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LES ENCEINTE DE LIEGE

Le château Saint Georges à Liège

par Armand NAGELMACKERS et J. MULLENERS


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S'il est une question controversée dans l'histoire de Liège c'est bien celle du château Saint-Georges évoqué par Jean d'Outremeuse.

Certains historiens, comme Henaux, l'ont adopté tandis que d'autres historiens des plus sérieux, comme Kurth, le rejettent carrément.

Pourtant, il y a de nombreux éléments qui militent en faveur de l'existence de ce château, et une trouvaille, faite dernièrement, nous incite à exposer ce qui suit:

1° De tous temps, les Gaulois, et après eux les Francs, ont eu l'habitude millénaire de se construire un refuge ou « oppidum » pour se mettre à l'abri des incursions des bandes de barbares qui, durant toute l'Antiquité, sillonnaient nos contrées.

Ces « oppida » sont mentionnés par César qui dut faire leur siège pour asservir la Gaule.

2° Lorsque saint Hubert vient s'installer à Liège et y transférer le siège de son évêché, il vient d'être victime à Maastricht d'une tentative d'assassinat. Ses prédécesseurs: saint Théodar et saint Lambert avaient été assassinés peu avant cet attentat.

Saint Léger, de son côté, avait été décapité vers 690 sur les hauteurs du Publémont.

Il est donc peu croyable que devant ces faits saint Hubert se soit installé à Liège dans une bourgade ouverte, dans un monastère sans défense.

3° Lorsqu'on parcourt les impasses et venelles des environs de la rue de la Brasserie, de la rue de la Poule et de la rue Velbruck, on rencontre partout de vieux murs en grès houiller.

Un premier mur, perpendiculaire à la rue Féronstrée, est visible dans la cour du n° 79 de cette rue.

Deux autres murs, formant un angle droit, ont été retrouvés dans la cour de la maison Sauveur, actuellement au n° 54 de la rue Hors-Château.

«En creusant un puits on a atteint deux énormes murs de fondation, l'un était parallèle à la rue Velbruck (et dans le prolongement exact du mur décrit plus haut), l'autre lui était perpendiculaire et tous deux se reliaient.

Le premier reposait sur du gravier à 21 pieds de profondeur et le second à 12 pieds» (Gobert).

Sous l'immeuble formant le coin de la rue Hors-Château et de la rue Velbruck (actuellement: École de Coiffure), il a fallu descendre jusqu'à 7 mètres de profondeur pour trouver le bon sol.

Le mur rencontré dans la maison Sauveur se prolongeait jusqu'à l'impasse des Drapiers et de là à la rue de la Poule où nous le retrouvons derrière les arveaux moins anciens qui clôturent ces rues.

Gobert ajoute: « Il subsiste de ce côté (coin aval de la rue Velbruck) sous l'arrière-bâtiment Aerts (grand-père de l'ancien notaire) une espèce de poterne: ici, à plus de deux mètres de profondeur, on voit les restes d'un vieux mur avec les restes d'une porte. »

Un autre arceau en grès houiller se trouvait à l'extrémité de Féronstrée de la rue de la Poule. Il fut démoli par la firme Van Zuylen durant les années 20 pour faciliter le passage de ses camions.

D'autre part, si nous regardons le plan cadastral de ce quartier, nous remarquons toute une série de petites parcelles, toutes bien alignées et qui nous indiquent l'emplacement du vieux mur (fig. 4).

4° La Chronique de Saint-Jacques nous raconte que le roi Didier de Lombardie, fait prisonnier par Charlemagne, fut enfermé au château Saint­Georges.

5° Nous devons également tenir compte des légendes et du folklore populaire qui tiennent absolument à ce que le fondateur et le créateur des fortifications liégeoises soit saint Hubert.

De nombreuses années, passées à étudier les textes historiques, m'ont démontré que bien souvent la légende n'était qu'une vérité déformée.

Si nous soulevons cette question, c'est qu'une trouvaille que nous venons de faire nous a incités à la réétudier et à publier cet article pour relancer la question.

En aménageant le café situé au 79 de la rue Féronstrée, on a déroché le mur aval de cette maison qui était recouvert d'une épaisse couche de plâtre placée sur un clayonnage compensant l'inclinaison du mur.

Lorsque le mur a été déroché, nous nous sommes trouvés devant une porte en plein cintre de trois mètres de haut, à côté de laquelle se trouvait une espèce de soupirail, également en plein cintre, dont le seuil était formé par une grosse pierre mal équarrie.

Nous avons cru à l'époque nous trouver devant une porte de l'ancienne halle aux draps qui devait se trouver à l'emplacement de la maison formant le coin amont de la rue Féronstrée et de la rue Velbruck.

Des travaux ultérieurs, entrepris pour remplacer le granito qui couvrait le sol du café, nous ont fait découvrir que ce que nous avions pris pour un soupirail était la partie supérieure d'une petite porte ou guichet et que le seuil du soupirail était en réalité le linteau de la porte.

Même remarque pour la grande porte en plein cintre.

Nous avions donc affaire (fig. 1) à une grande porte cochère d'un minimum de 5 mètres de haut à côté de laquelle se trouvait un guichet laissant une hauteur d'au moins deux mètres entre le linteau et le sol ancien.

Le sol, à deux mètres de profondeur, sous la rue Féronstrée, nous reporte avant le Xe siècle.

Nous connaissons, grâce aux égouts de la rue du Pont et de la rue Potiérue qui sont d'anciens bras de la Légia, la profondeur exacte de l'ancien sol.

L'ancien lit de la Légia se trouve à 3,66 mètres sous le coin de la rue Féronstrée et de la place du Marché.

Au coin de la rue du Pont et de la rue de la Boucherie, la Légia était à 2,45 m sous le sol, et au coin de la rue du Pont et de la rue de la Cité, où ce bras se jetait dans le « Bocca » ou « Bouillon », il y a 2,74 m.


AU CENTRE DE LEXTRAIT DE MILHEUSER / BLAEU

Nous avons à peu près les mêmes chiffres pour la rue Potiérue ou le « Bougnou » coulait à environ 2,50 m sous le soi. Comme la Légia coulait dans un lit de 50 cm de profondeur environ, le vrai sol ancien se trouvait à 2 mètres environ sous le sol actuel.

Nous pouvons donc supposer que nous avons affaire à la porte du château Saint-Georges.

Il semble bien que ce bâtiment, dont il reste un vieux mur, fut utilisé plus tard comme halle aux draps après que l'on eut bouché les ouvertures donnant vers le numéro 79 et que l'on eut percé une grande porte à front de la rue Féronstrée.

Sur les plans de Blaeu, nous voyons à l'emplacement du vieux mur, un bâtiment assez vaste comportant une grande porte. Ce bâtiment possède le long du bord supérieur le même genre de moulures que celles que nous avons découvertes au sommet de la vieille porte (fig. 2).


COMPARAISON

Le vieux mur et ces portes ayant de nouveau disparu (pour quelques années, espérons-le), sous un plâtras destiné à compenser son inclinaison, nous dirons (pour ceux qui voudraient se le représenter) qu'il ressemblait exactement au grand mur aveugle qui ferme les cloîtres de la cathédrale du côté de la place Saint-Paul.

Nous avons le même mur sans fenêtres construit avec des pierres à peu près semblables et terminé au sommet par le même cordon.

Autre comparaison: ce château devait ressembler assez bien à l'enceinte de la prison Saint-Léonard mais couvrant une surface moitié moindre.


CONCLUSION

Il est temps de conclure

Étant donné tout ce qui précède, nous pouvons reconstituer le château Saint-Georges suivant le croquis ci-joint (fig. 3 et 4).

Un grand enclos rectangulaire, équipé de fortes tours aux quatre coins.

Un fossé d'environ 5 mètres de profondeur, alimenté par un bras de la Légia, et communiquant probablement avec la Meuse, entoure cet enclos fortifié.

Quelque part à l'intérieur de celui-ci, un bâtiment semblable à la vieille boucherie avec un rez-de-chaussée aveugle et une porte d'entrée située au 1er étage, formait le refuge où pouvaient se retirer l'évêque et ses services lorsqu'on annonçait l'arrivée d'un ennemi.

A ce moment, chacun chargeait ses biens mobiliers, les uns à dos d'homme, les autres dans une charrette, et l'on se réfugiait dans le château-oppidum jusqu'à ce que le danger soit passé.

Les maisons en torchis étaient abandonnées et les comptes de l'abbaye de Saint-Trond nous montrent que si la terre et les biens mobiliers avaient une certaine valeur, les maisons n'en avaient aucune parce qu'elles étaient trop souvent brûlées.

En agissant de la sorte, nos ancêtres ne faisaient qu'imiter leurs ancêtres gaulois, et les colons d'Amérique au XVIe siècle les imiteront à leur tour lorsqu'ils se réfugieront dans les blockhaus ou les forts à l'approche des Indiens ou des pirates.

Notons en passant que le château Saint-Georges n'a pas pris le nom, comme dit Jean d'Outremeuse, d'une petite église située à son pied, mais c'est bien le contraire qui a eu lieu.

Saint Hubert aura dédié son château à un saint protecteur armé de pied en cape et pourfendeur de dragons, saint Georges en l'occurrence, et l'église fut construite beaucoup plus tard, en 1243, par la famille de Hozémont, et prit le nom du château.

Un problème se pose maintenant si l'on démontre que le château Saint-Georges n'a jamais existé, que la Chronique de Saint-Jacques est erronée, à quoi a dû servir la série des vieux murs qui vont de la rue Féronstrée à la rue de la Poule en passant par l'impasse des Drapiers, la vieille maison Aerts et la vieille maison Sauveur ?

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