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Les eaux de Chaudfontaine

LES DELICES DU PAYS DE LIEGE, T 3

Le village de Chaudfontaine

par Pierre Lambert de SAUMERY, 1738

1743 Vue des bains de Chaudfontaine - Remacle Leloup
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Ce Vilage, auquel les fources d'Eau minerale chaude ont donné le nom, eft connu depuis plufieurs fiécles, d'où il est aifé d'inferer que ces fources ne font pas nouvelles, & qu'elles n'ont pas été inconnuës aux Habitans du Païs, peut-être même aux Etrangers, qui malgré le peu de commodités qui fe trouvoient dans ce lieu défert, ne laiffoient pas d'en faire ufage. Hé! qui fait fi ces Eaux minerales n'ont pas eû le fort de bien d'autres, également falutaires, qui aiant autrefois eu la vogue, ont enfuite été négligées & mifes en oubli faute de commodités pour ceux qui auroient eû ou befoin ou envie de les prendre?

Que le Lecteur faffe atention à ce qui s'eft paffé de nos jours au fujet des deux Bourbons, deux petites Villes pleines de fources minerales, & il jugera fainement de la bifarrerie des hommes.

En éfet, les Eaux de Bourbon l'ancy, c'eft-à-dire l'ancien, fi renommées chés les Romains, les Gaulois Cizalpins & dans toute la France; ces Bains fi éficaces dans toutes les afections des nerfs, dans les maladies caufées par les obstructions & par l'interception de la tranfpiration, font tombés de nos jours dans un fi grand mépris, que certaines perfonnes de condition n'ofent s'y tranfporter qu'incognito, & que quantité d'autres aiment mieux perdre la vie en bonne compagnie à Bourbon Laxchambaud, que de recouvrer la fanté au vieux Bourbon; tant il est vrai que la nouveauté eft capable d'en imposer à tout un Roiaume, que dis-je, à toute la terre.

Les Eaux de Chaufontaine ne peuvent-elles avoir eû le même fort, jufqu'au tems que des Médecins, auffi éclairés que finceres, en ont publié les merveilleuses qualités après les avoir recherchées, examinées par une Analife exacte & industrieuse, qui leur en a donné la connoiffance? Eh! quoi, parce que la nature a ouvert des merveilleufes fources en plufieurs lieux voifins, n'a-t'elle pû & ne peut-elle pas en faire soudre ailleurs où le terrein renferme plufieurs fortes de Mineraux? Et faut-il que le Public foit privé des bienfaits de celles-ci, parce que les premieres font plus fréquentées, quoique fouvent moins éficaces? Rien ne paroit plus injufte & plus contraire au bon fens.

Les fources, dont je parle, font pofitivement au bord de la petite Riviere de Weze, à deux lieuës de la Ville de Liége, où cette Riviere va mêler fes eaux à celle de la Meufe; l'eau qui en fort très-claire, d'un gout falin & un peu foufré, eft d'un dégré de chaleur égale à celle de la nature du fang: les principes & les qualités que ces Eaux contiennent , & les merveilleux éfets qu'elles produisent, se manifestent par l'Analife & par le témoignage autentique que le Colége des Médecins de Liége a donné l'an mil fept cent feize, en cette forme:

« Nous Préfet, & Gens compofant le Colége des Médecins de Liége, aiant fait atention aux Eaux chaudes de Chaufontaine, fitué à deux lieuës de cette Ville, nous avons crû être de notre devoir de communiquer au Public les observations que nous avons faites dans leur Analife, les principes & les qualités que nous y avons reconnuës; à quoi nous avons été portés d'ailleurs par les bons éfets qu'elles ont jufqu'ici produit à une infinité de personnes, qui s'en font fervies avec fuccès, de l'avis de leurs Médécins: chofe autant néceffaire pour l'ufage des Eaux minerales, que pour tout autre reméde. Et pour que la chofe fe fit dans l'ordre, nous avons député au mois de Septembre dernier, trois Médecins & deux Apoticaires de notre Corps, pour aller à la fource avec notre Gréfier juré, avec ordre de prendre toutes les précautions néceffaires, pour qu'on ne pût rien nous reprocher.

« Nos Députés s'étant rendus enfuite fur les lieux, ordonnerent d'abord de faire jouer la machine, laquelle, par le moien des pompes, conduit l'Eau naturelle des fources dans les Bains: ils vifiterent tous les Apartemens & lieux circonvoifins, pour tacher de découvrir s'il n'y avoit point d'artifice ni de communication avec les Puits, pour y faire entrer des eaux chaufées; (comme quelques malveillans en avoient fait courir le bruit pour les décrier) après quoi aiant fait découvrir le Puits, d'où il fortit une fumée & des vapeurs foulfreufes, ils y firent décendre un homme avec de la lumiere, pour, en leur présence, examiner la circonference, dont le diamêtre eft d'environ cinq piés & demi, aiant en hauteur environ autant d'eau chaude: & après une exacte perquifition, il leur dit qu'il ne fentoit & ne voioit rien que des fources vives également chaudes, qui fortant naturellement du fond du Puits, y caufoient des boüillonnemens qui agitoient la fuperficie de l'eau; & pour être d'autant plus affurés de la pureté des Eaux qu'ils avoient deffein d'analifer, ils ordonnerent à cet homme d'emplir quantité de bouteilles avant de fortir du Puits, où il étoit tout en fueur, & d'aporter auffi du fédiment qui fe trouvoit dans le fond, lequel fédiment fut d'abord mis dans un pot de grez, & confié avec les bouteilles à la garde de nos Députés, & de l'aporter à notre Colége, pour y être examiné & analifé.

« Nos Députés nous ont encore fait raport, que le lendemain à la pointe du jour, avant de partir, ils furent vifiter dérechef les Eaux qui fortoient des Pompes, & qu'ils les avoient trouvées dans un même dégré de chaleur que le jour précédent, & que font celles qui découlent du gravier à cent pas de là au bord de la Riviere; en forte que nous avons jugé que ces Eaux font propres & d'une chaleur fufifante à s'y baigner, fans y mêler l'eau chaufée.

« Voici de la maniere que nous nous y fommes pris, pour en faire l'analife.

Expériences faites fur le Sédiment des fources chaudes,
& fur la Réfidence reflée après l'évaporation des Eaux.

I. Pour reconnoitre à fond la nature des matieres que nous avions fait tirer du fond du Puits, aiant deffeché le fédiment, on a verfé deffus du vinaigre diftilé, qui a caufé une grande éfervefcence, après laquelle le vitriol s'eft trouvé adouci.

II. Nous avons enfuite filtré ce vinaigre adouci, & on y a ajoûté de la noix de galle en poudre, par le moien de laquelle le vinaigre s'eft chargé d'une couleur violette, ce qui eft une marque que cette matiere contient du mars (Fer).

III. Pour vérifier cette expérience, on a pris du nouveau vinaigre, & y aiant ajoûté de la noix de galle avec du vitriol de mars, ce mélange a donné à peu près la même couleur & la même senteur.

IV. Le vinaigre qu'on avoit verfé fur le fédiment fufdit avec la noix de galle, aiant refté quelque tems dans un verre, s'eft couvert d'une pellicule blanchâtre, qui nous a fait connoitre les parties foulfreufes, furnageantes & féparées du mars qui s'étoit précipité au fond du vaisseau.

V. Aiant mêlé du fédiment du fond du Puits avec partie égale de falpêtre, on l'a mis dans un creufet rougi au feu, & il s'eft fait une détonation, qui eft la marque évidente du foulfre y contenu.

VI. Les Eaux, que nous avions fait puifer dans le Puits, aiant été évaporées à ficcité, ont laiffé une réfidence ou matiere minerale & faline, qui étant frottée entre les doigts, fentoit le foulfre, & étant mise sur la langue la picotoit par fa fubftance faline.

VII. Aiant mélangé cette matiere dépoüillée de fon fel avec partie égale de nitre, il s'eft fait une détonation plus manifefte & plus forte qu'avec le fédiment du Puits.

VIII. On a enfuite verfé du vinaigre diftillé fur la réfidence de l'évaporation des Eaux, & il s'eft fait une éfervescence plus confidérable que fur le fédiment du Puits, & la même chofe s'eft faite avec d'autres efprits acides de vitriol, eau forte &c.

IX. Pour reconnoitre la chofe ultérieurement, on a verfé de l'efprit urineux d'armoniac fur la même réfidence, telle qu'elle s'eft trouvée après l'évaporation, qui n'aiant produit aucune action, nous a fait connoitre évidenment que les fels, que ces Eaux contiennent, font de la nature des alkali adouciffans.

X. Aiant enfuite féparé les parties terreftres de la réfidence avec l'eau de la fource, nous avons fait évaporer la lotion dans un vaiffeau de verre, à peu près à ficcité, & l'aiant laiffé en repos pendant deux jours, il s'eft formé des criftaux en forme d'éguilles plattes émouffées, que nous avons reconnu pour fels fatures, puifque l'alkali de l'huile de tartre par défaillance, n'a fait non plus d'action que l'efprit acide de vitriol que nous avons verfé deffus.

XI. Enfin après la féparation des criftaux, nous avons examiné la lexive reftante dans le verre, & l'aiant fait évaporer à feu lent, & presqu'à ficcité, on a versé deffus de l'eau forte, qui a caufé une éfervefcence; ce qui prouve évidenment que ce fel participe beaucoup de l'alkali, avec quelque portion faturée d'acide.

XII. C'est pourquoi confidérant ces Eaux & les connoiffant impregnées de mars & de foufre, & chargées d'un fel alkali adouciffant, nous avons déclaré, comme nous déclarons, qu'elles conviennent pour l'intérieur dans les maladies caufées par un acide auftere & coagulant, comme font les afections hipocondriaques, & notanment pour le scorbut:

Dans les crudités de l'eftomac, tant acides que nidoreuses:

Dans toutes les maladies qu'on atribuë aux obftructions du mésentere, du foie, de la ratte & autres vifceres du bas ventre, dans la gravelle & obftructions des voies urinaires:

Dans l'afthme humoral & autres maladies de la poitrine, obstruction du poumon, & autres coagulations d'humeurs:

Finalement dans les maladies, où les principes actifs de la maffe du fang font déprimés, & dans plufieurs maladies & incommodités du fexe.

Pour l'ufage des Bains de cette Source.

Elle convient fur le mêm e principe dans plufieurs afections cutanées, comme dartre, galle, prurit, herpes, & autres causées par un acide falin:

Dans les rhumatifmes & goutes fiatiques, dans les maladies des nerfs, crampe, goutes, mouvemens convulfifs caufés par l'irritation des parties nerveuses, engourdiffement, ftupeur & autres, auxquels les Médecins les jugeront propres, tant pour la boiffon que pour les bains.

Le tout a été fait & conclu au Colége le neuvième Octobre mil fept cens feize, avec ordre à notre Gréfier Juré d'enregistrer la préfente pour la connoiffance & utilité du Public.

A. ANRAET, Gréfier du Colége,
par Ordonnance.

Un autre Savant de notre tems, parlant de ces Eaux Thermales de Chaufontaine, nous dit qu'elles font propres & utiles dans toutes les efpéces d'hidropifie, dans les afections des reins, de la veffie & de leurs conduits, fur tout quand ils font doublés, pour ainfi dire, de vifcofités, tenaces impregnées d'acres & d'acides.

Et qu'il n'en eft point de plus éficaces dans les afections mélancoliques, hipocondriaques & fcorbutiques, où il s'agit d'émouffer, détruire, ou évacuer l'aigre très-fixe qui les cause, & que leur ufage en boiffon & dans les bains ne laiffe rien à défirer aux malades, dont les vifceres font embarraffés d'obftructions les plus opiniâtres ou qui ont la maffe du fang dépouillée de ces principes actifs, ou dont les globules & les foufres font trop raprochés, ferrés & enchainés, pour ainfi dire, par des acides crochus, ce qui caufe prefque toutes les maladies chroniques, ou de langueur. Enfin que le fexe y trouve une parfaite guérison des maux auxquels il eft finguliérement fujet.

Il le prouve par la nature des corpufcules minéraux, dont ces Eaux Thermales font impregnées, & qui, fuivant plufieurs Analifes réiterées, font chargées de fer ou de mars, de foufre & de fel alkali. D'autant que le fer eft capable de donner la liquidité au fang, en absorbant les les aigres qui le coagulent, en le broiant & triturant par fes parties maffives, qui aquerant continuellement du mouvement, fans en perdre que très peu, parce qu'elles ont peu de furface par raport à leur maffe, doivent néceffairement déboucher, diffoudre toutes les vifcofités, les parties terreftres , qui s'opofent au mouvement circulaire du fang, car les corps ferrugineux, quelques petits qu'ils foient, ont néceffairement plus d'activité que les humeurs coagulées & liquides n'ont de réfiftance, c'est une chose évidente par les régles démontrées du mouvement.

Le foufre, qui n'eft qu'un mélange d'huile avec peu d'acides, qui y font embarraffés & même avec quelques parties métalliques, lorfque, comme celui de ces Eaux, il n'a pas foufert le feu, auffi fermente-t'il avec certains acides: ce foufre, dis-je, adoucit extrêmement les acres & les acides, capables de déchirer les parties membraneufes & délicates.

Le fel alkali, dont ces Eaux font chargées, fe joignant aux acides, qui caufent les maladies en queftion, les adouciffent puiffanment, en les émouffant par leurs parties fixes, mais avec fi peu de fermentation & tant de lenteur, que fans produire aucune rarefaction foudaine, ni précipiter trop vite les acides & les foufres groffiers, ils ne peuvent caufer aucun des defordres que produisent ordinairement les alkalis volatils, d'où il eft à conclure que les trois Minéraux agiffans de concert dans ces Eaux, ils concourent à une parfaite guerifon, quand l'ufage en eft prescrit par des Médecins expérimentés & clairvoians.

Ce favant ajoute qu'outre les preuves qu'il a trouvé dans les Analifes exacts qu'en ont fait plufieurs Artistes, il a eû la curiofité d'en faire lui-même l'expérience par le moien des précipitans & furtout des folutions de tournefol, de fublimé corrofif, du fuc de faturne (Plomb) & du vitriol d'Alemagne, qui font infailliblement connoitre, & mieux que l'Analife, la nature des acides, des alkalis, des acres, des falins volatils, des fels falins, des fels mixtes & par le changement des couleurs.

Je ne crois pas dégenerer de la qualité d'Ecrivain des Délices d'un Païs, en donnant au Public les Observations que cet illuftre Savant & le Colége des Médecins de Liége ont fait fur la nature de cesEaux, & des moiens éficaces qu'elles fournissent pour conserver ou recouvrer la fanté qui eft le principal fondement de tous les plaifirs de la vie.

Ces précieuses sources ont été longtems négligées, & même inconnuës. Le lieu où elles jailliffent, étoit fi désert & entouré de tant de grands Boi , de fi rudes Montagnes & de fi afreux Rochers, qu'il n'étoit uniquement fréquenté que par des Forgerons, des Charboniers & de quelques Bergers ou Païfans des environs, que l'expérience & la tradition y conduifoient pour y chercher la guérifon de leurs maux.

L'an mil fix cens foixante & feize, un Particulier fe propofa de retirer quelque avantage de ces fources; il s'adreffa à cet éfet au Proprietaire du terrein qui les contient, & en aiant obtenu la permiffion, il y fit conftruire une hute d'argile avec quelques petits Bains. Cette entreprise eut affés de fuccès; mais pour s'en mieux affurer, il obtint plufieurs années après du Prince de Liége, un Octroi de ces Sources fous un cens annuel affés modique, & à condition qu'il y feroit conftruire des Bains propres & des Logemens pour y recevoir les malades.

C˙ e Particulier n'étant pas en état d'acomplir cette condition, & les malades qui y acouroient en foule, n'y trouvant point de Logemens commodes, fe dégouterent de ce lieu, & infenfiblement il fut, pour ainfi dire, mis en oubli.

Le Prince convaincu des merveilleufes guérisons qui s'y étoient opérées, & informé que ce Particulier qui en avoit l'Octroi, n'avoit point de terrein autour des Sources où il pût bâtir, & qu'ainfi il n'étoit point en état d'exécuter les conditions ftipulées, revoqua cette conceffion l'an mil fept cens treize par un Arrêt de la Chambre des Comptes, & pour ne pas priver le Public d'un fi puiffant remede, il fit ouvrir la terre autour de ces Eaux pour en découvrir les fources.

Après des pénibles & longs travaux & des dépenses confidérables, on trouva la premiere fource qui fourniffoit à celle dont on avoit jufqu'alors fait usage, & qui étoit beaucoup plus abondante & affés chaude pour qu'il ne fût pas besoin de la faire chaufer pour la rendre propre aux Bains, comme on faifoit auparavant. Elle étoit même beaucoup plus pure, parce qu'étant plus éloignée de la Riviere, elle n'étoit ni troublée ni refroidie par fes eaux.

Cette nouvelle découverte, qui tournoit à l'avantage du Souverain, donna lieu d'affembler les Jurifconfultes qui l'ajugerent à la Principauté, & de confulter les Médecins, qui après une analife exacte, autoriserent l'usage de ces Eaux en bain & en boiffon.

Cependant le Proprietaire de la Prairie qui renfermoit cette précieuse source, aiant fait fes remontrances au Prince, en obtint fous un cens raisonable, l'Octroi pour lui & les fiens à des conditions très-avantageufes au Public qui s'ytrouve à présent mieux fervi, & plus commodément logé qu'au tems du Particulier qui en avoit d'abord été nanti à des conditions qu'il n'étoit pas en état de remplir: il étoit de l'équité d'en agir de la forte, soit qu'on eût égard au droit naturel du Proprietaire, ou qu'on voulût confulter le rétabliffement des malades, en un mot le bien public.

Le Proprietaire du fond, muni d'une Patente de conceffion de l'an mil sept cens & treize, entra dès lors, & eft refté en poffeffion non feulement des fources découvertes jufqu'au jour de fon Octroi, mais encore de toutes celles qui pourroient fe découvrir dans la fuite.

Tels font les Droits des Princes, établis chés toutes les Nations; dans quelque terrein de leur Domination que fe trouvent des fources de cette nature, ils en font naturellement les Maitres, & il n'apartient qu'à eux d'en disposer à l'avantage du bien public, d'en adjuger la direction à qui il leur plait, avec cette diference qu'il eft équitable de donner la préference au Propriétaire du terrein où elles fe trouvent, pourvû qu'en même tems l'avantage & le mieux être du Public y trouvent leur compte. On n'a qu'à foüiller dans les Hiftoires des Nations les plus éloignées, ainfi que des voifines, on y trouvera ce Droit solidement établi, il n'eft permis à personne d'en douter fans heurter brufquement les maximes anciennes, qui, vraisemblablement, seront toûjours adoptées & mifes en ufage.

C'est là l'époque de la folide réputation des Eaux de Chaufontaine, où commencerent dès lors à fe rendre des malades de tout fexe, de tout âge & de toute condition, qui en font toûjours fortis guéris ou foulagés de leurs maux. Je dis du moins foulagés, car ces Eaux feroient, pour ainfi dire, miraculeuses, fi la plûpart des infirmes, n'en aiant ufé que dans une saison, se trouvoient parfaiment guéris. C'eft une chofe que la Médecine regarde comme impoffible; il faut en ufer pendant trois ou quatre saisons de fuite pour guérir radicalement: & fut-on même guéri dans la premiere, il eft de la prudence de réiterer leur ufage pour confirmer la guérison & prévevenir les rechutes.

Quelque afreux que fut autre fois ce lieu, il eft à préfent un des plus agréables des environs de Liége. C'est un Valon affés large pour y permettre un air libre & sain; les Montagnes qui le refferrent n'ont rien d'afreux, les Rochers même dont elles font hériffées, contribuent à la beauté du coup d'œil. Les Bois, dont elles font chargées jufqu'à leurs cimes, y ofrent aux yeux une verdure agréablement nuancée. Ce charmant Valon, où la Riviere ferpente pour en arrofer le terrein, eft très ouvert au Levant & au Couchant, où la vûë découvre des perfpectives que l'art ne fauroit imiter. Le païsage y eft parfait dans fa varieté; les promenades qui y font belles, font très-propres à contribuer à la convalefcence des malades, en les amufant & les divertiffant dans la compagnie qui s'y trouve pendant la faison des Bains. La proximité de la Ville de Liége, qui leur procure toutes les aifances de la vie, n'eftpas le moindre agrément de ce lieu.

Il y a environ trente ans, qu'après avoir mis les Eaux en état & les avoir refferrées dans un Puits très-propre, artiftement creufé & conftruit à l'abri des Eaux froides & de tout autre mélange, l'on y a dreffé des Machines fur le modèle de celles de Marly, près de Versailles, pour, par le secours de quatre groffes Pompes & de quantité de tuiaux, tirer & conduire ces Eaux de leurs fources dans un Baffin que le Propriétaire y a ménagé, & de là être tout ensemble & tout à coup diftribuées dans les Bains, fans rien perdre ni de leur vertu ni de leur chaleur moderée & fi falutaire.

L'on y a en même tems bâti des logemens commodes pour les malades. On y voit un bel Hôtel, fait en Pavillon, flanqué de quatre Tours, & acompagné de deux Ailes, terminées par deux affés gros Pavillons fur une Cour vafte & propre, où aboutiffent des Alées & des Avenuës charmantes, dont les chaleurs de l'Eté n'altérent point la fraicheur.

Ce logis eft très-propre à loger beaucoup de monde, & des gens même du premier rang avec leurs équipages. Entre les commodités qu'on y trouve, celle d'y entrer dans les Bains & d'en fortir fans être expofé au grand air, eft une des plus convenables. Les Loges où on les prend, font dans l'aile droite de cet Hôtel: on y en a ménagé dix-neuf de toute grandeur, avec des Chambres où l'on fe deshabille. Il y a toûjours bon feu, pour qu'on puiffe fe maintenir, fi on le fouhaite, dans une chaleur falutaire, après qu'on eft effuié & habillé. On en va conftruire un pareil nombre dans l'Aile gauche, pour les proportionner à la quantité des perfonnes qui augmentent tous les ans.

On y trouve encore un grand nombre de belles Maifons très-fpatieufes, avec quantité d'Apartemens, commodement diftribués, où les Etrangers, fains & malades, font parfaitement bien logés. L'Hôtel, dont je viens de parler, qu'on nomme le Pavillon des Bains, a au-deffus des autres, la commodité des Bains qu'il renferme, des Remifes & des Ecuries que l'on y va encore augmenter.

La Machine, dont j'ai parlé, compofée de quatre Pompes qu'une branche de la Riviere fait agir par le mouvement qu'elle donne à des Rouës & des Balanciers, fournit fans ceffe de la nouvelle eau chaude à ces Bains, qui par ce moien font toûjours dans le même dégré de chaleur. On peut même les renouveller tout autant de fois qu'on lejuge à propos, puifque, comme je viens de dire, l'eau par le fecours de cette Machine, qui ne difcontinuë pas, y eft fans ceffe transportée de fa Source, fans aucune évaporation des Mineraux dont elle eft chargée, ce qui la rend fans contrédit plus éficace & plus capable de détruire, ou corriger par fa prompte & continuelle pénétration, les acides viciés de la maffe du fang. Bien diférente en ce lieu des Eaux de la plupart des Bains qu'on trouve ailleurs, & qui malgré leur réputation n'ont pas le même avantage, leur chaleur n'y eft pas toûjours naturelle, il faut fouvent l'y entretenir par artifice & par le mélange d'une Eau chaufée; mais on voit bien que, quand même cette Eau feroit minerale, ses principes s'évaporant par l'action du feu qui la chaufe, elle perd non feulement fa vertu, mais elle afoiblit même celle de l'Eau naturelle qui eft dans le Bain, & la rend très-impropre à produire l'éfet qu'on en atend; les Médecins regardent même comme un abus pernicieux d'ufer des Bains trop chauds & brulans, qui fe trouvent en certains lieux renommés, & que plufieurs perfonnes mettent en ufage à Chaufontaine, en faifant chaufer une partie de l'Eau du Bain pour échaufer le refte à un dégré d'excès ; cette chaleur n'étant point naturelle ne fauroit réjouir la nature.

Les Eaux des Bains, dont je parle, ont l'avantage des fameux Bains de Carelsbad, dont l'Augufte Famille Impériale a fait fi fouvent ufage, la chaleur y eft exactement au même dégré, fans excéder celle du fang, & par conféquent incapable de le mettre dans un mouvement plus que naturel & violent qui en détruit les principes.

L'accès en étoit autrefois dificile; on ne pouvoit s'y transporter que par eau, mais aujourd'hui, outre les Bâteaux & Barques qui partent réguliérement, & tous les jours de Liége, les Etats du Païs en ont rendu le chemin praticable: ils n'ont rien épargné pour faire une belle Chauffée, qui en rend l'abord des plus aifés: il n'eft point de Voiture qui n'y roule commodément: on en trouve qui dans la faifon partent à toute heure de la Ville de Liége. Le zèle que le Prince & les Etats ont eû pour le bien public, leur a auffi inspiré d'ouvrir un chemin au travers d'une Montagne, pour qu'il y eût une communication aifée entre Spa & Chaufontaine; ils ont eû en vûë de faire plaifir aux malades, qui avant ou après avoir pris les Eaux de ce premier lieu, fe rendent dans l'autre pour s'y baigner & fe purger par l'ufage des Eaux chaudes, qui procurent quelquefois un vomiffement doux, mais plus ordinairement une évacuation falutaire par les parties baffes, furtout quand on les anime par quelque fel apéritif.

Ces Bains étant nouvellement établis, il n'eft pas furprenant qu'on ait encherit fur la propreté & la commodité des plus anciens, où tout le monde fe baigne pêle-mêle, fans que les deux fexes y foient traités féparément: il n'en eft pas ainfi à Chaufontaine, non feulement on y prend le Bain un à un, ou à plufieurs, comme l'on fouhaite & fans aucune gêne, mais encore les Loges des hommes font féparées de celles des femmes, & ils ne fe baignent jamais ensemble, ni même dans la même Loge, à moins qu'on ne foit bien informé que le mariage, ou la proximité du fang autorisent ce mélange qu'en toute autre ocafion la bienféance condamne.

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