WWWCHOKIER



Les eaux de Chaudfontaine

QUELQUES HEURES A CHAUDFONTAINE

par Léon DESHAGERS, 1871

A deux lieues, vers le sud de Liége, la Vesdre court entre deux coteaux boisés. Ce coin retiré est tranquille; l'air y est pur, sain. Le soleil égaie cette nature sereine.

C'est au fond de ce nid riant et paisible que s'étend coquettement Chaudfontaine, charmant village aux blanches maisons.

L'origine de Chaudfontaine remonte à une haute antiquité. Toutefois, les documents historiques font à peu près défaut.

Le nom du hameau de Chaueteaul fontaine est mentionné pour la première fois dans une charte octroyée en l'an 1250, à l'Abbesse de Robermont, concernant une acquisition de terre (1).

Plus tard, en 1339, un bourgeois de Liége lègue, par testament, une somme de quarante sols à l'Hôpital Saint-Julien de Chozfontaine (2).

A partir de cette époque, Chaudfontaine et ses sources thermales tombèrent dans un profond oubli. C'était un lieu aride, inculte, couvert de fougères et de broussailles, hanté par des bûcherons et des bergers. Aucune voie de communication ne traversait cette partie désolée de la contrée.

Vers l'année 1676, un certain Simon Sauveur conçut l'idée d'utiliser les sources de Chaudfontaine. Il construisit un misérable abri en argile où, moyennant une légère rétribution, les forgerons et les charbonniers des environs venaient prendre des bains. Le bruit de plusieurs guérisons s'étant répandu dans le pays, un grand nombre d'étrangers accoururent demander à ces eaux le rétablissement de leur santé débile.

L'abri devint une maisonnette en planches assez spacieuse, renfermant plusieurs bains alimentés par une pompe aspirante. Les baigneurs habitaient la demeure du propriétaire et les forges du voisinage.

En 1711, on découvrit la fontaine de Gadot. Deux ans après, on bâtit l'Hôtel des Bains, qui existe encore aujourd'hui.

Une polémique acerbe s'éleva bientôt entre différents médecins de Liége, sur les propriétés salutaires de la nouvelle fontaine. Le docteur Bresmal publia en 1714 une brochure, pour défendre la vertu des eaux de Chaudfontaine contre les allégations du docteur Xhrouet, qui en niait les qualités médicales (3).

Depuis lors Chaudfontaine jouit d'une haute réputation. Chaque année, en été, une foule cosmopolite vient animer ce lieu solitaire, et faire usage de ses sources bienfaisantes.

L'eau des Thermes est limpide, inodore, sans saveur. Sa température est de 32° centigrades. Elle contient du carbonate de chaux, ainsi que des traces de sels de magnésie et de soude. On l'utilise parfois comme boisson calmante.

L'Hôtel des Bains est un bâtiment vaste et régulier, en briques badigeonnées. L'aile gauche renferme trente cabinets de bains fort proprement tenus.

Tout en face de l'hôtel, sur la rive droite de la Vesdre, s'élève depuis 1860, au milieu d'un parc, le Kursaal. Cet établissement comprend un restaurant et une salle de bal.

Les dimanches et les jeudis de la belle saison, un orchestre nombreux y donne des concerts. Le soir on y danse au piano.

Le Kursaal est le rendez-vous des sociétés liégeoises et étrangères. C'est assez dire qu'on y retrouve toutes les intrigues, toutes les petites comédies, qui ont été ébauchées un peu partout pendant l'hiver.

Aussi beaucoup de personnes n'assistent point à ces réunions de convention.

Du reste, les promenades des alentours sont très attrayantes.

Derrière les Thermes, se dresse une montagne à pic, couverte de chênes et de mélèzes.

C'est la Ninane.

Dans son flanc rocailleux et tapissé de mousse, on remarque une terrasse avec frontispice en pierres, et des bassins évasés, dans lesquels jaillissent trois jets d'une eau cristalline.

Cet endroit rustique, tout plein de fraîcheur, peu éloigné de la route et des habitations, est un délicieux réduit.

Les arbres de la montagne sont si drus, si serrés, qu'ils laissent à peine entrevoir les sentiers tortueux et ondulés, qui rampent en serpentant jusqu'au sommet. Ce dôme de verdure éclatante est si compact, qu'il ne permet pas d'apercevoir la moindre échappée du ciel. Quelques bancs de bois tressés, recouverts de feuillage, permettent aux promeneurs de prendre du repos, tout en admirant les sites pittoresques qui s'offrent aux regards.

Du haut de la Ninane, on domine le vallon de Chaudfontaine. Le coup d'œil est ravissant.

En bas, la Vesdre, scintillant comme une ceinture de pierreries, se déroule le long des jardins émaillés de fleurs du Kursaal. En face, à droite, à gauche, des collines boisées montent jusqu'à l'horizon, et vont se perdre dans un vaporeux lointain.

En respirant l'atmosphère vivace et parfumée des montagnes, les yeux fixés sur les cîmes dorées par le soleil couchant, on éprouve un mélange de délicieuses rêveries et de volupté. Tout s'oublie. On resterait là une journée entière, absorbé dans une sensation unique: la contemplation de cette sérénité.

Tout à coup, la musique étouffée d'une valse, résonnant tantôt dans l'éloignement et tantôt se rapprochant avec des explosions soudaines, de folâtres éclats de rire, des paroles sans suite, montent vers les hauteurs. Elles viennent vous rappeler que vous n'êtes pas seul sur la terre.

A cette solitude, murmurez -vous, d'autres préfèrent les bruits et les joies factices du monde. Vous reprenez votre canne, votre chapeau, et vous descendez, en maugréant contre les importuns qui ont dérangé le cours de vos méditations et de vos pensées. Il semble alors qu'une voix crie à vos oreilles: « Reprends ta chaîne, et continue ton rôle dans ce grand drame qui a nom la Vie! »

Victor Hugo, depuis nombre d'années, venait habiter Chaudfontaine pendant la saison d'été. L’illustre auteur de Ruy-Blas, des Misérables, et de tant d'œuvres de génie, paraissait éprouver un singulier plaisir à passer quelques semaines au milieu de cette douce nature. Il y vivait simplement, entouré de sa famille. Que de pages admirables ont du être inspirées et écrites à l'aspect de cette charmante et poétique vallée!


(1) Voici un extrait de la charte d'octroi: Propterea concessimus eidem conuentui pro remedio animae nostrae et... dictus conuentus loco nemoris potest tantumdem accipere per ministrales nostros, qui de terra nostra Jupilla sunt de campis sitis inter dictam foneam et fontem, qui estin nemori, qui dicitur CHAUETEAULFONTAINE. (Manifeste des droits de la Révérende Abbesse de Robermont et le Révérend Prieur des Chartreux et leurs Couvents, - Touchant la dispute leurs faite par les Mangons de la Cité de Liége en 1632 et 1633.)

(2) Saint-Julien était le patron des voyageurs.

(3) Défense des eaux minérales de la Fontaine de Gadot, située dans le vallon de Chaudfontaine, par Bresmal, docteur en médecine. – Liége, 1714.

PLAN DU SITE