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Le balloir St Jacques

par le chanoine J Coenen

Le Vieux Liège, 1904, n° 177 (6e vol., n°2), 180, 181, (et suivants absents non transcrits).

La découverte de restes de fortifications au boulevard d'Avroy à Liège, dont nous avons dit un mot dans notre dernier numéro du Vieux­Liège (vol. VI, col. 6), a une importance historique bien plus considérable que nous le supposions de prime abord. La continuation des travaux de terrassement, en dégageant entièrement le terrain à l'emplacement des habitations futures, a révélé l'existence de constructions antiques sur lesquelles nous allons quelque peu insister. Nous devons au surplus à l'obligeance et à la compétence d’un historien du voisinage, dont la modestie est connue, la révélation de l'importance de la découverte ainsi que le croquis auquel nous eu peu de chose à ajouter.

Il nous faut au préalable rectifier l'articulet ci-dessus vanté. Le mur ne s'étend nullement de la limite du terrain vers l'intérieur jusqu'à une profondeur de plusieurs mètres, contrairement à ce que nous avions constaté ailleurs (vol. V, col 137); nous avions vu, lors des premierr jours de fouille, une partie des deux murs et le vide d'entre-deux rempli de décombres, le tout paraissant faire une masse homogène. D’autre part, les matériaux employés, les blocs de grès de la région, grès de la Sauvenière ou de Vivegnis, sont mêlés à des blocs, bien plus considérables mais de beaucoup moins nombreux de casteen. Les premiers, s'ils furent contemporains comme usage du narthex de St-Jacques, viennent évidemment ici en réemploi. Le ciment blanc et très dur indique également une construction du milieu du moyen-âge comme nous allons le voir.

Jetons un coup d'oeil sur le croquis. Nous voyons qu'il représente, en ordre principal, le plan des substructions d'une tour polygonale encastrée dans le mur du rempart dont une très faible partie fut mise à jour et qui se poursuivait dans les propriétés voisines Ruhl-Hauzeur et Dalimier. Ces substructions sont solides; elles ont 2 m 70 et même 2 m 90 d'épaisseur sur les cinq côtés qui devaient résister non seulement au poids de la tour, mais encore aux efforts de l'artillerie et aux terribles effets du flot d'eau que le fleuve roulait à ses moments de crue. Le mur vers l'intérieur des terres ne m'a paru avoir que 2 m 40 d'épaisseur. A l'intérieur de ces fondations se voyait une salle, une cave plutôt, dont les côtés mesuraient respectivement 6 m 60, 5 m 25, 2 m 80, 2 m 60, 2 m 60 et 5 m 10, pavée de petits carreaux de granit d'environ 25 centimètres, de côté, et qu'un escalier de pierres dans l'angle S-O mettait en communication avec le sol extérieur. Ce pavé pouvait être à environ 1 m sous le niveau actuel du boulevard, ou à 2 m sous le jardin, qui avait été surélevé. La tour était donc enclavée dans le rempart et non accolée à celui-ci.

Une constatation précieuse que nous n'avons pu faire mais qui nous a été transmise par notre collaborateur, c'est que la partie supérieure des substructions restantes n'était pas polygonale mais semi-circulaire. Il n'en subsistait qu'une hauteur de 0 m 40 à 0 m 50, deux rangs de moellons qui disparurent dès les premiers jours du déblaiement. Nous l'avons indiqué en plus, par un pointillé. Il s'agissait donc d'une tour semi-ronde, un bastion ou comme en disait ici un « balloir » s'appuyant sur des fondations polygonales.

Or ce balloir est parfaitement reconnaissable sur certain panorama, bien connu, celui de Remacle Le Loup exécuté en 1737 et qu'une réédition moderne, il y a environ quarante ans, par la Maison Muraille a répandu surabondamment. On ne l'aperçoit pas - mais il y a ici une question de perspective - sur le « prospect » de Marischal, 1618, édité par M. Léon Béthune, ni sur le dessin de Berger représentant le boulevard d’Avroy en 1740 (L. Béthune. Le Vieux-Liege, 1, Pl. II).

L'appareil de ces murs est une sorte de blocage, les blocs des parements étant plus gros que les autres et unis à l'extérieur sans être cependant spécialement taillés. Il faut considérer d'ailleurs qu'il s'agit ici de fondations et de remparts d'un ordre tout secondaire. Le parement de la tour proprement dite cependant avait été fait, d'après notre collaborateur, de blocs plus réguliers, allongés, sans avoir rien néanmoins de l'appareil en bossage

0n le voit aussi très bien, mieux encore, car il se présente de trois quarts et avec un n° d'ordre, sur le « prospect » de Hollar réduction de celui de Blauw ou peut-être son inspirateur?).

Le n° 111, inscrit sur le monument est expliqué, à la légende, par: « Porte Saint-Jacques ». Mais cette expression de « porte » est évidement une erreur, disons plutôt une exagération; il n'y a jamais eu de porte là au sens de « porte de rempart », mais simplement une poterne, un postis ou postiche, une petite porte - même en son sens le plus ordinaire - qui permettait de se rendre de l'intérieur de l'enceinte de I‘Ile dans ou sur le rivage. Ce rivage, comme nous le verrons plus loin, présente ici beaucoup d'intérêt. Cette poterne, dont l'existence doit être hors de doute, devait exister à la droite de la tour, autrement dit enaval, pour être protégée plus efficacement des eaux du fleuve lorsque la crue, immergeant le rivage, atteignait le pied du rempart.

Celui-ci se poursuit à droite et à gauche du balloir, dans les terrains Dalimier et Ruhl-Hauzeur, où il a été également retrouvé. De ce côté-ci, il aboutissait à la Tour aux Lapins, (en wallon et vieux français « âx conins»), à l'angle des boulevards d'Avroy et Piercot(1); dans l'autre direction, à la porte d'Avroy d'où il se poursuivait contournant l’Ile, parallèlement au boulevard de la Sauvenière. Se doute-t-on, qu'un tronçon, assez important, de ce rempart existe encore, intact je puis le dire, avec son chemin de ronde, son parapet?

Oui, allons le voir - entre la rue Bertholet et la rue Hazinelle. Entrons au n°10 de la rue Saint­Remy, chez M. Goemans droguiste (le propriéraire est M. Hénoul, avocat général près la cour d'appel) Pénétrons dans la cour, puis, à droite, dans le jardin, et tout au fond nous apercevons la muraille. La base est en pierres de grès avec une arcade en plein cintre - toute cette partie du mur est nettement « d'allure » romane, - arcade en partie reconstruite; vers la gauche, près d'un escalier moderne, le mur est en briques, entrelardé, suivant une expression culinaire que je hasarde ici, de boutisses de casteen, appareil du XVe et XVIe siècle; vers la droite, tout en briques, le mur est de reconstruction plus récente encore.

Le chemin de ronde a 1 m 60 à, 1 m 80 de longueur; il s'étend à 3 mètres au-dessus du niveau du jardin, mais les remblais de celui-ci l'ont enterré d'environ 2 mètres au-dessus du niveau des rues avoisinantes; en calculant par les substructions actuellement mises au jour, l'assiette de ce chemin de ronde s'étend à 7 mètres au-dessus de la base du rempart pris à l'extérieur vers la Meuse où du même côté le parapet existe encore. Celui-ci a un mètre de hauteur - mais devait être plus élevé - et il est d'une épaisseur assez considérable puisque le mur mitoyen formant le fond des écuries du voisin (M. Jules Hauzeur, n° 27 au boulevard d'Avroy) ne s'appuie que sur une partie de celui-ci. Ce parapet doit avoir 35 à 40 centimètres d'épaisseur; il est en pierres, en blocs de casteen principalement. Le rempart aurait donc une épaisseur totale de 1 m. 90 à 2 m. 20.

Notons ici une tradition - que je crois inédite - qui veut que ce rempart constituât la promenade de prédilection de Bertholet Flémael, Ce grand artiste, qui devint, plus tard chanoine de la Collégiale de St-Paul et qui fut, prétend-t­on (2), une des victimes de la Brinvillers, se rendait ainsi de la belle habitation qu'il s'était fait construire là (à peu près à l'emplacement de la rue, qui porte son noms à la porte d'Avroy...

La muraille existe aussi dans la propriété voisine (chez M. Laloux, autrefois M. de Moffarts, n° 2). C'est le mur du fond des écuries et remises. Le parapet du mur sur le chemin de ronde a été refait, chose curieuse, en briques modernes; puis se voit, en arrière d’un pied, le mur supportant le toit (3).

Existe-t-il plus loin, le rempart derrière les constructions de Rosen (n°14, pl St paul), et autres ? C’est possible; quoiqu’il en soit en jetant un coup d’œil sur un plan cadastral, on voit le tracé du rempart, jusqu’au pont d’Avroy, indiqué par la limite des propriétés. C’est à lui évidemment que nous devons une curieuse servitude qui disparaît précisément en ce moment par suite des expropriations des immeubles de droite de la rue du Pont d'Avroy. A l'angle de celle-ci et du boulevard, on a certes remarqué que l'immeuble ne possédait qu'un étage: une servitude voulait que les fenêtres de l'immeuble contigu (le Café A treus crânes) donnassent sur le boulevard, autrefois sur la rivière (4).

De quelle époque peut-on dater ce rempart de St-Jacques? Au point de vue archéologique examinons les fondations récemment mises au jour:

L'appareil de ces murs est une sorte de blocage, les blocs des parements étant plus gros que les autres et unis à l'extérieur sans être cependant spécialement taillés. Il faut considérer d'ailleurs qu'il s'agit ici de fondations et de remparts d’un ordre tout secondaire. Le parement de la tour proprement dite cependant avait été fait, d'après notre collaborateur, de blocs plus réguliers, allongés, sans avoir rien néanmoins de l'appareil en bossage

Ces fortifications ne sont ni romanes, ni postérieures à la fin du XVI° siècle. Elles peuvent être placées entre cette époque et la fin du XIlle.

Au point de vue historique, la première mention d'ouvrages militaires autour de l'île ne remonte qu'à une époque postérieure au sac de Liège par Charles le Téméraire. Le gouverneur placé par le duc de Bourgogne, le Humbercour, fit élever, en 1475, des murailles le long de la Sauvenière ou Rolland-Gouffre pour garantir sa résidence construite auprès de la Coléiale St-Jean. Mais ces travaux de défense se poursuivaient-ils au delà du Pont d'Avroy, tout autour même du domaine de cette puissante abbaye de St-Jacques.

Celle-ci, dès le XI, siècle, dut protéger ses bâtiments, son temple, ses jardins, des incursions malveillantes ou dévastatrices des rapineurs, des soldats ennemis et même des eaux du fleuve; elle pouvait donc posséder des remparts élevés après le XIe siècle et avant 1475

Faut-il classer notre rempart parmi ces grands travaux de fortifications entrepris au milieu du XVIe siècle? - En 1546 on construit la porte d'Avroy; en 1550, ce sont, le long de la Sauvenière, des terrassements maintenus par un revêtement en pierre (5); le rempart d'Avroy est de la même époque; plus loin la Tour des Croisiers est de 1536 ainsi que, en face, le Balloir de Saulcy; etc.

Avant de conclure, observons les « prospects » que nous ont laissé de notre vieille cité Hollar, Blaeu, Remacle Le Loup; observons notre sous­sol. Nous constatons que ce rempart tout le long d'Avroy et de la Sauvenière, depuis la « Tour âx Conins » jusqu'au tournant de St-Jean, est dédoublé par une seconde muraille qui lui est presque complètement parallèle.

Dans le sous-sol ce second rempart existe sur toute son étendue et sa largeur, à fleur de pavé même, et nous l'avons constaté maintes fois. Son parement intérieur correspondant à la façade de toutes les propriétés des deux boulevards; le parement extérieur se rencontre à 4 m. environ de distance, vers le milieu de la voirie. Il est construit en blocage de gros blocs calcaires unis par un ciment très blanc et très dur.

Suite non transcrite ...


(1) Soit d'une colonie de lapins qui avait élu domicile, soit que que ce fut là que les moines eussent établi leur garenne? (Léon Béthune, Le Vieux Liège, Portes et remparts. II, p. 14.)

(2) Mém. Soc. d'Emulation, du 25 février 1782, p. 47.

(3) Notes de ma visite du 28 avril 1894. C'est le jour où nous visitions du reste pour la première fois le rempart de Bertholet­Flémael.

(4) Une servitude identique existe encore rue de la Wache où l'immeuble prend vue sur la rue de la Régence (autrefois un bras de la Meuse), par dessus cette dépendance de la Taverne de Munich qui restera une cour sans arbres avec grillages, jusqu’à ce que le propriétaire ait racheté la servitude.

(5) L. Béthune. Portes et Remparts. 11. p. 13.

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