Disons tout de suite qu'il ne sera jamais possible d'identifier avec certitude le village de Chokier dans cette oeuvre. Cependant, les nombreuses représentations de la forteresse de Chokier par Brueghel ainsi que la concordance entre les éléments architecturaux présents dans cette oeuvre et celles d'autres artistes de la même époque offrent des coincidences troublantes.
1558 Hieronimus Cock Tobias et l'Archange Raphael
1565 Thomas Puteanus Saint Jean à Patmos rédigeant l'Apocalypse
Le bâtiment principal de Brueghel s'apparente à l'évidence au bâtiment central du village de Chokier de Hieronimus Cock et deThomas Puteanus.
Nous y retrouvons la toiture à demi croupe, l'auvent surmonté de dessins, la demi ouverture en façade avec une colonne à gauche et le banc à droite (absent chez Puteanus), et l'annexe sur colonne pourvue d'une toiture à trois versants. Cette dernière en présente quatre chez brueghel qui dans l'esprit de concision de cette oeuvre raprelle la large porte avec auvent voisine. Devant elle, un tonneau que l'on retrouve dans le bâtiment chez Brueghel rappelle la culture de la vigne par l'abbaye de Saint Jacques de Liège dès 1070.
Le port est limité par une clôture à clayonnage que l'on retrouve chez Puteanus, Remacle leloup et sur des gravures plus récentes du château de Chokier..
Derrière ce bâtiment, Brueghel représente le Bastion-Porte de péage du tonlieu de l'île du gué de Chokier pourvu de son pont d'accès. Voulant faire d'une pierre deux coup, il rappelle les fours à chaux et à Alun de Chokier que l'on chargeait par le dessus. Le puits d'extraction du minerai est symbolisé par l'expression 111 "Combler le puits quand le veau est noyé".
Le gibet de l'île rappelle également Chokier car nous savons que le seigneur de Chokier qui disposait du droit de Haute et Basse Justice exécutait ses sentences au milieu de la Meuse. Le pilori nous est inconnu mais il peut fort bien avoir existé ou avoir été ajouté pour illustrer l'expression.
On pourrait cependant s'étonner que le village de Chokier ait été choisi pour illustrer les proverbes flamands. Rappelons simplement que les terres du futur village de Chokier (à ne pas confondre avec la forteresse) avaient été cédées par le Prince-Evêques Baldéric de LOOZ et que les seigneurs de Chokier ont eu des liens privilégiés avec le comté de Looz tout au long de la lignées des Hozemont et des Surlet.
ADDENDUM
dédié à Luc SAVELKOUL
L'attribution des " Proverbes Flamands " au village de Chokier est confortée par la certitude que Pierre Brueghel connaissait parfaitement le château de Chokier, et la ville de Liége, comme il peut l'être démontré au travers de deux de ses oeuvres.
La chasse au lièvre - 1560 - Pieter Brueghel
présente la face ouest de la forteresse de Chokier vue depuis l'amont de la Meuse
1560 La chasse au lièvre Dessin de Brueghel
1560 La chasse au lièvre Gravure de Brueghel
La vue du dessin correspond à la réalité, comme s'il s'agissait d'une étape indispensable d'assemblage de croquis selon l'échelle et les raccords souhaités, avant de la graver. Mais la gravure est inversée lors de l'impression, et pour precevoir la vue originale qu'elle représente, il faut l'inverser. Malheureusement la gravure a perdu de nombreux éléments qui permettent d'identifier le château dans le dessin, dont notamment la prolongation de l'aile Est qui en est le sel historique. Il faudra tenir compte de cette liberté lors de l'analyse de Brueghel.
Cette oeuvre présente un détail que nul autre avant Brueghel n'avait représenté. Ce détail, qui a si peu d'importance dans ce dessin, permet d'expliquer l'ensemble de l'oeuvre. Il représente le moment oú la forteresse a été amputée à front de Meuse, et augmentée sur la face opposée de manière à "reculer" le château vers l'intérieur des terres. Ce déplacement fut probablement nécessaire par l'évolution de l'exploitation du massif calcaire.
Sur la gauche, on peut apercevoir la nouvelle tour Nord en construction, tandis l'ancienne subsiste encore. Sur la droite on apercoit la nouvelle tour carrée dont les caves subsistent aujourd'hui, puis, à l'extérieur de la forteresse, un bâtiment posé derrière l'ancienne tour Sud dont les vestiges ont disparus au lendemain de la seconde guerre mondiale. Personne n'aurait pu implanter, ni imaginer ce bâtiment à front du dénivelé du massif calcaire s'il n'avait vu ce bâtiment durant sa transformation. C'est une preuve absolue que Brueghel l'a vu de ses propres yeux. Par ailleurs, Lukas van Valckenborch nous confirme son existence en 1580 dans son oeuvre "La Meuse industrielle à Chokier". Ce détail apparu furtivement le temps de la transformation de la forteresse et capturé par les yeux de Brueghel est une petite merveille.
Les autres détails du paysage correspondent parfaitement mais ils sont dissocés dans la réalité. Le lieu de la chasse se situe à environ 500 mètres de là, et correspond parfaitement au lieu oú sont implantées aujourd'hui les vignes des "Coteaux de Dame Palate", et l'on retrouve sur le dessin la tour dite "Dame Palate" qui subsiste encore aujourd'hui avec sa petite tour accolée abritant les escaliers. Cette tour à malheureusement disparu dans la gravure. Au regard de l'alignement de la plantation, on pourrait se prendre à rêver, et penser qu'il s'agissait déjà de vignes, mais taillées en gobelet, par comparaison entre leur épaisseur et celle de l'arbre plus épais, à moins qu'il ne s'agisse d'un verger.
Le suicide de Saul - 1562 - Pieter Brueghel - 33,5 x 55 cm
Kunst Historisches Museum - Vienne
présente la face Est de la forteresse de Chokier vue depuis l'aval de la Meuse
Cette vue représente la silhouette Est de l'ancienne forteresse de Chokier encore observable dans les caves. On retrouve les nouveaux bâtiments de la face Ouest nécessités par l'extension vers le Nord, mais non la nouvelle tour présentée dans La chasse au lièvre, car elle est encore trop petite, et imperceptible depuis le contrebas du château. Sur la face Est, elle présente le premier petit bâtiment de l'extension vers le Nord. Le fait le plus étrange se situe probablement dans l'oeuvre restaurée qu'une autre main avait corrigée pour correspondre à la réalité d'une époque postérieure. Brueghel présentait bien la réalité en dessinant le bâtiment d'accès au pont-levis, la petite tour en ruine adaptée en escalier aujourd'hui, et les dépendances implantées à un niveau plus bas dont le rehaussement à nécessité une surélévation du chemin d'accès. Brueghel avait cependant adapté la face Sud avec une certaine élégance pour la lier à la ville de Liège en figurant la cavité du rocher comme une porte menant à un escalier. L'illustration présentée ici correspond à l'oeuvre corrigée, et non à l'oeuvre restaurée. On apercoit enfin, comme dans l'oeuvre, précédente, le fortin sur l'ile de la Meuse.
On notera la représentation sur la gauche de la ville de Liege selon un angle proche de Thomas Puteanus, mais se rapprochant de la perpendiculaire du Boulevard d'Avroy. On retrouve tous les éléments de l'avant plan de Thomas Puteanus légèrement étalés sous cet angle, mais pas le Pont des Arches qui se trouve caché derrière l'île. Le plus intéressant consiste probablement en deux légers mouvements de l'eau de part et d'autre du boulevard Piercot actuel qui rendent compte de l'île, et dont le premier se poursuit par de très fins traits derrière la porte d'Avroy vers la courbe de la Sauvenière, pour faire place à un bleu rappelant la muraille sur l'autre rive. Cette vue n'est plus stylisée pour représenter la ville de Liège comme chez Thomas Puteanus, mais dessinée d'après un avant plan précis, et une silhouette de la vue lointaine, car l'objectif était de placer le cadre de la ville de Liège.
Les flammes aux dessus de la ville posent le cadre du Sac de Liège par Charles le Téméraire. Le suicide de Saul pourrait ainsi représenter la mort de Jean Surlet, Maréchal d'arme de la ville de Liège, Seigneur de Chokier, Prévôt de Tongres et de Maaseyck, devant son château. Il est rapporté que Jean Surlet, dont le cheval de guerre avait été empoisonné la veille, aurait pu se sauver mais qu'il préféra mourir au combat.
Il est donc certain que Brueghel connaissait à la fois la forteresse de Chokier, la ville de Liège, et probablement son histoire.