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GENS DE LIEGE

Renkin SUALEM (1645-1708)

La machine de Marly par Renkin SUALEM

L'acte de Naissance de Renkin SUALEM (1).
To tûsan, Moncheu - En réféchisant Monsieur, répondit-il à Louis XIV

par A. Hellin-Maresal.


Il est peu de personnes qui n'aient ouï parler de Renkin Sualem, l'inventeur de celte machine de Marly qu'on est occupé en ce moment même à détruire; les écrivains qui se sont occupés de lui se sont arrêtés avec assez de complaisance sur les différentes circonstances de sa vie, pour qu'elle soit bien connue.

Généralement, on sait que cet homme, simple ouvrier, qui fait à la fois honneur au siècle qui l'a vu naître et au pays qui l'a produit, sut créer cet appareil admirable sans connaissance scientifique aucune, et par la seule force de son génie inventif.

On n'ignore pas non plus l'histoire de ce baron de Ville qui s'était approprié l'invention du bon Renkin et la manière dont son imposture fut dévoilée. On rapporte encore aujourd'hui les plaisants colloques échangés entre Louis XIV et notre compatriote, parlant à la cour du grand roi l'énergique et rude patois de Liège.

II est cependant dans la vie de Renkin des choses qu'il importerait de savoir, et qui sont néanmoins restées bien embrouillées; c'est ainsi qu'aujourd'hui même on ne sait pas, d'une manière certaine, son nom, l'époque précise et le lieu de sa naissance.

Les divers auteurs de notre pays qui ont parlé de lui varient, en effet, sur ces différents points.

L'un (2), d'ordinaire très exact, l'appelle Rennequin Sualeme et veut qu'il soit né en 1644, mais ne nous dit pas le lieu où il vit le jour; un autre (3) le nomme Rannequin Sualem ou Renkin (N.) — tant il était peu sûr de son nom — et prétend qu'il est né à Liège en 1648; un troisième (4), l'appelle Rannequin de Sualeme et le fait naître à Jemeppe; un quatrième (5), tout en reconnaissant Jemeppe pour son berceau et 1644 pour l'époque de sa naissance, lui fait porter le nom de Renkin Sualem.

Comme on le voit, nos historiens sont loin d'être d'accord, et pourtant l'auteur d'une note qui a paru dans le n° du 13 août dernier du Journal de Liège, n'est pas encore content de ces différents lieux d'origine attribués à Sualem; il avance qu'il naquit près de Huy (6).

En présence d'opinions si contradictoires, où trouver la vérité?

N'en serait-il peut-être pas de la naissance de notre modeste compatriote comme de celle de l'illustre Charlemagne? Nos doctes académiciens ne devront-ils pas s'assembler pour trancher cette difficulté? Qui sait même si quelque jour on n'établirait pas que notre Renkin, malgré tout son wallon, est né Français, Hollandais ou Germain?

Pour le moment, sa naissance est circonscrite dans la province de Liège; trois lieux se le disputent: Liège, Jemeppe et un endroit innommé près de Huy; deux années revendiquent l’honneur de l'avoir vu naître: 1644 et 1648; deux noms de famille le réclament: les noms de Renkin ou Rannequin et de Sualem; à qui donner la palme?

Un acte de baptême, long de deux lignes, que l'auteur de ces quelques lignes est parvenu à découvrir, mettra fin à toutes ces contestations nées ou à naître. Les registres d'état-civil tenus par les anciens curés de Jemeppe nous apprennent que cet habile mécanicien y est né le 29 janvier 1645, qu'il s'appelait Renier (en wallon Renkin) Sualem, qu'il était fils de Renard et de Catherine David. Voici cet acte :

« 29a januarii 1645, baptisatus Renerus filius Renardi Sualem, et Catharinae David , susc. Leonardo Alard et Anna Simon. »

Renkin était fils unique, mais il avait eu quatre soeurs: deux du nom de Héluy, nées en 1643 et 1650; deux appelées Catherine, baptisées en 1646 et 1648 et portant toutes le nom patronymique de Sualem, orthographié tantôt Sualem ou Sualen, tantôt Swalem ou même Walem.

Il résulte à l'évidence de ce qui précède que cette célébrité liégeoise avait pour prénom Renier ou Renkin, ce qui est la même chose, tandis que son nom de famille était Sualem.

Ce fut donc à tort que sa descendance, qui était fixée en France, et qui vient de s'éteindre dans la personne du baron de Rennequin, abandonna le nom de Sualem; et ce changement ne peut guère s'expliquer que par l'usage du peuple d'appeler les gens par leurs prénoms, ce qui insensiblement laisse tomber le nom en désuétude.

Au reste, en France comme chez nous, ce nom de Sualem est aujourd'hui parfaitement inconnu, et bien que les villages de Jemeppe, Flémalle, Hollogne et Grâce, fussent au XVIIe siècle peuplés de familles portant ce nom, nous croyons qu'il ne s'en rencontre maintenant plus une seule dans ces localités.

Sont-elles éteintes, ou, à l'exemple de la branche de France, ont-elles changé de nom? Rien de certain à cet égard.

Quoi qu'il en soit, si la famille de Renkin a cessé de subsister chez nous, son souvenir y vit toujours, et c'est dans son endroit natal que la tradition s'est conservée le plus vivace. Ainsi on rencontrait naguère à Jemeppe une famille Renkin qui se prétendait, à tort sans doute, issue de lui; on y montrait, il y a peu de temps encore, la maison où l'on croit qu'il naquit; de plus, une honorable personne de cette commune, dont le témoignage en ces sortes de choses est d'un grand poids, assure que ce fut sur le ruisseau venant de Hollogne et traversant Jemeppe que Sualem fit fonctionner le premier modèle de la machine de Marly.

Il est à regretter que jadis, dans la commune, on n'ait pas conservé la mémoire exacte de ces faits, ainsi que de tout ce qui est relatif à Sualem; il serait également à désirer que Jemeppe fît élever un modeste monument destiné à perpétuer le souvenir de cet homme remarquable.

Espérons que l'administration actuelle, si soigneuse de tous les intérêts de sa localité, et ayant à sa disposition des revenus considérables, voudra combler cette lacune!

Une simple et courte inscription, rappelant ce qu'était Renkin, où il est né, ce qu'il a fait, serait à la fois un acte de reconnaissance envers celui qui a si bien mérité de la patrie, et un encouragement aux Sualem que notre siècle tout industriel pourra produire.


Peu après l'insertion de cet article dans le Journal de Liège, un membre de l'administration communale de Jemeppe adressa la lettre suivante au rédacteur de cette feuille:

Jemeppe, le 20 février 1857.

Monsieur,

L'auteur d'une note insérée dans votre journal du 12 janvier, s'appuyant sur l'acte de naissance inscrit dans les registres de l’état-civil de Jemeppe, établit que Renier Sualem, inventeur de la machine de Marly, est né dans cette commune; cela devient incontestable, selon nous, lorsque l'on met l'acte de naissance en présence de son acte de décès.

Acte de naissance.

29 januarii 1645, baptisatus Renerus , filius Renardi Sualem et Catharinae David, etc.

Le 29 janvier 1645, a été baptisé Renier, fils de Renard Sualem et de Catherine David, etc.

Acte de décès, dont copie a été transmise a l’administration communale de Jemeppe par M. le maire de Bougival.

L'an de grâce 1708, le lundi 30 juillet, a été inhumé, dans l'église de Notre-Dame de Bougival, le corps de René Sualem, autrement dit Rennequin, 1er ingénieur du roi à la machine, et constructeur de la machine, mort d'hier à 6 heures 1/2 du matin, âgé de 64 ans 1/2 (7) «

Que le rédacteur de cet acte ait écrit René pour Renier, rien d'étonnant qu'on lui ait mal prononcé le prénom de Sualem, ou qu'il ait traduit lui-même Renérus par René; mais il est évident que le René Sualem décédé à Bougival le 30 juillet 1708 est le même que celui dont l'acte de naissance se trouve inscrit sur les registres de l'état-civil de Jemeppe.

Quant au surnom de Rennequin, qui ne sait, et on l'a déjà dit, qu'à une époque un peu reculée, dans nos campagnes surtout, certains prénoms, tels que Rennequin, Rasquin, etc., finissaient souvent par absorber les noms de famille? Du reste, le souvenir de Rennequin Sualem s'est perpétué à Jemeppe jusqu'à nos jours. Ainsi, il y a bien des années déjà, un vieillard, dont les parents avaient été contemporains de cet homme célèbre, indiqua à l'auteur de cette note différents emplacements d'anciennes bures, dont les eaux des galeries étaient épuisées au moyen de la machine hydraulique inventée par Rennequin.

La grande utilité de ces machines et les avantages immenses qui en résultaient pour l'exploitation des houillères furent bientôt reconnus dans les environs, et le seigneur de Modave voulut en faire l'essai pour élever les eaux du Hoyoux à son château. Sualem, s'étant rendu à son invitation, fit , après avoir examiné les lieux, construire une machine qui atteignit le but et valut à l'auteur une brillante réputation.

Cet heureux résultat ayant considérablement augmenté la renommée du charpentier de Jemeppe, la cour de France en fut informée, et, bientôt, à la demande qu'il en reçut, il prit la route de Versailles, afin d'aviser à y fournir de l'eau potable en assez grande quantité pour alimenter de nombreux jets d'eau qui embellissent ses jardins.

Le résultat de ses efforts est connu; ils aboutirent à l'invention de la belle machine de Marly dont le succès fut complet; le grand roi, pour le récompenser, lui décerna le titre de 1er ingénieur.

Agréez , etc.

Un membre de l’administration communale.

Le 13 juillet dernier, le journal la Meuse publiait l'article suivant qui complète celui de M. Hellin-Maresal.

Le conseil communal de Liège vient de baptiser du nom de Renkin l'une des nouvelles rues du quartier du Sud. On ne peut qu'applaudir à ce choix; il rappellera une fois de plus à notre population ouvrière, que l'immortalité n'est le privilège, ni de la naissance, ni de la fortune et qu'elle peut s'attacher tout aussi bien au nom d'un modeste artisan, qu'à celui d'un grand prince. — Renkin Sualem ne parlait pas même le français. Interrogé par Louis XIV pour savoir comment il était parvenu à résoudre un problème resté insoluble pour les premiers ingénieurs de l'Europe, le modeste ouvrier de Jemeppe répondit par ces seuls mots: to tusan, monsieu.

Comme complément aux renseignements donnés naguère par un journal de cette ville, nous croyons devoir reproduire ici l'inscription qui fut placée en 1744 sur la tombe de Renkin:

D. 0. M,

Cy gisent honorables personnes, Sr Rennequin Sualem, seul inventeur de la machine de Marly, décédé le 29 juillet 1708, âgé de 64 ans, et dame Marie Nouelle son épouse décédée le 4 mai 1714 âgée de 84 ans, laquelle pour satisfaire à la volonté du deffunt Sr Rennequin son mary, a fondé à perpétuité en cette église de Bougival, une messe basse tous les premiers lundy de chaque mois de l'année, un service complet le 29 juillet, jour du décès dud. deffunt, et vingt libéras pour estre dits sur leur sépulture, scavoir les quatre grandes festes de l'année, les quatre principalles festes de la Ste-Vierge et les douze autres tous les premiers dimanches de chaque mois de l'année, à l'issue des vespres, à quoy les sieurs curé et marguilliers de l'oeuvre et fabrique de la d. paroisse se sont obligé faire dire et célébrer, mesme fournir les pain, vin, luminaires et ornements nécessaires et ce moyennant certaine sôme que la d. dame lui a payée ainsy qu'il est plus au long porté par le contract passé devant Dupuis et Gervais notaires au Chatelet de Paris le 12 aoust 1710.

Priez Dieu pour leurs âmes.

Cette inscription , dont nous devons la communication à M. le maire de Bougival, se lit sur un petit monument en marbre blanc, qui fut enlevé du cimetière de la commune à l'époque de la première révolution française et transporté dans la cour d'une auberge: il y a peu d'années, M. le directeur de la machine de Marly le fit restaurer et le plaça dans l'intérieur de l'établissement où les visiteurs le voyaient encore en 1855.

Renkin Sualem laissa plusieurs enfants, notamment deux fils qui prirent pour nom de famille le prénom que leur père avait illustré.

L'un resta en France; sa descendance, annoblie nous ne savons à quelle époque, s'est éteinte à Paris, au mois de septembre 1851, en la personne de M. de Rennequin, ancien capitaine des pontonniers de la grande armée. — L'autre entra en 1740 au service de la Hollande. Depuis lors, les membres de cette branche suivirent la carrière des armes. Le colonel baron de Renkin, l'un des officiers les plus distingués de l'armée hollandaise des Indes, mort sans postérité le 25 août 1856, à Sumanap, dans l'île de Java, en était le dernier rejeton. C'est à cet officier que l'on doit les fortifications de Batavia et des principaux points de l'île de Java. Il a laissé de nombreux travaux sur la géologie, sur la physique et sur la météorologie de ces contrées.

U. C.


(1) Cet article a clé inséré dans le Journal de Liège du 12 janvier 1857.

(2) De Villenfagne. Mélange de Litt. et d'Histoire.

(3) De Feller. Dict. historique.

(4) Del Vaux. Dict. Géog. de la province de Liège.

(5) Goethals. Tableau Chronol. de l'histoire des Belges.

(6) Voici celte note:« Les parisiens qui vont chercher un peu de fraîcheur sur les bords de la Seine, au bas des coteaux de Bougival et de Marly, peuvent être témoins, chaque jour, de la destruction progressive de la vieille et remarquable machine connue sous le nom de la Machine de Marly. Avant qu'il soit peu de temps, dans un mois peut-être, il ne restera plus rien de l'immense travail qui a recommandé le nom de Rennequin Sualem (né dans la province de Liège, près de Huy) à la postérité. Les roues gigantesques qui élevaient les eaux de la Seine jusqu'aux bassins et à l'aqueduc de Marly, pour les déverser, sous mille formes, dans le parc de Versailles, ont été enlevées; les galeries couvertes ont été démolies, et l'on s'occupe actuellement de l'extraction des piliers et pilotis qui forment la dernière digue opposée au passage de l'eau.

Pendant que ces travaux de destruction s'accomplissent, on en exécute de nouveaux à cent mètres environ de la place qu'occupait la machine de Rennequin Sualem. C'est une digue avec portes éclusées construite en magnifiques pierres de taille. Cette construction tout en conservant un barrage utile dans cette partie de la Seine, aura l'avantage de ne point interrompre la navigation, qui est assez active de ces côtés. Les bâtiments à voiles ou à vapeur trouveront des passages commodes et faciles dans les écluses, qui seront, sans doute, achevées avant l'hiver.

(7) Cet acte de décès n'étant pas inséré ici textuellement, nous croyons devoir le reproduire d'après l'extrait que M. le maire de Bougival a bien voulu nous transmettre le 7 mai 1855. U. C.

« L'an de grâce mil sept cent huit, le lundy trentième de juillet, a este inhumé dans l'église de Nostre-Dame de Bougival, le corps de deffunt René Soüalem autrement dit Rennequin, premier ingénieur du Roy à la machine et constructeur de la machine, mort d'hier à onze heures et demie du matin, âgé de soixante-quatre ans et demi, en présence de monsieur Levesque, curé, Monsieur Lherminot, brodeur du Roy, de M. Prévotel, vicaire de cette paroisse qui ont signé: Lherminot, Levesque, Prévotel, Ricard. »

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