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Ville de HUY

La charte de Huy - 1066
Première charte européenne des libertés

par René FURNEMONT, Conservateur du Musée communal.

Résumé en langue romane (1408) de la Charte de Huy de 1066
Résumé en langue romane (1408) de la Charte de Huy. Archives départementales - Lille.

Le 27 août 1066, le prince-évêque de Liège, Théoduin de Bavière, octroyait solennellement à la ville de Huy une charte qui faisait de ses habitants les premiers bourgeois libres de l'Europe occidentale,

Au moment où les autorités civiles et religieuses se préoccupent de commémorer le neuvième centenaire de ce document célèbre, il convient de le replacer dans son cadre historique hors duquel il serait vain de vouloir en saisir pleinement la signification.



I. - LES ORIGINES DE LA CHARTE.


Au XIe siècle, la principauté de Liège faisait partie de la Basse-Lotharingie, duché s'étendant de la mer du Nord au Jura et rattaché à l'Allemagne depuis 925.

Alors que l'Eglise lotharingienne s'orientait vers l'Empire, jamais les seigneurs du duché ne se soumirent à l'autorité souveraine: d'incessantes révoltes agitaient le pays.

Allemands d'origine ou de cour, les princes-évêques de Liège se révélèrent ardents défenseurs du régime impérial. Wazon, le prédécesseur de Théoduin ne déclara-t-il pas que « même si l'Empereur lui faisait arracher l'oeil droit, il ne manquerait pas d'employer l'oeil gauche pour son service ».

Une même fidélité valut à Théoduin de Bavière une attaque brusquée de la part du comte de Flandre, Baudouin V. Comme ses voisins lotharingiens, celui-ci cherchait à agrandir son comté au détriment de l'Allemagne.

En 1051, il avait fait entrer le Hainaut dans les possessions de sa famille par le mariage de son fils avec la comtesse Richilde. Deux ans plus tard, voulant affermir sa position, il mit à profit l'éloignement de l'empereur Henri III, alors en Italie: à l'improviste, père et fils attaquèrent deux postes avancés de l'Empire: Thuin et Huy.

Après avoir incendié Thuin, le futur Baudouin VI rejoignit son père; ensemble, ils s'en vinrent livrer aux flammes la petite cité mosane. La collégiale Notre-Dame n'échappa pas au désastre.

Sous l'impulsion de Théoduin, Huy se releva peu à peu. Ce ne fut pourtant que plusieurs années après l'incendie que le prince-évêque put songer à doter la ville d'un nouveau sanctuaire, à le pourvoir des logements destinés aux chanoines et à assurer à ceux-ci les prébendes d'usage. Encore la réalisation d'un aussi vaste projet dépassait-elle ses possibilités financières.

De cette situation naquit l'idée d'un accord entre le prince et les « mercatores » hutois, marchands et artisans enrichis par le commerce et l'industrie. En échange de concessions créant des conditions favorables à l'économie de la ville, les Hutois sacrifièrent à l'évêque la moitié de leurs biens meubles, c'est-à-dire la moitié de leur capital commercial et industriel.

C'est ainsi que le prince-évêque Théoduin, assisté de Libert évêque de Cambrai, put procéder, le 25 août 1066, à la dédicace d'une nouvelle église (voir notice annexe I).

Par un acte daté du même jour, Théoduin affranchit l'église de Huy de l'autorité de l'archidiacre du Condroz. Les divers sanctuaires de la ville relevèrent dès lors de l'autorité directe du prince-évêque (voir annexe II).

Deux jours plus tard, soit le 27 août 1066, Théoduin octroya à la ville, en présence des grands dignitaires écclésiastiques et de plusieurs seigneurs lotharingiens, la première charte de libertés connue en Europe. Les seigneurs présents étaient: Godefroid, duc de Lotharingie, Albert III, comte de Namur et son frère Henri I, comte de Durbuy, le comte Conon de Montaigu, Walter de Barse, avoué de la collégiale, Godefroid et Arnould de Florennes, Godefroid de Floreffe et son frère.

Les dix articles de la charte énoncent les privilèges accordés aux « bourgeois »

a) droit de garde du château en cas de vacance du siège épiscopal,

b) limitation du droit de mainmorte,

c) procédure judiciaire visant à la garantie du droit d'asile, à l'inviolabilité du domicile, à la suppression de la vengeance privée et des épreuves judiciaires.

d) règlement rapide des conflits commerciaux en matière de prêts et de dettes,

e) droit de résistance en cas d'abus ou d'exigences exagérées du seigneur.

Nous reviendrons, en les commentant, sur les dispositions de cet acte fameux. Qu'il nous suffise ici de noter leur tendance à l'instauration d'un climat favorable aux marchands et aux artisans fixés sur les rives du Hoyoux.

L'octroi à une petite bourgade de privilèges aussi étendus et cadrant si peu avec les conceptions du temps présente un caractère tellement exceptionnel que certains historiens ne purent s'empêcher d'émettre des doutes sur l'antériorité des libertés de Huy sur celles de Liège.

« Il n'est pas imprudent, écrit F. Magnette, de penser que si la ville de Huy jouissait de pareilles libertés, la capitale du pays ne devait pas être moins bien lotie qu'elle, ses privilèges ne peuvent être postérieurs à ceux des Hutois ».

Pour A. Hansay, « les libertés octroyées par les chartes de Brusthem en 1175 et de Liège en 1288, n'étaient apparemment que la confirmation et le développement de libertés qui avaient été accordées vers le milieu du XIe siècle, antérieurement en tout cas, à la charte de Huy de 1066 ».

Quant à Godefroid Kurth, il estime que « la charte de Huy plonge ses racines dans le vieux droit urbain de Liège ».

Sans doute peut-on reconnaître à ces opinions une certaine vraisemblance, encore faut-il convenir qu'elles reposent visiblement sur des suppositions.

Plus solide nous apparaît l'argumentation d'Henri Pirenne. Se refusant à admettre l'opinion de Godefroid Kurth parce que « nous ne savons rien du droit urbain de Liège au XI siècle », notre grand historien constate que « le portus de Huy, essentiellement industriel, se trouvait dans une situation bien différente de celle de la cité épiscopale, beaucoup moins avancée que lui à cet égard ».

Un aperçu de la situation économique de Huy aux Xe et XIe siècles mise en lumière par des travaux récents suffit à confirmer la justesse de ces vues et à expliquer la précocité de la charte accordée à la petite cité, fille du Hoyoux.



II. - L'ACTIVITE DES « MERCATORES » - SOURCE DE LIBERTE.

Vue de Huy - 1854 van der Hecht
Subdivision de branches du Hoyoux
permettant la multiplication des roues hydrauliques.


A la métallurgie des rives du Hoyoux et à la situation de la ville au cour du pays mosan, au point de jonction de trois vallées, Huy dut de devenir de bonne heure le centre d'une intense activité économique.

Depuis longtemps, l'importance du « portus de Huy » a retenu l'attention de nos historiens (1),

De savantes études ont souligné l'activité de nos « mercatores » lancés dès les temps mérovingiens dans l'aventure de marchandises qui les poussa sur les marchés d'Europe les plus lointains.

C'est ainsi que dans un travail très documenté, un éminent archiviste suisse Hektor Amman a mis en relief de façon magistrale le rôle de premier plan tenu par Huy dans l'économie du haut moyen-Age.

La rareté des sources écrites antérieures au XIIe siècle, orienta le patient chercheur vers les trouvailles de monnaies hutoises jalonnant les anciennes voies commerciales.

Dès le VIIe siècle, Huy possédait, en effet, un atelier monétaire dont l'importance ne le cédait en pays mosan qu'à celle de Maestricht. Le nombre de monétaires hutois, généralement orfèvres, changeurs ou banquiers, est à lui seul un indice incontestable de grande activité économique.

Sur les 37 monétaires connus, Huy en comptait 12; Dinant 7; Namur 5 et Maestricht 13.

Il semble bien que c'est vers l'Angleterre que s'orientèrent d'abord les marchands hutois. Un trésor de monnaies de Huy enterrées vers 640-650, fut découvert à Woodbridge, débouché maritime d'Ipswich. D'autre part, le relevé des tonlieux perçus à la fin du XIe siècle à Billingsgate sur la Tamise signale de nombreux passages de trafiquants hutois dont la présence est régulièrement notée sur la place de Londres. De là, ils s'en vont de marché en marché écouler les produits manufacturés du Hoyoux: objets de fer, de laiton et d'étain. Au retour, ils rapportent, en ordre principal, l'étain des Cornouailles et des îles Sorlingues.

Sans doute est-ce à ces relations de nos « mercatores » que sont dues la tradition faisant de saint Menqold, second patron de Huy, un fils du roi Hugon (2) et la légende de la belle Ariette, mère de Guillaume le Conquérant (3).

L'ampleur des transactions de Huy avec la France nous est moins connue. On sait pourtant qu'empruntant le fleuve ou l'antique Voie verte des Romains, les Hutois gagnaient les trois évêchés: Metz, Toul et Verdun et par Trêves, les régions du Rhin et de la Moselle (4).

Plus tard, ils gagneront Compiègne, Arras, Amiens, les foires de Champagne, la foire célèbre du Lendit à Saint-Denis, en attendant Troyes, Lyon, Marseille et Perpignan.

L'objet principal du trafic resta longtemps la production de la batterie du laiton. Pour Jean Renart, auteur de « Guillaume de Dole », Huy est toujours au XIIe siècle la « ville où l'on fet les chaudières ».

Quelle que soit l'ampleur du trafic hutois vers l'Angleterre et la France, il est certain qu'elle fut de loin surpassée par les relations suivies avec les pays de l'est. Il n'y a là rien qui puisse surprendre: le diocèse de Liège relevait de l'archevêché de Cologne; depuis 985, date de la cession du comté de Huy à Notger, la ville était un précieux poste avancé de l'Empire (5). Aussi les marchands hutois étaient-ils traités Outre-Rhin en compatriotes et y jouissaient-ils de privilèges douaniers refusés aux trafiquants flamands.

Le tableau des découvertes de numéraires hutois dressé par Hektor Amman nous permet de retracer les itinéraires de nos « mercatores » des Xe et XIe siècles.

Nous les suivons à travers l'Empire, depuis Cologne et Coblence, jusque dans les pays baltes, en Pologne et en Russie; nous les trouvons aux foires d'Enns sur le Danube et au-delà de Vienne en Ukraine où ils entrent en relations avec les caravanes venues des lointaines régions de l'est. Leur surprenante aventure s'étend ainsi à vingt pays ou contrées de la zone économique allemande.

Aux objets de laiton exportés, les Hutois ajoutent, dès le XIe siècle, du drap, de la toile, de la laine.

Des régions du Rhin et de la Moselle, ils ramènent du vin, de qualité supérieure à celle des crus mosans. Aucun gisement de cuivre n'existant en pays liégeois, ils s'approvisionnent du précieux métal aux mines de Goslar, dans les Monts Métalliques. Les marchés de Russie et d'Ukraine leur fournissent les peaux, les fourrures, les tapis luxueux, les tissus byzantins, les épices dont la médecine du temps fait largement usage, l'encens des églises et les parfums d'Orient.

La rareté des produits les rendant plus précieux, plus le voyage était lointain, plus il était profitable. La certitude de gains plantureux donnait l'audace voulue pour braver les fatigues, les risques et les dangers de périlleux itinéraires.

Une telle existence ne faisait pas seulement naître des fortunes considérables: elle fortifiait les caractères et créait au sein des groupes de marchands un certain esprit d'indépendance.

Au fil du temps le marchand se dégageait des liens multiples qui attachaient le paysan à la terre et par le fait même au seigneur. La vie errante était en quelque sorte l'apprentissage de la liberté.

Les seigneurs féodaux ne s'y trompèrent pas ils ne regardaient pas sans méfiance ces vagabonds du commerce dont l'existence détonnait singulièrement dans un monde attaché à la glèbe.

Pourtant, malgré son dédain pour ces errants, malgré l'humiliation de devoir dans les moments difficiles recourir à l'aide de ces nouveaux riches, la noblesse dut bien ménager ces gens qui payaient le tonlieu aux gués, aux ponts, aux marchés et lui procuraient les mille choses dont était fait le luxe de ses châteaux.

Pour l'Eglise, la vie errante était une source de péchés et le commerce, une forme de l'usure. Les Pères de l'Eglise condamnaient le prêt à intérêt: « il n'est pas bon, avait dit Saint-Augustin, que l'argent fasse des petits ».

D'instinct, les marchands se tinrent à l'écart d'un monde qui ne lui valait qu'envie et mépris. Dans leur ville d'origine, ils se fixèrent en dehors de l'agglomération primitive. A Huy, ils s'établirent sur la rive droite du Hoyoux, « in vico Hoyo » comme le disent les monnaies de Charles le Chauve, à « côté du castrum primitif (domaine du prince et domaine de la Collégiale) (6).

HUY - Divisions urbaines en 1066

Divisions urbaines en 1066

I domaine du prince; II domaine de la collégiale; III Burgus (quartier industriel et commercial).

Les marchands enrichis firent bientôt figure de privilégiés: c'est qu'au cours de leur vie errante, ils s'étaient fait reconnaître un statut juridique adapté à leurs activités professionnelles,

La procédure compliquée de la justice du temps, ses coutumes barbares (épreuves et duels judiciaires, droit de vengeance privée), étaient peu faites pour favoriser l'exercice paisible du commerce. Aussi aux foires et marchés s'était élaboré, entre marchands, un espèce de droit personnel, le jus mercatorum, de caractère international.

De bonne heure, sans doute avant le Xe siècle, ces usages particuliers s'introduisirent dans la pratique des tribunaux. Pour les marchands, la justice devenait plus expéditive et plus humaine.

La fortune acquise par leurs lointaines pérégrinations, leurs privilèges juridiques, le sentiment de leur importance sociale avaient mis les « mercatores » en appétit. Logiquement, ils aspiraient à plus de liberté, à des avantages accrus. L'incendie de la Collégiale, les besoins financiers du prince-évêque Théoduin vinrent à point pour favoriser leurs désirs d'émancipation. Ceux-ci devaient se concrétiser dans la charte de 1066.



III. - HISTOIRE DE LA CHARTE.


Le 23 septembre 1408, les milices de Liège et de Huy subissaient à Othée une défaite gravée en lettres de sang dans les annales de la principauté (voir annexe IV).

Vainqueur, grâce à Jean sans Peur et à Guillaume de Hainaut, l'Elu Jean de Bavière exerça une vengeance atroce qui lui valut le nom de Jean sans Mercy (= sans Pitié).

Le 24 octobre, la sentence de Lille ordonnait aux villes liégeoises la remise en l'abbaye des Ecoliers à Mons de toutes leurs chartes « de privilèges, de lois, de libertés et franchises ».

La charte de Huy fut parmi les 588 chartes confisquées mais ne figura malheureusement pas parmi les 142 documents restitués l'année suivante.

Des copies de l'acte fameux avaient heureusement été prises.

C'est ainsi qu'au XIIIe siècle, le chroniqueur Gifles d'Orval décrivant les cérémonies de consécration de l'église de Théoduin put reproduire l'introduction de la charte qui paraît seule l'intéresser parce qu'elle établit l'ancienneté de l'église, fondée par saint Materne. Le moine d'Orval y ajouta toutefois le premier des dix articles, qui, longtemps, resta le seul connu.

Au XVIe siècle apparut un complément à ce texte, reproduit cette fois par jean de Brusthem, un récollet de Saint-Trond. Mais au total, on ne connaissait que quelques fragments du texte de 1066, lorsque vers 1935, l'éminent archiviste liégeois Emile Fairon fit aux archives départementales de Lille une découverte sensationnelle: il s'agissait de l'inventaire des chartes confisquées, dressé en 1408 par les commissaires bourguignons et hennuyers. Chose curieuse, ces commissaires s'étaient donné la peine de rédiger en langue romane un résumé fort bref de chacun des articles du document à détruire.

Résumé en langue romane (1408) de la Charte de Huy de 1066
Résumé en langue romane (1408) de la Charte de Huy. Archives départementales - Lille.

Par un singulier paradoxe, ils sauvaient ainsi d'un irrémédiable oubli ce qu'ils avaient pour mission d'effacer à jamais de la mémoire des hommes. En complétant l'une par l'autre, ces diverses sources, le savant historien liégeois put opérer une reconstitution de la célèbre charte qu'il publia en 1937.



IV. - ANALYSE DE LA CHARTE.


Introduction.

De la courte introduction précédant les dix articles de la charte de 1066, retenons que Théoduin y exprime sa volonté que soit connu « au présent et dans l'avenir qu'après avoir accordé la liberté à l'église de Huy, il l'accorda aussi aux « bourgeois » de la ville en raison du sacrifice pécuniaire consenti par ses habitants pour la reconstruction de la Collégiale ».

Le texte spécifie que la contribution, d'abord fixée au tiers de leurs biens meubles fut portée à la moitié de ces biens. Peut-être cette augmentation de contribution s'explique-t-elle par le désir des Hutois d'obtenir une extension des libertés fixées primitivement.


Commentaire des articles

Pour la facilité du commentaire, nous groupons les dix articles de la charte sous quatre rubriques clauses militaires, clauses sociales, clauses juridiques, clauses commerciales.


Clauses militaires.


ARTICLE I.

Texte latin original (copie de Gilles d'Orval).

Prima libertas hec est: quod défuncto in pace episcopo usque ad plenariam alterius episcopi institutionem burgenses ville bonafide et bono consilio castrum hoyense de redditibus ville conservabunt.

Résumé en langue romane de 1408.

Premiers que les bourgeois de Huy conservront des revenuwes de le ville le chastiel de Huy.

D'après ces textes, en cas de mort de l'évêque en temps de paix, les bourgeois garderont le château de Huy au moyen des revenus de la ville pendant la vacance du siège épiscopal.

Il semble que cette disposition vise à écarter le danger de désordres ou d'abus de la part des fonctionnaires épiscopaux, abus toujours à craindre en l'absence d'autorité souveraine. Peut-être les Hutois voulaient-ils aussi prévenir les attaques des seigneurs voisins, ou celles des dynastes lotharingiens hostiles à la politique impériale des évêques de Liège.

Dès ce premier article apparaît le désir des marchands et artisans de maintenir une paix utile à l'économie de la ville mais trop souvent troublée en ces temps de violence.

Au cours des siècles, les Hutois mirent un point d'honneur à maintenir le château sous leur contrôle. Toujours, ils considérèrent comme un de leurs plus précieux privilèges le droit des « maîtres et conseils de la ville » de pénétrer dans leur vieille forteresse « touttes et quantefois qu'il leur plaira, soit de jour, soit de nuit ». Le prince-évêque n'y était admis la première fois qu'après avoir juré de n'en confier la garde qu'à un homme du pays. De plus, le châtelain devait faire le serment de respecter les « franchises, statuts, libertés et usages de la cité ».

Quant au droit des Hutois de percevoir les revenus de la ville pendant un interrègne, il fut contesté dès le XIIIe siècle par le chapitre de Saint-Lambert qui finit par se l'approprier au milieu du siècle suivant.

Notons que c'est dans l'article I de la charte de 1066 qu'apparaît pour la première fois dans l'Empire le nom de « burgenses » ( = bourgeois), appliqué aux « mercatores ». commerçants et artisans de l'agglomération située sur la rive droite du Hoyoux, près du « castrum » primitif.

A côté du clergé, de la noblesse, de la classe servile apparaissait une classe nouvelle: la bourgeoisie.


ARTICLE VII.

Texte de Jean de Brusthem.

Hoienses armatam ilitiam nullatenus sequentur nisi Leodienses a prefisco die belli usque in octavum eos precesserint.

Résumé en langue romane de 1408.

Item ceuls de Huy ne doivent aler en l'armée se ceuls de Liège ne vont huit jours devant.

A propos de cet article, H. Pirenne écrit: « Les Hutois ne devront prendre les armes que huit jours après les Liégeois ».

De son côté, F. Magnette écrit que les Hutois « ne sont tenus au service militaire envers l'évêque que huit jours après l'entrée en campagne des bourgeois de Liège ».

Selon A. Joris, cette interprétation traditionnelle mérite d'être revue. D'après lui, il faut comprendre que les Hutois ne devaient le service militaire qu'en cas de mobilisation générale pour une guerre intéressant les droits du prince, le signal de cette mobilisation étant le départ des Liégeois.

Le souci des bourgeois, de Huy, aurait été de ne pas être entraînés par le comte épiscopal ou par l'avoué dans les guerres continuelles entre seigneurs du temps.

Possession du prince-évêque, le comté de Huy était administré par un comte épiscopal. Quant à l'avoué, il était chargé de présider à l'exercice de la justice, d'assurer la surveillance des foires et marchés et de protéger les biens de la collégiale Notre-Dame.

En ce XIe siècle où les conflits entre seigneurs naissaient des causes les plus futiles, ces deux personnages auraient pu entraîner les Hutois dans des querelles personnelles. L'article VII de la charte écartait cette éventualité.

L'idée maîtresse des Hutois se révèle ainsi être le maintien de la paix. C'est à ce même esprit qu'obéirent les Liégeois un siècle plus tard, en faisant spécifier dans la charte d'Albert de Cuyck qu'ils « ne doivent suivre l'évêque à la guerre que si un château du pays est assiégé ou pris par l'ennemi ».


Clauses sociales.


ARTICLE II.

Résumé en langue romane de 1408.

Quiconque vora (= voudra) entrer en Huy pour y demorer, il stera ( restera) au service de son seigneur.


ARTICLE IV.

Résumé en langue romane de 1408.

Se (= si) aucun réclaime un bourgeois de Huy comme son sierf, i (= il) le doit ravoir si le prueve y être tel (s'il le prouve tel).

Attaché à la glèbe, c'est-à-dire inséparable du sol, le serf n'avait pas le droit de quitter le domaine de son seigneur. Celui-ci pouvait reprendre ses serfs fugitifs partout où il les retrouvait. L'article II de la charte reconnaît ce droit de suite en ce qui concerne les serfs venus en terre hutoise chercher quelque adoucissement à leur misérable sort.

Mais l'article IV exige du seigneur la preuve de la servitude de l'individu réclamé. Semblable preuve était difficile à produire. Il est certain que nombre de fugitifs rejoignaient les caravanes lancées à travers l'Europe dans « l'aventure de marchandises ». L'éloignement de leur lieu d'origine les affranchissait en fait. Comme l'écrit H. Pirenne, « la liberté leur fut octroyée parce qu'il était impossible de prouver qu'ils n'en jouissaient pas ».

Au retour de leurs longues pérégrinations, nombre d'anciens serfs purent ainsi s'établir, en toute quiétude, sur les rives du Hoyoux où ils apportèrent une main-d'oeuvre précieuse, tout en contribuant à l'accroissement de la population.


ARTICLE VI.

Résumé en langue romane de 1408.

Se (= si) aucuns est travelliés extraordinairement de servir à son seigneur il pora demorer en se maison en pais sans quelconques citascions.

En d'autres termes, le serf soumis par son seigneur à des corvées excessives pourra refuser de s'y soumettre et rester en sa maison sans être inquiété.

A l'origine, en échange de sa chaumière et d'un lopin de terre, le serf était soumis à de multiples corvées ou travaux gratuits: labourage, récolte, coupe de bois, entretien du château, des routes, des ponts, etc... Il était « corvéable à merci » seule, la volonté du seigneur limitait ses obligations.

On comprend que de bonne heure, la classe servile ait aspiré à un allègement des exigences seigneuriales.

L'article VI de la charte marque un premier pas vers l'abolition du pouvoir arbitraire des seigneurs.

Le droit de résistance doit être particulièrement noté: c'était à l'époque une audacieuse innovation.


ARTICLE III.

Résumé en langue romane de 1408.

Se (= si) uns sers muert (meurt) en le dicte ville, il laira ( = laisser à) à son seigneur quatre deniers ne à plus ne puet (= peut) estre constrains s'il ne voelt (= veut).

A l'origine le droit de mainmorte mettait le seigneur en possession de l'entièreté des biens du serf décédé. Ce droit exorbitant fit place au droit « de meilleur catel » qui permettait au seigneur de choisir la plus belle tête de bétail, le meilleur meuble. Dans la suite, l'héritage du serf fut laissé à ses enfants, contre paiement d'une somme d'argent.

Ce « droit de succession » est ici fixé à 4 deniers. Ce maximum n'avait plus guère qu'une valeur symbolique.

Les avantages accordés aux serfs par les articles qui précèdent révèlent à n'en pas douter l'influence des mercatores sur la nature des libertés réclamées. Les serfs fugitifs leur fournissaient une aide précieuse dans l'exercice du commerce à longue distance en même temps qu'ils apportaient la main-d'oeuvre nécessaire dans les forges et les fourneaux du Hoyoux, dans les ateliers travaillant l'étain et le laiton, dans les entrepôts et sur les quais du « portus ».

Il convient de noter que dans les dispositions ci-dessus, les droits du seigneur ne sont ni abolis ni contestés. Par contre, ils sont soumis à un contrôle et à une limitation tels que tout caractère arbitraire leur est enlevé. La charte de Huy marque la fin de l'absolutisme seigneurial auquel elle tend à opposer un droit nouveau: le droit communal.


Clauses juridiques.


ARTICLE V.

Résumé en langue romane de 1408.

Se (= si) aucuns fait plaie ouverte à un autre et il entre en sa maison sans y estre pris, il demora la tant qu'il vora (= il restera là tant qu'il voudra) s'il n'est pas appelé à le pais de Liège (= à la paix de Liège).


ARTICLE VIII

Résumé en langue romane de 1408.

Se aucuns commet un homicide, si longhement qui ne refusera point justice s'il entre en le dicte ville, il sera en pais.

La coutume mérovingienne reconnaissait à l'individu lésé le droit de se faire justice que limita de bonne heure la loi du talion: « vie pour vie, oeil pour oeil, dent pour dent ».

Bien que condamné par Charlemagne, le droit de vengeance était resté dans les moeurs de l'époque féodale. Il était une source de querelles familiales ou de clan, cause de désordres nuisibles à l'économie de la ville. Comme l'écrit A. Joris « il faut voir certainement dans ces deux articles de la charte une manifestation évidente du désir d'empêcher le déclenchement du mécanisme de la vengeance privée à l'intérieur du territoire privilégié et par là, d'assurer une paix stable au bénéfice de la population urbaine »,

Ces deux clauses ne s'opposent pas seulement à la vengeance privée mais encore à toute arrestation arbitraire. Pour autant qu'il se soumette à la justice, le coupable de blessure à autrui ou le meurtrier réfugié en ville ne peut-être inquiété en sa maison. Ainsi sont garanties la liberté individuelle et l'inviolabilité du domicile.

D'après l'article V, le coupable de blessure à autrui est justiciable de la « paix de Liège » tribunal épiscopal selon A. Joris, peut-être échevinage liégeois selon F. Discry.

Notons que l'article VIII tel que nous le connaissons ne mentionne pas le tribunal dont relève l'homicide.


Clauses commerciales.


ARTICLE IX.

Résumé en langue romane de 1408.

Se ( si) aucuns des dis bourgeois se puet purgier (= peut se libérer) par trois témoins d'aucune dette con li demande, se li demanderes (= si le demandeur) jure que li quiert point de ingure, li bourgois sera frans de le debt nient payer (= sera libre de ne pas payer la dette).

D'après ce texte, le bourgeois à qui est réclamée une dette quelconque, avec serment accusatoire du plaignant, peut se libérer de cette dette par le serment de trois témoins.

Tel que nous le connaissons, cet article ne donne aucune indication sur la qualité de ces trois témoins. Nous en retenons que les marchands peuvent se libérer d'une dette par une procédure plus expéditive que les pratiques judiciaires du temps (duel judiciaire et ordalies). Ces pratiques barbares ne pouvaient qu'entraver les transactions commerciales. Un peu partout, les marchands s'efforçaient de s'y soustraire. En 1116, elles furent remplacées à Ypres par un serment prêté par quatre co-jureurs. A Saint-Orner, les marchands ne furent exemptés du duel judiciaire qu'en 1127, Les bourgeois de Huy firent donc, en 1066, dans ce domaine, figure de précurseurs.


ARTICLE X.

Résumé en langue romane de 1408.

Se aucuns des dis bourgeois demande argent à un estrangnier (= étranger) venant en le ville, par le tesmoingnage de bonnes gens ychils forains (= cet étranger) le puet (= peut) abjurer par serment et par lever le festu (= fétu).

L'étranger à qui on réclame le paiement d'une dette peut se libérer de cette dette en la niant par serment devant témoins et en jetant loin de soi un fétu de paille.

Ces « bonnes gens » étaient sans doute des personnalités jouissant de la considération publique.

Quant au jet du fétu, il n'est autre qu'un de ces gestes symboliques si nombreux au moyen-Age.

Primitivement, tout engagement, tout contrat s'accompagne de l'un ou l'autre geste similaire: le suzerain confère la possession d'un fief en remettant au vassal un rameau, une motte de gazon, le vendeur remet à l'acheteur un gage symbolisant l'objet de la vente.

Ces conceptions du droit romain et du droit germanique dispensaient de tout acte écrit. On en retrouve de nos jours de nombreuses survivances: nos marchands de bestiaux marquent leur accord en se frappant mutuellement dans la main, les enfants de nos campagnes accompagnent leurs promesses, leurs serments, du jet d'une pierre préalablement humectée de salive.

A côté du désir de faciliter les opérations de crédit apparaît dans les articles IX et X la volonté de s'opposer à la vengeance privée et d'éviter le recours aux usages judiciaires peu compatibles avec l'exercice de transactions commerciales rapides.



V. - CARACTERE DE LA CHARTE DE 1066.


I. « Dans aucune région d'Europe, écrit Henri Pirenne, les chartes urbaines ne renferment tout l'ensemble du droit urbain... La plupart du temps, elles sont le produit de circonstances spéciales et elles n'ont tenu compte que des questions qui se débattaient au moment de leur rédaction »,

Telle fut la charte de Huy dont l'occasion fut l'incendie de la collégiale Notre-Dame en un temps où les « mercatores » enrichis par le commerce à longue distance aspiraient à la création d'un climat favorable à leur activité. Ses dispositions sont bien le reflet des préoccupations du moment des parties contractantes.

II. Car il s'agit d'un véritable contrat où prince-évêque et marchands trouvaient chacun leur intérêt.

L'évêque s'assurait la possibilité de reconstruire le sanctuaire d'une ville qu'il affectionnait. Sans doute trouvait-il aussi le moyen de se faire des Hutois, maîtres d'une puissante position stratégique, des alliés fidèles. Quant aux bourgeois, ils faisaient le premier pas vers la réalisation de leur idéal d'émancipation.

III. Il convient de noter le caractère pacifique de ce contrat, librement conclu entre Théoduin et les bourgeois de Huy. Le fait mérite d'autant plus d'être souligné que l'Eglise du XIe siècle adoptait à l'égard des marchands une attitude nettement hostile et que d'autre part, les évêques n'entendaient céder une parcelle ni de leur autorité spirituelle ni de leur pouvoir temporel. Pénétrés du caractère divin de leur mission les princes-évêques de l'époque se laissèrent arracher leurs privilèges par la violence et l'émeute. Les mouvements insurrectionnels de Courtrai (1076), de Cambrai (1077), de Cologne (1078), de Beauvais (1080), de Noyon (1108) furent tous causés par les revendications des marchands.

Plus heureux que leurs confrères, les bourgeois de Huy se virent concéder leurs premières libertés non seulement avant eux mais dans une atmosphère de paix dont tout indique qu'ils se faisaient un idéal,

IV. Le grand intérêt de la charte de Huy est de nous faire assister à la naissance d'une classe sociale nouvelle. L'apparition de cette « bourgeoisie » donna à la société la physionomie qu'elle devait présenter jusqu'à la fin de l'ancien régime.

Au-dessus des serfs et du commun peuple, on distingue dès lors trois classes jouissant de privilèges que chacune d'elles justifiait par des raisons particulières: le clergé, par son caractère sacré; la noblesse par son rôle militaire; la bourgeoisie, par son importance économique spéciale et par les services que rendait à l'occasion sa fortune mobilière. On notera que jusqu'alors, Ia société avait été fondée exclusivement sur la propriété du sol. On sait le rôle joué par la fortune mobilière des « mercatores » dans l'acquisition de la charte de 1066; elle devait dans la suite, intervenir puissamment en faveur du progrès social,

V. Les aspirations de la bourgeoisie ressortent clairement des divers articles de Ia charte.

Comme l'écrit H. Pirenne, les partisans des réformes sociales résument volontiers leur programme en quelque mot magique qui, souvent, fut le mot « liberté ».

Pour les bourgeois de 1066, la liberté c'est la fin d'un régime basé sur les nécessités de la vie agricole, c'est la suppression dans leur ville du droit seigneurial et l'instauration d'une coutume urbaine compatible avec leur activité professionnelle. Ce que veulent les marchands et les artisans, c'est faire du territoire urbain un asile de paix d'où seraient exclus tout traitement arbitraire et toute cause de trouble.

La charte toutefois ne nie pas les droits du seigneur; elle s'efforce de les limiter. Elle est donc un document de transition entre le droit de la haute féodalité et le droit de l'époque communale.

Du point de vue général, la charte de Théoduin est un des premiers indices d'une évolution dont l'aboutissement marquera le triomphe de la commune sur l'absolutisme des grands Dynastes.

Pour Huy, ce document est la première manifestation de l'esprit d'indépendance qui, au cours de son histoire, ne cessa d'animer la petite cité et qu'exprime si fièrement son antique devise


PLUTOT MOURIR DE FRANCHE VOLONTE

QUE DU PAYS PERDRE LA LIBERTE



VI. - ANNEXES.


A. - L'EGLISE ROMANE DE THEODUIN (1066).


Longtemps, on ne connut ce vénérable monument que par un dessin conservé à l'Académie des Beaux-Arts à Liège. Ce sanctuaire de style roman disparut en effet en 1311 pour faire place à la collégiale actuelle.

Des travaux effectués en 1906 amenèrent la découverte imprévue de la crypte ancienne, magnifique vestige constituant aujourd'hui une des plus précieuses richesses archéologiques de la ville.

On ne peut qu'être frappé par la belle ordonnance et l'élégance de l'édifice souterrain, de sa nef centrale et de ses deux nefs latérales que terminaient des absidioles demi-circulaires. On admirera surtout la jolie perspective des robustes colonnes monolithes de grès rose surmontées de chapiteaux romans et reliées par des arcs en plein cintre du plus harmonieux effet.

Déjà certains détails du dessin de Liège avaient fait émettre quelque doute sur son authenticité. La date et la provenance du document, exécuté à Troie en 1530, ne présentaient d'ailleurs que peu de garantie à ce sujet. En 1906, il apparut que le dessin ne correspondait pas au plan de la crypte. D'autre part, la partie découverte de la construction souterraine a fait naître l'opinion que cette dernière aurait comporté deux choeurs, le second se trouvant sous la grosse tour de l'édifice actuel. L'église de Théoduin pose donc aux archéologues une énigme passionnante mais dont la solution est loin d'être aisée.


B.- CHARTE D'AFFRANCHISSEMENT DE L'EGLISE DE HUY (25 août 1066).


Par un acte daté du 25 août 1066, jour de la dédicace de sa nouvelle église, le prince-évêque Théoduin céda certains biens et revenus aux « frères de l'Eglise de la Mère de Dieu et de Saint-Domitien » et à la fabrique de cette église.

Par « frères » il faut entendre ici les chanoines du nouveau sanctuaire dédié à Notre-Dame et au premier patron de la ville.

En même temps, l'acte délimitait le domaine de la collégiale strictement réservé à la résidence des chanoines et fermé aux autorités civiles. Compris entre la Meuse et le Hoyoux, ce territoire s'étendait du premier pont situé en face de l'actuelle Maison de Batta à l'Eglise Saint-Etienne élevée à l'entrée de la rue Sous-le-Château.

Notons que c'est ce document qui fait, pour la première fois, mention de l'existence d'un pont sur la Meuse à Huy.

Après avoir exprimé le désir d'être inhumé dans la nouvelle église, Théoduin l'affranchit de l'autorité de l'archidiacre du Condroz en en faisant un archidiaconé comprenant les divers sanctuaires du territoire urbain et soumis à l'autorité directe de l'évêque.

Ainsi affranchie, l'Eglise de Huy fut placée sous la protection d'un avoué particulier. Walter de Barse, signataire des chartes de 1066, fut le premier à exercer cette importante fonction héréditaire. Les seigneurs de Barse étaient de la famille des sires de Beaufort, d'où sortirent les protagonistes de la « Guerre de la Vache ».


C. - LE TOMBEAU DE THEODUIN.


Suivant son désir, exprimé dans la charte d'affranchissement de l'église de Huy, l'évêque Théoduin fut inhumé en 1075 dans le nouveau sanctuaire. Le chroniqueur Maurice de Neufmoustier, nous a laissé la description du tombeau érigé en 1078 à la mémoire du donateur de la charte de liberté.

Il nous apprend qu'autour de la pierre tombale en marbre noir surgissaient six colonnes de bronze doré supportant une plaque de marbre blanc veiné de rose. Le tout était protégé par un édicule en fer forgé, orné de fleurs d'un travail délicat. Une inscription disait « Théoduin a commencé, terminé et doté cet édifice de gemmes, d'argent, de peintures, de vêtements sacrés en or »,

Ce riche tombeau montrait en quelle estime les bourgeois de Huy tenaient celui qui leur avait accordé les premières libertés.

En 1812, sans qu'on ait à ce sujet la moindre explication, ce qui restait de ce superbe mausolée fut démoli. Les restes de l'évêque avaient en effet été déplacés aux XIII, XIVe et XVIIe siècles, non sans dommage pour le monument.

En 1873, le hasard fit découvrir la tombe de Théoduin d'où l'on enleva une croix en plomb et un petit calice funéraire, conservés aujourd'hui au Trésor de la Collégiale,

La croix en plomb porte en latin l'inscription: « Moi, Dietwin, évêque de Liège, je mourus le 9 des calendes de juillet et je crois en Dieu... (suivent le Credo et le Pater). Je suis enseveli dans l'église Sainte-Marie qu'avec l'aide de Dieu, j'ai construite à Huy ».

Aujourd'hui, sur une petite plaque en marbre noir, placée dans la chapelle latérale du côté de l'Evangile, se lit l'inscription: « Hic jacet Theoduinus a Bavaria Eps et Pps Leodiensis Obiit 9 Kal Julii Anno 1075 ».

Calice funéraire du prince-évêque Théoduin. (Trésor de la Collégiale Notre-Dame).
Calice d'argent orné d'un double perlé. Exemple très rare en orfèvrerie du XIe siècle.


D. - JEAN DE BAVIERE - BATAILLE D'OTHEE 1408.

L'Elu Jean de Bavière
Jean de Bavière par Jan van Eyck


En 1389, le chapitre de la cathédrale Saint-Lambert appela au trône épiscopal de Liège Jean de Bavière, un jeune prince à peine âgé de dix-sept ans et n'ayant pas reçu les ordres sacrés - qu'il refusa d'ailleurs toujours dans la suite. Il ne porta donc d'autre titre que celui d'Elu.

Le caractère hautain de ce prince, ses attitudes autoritaires, sa prodigalité firent de son règne une suite de désaccords avec le peuple liégeois si bien que les Etats du Pays en vinrent à proclamer sa déchéance.

L'Elu appela à l'aide son frère Guillaume de Hainaut et jean sans Peur, duc de Bourgogne, son beau-frère. Le 23 septembre 1408, ces derniers infligèrent aux Liégeois la sanglante défaite d'Othée, localité située entre Liège et Tongres.

Jean de Bavière exerça sur ses sujets rebelles une vengeance atroce qui lui valut le nom de Jean sans Pitié.

Les vainqueurs chargèrent aussitôt le Conseil de Justice siégeant à Lille de l'élaboration de la sentence à dicter au peuple liégeois.

C'est l'article I de cette sentence qui ordonna la confiscation des chartes de libertés des villes de la principauté et amena la destruction de la charte octroyée à Huy en 1066.



VII. - OUVRAGES ET TRAVAUX CONSULTES.


AMMAN Hektor - La place de Huy-sur-Meuse, dans l'économie médiévale (Annales du Cercle hutois des Sciences et des Beaux-Arts. 1954).

DISCRY Fernand - Les encloistres de Notre-Dame de Huy (Annales du Cercle hutois des Sciences et des Beaux-Arts, T. XXV, 1955-58).

DUBOIS René - Les rues de Huy, Huy 1910.

FAIRON Emile - Chartes confisquées aux bonnes villes du pays de Liège et du comté de Looz après la bataille d'Othée (1408) (Commission royale d'Histoire Bruxelles 1937).

HANSAY A. L'ancienneté du droit urbain liégeois (Revue belge de philologie et d'histoire. t. I, 1922).

JORIS André - La ville de Huy au moyen-Age, des origines à la fin du XIVe Siècle (Soc. d'édition « Les Belles Lettres » Paris 1959).

JORIS André - Recherches sur les origines du patriciat hutois (Annales du Cercle hutois des Sciences et des Beaux-Arts, t. XXIII, 1950).

JORIS André - Les origines commerciales du patriciat hutois et la charte de 1066 (La Nouvelle Clio. 1951).

LEJEUNE Jean. - La Principauté de Liège. (Edition de l'A.S.B.L. « Le Grand Liège »).

MAGNETTE F. - Précis d'histoire liégeoise. Liège. Vaillant-Carmanne 1929.

PIRENNE Henri - Histoire de Belgique, t. I, 1929.

PIRENNE Henri - Les Villes et les Institutions urbaines (Alcan, Paris - N,S,E.. Brux. 1939). t. I et II.

ROUSSEAUX Félix - La Meuse et le pays mosan. (Annales de la société archéologique de Namur t. XXXIX, 1930).

VERCAUTEREN F. - Marchands et bourgeois dans le pays mosan aux XI -XII siècles, Brux. 1958 (Mélanges F. ROUSSEAU).


Bulletins de la Commission royale d'Histoire. t. I, 1873.



(1) Le « portus » (débarcadère, port fluvial) suppose une activité commerciale assez étendue et permanente. (H. Pirennel) Huy était une ville d'étape pour la batellerie mosane et un centre important du marché régional.

(2) D'origine anglaise, Mengold devint, selon la légende, comte de Huy par son mariage avec la veuve du comte Guillaume d'Esprez. Il fut assassiné en 909. Ses restes reposent à la Collégiale dans une châsse en argent doré, oeuvre de Godefroid de Huy, maitre de l'école mosane d'orfèvrerie.

(3) Fille de Herbert le pelletier, Hutois fixé à Falaise en Normandie, favorite du duc Robert le Diable, Arlette donna le jour à Guillaume le Bâtard, dont la victoire de Hastings, en 1066, fit Guillaume le Conquérant, premier roi d'Angleterre.

(4) Voie verte chaussée romaine de Tongres à Anon enjambant la Meuse au pont d'Ombret, en aval de Huy.

(5) Au Xe siècle, Huy était la capitale d'un comté s'étendant sur les deux rives de la Meuse. Désireux d'embrasser l'état écclésiastique, le comte Ansfrid céda son domaine an prince-évêque Notger en 985. Cette cession augmenta considérablement la puissance de la principauté de Liège.

(6) Domaine du prince = château et colline. Domaine de la collégiale = territoire compris entre la Meuse et le Hoyoux.

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