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Les enceintes de Liège

Le rempart d'Avroy et la tour aux lapins

par Florent ULRIX

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INTRODUCTION

A plusieurs reprises, à Liège, au cours des dernières années, des vestiges de l'ancienne enceinte du moyen âge ont été mis au jour à la suite de divers travaux de démolition. Profitant de ces occasions, j'ai pu noter certains détails de construction, lever des plans et même, grâce à une subvention du Service National des Fouilles, pratiquer un sondage au pied de l'ancien rempart. Une bonne partie de mes observations concerne l'enceinte de ce quartier de la ville qu'on appelait jadis l'Ile. Elles se rapportent plus précisément à la section dite Rempart d'Avroy qui longeait le bras de Meuse devenu Boulevard d'Avroy.

Je crois opportun de présenter sans délais le résultat de mes observations des années 1960 à 1964. Mes investigations et recherches me permettent en effet de décrire dès à présent, avec suffisamment de précision, cette partie des murs de la ville quant à leur tracé et leur structure et même, de tenter quelques reconstitutions et d'aborder la question des principes de construction eux-mêmes.

Si, à l'occasion de la description des remparts, portes, postices ou rivages, j'ai été amené à faire usage de renseignements empruntés à des spécialistes de l'histoire locale, je n'ai pas pour autant visé à faire moi­même oeuvre d'historien. La présente étude se veut archéologique, topographique et technologique. Elle doit permettre une confrontation utile entre des données d'une réalité toute matérielle et des documents anciens écrits, d'une part, et iconographiques, d'autre part.

De cette dernière catégorie de documents, il a d'ailleurs été fait un certain usage pour la reconstitution (planche VIII) qui clôture le présent travail et qui a pour but de donner de l'ensemble du rempart étudié, et plus particulièrement de la Tour aux Lapins, une vue plus conforme à la réalité et aux conventions optiques de notre temps, en éliminant les déformations inhérentes aux vues panoramiques anciennes.

A cette occasion, je ne pourrais trop insister sur les possibilités qu'offrent certaines gravures, dessins et autres documents iconographiques d'époque et dont on est tenté de minimiser trop souvent l'intérêt à cause des altérations, des déformations et des omissions. Cependant, une étude critique poussée de ces documents, jointe à celle des anciens plans cadastraux et autres, permet très souvent d'opérer les redressements nécessaires et de mettre chaque chose à sa juste place avec des proportions exactes.

Ce travail de topographie historique présente, en réalité, quelque analogie avec l'étude critique des textes anciens telle que la pratiquent les historiens. Mais, plus mathématique que littéraire, ce travail exige un certain entraînement, outre un minimum indispensable de sens géométrique. Pour le reste, il ne manque pas d'attraits et peut même devenir passionnant pour ceux qui parviennent à se pénétrer de cette discipline particulière. J'espère que la présente étude pourra aider à montrer à quel point la patience et la précision dans les levés de plans peuvent être rentables dans ce domaine.


L'ILE ET SES REMPARTS.

Tout Liégeois sait évidemment que jadis, et jusqu'au siècle dernier, un bras de la Meuse suivait le tracé de l'actuel Boulevard d'Avroy et bifurquait à l'angle de ce dernier et du Boulevard Piercot (fig. 1). Une des deux branches décrivait une grande boucle par le Boulevard de la Sauvenière et au-delà, par diverses ramifications à l'emplacement des rues de la Régence et de l'Université, de création récente, allait se déverser dans l'autre branche, à un endroit situé à peu près entre la Poste et l'Université. L'autre branche, devenue Boulevard Piercot, longeait l'Évêché, précédemment couvent des Prémontrés, le couvent disparu des Croisiers et l'Université, ancien couvent des Jésuites. Au-delà de ce dernier, il rejoignait la première branche. Ces deux branches délimitaient le quartier de l'Ile, île à laquelle on accédait par le Pont d'Ile. De l'autre côté de l'Ile, le Pont d'Avroy enjambait l'un des bras de Meuse et se prolongeait par la chaussée Saint-Gilles. Il donnait accès au Quartier d'Avroy.

Julius Milheuser in Novum ac magnum theatrum urbium Belgicae

Fig. 1. - Liège. Le quartier de l'Ile en 1627. Extrait de la gravure de Blaeu.

L'Ile, dans toute sa partie méridionale, était jadis entourée de remparts longeant les rives de la Meuse. On appelait Rempart d'Avroy la section qui faisait face au quartier d'Avroy et qui était comprise entre le Pont d'Avroy, que précédait la Porte d'Avroy, et la Tour aux Lapins. Celle-ci se dressait à l'extrême pointe méridionale de l'Ile, à la bifurcation des deux bras de Meuse. Sous cette tour, un petit chenal, une « rivelette », pénétrait dans l'Ile et traversait le domaine de l'Abbaye de Saint-Jacques. Le bief en question retournait à la Meuse, non loin de l'actuelle rue de l'Évêché, où se dressait le Moulin Saint-Jacques.

Le rempart d'Avroy, objet de cette étude, est loin d'être inconnu des historiens, mais il pose nombre de problèmes dès qu'on cerne le sujet de plus près et particulièrement en ce qui concerne la topographie. Théodore Gobert en parle sous diverses rubriques dans son ouvrage bien connu « Les rues de Liège », mais il ignore sa date de construction (1). Il rapporte, d'une part, que « les premières murailles, élevées le long de la rive droite, qui soient mentionnées dans les anciens documents, remontent au XVe siècle. A en croire l'auteur du Recueil Héraldique (p. 547), ce serait le duc d'Humbercourt, chargé par Charles le Téméraire du gouvernement de l'Ile, appelée alors Ile de la Cité, après le bombardement de 1468, qui les aurait construites en 1475 en même temps que d'autres murs enceignant le Quartier de l'Ile ».

Par ailleurs, Gobert nous dit (2) que le Quartier de l'Ile a dû être enserré de murailles au milieu du XIIIe siècle, ainsi qu'il résulte de documents de l'époque. Il spécifie que « des actes de l'an 1277 attestent que même sur les parties les plus extrêmes de cette vaste île, la « fermeté » se trouvait parachevée prête à arrêter les agresseurs ».


DOCUMENTATION ICONOGRAPHIQUE.

Quelques gravures, dont les plus anciennes remontent au XVIe siècle, montrent le panorama de Liège. Citons les plus intéressantes, dans l'ordre chronologique

1574 Braun et Hogenberg

1627 Blaeu (fig. 1)

1650 Mérian

1658 Marischal

1693 Perelle.

Signalons encore quelques vues moins connues, et notamment deux dessins aquarellés de 1632, de la Collection Wittert léguée à l'Université de Liège. L'un de ces dessins a été publié par Gustave Ruhl (3). Au centre du dessin, la Tour aux Lapins, vue de la Meuse, se dresse devant l'église Saint-Jacques.

Un dessin de 1740, publié par L. Béthune (4), représente le bras de Meuse ramené à la largeur d'un canal, vu de la rive gauche. Sur la rive opposée, on voit les murs d'eau et les remparts depuis la Tour aux Lapins jusqu'à la Porte d'Avroy.

StJacques-01 StJacques-01

Une autre vue, plus récente encore, publiée également par L. Béthune (5), est prise à peu près du même endroit et nous montre le Quai d'Avroy. A l'époque, le bras de Meuse se dirigeant vers la Sauvenière a été comblé, et seul subsiste celui qui suit le Boulevard Piercot. La Tour aux Lapins a disparu. Dans le mur d'eau, on ne voit plus qu'une ouverture en forme d'arcade: le départ de la « rivelette ».

Tous ces documents iconographiques peuvent faire les délices d'amateurs de souvenirs du vieux Liège, mais pour une étude archéologique, plus de précision et d'exactitude sont nécessaires. D'où la nécessité de restitutions plus réalistes sur la base de données métriques relevées avec soin sur les vestiges des monuments disparus.


DOCUMENTS CARTOGRAPHIQUES.

Ni les plans anciens, ni les plus récents, ne nous fournissent une image complète du tracé de l'enceinte. Les géomètres du cadastre ne poursuivent guère un but archéologique. Le travail reste donc à faire en partie. En effet, le but à atteindre consiste à dresser un plan qui donne le tracé du rempart par rapport à la ville actuelle, de telle façon qu'on puisse, au besoin, situer les vestiges sur le terrain à quelques centimètres près.

Parmi les plans du XVIIIe siècle, il convient de mentionner le « Plan de la Ville de Liège » dressé par Christophe Maire, vers 1740 (6) Un autre plan non moins intéressant, datant des environs de 1760, est celui qui figure sur la carte de Ferraris (7) L'un et l'autre rendent fidèlement la configuration de la ville il y a deux siècles, mais la rigueur cartographique est toute relative. Vu l'échelle réduite, il ne peut être question d'utiliser ces documents pour une étude métrique.

Il faut attendre 1810 pour avoir un véritable plan cadastral qui offre la précision requise (8). C'est donc de celui-ci que je me suis servi pour situer l'ensemble des vestiges dont il sera question ici. (Planche I). Il convient, en effet, d'étudier l'état le plus ancien de la division parcellaire car les traces de l'ancienne enceinte, qui très longtemps ont dû marquer la limite entre propriétés, ont tendance à disparaître surtout à la suite des transformations du dernier siècle. Malheureusement, la feuille du cadastre de 1810 de la partie de l'ue au Nord de la rue Hazinelle et de la Place derrière Saint-Paul a disparu, et il a donc bien fallu compléter la Planche I par des documents datant de 1835.

Sur la Planche I, j'ai d'autre part indiqué les principales modifications d'alignement intervenues après 1830 (traits en pointillé), faute de quoi il eût été malaisé au lecteur de repérer la position exacte du rempart par rapport aux rues actuelles. C'est ainsi que le long de l'actuel Boulevard d'Avroy, ancien bras naturel de la Meuse, les façades des maisons ne se superposent pas partout au mur d'eau de ce qui était précédemment la « rivière d'Avroy ». Entre les rues Hazinelle et Bertholet notamment, ce mur d'eau se situe en retrait de l'actuel front de rue d'une bonne douzaine de mètres en moyenne.

Le « Projet de redressement du mur (entendez : mur d'eau) situé entre le Pont d'Avroy et les Augustins » a été dressé par l'architecte Beaulieu. Annexé à la délibération du Conseil de la Régence du 4 mars 1835, il a été approuvé par arrêté royal du 28 avril 1835. Une nouvelle percée, indiquée sur ce plan, deviendra la rue Bertholet, d'après le nom du peintre Bertholet Flémalle qui acquit, non loin de là, en 1659, un terrain sur lequel il construisit sa maison s'appuyant coutre le rempart (9).

Un « plan de rectification de la rue Pont d'Avroy et de ses abords » date du 20 avril 1838. Il a été dressé par l'architecte J. E. Rémont.

L'étroit passage qui, par un « arvau » ouvert dans le rempart, permettait d'aller de la Place derrière Saint-Paul au Rivage Saint-Paul fut rectifié et élargi à deux reprises. Un premier « plan de redressement de la rue Hazinelle », adopté par délibération du Conseil communal du 9 août 1850 et annexé à l'arrêté royal du 22 novembre 1850, porte la largeur de la rue de 5 à 8 mètres. Un second « plan modifiant l'alignement de la rue Hazinelle », adopté par le Conseil communal le 8 janvier 1869, a été annexé à l'arrêté royal du 5 mai 1869.

Ce sont ces trois derniers plans qui m'ont permis de compléter la zone située au nord de la rue Hazinelle et pour laquelle le cadastre de 1810 fait défaut (Planche I).

Enfin, du côté de l'actuel Boulevard Piercot, deux autres plans d'alignement, qui comme les précédents se trouvent conservés aux services de l'Urbanisme de la Ville, mont permis de tracer sur la Planche I le front de rue actuel du Boulevard Piercot. Le premier, annexé à l'arrêté royal du 8 avril 1859, concerne la percée prolongeant la rue Saint-Jacques à travers la propriété appartenant à l'époque à Monsieur le Baron de Potesta, entre la maison de celui-ci et les écuries qui se trouvaient en face. Cette nouvelle rue s'appelle maintenant rue Eugène Ysaye. Le deuxième plan, annexé à l'arrêté royal du 8 août 1862, concerne le redressement du front de rue le long de l'actuel boulevard. Ce front de rue, entre la rue Eugène Ysaye et l'angle du Boulevard d'Avroy, se trouve en avant de l'ancien mur d'eau à une distance allant de 3 à 9 mètres (Planche IV.).


RIVAGES, RUELLES, ET POTERNES.

Le long de la rivière d'Avroy, devenue Boulevard d'Avroy depuis le siècle dernier, une bande de terrain de largeur variable séparait le mur d'eau du rempart. C'était ce que l'on appelait les rivages.

En remontant le courant depuis le Pont d'Avroy, on avait d'abord le Rivage Saint-Paul (10) auquel on accédait par le Trou Hazinelle, le « postiche de rivaige de Saint Paul ».

Venait ensuite le rivage Saint-Remy (11) Celui-ci porta aussi le nom de rivage rosé, ou Rosein (12) ainsi que de rivage Brahier. Mais cette dernière identification me paraît quelque peu suspecte aussi j'en reparlerai plus loin. On gagnait jadis le rivage Saint-Remy à partir de la rue Saint-Remy par un arvau du même nom qui n'a été démoli qu'en 1837 (13). En réalité, cet arvau n'était pas un simple « postice » mais semble bien avoir eu l'importance d'une porte établie dans une construction assez importante, à en juger d'après les gravures anciennes, et notamment celles de Blaeu (fig. 1) et de Mérian. Gobert identifie cet arvau avec le postice Grandame, lequel était gardé par un portier attitré de la ville. Effectivement, sur les gravures précitées, on aperçoit, accolée au bâtiment de la porte, vers l'amont, bâtie en partie sur les courtines, une petite maison qui devait, sans nul doute, être celle du portier car il importait évidemment que celui-ci ait de sa maison regard sur les abords extérieurs de la porte.

Signalons en passant que sur les mêmes gravures anciennes, on voit une petite maison semblable joignant la porte d'Avroy vers l'aval, dépassant de son toit le crénelage du rempart.

En passant sous l'arvau Saint-Remy, on gagnait par le passage Saint­Remy le bord de la Meuse où existait un passage d'eau par barque, le passeur n'étant autre que le portier (14).

Remarquons, en examinant le cadastre, que cet arvau est au centre de la paroisse Saint-Remy dont les parcelles exiguës contrastent avec les vastes propriétés des Immunités environnantes. La population laborieuse semble s'être agglutinée autour de cette porte donnant sur un passage d'eau.

Il est encore question dans Gobert (15), du postice Brahier situé à l'entrée d'une impasse qui, de la place Saint-Jacques, se dirigeait vers les remparts et suivait ceux-ci jusqu'à la Tour aux Lapins. Remarquons que, sur la gravure de Blaeu (fig. 1), c'est par une porte qu'on débouche de la rue Saint­Remy sur la place Saint-Jacques. D'autre part, sur le plan de Christophe Maire, l'impasse dont question est nettement indiquée. Quant au rivage Brahier, je suis persuadé que loin de s'identifier avec le rivage Saint-Remy, il se situait au-delà de ce dernier et se trouvait ainsi à hauteur de l'impasse du même nom. D'ailleurs, la gravure de Blaeu (fig. 1) montre, à côté d'un balloir, un postice permettant de gagner le rivage à partir de l'impasse Brahier.


LES TRACES DU REMPART.

En examinant le plan cadastral de 1810, on constatera que, de la rue Hlazinelle, où l'emplacement de l'arvau en travers de l'ancienne ruelle est bien indiqué, jusqu'à la rue Bertholet, une série de limites cadastrales trahissent le tracé du vieux rempart. Gobert rappelle d'ailleurs (16) le témoignage de de Crassier (Mémoire historique sur le lit et le cours de la Meuse), lequel signale que, jusqu'en 1835, (date de la percée de la rue Bertholet), le mur d'enceinte « existait encore dans toute son épaisseur et son élévation dans le jardin de Monsieur le Docteur Foulon dont la maison était vis-à-vis de la rue des Soeurs Grises » (l'actuelle rue des Clarisses). (Planche I). Les géomètres du cadastre l'ont d'ailleurs indiqué avec son épaisseur qui avait frappé de Crassier.

Un peu plus loin, à quelques mètres au nord de l'arvau Saint-Remy, on peut encore actuellement voir le mur et même, monter sur le chemin de ronde large de 1,75 m, dans la cour de l'immeuble de Monsieur Vroonen, plombier rue Saint-Remy 10. Dans le jardin contigu, celui de la propriété Laloux, rue Saint-Remy n° 2, le chemin de ronde qui, comme on le verra ci-après, était construit sur arcades, a disparu et l'on n'y voit plus qu'un mur présentant une surface unie.

Place derrière Saint-Paul, joignant la propriété Laloux précitée, se dressait jadis et ce depuis 1472, la maison décanale et ses dépendances. Gobert en parle assez longuement (17) et en donne même une description d'après une expertise faite lors de la vente qui eut lieu après la Révolution française. Les jardins s'étendaient en-deçà et au-delà des anciens remparts, jusqu'à la Meuse. Un passage avait donc dû être ouvert dans le rempart et celui-ci, devenu inutile, avait même été démoli sur une bonne vingtaine de mètres. Cependant, une partie en subsistait quasi intacte du fait que des dépendances de la maison décanale y étaient adossées.


MUR D'EAU ET REMPART.

Il importe de dénoncer ici une confusion assez fréquente faite aussi bien par Gobert que par d'autres. Le mur d'eau, le long de la rivière d'Avroy, est fréquemment considéré comme le rempart de la cité. Pourtant, Gobert, en certains endroits, fait bien la distinction (18): « en avant du mur (lire rempart) les propriétaires riverains avaient obtenu dans les siècles suivants l'autorisation d'établir en avant des remparts un mur d'eau ayant la même solidité que le rempart lui-même. Dans ce mur d'eau, la plupart des propriétaires pratiquèrent des ouvertures donnant accès à la rivière ». Mais déjà quelques lignes plus loin, Gobert confond en signalant à propos de ces mêmes ouvertures qu'en 1635, des soldats étrangers s'étaient introduits clandestinement « en ville » par l'une ou l'autre porte particulière près du rivage. Il est bien clair cependant que lorsqu'on avait franchi le mur d'eau on n'était pas pour autant « en ville ».

La même erreur est encore commise par Gobert, cette fois sur le terrain, lorsqu'il écrit, à propos du rempart d'Avroy (19) « Le rempart traversait par le milieu les jardins riverains. Aujourd'hui (17 juin 1885) on peut encore s'en rendre compte à l'inspection de la propriété Nagelmackers qui joint la Banque Nationale. Là, en creusant le sol pour établir les fondations d'une maison, on vient de mettre à jour un reste, le dernier peut-être, de l'ancien rempart. Cette muraille, qui a plus d'un mètre d'épaisseur, coupe en deux la propriété dont il s'agit. Doit-on voir dans ce fait une nouvelle preuve des empiètements qu'on opéra sans cesse sur l'ancien lit de la rivière? »

Le mur découvert ici par Gobert ne peut être que le mur d'eau, vu son épaisseur. Le rempart, en effet, comme l'ont montré des coupes récentes en deux endroits différents, a 2,15 m d'épaisseur en élévation, et plus de 3 m en fondation, sans compter l'épaisseur des pilastres soutenant vers l'intérieur le chemin de ronde construit sur arcades. D'autre part, la propriété Nagelmackers dont question, située le long du boulevard d'Avroy (planche I) est limitée à l'arrière par le mur d'enceinte dont quelques tronçons restent encore debout à l'heure actuelle. La maison construite en bordure du boulevard ne touchait donc pas ce rempart. Enfin, l'empiètement que croit découvrir Gobert n'est autre que celui qui résulte du « redressement du mur » en 1835. Par ce dernier, les propriétés riveraines du bras de Meuse ont été agrandies d'une bande de terrain large d'une douzaine de mètres en moyenne, avec le résultat que l'ancien mur d'eau s'est trouvé au milieu des jardins riverains. C'est donc sans aucun doute ce mur d'eau que Gobert a découvert et confondu avec le rempart. Vraisemblablement, il a dû perdre de vue la modification de l'alignement de 1835, d'où son erreur. Il se pourrait aussi qu'il se soit fié au plan d'Avanzo datant de 1828 (20), et donc antérieur à la modification de l'alignement.

Il importe d'autant plus de mettre le lecteur en garde contre de telles confusions que celles-ci persistent dans des plans établis par des services officiels et dans des ouvrages didactiques à l'usage des écoliers.


FOUILLE AU PIED DU MUR.

En 1960 fut rasée, place derrière Saint-Paul, l'ancienne maison décanale, rachetée par la Banque Nationale, laquelle occupait le terrain voisin jusqu'à la rue Hazinelle. Des dépendances de cette demeure étaient accolées aux remparts et leur disparition fit apparaître les vieilles arcades. C'est le 3 mars 1960 que j'eus la surprise d'apercevoir au fond du terrain désormais vide, ce vestige de la respectable enceinte sur lequel les démolisseurs s'acharnaient au moyen de marteaux pneumatiques actionnés par un compresseur (fig. 2). Le vieux mur fut ravalé pour le ramener à une épaisseur un peu plus modeste. Une photo ci-jointe (fig. 3) montre le résultat de l'opération, soit une coupe frontale du mur, coupe peu banale et qui ne manque pas d'intérêt; elle sera d'ailleurs commentée plus loin. Un cimentage vint enfin recouvrir le tout.

FIG. 2. - Démolition des arcades du rempart près du rivage Saint-Paul.

FIG. 3. - Après démolition des arcades près du rivage Saint-Paul, le mur aminci laisse apparaître les rangées de trous de boulins.

Le Professeur J. Breuer, alerté, considérant l'intérêt des vestiges, suggéra une fouille au pied du mur et obtint, et l'autorisation désirée de la direction de la Banque Nationale, et le crédit nécessaire auprès du service National des Fouilles (21).

La fouille eut lieu les 9 et 10 mai 1960.

Une tranchée fut creusée au pied du mur, perpendiculairement à celui-ci, à l'angle d'un ressaut formé par le pilier soutenant une arcade et pénétrant sous celle-ci. La tranchée, large d'un mètre et longue de trois, a été approfondie jusqu'à quatre mètres, soit jusqu'en-dessous des fondations du pilier. (Planche II). Sous l'arcade, les fondations d'une construction en briques assez récente ne descendaient qu'à 90 cm de profondeur sous le niveau du sol au moment de la fouille. A 1,30 m de profondeur apparurent des murets en moellons. Partant de l'angle du pilier et prolongeant celui-ci perpendiculairement à l'enceinte d'un mètre, faisant ensuite un angle presque droit, ils avaient sans doute délimité un petit local qu'on avait adossé à l'enceinte en tirant parti du creux qu'offrait une arcade. L'espace intérieur ainsi délimité devait mesurer en moyenne 1,80 m de largeur sur 3,48 m, soit la distance entre deux piliers. Le sol de ce petit local, situé à 2,15 m de profondeur, était pavé de moellons (fig. 4). Les joints entre les pavés contenaient énormément de rouille. Sans doute ce petit réduit avait-il servi d'atelier ou de remise à quelque armurier ou fèvre de l'époque.

Pour examiner les fondations, j'ai alors fait enlever ce pavement qui était établi au niveau supérieur des fondations du pilier. Ces fondations, plus larges que le pilier lui-même, se distinguent en outre par une maçonnerie plus grossière. A 25 cm de profondeur environ, elles présentent un second élargissement. L'élargissement total par rapport au pilier atteint ainsi 50 à 60 cm, soit 2 pieds (fig. 5). La partie inférieure est faite de gros blocs à peine équarris, mesurant de 40 à 60 cm de côté. Cette fondation descendait à environ 1,70 m en dessous du pavement. Aucun radier ni pilotis n'est apparu sous la fondation du pilier qui reposait simplement sur l'argile fluviatile.

Chose curieuse et intéressante, les pilastres soutenant les arcades ne sont pas liés à la muraille mais y sont simplement accolés et ce aussi bien en fondation qu'en élévation. Entre le mur et le pilastre, il y a en outre une nette différence d'appareil, en ce sens que pour les pilastres, il a été fait usage de moellons d'un calibre moyen supérieur à ceux qui out été utilisés pour le mur proprement dit. Enfin, dans les fondations, le mur ne présente pas de ressaut correspondant aux élargissements des pilastres mais seulement deux retraits très faibles. Tout se présente donc comme si on avait construit d'abord un mur tout droit auquel on aurait accolé par la suite des arcades soutenant en partie le chemin de ronde. Je n'ai pu constater si au-dessus des arcades, la maçonnerie de celles-ci n'avait pas été liée au mur. Quoi qu'il en soit, cela n'exclut néanmoins pas la thèse de la construction en deux étapes.

Cette particularité de la construction est encore apparue plus clairement en décembre 1963 au boulevard d'Avroy, tout près de la Tour aux Lapins, ou un building est en construction à l'heure actuelle. En creusant pour faire les fondations de cet immeuble, on a été amené à arracher une bonne partie du soubassement de la Tour aux Lapins - il en sera question plus loin - et un court tronçon des fondations des courtines attenantes. L'excavation faite montrait sur son flanc nord une section à travers le rem part exactement à l'emplacement d'un pilier. Deux photos ci-jointes (fig. 6 et 7) montrent nettement que le pilier a bien été construit séparément du mur lui-même. Les fondations de ce dernier ont à la base une largeur de 3,07 m. Elles reposent simplement sur l'argile fluviatile. A 1,90 m de hauteur, elles n'ont plus que 2,70 m de largeur. A ce niveau, la muraille présente un rétrécissement sur les deux faces, plus important à l'avant qu'à l'arrière (respectivement de 34 et de 17 cm). Au-dessus de ce retrait, le mur ne conserve plus que 2,20 m d'épaisseur. Quant aux fondations du pilastre, elles ne descendent pas si bas et le retrait inférieur se situe bien au-dessus du rétrécissement du mur.

FIG. 4. - La fouille au pied du mur montre le flanc d'un pilier et le pavement primitif.

FIG. 5. La fouille au pied du mur. Après enlèvement du pavement les fondations du pilier ont été dégagées.

Il est probable que lors de la fouille dans l'ancien jardin décanal, ce retrait marquant le niveau supérieur des fondations du mur n'a pas été dégagé.

En novembre 1964, l'épaisseur de la muraille a pu à nouveau être vérifiée non loin de l'endroit fouillé en 1960. Les bureaux de la Banque Nationale viennent en effet d'être démolis en vue d'agrandissements et une partie du terrain qu'ils occupaient ainsi que tout le terrain de l'ancienne propriété décanale viennent d'être évidés jusqu'à une profondeur de 2,50 m eu dessous du niveau de la rue. L'entrepreneur de terrassements a toutefois laissé provisoirement un talus contre les murs des propriétés voisines pour ne pas déchausser les fondations de celles-ci. On n'a donc pas touché aux substructions des remparts entre les points A et F du plan d'ensemble (planche II) mais au-delà, entre les points Q et U, on a démoli le mur et entre les points T et U, j'ai pu contrôler son épaisseur qui était de 2,15 m à environ 2 m au-dessous du niveau de la rue. A ce point, les fondations n'étaient donc pas encore atteintes.

Grâce aux constatations faites lors de la fouille de 1960, lors de travaux près de la Porte aux Lapins en 1963 et lors de la démolition des bureaux de la Banque Nationale en 1964, et enfin grâce aux nombreuses mesures prises lors de ces travaux, il m'a été possible de tenter une reconstitution du mur (Planche III). A l'occasion de cette reconstitution, je me suis efforcé d'observer la technique de construction tant en ce qui concerne le travail du maçon que quant à la conception de l'ouvrage par le maître d'oeuvre.

FIG. 6. - Boulevard d'Avroy, près de la Tour aux Lapins: une section du mur à hauteur d'un pilier.

FIG. 7. - Boulevard d'Avroy, près de la Tour aux Lapins section des fondations d'un pilier.


CONSIDÉRATIONS MÉTROLOGIQUES.

On sait que deux pieds, celui de Saint Hubert et celui de Saint Lambert, étaient en usage dans le pays de Liège vers la fin de l'Ancien Régime. Ils ne différaient que de 1/100e. Celui de saint Hubert, le plus grand, mesure 29,5 cm et celui de saint Lambert, 29,2 cm (22). Or, il résulte manifestement des mensurations opérées sur les vestiges du rempart, qu'aucun des deux pieds ci-dessus ne permet d'en expliquer les dimensions. Le pied utilisé en réalité lors de la construction, n'avait que 28,4 cm. Il dut donc exister au moyen âge d'autres pieds en usage dans la région, et il serait intéressant de faire l'étude métrologique d'autres monuments de la principauté.

Il convient également de rappeler ici les multiples du pied et certains instruments de mesure. En arpentage, l'unité était la verge ou perche, valant 16 pieds. En pratique, on se servait d'un bâton de 8 pieds, la demi­verge. Quant an maçon, son matériel comprend encore actuellement, outre la truelle et le cordeau, une latte longue d'un peu plus d'un mètre. Le maçon l'appelle le « rule », la règle. Sur le chantier, il y a toujours en outre, mis à la disposition de l'équipe par l'entrepreneur, une latte plus longue et bien droite « li grand rule », la grande règle. Si maintenant le « rule » sert à contrôler la rectitude du mur, anciennement c'était également un instrument de mesure. Le « rule » avait 4 pieds et le « grand rule » en avait huit et correspondait donc à la demi-verge de l'arpenteur.

D'autre part, il ne faut pas perdre de vue que la numération dodécimale, plus ancienne vraisemblablement que la numération décimale, a très longtemps prévalu sur cette dernière dans divers secteurs de l'industrie et notamment dans la construction. Même actuellement dans le commerce, l'usage de la douzaine et de la grosse n'a pas encore disparu. Or, la douzaine se décompose en quatre quarts de 3, et il en résulte que jadis on comptait volontiers par multiples de trois et de six. La toise, notamment, vaut 6 pieds.

L'usage comme unités de mesure du pied, de la toise et de la verge, ainsi que du « rule », explique toute la conception du rempart.

Une arcade mesurée d'axe en axe de pilier représente une verge ou 16 pieds. Cette distance comprend une largeur de pilier, soit 4 pieds (une longueur de « rule ») et l'écart entre deux piliers, soit 3 longueurs de « rule » ou 12 pieds.

En élévation, tout est fonction de la toise de 6 pieds les fondations des piliers s'enfoncent à 6 pieds sous terre. Le pilier lui-même, jusqu'à la naissance de l'arc, a 6 pieds. L'arcade, ayant 12 pieds de large, est de ce fait haute de 6 pieds aussi. La maçonnerie, au-dessus de l'arcade, monte encore à 6 pieds de hauteur pour atteindre le chemin de ronde, qui est large de 6 pieds. Enfin, il ne reste que le parapet dont je n'ai pu vérifier la hauteur mais qui, normalement, devait avoir une toise (1,70 m) pour offrir un abri aux guetteurs et milices déambulant sur les courtines.

Mais toute cette explication ne vaut que si l'on admet l'usage d'un pied de 28,4 cm car, avec un pied de 29,2 ou de 29,5 cm, toutes les dimensions que j'ai relevées s'exprimeraient par des fractions impossibles à manier par des maçons.

Connaissant la précision toute relative avec laquelle travaillent les maçons et vu la grossièreté des moellons utilisés, il eût été évidemment insensé, pour calculer la longueur exacte du pied utilisé, de vouloir partir de la seule longueur d'un pilier, et même de celle d'une seule arcade. Mais en mesurant la distance que couvrent cinq arcades et cinq piliers, soit 5 verges ou 80 pieds, on peut admettre que les erreurs des maçons se compensent et que l'on obtient ainsi une valeur assez précise de la verge et du pied. Or la distance mesurée à partir du pilier 1 (planche II), plan d'ensemble jusqu'au pilier 6 compris, est de 22,76 mètres et par conséquent, une perche égale 22,76:5 ou 4,55 mètres. Ensuite, le pied vaut 4,55 m:16 = 28,4 cm.

Contrôlons après cela les autres dimensions. J'ai mesuré la largeur des deux premières arcades (du pilier 1 au pilier 3 compris) soit 9,07 m au lieu de 9,10 m valeur théorique. Le pilier 3 avait 1,12 m de largeur, alors que 4 pieds de 28,4 cm valent 1,136 m. L'épaisseur du pilier étant de 1 mètre représente 3 pieds (soit, en théorie, 99,2 cm). La largeur du chemin de ronde, mesurée dans la cour de la maison Vroonen, au 10 de la rue Saint­Remy, est de 1,75 m, alors que 6 pieds représentent 170,4 cm. On voit ainsi que les écarts ne dépassent guère les imprécisions inhérentes à une maçonnerie aussi grossière.

Si, pour compléter la démonstration, on essaye d'exprimer les mesures relevées sur les vestiges du rempart par un pied de 29,2 ou de 29,5 cm, respectivement celui de Saint-Lambert et celui de Saint-Hubert, l'écart de deux piliers d'axe en axe serait de 15 pieds 6 pouces et quelques lignes ou de 15 pieds, 4 pouces et quelques lignes. Pour les autres dimensions, les chiffres ne seraient pas moins déraisonnables. On admettra facilement qu'un maître d'oeuvre n'aurait pas compliqué les choses à ce point.


PROCEDES DE MAÇONS.

Tous ceux qui ont examiné avec quelque attention les murs en moellons des constructions anciennes, encore nombreuses dans la région, ont dû remarquer qu'ils présentent à intervalles réguliers des joints horizontaux continus. Ceci s'explique par la technique du maçon qui ne sait pas construire un mur droit sans se servir de son cordeau qu'il tend à l'horizontale. En montant son mur, il arase chaque fois à hauteur du cordeau. La distance entre ces joints horizontaux doit logiquement correspondre à une mesure. Dans le cas du rempart d'Avroy, j'avais pris soin de reporter à l'échelle sur papier millimétré le dessin de la maçonnerie, que présentait le flanc du pilier dégagé lors de la fouille (planche II). C'est en examinant ce dessin après coup que j'ai pu me rendre compte que les maçons avaient travaillé par arases de 2 pieds de hauteur. Ainsi le pilier haut d'une toise, comportait depuis la fondation jusqu'à la naissance de l'arcade, trois arases de 2 pieds.

Il y a lieu maintenant de revenir à certains détails de construction qui s'aperçoivent sur la photo de la figure 3, laquelle représente le mur après l'opération de ravalement. On remarquera en divers endroits de cette maçonnerie, faite de moellons irréguliers noyés dans un mortier blanc, des trous de section rectangulaire. Ces trous s'enfoncent profondément dans l'épaisseur de la muraille et il semble que des boulins pris dans le blocage aient laissé ces trous en pourrissant. Or ces trous se présentent à intervalles à peu près réguliers et ils sont alignés suivant trois horizontales.

En m'inspirant des procédés utilisés en photogrammétrie pour redresser une vue oblique, j'ai reporté les trous en question avec un maximum de précision sur la planche II, de même que j'y ai tracé le dessin des arcades d'après la photo de la figure 2. Cela m'a permis de remarquer tout d'abord que certains trous traversent à la fois le mur et la maçonnerie sur arcades qui lui a été accolée sans liaison, du moins jusqu'à une certaine hauteur. L'hypothèse d'un ancrage par des chevilles en bois doit cependant être écartée puisqu'il y a des trous qui se placent sous les creux des arcades. D'autre part, l'écartement plus ou moins régulier de ces trous ne semble pas tenir compte du rythme de l'alternance des piliers et des arcades.

J'ai ensuite constaté que les alignements horizontaux de ces trous se placent exactement au niveau de arases qui normalement devaient se succéder de 2 en 2 pieds à partir des piliers où j'ai pu les relever. L'équidistance entre les trois alignements de trous est de 2 arases, soit 4 pieds ou une longueur de rule. Cela implique que les arases du mur doivent se situer au même niveau que celles des arcades. Et enfin l'explication de ces trous semble bien la suivante. On sait que jadis, pour construire de hautes murailles, les maçons ne dressaient pas des échafaudages reposant sur le sol, mais accrochaient ceux-ci à la muraille et pour cela, plaçaient en travers de celle-ci des boulins qui, par la suite, se trouvaient pris dans la maçonnerie. Le mur achevé, on sciait les dépassants de ces boulins. On comprend, dès lors, la distance entre deux alignements de trous, qui est de 4 pieds, soit 1,13 m. En effet, quand un maçon a monté son mur de cette hauteur, il est oblige pour pouvoir travailler aisément de remonter son échafaudage. Il est bien compréhensible aussi, vu l'irrégularité du matériau, qu'il devait profiter de l'arase pour poser ces madriers à un même niveau.

Les impératifs du métier de maçon expliquent ainsi parfaitement l'existence et la disposition de ces trous et il paraît parfaitement inutile de s'attarder à d'autres hypothèses.

Une autre déduction n'est pas moins importante. Si même les arcades sont accolées au mur sans autre liaison que les boulins de l'échafaudage noyés dans le blocage et si on est ainsi tenté d'en déduire une construction en deux temps, le mur n'en a pas moins été conçu d'emblée avec ses arcades et l'adjonction de ces dernières a suivi immédiatement l'érection du mur. Ces arcades ne correspondent donc pas à un élargissement tardif du chemin de ronde, ni au remplacement d'un chemin de ronde construit en charpenterie par un ouvrage en dur.

Il se pose alors la question de savoir pourquoi on a évité de lier les arcades au mur, et avant cela, on doit encore se demander pourquoi on a construit pour soutenir le chemin de ronde des arcades en lieu et place d'un mur plein.

Avant de répondre à ces questions, il convient de chercher des éléments de comparaison. Les enceintes sur arcades sont nombreuses tant en Belgique que dans les pays voisins. Citons celles de Binche (23), Nivelles (24), Braine-le­Comte (25), Jodogne, Louvain, Bruxelles, Namur, Ciney, Courtrai, Gand, Maastricht (26), Tongres, Aix-la-Chapelle, Cologne. La petite ville de Visby, sur l'île de Gotland, dans la Baltique, était entourée d'une enceinte de quelque 4 kilomètres renforcée d'une quarantaine de tours. Ses murs bien conservés ressemblent très fort à ce que durent être ceux de Liège (27). La comparaison des murailles de toutes ces villes permet de distinguer deux types de construction sur arcades. Dans le premier, le mur dans toute son épaisseur, repose sur des arcades. C'est le cas entre autres à Binche et à Braine-le-Comte. Ces arcs de décharge étaient à l'origine complètement enfouis dans le sol, cachés pour l'assaillant derrière le talus prolongeant l'escarpe. C'est le nivellement ultérieur du terrain et le déchaussement du mur qui ont mis ces arcades à jour. Elles sont maintenant visibles tant de l'extérieur que de l'intérieur des remparts. Dans le second type, auquel appartiennent les murs de Liège, les arcades n'existent qu'à l'intérieur (28).

Pour expliquer la construction sur arcades, on peut évidemment mettre l'accent sur l'économie de main-d'oeuvre et de matériaux. Violet-le-Duc signale des raisons d'ordre militaire (29). Ses arguments méritent d'être médités. Il écrit textuellement: « Dans les constructions antérieures à l'artillerie à feu, pour résister à la mine, à la sape et au mouton, déjà on avait pratiqué dans l'épaisseur des murs des arcs de décharge, masqués par le parement extérieur, qui, reportant le poids des maçonneries sur des points isolés, maintenaient les parapets et empêchaient les murs de tomber d'une seule pièce, à moins que les assiégeants n'eussent précisément sapé les points d'appui masqués, ce qui ne pouvait être que l'effet du hasard ». Le raisonnement de Violet-le-Duc ne paraît pourtant pas applicable au rempart d'Àvroy. En effet, le mur se trouve en bordure du fleuve et on ne voit pas très bien les sapeurs de l'assiégeant traverser l'eau en barque pour opérer sur l'étroite bande de terrain que constitue le rivage. En outre, pour faire crouler par sape un mur large en fondations d'environ 3 mètres et de 2 mètres en élévation, haut par surcroît de près de 10 mètres, il aurait fallu que la sape s'étende sur une distance assez longue. Par ailleurs, dans le cas particulier qui nous occupe, si l'on avait voulu que les arcades puissent éventuellement maintenir le chemin de ronde et le parapet au-dessus de la brèche faite par la sape du mur, on aurait dû relier le mur aux arcades, contrairement à ce qui a été fait.

Pourquoi, enfin, n'a-t-on pas relié murs et arcades? Je pense qu'ici interviennent des raisons techniques, et notamment que le maître d'oeuvre a tenu compte du tassement de la construction. La partie intérieure du mur évidée sous les arcades par simple souci d'économie sans doute, était plus légère que le côté extérieur, lequel supporte également le poids du parapet. Il fallait donc bien prévoir que les deux parties subiraient un tassement inégal, ce qui à la longue aurait provoqué des lézardes. En construisant un mur fait de deux tranches juxtaposées, mais non liées, on évitait ce danger.


LE PROBLÈME DU PARAPET.

Dans la reconstitution de la planche III, l'aspect du crénelage est assez conjectural. A peine peut-on deviner sur la photo 8 le niveau des créneaux mais je n'ai nulle part pu relever la largeur réelle de ceux-ci, ni les dimensions des merlons. J'ai donc dû me servir, pour la reconstitution, d'un document iconographique dont je ne suis pas le premier à faire usage, à savoir le tableau de Van Eyck, la Vierge au Chancelier Rollin. Je crois qu'il a été démontré de façon probante par J. Lejeune que le paysage du fond représente la ville de Liège. Si, à certains égards, Van Eyck a pris des libertés dans sa composition, il s'est par ailleurs montré un observateur très scrupuleux d'une foule de détails. Or les remparts qu'il nous montre bordant la Meuse et qui sont vus d'enfilade du côté intérieur (30) représentent bien les murs sur arcades de Liège, tels que j'ai pu en reconstituer l'image, à part que la hauteur de la maçonnerie entre les arcades et le chemin de ronde a été diminuée par Van Eyck. Du chemin de ronde et de son parapet, Van Eyck donne une image bien plus détaillée entre le donateur et la ville un petit jardin touchant aux remparts et sur les courtines deux personnages dont l'un serait Jean Van Eyck (31). D'après ce document, il semble bien que la hauteur du parapet soit d'environ une toise et qu'il doive y avoir deux merlons et deux créneaux par perche, c'est-à-dire par arcade.

Quant à l'épaisseur du parapet, d'après la reconstitution, elle doit être de 5 pieds (1,42 m) ce qui me paraît énorme, et pourtant le mur, là où j'ai pu contrôler son épaisseur, avait 2,15 m, soit 7 1/2 pieds. A ce chiffre, il faut ajouter, 1 m. ou 3 1/2 pieds pour l'épaisseur de l'arcade. Le chemin de ronde avait 6 pieds de largeur, il reste donc 5 pieds pour le parapet, alors que sur le tableau de Van Eyck, il paraît sensiblement moins épais. Le parapet constitue donc le seul point qui me paraisse sujet à caution dans la reconstitution présentée.


ELEMENT DE DATATION.

Quand j'ai entrepris la fouille au pied du rempart, l'un de mes objectifs était évidemment de recueillir tout élément de datation.

Vu la proximité du fleuve, on aurait pu supposer que le rempart avait été construit sur pilotis. Dans ce cas, une analyse du bois au C14 ou un examen dendrochronologique aurait pu donner une date approximative. Mais ce fut un vain espoir, puisqu'aussi bien le mur ne reposait pas sur pilotis. D'ailleurs, ceux-ci ont dû s'avérer inutiles puisqu'à la base des fondations, la nappe aquifère n'était pas atteinte.

Une aubaine, cependant, fut la découverte d'un pot brisé mais quasi entier sous l'arcade, à une vingtaine de centimètres à peine au-dessus du pavement de la petite maisonnette qui avait été adossée au mur. (Pour la position, voir plan et coupe de la Planche II). Ce pot est recouvert à l'intérieur comme à l'extérieur, d'un vernis brillant brun verdâtre. La pâte assez tendre est rouge clair sur la cassure. Le pot a la forme d'une soupière posant sur trois petits pieds. Son diamètre est de 20,5 cm et sa hauteur de 19 cm. A l'ouverture, large de 17 cm, se raccordent 2 anses. Si l'on se réfère à l'étude de A. Bruijn (32) concernant la céramique médiévale de Brunssum, dans le Limbourg hollandais, et plus particulièrement au tableau de l'évolution de cette céramique dressé par l'auteur, le pot retrouvé correspond à la première période de Brunssum qui se situerait au XIIIe siècle. Etant donné que de tels récipients, dont la pâte est assez tendre, ne devaient pas avoir la vie fort longue, la destruction du petit réduit pourrait se situer vers la fin du XIII siècle ou au début du XIVe siècle. Cela implique évidemment que le rempart date au plus tard de la première moitié du XIIIe siècle.

Notons encore que, parmi les débris de céramiques diverses, recueillis lors de la fouille, il y a des tessons d'au moins deux pots semblables. Dans les niveaux supérieurs, j'ai trouvé plusieurs débris de grès de Raeren dont un fragment de col de vase portant un blason avec l'inscription:

WINANT VON KREP5, 84.

De petits carreaux en céramique de dimensions variées ont été recueillis en assez grand nombre.

Ci-après la description de la stratigraphie relevée à l'extérieur du petit bâtiment accolé au rempart (Voir coupe sur la Planche II).

I. Remblais relativement récents contenant des déchets divers: ossements, clous, tessons (grès de Raeren), ardoises.

II. Mince couche de charbon.

III. Couche de remblai un peu plus brune et plus argileuse que le n° I.

IV. Couche noire contenant du charbon et des débris d'ardoises (couche d'incendie).

V. Couche contenant les déchets divers: tessons et ossements.

VI. Couche noire (incendie ?).

VII. Couche contenant déchets, tessons et ossements.

VIII. Couche jaune sableuse.

IX. Couche noire, charbonneuse.

X. Argile brun clair.

XI. Couche sableuse.

XII. Niveau d'occupation contenant déchets de cuisine et quelques charbons de bois.

XIII. Couche argileuse, brun clair, sans débris.

Cette simple description mérite d'être éclairée par une tentative d'interprétation. La couche XIII représente l'argile fluviatile. Elle est recouverte par une couche brun foncé (XII) qui semble représenter le sol à l'époque de la construction du mur. La mince couche sableuse jaunâtre XI doit correspondre aux travaux de construction du mur plein. Lors du creusement des fondations pour les arcades, l'argile retirée aura été répandue aux abords du mur, constituant ainsi la couche argileuse X. Les deux minces couches, l'une charbonneuse et l'autre sableuse, seraient contemporaines de la construction des arcades. Elles correspondraient ainsi au niveau du sol lors de l'achèvement des remparts. Se succèdent ensuite jusqu'au niveau de 1960, quatre couches d'occupation contenant des déchets culinaires, des tessons, etc. entrecoupées par trois couches d'incendies. C'est au niveau de la deuxième de ces dernières que les murets de la maisonnette ont été arasés. Mais elle aurait déjà pu être en ruines antérieurement. Cependant cette deuxième couche d'incendie (couche IV), du fait qu'elle contient quantité de débris d'ardoises, pourrait bien marquer l'incendie de la petite maisonnette dont les ardoises cassées se seraient éparpillées alentour. Néanmoins, je n'ai aucune certitude à ce sujet et je n'ai pu davantage dater les divers niveaux.


LA TOUR AUX LAPINS.

En 1962, on démolissait au boulevard Piercot l'immeuble joignant la maison d'angle du boulevard d'Avroy ainsi que la maison suivante en vue de la construction d'un building. Creusant le sol, à un niveau inférieur aux caves existantes, on mit à jour un tronçon de l'ancien mur d'eau fait en gros appareil. Les blocs de petit granit étaient reliés les uns aux autres par des ancrages en fer placés à l'intérieur des joints (figure 8). Ce mur très légèrement oblique par rapport à l'alignement actuel du boulevard, était distant de ce dernier de 8,70 m près du mur mitoyen de la maison d'angle (voir plan, Planche IV). Au-delà du mur d'eau et derrière les caves des maisons démolies, on se heurta à des murailles plus importantes et bien plus anciennes faites d'un blocage de moellons noyés dans un mortier blanc. C'était le flanc méridional de la Tour aux Lapins avec un bout du rempart Saint-Jacques y attenant. La figure 9 nous montre une photo de ces vestiges déjà largement entamés par les démolisseurs. On y voit le mur de façade de la tour, coupé obliquement, ainsi que l'un des deux becs qui précédaient cette façade. La tour, en effet, située à la pointe de l'île, avait à fendre les flots et possédait à ses deux angles - détail que ne révèle aucune gravure ancienne - des becs semblables à ceux des piles de ponts (voir Planches V et VII). Sur la photo, on distingue nettement le mur de façade sur lequel un homme se tient accroupi et dont on voit quelques rangées de pierres de parement. Devant ce mur (vers la gauche de la photo), on remarque ce qui reste du bec qui a été rongé par les marteaux pneumatiques. La maçonnerie de ce bec, comme on le voit, fait corps avec celle du mur de façade. Derrière ce dernier (à droite sur la photo), on aperçoit, éventrée, la voûte qui couvrait la rivelette qui passait sous la Tour aux Lapins. Cette voûte primitive en moellons, épaisse d'une bonne cinquantaine de centimètres (2 pieds) a été doublée d'une voûte en briques sensiblement plus importante (3 briques), vraisemblablement au XVIII siècle. Gobert rapporte en effet qu'en 1755 la voûte de soutènement a dû être réparée (33).

FIG. 8. - Boulevard Piercot démolition du mur d'eau.

FIG. 9. - Boulevard pierrot démolition du flanc méridional de la Tour aux Lapins.

J'ai profité des travaux de démolition de 1962 pour dresser le plan de ces vestiges de l'ancienne enceinte (Planche V) et j'ai attendu que d'autres démolitions mettent à nu l'autre moitié de la Tour aux Lapins et me donnent ainsi la possibilité de compléter le plan. Cette occasion n'a pas tardé à se présenter. En effet, en décembre 1963, les immeubles joignant la maison du coin vers le boulevard d'Avroy étaient démolis à leur tour et tout le terrain a été vidé à 3 mètres de profondeur pour les garages du building qu'on allait y construire. Grâce à l'obligeance de l'entrepreneur, j'ai pu prendre toutes les mesures désirées, ainsi qu'une série de photos dont quelques-unes sont reproduites ici. La première (figure 10) montre l'arcade dans la façade sur Meuse, sous laquelle s'engouffraient les eaux en direction de la Rivelette et du Moulin Saint-Jacques. Au siècle dernier on a dû combler cette Rivelette jusqu'à la voûte sous la tour. La tour elle-même avait d'ailleurs été démolie au XVIIIe siècle déjà, et on ne voit plus sur la photo, au-dessus de l'arcade, que deux assises de pierre de taille résultant d'une réparation tardive (XVIIIe siècle?). L'arcade elle-même est en grès houiller, comme devait l'être initialement toute la tour. Malgré la nature de ce matériau, les claveaux de l'arcade ont dû être taillés très soigneusement sur les lits car les joints n'avaient guère plus de 3 ou 4 mm d'épaisseur. Un mortier très ténu et finement broyé a donc été utilisé pour leur assemblage. Les arêtes de l'arcade étaient fortement corrodées comme le sont tous les monuments de l'époque construits en ce matériau.

FIG. 10. - Boulevard d'Avroy la façade antérieure de la Tour aux Lapins partiellement dégagée (1963).

Le bas des arcades a d'ailleurs été remplacé par de la maçonnerie en briques au XIXe siècle.

En raison de la position oblique de la façade de la tour par rapport à la limite de la parcelle cadastrale, seule la moitié gauche de l'arcade fut démolie, l'autre moitié étant engagée sous la propriété voisine (fig. 11). Ainsi apparut derrière le mur de façade, dont on voit la section sur la photo, la fente de la herse large de 15 centimètres (1/2 pied). Le mur surmontant l'arcade était épais de 1,55 m (9 pieds). Entre les parements extérieur et intérieur, la maçonnerie est constituée d'un blocage dont la photo laisse apparaître la texture.

FIG. 11. - La Tour aux Lapins: la démolition partielle de la façade antérieure permet de voir la fente de la herse.

L'arcade qui constitue la paroi postérieure de la fente de la herse et qui limite vers l'avant la voûte qui couvre le chenal apparaît vers la gauche sur la photo. Cette arcade, qui était normalement invisible, est nettement moins soignée que celle de la façade. Elle présente la curieuse particularité d'être faite de claveaux dont la hauteur décroît quand on s'écarte du sommet. Certains claveaux sont même faits de deux pièces. Il est encore à remarquer que le sommet de la voûte se situe plus haut que le sommet de l'arcade de la façade.

Les deux becs de pont dont était pourvue la tour aux angles antérieurs ne devaient sans doute pas donner satisfaction. Pour augmenter l'effet d'entonnoir, on a construit des murs d'eau en forme de coin précédant les dits becs. Blaeu, en 1627, les dessine sur sa vue de Liège (fig. 1) alors que Mérian, en 1650, ne semble pas les avoir remarqués. Braun et Hogenberg, en 1574, ne les représentent pas non plus, ni Perelle en 1693. Sans doute ce dernier, ainsi que Mérian, se sont-ils inspirés de la gravure de Braun et Hogenberg, à moins que tous n'aient puisé à une même source commune, sans se donner la peine de faire une mise au point complète. Quoi qu'il en soit, la vue de Blaeu suffit pour dire qu'en 1627, ces murs d'eau existaient déjà. Sur la photo de la figure Il, on voit ce mur en gros appareil se raccordant à la Tour aux Lapins tout près du bord de l'arcade. Parallèle à une des faces du bec qu'il cache, le mur s'avance d'environ 8 mètres (Voir Planche V), puis fait un angle droit pour repartir en direction est sur une longueur indéterminée. C'est ce mur d'eau qu'on voit en voie de démolition sur la photo de la figure 8.

De l'autre côté de l'embouchure, un mur tout semblable partait en direction ouest à partir de la pointe du bec qu'il prolonge d'une douzaine de mètres.

Ces ouvrages constituaient en avant de la Tour aux Lapins une espèce d'entonnoir asymétrique d'environ 17 mètres d'ouverture, dirigé vers le courant et manifestement destiné à augmenter l'afflux d'eau vers le Moulin Saint-Jacques. Gobert parle de ces murs d'eau sous le titre de Batte de Saint-Jacques et il situe leur construction en 1661 (34). Mais, par la suite, il confond manifestement ces murs avec une Batte de Saint-Jacques dont, en 1719, on a fait démolir plus de 200 pieds (environ 60 mètres). Ici, il ne peut évidemment être question des murs d'eau construits devant la Porte aux Lapins mais bien de cette digue aménagée dans le cours de la Meuse parallèlement au Rempart Saint-Jacques, et qui aboutit au moulin construit extra muros le long de ce rempart.

FIG. 12. - La Tour aux Lapins démolition de la façade postérieure.

C'est l'occasion d'ouvrir une parenthèse à propos de ce moulin. L'iconographie permet de distinguer trois moulins, ou du moins trois roues de moulin. Sur la vue de l'Abbaye de Saint-Jacques, par Remade Leloup, dans Les Délices du Pays de Liège (35), on voit au milieu de l'abbaye, à droite, entre deux bâtiments de l'avant-plan, une roue de moulin établie sur la Rivelette, laquelle coulait à ce moment à ciel ouvert entre deux murs assez élevés. D'autre part, les gravures anciennes représentant la vue générale de la ville montrent, au bout du territoire de l'abbaye, extra muros, soit tout près du débouché de l'actuelle rue de l'Évêché, une petite construction avec deux roues, l'une à l'intérieur et l'autre à l'extérieur du bâtiment (fig. 1), mais aucune de ces deux roues ne paraît mue par le bief qui pénètre sous la Tour aux Lapins. Quel est, dès lors, le moulin Saint-Jacques ? Cette appellation s'appliquait-elle aux divers moulins ?

Revenons-en à la Tour aux Lapins et plus exactement à la façade vers l'Ile. Je n'ai malheureusement pu photographier l'ouverture postérieure avant que l'arcade ne fût démolie en partie (fig. 12). La photo laisse voir au-delà de l'arcade dont les claveaux supérieurs ont déjà disparu, la voûte intérieure dont le sommet se situe plus haut que celui de l'arcade. Une photo suivante (fig. 13), prise du même endroit, représente un stade plus avancé de la démolition. A gauche subsiste encore le départ de l'arcade. La voûte sectionnée obliquement laisse bien voir sa structure en moellons de grès houiller ainsi que sa doublure partielle du XVIIIe siècle, faite en briques. Un mur en briques de Boom est en voie de construction; il a pour but d'obturer le chenal qui passe sous l'angle arrière de la propriété voisine et de fournir un soutien (assez illusoire) à la voûte qui, vers la droite, n'aura bientôt plus qu'un point d'appui très réduit. La façade arrière de la Tour aux Lapins, à en juger d'après l'arcade démolie, était épaisse de 2,55 m, soit 9 pieds, tout comme la façade antérieure au-dessus de l'arcade.

Pour la largeur du chenal à l'intérieur de la tour, je n'ai qu'une mesure assez approximative, vu l'état de délabrement de la partie inférieure de la voûte. Elle devait mesurer une verge (16 pieds ou 3,55 m). Les arcades antérieure et postérieure, légèrement rétrécies latéralement par rapport à la voûte, avaient 4,40 m, soit 1/2 pied en moins. L'ensemble du bâtiment, au niveau des soubassements dégagés, est presque carré. Les façades antérieure et postérieure mesurent 14,20 m, soit 50 pieds. Mais les côtés latéraux n'ont que 48 pieds (3 verges). Il est possible que les murs latéraux, épais de 10 pieds au niveau des fondations, aient été ramenés à une épaisseur de 9 pieds à partir d'une certaine hauteur, de façon à leur donner la même épaisseur que les façades antérieure et postérieure. Dans ces conditions, la section de la tour, au-dessus des fondations, représentait un carré parfait de 3 verges x 3.

FIG. 13. - La Tour aux Lapins après démolition de la façade postérieure: section oblique de la voûte couvrant le chenal.


LA RIVELETTE.

Derrière la Tour aux Lapins s'amorçait la Rivelette (Planche IV). Elle s'en allait en ligne droite jusqu'à hauteur de la salle capitulaire de Saint-Jacques, laquelle, comme on le sait, se situait dans le prolongement du transept de l'église. Sur ce parcours, il n'y a ni inflexion, ni courbure contrairement aux tracés figurant sur certains documents (36). La photo de la fig. 14 représente le côté arrière de l'excavation faite en décembre 1963 au boulevard d'Avroy. Elle montre une section en travers de la Rivelette à une dizaine de mètres en moyenne au-delà de la Tour aux Lapins. A droite, deux ouvriers debout sur le mur d'eau, en poursuivent la démolition. Vers la gauche, à côté d'un puits moderne éventré, on aperçoit l'autre mur d'eau en partie caché par des planches. Cette Rivelette fut couverte par une voûte en briques, vraisemblablement avant le XIXe siècle, car elle ne figure plus au cadastre de 1810. En même temps que la voûte, on avait construit à l'intérieur de ce tunnel, deux petits trottoirs latéraux qui viennent à fleur du sol sur la photo.

FIG. 14. - Section de la Rivelette près de la Tour aux Lapins.

Le fond du chenal, ainsi rétréci, était également maçonné, de telle sorte que le tout prenait plutôt l'aspect d'un égoût que d'un bief. Ces deux petits trottoirs qui se prolongent sous la Tour aux Lapins (leur tracé courbe se trouve reproduit sur le plan de la Planche V) donnent une idée du niveau de l'eau, puisqu'ils devaient émerger de celle-ci. Vers l'aval, la Rivelette devait se rétrécir légèrement, sans doute dans le but d'accélérer progressivement le courant d'eau. J'ai en effet pu noter lors de la démolition d'une maison place Émile Dupont (l'ancienne rue Derrière Saint-Jacques) en mai 1953, la section de la Rivelette (planche VI et fig. 15). L'endroit de la section est indiqué sur le plan de la planche IV. Ici, la largeur de la Rivelette n'est plus que de 3,20 m, alors qu'elle est de 4,20 m près de la Tour aux Lapins. Une voûte en moellons la couvrait; elle n'était pas établie entre les anciens murs d'eau mais s'appuyait sur ceux-ci. Le fond de la Rivelette avait été maçonné en briques tout comme près de la Tour aux Lapins. Le mur de soutènement, qu'on aperçoit au milieu de la Rivelette, a dû être construit après la mise hors d'usage de celle-ci, pour soutenir la maison dont un mur extérieur suit à peu près l'axe de la Rivelette et repose sur le sommet de la voûte.


AMÉNAGEMENTS DU XIXe SIÈCLE.

En avant de la Tour aux Lapins, dans l'entonnoir du XVIIe siècle dont question plus haut, on a construit, au siècle dernier, un système de chenaux à triple voie voûtés en briques (planche V). J'en ai fait le levé exact, ce qui m'a permis de les indiquer sur le plan. Vers le boulevard d'Avroy, ces voûtes s'appuyaient contre une arcade en pierres de taille, percée dans un mur d'eau en gros appareil: celui-ci suit à peu près le mur de façade de la maison démolie et se raccorde vers le nord à l'ancien mur d'eau du XVIIe siècle. L'arcade avait été grossièrement bouchée. Dans l'un des chenaux voûtés, deux vannes, séparées par une grosse poutre en chêne, permettaient de couper ce passage.

Pour comprendre ce curieux dispositif, il faut rappeler qu'après 1830 on a créé le boulevard d'Avroy en voûtant le Canal d'Avroy. La Meuse navigable continuait à couler à l'emplacement actuel de l'avenue Blonden, du parc d'Avroy et du boulevard Piercot. L'ancien entonnoir précédant la Tour aux Lapins était devenu une encoche en forme de pentagone irrégulier dans le quai longeant la Mense, quai qui portait à l'époque le nom de quai Cockerill avant de devenir boulevard Piercot. Dans cette échancrure se voyaient deux arcades à droite, l'ouverture sous l'ancienne porte aux Lapins; à gauche, le départ du canal d'Avroy voûté. Sans doute pour éviter aux chevaux de halage la manoeuvre consistant à contourner l'échancrure en question, et pour supprimer celle-ci, construisit-on les chenaux voûtés qu'on voit indiqués sur le plan. Il en est résulté que le canal souterrain d'Avroy et le bief Saint-Jacques ne présentaient plus qu'une embouchure commune à l'emplacement actuel de la maison d'angle des deux boulevards. Ainsi fut caché le dernier vestige visible de l'ancienne Tour aux Lapins dont, dès lors, on semble avoir oublié l'emplacement exact. Gobert lui-même situe la Tour dans le fond du terrain occupé par le Café du Pavillon (37) alors qu'en réalité, la tour se trouvait sur le terrain voisin. Le Café du Pavillon, en effet, était installé dans la maison du coin entre les deux boulevards. Il tenait son nom d'un petit pavillon agrémentant le jardin de l'ancienne propriété de Potesta. Ce pavillon se trouve indiqué sur le cadastre de 1810 à l'emplacement de la Tour aux Lapins et le lecteur non averti pourrait le prendre pour la tour elle-même.

FIG. 15. - Section de la Rivelette près de la place Émile Dupont.


RECONSTITUTION DE LA TOUR.

Partant du plan de la Tour aux Lapins (Planche V) et des images anciennes qui déforment toutes plus on moins la réalité, j'ai tenté une reconstitution en tenant scrupuleusement compte des détails relevés et des mesures prises lors de la démolition des substructions.

La hauteur de l'édifice n'a évidemment pu être établie qu'approximativement et par déduction. Il est certain que la herse devait pouvoir être descendue jusque dans l'eau et qu'on devait, d'autre part, pouvoir la retirer jusqu'au-dessus de la voûte pour l'enlever et la réparer éventuellement. On peut ainsi calculer la hauteur nécessaire pour cette manoeuvre. Par ailleurs, d'après l'iconographie, on sait que les créneaux de la tour étaient placés plus haut que ceux des courtines. Or, j'ai pu noter le niveau des fondations des murailles par rapport à la tour. Ces fondations ne descendaient même pas jusqu'au niveau de l'eau (Planche VII). Connaissant par ailleurs la hauteur des remparts on peut en déduire approximativement celle de la tour.

La reconstitution, dans le style du XVIe siècle, de la maison qui surmontait la construction et qui servait sans doute de corps de garde, est évidemment plus délicate car ici on ne dispose, comme données, que des seules indications qu'on peut relever sur les gravures anciennes. J'ai naturellement tenu compte du style de l'époque et pour le toit, de charpentes dont j'ai eu l'occasion de noter le détail de structure dans des bâtiments du XVIe s.


QUELQUES COMMENTAIRES.

Le plan IV appelle quelques commentaires. Il permet de constater que la Rivelette fait un angle droit avec le rempart vers la rivière d'Avroy. D'autre part, la grande maison que l'on aperçoit sur la gravure de Remacle Leloup et qui se dresse à l'ouest de la place Émile Dupont (il s'agit de l'immeuble occupé par les Dames Réparatrices) est construire d'équerre avec la Rivelette et les tronçons de rempart. Maison, rempart et Rivelette délimitent ainsi un jardin bien rectangulaire dont le souvenir a été fixé dans les Délices du Pays de Liège. Par contre, l'église et les autres bâtiments abbatiaux ont une orientation légèrement différente (pl. I). Rivelette, rempart et maison semblent donc appartenir à un même complexe, distinct du reste de l'abbaye.

Au sujet de la Rivelette, on lit dans Gobert (38) qu'elle aurait été creusée sur ordre de l'abbé Drogon, mort en 1173. D'autre part, je ne conçois pas très bien qu'on puisse dissocier cette Rivelette de la Tour aux Lapins. Pourrait-on déduire de là que cette dernière, ainsi que le rempart dont elle fait partie, daterait du XIIe siècle ?

Toujours en ce qui concerne la genèse de l'ensemble, j'attire l'attention sur le fait que les deux courtines qui touchent à la Tour aux Lapins ne s'y raccordent pas de la même façon. Le rempart d’Avroy vient buter contre la tour au milieu du flanc tandis que le rempart Saint-Jacques se raccorde à l'angle de la tour. Outre cette asymétrie, on remarquera aussi que l'axe de la tour ne correspond pas à la bissectrice de l'angle obtus formé par les deux courtines, ce qui eût pourtant été logique a priori. Mais on peut supposer que l'on ait désiré rapprocher quelque peu cet axe de la direction de la Rivelette pour éviter un coude trop prononcé. Enfin, il faut essayer de trouver une explication à l'apparente anomalie que constitue la position excentrique du chenal sous la tour. Je pense qu'elle fut dictée par des raisons éminemment pratiques et au fond bien compréhensibles. Il fallait pouvoir pénétrer dans la tour, au niveau de son rez-de-chaussée, lequel devait se situer juste au­dessus de la voûte couvrant le chenal. Si l'on examine le plan V, on s'aperçoit que cette entrée devait se trouver dans la façade arrière et qu'elle ne pouvait se placer au-dessus de la Rivelette, mais bien à côté de celle-ci. Ainsi pourrait s'expliquer le décalage de l'axe de la Rivelette.


L'IMPASSE BRAHlER.

Sur le plan IV, j'ai également mentionné l'impasse Brahier, laquelle partait de la place Saint-Jacques, se dirigeait vers le rempart, puis longeait celui-ci jusqu'à la Tour aux Lapins. Il en fut question ci-dessus. Cela implique que, primitivement, le jardin de l'abbaye ne touchait pas au rempart et qu'il était, par conséquent, clôturé par un mur parallèle à ce dernier J'ai pu vérifier l'existence de ce mur à environ 5 mètres derrière le rempart et j'en ai indiqué la position sur le plan.


LE BALLOIR SAINT-JACQUES.

Le long du rempart d'Avroy, à hauteur de l'église Saint-Jacques, existait jadis une tour flanquante. La gravure de Blaeu (fig. 1) notamment, nous la montre surmontée d'un petit canon. Ses fondations ont été découvertes et, démolies en 1904. Ch.-J. Comhaire a décrit ces vestiges, mis au jour lors de la construction de la maison Braconnier, joignant vers le Nord le Home Gustave Ruhl (39). Il en a même donné une photo et un croquis avec quelques cotes. Ce dernier ne constitue malheureusement pas un plan à l'échelle et, de ce fait, il ne nous permet pas de situer avec précision la tour en question sur le plan cadastral. Il manque notamment la distance de la tour à l'alignement du boulevard.

La tour, hémicylindrique vers l'extérieur mais plate vers l'intérieur, s'inscrit en plan dans un carré d'environ 12 mètres de côtés. Cependant, vers l'extérieur, les fondations ne présentent pas un tracé semi-circulaire. Épaisses de 2,70 m ou 2,90 m, elles suivent les côtés du carré sauf aux deux angles antérieurs où elles présentent des pans coupés figurant ainsi de ce côté la moitié d'un octogone régulier.


AUTRES TOURS DE FLANQUEMENT.

Une autre tour de flanquement, toute semblable au balloir Saint-Jacques a dû exister à égale distance de la Tour aux Lapins, mais sur la rive méridionale de l'Ile (n° 7 sur le plan I). En 1928, au boulevard Piercot, on excavait un terrain pour construire une maison, la deuxième maison à partir du coin de la rue Eugène Isaye, en direction de l'Évêché. On y mit à jour des substructions que Comhaire décrit dans le journal « La Meuse » (40) Cette description devient plus claire lorsqu'on a sous les yeux le plan joint à l'arrêté d'alignement créant la rue Eugène Isaye, plan que j'ai reproduit planche IV. J'extrais de la note de Comhaire le paragraphe suivant: « Nous avons ici un mur en moellons calcaires, avec d'autres matériaux unis par un excellent mortier blanc, mur de 1,40 m d'épaisseur avec parement en grand appareil identique à celui encore existant tout au long du bâtiment de l'Évêché... » En réalité, l'épaisseur et le grand appareil sont caractéristiques du mur d'eau. Ce n'est donc pas le rempart qu'a vu Comhaire, qui poursuit: « Cette maçonnerie comporte d'abord vers la rue Saint-Jacques (maintenant rue Eugène Isaye) un tronçon de muraille en retrait de 4,50 m. Long de 1,80 m, il présente alors un pan coupé (de 0,65 m) et se dirige vers le nord. Un espace de 1,65 m avec la limite voisine semble indiquer certaine ruelle que l'on constate encore sur le plan cadastral de 1827 ».

Signalons en passant que la section de la Rivelette, dont question ci­dessus, a été faite le long de cette ruelle qui permettait d'aller de la rue derrière-Saint-Jacques au rivage en passant par une poterne qui n'a pas échappé à Blaeu (fig. 1). Comhaire constate ensuite qu'un autre mur « s'avance en demi-cercle..., qui semble la moitié restante d'un balloir s'avançant sur le fleuve et dont l'autre moitié vers l'Évêché aura été démolie ».

Si Comhaire invoque le plan cadastral de 1827 à propos de la ruelle, il semble avoir ignoré que le demi-rond dont il parle et qui ne figure pas sur ce cadastre se trouve par contre bien indiqué sur le plan d'alignement plus détaillé de 1859, que j'ai reproduit sur la planche IV. Il suffit d'ailleurs de bien examiner ce plan de 1859 pour deviner le tracé du rempart du moyen âge au-delà du mur qu'a vu Comhaire. J'indique ce tracé hypothétique en attendant que de nouvelles démolitions permettent de le vérifier.

Quant au balloir dont parle Comhaire, je ne doute nullement de son existence, mais j'estime qu'il serait plus correct de le qualifier de tour flanquante. Je pense même qu'on peut avancer l'hypothèse que le mur d'enceinte de l'Ile devait à l'origine être flanqué à intervalles réguliers de tours dont la plupart ont été supprimées lors de remaniements ultérieurs; tel dut être le cas du balloir dont parle Comhaire. L'équidistance entre tours flanquantes nous est donnée par les deux tours qui encadrent la Tour aux Lapins et que, sur le plan I, j'ai numérotées 5, 6 et 7. La distance en question est à peu près de 95 mètres, de centre à centre. Il est facile de vérifier que du balloir Saint-Jacques à l'arvau Saint-Remy il y a une distance de deux fois 95 mètres, ce qui laisserait supposer qu'il dut y avoir à mi-distance une tour (n° 4 sur le plan I) supprimée par la suite.

Des constatations toutes récentes confirment encore mon hypothèse. Grâce à l'évidement du terrain de l'ancienne maison décanale et de la Banque Nationale, j'ai pu relever des vestiges qui paraissent indiquer l'existence d'une autre tour de flanquement située sur le rivage Saint-Paul à peu de distance de l'endroit où j'avais fouillé en 1960 (no° 2 sur le plan I). Sur le plan d'ensemble figurant au bas de la planche II, j'ai pu voir entre les points P et Q la face d'un mur contre lequel avait dû s'arrêter la courtine qu'on venait de démolir et dont il restait un vestige près du point Q (hachures continues). Il y a donc eu discontinuité dans la maçonnerie suivant le plan P Q lequel n'est pas perpendiculaire à la courtine se prolongeant vers le Nord et dont j'ai bien pu noter la direction grâce aux vestiges entre R et S d'une part et du petit tronçon de muraille subsistant entre T et U. L'existence d'un postice rebouché entre P Q et R doit être exclue suivant des détails relevés sur place: à la face du mur PQ adhérait encore le mortier du morceau de rempart QRS qu'on venait de démolir.

Par ailleurs, des vestiges de maçonnerie constatés en N, Q et P ne peuvent appartenir à des pilastres d'arcades. Pour s'en assurer, il suffit de prolonger sur le plan la série des pilastres 1 à 6 dont l'emplacement exact a pu être noté par le n° 7 et le n° 8. On se rendra compte aussitôt que le bout de mur en N ne peut appartenir au pilastre 8. II doit vraisemblablement représenter l'angle de la tour présumée, l'autre angle intérieur se situant en P. En O, on se trouverait en présence de l'ébrasement de la porte donnant accès à la tour. La distance NP est de 13,80 in, soit, à quelques centimètres près, 3 verges.

La distance du centre de cette tour présumée à l'arvau Saint-Remy est d'à peu près 95 m. Il est à remarquer que cette tour se situe à une cassure dans le tracé du mur, tout comme l'arvau Saint-Remy.

Si maintenant au-delà de cette tour 2, dont l'existence est quasi certaine, on mesure vers le Nord encore une distance de 95 mètres, on arrive à un point particulier du cadastre où le mur subit une nouvelle déviation. En outre, il se dirige vers ce point une petite venelle qui sépare d'une part les grosses propriétés des chanoines du chapitre de Saint-Paul vers la rue Hazinelle, et de l'autre côté, vers le Nord, les petites parcelles des bourgeois ayant leur boutique rue Pont d'Avroy. De là à supposer l'existence d'une autre tour encore (n° 1) en cet endroit, tour à laquelle conduisait la venelle qui, après un coude à angle droit, rejoignait la rue Pont d'Avroy, il n'y a évidemment qu'un pas que je n'hésiterai guère à franchir.

Ainsi se compléterait une série de sept tours de flanquement ou autres ouvrages à intervalles réguliers le long de ces remparts d'Avroy et de Saint­Jacques.

Une petite explication numérique pourrait encore venir à l'appui de cette thèse. L'équidistance de 95 mètres semble devoir se décomposer comme suit: 3 verges pour la largeur des tours et, entre elles, des courtines comportant 18 arcades d'une verge chacune, soit au total 21 verges de 4,55 m ou 95,5 m. En tout cela, on voit réapparaître la numération dodécimale qui était pratiquée par les maîtres d'oeuvre et dont elle constituait un des instruments à penser. En elle, l'archéologie détient également une clef qui peut aider à comprendre les monuments anciens.


CONCLUSIONS

Pour clôturer cette étude, du moins provisoirement, car au rythme actuel des travaux de transformation du centre de la Ville, on peut espérer faire bien d'autres constatations intéressantes encore dans un proche avenir, j'ai cru bon de tenter une reconstitution représentant une vue d'ensemble sur tout le rempart d'Avroy dont il fut question (Planche VIII). J'ai eu le souci d'observer une perspective rigoureuse donnant à chaque élément du paysage sa juste place et son importance réelle. Une barque et un pêcheur n'y ont été ajoutés que par simple fantaisie et pour donner une échelle et permettre ainsi d'apprécier le caractère imposant que durent avoir les remparts au XVIe siècle.

Par la publication de cette étude, d'ailleurs sans prétention, j'espère avoir contribué à sauver de l'oubli quelques lambeaux des remparts de la cité des Princes-Evêques, lambeaux maintenant disparus à tout jamais. Par la même occasion, je pense avoir pu montrer tout le profit qu'on peut tirer de mensurations précises et d'une mise en plan correcte des vestiges archéologiques ainsi que de l'observation attentive des procédés des artisans et des maîtres d'oeuvre d'antan.

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1. Th. GOBERT, Les rues de Liège anciennes et modernes, 2e éd., t. I, p. 72, liège (1901), s. v. Rempart d'Avroy. Sauf indication contraire, les renvois à cet auteur sont relatifs à la première version de l'oeuvre de Gobert, et non à celle qui parut 24 ans plus tard sous le titre Liège à travers les âges.

2. Th. GOBERT, o. c., t. III, p. 369, s. v. Rempart.

3. G. RUHL, L'Église Saint-Jacques à Liège, Liège, 1907, Frontispice.

4. L. BÉTHUNE, Le vieux Liège. Recueil de vues rares et inédites, Liège, 1888, vue Il, La promenade d'Avroy en 1740.

5. L. BÉTHUNE, o. c., vue XV.

6. Ce plan se trouve reproduit dans divers ouvrages récents dont: J. LEJEUNE, Les Van Eyck, peintres de Liège et de sa cathédrale, liège, 1956, fig. 64, p. 125.

E. HELIN, Le paysage urbain de Liège avant la révolution industrielle. Liège, 1963, in fine.

Pour nu inventaire des plans anciens de Liège, voir: E. HELIN, Les plans anciens de Liège, dans Annuaire d'Histoire liégeoise, t. VI, p. 589-736 et 1289-1488, Liège 1960-1962.

7. II s'agit de la célèbre carte manuscrite conservée à la Bibliothèque Royale à Bruxelles.

8. Ce plan cadastral est conservé an service de l'Urbanisme de la Ville de Liège.

9. Th. GOBERT, o. c., t. I, p. 73, s. v. Rempart d'Avroy.

10. Th. GOBERT, o. c., t. III, p. 101.

11. Th. GOBERT, o. c., t. III, p. 381.

12. Th. GOBERT. o. c., t. III, p. 429.

13. Th. GOBERT, o. c., t. III, p. 381.

14. Th. GOBERT, o. c., t. III, p. 381.

15. Th. GOBERT, o. c., t. II, p. 103, s. v. Place Saint-Jacques.

16. Th. GOBERT, o. c., t. I, p. 170, s. v. Rempart d'Avroy.

17. Th. GOBERT, o. c., t. III, p. 100.

18. Th. GOBERT, o. c., t. III, p.101, s. v. Rivage Saint-Paul.

19. Th. GOBERT, o. c., t. I, p. 72. La confusion persiste dans Th. GOBERT, Liège à travers les âges, t. II, 1925, p. 9.

20. Le plan d'Avanzo s'inspire directement du « Plan de Liège dressé par l'ingénieur-vérificateur du cadastre de la Province a en octobre 1827 à l'échelle de 1 palme pour 300 aunes. En passant, il importe de mettre en garde ceux qui voudraient se livrer à certaines recherches métriques: l'aune en question n'est autre que le mètre et le décimètre est appelé palme. Ainsi donc, à cette époque, alors qu'on avait adopté le système métrique décimal, les anciennes appellations continuaient à être utilisées pour désigner les nouvelles unités de mesure.

21. Il m'est particulièrement agréable d'exprimer ici mes remerciements les plus vifs à Monsieur J. Breuer, dont les enseignements m'ont été des plus précieux et qui n'a cessé de me prodiguer ses conseils éclairés. Ma reconnaissance s'adresse aussi à Monsieur H. Roosens, son successeur à la direction du Service National des Fouilles, qui voulut bien m'accorder l'appui financier nécessaire. Que soient également remerciés Monsieur Lepomme qui, au nom de la Banque Nationale, voulut bien accorder l'autorisation de fouiller sur le terrain appartenant à cette dernière, ainsi que Monsieur Renard, Administrateur de la succursale de Liège de la Banque Nationale, qui ne cessa de manifester son intérêt pour la question.

22. Au sujet des mesures anciennes, il y a lieu de voir l'étude de P. DE BRUYN, Les anciennes mesures liégeoises, dans le Bull. Inst. Archéol. Liégeois, T. LX (1936), p. 289-316. Il est indispensable aussi de visiter le Musée de la Vie Wallonne à Liège, où nombre d'instruments de mesure, et notamment l'étalon officiel du pied de Saint-Hubert, se trouvent conservés. On trouvera d'utiles renseignements dans a Le Guide du Visiteur a, Liège, 1958, p. 74 à 78.

23. P. C. MEURISSE, A propos des remparts de la ville de Binche, dans Annales de la Féd. Archéol. et Histor. de BeIg., XXIXe sess., Congrès de Liège, 1932, fasc. II, p. 42 et 43 et Ibid., fasc. IV, p. 149 à 153.

24. J. BREUER, L'enceinte de Nivelles (Brabant), dans Bull, de la Soc. Roy. d'Archéol. de Brux., 1932, p. 101 à 104.

25. Cl. MOUNTER, La forteresse de Braine-le-Comte, dans Annales du Cercle archéol. deMons, t. VII n° 66-67), p. 1 à 38.

26. H. BRUGMANS et C. H. PETERS, Oud Nederlandse Steden, Leiden. s. d., t. I, p. 53 et A. L. J.

VAN DE WALLE, Het Bouwbedrijf in de Lage Landen tijdens de Middeleenwen, Anvers, 1959, p. 113.

27. Visby, de Stad der Ruuinen en der Rozen, dans (V. T. B.) Toerisme, du 16-4-1939, p. 275 et 276.

28. Philippe de Hurges passant par Liège en 1615, y voit près du ruisseau de la Légia « Les murs... sont voultez en arcades renforcées par le dedans comme sont encore aujourd'hui les remparts de Cologne, de Bruxelles, d'Aix et d'autres villes ».

29. VIOLLET LE Duc, Dictionnaire raisonné de l'architecture française, du XIe ou XVIe siècles, t. 1, p. 420 et 421.

30. J. LEJEUNE, o. c., fig. 65, p. 127.

31. J. LEJEUNE, o. c., fig. 107, p. 198 et fig. 113, P. 205.

32. A. BRUIJN, Die minelalterliche Tôpferindustrie in Brunssum, dans Berichten van de Rijksdiense voor het oudheidkundig bodemonderzoek, jaargang 9, 1959, pp. 139-188.

33. Th. GOBERT, o. c., t. I, p. 73, s. v. Rempart d'Avroy.

34. Th. GOBERT, o. c., t. II, p. 106.

Th. GOBERT, Liège à travers les âges, Les rues de Liège, Liège, vol. II, 1923, p. 89. Ici, Gobert parle du « long barrage que les moines de Saint-Jacques avaient lait placer, transversalement, au XII siècle, sur cette branche du fleuve (il est question de la rivière d'Avroy) en aval de leur propriété » - en note, Gobert précise – « A l'emplacement de l'angle des boulevards d'Avroy et Piercot » - « pour faire dévier de leur côté une certaine quantité des eaux ». Cette fois, Gobert confond même l'aval et l'amont.

35. E. HELLIN, Le paysage urbain de Liège avant la révolution industrielle. Liège, 1963. p. 99 en donne une reproduction.

36. G. RUHL, o. c., dans les plans qu'il donne du quartier Saint-Jacques indique un tracé courbe pour la Rivelette.

37. Th. GOBERT, o. C., t. I, p. 69.

38. Th GOBERT, o. c., t. II, p. 105.

39. Ch. J. COMHAIRE, Le balloir Saint-Jacques, dans Le Vieux Liège, n° 177, du 14 mai 1904, col. 13, 14 et 15.

40. Ch. J. COMHAIRE, Journal « La Meuse » du 27-4-1928. (Renseignement qui m'a été aimablement communiqué par Monsieur Hansotte, conservateur des Archives de l'État).

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