre hypothèse, les comptes et les délibérations capitulaires de la collégiale de St Jean pour les années 1564 et suivantes manquant dans nos archives. La seule pièce que nous ayons découverte est une délibération du chapitre, datée du 18 mai 1599, qui accorde l'autorisation d'inhumer Quercentius, probablement mort la veille, dans l'église de St Jean, à certaine place désignée par lui-même.

Pour compléter le peu de renseignements que l'on possède sur cet habile calligraphe, nous ajouterons qu'il existait au siècle dernier, dans la bibliothèque de M. le baron de Crassier, un autre manuscrit de Quercentius; c'était une vie de Notger qu'il rédigea et écrivit en 1570 (5). Nous ignorons dans quelles mains ce manuscrit se trouve aujourd'hui; mais nous avons heureusement retrouvé le texte de cette vie dans les archives du chapitre de St Jean, et il n'est pas impossible que nous la publiions un jour dans les Analectes de ce Bulletin.

Enfin, nous avons appris que M. Krüger de Minden possède un autre volume transcrit également par Quercentius, et portant l'intitulé suivant: Liber missarum pontificalium ex proescripto insignis Ecclesiae Leodiensis in pergameno confectus jussu illustrissimi Roberti à Bergis, anno 1560.

Ce précieux manuscrit, exécuté, paraît-il, avec une magnificence au moins égale à celle de l'Évangéliaire dont nous venons de dire quelques mots, et qui est comme lui enrichi de superbes miniatures, était conservé autrefois dans le trésor de la cathédrale de St Lambert (6). Emporté en Weslphalie par M. de Ghysels, à l'époque de l’émigration, il est plus tard devenu la propriété de M. Krüger qui l'a acheté à une vente publique de Munster, probablement après la mort du grand écolâtre dans cette ville.


(1) In familiâ rev. ac illust. principis bonae memoriae D. Georgii ab Austriâ episcopi leodiensis, mei benefactoris optimi, etc. Passage de la préface.

(2) Cum igitur venerabiles Domini, in satisfactionem meae primae residentiae, datum mihi per vos fuisset onus, ut pro divinis missarum officiis, Evangeliorum codicem, ex praescripto nostrae Ecclesiae S. Joannis. meis renovarem characteribus. Passage de la préface.

(3) Vies d'anciens artistes Liégeois. Manuscrit cité par Villenfagne, dont nous possédons une bonne copie annotée par M. Simonon

(4) La date de cette mort se trouve indiquée en marge de l'exemplaire de Chapeauville qui a appartenu au savant Herman de Wachtendonck, et qui fait maintenant partie de notre bibliothèque particulière: 1566, in augusto, tom. 3, pag. 424.

(5) Notgeri leodiensis episcopi vita, ex priscorum chronicis vetustioribusque libris decerpta, per Rob. Querentium. Cod. membran. in-12. N° 3492 du catalogue de Crassier.

(6) Nous en avons trouvé la preuve dans la pièce suivante qui fait partie des archives de l'ancien chapitre de St Lambert:

« Ego infrascriptus cathedralis Ecclesiae Leodiensis thesaurarius attestor me recepisse a reverendis admodum perillustribus et generosis Dominis meis ad archivia ejusdem Ecclesiae deputatis, per manus corum secretarii Domini Pollain. Librum missarum pontificalium ex praescripto insignis Ecclesiae Leodiensis in pergameno confectum jussu illustrissimi Roberti a Bergis, anno 1560, et scriptum per Robertum Quercentium cameracensem, rontinentem centum triginta novem folia pergameni quem quidem librum recepi ut supra ad reponendum in thesauraria ejusdem Ecclesiae ad usum celsissimi principis moderni et ejus succcssorum. Hâc prima februarii 169I. F. Rochefort ».

Missel sur parchemin exécuté par ordre de Robert de Berghes, 1560.

Dans un travail paru tout récemment (1), M. J.-S. Renier décrit un ancien évangéliaire manuscrit sur parchemin de la collégiale Saint-Jean à Liège, oeuvre d'un calligraphe nommé Robert Quercentius (du Chêne), de Cambrai. L'acte suivant, relatif au missel de l'évêque Robert de Berghes, corrobore ce que le calligraphe affirme dans l'entête de l'évangéliaire de Saint-Jean, savoir qu'il exécuta plusieurs travaux relatifs à son art pour les princes Robert de Berghes et Gérard de Groesbeck.

Ego infrascriptus, cathedralis ecclesiae Leodiensis thesaurarius, attestor me recepisse a reverendis admodum perillustribus et generosis dominis meis ad archivia ejusdem ecclesiae deputatis, per manus eorum secretarii domini Pollain, librum missarum pontificalium ex praescripto insignis ecclesiae Leodiensis, in parguameno confectum, jussu illustrissimi Roberti a Bergis, anno 1560 et scriplum per Robertum Quercensium, Cameracensem continentem centum triginta novem folia parguameni; quem quidem librum recepi ut supra ad reponendum in thesauraria ejusdem ecclesiae ad usum celsissimi principis moderni et ejus successorum, hac prima februarii 1691.

(Signé) F. Rochefort.
Archives de l'État. Cathédrale de Saint-Lambert.


(1) Inventaire des objets d'art renfermés dans les monuments civils et religieux de la ville de Liège, p. 109.

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