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LES PEPINS

Les causes et l'agrandissement de la famille des Pepins

par LESBROUSSART

En recherchant les causes de l'agrandissement de la maison des Pépins, je ne m'écarte point de la loi à laquelle l'Académie s'est soumise dès son institution, de préférer dans ses travaux, les objets qui appartiennent directement à l'histoire nationale. On sait, et c'est un titre de plus à la considération que mérite la Belgique parmi les autres états de l'Europe, on sait qu'après avoir été le berceau de la monarchie française, elle eut encore la gloire de donner le jour aux chefs de cette dynastie royale, qui, dans Charlemagne, étendit sa domination des bords du Tibre à l'Océan septentrional, et des bornes de la Germanie jusqu'aux extrémités de l'Armorique. Mon dessein n'est pas cependant d'offrir dans cet ouvrage des tableaux déjà peints par des mains plus habiles que les miennes; je ne veux que rechercher les causes qui ont le plus contribué à élever la maison carlovingienne sur les ruines des Mérovingiens.

L'obscurité des premiers temps du royaume d'Austrasie et l'incurie de ceux qui ont voulu transmettre à la postérité l'histoire des successeurs de Clovis, nous empêchent de porter nos recherches sur la famille des Pépins, au-delà de celui d'entre eux que nous surnommons de Landen, soit parce qu'il naquit dans cette ville, ou qu'il y mourut, soit plutôt parce qu'il en était propriétaire, et que ses ancêtres l'avaient acquise, ou l'avaient reçue en partage, après la conquête de la Belgique par les Francs. L'histoire, en lui donnant pour aïeul Charles le Hasbainois, pour père Carloman et pour mère Ermengarde, en fait un des plus puissans seigneurs de l'Austrasie, et parmi les grands biens qu'il possédait dans le Brabant et dans la Hesbaye; elle indique spécialement, avec une partie de la ville de Nivelles, celle qui lui donna son surnom, et qui tenait alors un rang distingué dans ces provinces (1). Ainsi la fortune qui appelait de loin ses descendans au trône, lui fit trouver dans le patrimoine de ses ayeux et sans doute aussi dans la munificence des rois, tout ce qui, avec des talens et des circonstances heureuses, peuvent conduire une famille au faite des grandeurs, la naissance et les richesses. A l'époque dont nous parlons, celles-ci étaient encore la récompense des services militaires et non le fruit de l'intrigue ou de l'adulation. L'opulence et les honneurs étant presque toujours, sous les premiers rois Francs, le prix du courage, il est probable que les ancêtres de Pépin de Landen, durent à leur valeur une partie des biens qu'ils laissèrent à leurs descendants.

Longtemps esclaves de Rome, les Gaules avaient été conquises par les armes victorieuses de Clovis. Ce prince, que la religion qu'il embrassa et qu'il sut protéger, ne justifie point du meurtre de plusieurs souverains, avoit réuni sous ses lois la plus grande partie de ce vaste empire. L'état avait pu respirer après de longues et violentes secousses; mais la haine mutuelle de Brunehaut et de Frédegonde le replongea dans de nouveaux malheurs. II y a des temps où l'histoire des princes n'est guères que celle des crimes, et où un royaume entier n'est qu'un théâtre de carnage; tels furent à peu près ceux où vécurent ces deux femmes. II en est peu qui présentent des moeurs aussi barbares, et le trône aussi souvent ensanglanté par des mains dont ne pouvaient se défier ceux que le fer ou le poison alloit chercher au sein de la sécurité. Le séjour des Romains, dans les Gaules n'avait pu adoucir entièrement l'humeur agreste des vaincus. Les moeurs plus sauvages encore des Francs n'avaient fait que renforcer l'ancienne rudesse, et la religion, quoi qu'établie depuis longtemps, n'avait pas encore changé les coeurs si longtemps féroces. Sous un extérieur plein de noblesse, dit un écrivain ancien, en parlant des habitants de l'ancien Brabant, avec des qualités faites pour plaire, avec l'amour du travail et un courage mâle et guerrier, ce peuple, compté parmi les Austrasiens, n'en était pas moins l'esclave des vices les plus honteux. Le parjure, l'assassinat, le vol et les rapines s'exerçaient avec impunité. Au milieu de cette corruption affligeante, il existait néanmoins, pour le bonheur de la nation, des hommes qui l'édifiaient par leurs exemples, qui l'éclairaient de leurs lumières et l'honoraient par leurs vertus. De ce nombre étaient, parmi plusieurs pieux anachorètes, les SS. Amand, Livin, Bavon, Guillain et Arnoul, avec tes SStes Waudru, Ideberge, Gertrude et Begge, dont les trois 3 dernières étaient l'une épouse et les deux autres filles de Pepin. Celui-ci ne s'était point livré comme les autres, aux travaux apostoliques; mais aux talents de l'homme d'état, il joignait la piété d'un cénobite des premiers temps.

L'exemple des grands devient trop souvent pour le peuple la règle de sa conduite; et celui de Pépin, dont la libéralité faisait sortir les temples naissants et leurs ministres de leur indigence primitive, dut tout à la fois influer utilement sur les moeurs et augmenter le crédit que lui donnaient d'ailleurs sa naissance et ses dignités. C'est par là qu'il avait su se concilier l'estime de la nation et la confiance de son souverain.

Clotaire II paraît être le premier qui apprécia les vertus de Pépin; et la confiance dont ce prince l'honora, fut un retour mérité pour le zèle avec lequel le sujet avait défendu les intérêts de son roi. Clotaire, le second de son nom qui ait réuni toute la monarchie française, après avoir eu en partage le royaume de Soissons, le moins considérable de tous, n'avait acquis le royaume de Bourgogne qu'en ordonnant la mort de deux des enfants de Thierri, et en en condamnant un troisième à une prison monastique. Brunehaut, auteur de quelques établissemens utiles, mais dont la vie fut souillée de tant de crimes, venait de faire assassiner Théodebert II (2), pour placer son fils Sigebert sur le trône d'Austrasie. Clotaire opposait à l'ambition de cette autre Jézabel les droits du sang et la haine des grands et du peuple contre la meurtrière de leur roi; mais s'il triompha des artifices de son ennemie, qui bientôt après expia ses forfaits par une mort affreuse, si les Austrasiens le reconnurent pour roi, ce fut surtout à Pépin qu'il dut cet avantage. Son crédit et celui d'Arnoul, son ami et son émule dans le chemin de la vertu, donnèrent l'impulsion au reste de la nation; adnitentibus Pipino et Arnulpho Austrasiae primoribus.

C'est sans doute à cette époque ou un peu après, qu'il faut rapporter ce que disent les historiens, de l'elévation de Pépin au gouvernement d'une partie de l'Austrasie. Quelques auteurs l'ont placé pour cette raison, à la tête des ducs de Brabant, comme s'il l'avait possédé et transmis à ses héritiers à titre de patrimoine, tandis qu'il est constant que ce ne fut que longtemps après que ce pays fut gouverné par des ducs héréditaires. D'ailleurs l'administration de Pépin, dans laquelle, selon quelques historiens, il était secondé par St-Arnoul, ne se bornait pas au Brabant tel qu'il est aujourd'hui.

Cette province ne contenait guères alors que l'espace renfermé entre les rivières de la Senne et de l'Escaut, et qui s'avance depuis Gand, Audenarde et Termonde jusqu'à Bruxelles et Halle; et l'autorité de Pépin s'étendait depuis la Moselle du côté du midi, jusqu'au pays habité par les Frisons et sur les peuples qui habitaient entre la forêt charbonnière et la Meuse (3), tandis que les autres provinces de l'Austrasie avaient leurs ducs ou administrateurs particuliers.

Les ducs, dont l'origine remonte bien au-delà du temps dont nous parlons, étaient alors les gouverneurs des provinces; et cette dignité supposait dans celui qui en était revêtu les talents, d'un bon capitaine, ils ne reconnaissaient au-dessus d'eux que le souverain, qui pouvait son gré les priver de leur autorité, mais qui souvent leur donnait un successeur choisi dans leur famille, politique inconséquente qui devint dans la suite si funeste l'autorité royale (4). Chargés de lever les troupes de la province qu'ils administraient, ils les conduisaient au champ de Mars pour en faire la revue, et marchaient à leur tête dans les combats (5). Leur autorité s'étendait sur les comtes, dont le devoir était d'assembler les troupes, chacun dans son district. La province qui fournissait les soldats, fournissait également les provisions nécessaires pour six mois, et le roi fournissait seul les frais du reste de la campagne. Chez une nation belliqueuse et qui jusques-là n'avait connu que le métier des armes, la dignité de duc était, sans contredit, celle qui devait le plus exciter l'émulation et l'amour de la gloire. Les vertus que l'histoire se plaît à célébrer dans Pépin et que peu d'hommes ont poussées plus loin que lui, ne nous permettent point de soupçonner qu'il ait été porté à ce poste brillant par l'ambition et par l'intrigue, deux mobiles puissants de la conduite et des actions de la plupart des hommes; mais il ne put être insensible à la reconnaissance de Clotaire, qui remettait entre ses mains le bonheur d'une portion considérable d'un état qu'il devait presque tout entier à son zèle. II ne pouvait non plus être insensible à la gloire, qui, dans une ame vertueuse, est le principe de toutes les belles actions. Il avait hérité de ses pères un nom déjà illustre; il voulut le transmettre plus brillant encore à sa postérité.

En le peignant comme un sujet fidèle dont les conseils étaient utiles à son maître, plutôt que comme un guerrier célèbre, les historiens nous font entendre qu'il influa beaucoup sur le bien que Clotaire fit à ses peuples. Ce prince, le dernier de sa race peut-être dont les Francs aient pu regretter la mémoire, dès qu'il s'était vu paisible possesseur de la monarchie entière, avait su rapprocher les Neustriens, les Bourguignons et les Austrasiens, auparavant ennemis et divisés, entretenir la paix avec ses voisins, protéger la religion, et contenir le crime par le frein des lois. Il mourut regretté, parce qu'il aimait la justice et la paix; mais quelques années avant sa mort, il avait abandonné l'Austrasie et la Neustrie à Dagobert son fils, avec le titre de roi. Dagobert était jeune encore, et son père, parmi les personnages vertueux qu'il avait attirés à sa cour, avait choisi Pépin pour guider sa jeunesse. Pépin était Austrasien, et Clotaire était persuadé que celui qu'il donnait pour guide à son fils, formerait son coeur pour le bonheur des Austrasiens ses compatriotes. Ainsi le titre de maire du palais d'Austrasie fut ajouté à celui de duc, pour mieux assurer l'illustration de sa maisons et confirma la coutume de ne donner cette dignité qu'à des hommes nés dans le pays où ils devaient l'exercer (6). Quelques auteurs ont prétendu qu'il avait été maire du palais longtemps avant l'avènement de Dagobert au trône d'Austrasie, et même sous le règne de Théodebert II; mais Adrien de Valois dont l'opinion en ces sortes de matières doit servir de règle, et l'auteur des Actes des saints de la Belgique, nous ont appris ce qu'il faut penser de cette assertion hasardée.

Que l'on me permette ici quelques réflexions sur la nouvelle dignité à laquelle Pépin fut élevé. Si elles n'ajoutent rien à ce que de savants hommes ont écrit sur sa naissance et ses progrès, elles prouveront du moins combien les circonstances se présentaient favorablement pour la famille de Pépin, et comment la fortune, en préparant de loin sa grandeur future, ébranlait sourdement celle des Mérovingiens.

« La dignité de maire du palais, dit Montesquieu, paraît venir des Germains, qui, selon Tacite, se déterminaient dans le choix de leur roi par sa noblesse, et dans le choix de leur chef par sa valeur, reges ex nobilitate, duces ex virtute sumunt. Voilà, ajoute-t-il, les rois de la première race et leurs maires du palais. Les premiers étaient héréditaires; les seconds étaient électifs. » Quelque respectable que soit l'autorité de ce profond écrivain, il me semble que son opinion ne serait vraie qu'autant que les maires auraient été dans leur origine, ce qu'ils devinrent dans la suite, c'est à-dire, les chefs réels et effectifs du royaume; mais on sait que tant que les rois eurent le courage de combattre et de commander les armées, ces maires demeurèrent loin au-dessous du trône. Ce fut l'indolence des souverains qui favorisa leur élévation. Il parait plus naturel d'adopter l'opinion de ceux qui, avec Pasquier, prétendent que, dans le choix des officiers de leurs maisons, les rois francs ont imité les empereurs d'orient, et créé à leur exemple des maistres du palais, des comtes d'estables, et autres telles sortes d'offices.

Le maire du palais n'avait donc dans l'origine que la superintendance générale sur toute la famille royale, à cause de quoi n'étaient commis à cet état que les plus favoris, ce qui s'accorde peu avec l'usage où étaient les Germains de n'avoir égard ni à la faveur, ni à la naissance dans l'életion de leurs chefs. La première fonction des maires fut donc le gouvernement économique et l'administration intérieure des maisons royales. Ils partagèrent d'abord avec d'autres le gouvernement politique des fiefs dont à la fin ils disposèrent seuls. Ils étaient seulement alors ce qu'est aujourd'hui le grand-maître, et leurs titres étaient majores domus regiae, palatii gubernatores, praefecti, quelquefois, mais improprement patricii, comites palatii. Ce fut à l'époque où vivait Pépin et sous le règne de Clotaire II, que leur puissance parut prendre un nouvel essor. Ils étaient déjà sous ce prince les ministres et les généraux-nés de l'état. Les Francs, jaloux de leur liberté, les regardaient comme les tuteurs des lois, et ils les opposaient, dit l'abbé de Vertot, comme une barrière aux entreprises du souverain, s'il eût tenté de porter trop loin son autorité et au prejudice de la liberté de la nation (7).

Appelé à la couronne dès le berceau, devenu ensuite possesseur des royaumes d'Austrasie et de Bourgogne, ce prince, contre l'usage adopté jusques là, laissa à ces deux provinces leurs maires du palais, Radon à l'Austrasie et Garnier ou Varnahaire à la Bourgogne, avec le titre de gouverneurs ou de vice-rois. C'est le premier exemple de deux maires placés à la tête de deux royaumes incorporés à un troisième au sein duquel le souverain faisait sa résidence. Clotaire ne prévit pas combien cette innovation impolitique deviendrait fatale à ses descendans, ni combien un homme ambitieux pouvait trouver de ressources dans les forces d'un grand état, pour braver un jour la majesté royale. Aussi, de cet instant jusqu'au règne du dernier des Mérovingiens, on vit décroître l'autorité des rois et s'accroître celle des maires.

Itaque majores repente maximi ex mediocribus redditi; qui cum ex praefectis palatii,praefecti procuratoresque regum facti essent, mox tutores ipsorum regum, ac postremo ipsi reges evaserunt.

Telle fut alors la dignité des maires du palais, qu'elle ne reconnut plus au-dessus d'elle que l'autorité royale, et que souvent elle marcha son égale. Devenu maître d'un grand empire (8), et guidé surtout par les conseils de Pépin, Dagobert se montra souvent digne d'être roi. S'il laissa par la suite corompre ses moeurs, il n'en faut sans doute accuser que le luxe qui régnait à sa cour (9), et les pièges dont l'adulation enveloppe souvent les meilleurs rois, ou le penchant qui porte l'homme à satisfaire ses passions. Pépin eut le bonheur de réconcilier son maitre avec la vertu. Il était devenu trop puissant et brillait de trop de mérite pour ne pas avoir d'ennemis. Il en trouva parmi les courtisans de Dagobert; mais il sut en triompher, et n'en parut que plus attaché aux intérêts de son roi; insidias paratas evasit, dit Aimoin, et regi utilia suadendo fidelissimus apparuit.

Dagobert, qui avait reconnu l'utilité des conseils et des services de Pépin, l'avait rappelé avec lui dans la Neustrie, lorsqu'il avait fait Sigebert II, son fils, roi d'Austrasie (10). Après la mort du père, Pépin, de retour dans sa patrie, y fut placé encore à la tête des affaires sous le règne du fils, et ce règne fut le troisième pendant une partie duquel il servit également le prince et la nation. En le plaçant au nombre des bienheureux, l'église n'a fait que confirmer les éloges que donnent à ses vertus tous ceux qui ont écrit l'histoire des premiers siècles de la Belgique. Sa mémoire fut honorée des regrets de tous les Austrasiens: Pipinus obiit maximum Austrasiis relinquens luctum, eo quod propter animi sui magnitudinem et justitiae servatam aequitatem, ab universis diligeretur (11).

Sous le règne du fils de Dagobert, lequel, dit Pasquier, fut assez tendre et débile de son cerveau, l'autorité du maire du palais s'accrut encore, et elle trouva assez d'occasion et de loisir d'enjamber dessus la dignité royale.

Pépin avait laissé un fils digne peut-être d'égaler son père, si l'ambition n'avait pas aveuglé son esprit. Grimoald, soutenu d'un grand nom et de toute la vénération dont jouissait la mémoire de son père, regardait la dignité de Majordome comme une partie de la succession paternelle. Il eut à lutter pendant quelque temps contre un rival puissant; mais le crédit que le souvenir de Pépin imprimait à ses démarches, lui fit vaincre tous les obstacles, et le premier il succéda à son père dans ce poste éminent, paternae amicitiae praerogativâ... in locum patris major-domus in Austriae regno proefectus est. Uniquement occupé du soin de fonder des maisons religieuses et d'en régler lui-même la discipline, Sigebert II laissait une carrière libre au vues ambitieuses de Grimoald. Ce nouveau maire développa dès lors une politique inconnue à son père, et jeta en secret les fondements d'une grandeur qui ne connut plus de bornes, que quand elle eut renversé le trône et ravi le sceptre que portaient les petits-fils de Clovis. Peu content du haut rang où il se voyait élevé, et persuadé qu'en se rapprochant des rois par de nouveaux titres, il parviendrait plus facilement à les égaler, il substitua au titre de maire, ceux plus pompeux de duc, de prince des Français, et de vice­roi, subregulus. Une lettre de Didier, évêque de Cahors, lui donne les titres d'éminence et d'excellence, titres qui n'annoncent plus aujourd'hui qu'un rang distingué dans l'ordre hiérarchique ou dans celui de la politique, mais que le respect n'accordait guères alors qu'aux souverains. Sigebert avait dû son salut au courage et aux conseils de Grimoald, dans une guerre qui avait troublé les premières années de son règne. Ce prince, en terminant une vie languissante, le donna pour tuteur à son fils, encore enfant. Il espérait sans doute que celui dont il avait éprouvé la fidélité pendant sa vie, deviendrait, après sa mort, l'appui de son jeune successeur. Grimoald, au contraire, oubliant ce qu'il devait à son roi légitime, conçut le projet audacieux de lui substituer son propre fils (12). Il l'exécuta; mais il paya de sa vie la noirceur de sa perfidie. Le sang de Clovis était encore cher aux Francs, et ce peuple ne vit qu'avec indignation son roi précipité du trône par la main qui aurait dû l'y porter et l'y soutenir (13). C'est ainsi que Grimoald perdit tout, pour n'avoir point su réfréner son ambition; et ce fils de Pépin, que ses brillantes qualités ne rendaient pas moins cher aux Austrasiens que l'avait été son père, devint tout à-coup odieux à la nation, et vit tomber en un jour l'édifice de la grandeur qu'il avait essayé d'élever contre les lois de l'honneur et de la bonne-foi.

Par la mort de Grimoald et par celle de son fils, la branche masculine de Pépin de Landen était éteinte, et la fin tragique de ces deux princes était une leçon terrible pour la postérité, si pourtant l'exemple du crime puni peut contenir l'audace et l'ambition; mais les destins avaient arrêté qu'après quelques générations, les descendans de Pépin porteraient ce même sceptre qui avait coûté la vie à son fils et à son petit-fils. Pépin avait uni, par le moyen de Begge, sa fille, sa maison avec celle d'Arnoul, égal à lui par ses vertus, ses emplois et sa naissance (14), qui avait gouverné l'Austrasie au commencement du règne de Dagobert Ier, qui depuis avait été élevé au siège épiscopal de Metz, et qui avait joui longtemps de la confiance des rois Théodebert et Clotaire. Ansegise, Anchise ou Ansigisile, devenu gendre de Pépin, tenait un rang distingué parmi les grands-officiers de la cour de Childeric II. II fut, selon la chronique de Verdun, élevé au rang de duc ou de gouverneur de province; mais il ne parvint jamais à la dignité de maire du palais, comme l'ont écrit quelques biographes, et surtout le moine Hariulfe, auteur de la chronique de St Riquier. Né dans l'Austrasie, il n'aurait pu l'être que de ce royaume, et ce fut Vulfoalde qui le gouverna jusqu'au tems où le second des Pépins, surnommé d'Héristal, fut mis en possession de la mairie en 678. Celui-ci était le fruit de l'hymen de Begge avec Ansegise. Il ne comptait donc des deux côtés, parmi ses aieux, que des maires et des gouverneurs, c'est­à-dire, les premières personnes de l'état; et l'on peut encore regarder cette particularité, l'alliance mutuelle des deux familles les plus considérables de l'Austrasie, comme une des causes de la grandeur à laquelle parvint la maison Carlovingienne. Pépin d'Héristal n'ignorait pas la fin tragique de son oncle et de son cousin; mais il n'en poursuivit pas moins avidement le projet d'agrandir son autorité aux dépens des droits attachés à la souveraineté des rois.

Les royaumes de Neustrie et de Bourgogne étaient à peu près à cette époque le théâtre des scènes les plus affligeantes. Des règnes éphémères et des rois au berceau laissaient un champ libre à la vengeance et à la rapacité d'Ebroin. Ce maire cruel autant qu'ambitieux, était devenu l'oppresseur plutôt que l'appui du trône. Trois princes, Clovis II, Clotaire III et Thierri III, successivement esclaves de ce despote altier, n'avaient pu reprendre les rênes de l'état échappées de leurs mains. Réduits à l'inaction, traînés de palais en palais, ne recevant de leurs revenus que ce que la main avare du Major-dome voulait bien leur abandonner, livrés à la merci d'un petit nombre de domestiques dévoués à l'oppresseur, ne se montrant plus qu'une fois l'année, à la nation assemblée, soumis en tout à la volonté du maire, qui leur dictait les réponses qu'ils devaient faire, soit au peuple, soit aux ambassadeurs des rois, ces fantômes sur le trône hâtaient le coup qui devait bientôt frapper leurs successeurs (15).

Les entreprises et les usurpations d'Ébroin dans la Neustrie, devinrent un exemple séduisant pour les maires d'Austrasie. Il est rare que l'ambition s'arrête dans sa marche, lorsqu'elle trouve la voie applanie et facile. Childéric II étant mort après un règne de 7 ans, Dagobert II, ce fils de Sigebert à qui Grimoald avait fait couper les cheveux, fut mis en possession du royaume d'Austrasie; mais ayant été lui-même assassiné, après un règne encore plus court que celui de son prédécesseur, l'Austrasie devait par là être encore réunie à la Neustrie, où régnait Thierri III. L'Austrasie craignit de tomber sous la domination d'Ebroin, et elle ne voulut plus reconnaître de rois. Ainsi l'iniquité d'un maire et son despotisme odieux contribuèrent à reporter le neveu de Grimoald à la tête de l'administration, et Ebroin, et selon d'autres, prince des Austrasiens. On lui donna pour collègue Martin, son parent; mais la mort de ce dernier, qui périt bientôt victime de la perfidie d'Ébroin, laissa Pépin seul maître de toute l'Austrasie: Solus, dit Adr. de Valois, in Austria principatum obtinuit, in tantum ei obsecundante fortunda, ut damnis suis ditior et clade accepta redderetur. Souverain de l'Austrasie, quoique sous l'autorité apparente de Thierri, dont il n'osait anéantir les droits légitimes, il y jouait le rôle d'un grand roi. Vaincu dans un combat dont la suite avait coûté la vie à son collègue, sa politique, son crédit sur le peuple austrasien, et la haine des Neustriens pour Berthaire, successeur d'Ebroin, lui fournirent bientôt un prétexte pour venger sa défaite antérieure. La bataille de Testri dans le Vermandois (16), mit le sceau à sa puissance, et Berthaire vaincu avec l'infortuné Thierri, qu'il tenait dans l'esclavage, fut le dernier maire particulier des royaumes de Neustrie et de Bourgogne. Le fruit de cette victoire fut l'anéantissement total de la puissance royale. « En cel manière fu Pépins sire de toute Austrasie et de toute France qui par autre nom est aucune fois nommée Neustrie; si dure d'un sens de la grand mer de la petite Bretaigne jusques au fleuve de Muese, et d'autrepart du Rhin jusques à Loire. » Cette réunion de la Neustrie et de la Bourgogne au royaume d'Austrasie, mit Thierri sous la dé pendance absolue du maire du palais. Ce prince conserva, ainsi que ses successeurs, le titre de roi; mais Pépin en eut seul toute l'autorité. Nous épargnerons au lecteur le récit des guerres qu'il eut à soutenir contre les ennemis voisins de la France, et les conquêtes qu'il fit sur eux. Nous observerons seulement qu'il fut le premier qui attacha à la dignité de maire du palais, un référendaire et plusieurs autres grands-officiers, qui jusques-là avaient été réservés aux rois seuls; qu'il créa l'un de ses fils duc de Champagne, et l'autre maire du palais de Neustrie et de Bourgogne; mais plus sage que les rois dont la faiblesse avait causé la perte, il ne leur laissa jamais qu'un pouvoir limité. Maitre du trésor royal et de la personne du roi, dispensateur suprême de toutes les grâces, chef de toutes les troupes, arbitre souverain de la nation, que lui manquait-il que le titre de roi, pour être tout ce qu'il pouvait être (17)?

La révolution qu'occasionna la journée de Testri, doit être placée parmi les causes principales de l'élévation des Pépins. En mettant Thierri au pouvoir de Pépin, elle éleva l'Austrasie au-dessus de la Bourgogne et de la Neustrie. Elle seconda merveilleusement les projets et l'ambition du vainqueur, à la famille duquel se trouva désormais attachée la mairie du palais, et cette mairie s'élevant au-dessus des autres, la maison qui la possédait n'eut plus d'égale dans toute la monarchie. Son aïeul maternel et son oncle avaient été maires de l'Austrasie; son cousin y avait régné pendant quelque temps, et il la regardait comme son patrimoine. S'il n'essayait point de s'en faire nommer roi, il ne négligeait rien du moins pour envahir toutes les prérogatives du trône. Il fit surtout en sorte que les rois ne résidassent point dans l''Austrasie, et sous son administration, sous celles de son fils et de son petit-fils, tous les rois, à l'exception du faux Clovis, qu'Ebroin avait fait reconnaître roi d'une partie de l'Austrasie, habitèrent dans la Neustrie. L'autorité de Pépin, fondée sur plus de 20 ans d'une administration brillante, si elle éveilla l'envie, sut au moins lui imposer silence. Elle augmenta encore le respect et l'attachement de la nation pour sa famille. Son délire à cet égard fut même pousse si loin, qu'elle élut pour maire un de ses petits-fils qui était encore dans l'enfance, et l'établit sur Dagobert III. Post haec, dit le continuateur anonyme de Frédegaire (an 714), Theudoaldus filius ejus (Grirnoaldi) parvulus, in loco ipsius cum praedicto rege Dagoberto, major domus palatii effectus est C'était, selon Montesquieu, mettre un fantôme sur un fantôme.

Pépin mourut plein de gloire, et satisfait sang doute d'avoir rendu l'administration de l'état héréditaire dans sa famille (18). Il fit un pas de plus que ses prédécesseurs vers le trône, sans oser s'y placer; mais il en applanit le chemin à son petit-fils, par l'éloignement successif des obstacles qui l'en séparaient encore.

On peut regarder aussi comme une cause de l'affermissement de son credit, la protection puissante qu'il ne cessa d'accorder au clergé. Cet ordre dont les fonctions n'ont rien de profane, et qui par là semble se rapprocher davantage de la divinité, jouissait alors d'une très grande influence sur l'esprit du peuple. Les richesses qu'il devait à la piété des rois et des grands, avaient excité dans la Neustrie la cupidité d'Ebroin. Pépin fut invité puissamment par le clergé de ce royaume, à prendre la défense des églises contre les çoncussions et les rapines de ce maire du palais. Ce fut peu pour lui de venger le clergé; il voulut encore rehausser la considération dont les prélats jouissaient déjà. Jusques-là les évêques avaient souvent été appelés au conseil des rois; il voulut qu'ils assistassent de droit aux assemblées de la nation, qu'il avait transférées du mois de mars au mois de mai. Ces procédés, mis en opposition avec la cupidité des autres maires, combien ne donnaient-ils point d'avantages à Pépin pour cimenter son autorité? Il avait trouvé dans la conquête de la Neustrie et de la Bourgogne, les moyens de contenter ses capitaines; le domaine des rois, dont il pouvait disposer à sa volonté, devint aussi en partie la récompense de ceux qui avaient combattu sous ses ordres; mais il respecta toujours la personne et les biens des ecclésiastiques (19).

Pépin en mourant avait assigné à Charles Martel (20) le gouvernement de l'Austrasie, comme sa part de l'héritage paternel. Nous avons déjà remarqué que cette partie de la monarchie française était alors la plus considérable; mais Charles sut encore en relever l'éclat par ses grands exploits. Avant de la posséder paisiblement, il eut a repousser les efforts de Plectrude, épouse légitime de Pépin, qui voulait régner sous le nom de Théodebalde son petit-fils; mais enfin, échappé de la prison où cette marâtre, son ennemie, le tenait renfermé, il fut reçu par les Austrasiens, comme si c'eût été Pépin son père lui-même. Reconnu par eux duc d'Austrasie, vainqueur ensuite à Vinci (21), il fut dès lors regardé comme le dieu tutélaire de sa patrie et de toute la France. Il arriva, après cette victoire et après celle de Soissons, ce qui était arrivé à Pépin sous Thierri III. Le maitre Rainfroi, l'allié de Plectrude, perdit sa place, comme Berthaire avait perdu la sienne. Charles substitua à Chilpéric II, un roi fort ignoré, nommé Clotaire IV. Ce roi ne fit que paraître sur le trône, et le malheureux Chilpéric fut rappelé par Charles-Martel, qui, content de réunir toute l'autorité, lui laissa le vain titre de roi. Maître des trois royaumes, comme son père l'avait été, il tourna ses armes contre les ennemis de la France. Les Sarrasins défaits entre Tours et Poitiers, les Frisons domptés, convertis à la foi catholique et rendus tributaires de la couronne, permirent pour quelque temps à ce héros austrasien, de jouir en paix de la soumission où le bruit de sa valeur avait mis toute l'Europe. Il pouvait alors se regarder comme le souverain de toute la France. La mort de Thierri de Chelles avait laissé le trône vacant, et la nation ne lui avait point donné de successeur. Ce ne fut qu'après un interrègne de 4 ans, que Childeric III, son fils, y fut porté, pour en tomber bientôt après, et entraîner dans sa chute le seul rejeton qui restât avec lui du sang de Clovis (22).

L'Italie, à cette époque, était menacée par les Lombards. Grégoire II et Grégoire III, son successeur, invoquèrent le crédit et les forces de Charles, contre les ennemis de l'église. En interposant son crédit, en appuyant ses prières de toute la terreur que son nom pouvait inspirer, il rendit du moins, pour un temps, le repos à l'Italie. Aucun roi n'avait avant lui reçu les honneurs d'une ambassade aussi brillante que celle que lui envoya Grégoire III. Elle valut à Charles, avec un accroissement de respect et d'autorité, le titre de protecteur de l'église, et de patrice romain, et selon quelques­uns, de souverain de Rome. Elle effaça le reproche qu'on lui faisait d'avoir usurpé quelques biens ecclésiastiques, pour en récompenser les officiers de son armée; mais cette action, qui n'eut lieu que quand il fallut repousser les Sarrasins qui étaient près d'enlever les Gaules aux Francs, comme ceux-ci les avaient enlevées aux Romains, cette action, dis-je, trouve son excuse dans la nécessité qui, quelquefois réduit la loi au silence. « Pour la raison de cette noncité (grandt besoing) prist il les dismes des églises pour donner aux chesvalliers qui desfendirent la foy chrestienne et le royaume, par le conseil et par la volenté des prélatz, et proumist que si Diex li donnoit vie, il les restablirait aux églises et leur rendroit largement et ce et aultres choses. » Sa vie avait été un enchaînement d'actions glorieuses; aucun roi n'avait jusques-là régné avec plus d'éclat sur une grande nation, et n'avait joui d'une autorité plus absolue. Enfin pour mettre le sceau à la vénération du peuple, pour lui et pour sa famille, « nouvel signe apparurent au soleil, en la lune, et ès estoiles, et fut l'ordennance de pasques troublée. Si advinrent cil signe pour le déchéement de si haut prince (23). »

Du moment où les deux victoires de Vinci et de Soissons l'avaient rendu maître de la France, il remplit seul toutes les fonctions de la royauté. C'est à lui seul que les rois voisins adressaient leurs lettres et leurs ambassadeurs. C'est lui qui conféra les abbayes et les évêchés, qui nomma les comtes et les ducs; comme son père, il retint toujours entre ses mains le trésor public, et les revenus du domaine royal; comme son père enfin, il disposa, avant sa mort, du royaume comme d'un bien héréditaire et patrimonial, et mérita d'être appellé, le juge des princes, le souverain des ducs, et le roi des rois.

C'est par cette suite d'événements que se préparait la révolution qui plongea bientôt dans le néant toute la race Mérovingienne. L'Austrasie, comme la portion la plus belle de la monarchie, et parce qu'elle était la patrie des Pépins, avait été léguée à Carloman, l'aîné de ses trois fils. Pour prouver qu'il y jouissait de toutes les prérogatives de la puissance souveraine, il suffit de rappeler le fameux synode de Leptines, dans lequel ce prince, à la tête des prélats et des grands de la nation, prend le titre de duc et de prince des Francs, et déploye toutes les marques de la préeminence royale (24). A l'Austrasie proprement dite, Charles Martel avait joint la Thuringe à la Souabe, que l'on appellait aussi Allemanie. Pépin avait eu en partage la Neustrie et la Bourgogne, et Grippon ou Grifon, né d'un autre lit, avait eu pour domaine quelques provinces démembrées des autres états. L'ambition de ce dernier et sa révolte contre ses frères lui devinrent funestes. Il fut vaincu par Pépin, que l'abdication de Carloman venait encore de rendre plus puissant. Ainsi le bonheur des armes d'une part, et de l'autre le dégoût du possesseur de l'Austrasie pour les biens terrestres, se joignirent à la fortune de Pépin pour réunir toute la monarchie française dans sa personne. Il avait cependant fait proclamer roi Childeric III, fils de Chilperic II, que son père Charles Martel avait défait à Vinci; mais ce prince ne fut qu'un vain simulacre sur le trône pendant un règne de huit ans. La mollesse de tant de rois inutiles à l'état, avait dû diminuer l'attachement de la nation pour la famille de Clovis, et le fortifier au contraire pour celle des Pépins. Le moment était arrivé où le fils puîné de Charles Martel pouvait prendre ou recevoir des Francs un titre que son père avait craint ou dédaigné de porter.

Nous avons déjà parlé de l'influence que donnait au clergé le rang qu'il tenait dans le gouvernement. Pépin acheva de se le rendre favorable, en assemblant un synode composé des grands et des prélats du royaume. Dans ce synode, qui se tint à Duren, ville du duché de Juliers, sur la Roër, il fut arrêté qu'on réparerait les torts que son père avait faits aux églises, et que l'on enverrait dans chaque province des commissaires chargés d'exécuter ce qui venait d'être décidé dans cette assemblée nationale. Une circonstance également heureuse fut le besoin que Rome avait encore d'un protecteur puissant pour résister aux Lombards, qui ne cessaient de la presser; et Pépin pouvait seul la garantir de l'invasion de ces barbares. La protection qu'il promit et qu'il accorda efficacement à l'église, lui valut enfin le titre de roi, qui fut perdu à jamais pour les Mérovingiens, dès que le chef de l'église, les grands, les prélats et la nation parurent justifier par leur suffrage, ce que le détrônement de Childeric pouvait avoir d'illégal et de criminel.

Le passage du sceptre des mains de Childeric dans celles de Pépin, ne causa dans l'état aucune de ces catastrophes qui accompagnent ordinairement la chute des rois. Celle des Mérovingiens s'était faite avec lenteur; ils l'avaient préparée eux­mêmes, en abandonnant aux maires les rênes du gouvernement, et ces maires depuis longtemps s'étaient étudiés à ne s'en point dessaisir. Dans l'espace d'environ un demi -siècle qui s'écoula depuis la victoire de Pépin d'Héristal, on voit une suite de huit rois végétant dans l'inertie et provoquant par leur oisiveté l'anéantissement entier de la royauté, tandis que, dans le même espace, Pépin d'Héristal, son fils et son petit-fils, par une administration brillante, par des exploits glorieux, par une politique adroite, par leur génie enfin, s'ouvrent un chemin facile à l'autorité suprême. Le couronnement de Pépin ne changea donc rien dans l'état. Il fit disparaître un fantôme devenu indifférent pour la nation, accoutumée depuis longtemps à n'obéir qu'aux Pépins. Le titre de roi fut seulement substitué à celui de maire ou de prince des Français, et ce titre ne fut qu'une conséquence naturelle de la révolution qu'avaient amenée de loin des rois enfants on fainéants, et l'activité des maires du palais. Au reste, Pépin ne déshonora pas le nouveau titre dont il était revêtu. Il mourut digne d'être placé parmi les héros; et comme s'il avait été plus grand par son fils que par lui-même, on grava sur sa tombe l'épitaphe suivante, remarquable par son laconisme et sa simplicité: Pépin, père de Charlemagne.

En réfléchissant sur tout ce qui' précède, il est évident que de grands biens et une origine illustre préparèrent dans Pépin de Landen l'élévation de sa famille. Elle ne perdit rien de sa considération par le crime de Grimoald, son fils, parce que les vertus des Stes Begge, Ideberge et Gertrude l'effacèrent ou du moins le rendirent excusable aux yeux du peuple. L'enfance de plusieurs rois, l'imbécillité de quelques. uns, l'inaction apathique de presque tous, surtout depuis le règne de Thierri III, semblèrent inviter les maires à profiter de la fortune qui leur ouvrait le chemin du trône. L'exemple de l'esclavage des rois donné par Ebroin, les injustices de ce maire qui forcèrent une partie des Neustriens à se mettre sous l'appui de Pépin d'Héristal, la victoire rempor­tée à Testri par ce dernier, élevèrent, comme nous l'avons dit, l'Austrasie au-dessus des autres royaumes, et la famille du vainqueur au-dessus des autres familles. Charles Martel, plus grand encore, plus guerrier que son père, et par conséquent plus chéri d'une nation belliqueuse, porta cette maison au dernier période de la gloire par des exploits dont aucun de ses prédécesseurs, ni des rois francs n'avait illustré son administration. Il régna seul; il fut roi de la France sans en avoir le titre. La reconnaissance de la nation pour lui et pour ses aïeux, déterminée par l'attachement et la reconnaissance du clergé, le déférèrent à son fils; et depuis ce moment l'Austrasie devint le séjour des rois pendant plusieurs règnes. Aix­la-Chapelle, Héristal, Landen, Nimègue, Thionville, Leptines, Mersen, Duren, Liege, Worms, Metz, Mayence, et tant d'autres métairies ou palais des rois Carlovingiens, prouvent combien la Belgique avait d'attraits pour eux. La fécondité du sol, la valeur de ses habitants, la naissance et les accroissements de plusieurs villes, devenues depuis si célèbres (25), la grandeur et le nombre de ses forêts, et plus encore ce sentiment si doux qui nous fut préférer à tous les lieux, celui qui nous a vus naître, justifient la préférence que les Carlovingiens donnèrent longtemps à I'Austrasie sur les autres provinces de leurs états.

Cependant, par une suite de ces révolutions attachées aux choses de la terre, la maison des Pépins perdit l'empire des Français à peu près par le même concours de circonstances qui avaient anéanti celle des Mérovingiens, comme si la destinée de la Belgique, qui depuis donna encore des souverains à l'Orient, à l'Italie, à l'Espagne et à la Germanie, avait été de donner également à la France les chef des deux premières dynasties de ses rois, sans que ni l'une, ni l'autre pût se maintenir plus de trois siècles sur un trône dont son courage et sa politique lui avaient acquis la possession (26). Les ducs de France profitèrent du mépris où étaient tombés les Carlovingiens, comme les maires du palais avaient profité de la faiblesse des derniers Mérovingiens, et la postérité de Robert-le-Fort remplaça les petits-fils des Pépins sur le même trône où ceux-ci avaient été substitués aux descendants de Clovis.



Les références en marges n'ont pas été transcrites.

(1) Pépin avait d'autres possessions fort étendues. Un diplôme d'Othon 1er, recueilli par Miraeus, s'exprime ainsi sur le patrimoine de Ste Gertrude, fille de Pépin: huereditas St-Gertrudis sita in pago Tessandriâ superfuvio Struond, in villâ quae dicitur Beergum, cum integritate sud illic aspiciente: insulae tres, prima Bievelant, secunda Spiesant, tertia Gerselre. La ville de Gertruydenberg, Gertrudis Mons, n'a point d'autre origine.

(2) C'est à Childebert II, roi d'Austrasie et père de ce Théodebert, que St Grégoire-le-Grand écrivait, « qu'autant la dignité de roi élève au dessus des autres hommes celui qui la possède, autant la qualité de roi de France élève au dessus a des autres rois ceux qui en sont honorés. »

(3) Populum inter Carbonariam sylvam et Mosam fluvium et usque ad Fresionum fines vastis limitibus habitantem, justis legibus gubernabat. Ann. met, apud D. Bouq., t. 2, p. 667. Sous le nom de Frisons, on comprenait alors les peuples qni habitaient entre l'ancienne embouchure du Rhin et de la Meuse, les environs de Breda et de Berg-op-Zoom, et cette partie de la Flandre où sont les villes d'Axel, de Hulst, de Sas et de Biervliet. Il parait néanmoins que l'annaliste ne veut parler que des Frisons orientaux. Ghesq. act. SS. Belg., t. 2, p. 343.

(4) « Le nom de duc, dit Pasquier (rech. de la Fr., l. 2, c. 13) se prenait pour nom de simple gouverneur, que les roys mettaient et déposaient à leurs volontés... Sous la première lignée de Clovis, il fut viager et temporel. Bien est vrai que sur le déclin de cette lignée, de la même façon que les maires du palais avaient attiré à leur estat toute la puissance royale et l'avaient faite comme héréditaire en leur famille, aussi voulut chaque duc en faire autant. »

(5) Depuis Gontran, roi de Bourgogne et d'Orléans, les rois avaient presque tous négligé le commandement des armées. Il fallut alors le confier à des ducs, dont l'autorité pût maintenir la discipline parmi des hommes accoutumés depuis longtemps à ne combattre que sous les yeux de leurs rois. Ce fut cette autorité sur la milice nationale, qui, réunie ensuite à la dignité de maire du palais, porta le dernier coup à la puissance royale.

(6) Clotaire, fils de Chilpéric, à la prière des grands, avait porté une loi qui défendait de donner le gouvernement d'une province à quiconque n'y serait pas né. En effet, on ne voit pas que l'Austrasie ait jamais eu d'autres maires que des Austrasiens, comme la Neustrie n'eut jamais que de Neustriens. Gondulfe, Pépin, Grimoald, Vulfoalde, maires d'Austrasie, étaient Austrasiens. Landeric, Gundoland, Aega, Erchinoald, Ebroin, Waraton et Berthaire, maires de Neustrie, étaient tous Neustriens. Pépin d'Héristal est le premier qui, après la défaite de Thierri et de Berthaire, joignit la mairie de Neustrie à celle d'Austrasie. Adr. de Val. l. 21, p. 266 et 289.

(7) Cet usage n'était point exclusivement pratiqué chez les Francs. Les Arragonois ont eu jusqu'au règne de Philippe, leur major, qu'ils appelaient el jusitia, le grand juge. II était regardé comme le modérateur des rois et le protecteur des priviléges de la nation. Les palatins de Hongrie ont eu jadis la même autorité dans ce royaume. Le palatin y fut le premier ministre et le général-né de l'état, jusqu'à ce que la maison d'Autriche eût aboli les privilèges de cette nation. L'abbé de Vertot, ibid.

(8) Le royaume d'Austrasie renfermait en lui seul autant de pays que la Bourgogne et la Nenutrie jointes ensemble. Clotaire, en le donnant à son fils, en avait retenu pour lui, avec les Ardennes et le pays des Vosges, tout ce que ses prédécesseurs avaient possédé dans l'Aquitaine et la Provence, surtout après la mort de Caribert, c'est-à-dire, au-delà de la Loire, la Touraine, le Poitou, le Lim­sin, l'Albigeois, l'Auvergne, le Bordelais, le Béarn, etc., et dans la Provence, Aix, Marseille et Avignon. Malgré ce démembrement, l'Austrasie formait encore un beau royaume, puisqu'outre la plus grande partie de la Belgique, il renfermait encore une portion considérable de la seconde Germanie, selon l'auteur d'une vie très-ancienne de St Arnoul, recueillie par Lahérius, dans laquelle on lit qu'Ansigise on Anchise, par les conseils d'Arnoul, son père, épousa Begge, fille de Pépin, prince de la seconde Germanic. Anchisus patris consultu, filiam principis Germaniae secundae Pippini Beggam nomine, duxit in matrimonium. Le même auteur explique ensuite ce qu'il faut entendre par la seconde Germanie; c'est, dit-il, la Tongrie, quae non modica provinciae pars est Germaniae secundae, in qua est colonia metropolis. La Souabe, l'Allemannie, une partie de la Saxe, et le pays des Cattes appartenaient encore à l'Austrasie.

(9). Un écrivain moderne (Essai sur les moeurs) rejette ce que les historiens rapportent de l'opulence de Dagobert. Son témoignage ne peut détruire ce que tant d'autres écrivains dignes de foi racontent à ce sujet. Le commerce du Levant fleurissait alors; témoin l'aventure du Sénonois Samon qui, de marchand, devint roi des Slaves. Cette magnificence venait du commerce qu'avaient ouvert les négociations avec les empereurs d'Orient. Elles venaient aussi, dit le président Hénaut, des dépouilles de l'Italie, d'où les Francs n'étaient jamais revenus que chargés de dépouilles, même quand ils en avaient été chassés.

(10) Sigebert (ad an. 640) dit que Dagobert, en créant Sigebert roi d'Austrasie, lui donna pour ministres Pépin, Adalgise, et Chunibert, archevéque de Cologne. Ce sentiment, qui est aussi celui d'Herman le Raccourci, est vrai par rapport aux deux derniers. II ne l'est point par rapport à Pépin qui, selon Frédegaire, chap. 85, et selon Aimoin, L. 4, c. 36, resta auprès de Dagobert, dans la Neustrie, tant que vécut ce prince. Il succéda à Adalgise, après la mort de Dagobert, et après son retour dans sa patrie, mais il ne fut point son collègue dans le gouvernement de l'Austrasie. L'opinion de Frédegaire et d'Aimoin est suivie par Adr. de Valois, D. Bouquet, et l'auteur des actes des SS. de la Belgique.

(11) Je ne puis me refuser au plaisir de rapporter une partie des éloges que le savant Adrien de Valois (L. 20e) donne à Pépin et à une partie de sa famille, parce qu'ils prouvent que l'empire que lui avaient acquis ses haues qualités sur l'esprit des Austrasiens, fut une des principales causes de l'élévation de sa maison: vir regno, cujus munimentum ac praesidium fuit, utilissimus, ac regi puero neccuarius, nisi deo aliter visum esset; genere idem, potentid ac opibus clarissimus, et, quod rarius admirabiliusque est, in summis honorihus ac principali fastigio proximis modeste demissus, pius, prudens, fortis, legum tutela, controversiarum finis; qui et aulae ornamento et optimatibus exemplo, regibus etiam ipsis fuerat defensoris et modeatoris loc... Digna magnis landibus faemina (Iduberga) quae cum reginas opibus aequaret, tam forti animo illa omnia contempsit, tam sponte de tanto fastigo demisit se atque abjecit, ut earum convictu et consuetudine, gauderet, pro aequalibus eas sororibusque habent, qua ante ministras, pro amplitudine suâ dedignani potuisset.

(12) La chronique de Verdun parle en ces termes du crime de Grimoald: quem (Dagobertum) Pippinus et Grimoaldus Pippini filius in clericum detonderi fecerunt. Pépin était mort en 639, comment pouvait-il, en 650, s'associer à Grimoald pour faire raser Dagobert?

(13) Quelques auteurs ont avancé, d'après le moine Hériger et l'annaliste de Gemblours, que Sigebert II, désespérant d'avoir aucun enfant mâle, avait adopté, pour lui succéder, Childebert, fils de Grimoald, à condition néanmoins que l'adoption n'aurait point lieu, si dans la suite il lui naissait un fils. Cette adoption, si elle était réelle, prouverait jusqu'à quel point la famille de Pépin était alors en considération, et combien Grimoald avait su se rendre maitre de l'esprit du roi; mais elle parait trop invraisemblable pour ne pas être rejetée. 1°. Elle eût détruit la succession héréditaire établie dès lors parmi les rois Francs, comme le prouve l'abbé de Vertot, t. 6e des Mém. de l'Académie des inscript. 2°. L'auteur des gestes des rois Francs, ni aucun des historiens les plus anciens n'en font mention. 3°. Sigebert n'avait que 20 ans à l'époque où l'on place cette adoption. Est-ce à cet âge qu'on désespère de se donner un héritier? 4°. En supposant que Sigebert se toit prêté à cette adoption, les grands du royaume auraient ils gardé le silence ? Ne s'en serait-il trouvé aucun qui aurait découvert à ce prince l'inconséquence de son procédé, les maux qu'il pouvait attirer sur la nation, et le piège que tendait à sa jeunesse l'ambition de Grimoald? 5°. Clovis II, roi de Neustrie et de Bourgogne, n'aurait-il pas hautement protesté contre cette adoption qui lui ravissait l'héritage de son frère, un trône possédé par son père et son aïeul, et qui devait lui appartenir, si Sigebert ne laissait aucun successeur légitime? Enfin Sigebert devenu père, aurait-il confié le soin, l'éducation et la défense de son fils à Grimoald dont il eût connu l'ambition? N'eût-il pu craint avec raison, que ce maire du palais ne fit valoir les droits que lui donnait une pareille adoption?

(14) L'origine de S. Arnoul a été longtemps un sujet de disputes entre les savant. Une généalogie écrite à la fin du 13e siècle, et placée à la tête des preuves des trophées de Brabant, du Bouchet et quelques biographes, font descendre Arnoul, dont le père est appelé tantôt Arnoald et tantôt Botgis ou Buotgise, d'Ausbert, et de Blithilde, fille de Clotaire 1er; mais Louis le Fèvre, Adrien de valois et D. Bouquet réfutent solidement cette opinion. En effet, outre que les Mérovingiens ne marioient leurs filles et leurs soeurs qu'à des rois ou à des princes souverains, Grégoire de Tours ne parle ni d'Ansbert, ni de Blithilde. D'ailleurs, Paul le diacre ou le lombard, contemporain et favori de Charlemagne, commence la généalogie de ce prince par Arnaul, père de son trisaïeul, et ne parle ni du père d'Arnoul, ni de son grand père, ni de sa grand mère; ce qu'il aurait fait, sans doute, s'il avait su ou cru qu'Arnaul était fils d'Arnoald, petit­fils d'Ausbert et de Blithilde, arrière-petit-fils de Clotaire Ier. Thégan, archevêque de Trêves, et qui vivait sous Louis-le-Débonnaire, ne remonte pas non plus au-delà d'Arnoul, et il assure que c'est tout ce qu'il a appris de son père et de plusieurs histoires. On ne connaissait donc alors ni Arnoald, ni Ausbert, ni Blithilde. Ainsi la généalogie versifiée de la maison Carlovingieune, attribuée par quelques-uns à Charles-le-Chauve, a fait naître une erreur, en voulant donner à cette maison un degré de plus d'illustration, dont elle pouvait aisément se passer.

...poetis

Quidlibet audendi semper fuit aequa potesta. Hor. art. port.

(15) On souffrait seulement, dit Eginhart (vie de Charlemagne), qu'avec le titre de roi, ils portassent de longs cheveux et une grande barbe, qu'ils donnassent audience aux ambassadeurs, auxquels ils ne répondaient que ce que le maire du palais leur avait prescrit, quœ erat edocus vel etiam jussus; et lorsqu'on tenait les assemblées du Champ de Mars, ils y arrivaient dans un chariot tiré par des boeufs; quocumque eundum erat, carpento ibat quod bobur junctis et bubulco rustico more agente trahebatur, et, comme le dit le législateur du Parnasse français.

« Aucun soin n'approchoit de leur paisible cour;
On reposoit la nuit, on dormoit tout le jour.
Seulement au printemps, quand Flore dans les plaine.
Fesoit taire des vents les bruyantes haleines,
Quatre boeufs attelés, d'un pas tranquille et lent,
Promenoient dans Paris le monarque indolent. »

C'est dans cet équipage qu'ils venaient au palais ou à l'assemblée des états. On les reconduisait, dans le même chariot, jusques dans leur maison que l'annaliste de Metz appelle mamaca.

(16) ln regno Franconun Pipinus Theodoricum regem, filium Ludovici, in Testritie pugna vici:.

Hem,. Coutr. an. 687.

(17) La dépendance où les rois étaient de leurs maires, ne devait pas révolter les Francs, chez lesquels celui qui commandait les armées, avait toujours joui du plus grand crédit, quand le roi n'avait pas les qualités guerrières, toujours. recherchées par un peuple belliqueux. Témoin le procédé d'Arbogaste, Franc de nation, envers Valentinien qui lui avait confié le commandement de l'armée. Arbogaste renferma l'empereur dans le palais, et personne n'obtint de ce Franc la permission d'entretenir l'empereur d'aucune affaire civile ou militaire. Sulpit. Atexand. apud Gregor. Turon. 1. 2. Les maires faisaient alors ce qu'Arbogaste avait fait longtemps auparavant.

(18) On pourrait même avancer que les bénéfices militaires que ses aïeux avaient reçus des rois, étaient devenus une partie du patrimoine de cette famille. Deux formules de Marculfe, la 24' et la 34e du 1er livre, prouvent que sur la fin de la 1ere race, une partie des fiefs passait déjà des pères aux fils. Marculfe écrivait du temps des maires, et les formules sont les marques des actions ordinaires de la vie. Ces fiefs durent ajouter encore à la grandeur de la maison des Pépins, en leur facilitant les moyens de se faire des partisans.

(19) Le meurtre de St Lmbert serait néanmoins une tache à la mémoire de Pépin, s'il était vrai que sa passion pour Alpaide en et été la cause; mais un semblable attachement, quoique toujours désavoué et condamné par l'église, n'était pas contraire à ce qui se pratiquait alors chez les Francs. Notandum est, dit Adrien de Valois, morem fuisse Francis, uxores male conveniente: bona gratia dimittere, ita ut vir et uxor alteriu matrimonii contrahendi haberent potestatem. Hunc morem indicat qui apud Marculfum monachum extat, libellus repudii. Nec reges modo ità faciebant, verum etiam privati quo, uxorum suarum fastidium caperat, beneficio legit utebantur. Pépin aura fait alors ce que tant d'autres croyaient faire licitement. Celle à laquelle on s'attachait s'appellait demi-épouse, semi conjux. D'ailleurs, il parait certain, d'après le P. Le Comte, qu'avant la mort de St I,ambert, Pépin s'était séparé d'Alpaide. Cette opinion, adoptée par D. Bouquet, D. Mabillon, et & Adr. de Valois, est appuyée sur le récit que fait de ta mort de ce St Évêque, un auteur du 8e siècle, inséré dans le recueil de Duchesne, t. 1, p. 674.

(20) On me permettra de dévancer un peu les années en donnant à Charles le surnom de Martel. Il ne l'obtint qu'après la défaite des Sarrasins en 732. « Car, dit la chronique de St Denis, comme li martiau debrise et froisse le fer, acier et tous les autres métaux, aussi froissoit-il et brisait par la bataille tous ses ennemis. » La chronique de St Bénigne lui donne le surnom de Tudites, quod est mallecus fabri, quia sicut malleo universa tunduntur ferramenta, ita Carolus omnia regna sibi vicina attrivit. Apud Acher. T. 1 , Spicil.

(21) Tout concourut, le sacré comme le profane, à soutenir la gloire de la maison de Pépin. Un prince dont les succès sont annoncés par des visions, et qui lui-même en a, doit paraître plus qu'un homme ordinaire à une nation simple et crédule. C'est ce qui arriva à Charles Martel. Anion, abbé de Lobes, auteur d'une vie de St Erminon (act. SS. ord. Bénéd., p. 1, saec. 3, p. 566) et contemporain, dit que la victoire de C. Martel sur Rainfroi, fut annoncée à St Erminon dans une vision miraculeuse. Le même biographe dit encore que S Erminon, lors de la naissance de Pépin, fils de C. Martel, prédit que cet enfant serait un jour ce qu'il devint en effet, roi des Français. Selon l'auteur d'une vie de St Maximin, rapportée par Duchesne, t.1er, p. 788, C. Martel vit St Maximin lui apparaître dans une maladie dont il guérit par l'intercession de cet évêque. D. Bouquet place ces visions au rang des fables; mais quel crédit ne devait pas avoir sur la nation franque un guerrier à la gloire duquel le ciel s'intéressait de la sorte?

(22) Il serait difficile d'assurer quel motif empêcha C. Martel de donner un successeur à Thierri. S'il pensait alors à se donner le titre de roi, peut-ètre voulait-il par là faire deviner sa pensée aux grands et à la nation, persuadé qu'il obtiendrait, sans le demander, ce titre que la crainte d'armer l'envie l'empéchait de solliciter ouvertement. Tant de guerres heureusement terminées, tant de victoires, tant d'expéditions hasardeuses, tant de provinces conquises ou recouvrées, tout parlait en sa faveur. Cependant la nation se tut, ou si Charles fit connaitre ses désirs, elle ne se montra point disposée à les satisfaire. Il avait su néanmoins s'attacher les grands et la noblesse par ses bienfaits; mais il aima mieux, selon quelques-uns, commander à des rois, que de s'en donner le nom. Quelques écrivains le lui ont donné, quoiqu'il ne l'ait jamais pris, et que les diplômes et les lettres ministérielles aient toujours été datées, pendant l'interrègne, des années après la mort de Thierri, post obitum Theodorici.

(23) Quelqu'atteinte que C. Martel ait quelquefois portée aux biens de l'église, on ne peut douter qu'il n'ait eu de la religion, puisqu'il donna de grands biens aux églises de St Denis, d'Utrecht, de Trêves, etc. On sait d'ailleurs qu'il faut réléguer au rang des fables, et son apparition à l'évêque Eucher et le dragon trouvé dans son cercueil, plus d'un siècle après sa mort.

(24) Si l'on peut ajouter foi à l'aventure arrivée à Carloman, dans le monastère du Mont-Cassin, et rapportée par l'annaliste de Metz (an 747), il parait qu'il fut regardé par quelques uns comme roi d'Austrasie. Ce prince ne s'était point fait connaitre pour ce qu'il était dans sa retraite; mais un seul homme, dépositaire de son secret, et forcé par les circonstances de les révéler, le fait en ces termes dans l'annaliste: iste est Karlomannus, quondam REX francorum, qui pro Christi amore, REGNUM et gloriam mundi dereliquit.

(25) C'est à l'époque où fleurissaient les Pépins, qu'on peut faire remonter l'origine et les accroissements des villes de Mons, St Ghislain, Anvers, Namur, Gand, Bruxelles, etc. Louvain parait être un peu plus moderne.

Epit. hist. Belg., t. 1er, p. 25 et 104-105.

(26) De l'an 622, époque à laquelle Pépin de Landen parait avoir été créé maire du palais d'Austrasie, jusqu'à l'an 752, que Pépin-le-Bref fut proclamé roi, il s'est écoulé 130 ans. Robert le Fort, le chef de la maison capétienne, ob tint eu 861 le gouvernement du duché de France. Cent vingt-six ans après, c'est-à-dire, en 987, Hugues Capet monte sur le trône. Entre Pépin de Linden et Pépin le-Bref, on trouve Grimoald, Pépin d'Héristal et Charles Martel, qui jouirent de l'autorité souveraine. Entre Robert-le-Fort et Hugues Capet, on trouve 1°. Eudes, fils de Robert-le-Fort, et proclamé roi en 888, Robert, son frère, sacré à Reims en 922, et Hugues , surnommé le Grand, l'abbé, et le Blanc, père de Hugues Capet.

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