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Les eaux de Chaudfontaine

PROMENADES HISTORIQUES
DANS LE PAYS DE LIEGE

Sixième promenade

par Jean-Pierre BOVY, 1838

1824 Le village de Chaudfontaine - Madou
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SIXIÈME PROMENADE.

BORDS DE LA VESDRE (1).

MORT DE LOUIS DE BOURBON — CHAUDFONTAINE — LA PRISE DE CHÈVREMONT — VERVIERS — FRANCHIMONT — SPA — ANNETTE ET LUBIN.


Nous allons suivre les bords de la Vesdre et parcourir une partie de cette riante contrée, dont les roches escarpées et parfois arides contrastent avec la parure de ses heureuses et industrielles vallées. Un ciel pur promet de favoriser nos recherches et nos observations. Commençons les à l'extrême limite de la commune de Liége, en entrant dans celle de Grivegnée à l'endroit nommé Basse-Wez. (2)

Entre le bâtiment principal d'une brasserie et la propriété connue sous le nom de Beau-Mur se trouve la ruelle Cherra. Il y coulait autrefois un gros ruisseau qui faisait tourner un moulin. Ce ruisseau est complètement tari depuis 1816, époque où l'on a commencé les travaux des fortifications de la Chartreuse. Ce lieu a été le théâtre d'un forfait qui combla la mesure des crimes dont s'était souillé Guillaume de La Marck.

Que le lecteur se rappelle la date funèbre du 30 octobre 1468, jour de désespoir, de viols, de meurtres, de carnage et d'extermination; où deux hommes de sang, l'effroi de la nature outragée, se délectaient de l'affreux spectacle du sac de la ville de Liége.

La Marck, l'un des principaux auteurs de nos désastres, demeurait implacable dans sa haine contre le duc de Bourgogne et cherchait tous les moyens de la satisfaire. De son château d'Aigremont, il harcelait sans cesse l'évêque Louis de Bourbon; ou bien il semait l'or dans les campagnes pour provoquer les paysans à une nouvelle révolte. Après avoir été expulsé d'Aigremont (3), La Marck alla offrir ses services à 'empereur Frédéric IV. Toujours animé du même esprit d'hostilité contre la maison de Bourgogne, il revint à main armée dans le marquisat de Franchimont, d'où il fut encore chassé par l'évêque, qui marcha contre lui avec la milice liégeoise.

La mort de Charles-le-Téméraire, qui survint en ce temps, fit concevoir à La Marck des projets ambitieux qu'il eut soin de dissimuler sous un apparent repentir de ses fautes passées. Son frère Evrard ayant négocié sa réconciliation avec l'évêque de Liége, il vint se jeter aux genoux de celui-ci, comme il revenait de Curenge, et lui demanda pardon en versant des larmes hypocrites. Non seulement Bourbon lui pardonna; il le combla même de bienfaits, en le créant son souverain officier, son grand maître-d'hôtel, capitaine de ses gardes, mambourg de Liége, et gouverneur des châteaux de Logne et de Franchimont; de plus, il lui fit obtenir de la princesse Marie, fille du duc de Bourgogne, une somme de 15,000 ducats, pour l'indemniser de la perte qu'il avait essuyée trois ans auparavant à son château d'Aigremont.

Mais loin d'être touché de tant de générosité, La Marck n'usa des pouvoirs dont il était investi que pour s'arroger la toute-puissance et pour se mettre à la place de son débonnaire souverain.

Dans ces dispositions, il part brusquement pour Franchimont, d'où il brave les États; puis il vient à Liége accompagné de sa garde, que l'Évêque entretenait de ses propres deniers. Il nargue celui-ci jusques sous les fenêtres de son palais; il insulte le corps des magistrats assemblés pour une délibération municipale.

Douloureusement affligé de l'ingratitude de cet insolent vassal, Bourbon quitte Liége et se retire à Maestricht. C'est en vain que de là ce prince, oubliant sa dignité, adresse à Guillaume des propositions de paix; le farouche La Marck n'y répond que par de nouveaux outrages. Enfin, convaincu d'avoir négocié avec Louis XI pour livrer le pays de Liége à la France, les échevins le bannissent à perpétuité.

La Marck se réfugie près du roi de France: il en obtient des soldats et de l'argent. Comptant sur le parti qu'il entretenait à Liége, il veut revenir dans cette ville. A peine a-t-il traversé la forêt des Ardennes que les malfaiteurs de tous les pays, dans l'espoir du pillage, se réunissent à lui; bientôt, il se trouve à la tête de 15,000 bandits déterminés, auxquels il donne pour uniforme un habit rouge, avec une hure de sanglier brodée sur la manche (4), ce qui lui valut le surnom de Sanglier des Ardennes.

A la nouvelle de son approche, ce qui restait de fidèle parmi la noblesse et la bourgeoisie se rangea sous l'étendard de Saint-Lambert, confié à la garde de Jean, fils du comte de Horne. L'évêque, qui s'était porté à Huy avec un petit corps de troupes à la rencontre de La Marck, apprenant que celui-ci prenait un autre chemin, revint subitement sur ses pas. Harassé de fatigue, il se jette tout habillé sur son lit. Après quelques heures de repos, il se confesse, monte à cheval et se rend sur le grand marché, où sa petite armée était assemblée; il la harangue, invite chacun à faire son devoir, et fait apporter du vin, qui est bu sur la place en signe de bonne foi mutuelle.

Le 30 août 1482, à 9 heures du matin, les Liégeois sortent par la porte d'Amercœur et prennent le chemin de Grivegnée. Mais à peine ont-ils fait quelques centaines de pas qu'ils se trouvent en face de l'ennemi. Reconnaissant l'infériorité des troupes liégeoises, le prudent de Horne conseille à l'évêque de rentrer dans la ville, et d'attendre derrière ses murailles le retour des corps postés en observation sur divers points. Cet avis si sage aurait dû être suivi; mais Bourbon, cédant à l'impulsion de son courage, part comme un trait et va donner tête baissée contre les mercenaires de Guillaume qui avaient l'avantage du terrain.

Déjà les sires de Clermont, de Wideux, de Vogelzanck, de Metecove, de Vidoane et d'autres grands seigneurs ont mordu la poussière: les meilleurs officiers et soldats sont tués, le reste fuit le champ de bataille. La Marck pousse son cheval sur Bourbon. Celui-ci, le voyant venir, lui crie merci; mais au même instant, un mercenaire le frappe d'un coup d'épée à la tête; l'infortuné prince, tout couvert de sang, implore de nouveau la pitié de son vainqueur. Guillaume refuse la vie à celui qui la lui avait épargnée; il le massacre inhumainement, croyant peut-être se distinguer par un exploit glorieux en trempant ses mains dans le sang du prince qui l'avait comblé d'honneurs et de richesses. Comme Louis respirait encore, La Marck commanda à un de ses gardes de l'achever, et le corps de la victime tomba près de la fontaine de Wez (5), en dedant la fosse fumière d'un bovier (6). Son corps dépouillé jusqu'à la chemise demeura dans ce cloaque pendant vingt-quatre heures. Après d'instantes prières, on obtint de La Marck la permission de l'enlever. Ce furent les Frères-Mineurs qui allèrent le prendre et qui l'exposèrent dans l'église St.-Lambert, revêtu de ses habits pontificaux.

Ce que nous nommons aujourd'hui le Beau-Mur était autrefois un refuge, ou plutôt une maison de plaisance de l'abbaye régulière de Beaurepaire, ordre des Prémontrés. Les moines ayant fait faire une enceinte de clôture très-longue, cet endroit en retint le nom de Beau-Mur.

Toute la portion de terrain comprise entre le pont d'Amercœur et Grivegnée, et qui se divise en Basse-Wez, Wez et Haute-Wez, était autrefois une sorte de marécage entretenu par les débordements de l'Ourte et par les ruisseaux et les fontaines provenant du Mont-Cornillon. Ce terrain a été successivement exhaussé par les terres d'alluvion et particulièrement par celles que les pluies d'orage y ont entraînées de la montagne (7). Ce qui le prouve c'est la grande épaisseur de la terre végétale (8). Si l'on en veut une autre preuve , il suffit de regarder, un peu plus loin que le Beau-Mur, une maison blanche, située dans une prairie qui semble former entonnoir autour d'elle. C'est l'ancien refuge des religieuses nommées les Dames anglaises au faubourg St.-Gilles. Cette maison avait été bâtie sur une surface unie; on y arrivait par un pont-levis. Il y a peu d'années qu'elle était encore environnée d'un fossé rempli d'eau vive. Si l'on peut ajouter foi au manuscrit que je viens de citer, ce refuge des Dames anglaises aurait été la résidence de la noble famille des de Prez, dits des Weys, dont parle Hemricourt (9).

A une faible distance de la Bonne-Femme, lorsque la chaussée commence à monter, on voit à gauche, entre deux maisons, une porte ceintrée dont la hauteur est diminuée par l'exhaussement du pavé. La voûte de cette porte est fermée par une pierre qui porte un écusson penché vers le Nord. C'est l'embouchure d'une source très-abondante d'eau sulfureuse froide, qui , passant ensuite sous la chaussée, va se déverser dans l'Ourte. Il est à regretter que la médecine ne l'utilise pas, comme le projet en a été conçu plusieurs fois (10).

Grivegnée ne rappelle rien, que je sache, de bien intéressant. Ses vieux manoirs sont sans souvenirs; mais en revanche, on y voit, sur le bord de l'Ourte, la grande usine, les beaux laminoirs et le haut-fourneau de M. Orban, homme distingué, que sa vaste intelligence, ses sages conceptions et bien d'autres titres encore placent au premier rang de nos sommités industrielles.

Après Grivegnée se présente le riche et commercial village de Chênée. Ces deux communes réunies semblent former un faubourg d'une lieue de longueur attenant à la ville de Liége. Au 13° siècle, Chênée était vivifié par la résidence qu'y faisait la noble famille de Sougné (11), dont la lignée s'est éteinte de nos jours dans la pauvreté. Maintenant Chênée compte une population de 2,000 âmes et une industrie que lui envieraient beaucoup de villes de troisième ordre. Il possède: brasseries, distilleries, raffineries de sel, fonderie et laminoirs à zinc; fonderie de cuivre, d'argent-neuf (12) et de fer; fabrique de fer-blanc, clouteries, taillanderies, verreries; fabrique de chaudières et de machines à vapeur; et une fabrique d'horlogerie que vient d'y établir M. L... de Liége. Il s'y fait aussi un assez grand commerce de denrées coloniales, d'écorces à tan, de houilles, bois, planches, mines de fer, grains, etc. (13).

Le pont de Chênée a été commencé en 1811 sous la direction des ingénieurs français et de l'architecte Vivroux. Des soldats espagnols, alors prisonniers de guerre à Liége, furent employés à sa construction. Les travaux restèrent abandonnés par suite de l'entrée des alliés dans notre pays; il n'a été achevé qu'en 1829.( A propos du Pont de chênée, voyez le Chevalier de Harenne, Le château de la Rochette)

La Vesdre vient se réunir à l'Ourte un peu plus bas que le pont de Chênée. D'après l'observation de l'ingénieur Fumière, le point de jonction de ces deux rivières est de 59 mètres 444/1000 au-dessus de l'Océan. Du milieu du pont, on aperçoit le riche vallon d'Angleur avec ses riantes maisons de campagne, et l'extrémité de la vallée de l'Ourte qui se termine par le château de Beaufraipont, appartenant à M. le baron Osy. C'était, dans les temps reculés, une dépendance de la forteresse de Chèvremont (14). Il fut brûlé par le duc de Boufflers en 1691 (15). Rétabli immédiatement après, on vient de lui faire subir d'heureux changements. Sa tour antique occupe le milieu de l'édifice. Ses murs sont d'une solidité extraordinaire; il sont plus de dix pieds d'épaisseur à leur base et huit à l'appui du comble (16).

A peu de distance du pont, la route se bifurque brusquement; la ligne la plus droite conduit vers Beaufays: l'embranchement de gauche mène à Chaudfontaine.

Bientôt on aperçoit à la rive opposée de la Vesdre la fameuse montagne de Chèvremont, dont nous ne parlerons qu'un peu plus tard, pour ne point intervertir l'ordre de notre promenade.

Nous allons voir un séjour enchanté,
Nouvel Éden, appelé Chaudfontaine;
Agreste et riant paysage,
Qui semble retracer les jours du premier âge (17).

Chaudfontaine, sur la rive gauche de la Vesdre, à deux lieues de Liége, occupe une vallée longitudinale, fermée par deux chaînes de montagnes recouvertes de bois épais. Ses eaux thermales, beaucoup plus tempérées que celles d'Aix-la-Chapelle, sont connues depuis le 13e siècle, ainsi que l'atteste une charte d'un évêque de Verdun de l'an 1250, où on les désigne sous le nom de Chauveteau-Fontaine (18).

L'historien de l'abbaye de Saint-Laurent, le père Martène (19) rapporte un testament fait le 3 juillet 1339, où il est laissé une rente de quarante sols à l'hôpital Saint-Julien à Choz-Fontaine. Il est possible, ainsi que le conjecture Villenfagne (20), que cette fondation, créée sous l'invocation du patron des voyageurs, fût un hospice pour loger les pauvres pélerins venant de Notre-Dame de Chèvremont, ou une léproserie destinée à recevoir les malheureux qui espéraient trouver le soulagement de leurs maux à la source de ces eaux chaudes. Il ne reste plus de traces de cet hôpital.

Bien longtemps après cette époque, ce lieu n'était qu'un désert dont l'accès était difficile à cause des fragments de rochers détachés de la montagne, et de l'extrême épaisseur de la forêt qui le dominait: il n'était guère fréquenté que par des chévriers ou des bucherons. Ce ne fut que l'an 1676 qu'un nommé Sauveur y fit construire une misérable hutte en argile, divisée en deux ou trois bains malpropres, qui recevaient l'eau thermale de la source à l'aide d'une pompe. Les baigneurs allaient se loger dans une vieille maison voisine, ou dans les forges des environs (21).

En l'an 1711, on découvrit la source du Gadot, qu'on réunit aux précédentes; et deux ans après, on éleva l'hôtel des bains tel qu'il existe maintenant. Les eaux sont extraites d'un réservoir commun par une mécanique faite, en petit, d'après celle que notre compatriote Renkin Suałeme construisit à Marly.

Le chemin de Chênée à Chaudfontaine n'étant praticable autrefois que pour les piétons, ou tout au plus pour les cavaliers, on fit sauter la roche en plusieurs endroits, et la route d'aujourd'hui fut livrée à la circulation des voitures en 1779. Auparavant, on devait faire le trajet en bâteau.

« C'était le premier jour du mois de mai, et au bruit d'une musique, qui réveillait tous les échos des deux rivages, que les barques (22) commençaient chaque année leur quotidien service (23). »

Il n'y a pas si longtemps que les cabinets de bains n'étaient encore séparés que par une cloison de dix pieds de hauteur qui permettaient aux baigneurs indiscrets de voir chez leurs voisins, comme le prouve le dialogue original duThéâtre Liégeois (24).

Aujourd'hui, on a remédié à ce grave inconvénient: les chambres de bains sont disposées de manière qu'il ne peut plus se commettre de ces repréhensibles espiègleries; mais si la timide jeune fille peut en sécurité se plonger dans ces eaux limpides, toujours

Elle tremble, elle hésite, elle n'ose avancer.
Sa pudeur ingénue éprouve mille alarmes...
A cacher ses attraits elle veut s'empresser;
Mais l'onde, au lieu de voiler tant de charmes,
Vient mollement les caresser (25).

A côté de l'établissement des bains est la plus importante des fabriques d'armes de ces localités (26).

Au pied d'un rocher tapissé de mousse, se voit aussi une fontaine d'une singulière architecture, construite dans le siècle dernier. On allait autrefois en boire les eaux avec des anis au sucre; cet usage n'existe plus (26).

Près de l'hôtel des bains se trouve une autre fontaine, mais plus ancienne, surmontée du perron liégeois. La loge maçonnique qui, vers 1809 (27), s'était constituée dans ce village, sous le titre distinctif de l'étoile de Chaudfontaine, Or la loge de Liége, avait pris le dessin de la première de ces fontaines pour son emblème.

Il y a peu d'années que la cupidité vint spéculer à Chaudfontaine sur l'un des plus redoutables fléaux de l'humanité, en y établissant une maison de jeu:

Caverne à l'avarice ouverte,
Où l'on court le danger certain
D'être ruiné par la perte,
Ou déshonoré par le gain.

C'était à la porte d'une ville universitaire et toute industrielle que l'on provoquait ainsi la funeste passion du jeu! Un cri général d'indignation fit justice de cette spéculation immorale.

Les rochers qui circonscrivent le vallon de Chandfontaine, présentent presque partout de belles coupes géologiques. « A la rive gauche de la Vesdre et du biez, en face de l'hôtel de Liége, est une grotte naturelle dans le calcaire antraxifère, très-resserrée et assez dangereuse à parcourir, parce que le sentier, recouvert d'argile humide, cotoye une crevasse profonde et étroite, en partie remplie d'eau.

« A proximité de cette grotte se trouve une ancienne carrière de marbre encrinitique rougeâtre; l'exploitation n'en a pas été continuée, le marbre contenant souvent des parties argileuses » (29)

Agreste Chaudfontaine, où règnent les plaisirs,
Où du luxe imposteur rien ne sent l'influence,
Je vais donc aujourd'hui contenter mes désirs,
En jouissant chez toi de mon indépendance (30).

Ce n'est point sans motif que plusieurs de nos poètes ont exercé leur muse sur les agréments que l'on rencontre dans ce charmant séjour. On y a pratiqué, dans les montagnes, des chemins ombragés qui offrent des promenades délicieuses à ceux qui viennent y chercher le plaisir et la santé. Des voitures, des cavaliers, des dames, embellissent cette solitude en y répandant le mouvement et la joie.

Du haut de ces montagnes, les regards se portent vers les sinueuses vallées que rafraîchit la Vesdre. La nouvelle route (31), qui en suit le cours presque constamment, est animée par des équipages et des diligences venant d'Aix-la-Chapelle, de Verviers, de Malmedy, de Stavelot ou de Spa. Là encore, se réunissent des sociétés particulières; on les voit souvent, assises sur des bancs ajustés, à l'abri de la chaleur du jour, se livrer aux charmes d'entretiens variés inspirés par ces beaux lieux. Tout cet ensemble présente l'un des tableaux les plus agréables qu'on puisse voir.

La vallée qui se trouve après Chaudfontaine est à la rive droite de la Vesdre, que l'on passe sur un pont en pierre. Elle est moins resserrée, mais tout aussi romantique. A son extrémité se présente le château de la Rochette, assis sur une éminence formée de grès ancien schisteux et de calcaire magnésien; baignée, à sa partie sud-est, par le ruisseau de Bougny, qui fait mouvoir la filature voisine du château; l'écluse de ce ruisseau semble être formée des restes d'une tour. La Rochette comptait jadis parmi les forteresses de l'État. On n'y voit plus qu'un débris de tour carrée assez insignifiant; la forteresse a fait place au nouveau château bâti dans le siècle dernier.

Derrière le joli château,
Qu'on nomme la Rochette,
L'on vient de découvrir une eau
Qui mérite bien qu'on l'achette,
Puisque le gros chasseur du lieu (32)
M'a dit qu'il mange comme un diable
Avec ce breuvage impayable ,
Lui qui mangeait si peu... (33).

Ces vers, qui donnent une idée de la faconde poétique de l'auteur des Infiniment-petits, font allusion à une fontaine ferrugineuse qu'avait découverte un malheureuxvfugitif français, et qui depuis avait retenu le nom de Fontaine de l'émigré. Cet infortuné, ayant succombé à la fatigue d'une première campagne, était venu s'établir à Chaudfontaine vers 1794, dans l'espoir d'y recouvrer la santé.

Les regrets qu'il éprouvait de s'être éloigné de la France, d'une épouse et d'un enfant tendrement chéris, lui faisaient envisager la mort comme le seul terme à ses maux. Elle est certaine, s'il ne fuit; car l'armée française avance à grands pas. L'amour de la vie se réveille pourtant dans son âme; il s'enfonce dans les bois. Quelle existence que la sienne! Comme les hôtes les plus timides de nos bois, il tressaille au moindre bruit. S'il quitte son antre protecteur, c'est pour demander à la cabane isolée le pain noir qui doit prolonger ses jours. Ce fut le besoin d'étancher sa soif qui lui fit découvrir la fontaine de la Rochette.

Déjà deux mois se sont écoulés pour lui au milieu des angoisses et des privations; sa dernière espérance s'est évanouie: les Autrichiens sont battus à Esneux. L'Ourte et la Meuse ont cessé d'être une barrière pour l'armée républicaine ses phalanges victorieuses occupent les bords du Rhin.

Pauvre émigré!... Dans la condition où le ciel t'a fait naître, on n'apprenait guère à observer les préceptes religieux, à remplir les devoirs de la société, à supporter les vicissitudes de la vie. Tu as appris de bonne -heure à mépriser la mort. Funeste science, quand elle dispose à terminer par un crime une existence dont le fardeau semble trop lourd!

Il quitte son asile, et arrive à Nessonvaux… Il entre dans un cabaret. Apprenant qu'une compagnie française est cantonnée dans le village, il demande une chambre où il puisse se retirer un instant. Ce fut sans doute après avoir écrit les lignes que l'on va lire qu'il se précipita sur son épée, et se l'enfonça dans la poitrine jusqu'à la garde. Au bruit de sa chûte, les gens de la maison montent à sa chambre: on le trouve baigné dans son sang. Comme il ne paraissait que blessé, on sort pour appeler du secours; il profite du moment pour saisir un pistolet et se fait sauter la cervelle. Le bruit de l'arme à feu attire le capitaine républicain, qui demeure frappé de ce triste spectacle; il trouve sur le lit une montre, une bourse où il ne restait que quelques pièces de monnaie, et une lettre sans adresse, ainsi conçue:

« Quique vous soyez qui recevrez cette lettre, si vous êtes Français, vous devez être sensible au malheur d'un compatriote, d'un parent peut-être. Après avoir lu mon histoire, j'espère en mourant que vous vous rendrez à ma prière. »

Dans cette lettre, il parle de son épouse , de son fils et de sa mère qu'il ne verra plus! Il dit que s'il met fin à ses jours, c'est pour que sa femme ne soit point dépouillée de ses biens comme femme d'émigré et peut-être conduite à l'échafaud; sa mort la garantit ainsi que son fils de ce malheur: il termine sa lettre par ces mots:

« Étranger généreux, qui plaignez mon sort et qui daignez remplir mes dernières volontés, remettez le peu d'argent qui me reste à mon hôte pour le dédommager de l'embarras que je lui donne: et vous, gardez ma montre à titre de reconnaissance. Quand vous regarderez l'heure fugitive, pensez à l'éternité et au mal- heureux P. (34) »

L'officier républicain pleura le sort du pauvre émigré et remplit fidèlement ses derniers vœux.

Nous suivons le cours du Bougny; ce ruisseau conduit dans une vallée sauvage qui se termine par un terrain houiller s'élevant en amphithéâtre. A gauche est un ravin, où croît un épais taillis. Nous y cherchons la Fontaine de l'émigré; mais nous n'en retrouvons que le lit. Elle a été tarie par les petites bures des houillères voisines. Nous revenons sur nos pas pour prendre à notre droite un vallon étroit nommé le Fond-des-loups, où coule un autre ruisseau. Nous gravissons la montagne de Chaumont, au sommet de laquelle on jouit d'une vue immense. C'est le point le plus élevé de ce canton montagneux. Après l'avoir descendue par le versant opposé, on se trouve dans la jolie vallée du Fond-des-bois; il y serpente un ruisseau qui lui emprunte son nom. On a devant soi le revers de la montagne de Chèvremont, cultivée dans quelques-unes de ses parties, couverte d'herbes ou de bouquets de bois dans d'autres, mais presque partout très-raide. Nous en atteignîmes la cîme en nous aidant de cépées de charmes qui semblent tendre leurs branches à la main des curieux qui visitent cette pente escarpée.

Chèvremont est peut-être le lieu le plus célèbre de nos annales, celui dont les chroniqueurs et les légendaires se sont le plus occupés. Je vais rapporter, au moins en partie, ce qu'ils disent à ce sujet.

La montagne tire son nom de la difficulté de son accès: Mont-des-chèvres, Capræmons, Kevermunt et enfin Chèvremont. On ignore quelle époque il faut assigner à la fondation de son vieux château (35); les uns disent que Chèvremont fut d'abord une abbaye appartenant à l'église Notre-Dame d'Aix- la-Chapelle (36), que les rois de la raçe mérovingienne convertirent en place forte. D'autres prétendent que sainte Begge, épouse d'Angise, maire du palais, y fit construire une maison royale, et qu'elle ne quitta cette demeure que lorsque son mari fut tué à la chasse par Gondeius, l'an 685, pour aller fonder le monastère d'Andenne (37).

Pépin de Herstal fit beaucoup agrandir Chèvremont (38), qui fut toujours considéré comme habitation royale (39).

Au commencement du 10e siècle, le château de Chevremont était possédé par Gislebert, duc de Lorraine, époux de Gerberge, fille de l'empereur Henri l'Oiseleur (40). A la mort de ce dernier (936),Gislebert ,d'un esprit brouil- lon et remuant , étranger à tout sentiment d'honneur et de loyauté (41), sans égard pour les liens du sang, usa de tous les moyens qui étaient en son pouvoir pour ravir à son beau-frère, Othon-le-Grand, la couronne de Lorraine, et la placer sur la tête du roi de France, Louis IV d'Outremer. Dans ce but, ayant uni ses forces à celles d'Eberhard, duc de Franconie (42), il se porta en Allemagne après avoir laissé sa femme Gerberge à Chèvremont, sous la protection de deux preux chevaliers, Anfred et Arnould (43).

Mais les Lorrains se laissèrent surprendre par les troupes de l'empereur près d'Andernach, l'an 839 (44). Le duc de Franconie tomba percé de coups (45). Gislebert, voulant se sauver, se mit sur un bateau pour passer le Rhin; mais il s'y précipita tant de monde avec lui que le bateau fut sub- mergé (46 ). Gislebert disparut dans les flots, et son corps ne fut onques retrouvé (47). « Ainsi mourut ce seigneur, qui fut pendant une si longue suite d'années le fléau de ses rois et de sa patrie (48). »

Immont, général de l'empereur, vint investir Chèvremont, place très-renommée dans ce temps et très-importante, tant par sa force que par sa position, qui assurait la conservation du pays de Liége (49). » La vaillante garnison qui défendait cette forteresse avait découragé les assiégeants, lorsqu'Immont, leur capitaine, recourut à la félonie dans l'espoir de s'en emparer plus aisément. Il fit prévenir confidentiellement Anfred et Arnould qu'étant fatigué du service de l'empereur, il leur demandait une entrevue secrète pour en terminer à leur mutuelle satisfaction. Les deux guerriers, sans méfiance, se rendirent au rendez-vous convenu. A leur arrivée, on les chargea de chaînes et on les envoya prisonniers à l'empereur Othon (50). La garnison, privée de ses braves chefs, était au moment de se rendre ,lorsque le roi de France, Louis IV, vola à son secours avec un corps de troupes qui fit lever le siége. Peu de jours après, Gerberge, la veuve du duc Gislebert, épousa son libérateur (51).

Les auteurs n'expliquent point à quel titre Immont devint possesseur de Chèvremont ; ils disent seulement qu'il rendit cette place plus formidable encore par les nouvelles fortifications qu'il y fit ajouter (52).

Tous ces châteaux forts occupés par les grands seigneurs devinrent autant de foyers de révoltes, d'où les grands vassaux bravaient le souverain et pillaient impunément les campagnes. L'archevêque de Cologne, Brunon, gouverneur général de la Lorraine, marcha contre les rebelles. Il en voulait particulièrement à Immont qui avait lâchement trahi sa confiance (53).vIl vint donc, en 959, cerner Chèvremont; mais la disette s'étant bientôt fait sentir dans son armée, ce prélat comprit l'impossibilité de réduire la place (54). « Après avoir pris un mauvais accommodement avec Immont, il reprit le chemin de Cologne avec le déplaisir d'avoir si mal réussi dans son entreprise (55). »

La situation de Chèvremont plaisait à son farouche possesseur, qui, semblable à l'oiseau de proie, épiait les passants du haut de son aire, et fondait rapidement sur eux. Ses soldats se jetaient sur les voyageurs, les pillaient sans pitié, leur ôtaient la vie, ou les enfermaient dans les prisons pour les y laisser périr, s'ils ne pouvaient se racheter au poids de l'or. Parfois même, plus audacieux encore, Immont poussait ses incursions jusqu'au quartier d'Outre-Meuse, d'où il ne se retirait que chargé de butin.

Vainement les Liégeois avaient tenté de s'opposer à ces violences; comptant sur ses hommes d'armes, sur ses tours et ses épais remparts, Immont se riait des efforts impuissants dirigés contre lui et n'en continuait pas moins sa vie de brigandage et de rapine.

En 980, le seigneur de Chèvremont eut, d'Isabelle son épouse, un fils qu'il voulut faire baptiser avec la pompe usitée alors pour les enfants des souverains. Il pensa que l'évêque de Liége, l'illustre Notger, était le prélat qui pouvait donner le plus de relief à cette cérémonie; il lui fit donc adresser par l'un de ses officiers la proposition de faire le baptême en personne. Cette proposition fut acceptée et le jour de la cérémonie arrêté.

Notger possédait, « une grande capacité en tous points: pontife dans son église, publiciste dans son conseil, guerrier à la tête de ses troupes, il sut fortifier le respect qu'il empruntait de sa mitre et l'influence qu'il tenait de son propre caractère, par une administration sage et une prudence qu'il savait tempérer par la résolution nécessaire dans un coup de main (56) ».

Depuis longtemps il rêvait au moyen de se délivrer de son dangereux voisin, dont les déprédations toujours croissantes compromettaient la sûreté et jusqu'à l'existence de la cité naissante. Le désir de s'y soustraire écarta en ce moment de son esprit tout principe de justice naturelle et lui inspira un stratagème qui a été jusqu'ici l'objet d'un blâme sévère.

Notger rassemble sa noblesse et l'élite de ses guerriers; il leur confie son projet de saisir cette occasion pour se débarrasser de l'oppresseur du pays. Tous accueillent favorablement ce projet et y applaudissent avec transport. Pour ne point laisser à Immont le temps de la réflexion, Notger avance d'un jour la cérémonie du baptême.

Le lendemain, les premiers rayons du soleil éclairaient à peine les tours de Chèvremont que les habitants du château sont éveillés par des chants religieux. Du haut de leurs murailles, ils voient venir processionnellement deux cents hommes qu'ils prennent à leur costume pour des prêtres. L'Évêque, la mitre en tête, marchait derrière eux. Venaient ensuite des chariots chargés de tonneaux. Ces prétendus prêtres n'étaient que des soldats travestis portant des armes cachées sous leurs aubes ou leurs surplis; les tonneaux étaient remplis d'instruments de guerre (57).

A l'approche de l'auguste cortége, Immont se hâte de faire ouvrir ses portes, et vient à sa rencontre. Mais à peine la troupe est-elle introduite dans la forteresse qu'au signal donné par Notger, le faux clergé quitte chapes et surplis; l'acier brille dans ses mains; il s'empare des principaux postes: le massacre commence et ne cesse qu'avec la dernière victime. Dans son désespoir, le châtelain s'élance d'une tour et les flots de la Vesdre reçoivent ses membres déchirés. Isabelle, non moins résolue, étreint son fils dans ses bras et se précipite avec lui dans le puits du château... Quasi vero maler semet, cum infantulo nondum baptizato, in puteum demiserit præcipitem (58).

A la nouvelle de la prise de Chèvremont, le peuple de Liége fit éclater la joie la plus vive, comme si la vie de tous avait dépendu du succès de l'entreprise.

Il est des chroniqueurs qui racontent différemment les circonstances de ce drame. Je vais citer celle des versions qui m'a paru la plus complète et la plus généralement d'accord avec les vieilles chroniques.

« L'an 980, Notger étant en prières dans son oratoire, on vint lui rapporter qu'Isabelle, femme d'Idriel, seigneur de Chèvremont, était accouchée d'un fils, et que ledit seigneur le priait de le venir baptiser; ce qui donna beaucoup de joie à l'Évêque, lequels'imagina que c'était une occasion propre pour prendre ce château. C'est pourquoi, il répondit au messager qu'il irait, et que pour faire plus d'honneur au baptême de l'enfant, il voulait s'y trouver avec le clergé, la croix et l'eau bénite en forme de procession. L'Évêque fit convoquer tous les seigneurs du pays, leur déclara son intention de faire démolir cette forte place, si préjudiciable à son pays et qui causait tant de maux aux habitants d'alentour. Il dit donc que le moyen de la surprendre était comme s'en suit. Il ordonna à tous ses seigneurs et vassaux de s'habiller tous en ecclésiastiques, et de porter sous leurs longues robes de bonnes armes pour se défendre en cas de besoin. Il fit mener avec eux quelques chariots chargés de tonneaux remplis d'armes et contrefaisant des tonneaux de vin qu'il amenait pour la fête et en faire présent au seigneur Idriel. Ils marchèrent tous en procession avec la croix et l'eau bénitte; tellement que l'an 980, le 20 août, comme ils approchaient du dit chasteau, et qu'ils furent aperçus dudit seigneur Idriel, celui-ci ayant veu de loin venir l'Évêque avec si belle et si noble compagnie, vint au-devant d'eux avec toute sa suite, saluant et baisant les mains de l'Évêque, qu'il conduisit à son chasteau; où, après les complimens faits de part et d'autre, l'Évêque baptisa l'enfant à qui il donna nom Nicolas. Les cérémonies étant achevées, le dit Évêque demanda de voir les fortifications de la place, et venant dans l'endroit où était la plus grande partie des soldats, et qui était bien fortifiée, il commença à dire au dit Idriel qu'il lui rendît son château qui faisait tant de mal au pays et qu'il le récompenserait d'un autre côté; sur quoi Idriel répondit à l'Évêque, tout encolère, qu'il le jetterait dans un de ses cachots; mais que puisqu'il l'avait demandé pour baptiser son enfant, il n'aurait aucun mal, ni lui ni sa compagnie; mais qu'il eust à sortir incessamment de son chasteau. Sur quoi l'Évêque répondit qu'il ne le ferait, s'il n'avait sa demande accomplie d'une manière ou d'autre. A quoi Idriel répondit qu'il en aurait menti comme un faux prêtre et qu'il serait mis en trou et ses gens comme lui. Lors, mettant la main sur la hache qu'il avait sous sa robe, dit l'Évêque à Idriel: « Je ne partirai point de ton château s'il n'est démoli, et ne crois pas que ces gens qui sont avec moi soient des gens d'église; ce sont tous des chevaliers bien armés ». Et au même instant ils prirent leurs épées et leurs haches, tuèrent et saccagèrent tous ceux qui se trouvaient dans la place. Ledit Idriel se précipita en bas du chasteau par une fenêtre et fut tué. Madame Isabelle se jeta dans un puits, et l'enfant fut aussi tué; et, après les avoir massacrés tous, l'Évêque fit démolir incontinent le chasteau. Il y avait dans cette place trois églises, une de Notre-Dame avec 30 chanoines, fondés par l'empereur Charlemagne; la seconde était celle de St. Jean avec 30 prébendes; la troisième un oratoire de St. Denis avec 12 prêtres. Il y avait aussi 12 cloches en ces dites églises. La plus grosse fut donnée à St. Lambert, une autre à St. Paul et appelée encore Dardar, etles autres à St. Jean-Évangéliste.

Et pour obtenir pardon des saints qu'il avait privés de leurs églises, il fit bâtir, ledit Évêque, celle de St. Jean en 981, qu'il embellit des dépouilles du château, et celle de St. Denis en 987. »

Le seigneur de Chèvremont est appelé dans beaucoup de manuscrits Idriel, et sa femme Isabelle ou Isabeau. Foullon dit qu'il s'appelait Guydon. - Bouille l'appelle Immont; c'est également ainsi que le nomment d'autres manuscrits et histoires écrites.

C'est à juste titre sans doute que l'on a blâmé le stratagème dont s'est servi Notger en cette occasion. C'est pourtant l'unique tache qui se montre dans son règne si glorieux à tant d'égards. Les progrès de la civilisation ont amorti les sauvages et énergiques passions du moyen-âge, et ont amené, à la longue, la sécurité et le bonheur des temps modernes; mais reportons-nous un instant au 10° siècle. Il ne s'agit pas de ce que nous pensons aujourd'hui de l'action de Notger, ( à des temps différents les jugements ont beaucoup varié sur cette action ) mais de l'opinion qu'en eurent nos ancêtres.

A cette époque reculée, un assassinat n'inspirait pas la même horreur qu'il excite de nos jours. Il est donc évident que la conduite de Notger ne doit pas être jugée avec nos idées du 19° siècle. Ce qui est crime dans un état de civilisation perfectionnée passait quelquefois pour une action héroïque et louable dans un temps d'ignorance et de barbarie. Le jugement qu'il convient de porter sur la prise de Chèvremont est sans doute au désavantage de Notger; car un évêque, l'épée ou la massue à la main, s'écartait singulièrement de l'esprit de son ministère; il devenait bien plus repréhensible encore lorsqu'il faisait servir les attributs de la religion à l'exécution d'un meurtre; mais alors, comme en d'autres temps, la ruse était vertu, quelque forme qu'elle revêtit.

Notger fit retirer des édifices sacrés qui se trouvaient à Chèvremont tout ce qu'ils contenaient de précieux et s'empressa de faire renverser les fortifications de manière qu'elles ne fussent jamais relevées. Plusieurs légendaires rapportent que les ouvriers employés à la démolition d e St. Jean furent arrêtés dans leurs travaux par une puissance surnaturelle; mais Notger, ajoutent-ils, s'étant mis en prière et ayant promis au saint de lui dédier une église dans le quartier de l'île à Liége, à l'instant les travaux purent se continuer. Les mêmes légendaires rapportent avec une égale naïveté que la tour de St. Jean, qui est encore debout, fut construite avec les matériaux qui ont appartenu à celle de Chèvremont (59). Ce qui est certain, c'est que Notger affectionna particulièrement la collégiale de St.-Jean, près de laquelle il se fit construire un palais (60).

Après un règne consacré tout entier au bonheur de son peuple, il mourut le 10 avril 1007. Les larmes et les regrets des Liégeois le suivirent dans la tombe (61); sa dépouille mortelle fut déposée à l'église St.-Jean dans la chapelle des SS. Remi et Hilaire.

Je lis dans Mélart (62) que « l'an 1634, le doyen et chanoines, par l'ordre de l'illustrissime nonce de Caraffe, l'ont relevé avec grand respect et honneur, comme un corps dont l'âme resplendit et rayonne de gloire au ciel; et le posant dans une casse, jusques à ce que le pape, après inquisition exacte et pertinente de sa vie, ait jugé et déterminé de ses mérites, pour lui faire rendre les honneurs qui lui conviendront… »

En 1757, les chanoines de St.-Jean, ayant fait reconstruire leur église, placèrent les restes de Notger dans la sacristie. Ils y restèrent suspendus au plafond dans un coffre suspendu par deux anses de chaînes de fer jusqu'en 1794. Les vandales de cette triste époque cherchaient la fortune jusque dans la cendre des morts. Les restes de Notger furent arrachés de la boîte qui les contenait et foulés aux pieds. Un ecclésiastique attaché à cette collégiale, voyant les violateurs des tombeaux éloignés, remit les ossements dans la boîte, et les porta dans la maison voisine, chez M. le baron de Stenbier de Wideux. Ils y demeurérent ignorés jusqu'à la restauration des autels. Portés alors dans un galetas de l'église Saint-Jean, ils y furent longtemps exposés à l'examen du premier venu; plusieurs en enlevèrent des portions.

Au mois de juillet 1838, j'ai été visiter ces ossements. Grâce à M. Duvivier, curé actuel de St.-Jean, ils ont été déposés dans une caisse décente et replacés dans la sacristie.
Le crâne, d'une belle capacité, les os longs des extrémités, la plupart de ceux qui composent la colonne dorsale, ainsi que ceux du bassin, sont intacts. Rassemblés en squelette, ils donnent lieu de croire que le sujet auquel ils ont appartenu avait une taille d'environ 5 pieds 5 pouces. Les dents, toutes sorties de leurs alvéoles, conservent leur émail qui est resté d'une grande blancheur; l'une d'elles seulement est cariée. Parmi les ossements se trouvent mêlés des morceaux de cire mélangée de thérébentine, ce qui prouve que le corps a été embaumé sans que l'on eût ôté les entrailles. En effet, des cônes résineux représentent la structure anatomique de l'intérieur des intestins gre˙les. Sans pouvoir préciser si c'est immédiatement après l'embaumement, ou plus tôt, lorsque le corps a été exhumé en 1634, on voit qu'il a été formé autour une sorte de cadre, en argile grise de mouleurs, parfaitement corroyée, probablement pour maintenir la charpente osseuse dans ses rapports, comme un médaillon serti (63). Le corps a dû en être arraché avec violence, puisque les parties moyennes des côtes sont restées brisées dans cette espèce de plâtre, ainsi que les
dernières phalanges des doigts et des orteils, tandis que les rotules sont demeurées encroutées de la même matière résineuse que celle dont on s'est servi pour les injections.

Que l'on élève des statues aux artistes célèbres, aux hommes qui se sont illustrés par leurs talents, j'y applaudis de toute la puissance de mes facultés; mais que le plus grand de nos princes, celui à qui Liége est redevable de son existence, de ses richesses et de sa gloire (64); celui dont l'âme généreuse s'est tout entière consacrée au bonheur et à la prospérité de ses sujets; duquel on disait: Notgerum Christo, Notgero cætera debes! qu'un tel homme attende encore un monument qui rappelle au peuple liégeois le plus illustre de ses fondateurs, vraiment c'est ce qui étonne et afflige tout-à-la-fois. On se demande avec douleur comment il se fait que les plus brillantes qualités, les plus hautes vertus vivent si peu dans le souvenir des hommes. Huit siècles qui nous séparent de Notger devaient-ils anéantir la reconnaissance que nous lui devons? Ne mériterait-il pas aussi de trouver parmi nous un panégyriste digne de lui (65)?

La montagne de Chèvremont, vue de la route de Chênée à Chaudfontaine, semble être une pyramide dont le sommet est couronné par un massif d'arbres qui entoure la chapelle. Elle est très-escarpée dans les trois quarts de sa circonférence. A l'est, elle se réunit aux montagnes qui la dominent par un terrain aplani appelé les Pleins, ou Pleintes.

On croit généralement qu'il ne reste plus rien de ses vieilles fortifications. Cependant il est facile de s'assurer du contraire. En descendant une centaine de pas, ausud-est, derrière la chapelle, on parvient à une terrasse un peu circulaire qui est soutenue par une muraille faite à chaux vive et à pierres de grès, de 937 pieds de longueur sur 6 et 7 pieds d'épaisseur (66). Il n'est pas aisé d'en faire le tour à l'extérieur à cause de la déclivité du terrain, et parce qu'elle est en partie masquée par des ronces et des broussailles. A peu de distance, plus bas, sur un des points les plus escarpés se reconnaissent les fondations d'anciennes tours. La terrasse dont je viens de parler domine la vallée sauvage du Fond-des-Bois, où coule un ruisseau limpide qu'alimentent les fontaines provenant du bois de Chaumont. Tout le versant de cette partie de la montagne de Chèvremont se nomme la Heid. « En 1810, les géomêtres du cadastre, en expertisant Chèvremont, y découvrirent, vers le nord, un long passage souterrain qu'habitaient les renards et que, par mesure de sûreté, les autorités locales firent condamner. Aujourd'hui, la culture s'est emparée du lieu où était l'ouverture du passage, et les terres en sont nivelées autour. On connaît encore l'endroit de l'ancien puits du château (67); il est comblé de décombres (68). » Que l'on parcoure la montagne dans tous les sens, on y rencontre des monceaux de pierres qui ont été cimentées à chaux, sans mélange de sable. Chèvremont est une montagne de grès ancien, plus ou moins schisteux. Au nord-est, on trouve aussi la roche calcaire, qui a été exploitée autrefois comme pierre à chaux, ainsi que l'indique le fourneau encore existant au point où finit la longue terrasse. Le plateau de Chèvremont est d'une assez grande étendue; il communique par une pente douce avec les hauteurs de Beyne et de Romzée. Sa partie la plus élevée se trouve aux Pleins; c'est de là que part son inclinaison vers la Vesdre. Au milieu de ce plateau, est une surface plane, où, d'après la tradition, était située l'église Notre-Dame, remplacée depuis par une chapelle dédiée à la mère de Dieu. La tradition dit aussi que la petite statue noire de
la Vierge que l'on y voit est la même qui fut retirée de l'antique église par Notger. La chapelle a été rebâtie à neuf l'an 1697 et réparée en 1717, si l'on en juge par cette date, grossièrement taillée à droite du portail. Elle est ombragée par une double rangée de tilleuls séculaires. Si cette chapelle est d'une grande simplicité, elle n'en jouit pas moins d'une immense célébrité; le nombre des pélerins qui s'y portent sans cesse, la nuit (69) comme le jour, est prodigieux. Chaque année, aux fêtes de la Vierge, riches, pauvres, oublient: les uns, les plaisirs des cités, les autres, les travaux des campagnes, pour venir y goûter la douce et paisible jouissance de la prière; et tous retournent consolés.

En redescendant la montagne par le chemin rude et escarpé que suivent les pélerins, on rencontre sept pelits oratoires, humbles stations, que la piété visite successivement. Là encore, les pieds foulent de nombreux vestiges d'anciennes constructions. Mais poursuivons le récit de notre promenade.

Nous venons déjeûner agréablement au pied de la montagne, à gauche, au bord de la Vesdre, dans un berceau de lilas, d'où l'on entend le concert de la gent aîlée, accompagné du bruissement de la chute d'eau de la digue voisine.

Après un repos qui nous était bien nécessaire, nous remontons laVesdre en passant par le hameau de la Casmatroie, qui occupe le commencement de la vallée du Fond-des-Bois; puis, laissant sur notre droite Hauster avec son usine et son beau pont en fer, le premier, je crois, de cette grandeur qui ait été construit dans notre province, cheminant ensuite par monts et par vaux, nous nous retrouvons dans la vallée derrière le château de La Rochette. C'est de ce point que nous allons reprendre notre itinéraire.

Après La Rochette, le vallon s'élargit un peu; on traverse le hameau de la Brouck appartenant à la commune de Forêt, et qui renferme d'importantes usines, surtout une fabrique où depuis quelques années on réduit le carbonate de zinc provenant de l'exploitation de la Nouvelle-Montagne près de Verviers. Cette fabrique a remplacé d'anciens établissements métallurgiques qui existaient depuis 1507, et où l'on traitait des minerais de plomb, de sulfate de fer, de soufre et d'alun, qui s'extrayaient sur le lieu même. O n y voit encore de nombreux débris qui donnent à la terre une teinte rougeâtre.

Quand on a quitté la Brouck, on entre bientôt à Prayon, autre dépendance de Forêt, qui prendra incessamment plus d'importance que son chef-lieu, par les avantages que lui procure la nouvelle route. Il s'y trouve aussi des usines. C'est à Prayon que vient se terminer l'agreste et romantique vallée des Fonds-de-Forêt arrosée par le ruisseau de Soumagne-Saint-Hadelin, déjà désigné sous ce nom dans des chartes du 10e siècle. Il fait mouvoir, sur un parcours d'environ trois lieues, 15 à 20 usines (70).

A u-delà de Prayon, la nature se revêt de nouvelles formes: les rochers se resserrent, la vallée devient plus sauvage. On traverse la Vesdre sur un des nouveaux ponts, d'où l'on aperçoit, à la rive droite de la rivière, les monts élevés de Forêt; sur les flancs de l'un d'eux est un vignoble qu'a planté M. de Goër.

On arrive au Trou, ou Trooz (même commune ). La rivière s'y contourne et forme un coude assez aigu. Là se remarque une construction du moyen-âge, consistant en un petit corps de logis flanqué de deux tours carrées, et à laquelle un géographe moderne (71) donne le nom de Beaufort. Ce vieux castel, fidèlement dessiné par un artiste recommandable, notre compatriote Ponsart, se trouve dans la collection des vues lithographiées de la Vesdre, de l'Amblève, etc. A cet antique manoir est adossée une usine de canons de fusil. Disons en passant que les nombreux ouvriers de ce canton employés à la fabrication des armes à feu portent le nom de Kénoni, ou canonniers.

C'est au hameau du Trou que la nouvelle route, qui part de l'ancienne chaussée de Spa et qui suit le ruisseau de Mosheux, vient rejoindre la route de Liége à Pepinster.

En continuant de remonter la rive gauche de la Vesdre, on voit, après une demi -heure de marche, le village de Fraipont, qui se divise en Haute et Basse-Fraipont. Ce village est riche en laminoirs, en fabriques de canons de fusil, en tanneries , etc., etc...

Son vieux donjon seigneurial, type des castels féodaux, a disparu avec ses tourelles, sa herse, ses fossés et son pont-levis, depuis 1784 (72), pour faire place à une belle et commode habitation, située sur une roche calcaire, au pied de laquelle la Vesdre vient former un gouffre. C'est dans ce gouffre que se précipita, il y a environ 80 ans, le baron de St.-Paul, à la suite de son duel avec M. de Libert.

Fraipont faisait autrefois partie du comté de Logne, l'une des trois divisions ou Postelleries du pays de Stavelot; son château fut assiégé plusieurs fois au temps des guerres de seigneurs à seigneurs, qui désolèrent le pays de Stavelot comme tant d'autres. Le plus célèbre de ces siéges fut celui qu'il soutint contre un sire de Rahier, et durant lequel un domestique du château, revêtu des habits de son maître, fut tué en défendant l'entrée du pont-levis (73).

La seigneurie de Fraipont était soumise à un singulier acte de vasselage envers son suzerain. A l'avénement de chaque nouveau prince-abbé de Stavelot, le sire de Fraipont devait lui faire hommage-lige, tenant un brochet à la main droite; et pour qu'il n'y eût point de contestation sur la taille de ce gage de féauté, le poisson devait dépasser le dessus et le dessous de la main d'autant de pouces qu'il était dit.

Un peu plus haut que Fraipont, se voit un rocher à la base duquel est un abîme dont on ne saurait mesurer le fond, disent les habitants du lieu.

Nessonvaux vient ensuite: la Vesdre longe une partie de son territoire, où elle active plusieurs usines à canons de fusil et des moulins à bois de couleurs. O n y voit les belles pépinières des frères Michel, dont l'un, M. Pierre, a publié, conjointement avec M. le docteur Lejeune de Verviers, en 1824, un ouvrage remarquable sur l'agrostologie belgique. O n y trouve aussi une fontaine incrustante.

Il y a 18 à 20 ans que la Vesdre était encore navigable jusqu'à Nessonvaux. « Le facile et utile projet de rendre cette rivière navigable depuis Fraipont, où elle cesse de porter bateau, jusqu'au-dessus de Pepinster, et même fort près d'Ensival, étant devenu beaucoup plus praticable par la réunion de tous les petits pays qu'elle traverse, je crus en l'an6, que c'était le moment propre de tenter de le réaliser au moyen d'une souscription proposée aux plus intéressés. Je fus parfaitement bien secondé dans mes vues par les municipaux de Verviers ,dont l'arrêté fut rendu public, et surtout par l'un d'eux, le citoyen Chapuis, dont l'activité et le zèle pour tous les projets patriotiques sont assez connus,et que je me plais à nommer ici de préférence, parce que j'ai su que c'était contre lui que l'incivisme et l'ineptie s'étaient aussi de préférence acharnés, pour contrecarrer ce projet, en tâchant de le rendre odieux et même ridicule aux yeux des badauds, sous le nom de Projet du Port-Pepin. La malveillance n'a que trop bien réussi: voilà son noble ouvrage, et notre récompense! (74) »

Un peu avant d'arriver à la fabrique de draps de Gomélevay, fondée par M M. Frédérici de Verviers, on repasse de nouveau la Vesdre; on remarque là des jardins en terrasses soutenus par des murs secs artistement faits. La rivière y forme un demi cercle; la route, qui la suit dans son contour, passe au pied d'une montagne presque verticale; et bientôt on arrive au hameau de Goffontaine, renommé par ses moulins à bois de couleurs, dont l’un est mis en mouvement par une forte partie de la Vesdre, qui sort immédiatement de la roche après un parcours souterrain d'un quart de lieue d'étendue. A l'extrémité de ce hameau, la route passe à travers une roche calcaire à bancs verticaux, entre lesquels se voit l'entrée d'une caverne où le Dr Schmerling a découvert, en 1831, des essements fossiles de rhinocéros, de cheval, de boeuf, d'ours, de blaireau, de chien, de loup, de renard, de tigre, de hiène, etc. (75).

Après Goffontaine, la route décrit une courbe très-prononcée; on traverse la Vesdre sur le pont de Flaire, près duquel la rivière s'engouffre en partie pour reparaître, ainsi que nous venons de le dire, à Goffontaine. Dans le même endroit coule le Ry de molin a pour, en dessous du rocher nommé Gibraltar. Quand on a passé le pont de Louhau, on découvre à droite le château de plaisance des Mazures et son élégant châlet. Vient ensuite la riante campagne de Louhau, qui finit à la montagne près de la ferme du Moir-Bouname à Cornesse.

Un peu plus loin, la route se divise à angle droit; nous allons laisser la ligne qui conduit à Theux pour suivre celle de Verviers.

Quand on a dépassé le pont de Pepinster, les regards sont attirés par la disposition des bancs de roche calcaire qui, en partie, continuent à encaisser la Vesdre; par les belles fabriques de draps de Lefin; par le joli pont qui conduit à ces fabriques, et par la carrière qui avoisine le pont du Purgatoire.

Le bourg d'Ensival, aujourd'hui si florissant par ses établissements industriels, n'était, il n'y a guère plus de deux siècles, qu'un chétif hameau dont les chaumières servaient de repaire à une troupe de bandits. Au commencement du siècle dernier, ses habitants continuaient à payer un droit nommé la côte d'avoine, établi pour subvenir aux frais d'entretien d'une compagnie de gendarmes, destinée à purger le pays des brigands qui l'infestaient (76). Sa situation propice à l'industrie ayant accru le nombre de ses établissements, l'évêque Ferdinand de Bavière y érigea, en 1657, une cure particulière. L'élection de ses curés, telle qu'elle se faisait autrefois, a cela de remarquable qu'elle nous donne une idée de la simplicité de nos usages et de nos coutumes dans des temps encore si près de nous.

« Les principaux du bourg, après avoir assemblé le peuple dans une place que partage un petit ruisseau (77), lui présentaient successivement les ecclésiastiques aspirants. A chaque présentation, ceux à qui le sujet était agréable sautaient de l'autre côté du ruisseau, et par ce moyen donnaient leurs voix de façon que le prétendant qui avait eu pour lui le plus grand nombre de sauteurs, était élu curé d'Ensival (78). »

A part la belle vallée des Gérard-Champs, la route perd de ses beautés pittoresques à mesure que l'on approche de Verviers.

Il serait superflu sans doute, à l'aspect de cette ville si intéressante et si connue, de faire remarquer le génie industriel qui distingue ses habitants et de s'étendre sur l'importance progressive de leur industrie, sur les développements rapides qu'une activité bien dirigée a su donner à leur commerce (79). Ils ont le mérite peu commun d'avoir localisé et pour ainsi dire naturalisé chez eux une fabrication difficile, dont ils tirent toutes les matières premières de l'étranger, et que pourtant ils exploitent en maîtres sur tous les marchés du continent. Une application qui triomphe de toutes les difficultés, une persévérance qui surmonte tous les revers, y ont accru les capitaux et multiplié de vastes établissements, presqu'aussi remarquables par l'élégance de leur construction que par la perfection des produits qui en sortent. Il est juste de dire qu'à mesure qu'elle a vu ses richesses s'accroître, cette heureuse cité a vu aussi ses institutions de bienfaisance et de charité grandir et s'étendre dans une louable proportion: l'opulence s'y est montrée aussi généreuse dans ses libéralités que splendide dans ses habitudes de représentation.

Nous ne pourrions, sans sortir du cadre que nous avons adopté, nous arrêter à chacun des monuments faits pour attirer dans cette ville l'attention du promeneur; on nous permettra de ne mentionner que les principaux.
La vieille paroisse, que ses fondations, d'accord avec la chronique, font remonter à Ogier-le-Danois, l'an 888, vient d'achever son temps et de céder les honneurs de la cure primaire à un temple nouveau, élevé encore sous l'invocation de St. Remacle, à l'extrémité de la spacieuse rue des Reines. Ce dernier édifice, commencé le 22 septembre 1834, a été consacré le 8 octobre 1838. De généreuses et volontaires souscriptions en ont fait les frais.

Sans être tout-à-fait irréprochable, le caractère de ce monument ne manque pas de grandeur, et, pour être peu sévère, le style n'en est pas dépourvu de grâce. On a lieu d'espérer d'une munificence qui s'est montrée jusqu'à présent si large et si constante, les embellissements intérieurs qui doivent compléter l'effet que l'art et le goût attendent de l'ensemble de l'œuvre.

A côté de l'ancienne paroisse et faisant face au marché, se trouve l'Hôtel-de -Ville, construit en 1774 d'après les plans de l'architecte Renoz, auquel la ville de Liége doit plusieurs monuments remarquables. Ce bâtiment, sans luxe extérieur, est d'une assez heureuse distribution.

A quelque distance du marché et sur la Place-Verte se trouve, depuis 17 ans, une jolie salle de spectacle bâtie avec goût sur les dessins et sous la direction de M. Vivroux père; elle fut commencée en juillet 1820 et inaugurée le 2 7 septembre 1821.

La partie de la Vesdre qui traverse la ville sous un canal couvert, et qui alimente, dans un espace peu étendu, plusieurs établissements considérables, forme une séparation naturelle entre la Place-Verte et la Place des Récollets.

C'est au centre de cette dernière, la plus régulière et la plus spacieuse de Verviers, que, le 2 janvier 1794, l'infortuné Grégoire-Joseph Chapuis périt victime d'une réaction révolutionnaire. Ses opinions patriotiques furent, pour ceux qui se disaient les partisans du Prince-Évêque, la cause des persécutions qu'ils lui firent essuyer. Leur haine fut inexorable et acharnée: la tête du patient, que sept coups successifs n'avaient pu abattre, fut sciée à deux mains par le bourreau!... Pendant long-temps, deux peupliers plantés sur le sol que le sang de ce malheureux citoyen avait arrosé, ont rappelé cette affreuse catastrophe. Comme souvenirs des horribles excès dont l'esprit de parti est capable, ils pouvaient offrir un salutaire enseignement et même, à l'occasion, exercer une utile influence; nous ne savons pour quel motif on les a fait disparaître.

Non loin du lieu de ce sanglant sacrifice, est un asile de paix et de ferveur où les angoisses de l'âme et les tourments du corps viennent chercher incessamment des consolations et des appaisements. Qui ne sait combien la Vierge-Noire des Récollets est en vénération dans le pays? La renommée de sa bienveillance miraculeuse attire, à plusieurs époques de l'année, un concours immense de pélerins. L'image de la mère du Sauveur décorait d'abord le portail du couvent, construit de 1631 à 1633. Cette image devint, dit-on, par ses miracles, l'objet d'un culte si général et si assidu qu'il fallut se résoudre à élever un avant-corps de logis pour servir d'abri tout à la fois aux pélerins et au monument qui nourrissait leur dévotion. Cet avant-corps forme la chapelle que l'on voit aujourd'hui et qui précède l'église.

Un seul pont près de cette église rattachait naguère la ville, bâtie toute entière sur la rive gauche de la Vesdre, à son faubourg de Hodimont, qui longe la rive droite.

A l'endroit où, suivant la chronique, croissait le vieux chêne qui a donné son nom à la ville (Dans l'idiôme du pays, cet arbre séculaire était connu sous la dénomination de Vert-et-vi (vert et vieux.) Il figure dans les armoiries de la cité comme le perron dans l'écu liégeois. - Detrooz: Hist. du marquisat de Franchimont, pag. 96.), se trouvait, il y a quelques années, une rangée de grosses pierres qui barrait le lit de la rivière et qui servait de communication, dans les eaux basses, aux habitants des deux rives; un beau pont a remplacé cet agreste et dangereux passage. Commencé le neuf mai 1832, ce pont a été livré au public en décembre 1833; c'est un des actes qui honorent le plus l'administration locale, si prévoyante d'ailleurs et si dévouée aux intérêts de ses concitoyens. Du point de vue de la rive droite, il ouvre une belle et gracieuse avenue à l'élégant édifice qu'a fait construire la Société d'harmonie.

Dans l'impossibilité où je me trouve de suivre toutes les créations récentes, toutes les améliorations, tous les embellissements qui ont eu lieu depuis quelque temps, je dois me borner à dire que, dans l'espace des vingt dernières années, Verviers a subi une complète métamorphose. L'établissement projeté du chemin de fer, qui doit traverser cette ville, apportera de nouveaux éléments de progrès à sa prospérité.

Pour jouir du droit de Toulieu ou péage, les habitants de Verviers étaient obligés, dans les temps anciens, de se rendre à Liège le jour de la dernière fête de la Pentecôte avec croix et bannières, et de présenter à la cathédrale le denier de bon-aloi por leur chevaige. Plus tard, cette obligation se réduisit à ce qu'une personne de chaque ménage seulement accompagnât les croix et les gonfanons; plus tard encore, Verviers obtint de se faire représenter uniquement par une vingtaine d'hommes et de femmes payés à cet effet. Cette grotesque procession sortait de Verviers de grand matin, la croix en tête, au son du tambour et parfois du violon. Arrivée au Pont d'Amercœur, elle s'arrêtait devant la porte de la ville, qui ne s'ouvrait pour elle que lorsqu'elle en avait officiellement adressé la demande au Grand-Mayeur de Liége. Cette formalité remplie, les sergents, avec un chef subalterne de la police, escortaient les députés verviétois, qui, à l'instant même, devaient commencer à faire des gambades et des cabrioles. Je laisse à penser quel rire excitait ce spectacle dans la foule immense qu'il attirait chaque année.Entrés à l'église St.-Lambert, ils offraient au représentant du chapitre une bourse contenant trois pièces de métal différent, or, argent et cuivre; on la leur rendait pleine d'encens. Ensuite, ils allaient se ranger sous la grande couronne et en faisaient, plusieurs fois le tour en exécutant des danses, des entrechats et des sauts extravagants, tenant tous le pouce de la main. droite levé. Si la fatigue les contraignait de laisser retomber la main, à l'instant le peuple criait: l'pôse à haut! On prétend que si, parmi ces danseurs, il s'en était trouvé un assez habile pour toucher la couronne du bout des doigts, elle lui aurait appartenu de droit, et que la ville de Verviers aurait été pour toujours exempte de cette corvée (80). Pour compléter cette absurde cérémonie, digne du 13e siècle, qui semble être la date de son institution, les voûtes du temple retentissaient du bruit de la caisse, du tambour, et des cris de la multitude. La danse finie, le chef de la députation, au nom des habitants de Verviers, prêtait serment sur l'Evangile de revenir l'année suivante, à pareil jour, pour s'acquitter du même hommage. Cela fait, les Verviétois sortaient de la cathédrale dans le même appareil qu'il s’y étaient entrés; ils traversaient le Vieux-Marché, passaient par la rue Ste.-Ursule, devant l'hôtel-de-ville, dans la rue du Pont, et sur le Pont-des-Arches, à gauche, au-dessus de la seconde arcade. Là, ils brisaient « li stî », c'est-à-dire la mesure à blé qu'ils avaient apportée avec eux, et en jetaient les morceaux dans la Meuse. Ce dernier acte terminé, il leur était libre d'aller où ils voulaient.

On ignore l'origine de cette coutume connue sous le nom de Croix de Verviers; elle est ancienne sans doute, puisque Jacques de Hemricourt en parle dans son traité inédit De la temporalité. Fisen avoue qu'il n'en connaît pas la première cause; mais quelques-uns disent, ajoute-t-il, que le peuple de Verviers s'étant refusé à payer une redevance au chapitre de St.-Lambert, il fut condamné à cet acte de soumission (81).

La pièce suivante, extraite d'un vieux manuscrit des plus intéressants, appartenant à M. D... , offre quelques détails curieux sur cette cérémonie; mais elle ne dit rien non plus du motif qui y donna naissance.
« Clauses extraites du livre intitulé: L'ordre des cérémonies de la vénérable Église de Liége, touchant la servitude que ceux du ban de Verviers doivent à l'Église de Liége, d'y aller danser.

S'ensuivent les dansses que les surséants (manants ) de Vervier on tà faire et aux quelles ils sont tenus par tribut. — C'est a sçavoir que tous ceuse de Vervier se doibvent assembler le mercredy après le cinquieme (c'est a dire la Pentecoste) de bonne heure le matin et d'entrer a la grande eglise a Liége dessous la couronne et là m e m e » danssent.L'office divin fait,ils viennent en hour avec leurs croix et confanons, où il doibt avoir une bourse pendant, telle que les nouvelles marisse ont accoutumé de porter forme et tournois (car un ménage doibt audit jour a l'église de Liége un denier tournois), et en danssant doibvent marcher alentour du grand autel, cômençant du senestre côté au premier pilier, et après qu'ils seront parvenus en faisant leur tour pardrier l'autel au dernier pilier du droit coté, celui qui porte la croix doibt aller avec les mambours de Vervier au grand autel et les autres doibvent marcher avant avec leurs ménétriers, et continuant leurs dansses alentour dudit hour jusquesse à ce que ledits mambours soient retournez pardrier eux. Monsieur le doyen,
s'il est présent, et messieurs les maistres de la fabriq doibvent etre présents au grand autel et recevoir les offrandes en faisant inquisition aux mambours sur le serment de féauté, si tous les surséants de Vervier sont présents; car de droit ils y sont tenus de venir ou avoir excuse légitime. Lesdits deniers reçus et le serment pris dessusdits mambours sur les SS. évangiles, que l'an futur ils reviendront en tel etat, ledits Srs doyvent emplir ladite bourse d'encens. Ce fait, celuy quy porte la croix s'en va pour dansser avec les autres; dela ils s'en vont tous hors du hour en danssant jusqu'au milieu du marché, et là bouttant et frappant leur croix en mesure de bled condist le stier de muid, en danssant tout alentour de ladite mesure, et parmi ainsi ils sont quistes et exempts de toustes tailles et exactions du pays. Les autres de Jupille, du pont d'Amercœur et de St.-Pholien, viennent semblablement a la grande eglise où ils ont a dansser dessous la couronne et en vieux hour et non grand hour (82), et sont pareillement tenus daller en marché comme ceux de Vervier. »

Il est une vieille anecdote verviétoise trop remarquable par sa singularité pour n'être point également rapportée. Un poème plein de fines plaisanteries a été imprimé sur ce sujet à Amsterdam.

« Rien de plus vrai que, l'an 1641, l'on fit à Verviers la tentative de faire voler un chat. On l'avait attaché à quatre vessies gonflées d'air. Pour rendre l'animal plus léger, on le fit purger, et un apothicaire, nommé Saroléa, lui administra un clystère. Il fut ensuite porté en grande cérémonie sur la tour de l'église paroissiale, d'où il fut lancé en présence de la magistrature, qui avait pris la peine d'enjamber toutes les marches de la tour, pour voir de plus près le chat fendre les airs.

La pauvre bête fut lancée du haut du clocher, et, au lieu de voler, tomba sur ses pattes. Depuis ce temps-là, quand quelqu'un fait une sottise, on dit qu'il a fait voler le chat (83).»

Le jour étant à son déclin, nous revenons sur nos pas jusqu'au hameau de Massaux, où nous traversons la Vesdre sur le beau pont de Pepinster. Nous couchons dans cet endroit. Après une longue journée activement employée, il est doux de se reposer au gîte offert par une cordiale hospitalité.

Pepinster!... A ce nom, de siècles reculés
Les souvenirs fameux soudain sont rappelés.
Ici ce fier Pépin que la France révère,
Des destins des Français noble dépositaire,
Et d'un sceptre avili l'invincible rempart,
Dans de vastes forêts poursuivait avec art
Des animaux errants les peuplades timides... (84).

Pepinster, ainsi que son nom l'indique, était dit-on, l'un des établissements de chasse de ce fameux maire d'Austrasie (85) dont il a été parlé dans notre troisième Promenade. Il y a à peine 30 ans, ce village n'était encore qu'un petit hameau composé de quelques chaumières. L'industrie, qui vivifie tout ce qu'elle touche, en a fait un endroit important; on y compte aujourd'hui cinq riches fabriques de draps, et 1200 habitants. La nouvelle route qui le traverse n'a pas peu contribué à son agrandissement. C'est à Pepinster que la Hogne vient se jeter dans la Vesdre (86).

Le lendemain, de très-grand matin, nous recommençâmes notre course par l'examen des murs du diable, compris dans la montagne que M. J. Hauzeur a métamorphosée en un beau jardin anglais, sans pourtant lui rien ôter de son aspect sévère. Des chemins heureusement disposés conduisent à une roche siliceuse, dont les éléments, très-variés, arrondis et anguleux, ont produit, par une cause qui n'est pas encore expliquée, cette matière pierreuse, maintenant si compacte et si dure, nommée poudingue. Les murs du diable forment une crête à gradins qui règne depuis le bas jusqu'au haut de la montagne. On y observe des fissures horizontales et verticales, divisant la roche en gros blocs, que l'on croirait avoir été placés là par la main des Titans. Des ouvertures y donnent passage à la clarté du jour. La construction de la nouvelle route a nécessité le retranchement d'une partie de cette masse. Le gradin le plus inférieur est très-escarpé; il se termine par une crète longitudinale semblable à celle d'un toit. Néanmoins, pendant l'une de nos révolutions, un homme parvint à l'escalader et y arbora un drapeau. On conçoit cette téméraire tentative dans une tête que l'effervescence anime; mais l'audace ne croît guère en raison du danger. La profondeur du précipice, que mesurait l'œil effrayé du pauvre diable arrivé au faîte de la roche, lui fit subitement tourner la tête; il cria au secours de toute la force de ses poumons, et la peur produisit en lui une révolution dont les effets, lorsque l'on vint avec des échelles pour le délivrer, ne se firent que trop bien sentir à ses sauveurs; c'était comme un prélude à l'étrange avalanche qui a tout récemment affligé les dinantais.

Les murs du diable figurent de vastes bancs verticaux, qui, du nord-est au sud-ouest, forment une sorte de rempart des deux côtés de la vallée de Pepinster. Ils ont été rompus et usés vers le milieu, de temps immémorial, par les eaux de la Hogne. « C'est à cet endroit que vient aboutir l'issue naturelle du Cirque-de-Franchimont (87). »

Si l'on demande d'où vient le nom de Murs du diable donné à ces bandes de Poudingue, voici ce que la tradition vulgaire du pays raconte à ce sujet:

St. Remacle, 27° évêque de Tongres, qui vivait en 650, était parvenu à extirper les restes du paganisme dans cette contrée sauvage. Le diable en conçut tant de dépit qu'une belle nuit il se mit à l'ouvrage et construisit, avec les cailloux de la rivière, un mur qui, en arrêtant le cours des eaux, devait noyer en partie le marquisat de Franchimont. Les habitants alarmés prièrent St. Hermès, l'un des patrons du chef-lieu, de venir à leur aide. Le saint les exauça et d'un seul mot culbuta le mur, mais dans son centre seulement.

Lorsque l'on est parvenu sur le point élevé qui domine les murs du diable, on se trouve de niveau avec la crête de la chaîne de montagnes nommée Nid des aguesses. Sur le flanc de l'une d'elles, on distingue une place nue, grisâtre et rougeâtre. Suivant la chronique du lieu, c'est l'endroit où le cheval de Pépin s'est abattu; d'autres prétendent que c'est l'empreinte des pieds de Bayard, ce fameux cheval de l'aîné des quatre fils Aymon. La vue s'égare sur un horizon sans fin. Au loin s'aperçoivent les Hautes-Fanges, les montagnes des environs de Theux, celles de Louveinez, de Fraipont et de Soiron; Herve, Henri-Chapelle, le sommet de Tancrémont, la côte montagneuse de la Heid-du-moulin, et le château de Sohan avec sa tour en plate-forme servant d'observatoire, et sa belle culture qui rappelle le fidèle compagnon « de l'homme étonnant et malheureux qui consuma sur un rocher aride les restes d'une vie si féconde en grandes actions et en grandes fautes. » C'est à Sohan, en effet, que le comte de Las Cases, à la suite de son exil volontaire, vint nourrir sa mélancolie et les regrets qu'il éprouvait d'avoir dû quitter le maître qu'il aimait. Qui ne se souvient de Las Cases, à qui, au moment où il s'embarquait pour le Cap de Bonne-Espérance, Napoléon écrivit ces mots remarquables: Votre conduite à Ste.-Hélène a été, comme votre vie, sans reproches (88)(89).

Nous ne sortîmes de Pepinster qu'après avoir curieusement visité la maison du trop fameux Lamarmite (90). Cette maison, l'une des dernières de Pepinster, située à la droite de la route, vis-à-vis la roche du diable, réveille d'odieux souvenirs en rappelant une longue série d'atrocités. A côté de la chapelle, au milieu d'une prairie, est une petite maison rouge; c'est celle qu'habitait Piron Bailly, et c'est devant cette chaumière que Lamarmite a été exécuté.

En revenant un peu sur nos pas, nous traversâmes le terrain où l'on commence à élever une nouvelle église. Nous passons la Hogne sur le pont Verdin qui conduit au hameau de Mousset, remarquable par l'une des anciennes fabriques du célèbre Ternaux. Nous montons ensuite le rude chemin de Chalsèche, et après avoir marché pendant un quart d'heure sur la crête de la montagne dont la base est baignée par la Vesdre, nous descendons aux Mazures. Je ne reconnais cette localité que par son site, tant son nouveau propriétaire, M. E. Biolley, lui a fait subir de changements depuis 1835. L'ancien manoir des Mazures, que l'on prétend avoir été un repos de chasse de Pépin, est converti en un château de plaisance dans le style gothique; ses deux tourelles et les nombreuses aiguilles qui en surmontent le toît, lui donnent un aspect étrange et pourtant agréable. L'ameublement des appartements est en harmonie avec le genre d'architecture. Les chemins du jardin anglais y sont largement tracés; on regrette de les voir bordés de petites pyramides de pierres de taille, semblables aux bornes rapprochées d'une grande route; peut-être ont-elles une utilité que je ne comprends pas, mais elles sont, à mon avis, d'un assez mauvais effet. Le plus large de ces chemins conduit à un châlet suisse et aboutit au sommet d'un rocher calcaire qui porte le nom de Gibraltar; de là, la vue embrasse une partie du Limbourg, les environs. de Verviers, les hauteurs de Hansez, d'Olne, deFraipontet de Banneux; plus près, le Nid-des-Aguesses, Cornesse, Drolinval, Peleieheid, et, pour ainsi dire sous les pieds du spectateur, le château même des Mazures avec son pont en fer, le demi cercle que forme la Vesdre, et les ponts de Louhau et de Flaire, entre lesquels est la caverne où se précipite la Vesdre en majeure partie.

Après avoir parcouru l'amphithéâtre qu'embellit cette agréable et splendide demeure, nous remontons la montagne boisée de Chalsèche, et nous arrivons sur le plateau de Tancrémont après une demi-heure de marche. De ce point élevé se découvrent: Jevoumont, les Hautes-Fanges, Henri-Chapelle, le bois de Micheroux, Beyne et, par un temps serein, la citadelle de Liége. Tancrémont est une jolie habitation appartenant à M. Pirard, bâtie au milieu d'une lande immense, sur laquelle l'agriculture étend chaque jour son domaine.

Le but de notre excursion sur cette hauteur était de visiter le renommé Bon-Dieu de Tancrémont. Il est placé dans une chapelle ombragée de tilleuls et comprise dans la propriété de M. Pirard. L'entrée communique à l'avenue de la ferme. C'est un Christ d'environ quatre pieds de hauteur, revêtu d'une espèce de cilice, le tout grossièrement taillé dans un tronc d'arbre. Jadis, il occupait un point isolé de la bruyère; on l'invoquait surtout dans les temps de sécheresse. Une année que tous les biens de la terre dépérissaient faute de pluie, les habitants de Theux allèrent le chercher en grande pompe et le placèrent dans l'une de leurs églises. A peine y fut-il installé qu'il commença à pleuvoir abondamment, et les bonnes gens de crier au miracle! Mais la pluie continua pendant six semaines. Dans la crainte d'une submersion générale, on se hâta de reporter le Bon-Dieu à Tancrémont; il y demeura relégué dans un grenier pendant longues années. A la fin, il fut replacé dans une nouvelle chapelle, où il est toujours l'objet d'une vénération particulière, et où il attire de nombreux pélerins.

En quittant Tancrémont, nous dirigeons nos pas vers le romantique vallon de Juslenville, en passant par le hameau de Poïou-Fornay. Là se trouvent des mines de fer et un petit bassin houiller, qui a été exploité à plusieurs reprises depuis 1624 jusqu'à 1827 (91).

Non loin du bourg antique (92) où les fils de Vulcain
Sur l'enclume pesante arrondissent l'airain,
Il est un beau vallon, une riante enceinte,
De la belle nature inimitable empreinte (93).

Tout ce que l'on a pu dire à l'avantage de Juslenville est au-dessous de la réalité. Ce charmant endroit a été trop souvent célébré pour que j'essaie d'en faire une description qui n'en donnerait qu'une idée imparfaite à ceux qui ne le connaissent pas.

On n'a que des traditions vagues sur la première origine de ce hameau, jadis nominé JUSLINVEIE. Le 2 du mois de juin 1825, les ouvriers terrassiers qui travaillaient à la construction de la route royale de la Vesdre, trouvèrent dans un déblai, près de la maison d'un charron, une urne funéraire en terre rougeâtre et plusieurs pièces romaines en cuivre, qui furent envoyées au cabinet numismatique, à La Haye. Ils trouvèrent aussi des ossements humains, qui tombèrent en poussière au contact de leurs outils. Plus tard, on découvrit, encore à peu près à la même place, des tombeaux qui semblaient avoir appartenu à la même époque que les médailles. Les eaux thermales de Juslenville, qui jaillissent du calcaire anthraxifère et qui conservent une température de 14 à 17 degrés (94), n'auraient-elles pas été utilisées dans les temps reculés pour un établissement de bains tièdes? Qu'il y ait eu là très-anciennement des forges et des fabriques, c'est ce qui est incontestable: l'élégant et frais pavillon de Juslenville occupe la place d'un ancien haut-fourneau. On y voit encore des fouleries, des filatures et un martinet que fait mouvoir la Hogne.

C'est M. Fyon, frère du général de ce nom, qui a créé ce lieu enchanteur; c'est lui aussi qui en a fait construire la chapelle (95) dans le genre gothique, sur un rocher calcaire; elle est maintenant séparée de l'habitation par la nouvelle route.

Parmi les personnages de distinction qui ont le plus admiré Juslenville, il en est un que je dois nommer.

C'est toi, divine Hortense,
Bien digne de régner, si les Grâces régnaient!
Ton aimable bonté, ton esprit nous charmaient;
Et les âpres beautés, et les formes riantes,
Et les monts sourcilleux, les plaines verdoyantes,
Tu voulus, en ces lieux, tout voir, tout parcourir.
Tu ne te lassais pas d'admirer, de jouir;
Et quand, avec l'accent d'une grâce infinie,
Tu nous dis: c'est le jour le plus beau de ma vie!
Oh! quel doux sentiment électrisa nos cœurs,
Eveilla nos pensers, et fit couler nos pleurs (96)!

La reine Hortense étant venue à Spa en 1810, elle alla visiter Juslenville. M. Fyon, prévenu de son arrivée, lui fit une réception qui la toucha jusqu'aux larmes. Partout où elle passa, les chemins étaient bordés d'Hortensias, que l'on avait fait chercher dans tous les environs jusqu'à Liége. Enchantée de la beauté des sites, la princesse y demeura plusieurs jours. Le galant vieillard s'était retiré à la métairie pour céder le pavillon à sa royale hôtesse, à laquelle ce séjour fut si agréable que plusieurs fois on lui entendit dire qu'elle y avait passé les plus doux instants de sa vie.

C'est à regret que nous quittons Juslenville. Il reste tant de choses à en dire! Mais il faut de la diversité en tout, même dans les promenades.

Le désir de connaître le savant auteur du Coup-d'œil sur les volcans éteints des environs de la Kill, était l'un des motifs qui m'avaient ramené dans ces montagnes. Nous cheminâmes donc vers Theux. La maison de M. Dethier est l'asile de la paix et de l'amitié. Nous nous abordâmes comme d'anciens amis impatients de se revoir. Il est des hommes dont le cœur est ennemi de la contrainte et qui sympathisent si aisément! Assis au banquet de l'hospitalité, entouré de prévenances sans affectation, jouir d'une conversation à la fois instructive et variée, c'est un plaisir que l'on apprécie d'autant mieux qu'on le rencontre plus rarement. - Je n'ai jamais connu de tête plus richement meublée que celle de M. l'avocat Dethier; sa mémoire est parfaitement sûre: elle embrasse une immense variété de connaissances en jurisprudence, en géologie (97), en archéologie. Il n'est étranger à aucune science naturelle. Rien ne décèle en lui l'âge avancé, si ce n'est l'excellence du jugement. La malice du siècle peut seule expliquer comment un tel homme n'a pas été protégé par ses vertus contre les traits de la malveillance. Oh! qu'il a bien fait, le Nestor de la géologie belge, lorsqu'il s'est contenté de répondre aux attaques par ce mot si connu et si beau de Cicéron: Mea mihi conscientia pluris est quam omnium sermo (98).

L'habitation de M. Dethier est au pied d'une montagne revêtue d'arbres d'essences différentes, et où des chemins heureusement ménagés forment de charmantes promenades. A mi-côte, sur une petite esplanade, est établi une sorte de musée en plein air. Là se trouve rangée une collection de roches, de minerais, de madrépores et d'objets antiques d'un grand intérêt. Dans celte montagne se trouve aussi la carrière du plus beau des marbres noirs connus, qui rappelle tout-à-fait le marbre noir antique ou de Lucullus (99). Il prend un poli extrêmement brillant. En 1809 ou 1810, à la premiere exposition publique qui suivit la réorganisation de la Société d'Émulation de Liége, on en avait placé une plaque polie qui faisait l'office de miroir. Ce marbre est principalement employé à Paris pour en faire des socles, des vases, des pendules, etc (100). »

Quand nous eûmes parcouru cette pittoresque montagne dans toutes ses parties, MM. Dethier père et fils eurent l'obligeance de nous conduire au vieux château de Franchimont, qui est à un quart de lieue de distance. Nous suivîmes d'abord le chemin de Jevoumont, puis un sentier à gauche qui nous conduisit sur une petite place carrée du hameau du Marché, après nous avoir fait traverser un pont en pierres, sous lequel passe l'eau de Spa, et la Hogne ou eau de Polleur, qui porte, dans le langage du pays, le nom de Neure-aiwe. Ce hameau tire son nom du privilége accordé au bourg de Theux par Erard de La Marck, qui y établit un marché public (101).

Au boutde la place, au-dessous de la montagne, sont quelques misérables maisons qui occupent le terrain où s'élevait jadis une chapelle qui, prétend-on, indiquait l'endroit où Henri de Gueldre fut tué en 1284, par Thierry Lardinois. Peut-être était-ce une chapelle expiatoire fondée à ce sujet (102)(103). Dans un temps très-reculé, il a existé tout auprès un moutier qui a laissé à cette localité le nom de Vi-Mosti.

C'est encore au même endroit que mourut en odeur de sainteté, vers le milieu du 17e siècle, Anne Boumail, fondatrice de plusieurs couvents de l'ordre de St-Dominique à Anvers, à Chatelet, à Huy, à Liége et à Theux (104).

Nous traversons bientôt le ruisseau de Sassor et nous commençons à gravir le chemin qui mène à Franchimont. Malgré l'escarpement de ce chemin, on remarque que la roche y est usée par les roues des charrettes.

Le château de Franchimont était assis sur l'extrême bord vertical d'une montagne de grès ancien, assez schisteux, et contenant des bancs de calcaire anthraxifère; vers l'est; cette montagne communique par une pente peu sensible avec les hameaux de Sassor, d'où partait un canal qui amenait jadis des eaux dans la forteresse. Celle-ci dominait les défilés des vallées de Polleur, de Spa et de Theux, et elle était elle-même dominée par Chaivehieumont qui forme l'angle des vallées de Theux et de Sassor.

On voit encore s'élever audacieusement quelques beaux restes des anciennes tours féodales de cet illustre château, défendues contre les ravages du temps par le liérre qui les recouvre. Mais sur les créneaux de ces remparts, jadis inaccessibles, plus de chevaliers franchimontois; plus ne se voient les bannières victorieuses rubannées de vert et blanc. Ce sol, qu'ont foulé tant de braves guerriers, aujourd'hui silencieux et désert, est couvert d'une mousse aride. O n dirait qu'aucune fleur n'ose croître sur la poussière des héros. Mais,

Écoutons en rêvant la voix de cès ruines,
Voix aux mystérieux accents,
Aux accords inspirés, dont les notes divines
Toujours ont fait vibrer mes sens;
Cette voix qui se plaînt à la brise volage,
Qui jette en expirant son murmure aux échos;
Cette voix qui redit, pleurant de plage en plage:
Il tombe, Franchimont, le berceau des héros!
Hennau: Revue Belge, 3e année.— Août.

L'auteur de l'histoire du marquisat de Franchimont fait remonter l'origine de ce nom au temps de Pharamond, l'illustre chef des Francs (105). Ce qui est certain, c'est que nos autres historiens sont d'accord pour reporter la construction du château à Chilpéric.Celui-ci, ayant formé un camp dans les montagnes voisines de Theux, y fut défait.par Charles Martel (106). De là dérive sans doute le nom de Mons-Francorum, dont on a fait Franchimont.

Le bourg de Theux, chef-lieu du marquisat de Franchimont est, avec ses environs, la patrie de ces hommes généreux dont la valeur et le dévouement ne peuvent être comparés qu'à l'héroïsme des Lacédémoniens aux Thermopyles, et à celui des Suisses à Morat. Ils jouissaient du droit de cité dans la ville de Liége, à la condition d'être toujours prêts à la défendre.

Nous ne possédons aucun document précis sur la première origine historique de ce petit pays (107); il existe cependant un diplôme de 827 donné au palais royal de Theux par les empereurs Louis et Lothaire (108); l’acte d'une donation. faite par Zuentebold, roi de Lorraine, et par Charles-le-Simple, du 15 octobre 898 (109); et celui d'une seconde donation de ce dernier prince, en date du 8 des calendes de septembre 915, indiquant les limites du domaine de Theux (110). On cite encore une charte où le même Charles- le-Simple confère à un comte Reigner le titre de marquis de Franchimont. Réginard, le quatrième et dernier marquis, qui mourut sans postérité en Palestine, l'an 1012, disposa de son héritage en faveur de l'église de Liége; et c'est alors que nos Evêques eurent le droit de prendre le titre de marquis de Franchimont.

En 1148, l'évêque Henri, dit de Leyen, ayant entrepris de faire rebâtir ou restaurer les édifices appartenant à l'État, fit ajouter de nouvelles fortifications au château de Franchimont (111).

La même forteresse ayant été incendiée l'an 1387, par la négligence des soldats commis à sa garde, Arnold de Horne, notre évêque, la fit reconstruire plus grande et plus formidable qu'auparavant (112).

Franchimont joue un grand rôle dans nos annales. Charles-le-Téméraire, duc de Bourgogne, y séjourna huit jours dans l'hiver de 1468; de là, il se porta sur Polleur (113), brûlant du désir d'assouvir sa haine contre le reste de ces vaillants Franchimontois dont la valeur avait été si fatale aux siens; mais le froid vint au secours de ces infortunés, froid si rigoureux que l'armée bourguignonne elle-même faillit en périr. On était obligé de briser à coups de hache le vin que l'on distribuait aux troupes (114).

Les La Marck, qui, pendant le 15e siècle, ne cessérent de répandre l'effroi dans notre province, se maintenaient dans la forteresse de Franchimont au mépris de tout droit, se rendant coupables d'odieuses dévastations dans les environs (115). Le 14 juillet 1487, l'évêque Jean de Horne marcha contre cette place avec la milice liégeoise et dirigea contre elle le feu de 12 coulevrines (116) avec tant de succès que, 25 jours après, elle ne paraissait plus qu'un monceau de cendres. La garnison songeait à se rendre, lorsque Robert de La Marck, à la tête de troupes françaises, accourut en faire lever le siége. Les comtes de La Marck la firent légèrement réparer et continuèrent à la posséder à titre d'engagère. Enfin ils la remirent à l'évêque de Liége, Erard de La Marck, moyennant une somme de 50 mille florins du Rhin (117). Ce prélat fit rebâtir le château (118), qui depuis fut toujours habité jusqu'à l'arrivée des armées républicaines. Immédiatement avant cette époque, il servait de prison d'État: c'était là que la justice s'assemblait pour juger les malfaiteurs que l'on y renfermait; mais déjà alors, il était à demi ruiné.

Sa forme gothique, sa situation pittoresque, les fables inventées par la crédulité du vulgaire (119), tout contribuait naguère encore à enflammer l'imagination du peintre et celle du poète; aussi était-il visité par toutes les personnes qui allaient à Spa. Un jeune émigré, qui le parcourut avec sa sœur en 1793, en fait la description suivante:

« Après avoir suivi un sentier percé dans la forêt, nous arrivâmes, en gravissant la montagne, à une des portes du château de Franchimont; elle n'était plus défendue que par des ruines couvertes de lierre. Bientôt elle résonna sous les coups redoublés d'un gros marteau que le fidèle Antoine, qui était de toutes nos promenades, frappa de toutes ses forces: l'écho répéta ce bruit sourd qui se prolongea dans la vallée. Après avoir attendu quelque temps, nous entendîmes crier plusieurs verroux et ouvrir plusieurs portes; enfin, celle où nous attendions tourna sur ses gonds rouillés, et le concierge parut, tenant d'une main une lanterne et de l'autre un paquet de clefs; il nous salua brusquement, nous fit entrer et referma la porte sur nous.

Nous enfilâmes un grand corridor obscur où le jour ne nous arrivait que du bas, à travers un plancher usé qui recouvrait de profonds souterrains: on entendait un bruit semblable à celui d'une pierre que l'on jette au fond d'un puits. Ma sœur se rapprochait de moi en tremblant; le guichetier passa le premier avec sa lanterne, ouvrit une porte basse et nous conduisit par un escalier étroit au fond de plusieurs cachots où l'on n'entrait qu'en rampant. Comme il nous tardait de revoir le jour, il nous conduisit par le grand escalier dans des salles assez bien éclairées et meublées d'une manière gothique. Dans un appartement plus sombre, nous vîmes les instruments qui servaient autrefois à la torture des criminels. Nous suivîmes encore notre guide par un escalier jusqu'aux greniers. Il nous ouvrit une lucarne et nous proposa de faire le tour en dehors du château dans une galerie sans balustrade: nous le refusâmes. « C'est là, nous dit-il, d'une voix enrouée que s'est éteinte la race des seigneurs de Franchimont, par la mort de deux jeunes frères qui s'entretuèrent... (120) » . Le geolier nous assura qu'à minuit, on entend encore les deux frères ferrailler dans la galerie, et qu'ils disparaissent lorsque le coq commence à chanter. Ces faits merveilleux sont en harmonie avec la structure bizarre du château qui paraît désert, et avec l'air sombre du geolier que l'on prendrait pour un enchanteur qui peut d'un mot vous retenir enchaîné dans ces profondes cavernes. Nous vîmes encore plusieurs ruines qui contenaient des souterrains; mais il était dangereux d'y pénétrer. Après avoir parcouru tout ce que l'on pouvait voir, nous sortîmes par une porte opposée à celle par laquelle nous étions entrés (121)..»

Une industrie vandale détruisit plus en quelques mois l'antique édifice que ne l'aurait fait la puissance des temps en plusieurs siècles. Sous le gouvernement français, il s'y établit une fabrique de salpêtre qui a tout renversé.

Il y a 9 ou 10 ans qu'un nouvel acquéreur, Mr G., de Namur, a fait quelques réparations à la porte d'entrée et aux murs latéraux.

L'intérieur du château ne présente plus que des amas de décombres et quelques pans de murailles; on y voit encore néanmoins des restes de tours et d'autres débris dignes de l'attention des curieux.

Que de ruines sur le sol tant remué de notre vieille Europe! Que d'empires détruits! que de grandes nations éteintes! Que de hauts et superbes édifices, qui semblaient défier les outrages du temps, ne laissent pas même de trace de leur existence, tandis que nous aujourd'hui, hommes libres, nous parcourons paisiblement l'enceinte redoutable d'où un tyran farouche aurait lancé autrefois un arrêt de mort contre le téméraire qui se serait avisé d'examiner seulement la hauteur de ses créneaux!... Toutes ces vicissitudes des siècles assiégent notre pensée. Livrés à ces graves réflexions, nous franchissons un sentier à travers les ruines, et nous parvenons sur le comble de la chapelle gothique. A travers les embrasures de ses fenêtres en ogives, nos regards plongent dans de fraiches et ravissantes vallées; la nature se montre à nous parée de tous ses attraits; elle semble nous dire: Moi seule, je ne change pas, car mon auteur est la puissance créatrice de l'univers.

Qu'elle est belle, la vue dont on jouit de cette partie des ruines de Franchimont! Quel spectacle sublime présentent aux yeux les vallées de Spa, de Polleur et de Theux, le point de réunion des eaux du Wayai avec celles de la Hogne, les hameaux de Spixhe et de Renault-Fosse; la grande route de Theux à Spa, la forêt de Staneux, les Hautes-Fagnes, le vallon de La Reid que couronne le Haut-Maret, et la vaste bruyère nommée Poralée St.-Remacle. A droite se représentent, sous un aspect différent, Mont, Jevoumont,Tancrémont, le Nid-des-Aguesses, Sohan, Theux et ses environs.

C'est à regret que je m'arrache à la contemplation de ce magnifique panorama, pour escalader un beau reste de tour. Je reconnais, au centre du château, une source d'eau limpide parfaite au goût. Je portais alternativement mes regards des remparts aux murailles qui, en quelques, endroits, ont plus de dix pieds d'épaisseur, lorsque je fus tout-à-coup distrait de mon examen par la vue de notre vénérable octogénaire. Appuyé sur un bâton noueux, il descendait d'un pas assuré la ruine de la chapelle, passage qu'un homme vigoureux, s'il était quelque peu timide, ne franchirait pas sans crainte. Je me rappelai, en le voyant, ces paroles d'un écrivain spirituel: « Telle est aussi la profonde impression que produit sur notre âme l'aspect des débris de l'homme, et telle est la longue rêverie où nous jette la contemplation de la vieillesse. Mais les ruines nous offrent des spectacles divers qui excitent en nous des idées souvent très-opposées entre elles. On regarde avec indifférence les décombres d'une mazure, et avec respect les vieux restes d'un noble monument.La vieillesse qui termine une vie obscure ne nous inspire que de la pitié; celle qui couronne une vie utile, vertueuse, illustre, nous commande de la vénération (122). »

En sortant du vieux château de Franchimont, nous examinâmes l'extérieur de ses remparts. Vers l'est, ils présentent l'entrée d'un long souterrain en partie cachée par des broussailles et qui n'offre rien de remarquable.

Nous prîmes la direction de Polleur en suivant un sentier qui, à mi-côte de la colline, passant par le hameau de Sasserotte et le romantique Fond-Hesset, nous conduit à Polleur, situé au fond de la vallée où coule la Hægne.

Selon l'assertion de l'historien Detrooz (123), on trouve dans les annales de Trèves que Polleur est le plus ancien village de toute la contrée, et l'unique qui existât autrefois entre la ville de Trèves, le pays des Eburons et la Tongrie. Les mêmes annales rapportent que Polleur, placé dans un fond, était entouré d'une forêt de chênes dont les arbres excédaient 50 coudées de hauteur; et que c'était dans cet endroit que Saint-Materne prenait gîte lorsqu'il se transportait de Tréves à Tongres. Ce qui paraît beaucoup plus incontestable, c'est qu'au 15e siècle Polleur était riche et fort renommé par ses forges.

Malgré l'excessive rigueur du froid, le duc de Bourgogne, poursuivant à outrance les restes de la vaillante légion franchimontoise (124), vint camper à Polleur; non seulement, détruisit les maisons et les usines, mais il fit encore mettre le feu aux forêts (125). Depuis cette désastreuse époque, ce village ne s'est jamais relevé au niveau de son ancienne prospérité.


C'est à Polleur que, le dimanche après le 15 août, se célébrait la fameuse fête de la Cour-du-coucou qui attirait un concours prodigieux de monde.

Les justiciers s'assemblaient chez leur président ou chef- marguillier, dans le principal cabaret de l'endroit, dont la maison était près du pont qui sépare la commune de Polleur de celle du Sart. C'était sur ce pont que le tribunal marotique tenait ses séances, où devaient comparoir les maris trompés, battus par leurs femmes ou trop débonnaires, et tous ceux qui étaient entachés d'un ridicule quelconque. Là s'établissaient les plaidoyers les plus burlesques; les étrangers eux-mêmes qui y assistaient comme simples auditeurs étaient interpellés par des demandes ou des apostrophes souvent obscènes qui provoquaient le rire de la multitude. Les prétendus délinquants étaient condamnés à payer une amende dont le cabaret profitait, ou parfois à monter dans une charette que l'on faisait marcher à reculons jusqu'au bord d'une mare à fumier dans laquelle ils étaient versés. Enfin, pour terminer dignement la fête, on jetait dans le ruisseau le dernier marié du village.

A cette cérémonie présidait l'image de la Bête de Staneux; c'est un tableau peint sur toile, représentant une sorte de Centaure, moitié femme et moitié cheval, avec une queue de lion. La tête est ornée de longs cheveux: le haut de la poitrine présente la conformation d'une personne du sexe bien développée, ayant des bras et des mains. De la gauche elle tient un arc, et de la droite une flêche. Ce tableau était exposé à la vue des curieux dans un cabaret de l'endroit; il n'a cessé de figurer en public qu'en 1789, lorsque la fête de la Cour-du-coucou a été supprimée. De temps immémorial, il était soigneusement conservé dans l'église paroissiale; c'est seulement depuis 60 ans que le curé l'en a fait sortir, de même qu'une statue en bois, grossièrement taillée, qui occupait une place dans le parvis de l'église; cette dernière a été mise au feu (126).

Quelle était cette bête de Staneux (127) dont l'origine est inconnue et qui peut-être remonte au temps des druides? Selon l'opinion la plus accréditée, qui est aussi celle du savant archéologue, M. Dethier, on avait voulu représenter sous cette forme la déesse des Ardennes. Quoi qu'il en soit, les habitants de Polleur prétendent que la cérémonie de la fête de la Cour-du-coucou, à laquelle figurait le tableau du Centaure, se pratiquait en commémoration de la victoire que leurs ancêtres avaient remportée sur un monstre qui séjournait jadis dans la forêt de Staneux et qui désolait toute la contrée: victoire qui leur avait donné des droits dans la forêt voisine.

Dans le manuscrit des records et édits du marquisat de Franchimont de 1691, se trouve un jugement, en date de 1476, où il est dit qu'il n'y a que Franchimont, Marché et Theux qui aient droit à la forêt; mais il est ajouté, en note: « Les habitants de Polleur, village dépendant du ban de Theux, prétendent avoir droit audit Staneux, et effectivement en jouissent pour avoir, à ce que dit la tradition, tué une beste dite la beste de Staneux. »

Nous revenons de Polleur par le Fond-Hesset el nous passons par Sassor et par Sasserotte, où l'on distingue un escarpement rougeâtre nommé Chauveheid. C'est dans ce lieu que, vers l'an 1586, notre évêque Ernest de Bavière établit une fabrique de soufre et de sulfate de fer. Bientôt, nous nous retrouvons sur la place dé Marché, et nous rentrons à Theux en longeant la rive droite du biez de Bouxherie.

Theux n'offre plus qu'un faible simulacre de sa splendeur passée. Quelques auteurs assurent que les rois d'Austrasie y possédaient un palais. Ses forges, ses usines et ses édifices ont disparu en 1468, lors de l'incendie général du marquisat par lesBourguignons. On n'y voit plus que quelques vestiges de ses anciens remparts, qui n'ont jamais été bien importants. Sa vieille église mérite seule aujourd'hui´ d'être visitée.

La tour carrée de cette église est.visiblement plus antique que le reste de l'édifice; les meurtrières dont elle est percée prouvent qu'elle a été fortifiée. A sa base, du côté du parvis, se voit un fragment de croix tumulaire portant cette inscription fort bien conservée: Ici repose Helman Pison, l'an 600. Il est inutile de faire remarquer que les caractères de cette inscription ne s'accordent point avec sa date reculée; on pourrait croire que l'on y a omis le chiffre 1, qui donnerait 1600; mais il paraît avéré qu'elle était connue à cette place bien antérieurement au 16° siècle.

A l'extérieur de l'église, derrière l'un des autels, est une autre pierre incrustée dans la muraille, taillée en croisette, et représentant la figure d'un Christ. Les quatre coins sont occupés par de petits anges ailés, assis sur des lions. Elle semble avoir fait partie d'un plus grand monument, mais elle porte le caractère d'une haute antiquité.

L'église de Theux dédiée à St-Hermès et à St-Alexandre est bâtie dans d'assez belles proportions; elle est de 145 pieds de long, sur 55 de large. La voûte de son vaisseau est élevée et d'une construction hardie: elle repose sur deux rangs de colonnes qui séparent la nef principale des nefs latérales. On y observe quelques tableaux de médiocre exécution. Dans la chapelle à droite du maître-autel, sont deux belles pierres sépulcrales de deux gouverneurs de Franchimont; l'une couvre les restes de Henri d'Eynatten, mort l'an 1579; l'autre, beaucoup plus ancienne, est en partie cachée par les stalles du grand chœur; on prétend qu'elle appartient à un sire de Lynden. Mais ce qui a particulièrement fixé notre attention, ce sont les fonds-baptismaux, fort curieux par leur structure antique et où se voyent des figures bizarrement sculptées. Sous le parvis de l'église se trouvent aussi deux bénitiers d'un travail qui semble appartenir à peu près à la même époque.

Tandis que je me livrais aux réflexions que font toujours naître en moi les tombeaux et les inscriptions qui les couvrent, je fus tiré de m a rêverie par des accords doux et mélancoliques. L'orgue exprimait des idées et des sentiments qui coïncidaient parfaitement avec ceux que j'éprouvais en ce moment; il exécutait la dernière pensée de Wéber. Ayant demandé au bedeau ce que signifiait cette musique extraordinaire, j'appris qu'il fallait l'attribuer à la présence du facteur d'orgues de Visé, qui, depuis deux jours, travaillait à restaurer celui de la paroisse.

N'ayant plus rien à voir dans l'église, le désir nous prit de visiter l'intérieur de la tour. C'est surtout en montant les degrés de cette tour usés par le temps, que l'on peut apprécier son ancienneté et se convaincre qu'elle servit jadis de tour-forte isolée. On distingue fort bien, à celle de ses faces contre laquelle l'église est appuyée, les meurtrières et les machicoulis dont elle était percée.

Les cloches sont au nombre de quatre: deux sont du 19e siècle. La plus petite des deux autres, nommée Alexandre, est de 1471; la plus grosse porte le nom de Marie et la date du 12 juin 1382. D'après cette date, l'église ou plutôt la tour de Theux n'aurait pas été comprise dans le saccagement du bourg en 1468.
Nous poursuivons notre promenade, en prenant la grande route de Spa. Vis-à-vis des ruines de Franchimont, on passe au pied d'une montagne sous laquelle une fausse tradition prétend que les 600 Franchimontois sont enterrés. On y lit l'inscription suivante due au patriotisme de M. Dethier: Aux mânes des 600 Franchimontois, morts pour la patrie, en 1468!

N'est-il point étrange qu'aucun monument n'ait été élevé dans le pays pour éterniser la mémoire du plus noble trait de notre histoire nationale?

Rien de plus séduisant que la verte vallée qui s'étend de Theux à Spa. Partout des fontaines se précipitent des sinuosités des montagnes dont elle est encaissée et viennent grossir la Spiheroule, dont les rives offrent un beau gazon émaillé de fleurs. La vue du bourg semble déjà promettre aux étrangers les plaisirs ou la santé qu'ils viennent y chercher. Pour nous, qui n'y allons pas pour le simple amusement, nous n'y resterons que le temps strictement nécessaire pour visiter quelques-uns de ses sites charmants et ses plus délicieuses fontaines.

L'après-midi, nous prîmes le chemin du Champignon. C'est une promenade taillée au milieu des montagnes qui dominent Spa. Elle est tracée de manière à conduire le promeneur à travers les précipices sans qu'il s'en aperçoive. Elle offre des allées touffues, au sortir desquelles on se trouve subitement frappé de la vue du bourg, des bruyères, des monts sauvages et des collines agrestes qui n'attendaient que lamain habile du Kent liégeois (128) pour devenir un vaste jardin, où tout invite à aller exercer le don merveilleux de la pensée.

Arrêtons-nous à l'endroit nommé Annette et Lubin: il domine la Place-Royale. Une simple croix désigne l'emplacement de la cabane de ces deux villageois, dont je vais raconter la naïve histoire.

Joseph et Jeanne étaient enfants de deux sœurs. Restés orphelins dès l'âge de 12 ans, ils habitaient la même cabane sans se douter que le sentiment qui les unissait eût quelque chose de repréhensible. Toute leur richesse consistait en une douzaine de chèvres qu'ils gardaient ensemble sur la montagne du Sart. Pendant l'été ils en vendaient le lait à Spa, et l'hiver, ils le convertissaient en fromage. A ce moyen d'existence venait se joindre la vente des fraises qu'ils cueillaient dans les bois et celle de quelques petits ouvrages de vannerie.

A 16 ans, Jeanne était une brune piquante, aux yeux noirs,cau teint de rose; on ne pouvait la voir sans admiration. Joseph était un beau garçon que l'on aurait pris pour le Sylvain du lieu.cIls ne pouvaient envier des biens qu'ils ignoraient; leur vie était une continuité de bonheur et de jouissance. Enfants de la nature, ils en suivaient l'impulsion, sans penser qu'ils pussent s'écarter des lois de la religion et des convenances sociales.

Un dimanche pourtant, à l'issue de la grand messe, Joseph et Jeanne remarquèrent que les jeunes filles chuchottaient en les regardant, que les garçons souriaient, tandis que les vieillards lançaient sur eux des regards sévères. « Qu'avons- nous fait, Joseph? demandait Jeanne: pourquoi sommes-nous devenus l'objet de l'attention générale? On a l'air de nous fuir, de nous mépriser! Je n'en sais rien, répondit Joseph, mais je t'assure que je ne m'en inquiète guère. Qu'on nous aime ou qu'on nous fuie, peu nous importe: ne penses- tu pas comme moi, Jeanne? »

Ce ne fut pas sans surprise que le jeune couple vit un jour entrer le pasteur dans sa chaumière. « Mes enfants , leur dit celui-ci, votre demeure est si écartée que j'ignorais jusqu'à son existence; il circule sur votre compte un bruit que j'ai voulu vérifier moi-même. » La jeunesse ne sait guère dissimuler; il fut donc facile au curé de connaître la vérité… « Malheureux enfants, continua-t-il, votre faute est d'autant plus grande que le degré de parenté qui existe entre vous ne permet pas que vous puissiez la réparer à temps.
Ce ne fut pas sans étonnement que Jeanne apprit alors qu'elle serait bientôt mère; que, son union avec Joseph n'étant point légitimée par l'église, le fruit de leur amour était destiné à rougir de sa naissance et qu'eux-mêmes seraient méprisés par les autres villageois.

C'était à la fin de juillet, moment le plus brillant de la saison de Spa. Lord ***, grand amateur de promenades champêtres, avait souvent été conduit par Joseph dans les rochers les plus escarpés des environs; souvent aussi il s'était arrêté dans la cabane solitaire des deux amants pour qui il avait conçu le plus vif intérêt. Ayant appris leur fâcheuse position, il vint à leur secours. Leur histoire devint la nouvelle du jour parmi les nombreux étrangers qui se trouvaient à Spa: tous voulurent concourir au bonheur du jeune couple. On obtint de Benoît XIV la dispense nécessaire pour leur mariage, et leur cabane rebâtie devint le but de la promenade favorite (129). Les noms de Jeanne et Joseph étant trop vulgaires, on y substitua ceux d'Annette et Lubin (130).

Les nouveaux époux vivaient heureux et contents au sommet de leur montagne, quand un Français, spéculant sur leur célébrité, les engagea à aller à Paris, où ils furent produits dans les promenades, les salons et les spectacles, et se montrèrent aux Italiens, un jour qu'on représentait l'opéra qui porte leur nom (131). »

Il est incontestable que le coin de la stérile Ardenne où Spa est situé faisait partie de l'Eburonie transmosane. Un de nos plus respectables archéologues (132 ) conjecture non sans raison qu'Ambiorix, ce valeureux chef des Eburons, y avait sa demeure, où il fut surpris par un capitaine de César, nommé Basilus, qui l'aurait fait prisonnier, si la résistance des siens n'avait facilité sa fuite à travers les forêts.

Spa ne sortit de son obscurité qu'à la fin du 11e siècle, où l'on commença à connaître l'efficacité de ses eaux minérales. A la fin du 13e, les nouveaux mariés avaient coutume d'y conduire leurs femmes, dans la persuasion que ses sources jouissaient d'une propriété fécondante. Ce fut vers cette époque qu'un forgeron, nommé Wolff, devint le second fondateur de Spa, en formant plusieurs établissements autour du Pouhon. Bientôt la bonté connue des eaux de cette fontaine et les cures qu'elles opérérent attirèrent de toutes parts une foule d'étrangers. Le roi d'Angleterre vint à Spa en 1664; Pierre-le-Grand en 1717. D'autres princes s'y succédèrent. Cet endroit acquit une célébrité qui le fit surnommer par le roi de Suède le café de l'Europe. Mais, tandis que la renommée de Spa s'accroissait d'une manière rapide, ses habitants ne se mettaient guère en peine d'en augmenter les agréments. La seule promenade que les étrangers pussent fréquenter était le jardin des Capucins.« Ceux qui n'aiment ou n'ont pas la force d'aller loin promener, dit le bon docteur Nissel (133), trouvent toujours le beau et curieux jardin desnRévérends Pères Capucins, où ils peuvent jouer à quantité de petits jeux innocents et arroser le gazon; et, en cas d'une autre nécessité, il y a un quartier à part pour les hommes et un autre pour les femmes. »

Cependant, la plupart des étrangers, accoutumés aux douceurs d'une vie délicate, se récrièrent sur les privations qu'ils éprouvaient. Les Spadois sentirent enfin la nécessité de procurer à leurs hôtes des logements commodes; de beaux hôtels s'élevèrent, ainsi que des édifices convenables pour de brillantes réunions. On bâtit des salles de redoutes, le Vaux-Hall et la maison Levoz, dont la construction fut un des prétextes de la révolution liégeoise.

La guerre amena une stagnation funeste dans les sasons de Spa; le terrible incendie de 1807 en compléta la ruine.

Un moment a changé ce fortuné séjour,
Que chérissait Vénus, qu'avait choisi l'amour;
Où les plaisirs dans tous leurs charmes
Venaient en foule et composaient leur cour...(134).

N'étant qu'à une lieue du Sart, nous en prîmes le chemin, en passant par les hameaux d'Arbespine et Tiége-Sart. Le village du Sart est fort ancien; il faisait partie du marquisat de Franchimont. L'importance de ses mines de fer et de ses forges lui fit prendre un tel accroissement qu'en peu d'années il devint le chef-lieu de 12 communes différentes (135); mais ayant subi la désastreuse catastrophe de 1468, ses usines furent détruites à jamais. A la fin du siècle dernier, on voyait encore au Sart les restes d'un donjon qui avait appartenu au vaillant damoiseau Jean de Sart, dit le Helman, bourgmestre de Liége en 1458, par l'influence duquel les Sartois avaient obtenu, l'année précédente, le droit de bourgeoisie: Sarenses civitatis jus obtinent (136). Le perron, symbole de la liberté liégeoise, y fut planté solennellement; il existe encore à la même place (137).

Les environs du Sart n'offraient jadis qu'un grand désert, marécageux et fangeux. Malheur à celui qui errait dans cette solitude dénuée de végétation et presque toujours chargée de sombres brouillards, même dans les beaux jours de l'été! L'hiver, un sol couvert de neige entassée dissimulait les abîmes creusés par l'extraction des tourbes. Atteint par la nuit ou par la tempête, l'étranger devait nécessairement y périr; et ce malheur n'arrivait que trop souvent. Un riche industriel du Sart, surpris par l'ouragan au milieu de ces landes sauvages, crut qu'il n'avait échappé au danger d'y périr que par une permission toute spéciale du ciel. En reconnaissance de ce bienfait, il fit bâtir un hospice dans l'endroit le plus périlleux. Chaque soir, à pareille heure, ou lorsque le ciel était couvert de nuages menaçants, ou lorsque la neige couvrait les sentiers de la bruyère, enfin lorsque la nature semblait conjurée contre le voyageur, la cloche de la bienfaisance se faisait entendre au loin dans tous les alentours; des jalons indicateurs, placés de distance en distance, guidaient les pas du voyageur errant vers cet asile charitable, où tous les secours de l'hospitalité lui étaient généreusement prodigués (138).

Revenus à Spa, nous visitâmes, ce soir-là même, les fontaines de la Géronstère et de la Sauvenière, distantes l'une de l'autre d'une demi -lieue, et situées dans des bosquets charmants, où murmurent des ruisseaux qui se transforment en cascatelles pour se jeter ensuite dans de profonds ravins. Près de la Sauvenière est une roche où se trouve une sorte de cavité; les bonnes gens prétendent que c'est l'empreinte du pied de saint Remacle, qui a la vertu de rendre fécondes les femmes stériles (139).

Que dirai-je encore de Spa, de ce lieu si célèbre en Europe? Que servirait-il de parler de la pureté de l'air
que l'on y respire, de la propriété médicale de ses sources; de ses établissements, de ses édifices, de ses bals, de ses salles de spectacle et de jeu, de la bonne chère que l'on y trouve, et des sites ravissants de ses environs, où tout ce qui concourt à l'agrément et aux jouissances de la vie se trouve réuni? Pourquoi parler de toutes ces choses, si généralement connues, si souvent et si bien décrites?

Le lendemain, nous étions de bonne heure sur l'ancienne route de Liége à Spa. Elle n'est point aussi agréable que celle de la Vesdre; pourtant les sites que l'on y rencontre sont aussi très-variés.

En sortant de Theux, la chaussée est roide à monter; elle sépare deux jolis vallons. A gauche, est celui de Wislez avec sa source minérale; à droite, celui qu'occupe le hameau de Hodbeaumont, où se trouvent d'abondantes mines de fer et les belles plantations de M. Lhomme. Parvenus au sommet du Thier de Mont, nous nous sommes retournés bien volontiers pour embrasser d'un coup-d'œil cette brillante série de montagnes et de vallées que nous avions parcourues depuis deux jours. On traverse ensuite une vaste bruyère essartée dans plusieurs de ses points; on passe par le hameau de Bannoy, et de là par Louveignez (140). En quittant ce village, on descend à Stinval, l'une de ses dépendances, et l'on côtoye une vallée dominée à droite par une chaîne de rochers, l'une des plus élevées de cette contrée, tandis que du côté opposé s'étalent de riantes prairies rafraîchies par le ruisseau de Stinval, qui fait mouvoir des moulins, et dont les bords sont ombragés par des plantations de saules. Au-dessus d'une montagne fort escarpée, se voit un tilleul isolé, près duquel se trouvent les vestiges de l'ancienne tour féodale de Louveignez connue sous le nom de Coirfalise. C'est dans ce donjon que le comte Evrard de La Marck fit renfermer pendant trois ans, en 1488, Jacques de Horne ,Raës de Waroux, Nicolas de Cortemback et plusieurs autres grands seigneurs, faits prisonniers à Haccourt, à la suite du malheureux combat du pont des Arches à Liége (141).

La route, qui continue d'être encaissée, se contourne à angle droit près de l'hôtel du Grand soleil et monte rapidement jusqu'au-dessus du hameau des Forges. Là, nous sentant fatigués, nous nous assîmes sur un tertre où nous respirâmes avec une sorte de volupté le parfum aromatique du serpolet; et de ce point élevé nous admirâmes le tableau magnifique qui s'offre aux regards du voyageur. Pendant l'été, quand le reflet des rayons du soleil dore le sommet des montagnes couronnées de nuages aux vives couleurs; quand, dans les vallées, les arbres chargés de fruits présentent des teintes brillantes et nuancées, et que la fumée des chaumières dispersées se perd çà et là dans l'immensité des airs, il est impossible de ne point demeurer en extase devant un pareil spectacle... Ces modestes habitations sont dominées par le village d'Andoumont, dont la position sur un rocher élevé sert de point de vue au château de Gomzé (142), qui a remplacé l'antique manoir dont parle Hemricourt (143) et qui rappelle encore le souvenir de Guillaume de La Marck, le sanglier des Ardennes. C'est là qu'il fit conduire le brave Jean de Horne, fait prisonnier à la fatale journée du 29 août 1482, à Grivegnée. Heureusement celui-ci sut se ménager des intelligences avec la fille du châtelain, qui favorisa son évasion (144).

Le jour touchait à sa fin, lorsque nous traversâmes la bruyère de Beaufays, d'où l'on découvre un immense horizon. Ce nom de bruyère lui est resté d'une époque peu éloignée où cette plaine ne présentait qu'un terrain stérile. L'agriculture a triomphé à peu près de ce sol ingrat. Autrefois sa partie orientale était couverte d'une grande forêt qui s'étendait jusqu'au bord de la Vesdre à Prayon. Cette forêt fut cédée, en 1215, par Robert, évêque de Verdun, à quelques religieux qui vivaient, sous la règle de saint Augustin (145), dans un monastère établi en 1123 pour l'un et l'autre sexe (146). L'augmentation progressive du personnel les obligea ensuite à se créer une succursale à la Vigne-Notre-Dame ou Vieux-Vignoble, dont on a fait Vivegnis (147).

Vingt ans après, l'évêque Jean d'Eppes, sentant toute l'inconvenance de ce mélange des deux sexes, en ordonna la séparation. Les femmes durent rester à Vivegnis et les hommes demeurèrent au monastère primitif (148).

On passe ensuite sur le territoire de la commune d'Embourg , qui fut, dit-on, la capitale des Eburons, dont les Liégeois tirent leur origine. Il ne reste aucun vestige du séjour de ces vieilles peuplades en ce lieu, et cela se conçoit; leurs maisons n'étaient formées que de terre et de branches d'arbres; ils entretenaient tout auprès des pâturages pour leurs troupeaux.

Un de nos historiens (149) prétend qu'Embourg est le célèbre Atuatuca que César désigne sous le nom de Castellum. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'en y faisant des fouilles, on a trouvé des murs qui doivent avoir appartenu à un ancien fort (150). La dureté du ciment en rendit la démolition presque impossible (151). Cet endroit a sans doute été l'un des premiers habités de notre pays. A la demande du comte Renaud , châtelain de Chèvremont, saint Monulphe, vingt-et-unième évêque de Tongres, y consacra une église en l'honneur de Saint Jean-Baptiste vers la fin du sixième siècle. Voici l'inscription qu'on lit encore sur l'autel d'une de ses chapelles.

D. O. M.
Virgini Matri,
S. Præcursori patrono, Beato Monulpho pont.
hujus ecclesiæ consecratori, R. D. Mathias Henricus Hubin
pastor in Chesnée et Embourg gratulabundis ponebat, ap 1708.

Ce brave curé a cru sans doute faire merveille en rajeunissant la chapelle. Peut-être aussi s'est- il fait gloire d'adjoindre son nom à celui du saint évêque, premier fondateur de la cité de Liége.



(1) Une partie de cette Promenade a été publiée dans la Revue Belge.
(2) Wez: gué, lieu de rivière ou de ruisseau que l'on passe à pied. (Dict. wallon-français, par Cambresier.) Wez, ou dans quelques unes de nos localités Frékisse, veut encore dire une mare alimentée par une fontaine.
(3) Voyez la 4e Promenade.
(4) L'art de vérifier les dates, t. 3, p. 155.
(5) Foullon parle d'une pierre qui indiquait, à Wez, l'endroit où périt l'évêque Louis de Bourbon, Hist. Popul. Leod., tom. 2, pag. 158.
(6) Environ les neuffs heures du matin, ong luy vint dire (à l'Évêque) què l'ennemis estoit apres del citeit, parquoy fist subit clamez az armes et monter ses genses a chevaulx, et pareillement seur le sien. Jehan, filz à conte de Horne, portoit l'estendard monsieur Sainct Lambert; et inssi sórtirent de la citeit aveque les 32 métiers et fust ledist Sr Lowis de Bourbon mené par aulcuns traitres quy estoient aveque ly par aulcunes voyes estroites et ne pensant ses ennemis estre sy prez de luy, fust frappé d'une espée sur la teste et adont le conte ly boutta siens espée az desseur son habert (haubert), az prez ly mollin quondist del Weys et tomba le dist Sr Lowis de son chevaulx en dedant la fosse fumiere d'un bovier (bouvier).— Extrait d'un vieux manuscrit.
(7) L'an quinse cents cinquante, le ving-troisième de mays, a deux heures du midy, se rencontrèrent deux nuées telement quelles rompirent sur la maison de Cornillon près des Chartroux hors de la cité de Liége, desquelles sortit si grande abbondance d'eaue au lieu dist des Wez que la maison Beaureparte, lors nouvellement édifiée, fus menée bien loin arrier de son lieu, puys renversée par l'impétuosité de l'eaue. La chambrier fust tuée, la dame de la maison telement froissée que peu de jours après mourut. Grande partie de la montagne deseur laditte maison tombit. Item aucuns viviers du couvent de Robermont dessous le boix, qu'avoient peu de temps auparavant (comme on dist) coutés XIIII ou XVC. florins Bt a faire, rompirent; et tous les poissons furent perdus. La maison d'un lattre (ladre)de Cornillon auprès la bergerie fust renversée et démolie, telement qua grande partie la montagne depuys les Wez jusques a grand chemin tendant vers jusques aux boix vers Jupille, tombit plusieurs gros arbres, mesme deux grosses pierres rondes qu'estoient audit chemin, fust mennée bien loin arrier de son lieue, ce que dixhommes ensemble n'eussent peu faire. - Manuscrit du temps.
(8) Il y a quelques années que M. le Dr. V., en faisant creuser dans sa propriété de Basse-Wez, a trouvé plusieurs médailles romaines à la profondeur de 14 pieds, dans une couche de terre formée de débris de végétaux.
(9) Édition de Jalheau, pag. 224.
(10) Voy.: Recherches sur la statistique physique de la province de Liége, par Courtois, tom. 1, pag. 135.
(11) Miroir des Nobles, édit.de Jalheau, pag.72.
(12) On appelle argent-neuf un alliage de cuivre, de zinc et de nickel.
(13) Voy.: Dict. Géog. et Stat. de la prov. de Liége, par Delvaux.
(14 ) Délices du Pays de Liége, tom. 3, pag. 307.
(15) Voyez la Promenade à Angleur.
(16) Je tiens de M. de Libert, ancien propriétaire de Beaufraipont, qu'il y a dans les papiers qui concernent ce beau domaine, un procès-verbal très-intéressant, qui date de 1400, au sujet d'un nouveau-né qui fut exposé sur une poutre de la charpente de la grosse tour.
(17) St.-Peravi: Journal en vers et en prose, cahier n° VII, p. 115.
(18) Hist. monastique du pays de Liége, par le père Stéphany, Inédit, TOM. II.
(19) Ampliss. collect., tom.4 , pag. 1112 , n° 77.
(20) Hist. de Spa, tom. 2, pag. 21.
(21) Bresmal: Parallèle des eaux minérales, pag. 51.
(22) Il y en avait deux.
(23) Malherbe: Délices de Chaudfontaine.
(24)
Mareie Bada, chantant ess bagn'.
Souh'! souh'! eye ki fai bon!
Abeye Adyle! abeye Tonton!
A vraye, gi kreu d'ess' on péhon.
J'a tand' bin cial, ki gin' veu got'.
Gi sin, som' foy, ki gtresseï tot'.

M. Golzaud' vinl' bagn' jôndan.
Jarny, v'la un beau triolet.
Comme elles font la gueule di boffet!
Adyle.
Vâzet, tribole gi danssret.
Oh! hoût' on pô, ky es'cila?
Séreus' éco nos' margachâ?
M. Golzau.

Excusez-moi, si ji m'amuse
A borgner par le troud' la buse:
Je n'ai poulu m'in empaîcher,
In vous oyant si bien chinter.
J'ai cru ki c'étoit eun sirène.
Ça s'appel' chinter comme, eun reine;
Et puis vous esté belle à voir.
Mareie Bada.
Ki louk â tr ô, n'è nin cò moir…

(25) M. Frédéric Rouveroy.
(26) Celle qui, sous le gouvernement français, portait le titre de fabrique d'armes impériale.
(27) Il subsiste encore à l'Iserborn autrement dit: la fontaine de Pline, près de Tongres.
(28) La loge maçonnique de Chaudfontaine s'est organisée en 1807, sous le titre de la Nymphe de Chaudfontaine. Elle fut reconnue en 1809 sous le titre de l'Étoile de Chaudfontaine. Depuis elle s'est réunie à celle de la Parfaite Intelligence de Liége.
(29) C'est à M. le professeur Davreux qu'appartient cette observation; je suis redevable à son amitié de beaucoup de renseignements en ce qui concerne les sciences naturelles.
(30) Idylles, précédées d'un essai sur les auteurs bucoliques français, par N. Comhaire, pag. 26.
(31) La route de Chaudfontaine à Dolhain a été commencée en 1824, et terminée en 1827.
(32) Le comte d'Arberg, mort à Paris en 1814.
(33) Malherbe : Délices de Chaudfontaine.
(34) Souvenirs d'un émigré.
(35) Hubert Depas fait remonter Chèvremont avant l'ère chrétienne. Je traduirai le passage où il en parle, le commencement de son manuscrit n'étant intelligible que pour ceux qui se sont familiarisés avec le vieux langage.
« L’an de la nativité de notre Seigneur 569, l'évêque Monulphe demeurait au château de Chèvremont qu'il avait acquis. En ce temps, il n'était place ni château dans tout le pays qui fut aussi fort. Il s'y trouvait deux églises, l'une bâtie en 'honneur de Notre-Dame, et l'autre en l’honneur de Saint-Jean-Évangéliste. A chacune d'elles étaient attachés 13 chanoines. En dehors et au pied du château était une 3e glise, dédiée à Sts. Cosme et Damien. Le château de Chèvremont avait été fondé par Tongris, roi de Tongres, le quel paya le tribut de nature l'an (du monde) 5135. Cédros son fils le fit achever et l'appela Chèvremont, à cause que ni homme ni bête ne pouvait y monter. Une première chapelle, celle de St.-Dunnha, y avait été fondée par St. Materne. Un jour que Monulphe était en oraison dans la dite chapelle, il vit tomber du ciel une croix ardente, et en même temps, il entendit une voix qui lui disait: « Regarde, Monulphe, où cette croix va tomber; c'est au milieu de la forêt, de l’autre côté de la rivière de Meuse. Là tu feras construire un oratoire, où il sera immolé à Dieu un saint homme dont le sang fera plus tard édifier une noble cité* Monulphe obéissant à la voix chemina vers la forêt, passa la rivière et trouva un pasteur avec son troupeau qui lui montra l'endroit où la croix était tombée. Sur cette place fut bâtie une chapelle en l'honneur de St. Cosme et St. Damien, qui devint le commencement de Liége, où est à présent la cathédrale St-Lambert, etc., etc… »
* Hæc, inquit, Legia verè è millibus electissima futura est, roseo olim cruore cujusdam martyris consecranda. Quamobren oratorium S S .Cosmo et Damiani loco magis eminente construxit. Boxhorn: de Leodiensi republica, p. 244.
(36) Gilles d'Orval, dans Chapeauville, p. 204.
(37) Lemayeur: Gloire belg. tom. 1, pag. 75.
(38) Manuscrit de Depas .
(39) Lemayeur, tom. 1, pag. 75.
(40) Bulkens: Trophées de Brabant, p. 42.
(41) En 922, ce puissant prince soutint dans Chèvremont tous les efforts de Charles-le-Simple, qui voulait punir en lui l'auteur des conseils qui avaient engagé Robert, père de Hugues-le-Grand, à s'emparer de la couronne. Le siége de cette place était poussé avec vigueur, lorsque Hugues vint la secourir.- Foullon; Histor. popul. Leod. tom. 1, lib. 4, pag. 165.
(42) Smidt: Histoire des Allemands, t. 2, p. 315.
(43) Villenfagne: Mélang. p. 181.
(44) Bulkens: Troph. de Brab. p. 44.
(45) Velly: Hist, de France, tom. 2, pag. 220.
(46) Smidt: Hist. des All., tom.2, pag. 315.
(47) Bulkens.pag. 44.
(48) De Marne: Hist. de Namur, p.50 de sa préface.
(49) Dewez: Abrégé de l'hist. de la Belg., pag. 165.
(50) Villenfagne: Mél. hist., pag. 181.
(51) Velly: Hist. de France, tom. 2, pag. 220.
(52) De Marne: Hist. de Namur, pag. 53 de sa préface.
(53) Dewez: Abr. de l'hist. de la Belg. p. 171.
(54) Fisen: Hist. eccl. Leod. pag. 40.
(55) De Marne, dans sa préface, pag. 51.
(56) Leclerc: Abrégé de l'hist. de Spa.
(57) Manuscrit appartenant à M. L. de S. W.
(58) J. Placent: Epis. Leod. pag. 290.
(59) At puys retorna leveck en Lieg et amena aveque ly XII klokes et mist I a sainct Lambert que noumeis couparei qu'on sone por les ovriers a la nuict, item I a sainet Paul quy noma Dardare (a). Item I a sainet Pierre que on noumeis Pimette, item, I a sainct Croix ossi parellement noumeis. En leglize sainct Jehan III, quand elle fust parfaite, item I a sainet Martin, et sainct Denys II, quy garderent moult lontemps. - Abbrege extraict des chronigs faict par Hubert Depas, clercque des XII saingnors du païs de Liege, qua coutinuais Jehan de Stavelot. - La première page de ce manuscrit manque; mais M. le baron de Crassier possède le même parfaitement soigné, provenant de la bibliothèque de son savant aïeul; seulement le langage en estun peu rajeuni. En bas du titre, on lit: Recueilli et redigie en ceste forme, parVan den Berch, Liegoix.
(a) In hunc diem inter æra campana cymbalum est, inde quondam allatum et Dardar dictum: ita fert inscriptio. Fisen: Hist. Eccl. Leod. lib. VII, pag. 151.
Il semblerait, d'après Foullon, que Kôpareie et Dardar étaient synonymes, que c'était cette même cloche de retraite, ou de couvre-feu, comme on dit dans certains pays.
AEa tinnulum Dardar dictum, indetralatum etiam ad divi Pauli: et quosdam putare id arcis satrapæ nomen fuisse; malim campanam sic vocari à dando quasi daredare. Transm. habet ad divi Lamb. translatam eampanam pour les ouvriers. Primette à Saint-Pierre. Hist. Popul. Leod. lib. 4, pag. 198 ..
Il est à remarquer qu'à Theux, la cloche de retraite porte aussi le nom de Kopareie. Il en est de même à Ans, près de Liége, où cet usage se continue.
(60) Ce palais formait l'angle de la rue et de la place St-Jean. Il a été rebâti ou restauré plusieurs fois probablement; mais il y a environ 34 ans qu'il offrait encore un caractère d'antiquité remarqnable; il a été divisé en deux maisons spacieuses qui portent les Nos 813 bis.
(61) Et fust Notgerus moult plouré et ne fust onkues sy grant, sy noble ne sy petit que ne le rappea et ne volut allez proyer ( prier ) a ses exeques. - Hubert Depas, règne de Notger.
(62) Hist. de Huy, pag. 65.
(63) Ce procédé, de se servir de plâtre pour conserver un fossile entier vient d'être indiqué dans un ouvrage intitulé: L'art d'observer en Géologie, par Henri-F. La Bèche, Paris 183 8, pag. 184.
(64) Ut est apud Sigebertum, Notgerus episcopus, annorum quibus huic ecclesiæ præfuit spatio, sic etiam magnificis operibus decoravit, ut non immerito ejus quodammodo conditor diceretur. - Boxhorn: de Leodiensi republica, pag. 59.
(65) Villenfagne est auteur d'un Essai historique sur la vie de Nolger, qui a remporté le prix de la société d'Émulation de Liége le 26 février 1785; mais que cette composition est au-dessous du sujet!
(66) Cette terrasse porte le nom de Lonk Waide. Lorsque la charrue en laboure le commencement, on entend résonner creux comme si le soc passait sur un espace vide. M. de B., à qui ce terrain appartient, est dans l'intention d'y faire faire des fouilles. En 1801, on trouva dans le même endroit une armure complète d'une grande beauté , qui est restée longtemps exposée aux regards des curieux, chez le sieur Demani, limonadier, à Chaudfontaine; je ne sais ce qu'elle est devenue.
(67) Selon la tradition locale, le puits doit se trouver entre la chapelle et la dernière station.
(68) Note communiquée par M. de B.
(69) « On aime à gravir cette montagne dans les belles soirées de l'été, pour y jouir du spectacle admirable que présentent les feux d'une multitude de petites forges disséminées sur les coteaux environnants, et dont les effets ont mérité d'être décrits par plusieurs voyageurs (Souvenirs sur le pays de Liége, p. 46). » Que diraient ces voyageurs aujourd'hui, si, déjà extasiés par les feux des forges des cloutiers, ils apercevaient les flots de lumière rouge ou bleue qui s'échappent des usines des Vennes, des Grosses-Battes, d'Angleur, etc. , donnant l'image de l'Etna, et des travaux des Cyclopes ?
(70) On retrouve dans les Fonds-de-Forêt, au sommet d'un monticule, près du côté gauche du ruisseau, les fondements de l'ancien château de Mirmont, près d'une grotte profonde, où il a été découvert des ossements fossiles.
(71) Delvaux : Dict. géograph. et statist. de la province de Liége, 1835.
(72) Il en reste encore une tour, ainsi que la partie sud-est de l'ancien château, qui conserve dans l'endroit le nom de Vi chestai.
(73) Quelqu'un des environs de la Basse-Fraipont a consacré plusieurs années de sa vie à la recherche de la mine d'or, dans le schiste brillant et pailleté de la montagne de la Heid. Un de ses amis l'aida dans ses travaux, prétendant posséder le secret de convertir ce schiste en or.
Cela nous rappelle l'histoire de l'alchimiste qui avait demandé à Benoit XIV une récompense pour avoir trouvé le moyen de faire de l'or. « Ce pontife, homme d'esprit, lui fit parvenir un certain nombre de bourses, pour y renfermer ses richesses. »
(74) Dethier: Coup-d'œil sur les volcans éteints, etc., pag. 53.
(75) Recherches sur les ossements fossiles découverts dans les cavernes, de la province de Liége, pag. 48.
(76) Délices du pays de Liége, t. 3, p .262.
(77) Ruisseau qui prend sa source dans le charmant vallon où est situé le hameau de Pied-Vache.
(78) Délices du pays de Liége, t. 3, p. 262.
(79) La ville de Verviers ne s'est pas seulement distinguée dans l'industrie; elle a aussi donné naissance à des hommes d'un grand mérite dans tous les genres; témoins: le profond théologien Mathias Hauzeur, commentateur de St. Augustin et auteur de plusieurs ouvrages savants; le brave et intrépide général Jardon, tué sur les frontières de Portugal, le 27 mars 1809 (Voy.: Notice sur le général Jardon, par M. l'avocat Van Hulst.); J.-J. Fyon, général de brigade au service de la république, dont le noble désintéressement et la bonté de cœur resteront éternellement dans le souvenir de ceux qui ont goûté les douceurs de son intimité (il est mort à Liége le 1er septembre 1818); Detrooz, historien du marquisat de Franchimont; Richard Courtois, Dr.en méd., prof. de bot. à l'univ. de Liége, qu'une mort prématurée a enlevé à la science le 15 avril 1835, et auquel on doit les Recherches sur la statistique physique, agricole et médicale de la province de Liége, et collaborateur du savant docteur Lejeune, auteur de la Flore de Spa, pour le Compendium flora Belgicæ. - M. Lejeune cultive les sciences naturelles avec autant de succès qu'il pratique la médecine.
(80) J’ai souvent ouï dire dans ma jeunesse qu'un de ces sauteurs avait failli un jour atteindre la couronne et que depuis lors on avait élevé cette couronne d'un demi-pied.
(81) Quæ hujus causa fuerit, ignoramus. Aiunt quidam, cùm priorem aliquando servitutem excutere tentassent, posteriorem etiam admittere compulsos fuisse...
(82) Hour veut dire chœur.
(83) Hist.du marquisat de Franchimont, par Detrooz.
(84) Juslenville: Souvenir poétique, pag. 28, par Leloup,
(85) Guide des curieux qui visitent Spa, pag. 58.
(86) S’il faut en croire ce qui nous a été attesté, les poissons de la Vesdre transportés dans le gros ruisseau de la Hogne, y acquièrent en peu de jours une bonté incontestable, qu'ils perdent lorsqu'on les jette de nouveau dans la Vesdre.
(87) Davreux: Essai sur la constitution géognostique de la province de Liége, pag. 217.
(88) Galerie historique des contemporains.
(89) 1830. « Les Pays-Bas étaient la terre de l'hospitalité. Il ne m'en fallut pas davantage: laBelgique me paraissait presque la France: au milieu des Belges je me croyais parmi des compatriotes... Je choisis Liége en souvenir du tendre accueil que j'y avais reçu lors de mon infortuné passage,18 mois auparavant, et je fus m'y établir, non sans appréhension de quelque malencontre nouvelle: et j'avais tort; car je dois dire avec vérité et reconnaissance que durant près de deux ans et demi que j'ai parcouru depuis le pays en toutes directions, sans aucune demande, aucune sollicitation, pas même d'avertissement préalable, ce pays, jadis si funeste pour moi, fut toujours en effet depuis la terre de l'hospitalité; n'ayant jamais eu à m'apercevoir d'aucune autorité quelconque, si ce n'est la tranquillité, le repos dont je jouissais sous son ombre: l'influence, la malveillance étrangères avaient cessé.
Ni l'affection, ni les soins de mes amis de Liége, où je restai tout l'hiver, ni le site agreste de Chaudfontaine où je passai le printemps; ni l'hospitalité généreuse du digne et bon propriétaire (M. Fyon) du charmant lieu de Juslenville, qui me força d'accepter pour l'été, à quelques pas de lui, la demeure de Sohan aux portes de Spa et de Verviers, ni la bienveillance de tous les siens, si nombreux, si bienfaisans, si considérés dans le pays, ne purent améliorer mon état ni fixer mon séjour; et pourtant il me serait difficile de rendre dignement la bienveillance extrême, les dispositions touchantes, l'esprit sympathique de toute la population de ces contrées si prospères... Combien de fois, dans mes promenades solitaires, les gens de la campagne, les artisans, se retournant après m'avoir croisé, ne se sont-ils pas écriés: Vivent les bons amis et la fidélité! Paroles douces qui remuaient le cœur. Combien de fois, si nous manquions de quelques légumes ou autres objets semblables, n'avons-nous pas été obligés, auprès des gens les plus pauvres, de les faire acheter sous le nom de quelque voisin, parce qu'on ne voulait que les donner! Que de traits de ce genre j'aurais à citer, et de bien d'autre nature encore!.... - Mémorial de Sainte-Hélène par le comte de Las Cases, tome 8, pages 436, 437 et 438.
(90) C'est sous ce fort de chaume qu'a vécu le misérable dont je vais entretenir mes lecteurs, malgré le dégoût que m'inspire son nom.
Tous les hommes naissent avec des penchants naturels dont les circonstances sociales sollicitent plus ou moins le développement. Nous savons aussi qu'il est d'étranges aberrations de sentiments qui, semblables à des levains infects, créent, pour ainsi dire, des scélérats. Mais que presque toute une famille apporte une égale propension au crime, une même tendance à la férocité froide et réfléchie, c'est là ce que l'on a peine à concevoir. Pourtant, une famille dont le nom était Lamarmite en fournit un de ces exemples heureusement très-rares.
Lamarmite était, dit-on, d'origine française, ainsi que son nom semble le confirmer. A l'âge de 23 ans, ilvvint s'établir à Pepinster avec une villageoise de quatre ans plus jeune que lui, pourvue des attraits les plus séduisants. La voix de cette femme était douce et touchante; elle avait une éloquence persuasive que l'on ne rencontre pas communément dans les personnes de sa condition. De ce mariage naquirent quatre enfants, deux garçons et deux filles. Catherine l'aînée était grande, bien faite, et douée d'une figure ravissante; pourtant de ses beaux yeux s'échappaient des regards sinistres.
L'abondance que l'on voyait régner chez Lamarmite était attribuée au profit de son commerce. Il parcourait les villages à trois ou quatre lieues à la ronde avec sa femme et ses enfants, et y achetait les volailles qu'il ne pouvait voler, pour en approvisionner les marchés de Liége, de Verviers et de Spa.
C'était vers le milieu du siècle dernier. La police, depuis quelque temps, mettait inutilement tous ses moyens en œuvre pour découvrir les auteurs des meurtres qui se succédaient d'une manière effrayante. Piron Bailly, propriétaire auBois-de-Breux*, commune de Grivegnée, qui passait pour être fort riche, fut trouvé un jour assassiné avec sa femme. Un enfant au berceau avait été seul épargné. Ce meurtre fut suivi de celui de Mme Collet, à Verviers, laquelle avait la réputation de thésauriser. A Liége, un ecclésiastique fut trouvé égorgé dans sa chambre; un rasoir placé dans sa main droite laissa supposer que cet infortuné s'était suicidé. D'autres meurtres et quantité de vols hardis, qui eurent lieu à la même époque, augmentèrent d'autant plus la terreur générale que la justice était dans l'impuissance de découvrir les traces de tant d'iniquités; mais un simple événement, sans doute préparé par le ciel, amena tout-à-coup le dénouement de ce drame mystérieux.
Bailly, du Bois-de-Breux, le premier assassiné, avait un fils militaire, au service d'un prince d'Allemagne. Ce fils revenait en semestre au toit paternel, lorsqu'arrivé le soir à Pepinster, il fut surpris par un violent orage. A la lueur des éclairs, il distingua une chaumière, où il alla demander un abri pour la nuit. C'était celle de Lamarmite. Celui-ci, ne connaissant point l'étranger, ne fit aucune difficulté de le recevoir et le logea dans sa meilleure chambre. A peine le jeune soldat est-il laissé seul qu'il reste immobile d'effroi à la vue des vêtements de son père accrochés à la muraille. Quelle nuit d'angoisses pour lui! Il s'endormit cependant, mais de quel sommeil! Un assassin tenait levé sur sa poitrine un poignard teint du sang de son père!... Au point du jour, il se hâta de sortir de cette caverne du crime et se rendit chez le magistrat pour faire la déclaration de ce qu'il avait vu. A l'instant, la chaumière est investie; on se saisit de Lamarmite, de son fils aîné, de sa fille cadette; son jeune fils, à peine âgé de 10 ans, ne pouvant être repris de justice, est laissé libre. Lamère s'était échappée par une porte du jardin donnant dans les sinuosités de laroche du diable. Catherine, l'aînée des filles, parvint aussi à se soustraire aux perquisitions en se cachant dans le four à pain. Après être restée 24 heures dans cette cachette étroite ,elle put s'en évader et gagner Bois-le-Duc .Plus tard, s'étant rendue coupable de nouveaux crimes, elle fut condamnée à la potence.
Lamarmite et son fils, appliqués séparément à la question, déclarèrent d'une manière uniforme qu'ils étaient les auteurs des meurtres dont il a été parlé; il résulta de leurs aveux que la mère était la plus criminelle d'eux tous; que la fille cadette, toujours occupée des soins du ménage, n'avait participé en rien aux forfaits des autres membres de la famille; celle-ci fut mise en liberté. Les deux hommes expièrent leur coupable vie par le supplice de la roue.
La femme Lamarmite, fuyant à travers les bois, se réfugia à F., l'un des hameaux les plus reculés de l'Ardenne, dans le pays de Luxembourg. Fraiche et toujours belle, à 40 ans, elle ne paraissait pas en avoir 30. Elle épousa bientôt un nommé Payot. Peu de temps après son mariage, elle confia à son mari qu'elle avait été chargée par une personne étrangère de placer des objets précieux chez le sieur Tiskin, prêteur sur gages à Verviers; que la valeur de ces objets surpassant de beaucoup la somme à laquelle ils servaient de nantissement, elle lui conseillait d'aller les retirer. Payot, plein de bonne foi, consentit d'autant plus volontiers à ce voyage qu'il avait un frère établi à Verviers et qu'il désirait vivement le revoir. Arrivé chez ce frère, ils allèrent ensemble au bureau de prêt. Tiskin, sachant que les objets réclamés étaient des joyaux qui avaient appartenu à la dame Collet, fit difficulté de les rendre et courut avertir le mayeur de cet incident. Payot, rebuté des obstacles que l'on opposait à sa réclamation, retourna tranquillement chez lui. Mais lorsqu'il fut parti, le magistrat fit la réflexion un peu tardive que, quoiqu'il connût les Payot pour d'honnêtes gens,
eux seuls néanmoins,pouvaient le mettre sur la piste des voleurs des joyaux; il fit venir Payot de Verviers, qui consentit, moyennant une récompense, à partir pour le hameau de F., dans la compagnie de deux sergents. Arrivé à la demeure de son frère, il frappe à la porte: on ouvre... C'est la femme Lamarmite qui se présente; les sergents, qui la connaissent, se jettent sur elle; mais aussi vigoureuse qu'intrépide, elle les terrasse, s'échappe de leurs mains, et avec la vélocité d'une biche prend sa course à travers la forêt. Lenommé Pittaut, l'un des deux sergents, avait amené avec lui un chien formidable, dressé à la poursuite des malfaiteurs. Ce chien s'élance sur les traces de la fugitive, l'atteint, et l'arrête par ses vêtements; alors une lutte terrible s'engage entre la fureur d'une part et le désespoir de l'autre: le dogue ne lâcha sa proie que lorsque son maître vint s'en emparer.
C'est ainsi que cette infâme créature tomba entre les mains de la justice. Il serait difficile de peindre l'étonnement où fut son mari en voyant son frère acteur dans une pareille scène, et la surprise de celui-ci, en apprenant qu'il livrait sa belle-sœur au supplice. » Cette horrible femme marcha à la mort avec une fermeté stoïque. - Extrait de l'histoire du marquisat de Franchimont, et d'une complainte intitulée: Vie de l'infâme Lamarmite, etc., qui m'a été fournie par la veuve C ... du Bois-de-Breux, âgée de 95 ans, et qui se rappelle encore fort bien toutes les circonstances de l'assassinat de Piron-Bailly, son plus proche voisin.
(91) Davreux: Essai sur la constitution géogn. de la pr. de Liége, pag.121.
(92) Theux, jadis très-renommé par ses forges.
(93) Juslenville. Souvenir poétique, par Leloup.
(94) Courtois et Davreux: Essai, etc., pag. 17.
(95) Cette chapelle a été construite sur les dessins fournis par M. Vivroux, artiste plein de goût, qui a beaucoup contribué aussi à l'embellissement des jardins.
(96) Leloup : Souvenir poétique. TOM. II.
(97)Dethier sonde, divise et reconnaît la pierre:
C'est le schiste léger, le quartz étincelant
Ou lespath, du métal avant-coureur fréquent.
Dans tous ses éléments décomposant le monde,
Il saisit les effets et des vents et de l'onde,
A de communes loi sasservit l'univers.
Dethier, accueille aussi mon hommage et mes vers.
Leloup: Souvenir poétique.
(98) Ad Attic. XII. 28.
(99) « Le nom de Theusèbe, que les marbriers, selon Valmont de Bomare, donnaient au marbre noir, ne viendrait-il pas de ce marbre de Theux, marbre autrefois si fameux qu'il était recherché jusqu'à Rome? » - Dethier: Coup-d'œil sur les volcans éteints, etc., pag. 54.
(100) Davreux, pag. 156.
(101) Délices du pays de Liége, tom. 5, p. 243.
(102) Voy.: Amusements de Spa, publiés à Amsterdam en 1752.
(103) Il y avait contre ou dans cette chapelle, une pierre calcaire en forme de tabernacle, chargée d'ornements fleurdelisés et d'inscriptions reigieuses. On en doit la conservation à M. Dethier, qui l'aplacée dans son musée champêtre.
Sur cette même place du marché, s'élevait autrefois une chapelle dédiée à St.-Nicolas et à St.-Pan (ce mot en liégeois veut dire sans pain). Le nom de ce saint, plus ou moins apocryphe, ayant paru aux habitants du lieu une injure faite à leur opulence, ils expulsèrent St. Pân de leur église, et le brûlèrent publiquement, au carnaval, le jour des grands feux, et conservèrent, pour unique patron, St. Nicolas.
(104) Délices du pays de Liége, t. 3, p. 246.

(105) Au commencement du 5e siècle.
(106) Foullon: Hist. popul. Leod. lib. 3, pag. 121. Voy.:Promenade aux bords de l'Emblève et de l'Ourte.
(107) Villenfagne: Hist. du pays de Liége, t.1, p.72.
(108) Guide des curieux qui visitent Spa.
(109) Le diplôme de cette donation est rapporté dans le recueil de Miroeus et dans Chapeauville.
(110) Detrooz: Hist. du m. de Franchimont, p. 14 et suivantes. Foullon, t. 1, p.161.
(111) Bouille: Hist. de Liége, tom. 1, pag. 166.
(112) Foullon: tom. 1, lib. 5, pag. 450.
(113) Fisen: Hist. eccl. Leod. part. II, lib. XII, pag. 227.
(114) Philippe de Commines, tom. 1, pag. 134.
(115) Fisen: Hist. eccl. Leod., p. II, pag. 302.
(116) D'après l'auteur Des amusements de Spa , 20 édit., on retrouva, en 1675, dans les fossés de Franchimont, une coulevrine portant le nom et les armes de l'un des conseillers de la régence de Liége de 1475. Cette régence avait été improvisée en 1468 par le duc de Bourgogne. Elle se composait de neuf membres, d'abord présidés par Imbercourt, et elle tenait ses séances dans le quartier de l'île, qui portait aussi alors le nom de quartier Humbercour (Loyens: Rec. Héral., pag. 180 et suivantes.). Elle dura jusqu'en 1477, que les maîtres de la cité furent rétablis comme auparavant.
(117) Detrooz, pag. 46.
(118) Buxhorn: de Leodiensi republica, p. 28.
(119) Entre autres, celle de l'apparition de la Chèvre-d'or. Voyez 8e Promenade.
(120) C'est bien certainement l'histoire des fils de Moha, changée de lieu.
(121) Souvenirs d'un jeune exilé.
(122) Ségur: Les quatre âges
(123) Pag. 52 (de cet ouvrage).
(124) M. Dethier a des motifs de croire que la phalange des 600 Franchimontois se composait en grande partie des hommes de Polleur.
(125)Voyez Philippe de Commines; Fisen, part. I, lib. XII, pag. 277, et Foullon, tom. 2 , lib. VI, pag. 140.
(126) Autrefois, il était peu de maisons de paysans dans le village de Polleur qui n'eussent l'image représentant la Bête-de-Staneux encadrée; seulement ces images n'étaient point toutes calquées sur la figure primitive qui vient d'être décrite. Je tiens de M. Aristide Dethier une copie de l'un de ces tableaux peint en 1742, dessinée et parfaitement coloriée d'après l'original; mais celle-ci représente un des fils d'Ixion, qui serait un véritable Centaure, si, au lieu de massue, il ne tenait dans ses mains un arc prêt à tirer (Voyez la planche à la fin du volume).
(127) Les superstitions des druides étaient si profondément gravées dans l'esprit des anciens Belges et Gaulois qu'elles résistèrent longtemps à la puissance romaine et aux lumières de l'Évangile. C'est pour cette raison que nous trouvons dans les 6e,7e et 8e siècles un si grand nombre d'édits des empereurs et de canons des conciles contre le culte du soleil, de la lune, des montagnes, des rivières, des lacs et des arbres. Tacite parle d'une devineresse druide nommée Velléda, de la nation des Tongrois. Elle eut grande part à la guerre que les Bataves, joints aux Trévirois, firent aux Romains sous Vespasien. Elle demeurait dans une haute tour, où l'un de ses parents lui proposait ce qu'on désirait savoir d'elle. On la rendait arbitre des plus importantes affaires, tant pour la guerre que pour la paix, et les généraux lui donnaient sa part de ce qu'ils avaient pris de plus précieux sur l'ennemi. Velléda fut emmenée à Rome après la guerre que Civilis fit aux Romains. La Gloire Belgique, tom. 1, pag. 277.
Velléda a été célébrée par l'une des plus grandes illustrations de notre littérature contemporaine. M. de Chateaubriand en a fait le sujet de l'épisode le plus intéressant et le mieux écrit de son poème des Martyrs.
(128) M. le chevalier de L..., heureux créateur de presque tous les jardins anglais de la province, et auquel Chaudfontaine est redevable d'une partie de ses embellissements.
(129) Hermite de la chaussée d'Antin, t. 4 , p. 3.
(130) Les renseignements relatifs à cette anecdote m'ont été donnés par un habitant de Spa, et j'ai cru devoir les consigner ici sans altération, bien qu'il soit permis de n'y pas ajouter une foi entière. Marmontel, qui visita ce bourg en 1767 (Voyez ses Memoires, liv. XIII), y aura probablement recueilli une partie de ces circonstances; mais pourquoi a-t-il dénaturé les faits? pourquoi a-t-il transporté les personnages sur les bords de la Seine?
(131) Leclerc: Abrégé de l'histoire de Spa.
(132) Villenfagne: Histoire de Spa.
(133)Traité des eaux de Spa, pag. 14.
(134) N. Bassenge: Loisirs des trois Amis.
(135) Detrooz: Hist. du Marq. de F. , pag. 56.
(136) Fisen: Hist. Eccl. Leod. Part. II , lib. X , p. 222
(137) Foullon, tom. 2, pag. 44, rapporte cet événement à 1466. Loyens: Recueil hérald.,le place à 1457.
(138) Detrooz: Hist. du Marq. de Franch., p. 56.
(139) Guide des curieux qui visitent Spa.
(140) Louveignez faisait jadis partie du comté de Logne.
(141) Fisen: Hist. Eccl. Leod. part. II, lib. XIV, pag. 341 et Foullon, tom. 2 , pag. 171.
(142) C'est vis-à-vis de l'avenue de Gomzé, au hameau des Forges, que se trouve la route empierrée du Ry de Mosbeux, qui aboutit à celle de la Vesdre au Trooz.
(143) Monar de Warouz eut un fis ly plus chaitis de sonlinage, nomeis Jehan de Gomezée. - Miroir des nobles de la Hesbaye, pag. 195.
(144) Manuscrit n° 2 , pag. 327 .
(145) Fisen: Hist. Eccl. Leod. lib. IX, p. 224.
(146) Bouille: Hist. de Liége, t. 1, p. 146.
(147) Foullon, tom. 1, lib. 4, pag. 259.
(148) Délices du pays de Liége, t. 3 , p. 297.
(149) Bouille, dans sa préface, pag. 14.
(150) « Ce château d'Embourg n'existe plus; cependant l'opinion publique est qu'il y a eu un château à l'endroit appelé Hassette, au haut de la commune, où il se trouve une masse de rochers; et au hameau de Sauheid, il y a un groupe de maisons qui s'appelle Palais, et l'on prétend que ce dernier endroit a été l'habitation champêtre d'Ambiorix. » - Delvaux: Dictionnaire géographique et statistique de la province de Liége.
(151) Délices du pays de Liége.

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