Ce vers fait, si je ne me trompe, pour Bagnère de Bigorre, au pied des Pyrénées, est parfaitement applicable à Chaudfontaine qui plus d'une fois aussi excita la verve de nos poëtes bucoliques:
Le jeune amant chérit ton vallon toujours frais,
Un charme tout puissant m'y ramène sans cesse:
disait le bon M. Comhaire (1) et, puisque ce souvenir nous est revenu en débutant, qu'on nous permette de transcrire ici quelques-uns des vers de cette gracieuse Idylle. On n'y trouvera point d'idées neuves; mais de douces images sur lesquelles il faut bien permettre au poëte de revenir aussi souvent qu'il s'y sent porté, pourvu qu'il nous y ramène avec lui sans effort:
Tes bains purs que pénètre une douce chaleur,
Au corps qu'ils ont reçu donnent plus de souplesse,
Augmentent la santé de l'homme dans sa fleur,
Et soulagent les maux qu'endure sa vieillesse.
La beauté près du bain découvre ses appas;
Rougissant de pudeur elle devient plus belle,
Sauve ses doux trésors, son modeste embarras
Dans l'onde, qui lui prête une grâce nouvelle.
Ainsi la jeune rose, emblème de candeur,
Brille sous la rosée au lever de l'aurore;
Elle voudrait cacher ses charmes, sa rougeur,
Et d'un plus tendre éclat son beau sein se colore.
Que j'aime à voir ici, près des flots argentins,
Des saules que le vent force à courber la tète,
Tandis que vers les cieux de tranquilles sapins
S'élèvent fièrement sans craindre la tempête.
Sur les rocs mille fleurs réjouissent mes yeux.
A l'ombre des buissons éclot la digitale;
Elle aime à déployer dans ses traits gracieux
De la fille du jour la couleur virginale.
Un rapide moulin, qui tourne sur ces eaux,
Brise, fait rejaillir la vague turbulente,
Lève auprès d'un brasier d'impétueux marteaux,
Qui battent du métal la masse étincelante.
Chaudfontaine chéri, dans tes bocages verts,
Où prolongent leurs cours des sources gazouillantes,
Le poëte conçoit de plus aimables vers,
L'élève de Jussieu trouve d'utiles plantes.
Sur tes monts où l'on voit le savant observer
Le jeune homme enchanté se livre à la folie;
Dans ton parc l'innocence aime à venir rêver,
Au milieu des douceurs de la mélancolie.
Ah! puisses-tu longtemps, au gré de mon désir
De tes nombreux taillis garder l'ombre légère!
Le demi-jour est fait pour le plaisir
Il enhardit les pas de la bergère.
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Voilà ce qu'était Chaudfontaine en 1824. Dirons-nous avec les humoristes, qu'il a beaucoup perdu. Parce que plusieurs hôtels commodes y ont été élevés depuis lors, parce que les Grands Bains ont reçu un développement qui les rend infiniment plus commodes qu'auparavant, parce qu'un premier pont jeté sur la Vesdre en face des Bains, permet au promeneur d'aller directement rechercher les cimes boisées de Chèvremont et des environs; parce qu'une église neuve d'une architecture quelque peu bâtarde, mais d'un effet très-pittoresque, a été construite dans la vallée; parce que d'autres ponts de construction merveilleuse précédés et suivis de tunnels qui servent d'encadrements aux plus ravissants paysages, y ont introduit le rapide rail-way et rapproché ainsi Chaudfontaine des principales villes de la Belgique; irons-nous regretter le temps où l'on ne pouvait s'y rendre de Liége qu'à pied ou à cheval, et, le dimanche seulement, en barque, à la condition de partir de très-bon matin pour avoir le temps de prendre un bain avant le diner. Mon Dieu! je me flatte d'aimer autant qu'homme du monde les sites agrestes et les beautés naturelles. Mais, de bonne foi, les merveilles de l'art jetées au milieu de cette belle vallée de la Vesdre, en ont-elles réellement gâté aucune partie?
Et si vous aimez la solitude, est-il un lieu où vous puissiez vous la procurer à moindres frais? Le rail-way aurait beau y apporter tous les jours des flots de baigneurs; avec un tant soit peu de courage, à droite ou gauche, en face ou derrière les Bains, du côté de Ninâne et de Tilff, ou vers Chevremont, ou vers la Rochette, avancez seulement pendant une demi-heure; osez gravir ces rapides sentiers qui vous conduisent tous à des points de vue délicieux: faites mieux, ne craignez pas de vous en frayer des nouveaux: il n'y a là ni serpents ni bêtes fauves à redouter (2), et je vous promets que partout vous trouverez à quelques pas les solitudes les plus variées et, selon l'heure que vous choisirez, les plus mélancoliques ou les plus riantes.
Mais qu'était jadis Chaudfontaine. Voyons si quelque document sûr nous en révélera l'existence primitive?
« Depuis plusieurs siècles, disait dès le commencement du siècle dernier un écrivain liégeois (3), Chaudfontaine est connu et son nom seul manifeste assez son ancienneté.» Le rédacteur du texte des Délices du pays de Liége, Saumery, dit aussi que le hameau de Chaudfontaine existe depuis des siècles; mais est-il vrai, comme le pense le baron de Villenfagne que les eaux thermales de Chaudfontaine eussent acquis de la célébrité au XIVe siècle pour la perdre ensuite au point d'être tout à fait oubliées au XVIe, de telle sorte qu'André Baccio, savant médecin qui fit des recherches si exactes concernant les eaux thermales répandues sur la surface du globe, ne nomme même pas Chaudfontaine, dans son ouvrage publié en 1571 (4)?
Le plus ancien monument connu du baron de Villenfagne où il soit fait mention de Chaudfontaine est une chartre d'un évêque de Verdun de l'an 1250, où on l'appelle Chauve-t-eau-Fontaine, mais il ne parait pas qu'on en fit alors un usage particulier. Villenfagne cite, après cela, un testament de 1339, rapporté par le P. Martène (dans l'Amplissima collectio, tom .4). Le pieux testateur, entr'autres legs faits à divers hôpitaux de notre pays, laisse 40 sous à l'hospitalde St.-Julien à Choz-Fontaine. Mais de ce qu'il y avait un hospice dans cette vallée sauvage, s'ensuit-il qu'on y connût es eaux thermales, ni surtout qu'elles fussent fréquentées?
La configuration actuelle de la vallée suffirait, si nous ne le savions positivement, pour nous faire penser que primitivement la rivière torrentueuse a dû se creuser un lit fort inégal et dont les bords devaient être d'un accès très-difficile. En supposant que les sources d'eau chaude jaillissent déjà lorsque le terrain d'alluvion qui recouvre le fond du vallon se forma, il est bien probable que ces alluvions mêmes durent les comprimer, les déplacer peut-être et tout au moins, altérer ces eaux très-près de leur source, en les forçant à se frayer de nouveaux passages dans le voisinage d'un cours d'eau vive, et au milieu d'une contrée sauvage et entièrement recouverte de bois. Une autre cause connue fut nécessairement un puissant obstacle à l'établissement d'un centre de population aux lieux où est aujourd'hui Chaud-fontaine c'est la terreur qui ne pesa que trop longtemps sur ce vallon, d'après les récits de tous nos chroniqueurs: aux Xe et XIe siècles, le fameux château de Chèvremont suffisait à lui seul pour comprimer tout désir de fréquenter cette délicieuse partie de la vallée ou même d'habiter dans son voisinage immédiat. Le puissant châtelain était à son donjon comme le vautour sur sa roche, guêtant sa proie; malheur au simple voyageur qui se hasardait dans ce profond et étroit défilé où aboutissaient quelques sentiers tortueux déjà dangereux par eux-mêmes.
Jusqu'alors il n'y eut sans doute ni village ni établissement thermal à Chaudfontaine. Mais, avec Notger naît et se développe, dans tout le pays, un ordre de choses tout nouveau. Le terrible maître de la citadelle de Chèvremont et celle-ci même disparurent. Les échos de la vallée n'eurent plus à répéter les sauvages signaux de rapine ni les cris de détresse des victimes que l'on malmenait. La sécurité des habitants les plus voisins les enhardit à se rapprocher de la rivière; des forges et des usines s'établirent sur le cours de la Vesdre; les défrichements, les assèchements de la contrée s'opérèrent et s'étendirent autant que le régime féodal le permit, et aux lieux où s'était trouvée une chaude-fontaine, s'éleva un hameau qui tira son nom de cet accident naturel, mais sans que rien nous autorise à croire qu'on songeât à en tirer aucun parti. Le silence d'André Baccio dans ses Recherches sur les eaux minérales, joint à l'absence de tout document antérieur au XVIIe siècle, nous porte à croire que l'établissement thermal ne peut pas être reporté à une époque antérieure. Nous en viendrons donc tout de suite à ce que nous apprend Bresmael dans son Parallèle des eaux actuellement chaudes, etc.
« Anciennement ces eaux ne furent connues que par une quantité de petites sources qui coulaient sur le bord de la rivière de Weste et qui ne paraissaient pas assez abondantes pour en faire un grand usage; cependant, en 1676, Simon Sauveur obtint du major de Chaudfontaine, son beau-frère, la permission de faire ériger dans son fonds un petit bâtiment avec quelques bains, à l'endroit où se trouvait une de ces sources. Quelques gens des environs commencèrent à s'en servir avec beaucoup d'avantage pour la santé; ce qui ayant procuré à ces bains quelque crédit dans le monde, plusieurs malades des villes voisines en voulurent faire l'expérience, et cela eut un succès si merveilleux, que, peu d'années après, on vit aborder de toutes parts plusieurs personnes des plus distinguées, qui venaient en foule pour y trouver leur guérison. » Cependant, notre auteur dit, plus loin, que « Simon Sauveur n'avait construit qu'une petite hutte en argille, où l'on avait fabriqué deux ou trois petits bains malpropres, qui recevaient l'eau à l'aide d'une petite pompe (5). Pour lors les étrangers étaient obligés de se loger dans la maison du propriétaire du lieu, qui est un gros bâtiment antique peu éloigné de la source, ou dans les forges voisines... »
Tel fut Chaudfontaine de 1676 à 1713 et il est assez curieux de nous rendre compte de ce qui arrêta les progrès qui semblaient réservés à ce nouvel établissement thermal. Comme Simon Sauveur s'était bien trouvé de sa petite entreprise, qui ne reposait que sur la permission accordée par son beau-frère le major de Chaudfontaine; craignant qu'elle ne vint à lui échapper, soit par la cessation de la bonne volonté de ce dernier, soit par la révocation que pourraient plus tard lui notifier les héritiers du major, il s'avisa, en 1696, de recourir au prince évêque, en lui exposant qu'il avait trouvé la source, qu'il avait fait construire des bains à grands frais sur un chemin royal, et, pour trouver un accès plus prompt au cœur du souverain, se montrant soucieux de la prospérité de la mense épiscopale, il finit par proposer, dans les intérêts du fisc, une accense pour la remise de la source (redevance annuelle en vertu d'une sorte de bail à rente).
Un octroi du 19 juin 1696 lui accorda sa demande, ce qui, au décès du major, n'empêcha pas les représentants de ce dernier de produire leurs réclamations devant les tribunaux.
Simon Sauveur tâcha d'esquiver la lutte en se substituant un neveu, Théodore Sauveur, qui reprit et compliqua les errements du procès soutenu par son oncle. Mais, en 1713, c'est-à-dire 17 ans après la date du premier octroi, les héritiers légitimes furent solennellement réintégrés, le prince confessa que sa religion avait été surprise et révoqua l'octroi de 1696. Malheureusement quelques circonstances assez bien avérées ne permettent pas de penser que le seul intérêt de la justice, eût dicté au prince ce noble retour d'une erreur première. Dans le cours de l'instance la chambre des comptes avait fait fouiller le terrain: on n'avait pas tardé à reconnaître que les petites sources qui coulaient le long de la rivière, y compris celle qui servait aux bains, n'étaient que des émanations d'une source principale et unique qui se trouvait plus avant dans la prairie du major de Chaudfontaine; on s'était assuré que la chaleur de l'eau qui alimentait les bains était altérée par un filet d'eau froide qui s'y mélait presque à l'endroit même où elle jaillissait.
Pour mieux s'assurer l'exploitation des eaux thermales, les représentants du major avaient offert une accense beaucoup plus élevée que celle qui était stipulée dans l'octroi de 1696. De sorte que le 9 juin 1713, la chambre des comptes, après avoir consulté le chapitre cathédral, un collége de jurisconsultes, voire aussi des médecins, octroya la concession des eaux par accense aux héritiers du major Sauveur moyennant une redevance annuelle de 200 chapons à payer à la chambre des comptes, et sous quelques conditions stipulées dans l'intérêt du public.
La même année, il fut résolu que de vastes bâtiments seraient construits; le prince et les États du pays en fournirent le plan et en peu de temps s'éleva l'édifice où se trouvent les bains que l'on a restaurés, modifiés et augmentés en 1842. Alors fut également établi le mouvement hydraulique des pompes qui existe encore. Ce fut sans doute comme signe de la juridiction de la cité, dans sa banlieue, que l'an 1716, les bourgmestres de Liége, firent élever, sur la voie publique, près de la source, un perron, du soubassement duquel il paraît que l'eau chaude a jailli: certains malades en faisaient alors intérieurement usage et elle leur était ainsi distribuée.
Mais il fallait se rendre à pied ou à cheval à Chaudfontaine; les voitures ne pouvaient y parvenir à cause de certains défilés ou passages dangereux. Ce ne fut que vers 1721 que les États de Liége s'occupèrent de la construction d'une route.
Dès 1713, Chaudfontaine eut pourtant déjà de la vogue; la rivière elle-même contribuait à lui donner des visiteurs: une espèce de barque s'y rendait de Liége, les dimanches et jours fériés particulièrement. La prospérité de Chaudfontaine alla d'abord croissant, puis se soutint jusqu'à l'époque des bouleversements qui mirent fin pour longtemps à tous les établissements de ce genre. Pendant tout le régime français ce délicieux endroit resta dans l'oubli. Ce n'est que sous le gouvernement hollandais, qu'une belle route empierrée, longeant la Vesdre, construite jusqu'au delà de Verviers, vers la Prusse, vint tirer Chaudfontaine de son engourdissement. Des promenades ombragées et offrant de ravissants points de vue, furent créées, en aidant seulement un peu la nature, qui avait presque tout fait d'avance.
Ce qu'à toutes ces sources d'enchantement l'art est venu ajouter encore depuis quelques années, nous l'avons indiqué au commencement de cette notice. Comment la vogue pourrait-elle bouder longtemps des lieux si aimables?
Si personne n'y va, c'est qu'on n'y voit personne, dit madame Sainclair dans l'Ecole des Vieillards.
Nous ressemblons tous un peu à la vieille tante d'Hortense; malgré l'indépendance prétendue des esprits, nous n'osons aller nous baigner ni nous promener même aux lieux les plus faits pour nous plaire, si quelques grands seigneurs blâsés n'y sont venus préalablement apporter leur solennel ennui et leur incurable morosité. Nous l'avons déjà dit, qu'il y vienne autant de diplomates qu'on voudra, pourvu qu'avec eux on ne songe pas à y établir le 30 et 40 et la roulette, on ne parviendra pas à gâter Chaudfontaine ni à le rendre ennuyeux. Mais disons à tous ceux qui n'attendent pas les voitures de poste des princes étrangers et des chevaliers d'industrie pour faire choix d'une retraite agréable pendant les beaux jours, qu'il serait impossible de trouver plus d'agréments naturels que n'en rassemble Chaudfontaine.
B. et F. A.
(1) Idylles précédées d'un Essai sur les auteurs bucoliques français, par M. N. Comhaire. Liége, Latour, in-8°. 1824. p. 96.
(2) On pourrait appliquer ici les vers wallons de la 1re scène du Voëge di Chofontaine:
Bo qu'avann'keur di nô
Li pè qui poireut arriver
Ci seret mutoi de rôler
Sen s'fé dé må kou-d'zeur kou-d'zo.
(3) J. F. BRESMAEL. Parallèle des eaux actuellement chaudes, Liége, in-12. 1721.
(4) Villenfagne. Histoire de Spa, tom. 2.
(5) Dans son livre qui a pour titre: La Connaissance des eaux minérales d'Aix-la-Chapelle, de Chaudfontaine et de Spa, etc., le docteur Xhrouet, contemporain de Simon Sauveur et le premier qui ait analysé les eaux de Chaudfontaine, dit à peu près la même chose: « Simon Sauveur commença par en faire l'éloge (de ces eaux), et ensuite il éleva une chaumière avec quelques petits bains.