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La Bibliothèque de l'abbaye
de Saint jacques à Liège.

par S Balau, curé de Pepinster

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Abbaye de Saint Jacques à Liège

L'abbaye de Saint-Jacques à Liège, commencée en 1016 par l'évêque Baldéric, fut achevée par son successeur Wolbodon, qui, dès 1020, en confia le gouvernement à Olbert, abbé de Gembloux. Olbert fut, avec Poppon de Stavelot, le principal collaborateur de Richard de Verdun dans l'oeuvre de la réforme monastique en notre pays. Les réformateurs considéraient l'application au travail et à l'étude comme un des plus puissants moyens de raviver la discipline et la ferveur au sein des monastères. Sigebert vante le zèle de l'abbé de Gembloux, qui, nouveau Philadelphe, fonda pour l'usage de ses moines une bibliothèque remarquable pour l'époque, comprenant plus de cent volumes de science sacrée et cinquante de science profane (1). On avait le droit de supposer qu'investi de la direction de Saint Jacques, Olbert n'y déploya pas moins d'activité: nous appuyons aujourd'hui cette conjecture sur un document, dont il résulte que l'abbé réformateur réunit en effet dans son nouveau monastère des livres en quantité suffisante pour qu'on en dressât l'inventaire (2). Cette recension bibliographique serait intéressante à étudier. Elle formerait, avec celle qui fut dressée à Lobbes, en 1049, notre plus ancien catalogue de bibliothèque.

Malheureusement, l'inventaire des livres d'Olbert (1) est inséré dans un manuscrit dont nous ignorons le domicile actuel.

Les livres rassemblés par les soins d'Olbert formèrent le noyau de la bibliothèque du nouveau monastère. La preuve que le premier abbé de Saint-Jacques n'y dépensa pas d'inutiles efforts se trouve dans la Vie de Baldéric composée par un religieux dès I033 (2). Trois ans plus tard, le transfert de Compostelle à Liège d'insignes reliques du patron de l'abbaye fut l'objet d'une relation que Gilles d'Orval a enchâssée dans sa vaste compilation (3). A cinquante années de là, on trouve sur le siège abbatial un homme très instruit, Etienne II (1075-1112), auteur de plusieurs écrits (4) dont un seul, la Vie de saint Modoald, nous est conservé (5). Sous son gouvernement, l'abbaye commence à fournir à d'autres monastères des hommes distingués: le moine Heribrand est appelé à Saint-Laurent pour enseigner; maître du célèbre Rupert (6), il compose une Vie de Thierry II de Saint-Hubert (7) et acquiert une telle réputation de vertu et de savoir qu'il est désigné comme, successeur de Bérenger dans la direction de l'abbaye (1113-1128). Un texte, dont nous devons la connaissance à l'obligeante communication de dom Ursmer Berlière, nous apprend qu'Odon, moine de Saint-Jacques, écrivit un récit du martyre des onze mille vierges pour les moines de Saint-Saulve, près de Valenciennes, sous le prieur Haimon (1), décédé dans ce monastère en 1181 (2). Vers le même temps, GuiIlaume de Saint-Jacques dédie son traité De Trinitate à Hernotte ou Helgote, prieur de Liessies (3), qui occupe cette charge jusqu'en 1191 (4). A une époque qu'il est moins facile de déterminer, le moine Corneille rédige une Vie métrique de Saint Maur martyr, dont la date de composition n'est pas exactement établie (5). On sait que les religieux de Saint-Jacques s'intéressèrent aussi à annoter les principaux événements de leur époque. Ces annales, commencées au milieu du XIe siècle, furent continuées jusqu'à, la fin du XIVe dans un manuscrit (6) d'où elles furent tirées par Bethmann pour l'édition des Monumenta Germaniae historica (7). Lambert le Petit, vers 1178, fit sur la base de ces annotations un travail nouveau, qu'il continua avec plus de développements jusqu'à sa mort en 1194. Renier reprit l'oeuvre de son devancier et la poursuivit jusqu'en 1230 (1). Il n'est pas douteux que, durant toute cette période, la bibliothèque de l'abbaye n'ait reçu de nombreux accroissements, mais aucun document ne nous permet d'en apprécier l'importance.

Quelques années plus tard, la ferveur du monastère avait dégénéré en des abus auxquels l'abbé Guillaume de Julémont (1285-1301) porta remède en rétablissant dans leur rigueur primitive la pratique des observances bénédictines (2). L'époque où s'accentue cette décadence est précisément celle qui nous laisse privés de toute indication bibliographique relative au monastère (3). Les renseignements reprennent leur cours avec lia restauration de la discipline. Zantfliet (4) nous apprend que Guillaume de Julémont fut aidé, dans son oeuvre de réforme, par l'appui d'une des sommités du temps, Godefroid de Fontaine, dit le « Docteur vénérable » (b). Le savant philosophe, ami de saint Thomas d'Aquin, disciple de Henri de Gand et de Gilles de Lessines, fit don à la bibliothèque de l'abbaye d'un exemplaire de son célèbre Quodlibeta, auquel il joignit plusieurs autres manuscrits (1). Un autre philosophe du même temps, Bernier de Nivelles, chantre de Saint-Martin à Liège (2), se signale par ses legs en faveur du monastère (3). Des livres sont aussi donnés vers 1296 par le moine Simon, ancien chanoine de Tongres, ordonné prêtre à cette date (4) et, quelques années plus tard, par Jacques Godar, chapelain de Saint-Barthélemy; mort en 132 (1). Le religieux augustin Herman de Scildis dédie à l'abbé Henri Cosins (1316-1342) son Traité des sept vices capitaux (2). Des livres sont apportés du dehors par d'autres bienfaiteurs en 1403 (3) et vers le même temps par trois chanoines de Saint-Pierre à Liège, l'un Nicolas Tihu, mort en 1407 (4), et deux autres appelés Jean Physicus (5) et Walter (6), mais dont l'existence ne nous est pas autrement révélée. Un moine du nom de Judetus fait vers la même époque copier des manuscrits (1). Le doyen de Tongres, Roland ou Radulfe de Rivo (2), dont on note la mort en 1403, rédige pour le monastère une table détaillée des Étymologies d'Isidore de Séville (3). Au sein même de l'abbaye, on transcrit des manuscrits en 1312 (4) en 1396 (5) et à d'autres dates encore (6). Rarement le copiste nous donne son nom: nous connaissons Arnold de Maestricht occupé à ce travail de transcription en 1362 (1), le moine Servais en 1398 (2), Walter de Ciney au temps de l'abbé Nicolas Bujardin (1374-1393) (3) et vers la même époque Léonard Bellarmie (4). Ce dernier religieux, désigné aussi sous le pseudonyme de Kedus ou Kudus, est l'auteur de trois ou quatre ouvrages de médecine (5). Ses connaissances dans l'art de guérir furent impuissantes à le défendre contre la peste qui, en 1401, enleva l'abbé Bertrand de Vivegnis avec douze de ses moines, la moitié du monastère (1). Heureusement, l'épidémie épargna un autre travailleur, qui mérite d'être cité au premier rang, Guillaume de Vottem. Prieur de 1394 à 1403, il composa une glose sur les épîtres de saint Paul d'après plusieurs auteurs (2), un traité de morale extrait de saint Grégoire (3) et un autre recueil formé de fragments empruntés à saint Augustin, à saint Thomas, à Aristote et à divers écrivains (4). On conserve aussi de lui quelques transcriptions autographes dans un manuscrit de notre bibliothèque royale (1). Toutefois, c'est surtout comme chroniqueur qu'il doit être signalé. ll écrivit une chronique sur le grand schisme d'Occident, dont on n'a retrouvé que des extraits (2). Il est probablement aussi l'auteur de la chronique liégeoise de 1402 indûment appelée Chronicon Gemblacense, qui, rédigée à Saint-Jacques, nous conserve une bonne partie de l'oeuvre de Jean de Warnant (3). Quelques années plus tard fut écrite une relation du schisme de Thierry de Perwez contre Jean de Bavière (1406-1408). Mais bien que ce récit soit inséré dans un manuscrit de Saint-Jacques (4), on ne peut pas en conclure qu'il ait été composé dans ce monastère (5).

Depuis la réforme de Guillaume de Julémont, les moines de Saint-Jacques n'avaient pas cessé de joindre au travail la pratique de toutes les vertus monastiques. En 1351, l'évêque Engelbert de la Marck, les maïeurs, échevins et maîtres jurés de la cité de Liège font au pape l'éloge du monastère qui brille entre tous par la sainteté de ses moines (6). Dans la première moitié du siècle suivant, l'abbaye devint un foyer de réforme qui rayonna sur plusieurs monastères. Des religieux de Saint-Jacques sont envoyés à Florennes en 1414, à Saint-Mathias de Trêves en 1419, à Saint-Laurent en 1420, à Gembloux et à Stavelot en 1439, à Utrecht eu 1440 (1). Le gouvernement de l'abbé Renier de Sainte-Marguerite (1408-1436) marque le point culminant de l'influence qu'exercèrent les religieux de Saint-Jacques par l'attrait de leurs vertus monastiques.

Or, c'est précisément de la même époque que datent les plus nombreux apports de livres qui accroissent la collection de manuscrits déjà possédée par l'abbaye. Les annotations extraordinairement fréquentes où sont consignées les acquisitions faites par la bibliothèque nous manifestent une fois de plus que le goût des livres et l'application au travail intellectuel marchent constamment de pair avec la ferveur de la discipline. Entre les années 1411 et 1426, le prieur Philippe d'Othée emploie tout son zèle à développer le matériel dont disposent les religieux pour leurs études. Nous ne savons rien de la vie de ce moine laborieux, sinon qu'à l'âge de soixante-sept ans il obtint, pour cause de santé, d'être déchargé de ses fonctions de prieur (2). On lui doit de nombreuses notices qu'il inscrit lui-même sur les manuscrits qu'il achète ou reçoit. Nous le voyons dès sa jeunesse s'intéresser à ces annotations (1). C'est sans doute de sa plume, qu'est sortie la pittoresque narration de l'entrée de l'empereur Sigismond à Liège en 1416 (2). Le soin qu'il prend d'acquérir des livres, de se concilier les dons de nombreux bienfaiteurs, de susciter dans le monastère le zèle des copistes, de noter sur les ouvrages leur provenance et la date de leur acquisition, de faire réparer et relier les manuscrits qui ont besoin de ce secours, tout cela dénote chez Philippe d'Othée un amour des livres qui fait estimer sa mémoire. Les ouvrages que nous en conservons portent la trace de ce zèle remarquable; ils ne nous laissent pas même ignorer le nom du religieux employé à la reliure des codices: c'est Jean de Hodeige qu'on voit occupé à ce travail en 1418 (3). D'autres livres sont reliés en 1417 (1) et en 1424. (2). Philippe d'Othée achète les manuscrits en 1411 (3), en 1416 (4), en 1417 (5), en 1421 (6), en 1422 (1), en 1423 (2), en 1424 (3), en 1426 (4); parfois les dates d'acquisition nous restent inconnues (5). On cite la troisième partie de la Somme de saint Thomas parmi les achats faits pour son monastère par le zélé prieur (6). Des livres sont apportés du dehors par des bienfaiteurs dont les noms restent en honneur à l'abbaye. Nicolas, prêtre de Saint-Pholien en 1411 (1), Michel de Tilia, chapelain de Jean de Bavière en 1414 (2), Gilles de Vinalmont, doyen de Saint-Denis en 1417 (3), Jean de Piresceal, doyen de Huy (1400-1418) (4), Jean Gosuin en 1419 (1), Guillaume de Momale, chanoine de Saint-Lambert en 1415 (2) et son collègue Jean de Stralen en 1423 (1). On cite aussi comme donateur un anonyme en 1430 (2). L'évêque Jean de Wallenrode (1418-1419) se signale lui-même par sa munificence (3). Heimeric de Champ, vice-chancelier de l'université de Cologne, qui représenta au concile de Bâle (1431-1443) cette école de hautes études, fait don aux moines de Saint-Jacques d'un manuscrit de ses oeuvres (4). Enfin Gérard Rondeau de Couvin, chanoine, puis doyen de Saint-Lambert, qui mourut en 1441, dédie à Philippe d'Othée un traité écrit en réponse à une question posée à l'auteur sur le canon de la messe par le suffragant Henri, évêque de Sidon (5). Les divers manuscrits que nous connaissons, de cet ouvrage sont ornés d'une préface adressée au zélé prieur de Saint-Jacques. Des livres presque aussi nombreux sortent de la plume des copistes que le monastère compte dans son propre sein. Philippe, d'Othée intéresse à ce travail en 1420 son sous-prieur Arnold de Momale (1), Arnold de Corswarem de Momale, qui mourut à Saint-Jacques le 14 août 1422, (1), avait occupé dans le monde une brillante situation. Seigneur temporel de Momale, il était chanoine de Saint-Lambert, prévôt de Saint-Paul et chanoine de Notre-Dame de Tongres; il comptait dans le chapitre de la cathédrale deux oncles, Guillaume, que nous avons cité plus haut, et Walter, archidiacre de Hainaut. Au dire du dominicain Van der Meer, il aurait été lui-même archidiacre d'Ardenne. La célébrité dont la ferveur de ses moines entourait le monastère attirait parmi eux les plus notables personnages du clergé liégeois. Devenu simple religieux de l'abbaye, Arnold ne se contenta point d'y transcrire des manuscrits il composa lui-même deux traités d'ascétisme (2). Avec lui nous trouvons occupé au scriptorium un copiste anonyme en 1418 (3), le moine Gérard Pangnecheal en 1422 (1) et un autre religieux en 1433 (2). Mais le plus laborieux travailleur de cette époque est incontestablement le chroniqueur Corneille Menghers de Zantfliet, le futur doyen de l'abbaye de Stavelot. Henri de Mérode, désigné pour la direction du monastère ardennais, était venu à Saint-Jacques en 1439 se former à la pratique des observances bénédictines. Une notice insérée dans un manuscrit par un religieux de l'abbaye vante l'édification qu'y donna son application à tous les devoirs de la vie monastique (3). Lors de son départ pour Stavelot, il emmena avec lui plusieurs moines de Saint-Jacques. Ce fut probablement à cette occasion que Zantiflet, qui avait séjourné quelque temps au prieuré de Saint-Léonard (4), quitta définitivement le monastère. Il y avait jusque-là déployé une activité de copiste vraiment remarquable (5). Plusieurs de ses manuscrits sont aujourd'hui à l'étranger. Celui où il transcrivit son importante chronique est chez nous la propriété de la famille de Theux. Zantfliet composa en outre, probablement à Stavelot, un traité sur la réforme des moines (1). Après leur départ pour des monastères étrangers, les religieux de Saint-Jacques persévéraient dans leurs traditions laborieuses et n'oubliaient pas de faire participer au fruit de leurs travaux l'abbaye où ils avaient recueilli le bienfait de leur formation. Charles de Crehen, devenu abbé de Florennes en 1422, composa un récit de miracles opérés devant les reliques de saint Jean et de saint Maur (1). De Trêves un religieux de Saint-Jacques, Walter de Bastogne, envoya à Philippe d'Othée un manuscrit contenant l'exposition de sainte Hildegarde sur la règle de saint Benoît (2).

Après la mort de Renier de Sainte-Marguerite, des abus s'introduisirent peu à peu dans l'abbaye. Le pape Eugène IV essaya inutilement d'y porter remède (3), et finalement l'évêque Jean de Heinsberg fit faire, le 6 mars 1447, une visite du monastère, qui eut pour résultat la résignation du prieur Martin de Malle (4) et le rétablissement des anciennes observances (5). Malgré les défauts d'administration auxquels le nouveau règlement mit fin, malgré les difficultés financières qui assaillaient le monastère, l'abbé Rutger de Bloëmendael (1436-1470) ne paraît pas avoir négligé le soin de la bibliothèque. Il fait lui-même, en 1438 (1) et en 1439 (2), copier plusieurs manuscrits. En 1441, Arnoul Ghyers, probablement étranger à l'abbaye, transcrit un livre pour compte du moine Henri de Limbourg (3). Vers le même temps, Arnoul de Ordinghen, chevalier, donne au monastère de nouveaux livres de choeur (4), notamment un superbe antiphonaire écrit en 1443 (5). Cette même année mourut, à Saint-Jacques, Barthélémy d'Utrecht, ancien prieur, déposé par Rutger et qu'on signale, comme s'occupant de la transcription de manuscrits (2). Un poème français, consacré à l'éloge de l'abbaye, est composé en 1444 (3). Depuis 1436, le religieux Pierre Cortoy, de Thorembaix les Béguines, se distinguait par son activité de copiste (4). C'est peut-être son influence qui, malgré les maux dont souffrait le monastère, y maintint la pratique des études laborieuses. Il ne montra d'ailleurs pas moins de zèle pour I'observance d'une discipline austère. Il partit pour Utrecht en 1440 et y travailla à la reforme de l'abbaye de Saint-Paul (1).

Cette même année, il y copie un manuscrit pour son ancien monastère (2). De retour à Liège, il soutint contre son abbé le parti de la discipline et se rendit à Rome où il obtint, en 1444, la bulle que nous avons mentionnée, prescrivant les mesures à prendre pour la suppression des abus (3). Il entra ensuite chez les Chartreux (4). On le trouve encore à Saint‑Jacques en 1447 copiant des manuscrits (5), peut‑être rédigeant lui‑même des sermons et d'autres livres ascétiques (6). Nous voyons aussi qu'en 1469, à l'abbaye de Saint‑Mathias de Trèves, le moine Grégoire, profès de Saint‑Jacques, transcrit pour son ancienne abbaye le traité de saint Thomas De divinis moribus (7). En 1465, flous trouvons signalé comme copiste Conrard Dumoulin, le futur successeur de Rutger sur le siège abbatial (1). Vers 1438, divers livres de l'Imitation de J.‑C. et d'autres opuscules pieux sont transcrits par le religieux Guillaume de Berg‑op‑Zoom (2), qui ayant été proviseur sous Renier (1), puis prieur sous Rutger, fut rétabli dans cette charge par son successeur en 1474 (2). On note vers la même époque la rédaction d'une chronique de treize feuillets renfermant beaucoup de détails curieux (3). Ces renseignements suffisent à faire apprécier, au point de vue qui nous occupe, le gouvernement de l'abbé Rutger de Bloëmendael. Ils suggèrent une réflexion: c'est que tous les travailleurs dont les noms sont parvenus jusqu'à nous apparaissent en même temps comme de fervents apôtres de la discipline monastique.

Le zèle pour les études ne diminua pas dans les dernières années du siècle. Nous rencontrons comme copistes Nicolas de Wanze en 1479 (4), puis Engelbert de Rupis dont on note la mort en 1484 (5). Dès 1482, la bibliothèque commence à s'enrichir d'ouvrages imprimés à la suite desquels parfois un religieux signale les événements de l'année au pays de Liège (1). Une terrible épidémie décima le monastère en 1483: une des victimes, Godescalc Rosmont est célébré comme scriptor egregius (2). L'abbé Gérard de Halen, mort en 1500, est vanté pour ses talents de musicien, d'orateur et de poète (3). Vers cette époque, trois personnages du nom de Jean de Diest sont mentionnés parmi les religieux de l'abbaye. Tous trois remplissent successivement les fonctions de prieur; tous trois consacrent leurs soins à enrichir la bibliothèque. Deux d'entre eux sont cités ensemble comme vivant au monastère en 1483 (4). On trouve le premier désigné du nom de Jean de Diest de Beeringen (1). Il fut envoyé à Stavelot vers 1439 et y occupa la charge de doyen (2). De retour à Saint‑Jacques, il fut élu prieur et chargé par les religieux en 1444 de faire lui‑même la nomination du nouvel abbé. Après avoir porté son choix sur son compatriote Arnoul Vandenberg de Diest, il résigna pour cause de vieillesse ses fonctions de prieur (3). On le trouve cité comme déchargé du priorat (4) en 1483 (5) et en 1485 (6). Avec lui vit à cette époque au monastère un autre Jean de Diest, appelé aussi Jean Blerus. Sous‑prieur en 1483 (7), il est élu prieur l'année suivante (8). On le trouve dans cette charge en 1498 (1), en 1499, en 1500, en 1451 (2) et jusqu'en 1506 (3). Il nous apparaît comme un remarquable travailleur, enrichissant la bibliothèque de plusieurs livres imprimés (4) et s'occupant lui‑même à la transcription de

manuscrits (1). Il est l'auteur de quelques ouvrages: une Histoire de l'institution de la Fête‑Dieu, écrite en 1496, des sermons et des lettres (2). On le trouve, au sujet de ses études et de questions monastiques, en relations suivies avec Pierre Borland, aussi natif de Diest, et qui, religieux de la Chartreuse de Zeelhem, composa une chronique de son ordre (3). Ii est aussi en correspondance avec Trithème, le savant abbé de Spanhau, qui lui envoie plusieurs de ses ouvrages (1). Jean Blerus est sans aucun doute différent d'un troisième personnage du nom de Jean de Diest, signalé comme simple religieux en 1493 (2). Nous lisons qu'il habita pendant deux ans et demi l'abbaye de Saint‑Hubert (3), 0ù il contribua à la réforme entreprise par l'abbé Henri de Sohan (1). Élu prieur de Saint‑Jacques en 1510 (2), il retourna cette même année au monastère ardennais où il fut aussi chargé du priorat (3). Lui aussi montra du zèle pour la bibliothèque; il nous a laissé une liste des autels de Saint‑Jacques (4).

L'abbaye se maintint dans la ferveur pendant tout le cours du XVIe siècle. Au début, sous l'abbé Jean de Coronmeuse, elle continue à fournir de fervents religieux à d'autres monastères (5). A l'autre extrémité de la même période, c'est l'abbé de Saint‑Jacques Herman Rave qui, en 1578, est désigné comme visiteur dans le diocèse de tous les monastères bénédictins; Gérard de Groesbeeck fait à cette occasion l'éloge de ses vertus et de son attachement à la discipline monastique (1). Il n'est pas douteux que l'amour des livres n'ait persisté chez les moines avec leur zèle pour la pratique des observances de la vie religieuse (2). Seulement leur intérêt se détache peu à peu des manuscrits pour se porter davantage sur les éditions imprimées qui envahissent les rayons de la bibliothèque. La majeure partie des livres imprimés qu'on trouvera au monastère à la fin du XVIIIe siècle remontent à cette époque; on y distingue aussi bon nombre d'incunables. Les moines persistent dans l'habitude d'annoter les événements de leur époque, principalement ceux qui concernent l'abbaye. L'arrivée à Liège du cardinal Pole, le 27 mai 1537, leur inspire une notice qui nous fournit cette date précise (3). Ils en consacrent une autre à la visite faite la même année à l'évêque Erard de la Marck par la régente des Pays‑Bas, Marguerite de Parme (4). Nous trouvons mentionnée comme écrite à Saint‑Jacques une chronique latine commençant en 1447 et continuée jusqu'en 1514 avec des annotations succinctes ajoutées par une autre plume sur les années suivantes (1). Dom U. Berlière a exhumé de la bibliothèque nationale de Paris (2) une histoire du monastère commençant à son origine au temps de Baldéric (3). Particulièrement étendue sur l'époque de Rutger de Bloëmendael, elle paraît écrite à la fin du XVe siècle et accrue de courtes ajoutes qui la conduisent jusqu'en 1594. Enfin, s'il faut en croire quelques écrivains, c'est à Saint‑Jacques qu'aurait reçu sa formation le moine de Saint‑Hubert Adolphe Happart, qui peut‑être aurait puisé là son goût pour les recherches historiques (4). Quoi qu'il en soit de cette assertion que nous laissons à d'autres le soin de contrôler, un autre nom mérite d'être mis en relief dans la série déjà longue des écrivains de Saint‑Jacques. C'est celui du prieur Eustache de Streax. On lui attribue un traité sur les douze degrés de l'humilité suivant la règle de saint Benoît (5); mais l'ouvrage qui fait le mieux apprécier l'étendue de son érudition est son Repertorium omnium libroruin bibliothecae hujus monasterii (1). Ce titre ne désigne pas un simple catalogue de la bibliothèque du monastère, mais plutôt un répertoire de sources, dressé par noms d'auteurs suivant l'ordre alphabétique, avec, sur chacun d'eux, une notice biographique et une liste de leurs ouvrages. L'auteur note que tous les livres qu'il renseigne n'appartiennent pas à la bibliothèque de l'abbaye. Ceux qu'elle possède, il les distingue par une annotation spéciale, à l'exception de quelques‑uns qui sont déposés à la bibliothèque particulière de l'abbé. Eustache de Streax date son inventaire du 19 mai 1589; il le dédie à ses confrères dont il énumère les noms en tête de cette dédicace (2).

Le zèle des chroniqueurs de Saint-Jacques ne fait que s'accroître durant le XVIIe siècle. Un religieux entreprend de résumer en latin l'histoire de son monastère jusqu'en 1631 (3). Un autre tient en français un Petit journal in-32 de ce qui s'est passé de plus remarquable dans l'intervalle de 1593 à 1688 (4). Un troisième chroniqueur plus important nous a laissé son nom: Gilles Gritte. Il occupe la charge de prieur et est loué par Fisen comme diligens scrutator antiquitatum illius cœnobii (1). Il débute comme écrivain dès 1628 par une traduction française du traité de Hugues de Fleury sur la profession des moines (2). Il entreprend ensuite la rédaction latine d'une chronique de son monastère depuis Olbert et ses premiers abbés avec un historique du règne de son fondateur Baldéric (3). Enfin, encore vivant en 1660, il ne recule pas devant la pensée d'écrire une chronique des évêques de Tongres et de Liège dont il pousse la composition jusqu'en 1380 (4).

Gilles Gritte avait passé une bonne partie de son existence à Saint-Jacques à côté d'un confrère, Gilles Dozin de Longdoz, signalé comme poeta non ignobilis et qui, élevé à la dignité abbatiale le 13 juin 1646, mourut après un gouvernement de quinze jours (5). Quelques années plus tard, on trouve au monastère, chargé successivement des fonctions de chantre-bibliothécaire (1669), et de sous-prieur (1679), un religieux distingué, Placide Pietkin, qui étudie soigneusement les manuscrits de la bibliothèque et entretient à leur sujet, avec Mabillon, une intéressante correspondance (1). Auteur, paraît-il, d'une histoire de son monastère (2), il a pour collègue un autre amateur de livres, Nicolas Bouxhon, destiné à remplir les fonctions de prieur, à s'élever même à la dignité, abbatiale (1695-1703), et qui, lui aussi, continue avec honneur les studieuses traditions de son monastère. Nicolas Bouxhon composa Un journal de ce qui s'est passé dans le monde et principalement dans le pays de Liège depuis le 5 juillet 1681 jusqu'au 29 octobre 1702 (3). Il dressa, après 1667, un catalogue détaillé de la bibliothèque abbatiale: Summa omnium quae in inferiori bibliotheca Sti Jacobi continentur ordine quidem alphabetico (4). Cet inventaire est dédié à René Sluse, chanoine de Saint-Lambert, un des bienfaiteurs de la bibliothèque (5)., Il ne compte pas moins de 181 feuillets. L'auteur analyse soigneusement tous les écrits renfermés dans les codices  qu'il recense. Les nombreuses annotations qu'il leur emprunte accroissent encore l'intérêt que présente son travail. Nous y avons puisé un grand nombre des renseignements qui précèdent et la plupart des notes que nous transcrivons.

Par de longs efforts dont nous avons suivi la trace depuis le XIe siècle, l'abbaye de Saint-Jacques était arrivée à posséder une bibliothèque considérable, qui faisait au XVIIIe siècle l'admiration des amateurs et des curieux. L'auteur des Délices du pays de Liege nous décrit la salle qui renfermait ces trésors: « spatieuse, quarrée, et très propre en boisages (1) ». D'après un renseignement plus précis, elle formait un carré de 36 pieds (I00 mètres carrés), s'étendant sur une superficie de presque quatre petites verges, en décomptant la place occupée par quatre piliers supportant le plafond (2). Un grand nombre de manuscrits étaient ornés de riches miniatures. On y admirait surtout deux bibles splendides, l'une en quatre, l'autre en cinq grands volumes in-folio, et un autre volume de même format contenant le récit de la ruine de Jérusalem, attribué à Hégésippe (3). Ce dernier manuscrit avait sa légende: le roi Louis XV en avait, disait-on, présenté 12,000 francs (4). Nous distinguons, parmi d'autres raretés, des manuscrits très anciens de saint Thomas et de l'Imitation de Jésus-Christ (5). Hélas! toutes ces richesses ne devaient bientôt plus recueillir que le succès de curiosité qui s'attache aux vieilleries. Nicolas Bouxhon est, en effet, à Saint-Jacques, le dernier nom qui mérite d'être cité. Dans ses vieux jours, le soigneux amateur de livres dut voir avec douleur disparaître du cour des moines dont il avait la direction les goûts intellectuels qui avaient fait l'honneur constant de leur monastère (1). Vingt ans plus tard, la décadence était profonde, et nous voyons dom Martène s'en plaindre amèrement dans une de ses lettres au baron de Crassier: « Je m'étonne, dit-il, que nos confrères de Saint-Jacques aient si peu de zèle pour les livres qui font l'unique consolation des bons religieux. Ils devroient, à l'exemple de nos Pères, rendre toutes les voyes pour acquérir la science qui leur feroit honneur et les porteroient à Dieu (2). » Les faits que nous constatons corroborent ces reproches du savant bénédictin. Les témoignages du XVIIIe siècle s'accordent pour attester que la bibliothèque de Saint-Jacques possédait peu d'ouvrages nouveaux (3). Ceux qu'on y rencontre, ce sont quelques guides pour l'étude de l'Écriture sainte, Calmet, Royaumont, Le Maître de Sacy, Carrière; quelques cours de théologie, tels que Tournely, Thomas de Charmes, Steyaert; une histoire générale de l'Église, celle de Fleuri; un Dictionnaire universel, des livres pieux ou destinés à l'initiation pratique de la conduite des âmes. Pas un seul livre de cette époque ne témoigne de la spécialisation du travail ou du goût pour les études approfondies. Les moines de Saint-Jacques sont de leur temps, le temps des encyclopédies mettant à la portée de chacun l'ensemble de toutes les connaissances auxquelles il est permis d'aspirer. Les oeuvres du passé les intéressent médiocrement. Peut-être, comme beaucoup de leurs contemporains, saluent-ils l'aurore de temps nouveaux qui apporteront au monde, avec la destruction de vieilleries démodées, la possession de jouissances inconnues. Un exemple non rare d'ailleurs de ce dédain pour un glorieux passé nous est donné par deux d'entre les derniers abbés, Nicolas Jacquet et Pierre Renotte. Le premier, en 1740, enlève les pierres tombales de son église et les remplace par un pavé de marbre noir. Le second vend ces dalles funéraires arrachées aux tombeaux de ses prédécesseurs, et le magistrat de Liège, qui en est acheteur, les emploie à la construction du pont d'Amercoeur (1). Quand de telles pensées ont pénétré dans les âmes, quelles peuvent être les destinées d'un monastère? La vie qu'on y mène n'est-elle pas aussi le relief d'un passé hors de mode? Les moines de Saint-Jacques le comprirent ainsi: ils sollicitèrent leur sécularisation et l'obtinrent le juin 1785. Trois ans plus tard, le 3 mars 1788, ils mirent en vente leur belle bibliothèque. Les cloîtres de l'ancienne abbaye, vieil asile de la prière et des études silencieuses, furent, ce jour-là et les suivants, témoins d'un navrant spectacle tous ces précieux manuscrits, péniblement copiés par des générations de travailleurs, toutes ces éditions rares, laborieusement acquises, le fruit de sept siècles de recherches et d'étude, tout cela fut en quelques jours, sous les yeux de moines inconscients, dispersé, souvent pour quelques sous, par le feu des enchères publiques, que dirigeait le sieur Bouquette, estimeur juré de la ville (1). L'inventaire de ces richesses bibliographiques avait été dressé plusieurs fois. Le chantre bibliothécaire Romain Marnette en fit le catalogue en 1743 (2). Prévoyait-on à cette date que les livres partageraient bientôt le sort des pierres tumulaires? Nous ne saurions le dire. Le catalogue dressé en vue de la vente fut l'ouvre de J.-N. Paquot (3). L'exemplaire qu'en possède l'université de Liège est enrichi d'annotations manuscrites ajoutées par un contemporain. Il note en marge tous les prix de vente, parfois le nom des acheteurs (4), et assaisonne cette longue liste de ses réflexions parfois naïves, parfois stupide, mais conformes à l'esprit du temps. En tête du dénombrement des manuscrits, on lit cette note caractéristique: « Sont pour les vrais scavants. » Encore plus éloquente est la remarque suivante, à propos du Rational de Durand: « Connu des savants, inconnu aux moinnes. » Tout ce que lui inspire le nom de Grégoire de Tours, c'est qu'il « écrivit l'histoire de France d'un style fort dure et grossier ». On est très étonné de voir appeler les Délices du pays de Liège un « ouvrage curieux et comique ». Plus exacte, sauf nuances, est cette appréciation de la Légende dorée, par Jacques de Voragine: « Cet ouvrage est rempli de piété, mais ridicule, fabuleux et puérile. » L'annotateur remarque qu'il y avait « bien des places vuides à la bibliothèque, qui, sans doute, étoient bien remplies ». « Les auteurs les plus récens, ajoute-t-il, ont été retirés. Les religieux, en se séparant, avoient partagé les ouvrages les plus sérieux entre eux, comme par exemple Vallesius, Stockman, Van Espen, Mean, Louvrex, Meranda, Sohet, Dens, Dalmaen, Bourdaloue, Massilion, Neuville, Paquot, Collet, Billuart et autres historiens. » II termine cette appréciation très personnelle par ce bouquet: « N'avoient laisé que la lie. » La lie, c'était surtout les manuscrits. Notre annotateur remarque qu' « on avoit laisé tous les manuscripts, sinon deux ou trois qu'on a retiré à la vente; on les lisoit avec peine, ajoute-t-il, surtout les vieux ». D'après ce que nous apprenons, le prix de la vente atteignit au total 6,887 florins 15 sous Brabant-Liege, et nous calculons que les manuscrits y comptèrent pour environ 3,'160 florins. Les enchères les plus élevées furent atteintes par les deux bibles manuscrites que nous avons mentionnées; l'une monta à 200, l'autre à 285 florins. Le fameux Hégésippe, poussé jusque 400 florins, fut retenu par les chanoines, anciens religieux. Tous les ouvrages de saint Thomas, qu'on croyait en partie autographes, ne s'élevèrent pas, réunis, à la somme de 30 florins. Le manuscrit de Durand, qu'on regardait comme très rare, fut vendu 73 florins. Le manuscrit des Morales de saint Grégoire, fort vanté par Saumery, fut adjugé pour 15 florins; on y avait joint le numéro précédent, contenant un autre texte du même écrit, avec les Annales de Saint-Jacques, qui furent ainsi données par surcroît. Les anciens moines eurent la décence de retenir l'Obituaire de leur monastère, peut-être à cause du besoin qu'ils en avaient pour connaître les anniversaires à décharger; mais ils abandonnèrent pour florins 3 sous le manuscrit original des deux Chroniques de Lambert le Petit et de son continuateur Renier. On vendit pour 4 florins les deux exemplaires du célèbre Ordinarius renfermant les coutumes de l'abbaye, recueil ancien et précieux que jadis les moines emportaient avec eux quand ils partaient travailler à la réforme d'autres monastères (1). Quant aux livres imprimés, l'Histoire romaine de Tite-Live, édition de Venise, 1470, fut poussée jusqu'à 400 florins et ne fut pas vendue. Après cela, le plus haut prix fut atteint par la Bible polyglotte éditée chez Plantin, 1569-1572, adjugée à 165 florins. L'exemplaire des Délices du pays de Liége fut acheté pour 47 florins; l'annotateur trouve ce prix fort élevé. Hemricourt fut vendu 20 florins, et Loyens, avec sa continuation, 15 florins. L'Histoire ecclésiastique de Fleuri atteignit 81 florins, et le Dictionnaire universel du P. Richard 86 florins. G.-F. Laruelle, chanoine de Saint Barthélemy, professeur au grand séminaire, acheta pour 150 florins les oeuvres d'Aristote, édition de Venise, 1476. On est heureux de rencontrer en lui un homme d'études qui a conservé le goût des livres. Outre des ouvrages imprimés, sans doute plus nombreux, il acquit à la vente de Saint-Jacques plus de cent cinquante manuscrits, pour une somme de plus de 600 florins. Il paraît avoir une préférence pour ceux qui sont écrits sur velin; ce sont surtout ceux-là que nous retrouvons dans sa bibliothèque, dont on fit la vente à Liège le 18 février 1805 et les jours suivants (1). Les catalogues nous montrent que ses contemporains n'estimaient guère parmi les manuscrits que ceux dont la lecture leur paraissait facile. « Aisé à lire » est la note habituelle qui les recommande à l'attention des acheteurs.

Il serait intéressant d'examiner quels furent aux diverses époques les ouvrages particulièrement recherchés par les moines de Saint-Jacques. Il y aurait lieu d'instituer à ce point de vue une étude comparative des catalogues de nos anciennes bibliothèques monastiques. On y retrouverait naturellement en premier lieu, comme à Saint-Jacques, les grandes oeuvres de la patrologie, spécialement celles des pères de l'Église latine: saint Augustin, saint Ambroise, saint Jérôme, saint Grégoire. Au premier rang des écrivains du moyen âge, parmi d'innombrables commentateurs des livres saints, brillent en particulier Bède le Vénérable et surtout Isidore de Seville, qui résume dans sa grande encyclopédie des Etymologiae toutes les connaissances léguées par l'antiquité. Au XIIle siècle, l'intérêt des moines se porte avec une ardeur marquée vers les études philosophiques, et les rayons de la bibliothèque se garnissent des oeuvres les plus importantes de la philosophie scolastique: à côté d'Aristote rayonnent Pierre Lombard, Albert le Grand, saint Thomas d'Aquin, saint Bonaventure, Alexandre de Halès et une foule de commentateurs du Maître des sentences. Au XIVe siècle, les oeuvres du chancelier Gerson semblent fort estimées. Dans la théologie morale domine, ici comme ailleurs, la fameuse Somme des cas de conscience de Raimond de Pennafort. Fidèlement appliqués aux devoirs de la piété, les religieux tiennent spécialement en honneur les écrits destinés à lui fournir un aliment: sermons, commentaires de la règle, livres ascétiques. Les oeuvres de saint Bernard, de Hugues et de Richard de Saint-Victor, de Denis le Chartreux occupent la première place dans l'ordre de leurs préférences, avec un grand nombre d'ouvrages composés par des religieux d'ordres mendiants, frères mineurs ou dominicains. Sans compter les oeuvres de Cassien et le Diadema monachorum de Smaragde, inévitablement présent dans toutes les bibliothèques, ils paraissent entourer d'une particulière estime un écrit intitulé l'Horloge de la sagesse, et quelques autres portant le titre de Miroirs, fort usité au moyen âge: Speculum monachorum, Speculum Ecclesiae, Speculum peccalorum. Leur piété est d'ailleurs éclairée, et, dès son apparition, ils distinguent le mérite supérieur qui place hors de pair un livre resté le chef-d'oeuvre de la spiritualité: l'Imitation de Jésus-Christ. Aussi soigneux de conserver la santé du corps que de fortifier la vigueur des âmes, les moines de Saint-Jacques enrichissent leur bibliothèque - c'est un caractère tout particulier de celle-ci - d'une quantité vraiment extraordinaire de livres de médecine et même d'anatomie (1), dont l'imprimerie développe encore le nombre (2). Pour l'étude du droit, ils possèdent plusieurs commentaires des Décrétales. C'est sans doute le mouvement de la Renaissance qui suscite chez eux le goût des auteurs classiques. Ils ne paraissent, jusque-là, s'être guère intéressés qu'à quelques traités moraux de Cicéron, De amicitia, De senectute (3), et s'être contentés pour le reste d'un certain nombre d'extraits de Virgile (4) et d'Horace (5), avec peut-être déjà les principales oeuvres d'Ovide, même enrichies de commentaires (6). Il faut attendre l'invention de l'imprimerie pour voir paraître sur les rayons de leur bibliothèque les oeuvres à peu près complètes de ces écrivains de l'époque classique (7). De tout temps Sénèque, par ses écrits philosophiques, jouit chez eux d'une préférence marquée (8). Ils ne paraissent pas avoir connu le grec, et ils lisent l'Iliade dans une traduction latine (9). Plus tard, cependant, Bouxhon transcrit des caractères grecs (10) et un dictionnaire grec figure dans son catalogue (11). Sans être particulièrement riche pour l'étude de l'histoire, la bibliothèque renferme les oeuvres historiques les plus notables du moyen âge: Eusèbe, Orose, Grégoire de Tours, avec le Speculum historiale de Vincent de Beauvais et plusieurs ouvrages d'histoire monastique. L'imprimerie y joint les historiens de l'antiquité, tels que Tite-Live, Justin, Suétone et les écrivains d'histoire liégeoise, Fisen, Chapeaville, Foullon (1). On s'aperçoit que le mouvement intellectuel s'arrête pour le monastère dans le dernier quart du XVIIe siècle, car rien n'y révèle la présence des grands recueils émanés de la science bénédictine de cette époque. Jusque-là, les religieux ne se désintéressent d'aucune branche de la science: la géométrie (2), l'arithmétique 3) et la musique (4), l'astronomie (5), l'alchimie (6), la botanique (7), toutes les sciences du temps ont leurs représentants parmi les auteurs dont les livres garnissent la bibliothèque abbatiale.

Nous n'entreprendrons pas de rechercher où sont dispersés aujourd'hui les manuscrits qui composaient une bonne partie de la bibliothèque de Saint‑Jacques. Notre Bibliothèque royale en a recueilli une quinzaine (8). On en conserve quatre à l'université de Liège (1); deux à l'université de Louvain (2), et trois au Musée Plantin, à Anvers (1). On en signale d'autres. à la bibliothèque nationale de Paris (2), au British Museum de Londres à la bibliothèque de la ville de Cherbourg (2), à la bibliothèque grand'ducale de Darmstadt (3), dans une collection particulière à Cologne (1). Nous en connaissons quelques‑uns à Berlin (2), à Turin (3), à Leyde (4), à Erfurt (5) et ailleurs (6). Le catalogue de vente de la bibliothèque de M. Fr. Vergauwen, du 11 mars 1884, en signalait un bon nombre (1). D'autres étaient marqués au catalogue de la vente des livres appartenant aux comtes de Furstenberg, annoncée à Cologne pour le 22 avril 1895 (2). Les enchères n'eurent pas lieu, mais Mgr Schoolmeesters, alors doyen de Saint‑Jacques, profita de l'exposition des manuscrits pendant les jours qui précédèrent la date fixée pour y prendre des notes qu'il a eu la bienveillance de nous communiquer.

Nous terminerons par l'évaluation du nombre de volumes que renfermait à la fin du XVIIIe siècle la bibliothèque de Saint‑Jacques. On a pu remarquer que le Catalogue dressé par Bouxhon ne contenait que l'inventaire de la bibliothèque inférieure. Celle‑ci renfermait tous les manuscrits avec les éditions les plus anciennes. Dans une autre salle étaient sans doute déposées les oeuvres d'un usage plus habituel. Le Catalogue Bouxhon nous renseigne 548 manuscrits, tandis qu'on n'en compte pas plus de 552, dans le Catalogue de 1788, avec, en outre, 31 manuscrits retrouvés plus tard, soit au total 583 manuscrits. D'autre part, tandis que le Catalogue Bouxhon ne porte que 605 volumes imprimés, on en trouve, en 1788, jusque 1331, plus 40 découverts après, soit en tout 1371 volumes. Il faut, en outre, tenir compte des ouvrages retenus par les chanoines. D'après l'annotation du Catalogue de 1788, « si on avoit laisé tous les ouvrages comme ils étoient l'an 1780, la vente auroit peut être surpassé 45,000 florins Brabant-Liege ». Il y a dans ce calcul une évidente exagération, et nous croyons pouvoir conclure des données précédentes que la bibliothèque de l'ancien monastère ne renfermait guère au delà de 2000 volumes. Il est vrai que plusieurs codices contenaient un grand nombre d'écrits. Cependant, eu égard au développement de la librairie à notre époque, on trouvera assez restreinte la quantité d'ouvrages rassemblés par les moines; mais il faut se souvenir que le développement de la bibliothèque abbatiale s'arrête au seuil du XVIIIe siècle, au moment où les livres s'imprimèrent en plus grande abondance. De plus, un certain nombre de manuscrits avaient disparu. Les uns avaient été vendus ou donnés en échange. Il est probable qu'on en échangea plusieurs contre des livres imprimés (1). D'autres avaient été enlevés. Déjà au XVIIe siècle, Bouxhon mentionne fréquemment la disparition de parties notables des manuscrits qu'il recense. En plusieurs occasions, il attribue ces soustractions à des manoeuvres peu délicates (2). Quoi qu'il en soit, on mit plus de six siècles à rassembler ces deux milliers de volumes; treize jours suffirent à les disperser. Le soir du mardi 18 mars 1788, les portes se refermèrent sur les murs désolés du monastère: les moines étaient partis, les livres étaient enlevés. Ainsi finit une bibliothèque; ainsi s'écroule un glorieux passé.

NOTAE.

 

I. - BIBLIOTHÈQUE DE SAINT-JACQUES, FONDÉE PAR OLBERT.

Catalogue Bouxhon, G 4: Sermons du pape saint Léon et écrits de saint Augustin. Cf. Catalogue de 1788, p. 57, n° 134; Catalogue Laruelle, p. 248, n° 27.

 

Notandum vero quod in duobus primis foliis ex oblivione intermissis contineantur et referantur aliqua miradula de V. Sacramento corporis et sanguinis Domini, et in secundo istorum foliorum haec annotantur: Plenaria Sancti Jacobi bibliotheca (1) a D. abbate Olberto composita, etc., et post talem indicem sequitur aliquis sermo incompletus de Epiphania.

 

II. - RÉFORME DE MONASTÈRES PAR DES MOINES DE SAINT-JACQUES (2).

 

Catalogue Bouxhon, C 3. Cf. Catalogue de 1788, p. 136, n° 402.

 

Hostiensis super 3m, 4m et 5m Decretalium. In fine, scilicet in ultima columna, habentur quaedarn curiosa scilicet quomodo anno 1419 fuerit capta civitas Rotomagensis a rege Angliae in qua fame e medio sublata erant plus quam 50 millia hominum factaeque sunt eodem anno treuge inter utrumque regem. Item ibidem quoque annotatur quod hoc anno (1) scilicet 1419 civitas Buscoducensis ultra medietatem conflagravit. Item quomodo fuerint vocati aliqui e nostris ab archiepiscopo Trevirensi ad reformandum monasterium Sancti Mathiae, tempore D. Reneri de Sancta Margareta, abbatis Sancti Jacobi (2), qui etiam anno 1420 novum chorum in hoc monasterio inchoavit (3).

 

Catalogue Bouxhon, E 4 Mélanges. Cf. Catalogue de 1788, p. 152, n° 466.

 

Anno 1439 (4) missi fuerunt fratres hujus loci ad reformationem monasterii Gemblacensis, ad instantiam. ducis Burgundie, abbatis scilicet et conventus ejusdem loci. Cum autem per tempus conversati essent cum monachis Gemblacensibus, compulsi malis corum moribus recesserunt ad ducem, exponentes omnia et quod contempsissent quam nollent reformationem. Tunc dux ad instantiam abbatis predicti loci una cum fratribus Sancti Jacobi misit armatos multos et solemniter reformavit locum illum et posuit ad correctionem multos (1)

Eodem anno D. Henricus de Merode postulatus Stabulensis fecit solemniter professionem suam in monasterio nostro, 17a maii in presentia Rutgeri abbatis, et codem anno recepit munus benedictionis in monasterio nostro, 21a maii, existentibus ibidem venerabilibus viris secularibus et illustribus, prout fuit comes de Salme et Henricus de Groswelt, dominus de Hufalise, dominus de Rensberg et multis militibus (2). Acta fuerunt de commissione sancti Pontificis ex quo non erat monachus, sed erat postulatus in abbatem cum adhuc esset canonicus Aquensis, et propterea commisit se D. N. canonicis Leodiensibus, ut eun mitterent ad unum monasterium reformatum ad discendam vitam monasticam, et missus fuit ad nos, cumque esset in monasterio nostro, multum sollicitus fuit interrogare omnia monachelia et diligens in divinis, dormiens in dormitorio concidensque in refectorio. Item eodem anno missi erant fratres aliqui hujus monastenii ad monasterium Stabulense pro reformatione (3).

Item (4) anno sequenti, scilicet 1440, venit D. abbas Sancti Pauli Ultrajectensis ad monasterium nostrum, postulans sibi mitti duos ex nostris pro reformatione sui monasterii, quod et factum fuit expensis quidem predicti abbatis.

 

III. - ÉPIDÉMIE DE 1483.

Catalogue Bouxhon, G 10: A la suite d'un livre imprimé: Sermones Socci de tempore estivale.

 

Item notatur in fine quod anno Domini 1483 obyerit venerandus in Christo D. Arnoldus Vanderberet Diesten, abbas hujus loci postquam novem pene annis utiliter praefuisset. Obierunt et eodem anno N. Nicolaus Liverlo prior, Nicolaus Sordel quondam devotus novitiorum magister, Godescalcus Rosmont carne nobilis, musicus insignis, scriptor egregius, cantorque ecclesiae, Joannes de Lovanio diaconus, Adulphus de Lovanio presbiter, Gregorius de Milen dispensator, Arnoldus de Waremia, Engelbertus vestiarius, Nicolaus de Trajecto senior domus.

 

IV. - LISTE DES AUTELS DE SAINT-JACQUES, DRESSÉE PAR JEAN DE DIEST EN 1493.

Catalogue Bouxhon, E 57. Cf. Catalogue de 1788, p. 127, n° 379: PETRARQUE, De remediis utriusque fortunae; Tractatus de Conceptione B. M.; Sermons, etc. (1).

Altare majus in honorem B. apostolorum Jacobi minoris et Andree.

Altare retro majus altare in hon. B. Joannis Baptiste.

Altare capituli in honorem B. Andree, Jacobi majoris, Bartholomei et omnium apostolorum et evangelistarum.

Altare juxta cryptam (1) latere sinistro in honorem S. Stephani, B. Nicolai, Remigii episcoporum et B. Vincentii levite et martyris.

Altare sequens versus civitatem in honorem S. Lamberti, Dionysii, Clementis, Theodardi et S. Elisabeth vidue.

Altare capelle abbati in honorem B. Marie et Joannis evangeliste.

Altare adherens choro in latere sinistro in honorem S. Marie Magdalene et S. Gertrudis.

Altare capelle capellanorum in honorem omnium apostolorum et precipue S. Andree.

Altare sub turri in honorem B. Marie et apostolorum Petri et Pauli.

Altare ante chorum a latere sinistro in honorem S. Crucis,

Transfigurationis Domini et S. Laurentii martyris.

Altare ante chorum a latere dextro in honorem 4 Doctorum

Altare adherens choro in latere dexiro in honorem Venerabilis Eucharistie Sacramenti et Johannis Baptiste.

Altare juxta cryptam a latere dextro in honorem S. Fabiani et Sebastiani et S Catharine, Barbare, Cecilie, Lucie, Basilisse, Agathe, Agnetis.

Altare juxta dormitorium in honorem S. Benedicti et sororis Scolastice, Mauri, Leonis, Antonii, Egidii, Martini.

Altare capituli in honorem S. Servatii et Antonii, consecratum anno 1503 in festo S. Stephani.

Altare in infirmitorio in honorem Johannis Baptiste, Job. Sebastiani et Anthonii, consecratum 1504 in festo Felicitatis et Perpetue.

Catalogue Bouxhon, L 66 (3).

Missale Leodiensis ecclesiae, emptum a monasterio nostro 1504 pro altari capitulari, quod est consecratum per Libertum Beritensem episcopum in festo sancti Stephani in honorem Sanctorum Servatii et Antonii. Idem episcopus benedixit etiam imaginem B. Mariae ante capitulum. Idem semper consecravit altare infirmariae in honorem Sanctorum Joannis Baptistae, Joannis Evangelistae, Sancti Sebastiani, Sancti Job, Sancti Antonii, Sancti Lazari, volensque ut in dominica Letare in quadragesima dies dedicationis ejus semper celebraretur. Consecravit etiam idem Praesul atrium capituli in poliandrum, hoc est in fidelium sepuituram. Praefatus Praesul obiit quarto die septembris 1506 (4).

Item notatur quod, cripta repleta aquis, tunc omnes ceremoniae quae solent fieri in cripta debeant fieri in capitulo; sic enim factum fuisse anno 1506 quando, per diluvium aqua replente criptam, fuerunt candelae in festo Purificationis benedictae per D. Servatium abbatem in capitulo, et dominicis diebus fiebat procesio de choro ad capitulum. Notatur insuper quando debeat in eodem capitulo poni velum ante fenestras, sicut ex fine missalis constat quo anno et per quem illud emptum fuerit.

 

V. - ARRIVÉE A LIEGE DU CARDINAL POLE, 1537.

Catalogue Bouxhon, I 121: De vita et moribus philosophorum; Opera Joannis Walensis scripta per Cornelium Zantfliet, etc.

Item fol. 137 refertur... quemadmodum anno 1537 in ipso die sanctissimae Trinitatis (1) venerit ab urbe Leodium cardinalis et legatus a latere Summi Pontificis Pauli tertii, etc., et hic semel interfuit vesperis in monasterio nostro Sancti Jacobi, etc.

 

VI. VISITE A LIEGE DE MARGUERITE DE PARME, 1537.

Catalogue Bouxhon, I 121, suprac.

item postea sed eodem anno 1537, venit ex Brabantia soror Caroli 5 imper. et regis Hispanorum quondam, et ipsa uxor regis Hungariae, ipsaque ex navi descendens monasterium intravit interfuitque vesperis decantatis per cantores ejusdem suae Majestatis, organis quoque respondentibus et abbate pontificalibus induto incipiente Deus in adjutorium, quamvis ibidem interessent plurimi episcopi et inter illos noster. Auditis vesperis, fuit deducta per Erardum de Marcha episcopum nostrum ad palatium recenter edificatum, ubi quatuor diebus permansit,

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