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Château de Chokier

Iconographie - 1434/35 Jan van Eyck

La Vierge d'Autun dite du chancelier Rolin - Musée du Louvre - Paris

par Estelle FLORANI

La Vierge d'Autun dite du Chancelier Rolin de Jan van Eyck.

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Jan van Eyck

Jan van Eyck est né en Principauté de Liège à Maeseyck vers 1390 et mort à Bruges le 9 juillet 1441. (Le domaine d'Aldeneick (Vieux Chêne) future Bonne Ville d'Eyck, fut donné par l'Empereur en 972 à Notger, premier Prince Evêque de la Principauté de Liège en 980).

- Il a porté à la perfection la technique de la peinture à l'huile par l'utilisation d'huile siccative
- Cette technique lui a permis de pousser l'éclat des lumières et le réalisme des détails à des sommets jamais atteints.
- Il a intégré la composition des personnages dans des espaces construits selon les règles de la perspective.

Il fut Peintre de cour et Chambellan sous Jean de Bavière, dit sans pitié, Elu de Liège en 1390 qui abdiqua en 1417. A la mort de ce dernier, survenue en 1425, il entre au service de Philippe le Bon, duc de Bourgogne.


La Vierge d'Autun dite du Chancelier Rolin

Dans cette oeuvre, on ne manquera pas de remarquer que les lignes de fuite convergent en un point lointain du paysage apparaissant dans la baie centrale. Seuls les chapiteaux des colonnes de droite, qui présentent par ailleurs un léger défaut d'alignement, convergent un peu plus bas. Le regard interrogateur du Chancelier vers la Vierge, passe également par ce point précis du paysage. Les yeux baissés, celle-ci s'en remet à l'enfant qui renvoie de ses mains et de ses pieds vers ce même point. Ce bras pointé n'est pas anodin car il a été modifié. La reflectographie infrarouge a en effet montré qu'à l'origine le bras était allongé.


LA SITUATION

Jean Lejeune avait attribué l'avant plan de ce paysage à la ville de Liège et nous pouvons identifier le centre de convergence de cette oeuvre de 66 x 62 cm comme l'ancienne forteresse de Mont Iohy, actuel château de Chokier, qui défendait le dernier gué de la Meuse menant à la ville de Liège. Sa situation et sa silhouette qui n'ont pas d'équivalent sur la troisième courbe de la Meuse le rendent aisément identifiable.

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Avenües de Liege du costé du Condrotz et de Huy
Extrait de " Avenües de Liege du costé du Condrotz et de Huy " - 1691/1720

Autrefois, la colline de Chokier (Mont Iohy) domaine du comte de Hozemont était baignée par la Meuse mais l'exploitation du calcaire, par la collégiale St Pierre au lieu dit "ancienne carrière Dony" d'une part et par l'abbaye de St Jacques dès le XIe siècle d'autre part, en a raboté la pointe, et comblé la courbe du fleuve par les déchets d'extraction (Hippolyte Guillery). La courbe ancienne suivait approximativement la voie ferrée actuelle au delà de laquelle le village s'est établi sur une large plage de remblais. Vers 1298, le village gagnant de la surface prend probablement un certain essor et le châtelain de Mont Iohy apparait comme Seigneur de Chokier. Dénomination provenant de la déformation de Iohy en Tonkye, Jokir, Chokier. En 1309, les moines de l'abbaye de St Jacques cèdent au seigneur leur derniers droit sur le franc alleu de Chokier. Cette double origine explique probablement la situation particulière de la seigneurie de Chokier qui bien qu'érigée en fief de l'avouerie de Hesbaye avait pour seule limitation l'impossibilité de la vendre sans l'autorisation du Pince Evêque. Le Seigneur y disposait du droit de Haute et Basse justice dont les sentences étaient exécutées sur une ile située sur le gué de la Meuse.

La vue actuelle permet de percevoir les trois courbes séparant la ville de Liège de Chokier, le pont des Arches (en vert) figurant dans au premier plan dans le paysage de la Vierge d'Autun et comblement de la courbe de la Meuse (en rouge).

Extrait de Google Earth présentant la modification de la courbe de la Meuse à Chokier
Extrait de Google Earth présentant la modification de la courbe de la Meuse à Chokier.

On notera que vers 1424 ou 1435, cette forteresse avait également été placée dans une composition attribuée à Jan van Eyck dans Les Très Belles Heures de Notre-Dame. La forteresse y présente une silhouette fort semblable et y est encore associée à l'intrigante île-forteresse dont la nature sera précisée par d'autres artistes.

Enluminure de La naissance de saint Jean Babtiste dans Des Très Belles Heures de Notre-Dame Détail d'enluminure de La naissance de saint Jean Baptiste dans Des Très Belles Heures de Notre-Dame
Enluminure de La naissance de saint Jean Baptiste dans Des Très Belles Heures de Notre-Dame.
Museo Civico d'Arte Antica de Turin

Il semble que Lucas van Valckenborch ait également représenté la forteresse de Chokier dans une vue de Liège en 1567 (Voir l'encadré au contraste accentué dans le détail ci-dessous). Bien que difficile a identifier, les dominantes verticales et son profil massif situé sur la troisième courbe de la Meuse laissent peu de doutes sur son identification.

Extrait de Google Earth présentant la modification de la courbe de la Meuse à Chokier
Détail de Vue de la ville de Liège - Musée de Berlin (Etude de J. Stiennon sur cette oeuvre)


LE SITE

Dans le paysage de La Vierge d'Autun, nous apercevons à front de Meuse, un repli rocheux remarquable qui formera la limite de l'exploitation du massif calcaire chez Mathieu Xhrouet en 1725. La pente plus douce derrière la forteresse étant celle de la limite d'extraction amont telle que nous l'observons encore aujourd'hui. Il semble que l'on puisse également y distinguer un ample fossé à droite de la forteresse. Saumery le dit creusé dans la roche, et l'on peut aisément concevoir que la forteresse a été bâtie avec les roches calcaires qui en ont été extraites.

Limite d'exploitation du massif calcaire dans la Vierge d'Autun
Limite d'exploitation du massif calcaire
de Chokier dans la Vierge d'Autun
Limite d'exploitation du massif calcaire
de Chokier par Mathieu Xhrouet


LA FORTERESSE

La représentation de Jan van Eyck laisse apparaitre un volume massif entouré de quatre tours posé sur une structure d'assise plus vaste pourvue de deux tours à front de Meuse, et, à droite du fossé, ce qui semble être une tour basse.

Quelques trois cents ans plus tards, la représentation de Mathieu Xhrouet présente une forteresse apparement dénuée de tours posée sur une assise dotée de 3 tours d'angles, d'une tour basse à droite du fossé, et, des toitures de trois tourelles sur le versant opposé. Le fossé a été nettement réduit par l'édification de murs de soutènement..

Deux interprétations peuvent être envisagées.

1. Durant les quatre siècles séparant ces deux oeuvres, la forteresse initiale a pu être assiégée, victime d'un incendie ou plus simplement déstabilisée par l'exploitation du massif calcaire et l'on a préféré la rebâtir en retrait en abandonnant les tours proches du front d'extraction.


2. Sur une assise présentant deux tours à front de Meuse, les enceintes et les tours initiales de la forteresse ont été masquées par l'extension des corps de logis vers l'extérieur de l'enceinte. Cette théorie semble corroborée par l'observation de la tour subsistante au Nord. Les murs initiaux de la forteresse ont étés ancrés dans la tour tandis que les murs plus récents de la " neufe maison " ont étés accolés à elle.


Détail de la forteresse dans la Vierge d'Autun par Jan van Eyck

La forteresse a subit de nombreuses modifications au cours du temps et les premières vue attribuées avec certitude à la forteresse, nous laissent encore deviner les tours angulaires de l'assise initiale. Nous y apercevons en effet les vestiges de deux tours à front de Meuse ainsi que la base d'une troisième en retrait au droit du corps principal. Le donjon actuel, non visible selon ce point de vue, formait la quatrième tour d'angle. Actuellement, deux pans de mur formant terrasse et les vestiges d'un bastion attestent encore de la présence passée de l'assise qui formait l'enceinte secondaire.

Le chateau de Choquier sur la Meuse - Mathieu Xhrouet Vue du château de Choquier et ses environs au bord de la Meuse - Remacle Leloup
Le chateau de Choquier sur la Meuse
par Mathieu Xhrouet
Vue du château de Choquier et ses environs
par Leloup dans "Les délices du pays de Liege"

En 1738, Saumery nous le décrit en ces termes dans son Délices du Pays de Liège: « Les troupes les plus braves et les plus féroces ne l'ayant regardé qu'avec respect, l'ont toujours jugé plus digne de leurs hommages que de leurs insultes. Les tourelles et les guérites dont il est flanqué, le donjon qui le défend, ses fossés taillés dans le Roc, tous ces ouvrages le rendent d'autant plus fort, que sa situation n'en permet point les approches. »

On peut s'interroger sur le motif qui a conduit Jan van Eyck à construire son oeuvre autour de ce point minuscule.

J'entrevois deux explications possibles:

1. Nicolas Rolin nommé chancelier de Philippe le Bon Duc de Bourgogne en 1422 devait connaître Chokier. Le 20 décembre 1431, le chanoine Jean Surlet de Lardier, Seigneur de Chokier, Bailly de Hesbaye en 1424 (S. BORMANS, Notice sur des cartulaires de la collégiale de Saint Denis à Liège , t. IV), Chanoine de St Martin et de ND et St Lambert, Prévôt de Tongres et de Maaseyck, avait accompagné l'Evêque de Liège à Bruxelles pour conférer avec la Duchesse de Bourgogne au sujet de la dîme accordée par le Pape sur les biens du clergé Liégeois. (Ch. THYS, Le chapitre de N-D à Tongres, vol. II).

Le chancelier Rolin s'étant probablement rendu à Liège n'avait pu manquer de traverser le gué à Chokier qui avait tout pour le séduire. Orientée plein Sud au sein des vignobles mosan, la vue portait loin depuis la forteresse. Point de passage préférentiel depuis la France, le gué fera face au chemin neuf et à la route Napoléon. Sous l'empire, il sera occupé par le Général divisionnaire Loison.

Le fief était certes fort petit mais il n'en était pas de plus important que celui de Chokier en Hesbaye. Il comprenait " toute la terre, haulteur et seignourie de Chockier avec les cens, rentes, cappons, brassennes, mollins, passaiges, eawes, pesseries et autres appartenances et appendices a ladite hauteur, commenchant a mostier dudit Chockier et durant jusques a rieu de Framezee "(Registre de la cour féodale de Hesbaye). Le seigneur y disposait du droit de haute et basse justice sur ses terres et n'était tenu que dans le droit de vente. Du reste, à cette époque et durant trois générations, les Surlet furent Bailly de Hesbaye.

La Vierge d'Autun commandée par Rolin, chancelier de Philippe le Bon qui ambitionne d'annexer la principauté de Liège est effectivement remarquable pour le détail de son paysage. On y distingue les franchissements possibles de la Meuse et le détail de leur fortification: L'ancien Pont des Arches de Liège; le gué de Chokier protégé par la forteresse de Mont Iohy; ainsi que la mystérieuse île-forteresse. Le pont de bois de Seraing de 1381 (Foullon, t.1, 146) reliant le Condroz à la Hesbaye ayant été détruit par la fonte des glaces de l'hiver 1407 (Bouille t.1, p. 466), n'apparait pas dans le paysage peint en 1434.

C'est ce rêve convoité par le chancelier Rolin que pourraient bien indiquer les lignes de fuite présentes dans la Vierge d'Autun. La Vierge et l'enfant participants également à la convergence vers Chokier, on pourrait y voir la prière du chancelier présentant ses ambitions personnelles ainsi que celles de Philippe le Bon. La main levée de l'enfant les bénit-elle ou le repousse-t-elle? Quoiqu'il en soit, ce projet devra attendre. Il faudra auparavant entrer en possession de tous les territoires voisins de la principauté de Liège, par voie d'héritage ou d'achat, avant de pouvoir envisager de s'approprier la noble cité. Les dimes accordées par le Pape faisaient probablement déjà partie de ce funeste projet.

Après le sac de Liège en 1468, Charles le Téméraire confisquait tous les biens meubles et immeubles de Fastré Baré Surlet, seigneur de Chokier qui fut tué d'un coup de lance à Brusthem où il commandait les troupe liégeoises (Dr BOVY, Promenades Historiques) et dont le cheval de guerre avait été empoisonné la veille de la bataille. Le Duc de Bourgogne gratifiait Antoine Rolin, fils en troisièmes noces du Chancelier Nicolas Rolin, des terres de Chokier (Jean de HAYNIN, Mémoires, t. 1, p.254), tandis que Louis de Bourbon les cédait à Jean de Berlo « en vertu d'une donation à luy faite par Monseigneur de Liège, pour cause de désobéissance, rébellion et crime delle majesté commis et perpétré par messire Fastré Baré Surlet, chevalier, jadit possesseur du fief (Cour féod. de Hesbaye (Archives de l'Etat à Liége) ».

Marie de la chaussée de Jeneffe, veuve de Fastré Baré Surlet, sut néanmoins les conserver en cédant ses droits sur Chokier à Guillaume de la Marck, le 10 août 1477 (Reg. Cour féod. de Hesbaye 1481-1518 - voir L. LAHAYE, les seigneurs de Chokier), peu après le décès de Charles le Téméraire survenu le 5 janvier 1477. Guillaume de la Marck assassinait Louis de Bourbon en août 1482. Il fut lui-même exécuté à Maastricht en juin 1485. Marie se remaria à Philippe de Jauche de Mastaing et « par che moyen, elle reut tout, ne perdit rien, ne son fils (Jean de HAYNIN, Mémoires, t. 1, p.254) ».


2. Jan van Eyck a peut-être encore voulu rendre hommage à Jean Surlet qui était également Prévôt de Maaseyck, ville qui l'avait vu naître! (L. NAVEAU, la famille des Surlet - Reg. Cour féod. de Hesbaye).

Le 19 janvier 1443 Jean Surlet est reçu Grand Chantre du chapitre de ND de Tongres. Il mourut le 12 mars 1446 et fut enterré dans la chapelle de St Luc dans la Cathédrale ND et St lambert de Liège avec pour épitaphe:

HIC JACET EGREGIUS PROCREATUS STIRPE
JOANNES SURLET, DE CHOKIER
DOMINUS DUM VIVERAT, ALME CANTOR
CANONICUS HUJUS ECCLESIE CATHEDRALIS
NECNON PROPESITUS EYCKENSIS;
QUEM MUNERATIS ANNIS MILLE QUADRIGENTIS SES ET QUADRAGINTA
GREGORII SACRATA DIES DEJECIT IN UMBRAS

(Le chapitre de N-D à Tongres, vol. II, Ch. THYS)


Le Chancelier Rolin L'Elu Jean de Bavière

Le Chancelier Rolin
par van der Weiden

Le Chancelier Rolin
par Jan van Eyck

Jean de Bavière
par Jan van Eyck

Dans son étude, Jean Lejeune pense reconnaître Jean de Bavière plutôt que le Chancelier Rolin. Je vous en laisse juge au regard de ces trois portraits.

La comparaison du nez et des oreilles suffit amplement à distinguer ces deux personnages peints tous deux par Jan van Eyck.

En outre, comment peindre agenouillé en prière devant la Vierge et l'Enfant un homme qui refuse obstinément la dignité épiscopale d'une principauté qui l'a Elu et préfère mener une vie dissolue plutôt que d'assumer les devoirs de sa charge.

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La forteresse de Mont Iohy dans les oeuvres
directement inspirées de la Vierge d'Autun de Jan van Eyck

1435 Jan van Eyck - La Vierge et le chancelier Rolin
1435 Collaborateur de Jan van Eyck

La Vierge au chartreux
Huile sur bois - 47,3 x 61,3 cm

The Frick Collection - New-York

1475 Anonyme - Vierge à la donatrice avec Marie Madeleine
1475 Anonyme

Vierge à la donatrice avec Marie Madeleine
Huile sur bois - 58,6 x 50.1 cm

Musées d'Art Religieux et d'Art Mosan - Liège

1508 Quentin Metsys - La confrerie de Sainte Anne
1508 Quentin Metsys

La confrerie de Sainte Anne
Huile sur bois - 224 x 219 cm + 220 x 92 cm (x2)

Musées Royaux des Beaux-Arts - Bruxelles

1516 Bernaert van Orley - Vierge à l'Enfant et Saint Jean-Baptiste
1516 Bernaert van Orley

Vierge à l'Enfant et Saint Jean-Baptiste
Huile sur bois - 98 x 71 cm

Prado - Madrid

L'oeuvre est ici inversée pour correspondre au paysage

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