WWWCHOKIER


GENS DE LIEGE

Sedulius de Liège

par Henri Pirenne

Travail présenté au cours d'histoire de M. le professeur Kurth, à l'Université de Liège.


Il n'est peut-être pas, dans toute l'histoire du pays de Liège, d'époque en apparence aussi insignifiante, aussi nulle, que la première moitié du IXe siècle. Quelques noms, quelques dates, quelques détails trop minces et trop rares pour qu'on en puisse former un récit, voilà tout ce qu'il nous est resté de la période de cinquante années qui va de la mort de l'évêque Gerbald à l'avènement de l'évêque Francon (809-856). Les chroniqueurs les plus anciens, les historiens les plus modernes gardent sur elle un invariable silence Anselme se borne à numéroter les évêques qui y vécurent (1); deux siècles plus tard, Gilles d'Orval, encore qu'il prenne son bien où il le trouve et qu'il le cherche un peu partout sans trop se soucier de contrôler ses sources, n'est guère plus vivant ni plus complet. Les noms de Walcaud, de Pirard, de Hartgar surtout (2), ne sont connus que de bien rares érudits. On a beau feuilleter le recueil de Chapeaville, interroger au XVIIe et au XVIIIe siècle les in-folios de Fisen, de Foullon et de Bouille, remonter enfin à des temps encore plus proches du nôtre, on trouvera partout la même insuffisance et la même sécheresse. Que sera-ce donc, si l'on compare ce pauvre IXe siècle avec les temps qui l'ont précédé et suivi! (3) Combien nous le fera paraître plus décoloré, plus vide encore, le contraste avec le siècle de St Lambert ou avec celui de Notger! Entre ces deux époques, dont l'une à été animée de toute l'ardeur de l'évangélisation, dont l'autre a brillé de la gloire que donne le culte des arts et des lettres, il s'efface, pour ainsi parler, dans son obscurité.

Et pourtant, alors que le IXe siècle paraît ne compter pour rien dans l'histoire de la civilisation liégeoise, il est partout ailleurs un siècle de progrès, un siècle même de renaissance littéraire. Chacun le sait ce n'est pas seulement l'époque de Charlemagne qu'il faut voir en lui, c'est encore celle d'Alcuin, de Hinemar, d'Eginhard, de Paul Diacre et de Pierre de Pise, de Clément l'Hibernien et dc Jean Scot Erigène, de tous ces érudits, poètes, historiens, philosophes, qui relevèrent le niveau intellectuel des populations de l'Europe occidentale. En un mot, à côté d'une profonde transformation politique, le IXe siècle présente un mouvement scientifique et littéraire très actif qui, s'il est moins étudié, n'est cependant ni moins curieux ni moins remarquable. Partout où les capitulaires ont force de loi, c'est-à-dire dans l'Europe latine presque tout entière, on voit, en même temps que les institutions nationales se transformer, se régulariser, des écoles se fonder et s'ouvrir au peuple. A Liège, comme dans le reste de l'empire Carolingien, on pourrait, sans nul doute, constater la présence de ces deux courants parallèles; le courant politique et le courant littéraire, si l'époque où ils ont dû s'y manifester était suffisamment connue. Il y a plus. Loin que la renaissance des lettres au lXe siècle n'y ait pas été ressentie, de sérieux motifs disposeraient à croire, bien au contraire, qu'elle s'y est développée avec une netteté toute particuli!re. Proche d'Aix-la-Chapelle - le caput orbis du temps - siège d'une église célèbre, voisine des domaines patrimoniaux du grand empereur d'Occident, la cité de St-Lambert avait, on le voit, de bonnes raisons pour profiter tout spécialement du novus ordo fondé, par Charlemagne.

On peut donc l'affirmer, le IXe siècle liégeois que nous croyons insignifiant à première vue, ne nous paraît tel que parce que nous ignorons son histoire. Tout porte à croire que si l'on parvenait à dissiper les ombres qui l'entourent, on se trouverait en présence d'une époque très active et très originale. On y surprendrait, dans sa fleur, une renaissance locale des lettres et des arts, ainsi que les commencements de ces écoles célèbres qui devaient, avant l'apparition de l'Université de Paris, porter leur renommée jusqu'aux confins de l'Europe latine... Ce serait une page charmante que nous pourrions enfin restituer à notre histoire littéraire.

Mais si tout cela est vrai, le silence d'Anselme et de Gilles d'Orval sur une période historique aussi intéressante paraîtra certainement étrange et même inexplicable. Toutefois, il ne faut pas s'y tromper. Ce n'est ni par légèreté, ni par insouciance que ces chroniqueurs ont négligé l'histoire du IXe siècle. C'est par ignorance tout simplement. Chose singulière! De leur temps déjà, cette époque était aussi profondément ignorée que du nôtre.

Entre le IXe siècle et ses premiers historiens se place en effet une des catastrophes les plus terribles que le moyen âge ait eues à subir, je veux dire l'invasion des Normands. C'est en 881 que les Scandinaves parurent pour la première fois dans la vallée de la Meuse: on sait quels ravages ils y exercèrent (4). Au milieu de la tempête qu'ils soulevèrent dans le pays, les bibliothèques durent périr presque en totalité, car les couvents seuls avaient à cette époque des bibliothèques et les couvents, pleins de vivres et de richesses, attiraient tout d'abord les barbares par l'appât d'un butin considérable. Il faut lire clans la Vie de St-Remacle le pittoresque récit de la prise de l'abbaye de Stavelot par les Normands, pour se faire une idée de la manière dont ils opéraient de semblables coups de main et du désarroi que mettait dans les monastères la nouvelle de leur approche. « A l'heure où la lune se lève, dit le vieil auteur (car c'est la nuit surtout qu'ont lieu leurs attaques), ayant fait reconnaître l'endroit et garder toutes les issues de la forêt pour que personne ne pût s'échapper, ils se préparent à nous surprendre, et ils y seraient parvenus, si, grâce aux mérites de notre patron (St Remacle), leurs projets ne nous avaient été dévoilés. En effet, au coucher du soleil, arrive un homme qui dit avoir échappé aux barbares et être poursuivi de près. Alors, frappés de terreur, nous saisissons la châsse du confesseur de Dieu, de notre pieux protecteur Remacle, et nous fuyons à la faveur de la nuit (5)... » La même scène se reproduisait partout. A Liège, à Maestricht, à Tongres, à St-Trond, à Malmédy, dans toutes les villes, dans toutes les abbayes qui furent pillées ou brûlées à cette époque, personne n'essaya de la résistance. « Je ne sais, dit Anselme, quelle terreur s'était emparée de ceux-là qui devraient avoir le plus à coeur de protéger la liberté, ni pourquoi, nul ne mettant son espoir dans les armes, ils préféraient l'esclavage à la révolte. (6) » On s'enfuyait donc au lieu de combattre, et la fuite était partout précipitée et tumultueuse. A la nouvelle de l'arrivée des barbares, les moines, même les plus studieux, n'avaient pas le temps de penser à leur chère bibliothèque. Le temps pressait, et comme les vestales dont Tite-Live nous dépeint la fuite à l'approche des Gaulois, les religieux chargeant sur leurs épaules les objets du culte, allaient chercher un asile loin de leur patrie, dans des contrées plus paisibles. Les vies des saints, les annales, les chroniques, les manuscrits les plus rares étaient laissés tout ouverts sur les tables d'étude; les copistes abandonnaient la page commencée et l'encre avait à peine le temps de sécher avant la venue des pillards... Ceux-ci brûlaient ensemble monastère et bibliothèque.

Ainsi furent à jamais perdues de précieuses sources historiques. Au Xe siècle, Huebald de St-Amand se plaint à l'évêque de Liège Etienne, qui lui avait demandé d'écrire la vie de Ste Rictrude, de ce que les Normands ont fait disparaître d'antiques documents se rapportant à cc sujet (7). Parmi ces documents disparus, les plus anciens durent cependant être en minorité: la copie avait eu le temps de multiplier les exemplaires des ouvrages du VIIe et du VIIIe siècle, et, répandus un peu partout, il était impossible qu'il n'en échappât point çà et là quelque manuscrit. Ainsi se sont conservées, par exemple, les rédactions primitives des vies de St Lambert et de St Hubert. Quant aux livres nouveaux, quant aux chroniques, aux annales, aux poèmes composés pendant le IXe siècle, et auxquels l'auteur venait à peine de mettre la dernière main lorsqu'arrivèrent les Scandinaves, ceux-là disparurent et l'histoire du IXe siècle disparut avec eux. - Il y eut pourtant des exceptions. C'est à l'une d'elles que nous devons d'avoir conservé les oeuvres de Sedulius et de pouvoir, grâce à cet auteur, suppléer au silence de nos chroniqueurs nationaux sur la période de cinquante années qui a précédé les invasions normandes dans le pays de Liège.

Malheureusement Sedulius n'est pas historien, il n'est pas même Liégeois. Mais bien qu'irlandais et poète, ses vers fourmillant d'allusions à des évènements qu'il a vus, à des personnages qu'il a fréquentés, font de lui une véritable source historique; d'autant plus précieuse qu'elle est unique pour son époque. D'ailleurs, l'étude de notre auteur présente un intérêt plus vif encore et plus immédiat. Dans une période de renaissance littéraire, au moment où s'organise l'enseignement du moyen âge, Sedulius a été un des promoteurs du mouvement intellectuel liégeois, et s'il est vrai que de la première éducation dépendent les destinées futures, c'est en grande partie à lui que les célèbres écoles de Notger doivent leur réputation.



I


Il n'existe aujourd'hui des oeuvres poétiques de Sedulius qu'un seul exemplaire datant du XIIe siècle et catalogué sous le n° 10725 à la Bibliothèque royale de Bruxelles (8). Signalé pour la première fois par Pertz en 1839 (9), et deux ans après, en Belgique même, par le baron de Reiffenberg (10), il a, comme tous les manuscrits anciens, son histoire particulière. Après avoir appartenu d'abord à l'hôpital de St-Nicolas, près de Cuss, il figura au XVIIe siècle dans la bibliothèque des Bollandistes. Lors de l'invasion des provinces belges par les armées de Louis XV, il fut compris dans le butin et transporté à Paris par les Français. Il y était encore lorsque éclata la révolution. Toutefois, il ne s'y trouvait probablement plus sous l'empire, car il ne porte pas le cachet de la Bibliothèque impériale.

Il est difficile de savoir si les quatre-vingt-sept pièces que renferme le manuscrit de Bruxelles forment l'oeuvre poétique complète de Sedulius ou si elles ne sont que de simples extraits d'un recueil plus considérable des vers de cet auteur. Des titres comme « Sedulius cecinit » les « et reliqua » les « sicut et alii » que l'on y rencontre à la fin de certaines poésies pourraient cependant, en l'absence de preuves plus décisives, faire pencher vers la seconde opinion (11).

Quant au texte lui-même, il est en somme, malgré certaines fautes de copie, passablement correct. On pourra s'en faire une idée par la lecture des pièces inédites jointes à ce travail.

J'ai dit que Sedulius est originaire de l'Irlande. L'apparition au IXe siècle d'un lettré, d'un poète irlandais en Austrasie, si insolite qu'elle paraisse à première vue, n'a pourtant rien d'extraordinaire. Elle se rattache à un fait général, à tout un mouvement de prosélytisme chrétien parti de l'Hibernie, de l'île des saints, comme on disait, et de beaucoup antérieur à Charlemagne.

Une courte digression est ici indispensable.

Le christianisme, introduit en Irlande dès le IVe siècle, n'y avait pas uniquement implanté ses dogmes: il y avait en même temps apporté les débris de la civilisation romaine dont il était l'héritier. L'éducation religieuse et l'éducation littéraire de l'Irlande furent donc deux faits parallèles et simultanés. D'autre part, tandis qu'en Gaule, en Italie, en Espagne le Ve et le VIe siècle furent marqués par les invasions barbares et par la disparition de toute activité intellectuelle, l'ile, à l'abri de ces tempêtes, continuait à voir fleurir les études et se perpétuer l'enseignement des lettres (12). De grandes écoles s'y étaient fondées le seul monastère d'Armagh comptait, dit-on, plus de sept mille écoliers (13).

C'est alors que l'enthousiasme celtique poussa sur le continent devenu barbare des légions de missionnaires. En France St Fursy, St Roding, en Allemagne St Columban, Virgile, évêque de Salzbourg, en Suisse St Gall, en Belgique St Feuillan, St UItan, St Monon, sont entourés d'une foule de compatriotes non moins actifs, non moins dévoués qu'eux-mêmes. Nous n'avons pas à nous occuper ici de leurs travaux apostoliques. Ce qui nous intéresse dans ces insulaires, c'est leur haute culture intellectuelle, que son apparition au milieu de l'ignorance répandue alors dans l'Europe latine fait paraitre plus éclatante encore (14).

St Columban, le plus célèbre d'entre eux, en est un exemple frappant. Il avait étudié la grammaire, la rhétorique et la géométrie au monastère de Bangor. Il le quitta pour venir en Gaule avec douze compagnons, en Gaule où, dit son biographe, soit à cause du grand nombre des invasions, soit par suite de la négligence des princes, la religion avait presque disparu (15), Cette phrase indique parfaitement le caractère de la première immigration des Irlandais sur le continent. Ce n'était pas en réformateurs littéraires qu'ils se présentaient, mais en simples missionnaires. Toutefois, au milieu des barbares, ils savaient conserver intacte leur éducation intellectuelle. Columban était poète et son biographe loue son éloquence, « cet esprit austère était aussi un esprit orné. A l'âge de soixante-huit ans, le fondateur de tant de monastères adresse à un ami une épître en vers adoniques, tout embaumée, pour ainsi dire, de poétiques réminiscences. » Ajoutons que toutes ces réminiscences sont mythologiques et témoignent de la parfaite connaissance que possédait Columban des auteurs païens.

Pendant la fin du VIIe siècle et te commencement du VIIIe, il n'est plus guère parlé de missionnaires irlandais dans les écrits contemporains. Mais dès le règne de Charlemagne, les insulaires réapparaissent en foule sur le continent. Cette fois, ce sont moins des missionnaires que des savants et des lettrés qui débarquent sur les rivages de la Gaule. En outre, cette seconde apparition des Celtes au milieu des Francs se présente comme moins spontanée que la première. Il en fut un peu des Irlandais qui traversèrent la Manche au IXe siècle, comme des savants byzantins qui vinrent chercher au XVe un refuge en Italie bien que les uns et les autres aient puissamment aidé aux progrès intellectuels de leur époque, ils le firent sans but prémédité. Ce sont les malheurs de leur patrie qui, les contraignant à émigrer, mirent les premiers au service de la renaissance carolingienne, les seconds au service de la renaissance du XVIe siècle. Ainsi, de même que la prise de Constantinople par les Turcs, l'invasion de l'Irlande par les Normands contribua, d'une manière indirecte, au développement de la civilisation européenne.

La première apparition des Normands en Irlande date de 795. Cette année-là, l'île de Rathlin et son monastère furent dévastés par les barbares. Dès lors les pillages et les incendies se suivent sans interruption dans le reste du pays (16). Ces épreuves furent pour l'Irlande d'autant plus pénibles à supporter, que jusque-là, tranquille dans son isolement, épargnée par les grandes invasions du Ve siècle, elle n'avait même pu se faire une idée des calamités qui fondaient sur elle subitement. Aussi, de toutes parts, ses savants effarouchés la fuyaient-ils en nombre si considérable que sur le continent les grandes villes ouvrirent des hospices exclusivement réservés aux Irlandais (17) me semble utile de citer au moins les plus célèbres de ces émigrés, pour donner une idée du groupe littéraire auquel appartient Sedulius:

Clément, surnommé l'Hibernien, grammairien et professeur à l'école du palais de Charlemagne. C'était un homme exceptionnellement savant pour l'époque et qui, comme plusieurs de ses compatriotes, connaissait parfaitement le grec. Il composa entre autres: un Ecloge de libris grarnmaticorumdont il existe trois manuscrits. Il cite dans cet ouvrage, pour ne parler dit Hauréau, que des grammairiens inédits Comminianus, Maximianus, Papirinus, Sulpicius, Aeneas, Servilius, Lueanus, Gelvidius, Etherius, Practorius, Hilarius, Glengus, Galbungus (18). Alcuin était froissé de voir un Irlandais jouir de l'amitié de Charlemagne; aussi, de son abbaye de Tours écrivait-il à cet empereur: « En m'en allant, je n'avais laissé près de vous que des Latins, je ne sais qui les a remplacés par des Égyptiens. » Il faisait allusion par ces paroles aux tendances Alexandrines des insulaires.

Dicuil, géographe, auteur d'un traité intitulé De mensura orbis terrae (19), ainsi que d'un ouvrage d'astronomie et d'un livre de comput.

Dungal, professeur à St-Denys, puis à Pavie et enfin à Bobbio. Il écrivit, à la demande de Charlemagne, sur une éclipse qui avait paru en 810. On possède aussi quelques vers de cet auteur (20).

Joseph, prêtre irlandais, qui vint en Gaule avec Alcuin et dont nous possédons quelques poésies dédiées à Charlemagne (21).

Hibernicus exul, auteur anonyme d'un poème épique sur la guerre survenue entre Charlemagne et Tassilo, duc de Bavière (22).

Claude, auteur de gloses sur presque tous les livres de l'écriture.

Gildas, mathématicien.

Hélié, qui fut peut-être professeur d'Heyric d'Auxerre et mourut évêque d'Angoulême.

Mannon, professeur à l'école du palais de Charles le Chauve.

Dobdan, surnommé le Grec, évêque coadjuteur de Salzbourg, puis évêque de Chiemsee où il ouvrit une école publique.

Colchus ou Coelchu le sage.

Cruindmelus et Malrachanus, habiles grammairiens. Le second cite fréquemment Donat et le Virgile de Toulouse. Il va toujours du grec au latin et enseigne ces deux langues l'une par l'autre. Outre les noms de Virgile et du Virgile de Toulouse, on trouve dans les écrits de Cruindmelus ceux de Sergius, de Pompeius, d'Honoratus, de Maximianus, de Paulinus, de Theodorus, de Palemon, de Maurius et de Servius (23)

Il faut citer encore Eusèbe, Marcel, Erlulfe et Çortilla (24) qui allèrent enseigner en Germanie, et enfin, au-dessus de tous, le fameux Jeun Scot Érigène qui suffirait à lui seul pour donner une haute idée de la culture intellectuelle de sa patrie.

Je n'ai pas eu la prétention, eu citant les quelques noms qui précèdent, d'apprendre rien de nouveau et encore moins de vouloir donner une liste complète des savants irlandais qui se réfugièrent sur le continent vers le IXe siècle. Je n'ignore pas en avoir omis un fort grand nombre. Mais, en nommant ceux qui précèdent, je n'ai eu que ce seul but en vue: montrer que Sedulius fait partie de tout un groupe de lettrés Hiberniens et qu'il faut se garder de considérer sa présence en Belgique comme un phénomène isolé.

Cela est si vrai que notre poète lui-même avait des compagnons d'infortune. Il nous apprend qu'il vint à Liège, avec deux compatriotes, deux émigrés comme lui (25); ailleurs, il cite dans ses vers les noms de quelques Irlandais, Dermoth, Fergus, Blandus,

Marcus et Beuchell qui peuvent être ajoutés à la liste des lettrés insulaires du IXe siècle. Qu'on me permette de leur consacrer ici quelques lignes, d'après ce qu'en rapporte Sedulius, le seul auteur qui, jusqu'aujourd'hui, en ait fait mention.

Dermoth ne nous est connu que par un simple distique: « O Christ, nous t'en supplions, protège Dermoth de ton bouclier, et fais qu'il arrive heureusement dans cette ville avec ses compagnons. (26) » Comme on le voit, la nationalité du personnage n'est pas même indiquée dans ces quelques paroles et sans la physionomie toute celtique de son nom, on ne pourrait affirmer qu'il ait été Irlandais. Il n'en est pas moins intéressant d'apprendre ici la présence en Austrasie et l'arrivée à Liège d'une de ces compagnies de Celtes émigrés, si fréquentes sur le continent pendant le cours du IXe siècle.

Sedulius est moins sobre de renseignements en ce qui regarde ses autres compatriotes, Fergus, Blandus, Marcus et Beuchell. Les noms suffiraient encore ici pour établir la nationalité de deux au moins de ces personnages (Fergus-Beuchell), si le poète ne s'était chargé lui-même de nous la faire connaître avec plus de certitude en les qualifiant tous quatre de lumière de la nation irlandaise (27). Il n'est pas impossible que ces étrangers aient habité Liège et que Sedulius s'y soit rencontré avec eux; il semble cependant qu'ils ne s'y trouvaient plus à l'époque où il leur écrivit la pièce qui nous les fait connaître et dont les premières paroles ne peuvent guère s'appliquer qu'à des amis absents. « Allez mes vers saluer avec de douces paroles mes illustres frères, dont l'image conservée dans mon coeur accroît de jour en jour l'amitié que je leur porte. (28) »

L'affection de notre poète pour ses quatre frères n'était cependant pas également répartie à chacun. Fergus lui fut plus cher que les autres. C'est à lui qu'il s'adresse de préférence, se recommandant à ses prières, et lui promettant en retour de le célébrer dans ses vers. Il a d'ailleurs tenu parole et lui a dédié une petite pièce qui a, pour l'histoire littéraire, un intérêt tout spécial. Elle nous découvre en effet l'existence d'un nouveau poète de l'époque, poète qui n'est autre que Fergus lui-même. Les paroles de Sedulius n'ont point ici besoin de commentaires Fergus, dit-il, honneur des poètes, gloire de la muse splendide, réjouis-toi de posséder les trésors sacrés de l'art. Ce n'est pas en vain que du haut de l'Olympe, la blanche Calliope t'inspire des rythmes mélodieux. Tu as décoré de tes vers le sceptre glorieux de Charles que tes tropes élèvent rayonnant jusqu'aux étoiles. Ton poème dépasse en perfection les muses maroniennes et la flûte de Nason se tait devant lui (29). Puisse une grande gloire récompenser ton audace de louanges pompeuses (30). Il est clair que c'est d'un poème épique qu'il s'agit dans ce passage; Calliope désignée comme inspiratrice de Fergus eu est une preuve suffisante. Les paroles de Sedulius semblent, d'autre part, ne pouvoir s'appliquer qu'à une oeuvre qui a paru tout récemment; le poète ne se fût pas mis sans raison à vanter un ouvrage ancien déjà et connu depuis nombre d'années. Or, si le poème de Fergus venait seulement de paraître à l'époque où fut écrite la pièce que l'on vient de lire, il est presque certain que le Charles en l'honneur duquel il fut composé, est Charles le Chauve et non Charlemagne. Les habitudes des lettrés du IXe siècle sont assez connues pour autoriser une telle affirmation. Vrais poètes de cour, ils ne chantaient que pour le maitre vivant et ne prodiguaient point les louanges à des morts qui, malgré toute leur grandeur passée, ne pouvaient payer l'encens brûlé sur leur tombeau. Charles le Chauve régnant à l'époque de Sedulius, c'est donc à Charles le Chauve que s'adressaient alors l'enthousiasme artificiel et les flatteries mythologiques, dont avant lui Charlemagne, puis Louis le Débonnaire avaient eu la primeur. Fergus ne fit probablement point exception à la règle. Il ne reste plus qu'à retrouver ses vers. Rien ne prouve qu'ils soient perdus et nous pouvons espérer lire tôt ou tard ces mots en tête d'un ouvrage: Fergi Scotti Carmen Epicum de Carolo Calvo.



II


Il est temps, après s'être attardé dans les longs préambules que l'on vient de parcourir, d'aborder enfin l'étude de Sedulius. On n'a jusqu'aujourd'hui que trop négligé le pauvre poète et peu d'auteurs furent aussi complètement ignorés que lui après leur mort. Ni pendant le moyen âge, ni après la renaissance du XVe siècle, on ne semble même avoir soupçonné son existence. Nul historien n'en fait mention, nul savant ne le cite; à Liège même, où il a vécu, son souvenir n'a laissé aucune trace. Les érudits du XVIe et du XVIIe siècle ont cependant connu ses ouvrages en prose et notamment ses commentaires sur les épîtres de St-Paul mais, trompés par fa communauté du nom et par un manque complet d'informations bien fait pour dépister leur critique, ils attribuaient le tout au premier Sedulius (31), l'auteur du Carmen paschale, qui vécut au Ve siècle de notre ère; confondant ainsi en un seul, malgré les cent ans qui les séparent, deux personnages différents. Le prêtre Sedulius, dit Trithème, irlandais de nation et, dès son jeune âge, élève de l'archevêque Hildbert, versé dans les Saintes Écritures et savant dans les lettres profanes, poète et prosateur excellent, quitta l'Irlande par amour de la science, vint en France, illustra ensuite l'Italie et l'Asie et se rendit enfin célèbre à Rome par son admirable savoir. (32) » La confusion est manifeste dans ce passage Usserius, plus formel encore que Trithème, ne fait que l'aggraver. Il faut bien le reconnaître cependant, l'erreur était excusable. Néanmoins, plus clairvoyant ou plus érudit que les deux auteurs que je viens de citer, Labbe sut la découvrir. Il déclara catégoriquement que Trithème confondait non pas deux, mais trois Sedulius: Caelius Sedulius, l'auteur du Carmen paschale, un second Sedulius qui fut au VIIIe siècle évêque en Bretagne et assista au premier concile de Rome et enfin notre Sedulius de Liège que, faute de connaître ses poésies, il appelle interpretem sacrae scripturae (33).

La conjecture de Labbe est devenue aujourd'hui une réalité. Son interprète de l'Écriture Sainte, grâce à la découverte du manuscrit de Bruxelles, ne peut plus être confondu désormais avec aucun homonyme et, pour ainsi parler, se trouve capable de convaincre tout le monde de son identité. Sedulius de Liège est bien une personnalité distincte: une étude attentive de ses poésies permet d'apprécier les traits principaux de son caractère et de lui faire une biographie.

La date de la naissance de Sedulius est inconnue; sa jeunesse ne l'est pas moins. Tout ce que l'on sait à cet égard, c'est qu'il naquit en Irlande, au cours des premières années du IXe siècle selon toute probabilité. L'étude du trivium et du quadrivium, la lecture des textes sacrés et des auteurs classiques, l'art d'agencer les mots suivant les mètres divers de la poésie latine durent occuper cette première partie de sa vie. Il était en un mot, suivant ses propres expressions, docte grammairien, lorsqu'il débarqua sur le continent.

Lui-même ne nous apprend rien sur les causes qui le déterminèrent à émigrer: mais, de la détresse où il était lorsqu'il parvint à Liège, de la haine et de la terreur qu'il témoigne à maintes reprises pour les Normands, des malheurs que ces barbares firent au lXe siècle subir à l'Irlande, on peut conjecturer avec assez de vraisemblance que ce fut l'arrivée des Scandinaves dans sa patrie qui le contraignit à la quitter. Il est cependant impossible de dire où il chercha d'abord un refuge. Longtemps il dut errer de ville en ville, de monastère en monastère, vivant de la charité publique et sans but déterminé parcourant an milieu de l'hiver des pays dont les moeurs et la langue lui étaient également inconnues. C'est durant ce triste voyage, peut-être, qu'il fit la connaissance de quelques-uns des personnages influents avec lesquels il devait plus tard se trouver en relations. Malheureusement, faute de détails, on ne peut ici rien préciser. Ce n'est qu'à force d'hypothèses purement gratuites que l'on parviendrait à tracer à travers la Gaule ou la Germanie un prétendu itinéraire de Sedulius et à dresser une liste des grands seigneurs qu'il put rencontrer à cette époque.

Deux compatriotes, comme lui savants grammairiens, accompagnaient le poète dans sou exil (34). Au cours de leurs pérégrinations, les trois voyageurs arrivèrent un jour dans les environs de Liège. La réputation de St-Lambert, dont ils avaient dû entendre parler plus d'une fois en parcourant l'Austrasie, peut-être aussi celle de l'évêque Hartgar les engagèrent à s'arrêter dans cette ville. Ils y parvinrent dans le plus triste équipage et pendant une de ces bourrasques d'hiver qui devait maltraiter cruellement des gens habitués au climat moins rigoureux de l'Irlande. « Les souffles stridents de Borée au visage blanchi, écrivait plus tard le poète en se rappelant cette triste journée, nous épouvantent de leurs chocs soudains et de leurs menaces. La terre elle-même tremble, frappée d'une affreuse terreur, l'Océan murmure et les durs rochers gémissent. L'Aquilon sans pitié ravage les plaines de l'air (aereos troctus) qu'il emplit de cris horribles et de rugissements. Des voiles épais de nuées laiteuses (lactea.) couvrent le ciel; la terre languissante se cache sous une robe blanche. La montagne boisée perd ses cheveux (crines) et comme le roseau , le chêne est forcé de plier... Borée en fureur, lamentable spectacle, s'acharne sur nous, doctes grammairiens, pieux ecclésiastiques; car l'Aquilon dans son vol n'épargne nulle renommée et nous déchire de ses griffes cruelles. (35) »

Cette tempête fut la dernière épreuve que les exilés eurent à subir: Hartgar les accueillit avec bienveillance, leur fournit un gîte et les retint dans sa ville épiscopale. Il serait difficile de désigner exactement l'époque à laquelle se passèrent ces évènements. On peut cependant la fixer avec certitude entre l'année 840, où Hartgar fut nommé évêque de Liège, et l'année 851, date dc la mort d'Ermengarde, femme de Lothaire I, du vivant de laquelle Sedulius vivait déjà sur le continent, puisqu'il chante cette impératrice à différentes reprises (36). Pour lui, il était relativement jeune lorsqu'il s'établit à Liège ou, pour lui emprunter son expression, lorsque Hartgar le mit au nombre de ses brebis: il se vante en effet dans une pièce adressée à un certain Wulfing (37) de n'avoir pas encore de cheveux blancs.

Les commencements du séjour de notre poète sur les bords de la Meuse furent semés dce quelques légères mésaventures, Il avait été logé avec ses compagnons dans une masure délabrée et il ne laissait pas de s'en plaindre assez ouvertement (38). « Notre demeure, disait-il it l'évêque, est plongée dans une nuit perpétuelle; la charmante lumière n'en égaye point l'intérieur, les mûrs n'y sont pas revêtus d'une robe de couleurs; nulle clef, nulle serrure n'en défendent l'entrée. La voûte n'y brille point de l'éclat de la peinture, mais elle est noyée dans une ombre épaisse. Si tu fais tomber la triste pluie, ô Neptune, tu perces notre toit d'une rosée glaciale. Si Eurus fait retentir ses aboiements sauvages, la vieille maison tremble tout ébranlée... Crois-moi, une telle demeure n'est pas faite pour des sages qui aiment l'éclat resplendissant de la lumière; elle n'est digne que du hibou et de la troupe aveugle des taupes. »

Passe encore pour un mauvais gîte! Les plaintes de Sedulius ne sont pas trop désespérées et le rythme sautillant sur lequel il les exprime n'a aucun rapport avec les gémissements de l'élégie. Mais à l'en croire, il lui serait arrivé de souffrir de la famine et il est telle pièce dans laquelle il pleure lamentablement sa misère. « La faim et la soif, ce double monstre, nous tourmente et nous déchire de ses griffes aiguës. Une heureuse abondance de biens n'est pas notre partage, mais l'horrible pauvreté nous torture. Nous ne connaissons pas les doux présents de Bacchus, le vin agréable à boire fuit notre demeure... O bon père! Dompte, je t'en supplie, ces deux monstres farouches, accorde-nous, cher évêque, un préservatif contre leurs blessures, donne un remède à ton Sedulius... (39). » Que faut-il croire de tout cela? Hartgar a-t-il bien pu laisser dans la misère un homme que lui-même retint à sa cour et dont il faisait certainement un cas exceptionnel? Sans doute les lamentations du poète sont exagérées; peut-être même sont-elles dénuées de tout fondement. Il n'y faut voir, ce semble, qu'une façon de s'adresser à la générosité d'un protecteur complaisant, qu'un simple procédé littéraire dont l'invention n'appartient même pas à notre auteur: chacun sait qu'au VIe siècle, Venantius Fortunatus dépeignit aussi sa prétendue détresse dans des vers éplorés.

Quoi qu'il en soit, il est certain que Sedulius n'avait pas toujours lieu de se plaindre. Il a eu soin de nous montrer lui-même que l'évêque ne restait pas sourd à ses demandes et savait accorder à ses vers autre chose que de vaines louanges: il n'a pas trouvé, en effet, indigne de sa lyre de l'employer à célébrer trois agneaux qu'il avait reçus d'Hartgar (40); une autre fois, comme il avait chanté les caves d'un abbé Robert, garnies de mille tonneaux remplis d'une pure liqueur (41), celui-ci lui envoya trois cents bouteilles du vin de ses vignobles de la Moselle (42).

La description d'un banquet que l'on trouve dans une de ses pièces, écarte d'ailleurs bien loin toute idée de famine et de misère. La scène se passe dans un beau bâtiment, dans le nouveau palais d'Hartgar peut-être, et il s'agit de célébrer l'inauguration de l'édifice par une petite fête. On est réuni le soir dans une vaste salle les murs sont délicatement peints de couleurs vives et gaies, or, vert, rouge, bleu, et les pâles rayons de la lune glissent doucement à travers les fenêtres en plein cintre (43). On n'entend que la voix de Sedulius déclamant des vers de circonstance. Le poète a débuté par une description du monument et il continue. « C'est ici que la noble assemblée des frères goûte de pieux délassements; c'est ici que tu procures, célèbre Bacchus, un plaisir nouveau. Tu nous donnes le baiser de la paix en nous donnant les coupes joyeuses et tu captives les sages... Que six frères prennent une mesure, car le noble mot de mesure se compose de six lettres; que chacun en boive deux setiers, que chaque buveur récite un vers ïambique et que tous en choeur reprennent le sixième vers (44). »

La bonne humeur qui règne dans cette pièce est, me semble-t-il, plus en rapport avec la position de Sedulius à cette époque que les plaintes par lesquelles il s'efforçait tantôt de dépeindre sa misère. Car sa vie était heureuse, quoi qu'il dise, et telle qu'il la pouvait souhaiter. Il avait trouvé à Liège ce que, deux siècles avant lui, Fortunatus avait possédé au monastère de Poitiers: le calme favorable aux études, les loisirs qui lui permettaient d'agréables délassements et avec cela de bonnes amitiés, la faveur des princes, des grands seigneurs et, ce qui vaut mieux aux yeux d'un poète du IX, siècle, des auditeurs qui ne lui refusaient ni applaudissements, ni récompenses. Ajoutez qu'il était, selon toute vraisemblance, directeur des études à l'école cathédrale de St-Lambert et ministre, pour ainsi dire, de l'instruction publique dans le pays de Liège (45). Emprunter des manuscrits, les faire soigneusement copier sous ses yeux, diriger les travaux des élèves de l'école cathédrale, correspondre avec quelques centres littéraires importants tels que Cologne (46) et Fulda (47), composer des vers à graver au fronton des monuments qu'Hartgar faisait élever, telles étaient sans doute, en dehors du temps qu'il accordait à ses études particulières, ses principales occupations. Considéré comme un oracle infaillible dans toutes les questions qui touchaient à l'art ou la poésie, il n'est pas étonnant qu'il se soit fait quelque illusion sur sa valeur intellectuelle. D'ailleurs sa vanité naïve ne le disposait que trop à renchérir lui-même sur les louanges qu'il recevait. Il est plaisant de l'entendre s'appliquer gravement des épithètes telles que « Nouvel Orphée », « Virgile de Liège «, « compagnon des Muses, » etc., etc. (48)(49) Si notre Virgile du IX' siècle n'est pas toutefois, en poésie, le rival heureux dc son homonyme, ce n'est pas, au moins, sa bonne volonté qu'il en faut accuser. On ne pourrait vraiment sans injustice lui reprocher la paresse. Il eut an plus haut degré la passion d'écrire et cette pas­sion, fort respectable après tout, produisait même parfois chez lui des effets assez bizarres. En voici un qui me semble des plus typiques. Hartgar avait donné trois moutons à son poète qui s'em­pressa de chanter cet heureux évènement il énumère en dys­tiques élégiaques tous les services que vont lui rendre ces trois moutons et il n'en trouve pas de plus précieux que celui-ci: ils lui procureront du parchemin (50).

Mais à quoi bon disséquer lentement, par le menu, le caractère de Sedulius. Il s'est peint lui-même, en toute franchise et vérité, tel qu'il était: sincèrement religieux, amoureux de science et de poésie, mais amoureux aussi de bonne table, de bons vins et de doux repos « Je lis, j'écris, j'enseigne et j'étudie la sagesse; nuit et jour je prie le Seigneur mon Dieu. Je mange, je bois volontiers, j'invoque les Muses dans mes vers; je dors profondément la nuit et prie Dieu pendant le jour (51). »

Tel n'était pas, hâtons-nous de le dire, le portrait que se faisaient de notre auteur ses contemporains: pour eux, le poète était parfait et l'admiration qu'ils professaient à son égard égalait presque la bonne opinion qu'il avait de son propre mérite. On ne manquait donc aucune occasion de l'exhiber; sa gloire rejaillissait sur la ville qui l'avait adopté et nul étranger célèbre n'en passait les portes que Sedulius ne vint lui débiter des vers de sa façon pour lui souhaiter la bienvenue. C'est ainsi qu'il harangua l'empereur Lothaire , Charles le Chauve, Louis le Germanique, Lothaire II, l'évêque de Metz Adventius, Eberhard, comte de Frioul, etc.

En s'adressant à ces différents personnages, Sedulius n'était pas seulement l'interprète de l'évêque et des Liégeois. Il s'était si bien attaché à sa nouvelle patrie qu'il se considérait, maintenant, comme un de ses enfants très légitimes et qu'il l'aimait loyalement, en fils dévoué (52). Il portait une affection non moins vive à Hartgar, cet évêque intelligent et actif qui avait su le fixer auprès de lui, en faire un instrument de civilisation et de renaissance pour sa ville épiscopale. Il est toutefois assez difficile de découvrir à première vue ce qui est vrai, ce qui est conventionnel, dans les louanges que Sedulius adresse à son bienfaiteur. On finit pourtant par s'apercevoir qu'il y a autre chose que des mots dans ses vers alambiqués et emphatiques. On sent parfois vivre et palpiter ses phrases maladroites et l'on devine alors un geste vrai en dépit du lourd manteau de théâtre dont il s'enveloppe et s'embarrasse.

L'amitié de Sedulius pour Hartgar était d'ailleurs payée de retour. Le noble évêque oubliait son rang lorsqu'il s'entretenait avec son poète; il se faisait ordinairement accompagner par lui dans ses voyages; il le mettait en relation avec les plus grands personnages de l'Austrasie et si le poète rehaussait la réputation de l'évêque, l'évêque, en revanche, fournissait au poète de puissants et généreux protecteurs. Parmi ces protecteurs, le plus illustre fut Lothaire I. Grâce aux recommandations d'Hartgar, son ami et peut-être son parent, ce prince s'intéressa à Sedulius et il parait qu'il lui confia, au moins en partie, l'éducation de ses fils Lothaire et Charles. Le poète était admis à la cour sur le pied de l'intimité, comme l'étaient jadis auprès de Charlemagne Alcuin ou Angilbert; il dédiait des vers aux membres de la famille impériale et la blonde Ermengarde, la femme de Lothaire, ne dédaignait pas de broder ces vers en fils d'or sur des pièces de soie (53).

Une telle faveur ne manqua pas de susciter des envieux. Il semble que Sedulius ait été calomnié auprès d'Hartgar par un homme influent du pays de Liège. Mais la fausseté de l'accusation fut trouvée évidente et cet incident ne dut avoir pour effet qu'un redoublement d'amitié entre le protecteur et le protégé (54).

Sedulius dut cruellement ressentir la perte d'Hartgar qui mourut en 855. Il pleura cette mort dans une ode désolée, mais, comme toujours, emphatique et exagérée (55). « Les astres, y dit-il, s'obscurcissent et leur lumière vacille; le soleil voile son visage radieux, car tu n'es plus, étoile lumineuse, lampe brillante, célèbre pasteur. La pluie, les ruisseaux qui tombent du ciel s'accordent bien avec nos larmes. Tous les éléments ressentent le malheur qui nous frappe et tous en frémissent. Lys resplendissant, visage de rose, palme florissante, cèdre vigoureux, voilà qu'un désastre soudain vous a flétri; hélas, père vénérable! Hélas sur moi, malheureux poète, qui puis à peine exprimer dans mes vers la douleur que je ressens. »

Peu de jours après avoir ainsi exprimé sa tristesse, Sedulius devait chanter joyeusement l'arrivée de Francon, le successeur d'Hartgar qui, d'abbé de Lobbes, devint alors évêque de Liège (56). Sa position sous ce prélat semble être restée ce qu'elle était pendant les années précédentes mais on entrait dans une triste période. Les Normands qui, au temps d'Hartgar, s'étaient avancés jusqu'aux rives du Rhin, pénétrèrent pendant le règne de son successeur dans la vallée de la Meuse. Désormais le temps était passé de s'occuper paisiblement, l'évêque à construire, le poète à versifier. Il fallait combattre et Francon qui tenait vaillamment la campagne contre les barbares, avec le comte de Hainaut Renier au Long Col ne paraissait à Liège que pour lever des troupes et les mener à l'ennemi (57).

Il convient de faire remarquer ici la haine et la terreur que les Normands inspiraient à Sedulius. Ses vers les plus énergiques sont ceux dans lesquels il a chanté une de leurs défaites. « Que les cieux, la mer, la terre entière se réjouissent, que le peuple radieux du Christ se réjouisse et admire les exploits de notre père, de notre Seigneur tout-puissant... Pauvres et riches, nobles laïques, ordre couronné du clergé, honneur de tout âge et de tout sexe, applaudissez tous. Voici que le bras vigoureux de notre père accable d'une défaite soudaine le Normand rebelle, l'ennemi de la foi (58). » Le poète avait d'ailleurs de bonnes raisons pour craindre et pour haïr les Scandinaves. Il les craignait, car il avait pu juger de leur puissance et de leur férocité dans sa patrie, il les haïssait pour tout le mal qu'ils avaient fait à cette même patrie.

En effet Sedulius a toujours nourri pour l'Irlande l'amour le plus ardent. L'absence n'a point étouffé en lui le patriotisme: il est devenu Liégeois, nimais il est resté celte. Il n'y a presque aucune de ses poésies dans laquelle il ne fasse pas intervenir le nom de cette patrie bien-aimée. On pourrait facilement le prouver ce sont les Scottigenae (59) qui célèbrent la vertu d'Hartgar, c'est la Scottiae tellus (60) qui pleure sa mort, c'est le Scottus (61) qui chante la beauté d'Ermengarde, etc. etc.

On a vu qu'il est impossible d'assigner une date précise à la naissance de Sedulius; il n'est pas beaucoup plus facile de dire au juste quand il est mort. Tout ce que l'on petit affirmer à cet égard, c'est que notre poète vivait encore en 874. II suffit pour s'en convaincre de lire la pièce dans laquelle il a chanté l'entrevue qui eut lieu à Liège entre Charles le Chauve et Louis le Germanique au cours de l'année que je viens d'indiquer (62).

Je ne puis à ce propos passer sous silence l'opinion de M. Dummler qui veut faire mourir Sedulius non à Liège, mais à Milan (63). S'autorisant de quelques poésies publiées en 1877 à Berne par M. H. Hagen (64), poésies manifestement composées en Italie et dans lesquelles le style et les procédés littéraires de Sedulius se trahissent d'une manière frappante, le savant professeur de Halle suppose que le poète aura quitté la cour de Francon, vers 860, par exemple, pour aller s'établir au delà des Alpes, auprès de l'archevêque Tado. Quelle que soit l'autorité de M. Dummler dans tout ce qui appartient au haut moyen âge, je ne puis cependant partager ici sa manière de voir. S'il est établi en effet que Sedulius se trouvait encore auprès de Francon en 874, comment admettre qu'on le trouve bien avant cette époque établi dans le diocèse d'un archevêque italien mort d'ailleurs dès 868. Comment se fait-il d'autre part, en admettant comme réel ce changement de résidence de notre poète, qu'il n'ait pas laissé au moins quelques vers d'adieu à la ville qui l'avait recueilli dans sa détresse et lui avait procuré la douce existence que j'ai tenté de dépeindre. Pourquoi Sedulius, si bien en cour à Liège et à Aix-la-Chapelle, se serait-il écarté de ses protecteurs? Pourquoi, amoureux comme il était de réputation littéraire, eût-il quitté cette Austrasie où son nom était célèbre parmi les lettrés, pour des contrées où il était certainement inconnu? Au reste, le poète avait assez souffert de ses premiers voyages à travers l'Europe. Comme Dante, il savait que l'escalier d'autrui est dur à monter et il eût fallu des circonstances bien graves pour qu'il se hasardât à entreprendre de nouvelles et douloureuses pérégrinations. Serait-ce donc l'approche des Normands qui l'aurait contraint à la fuite? Mais en 860, la situation de Liège n'était pas encore assez critique pour le pousser à une résolution aussi extrême. M, Dümmler invoque, pour justifier le changement de patrie de Sedulius, l'exemple de Dieuil qui abandonna, comme on sait, son monastère de Luxeuil pour celui de Bobbio, fondé en Italie par St Columban. Cet exemple est-il fort concluant? Je ne le crois pas. Il importait assez peu à Dieuil, travailleur solitaire, enfermé dans la cellule de son cloître, de se trouver au delà ou en deçà des Alpes. Sedulius, poète de cour, avait besoin lui, d'admirateurs, de protecteurs, de relations de toutes sortes et il y allait de son intérêt de ne les point quitter... Il faut cependant expliquer les étranges analogies signalées par M. Dûmmler entre les poésies de Milan et celles de Liège. Mais est-il bien nécessaire pour les expliquer de placer Sedulius à la cour de Tado? Si l'on s'avise, en effet, que les pièces sur lesquelles M. Dummler appuie son opinion, sont en fort petit nombre et très courtes, ne pourrait-on admettre qu'elles aient été écrites par notre poète pendant un voyage en Italie, entrepris à la suite d'Hartgar ou plus probablement encore pendant un pèlerinage à Rome, accompli en compagnie de quelques compatriotes? (65) On dira peut-être que Sedulius ne nous apprend nulle part qu'il ait passé les Alpes. Rien n'est pourtant plus probable. Outre que les vers où il regrette de n'avoir pas accompagné Hartgar auprès du pape, peuvent laisser croire qu'il était habitué à accompagner l'évêque dans des missions de la sorte, comment expliquer la description de la porte de St-Pierre qu'il nous a laissée (66) si l'on ne veut pas convenir qu'il ait été à Rome? En supposant un pèlerinage de Sedulius à la ville des papes, on comprend facilement comment il a pu s'arrêter à Milan, y connaître Tado, et lui adresser les vers qui ont été publiés par M. Hagen. Je ne m'étendrai pas davantage sur ce sujet. Je n'ai pas la prétention d'avoir tranché la question, mais il me semble au moins que, en attendant des preuves décisives, il n'est pas nécessaire encore d'enlever Sedulius à Liège et de refuser à la ville d'Hartgar le tombeau de son fils d'adoption.



III


Sedulius ne doit guère qu'à ses poésies l'intérêt qu'il présente au point de vue littéraire. Il ne faudrait cependant pas se figurer qu'il ait été uniquement poète. Loin de là, le recueil de ses vers forme de beaucoup la plus petite partie de ses oeuvres. Des ouvrages d'une érudition froide et pédante, des commentaires diffus et subtils sur l'Écriture Sainte en composent le reste. Cette alliance, chez un même auteur, de la poésie et de l'érudition semblerait aujourd'hui singulière. Nous ne comprenons guère un poète lyrique interprétant des textes et tachant d'expliquer analogiquement les Évangiles. Mais rappelons nous l'époque où vécut ce poète, et le mystère se dissipera.

La poésie du IXe siècle n'est qu'un jeu d'érudits, qu'un exercice de rhétorique où la subtilité, la puérilité même, tiennent lieu d'enthousiasme et d'inspiration. Plus encore qu'au XVIe siècle, elle ne s'adresse qu'aux seuls dilettanti, elle ne vise qu'à reproduire les modèles antiques, non en leur donnant une vie nouvelle, en les transfigurant, pour ainsi dire, mais avec le plus grand appareil possible d'érudition et de pédantisme. Il est plus glorieux au IXe siècle de citer un ancien que d'écrire un beau vers. Et malheureusement les anciens que l'on cite et que l'on étudie, ne sont pas ceux du Ier, mais ceux du Ve siècle. Les poètes carolingiens ne remontent pas comme ceux de la grande Renaissance aux sources pures de la littérature latine. C'est l'art sénile des Claudien, des Sidoine Apollinaire, des Ausone qu'ils continuent en l'affaiblissant encore. Une société naissante recueille l'héritage d'une société morte: la Renaissance du IXe siècle ressemble à une décadence.

Voilà pourquoi un écrivain du IXe siècle, qu'il écrive en vers ou en prose, qu'il s'adonne à l'histoire, à la théologie, à la philosophie, est avant tout et reste toujours érudit. Aussi ne trouve­t-on, parmi les contemporains de Sedulius, nulle personnalité littéraire marquante. Tous les écrivains de ce temps ressemblent à des écoliers qui répètent docilement la leçon de leur maitre. Jean Scot Erigène est le seul génie original de l'époque. Mais qu'on lise les poèmes d'Alcuin, d'Angilbert, de Paul Diacre et de Pierre de Pise, de Sedulius enfin, on trouvera les mêmes procédés, le même artificiel, la même érudition. L'art de ces écrivains est un art composé à force d'études et de travail. Aussi tous les poètes du IXe siècle cultivent-ils la science autant que la poésie: Alcuin est philosophe, Paul Diacre historien, Pierre de Pise grammairien. On comprend maintenant que Sedulius ait été commentateur de l'Écriture Sainte.

Son Coltectaneum in epistolas Pauli, ses Explanatitiuncula de breviariorum et capitulorum canonumque differentia, ses Explanationes in proefationes sancti Hyeronimi ad Evangelia (67), ont probablement été composés pour les élèves de l'école cathédrale de St-Lambert. L'auteur s'y montre très versé dans la connaissance des livres sacrés; il y cite à chaque instant la Bible et les Évangiles. Le texte, chose plus remarquable, en est émaillé de mots grecs et parfois de phrases entières, écrites dans cette langue. Sedulius paraît, en effet, avoir possédé une connaissance étendue de la langue d'Homère. Il lui arrive même assez fréquemment de laisser échapper un mot grec au milieu de ses vers latins (68). C'était là, pour le IXe siècle, un fait excessivement rare et qui supposait des études fort approfondies. A cette époque, d'ailleurs, les savants hiberniens étaient presque les seuls en Europe qui connussent le grec. Le plus illustre professeur de l'école du palais de Charlemagne, Alcuin, n'en avait tout au plus qu'une très faible teinture (69); il était forcé, bien malgré lui, de se reconnaître sur ce point inférieur aux Irlandais et c'était peut-être par dépit qu'il appelait dédaigneusement Égyptiens ces hellénistes insulaires. Paul Diacre était plus franc et convenait, en toute sincérité, qu'il ne savait pas plus le grec que l'hébreu (70). Pour Sedulius, il appelle fièrement sa muse Graecula (71), et parfois même, se souvenant peut-être du mot d'Alcuin, Ethiopissa (72).

Plus curieux et plus original que les commentaires sur l'écriture dont je viens de parler, est l'opuscule intitulé: Liber de rectoribus christianis. Ce petit traité, écrit dans un latin très pur, est alternativement rédigé en prose et en vers, chaque chapitre se terminant, comme dans le De Consolatione de Boëce, par une pièce de poésie qui n'est le plus souvent chez Sedulius que la paraphrase du texte qui précède. L'auteur, d'après ce qu'il dit lui-même, a, pour en recueillir la matière, butiné chez bon nombre d'auteurs sacrés et profanes (73); ces derniers sont particulièrement des historiens, et parmi eux, on peut, en première ligne, citer Théodoret (74). Quant à la portée philosophique du livre, elle n'est pas considérable. Sedulius n'a pas cru devoir s'élever au-dessus des prescriptions de la morale vulgaire il n'aborde ni les théories politiques ni les graves enseignements de l'histoire. Ce sont de simples conseils an prince sur le choix de ses amis, sur la protection qu'il doit à l'Église, des recommandations sur l'amour de la paix et la confiance en Dieu, etc. On dirait un ouvrage écrit par un précepteur de cour pour un royal élève, qu'il s'agit de préparer à porter un jour dignement sa couronne, et, de fait, il semble que Sedulius l'ait composé, sur l'invitation de Lothaire Ier, pour les fils de cet empereur (75). Quoi qu'il en soit, le de rectoribus a bien le caractère qui convient à une telle destination; rien d'abstrait, rien qu'on ne puisse comprendre à la première lecture, beaucoup d'anecdotes de tous genres et d'exemples historiques, tout cela exposé tour à tour dans une prose agréable ou animé par une versification ingénieuse, en voilà plus qu'il n'en fallait pour rendre attrayante, même à un adolescent, la lecture d'un pareil ouvrage.

Comme M. Ebert l'a fait remarquer, il est bien possible que le de rectoribus contienne des réminiscences des fameuses triades Galloises (76). S'il en est réellement ainsi, nous aurions une preuve nouvelle de la persistance du sentiment national chez Sedulius; le fait, en tous cas, est assez curieux pour mériter d'être signalé...

Quelque intérêt que puissent présenter les oeuvres en prose de Sedulius, c'est pourtant comme poète que notre auteur mérite surtout d'attirer l'attention de la critique. Faudrait-il donc s'attendre à trouver en lui un de ces génies populaires et simples, virils et enthousiastes tels qu'on aime à se les représenter à certaines époques privilégiées de l'histoire? Est-il besoin de répondre et n'a-t-on pas vu déjà en plus d'un endroit des pages précédentes qu'il est fort loin d'en être ainsi, que Sedulius est bien à sa place au IXe siècle, qu'il est un fils légitime de son temps et pour ainsi parler un disciple fidèle de son école? La poésie, en effet, n'est pour lui qu'un jeu d'esprit, qu'un délassement agréable, qu'un travail lucratif parfois. Ne lui demandez ni héroïsme, ni vigueur, ni grandes émotions; sa Muse est trop frêle pour de tels efforts, son souffle trop court pour de tels élans. Laissez-le dans la tranquille cellule de son cloître, en face de son parchemin, au milieu de ses livres, composer lentement, vers par vers, quelques strophes dont il admire en lui-même le rythme harmonieux et la parure mythologique (77). C'est ainsi qu'il le faut prendre, non en poète, mais en lettré et en érudit. Examinons donc tout d'abord les éléments de cette science qui lui tient lieu d'inspiration.

Il n'est certainement pas douteux que Sedulius ait possédé une connaissance très étendue de la littérature antique. Dresser une liste des auteurs qu'il a lu, serait cependant fort difficile et même probablement impossible. Virgile est, en effet, le seul ancien dont on puisse reconnaître dans ses vers quelques rares imitations (78).

Mais il y a fort loin de là à dire que Virgile est le seul ancien qu'il ait véritablement connu. On pourrait même affirmer que de la difficulté que l'on éprouve à retrouver chez Sedulius les réminiscences de ses lectures, il faut conclure à leur étendue et à leur variété. La connaissance d'un auteur unique aurait laissé partout son empreinte dans les vers du poète; de la lecture de plusieurs auteurs différents au contraire, dérive une telle diversité de formes, une telle variété de tournures et d'expressions qu'il est aussi impossible de démêler dans l'ensemble ce qui appartient à tel ou tel écrivain que de distinguer dans les eaux d'une rivière, les flots de chaque source qui s'y est versée. Sedulius ne s'est pas caché d'ailleurs de vivre un peu du bien des autres et il s'est comparé assez gracieusement à l'abeille qui compose son miel du suc de fleurs diverses (79). Seulement, il faut avouer qu'il ne choisit guère les fleurs et qu'il butine un peu au hasard. Érudition sacrée, érudition profane, tout lui est bon pourvu qu'il puisse utiliser ses lectures et en transporter dans ses vers les souvenirs les plus disparates.

Aussi ce manque de choix, ce peu de souci des convenances littéraires ne laissait-il pas de causer parfois chez lui de singulières dissonances. La fille de Syon et les Muses sont dans la même pièce placées côte à côte (80); le poète demande un baiser des lèvres roses de la Muse au moment où il va chanter la vertu d'un évêque (81); il nomme cet évêque Daphnis (82), il le compare un peu plus loin à Eurydice (83) et il va même jusqu'à lui demander s'il n'a pas été enlevé par l'Aurore qui le préfère - parait-il - à son vieux Tithon (84). Ailleurs c'est Dieu qu'il invoque sous le nom de tonans. Il se laisse même emporter dans cette voie au delà des bornes de la convenance et il fallait qu'il fût bien amoureux des productions de sa verve pour qu'il n'ait pas effacé, en les relisant, les vers où il compare la mort d'un agneau déchiré par des chiens à la mort de l'agneau pascal (85).

On comprend facilement que le style de Sedulius surchargé de tous ces ornements étrangers n'ait été ni bien vif, ni bien souple. Le latin en est généralement pur, mais la tournure des phrases est bien souvent gauche et embarrassée (86). De l'enflure, du pathos, une rhétorique obscure enveloppent presque toujours la pensée et font paraître plus creuses encore certaines pièces qui, sans cela, ne le seraient déjà que trop. Mêmes défauts dans la composition. Il est rare de trouver dans notre poète une pièce entière qui soit animée d'un bout à l'autre d'un mouvement égal et tissée, si je puis dire, d'une seule trame. La marche en est ordinairement chancelante, indécise; on sent que l'auteur ne sachant pas bien lui-même où il veut en venir, ne voyant pas clair dans sa propre pensée, ne va pas au but en droite ligne et d'un pas résolu. Il s'arrête en route, il s'égare même pour chercher une allusion ingénieuse, pour utiliser une réminiscence qui lui vient à l'esprit. On peut appliquer à presque toutes ses poésies les vers d'Horace:

Inceptis gravibus plerumque et magna professis

Purpureus, late qui splendeat unus et alter

Assuitur pannus...

Il semble d'ailleurs que ce défaut provienne chez Sedulius d'une certaine stérilité d'esprit qui l'empêche de tirer de son sujet tout ce qu'il peut donner. Il est visible que, plus d'une fois, le poète s'est battu les flancs pour arriver au bout de la pièce qu'il a entreprise de là les fréquentes répétitions, les phrases stéréotypées qui frappent même à une première lecture... (87) Cette stérilité pourrait bien, cependant, n'être qu'apparente. Il faut remarquer en effet qu'elle se manifeste surtout dans les pièces qui ont, pour ainsi dire, une destination officielle, dans celles, par exemple, qui sont adressées à Charles le Chauve, à Louis le Germanique, à l'empereur Lothaire. Or ces pièces ont probablement été commandées à Sedulius. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que, pressé par le temps, le poète se soit vu forcé de se servir d'anciens clichés, de recourir à des vers tout fabriqués déjà et compatibles avec les circonstances pour lesquelles on les lui demandait. D'ailleurs, si l'on compare les pièces dont il s'agit ici avec celles qui ont été composées à tête reposée et dans un but purement littéraire, il sera facile de se convaincre que les négligences qui déparent les premières, ne viennent, en grande partie, que d'une composition trop précipitée. On doit avouer que, si par bonne fortune il est arrivé au poète de n'être point talonné par le temps et la nécessité, il a écrit de jolis vers qui, d'une allure assez preste et d'un tour ingénieux, aujourd'hui encore ne sont pas désagréables à lire et peuvent compter parmi les meilleurs des écrivains du IXe siècle.

Dans ces heures, trop rares, d'heureuse invention, ce n'est cependant jamais le sentiment qui inspire Sedulius. Les affections profondes de l'âme ne se traduisent guère chez lui que par les grands mots, l'emphase et la déclamation. Ses qualités distinctives, son originalité, si l'on veut, lui viennent d'ailleurs et, pour lui emprunter un instant son langage, c'est Erato qui, des neuf Muses, est sa préférée. Il n'est bien à son aise que dans ce que nous avons appelé poésie légère, il ne s'anime que si par aventure son sujet lui permet la bonne humeur et s'il peut quitter pour un instant le ton solennel auquel il est forcé trop souvent de tendre les cordes de sa lyre. Il devient alors lui-même et, de vulgaire déclamateur, se transforme en un poète qui ne manque ni de grâce ni d'humour. Il faut lire, entre autres, pour se faire une idée de ce que valait Sedulius dans ces bons moments, le charmant parallèle qu'il établit entre sa pauvre maison et le palais d'Hartgar (88), ainsi que les jolies pièces intitulées de verbece a cane dicerpto et de Rosae Liliique certamine. Cette dernière, dialogue entre la rose, le lys et le printemps, est particulièrement curieuse pour qui connait l'influence de ce genre de dispute sur le développement du théâtre au moyen âge.

La Rose, « Je suis la soeur de l'aurore, l'alliée des dieux du ciel; Phébus m'aime, je suis la messagère du radieux Phébus. L'étoile du matin en souriant éclaire mon visage; la noble beauté de ma parure virginale brille de l'éclat de la pourpre. »

Le Lys. « Pourquoi dans ton orgueil prononces tu des paroles qui te valent à jamais des tourments mérités? Car ton diadème est percé d'épines aiguës. Hélas! Comme ces épines déchirent le malheureux rosier »

La Rose. « Quelle est ta folie, à toi qui regardes comme un mal un titre de gloire! Dans sa sagesse, le Créateur m'a hérissé d'épines aiguës; il a voulu protéger d'une noble armure la beauté de la rose. »

Le Lys. « Ma noble tête est ceinte d'une couronne d'or et je ne suis pas armée de cruelles épines. De mes blanches mamelles s'épanche un doux lait; aussi m'appelle-t-on la reine des fleurs. »

- « Cependant le jeune printemps reposait dans l'herbe fleurie. Sa robe était peinte d'herbes verdoyantes, des parfums montaient à ses narines ouvertes et sa tête était ceinte de couronnes de fleurs. »

« Chers enfants, dit-il, pourquoi cette querelle? Vous êtes, sachez-le, nées toutes deux de la même terre. Comment des soeurs peuvent-elles exciter l'arrogante dispute? O belle rose, tais-toi, ta gloire brille sur le monde, mais que le lys royal règne du haut des sceptres étincelants. Les siècles loueront à jamais votre gloire et votre beauté. Que la rose soit dans nos jardins l'emblème de la pudeur: vous, lys étincelants, croissez, semblables en éclat au visage de Phébus. Toi, rose, tu couronnes les martyrs de guirlandes de pourpre; vous êtes, o lys, l'ornement des cortèges des vierges aux longs voiles. »



IV


Il ne faut pas voir uniquement dans Sedulius un curieux représentant de la littérature du IXe siècle. Il est encore, et c'est là ce qui lui donne pour le lecteur belge un intérêt tout spécial, une source historique des plus précieuses. Grâce à ses vers, on peut enfin combler cette lacune qui, dans l'histoire de Liège, sépare les règnes des évêques qui vécurent avant Charlemagne d'avec les règnes de ceux qui sont postérieurs à l'invasion normande. Cette époque que ni Hariger, ni Anselme, ni Gilles d'Orval ne connurent, nous pouvons affirmer aujourd'hui qu'elle n'a été ni inactive, ni stérile. Si les faits qui s'accomplirent sous Agilfrid (765-787) Gerbald (787-809) Walcaud (809-836) et Pirard (836-840) continuent à nous être ignorés, il n'en est plus de même de ceux qui se passèrent sous Hartgar (840-855). C'est peu de chose, dira-t-on peut-être, et nous attendions mieux: quinze ans ne comptent guère dans un siècle ». Pourtant, il est, en histoire, de ces années exceptionnellement fécondes et actives qui supposent avant elles d'autres années de préparation et dont l'étude fait connaître toute une évolution sociale, tout un mouvement littéraire. Il en a été ainsi, ce semble, du règne d'Hartgar pour le IXe siècle liégeois. Ce coin de tableau que nous apercevons n'a pu être isolé: on devine, en le voyant, qu'il n'est que la partie la plus importante d'un tout harmonique et que de la barbarie des temps mérovingiens à ces années relativement fort policées, il a dû exister toute une gradation disparue aujourd'hui pour nous, mais dont nous sommes logiquement forcés d'admettre l'apparition dès les commencements du IXe siècle ou, si l'on veut, de la renaissance carolingienne. Sedulius, en nous faisant connaître l'histoire du règne d'Hartgar, éclaire donc toute la première moitié du IXe siècle liégeois.

Cette histoire d'Hartgar, n'est, à vrai dire, qu'ébauchée. Un poète si explicite qu'il soit, et ce n'est pas le cas pour Sedulius, n'est jamais aussi clair, aussi précis qu'un chroniqueur ou même qu'un annaliste. S'il nous révèle quelque fait contemporain, ce n'est guère qu'en passant, sous forme d'allusion; s'il décrit quelque édifice, s'il fait le portrait de quelque personnage, c'est toujours en le parant de couleurs étrangères qui le déguisent aux yeux de l'histoire. Néanmoins, les oeuvres d'un poète contemporain méritent toujours une sérieuse attention. Mais leur prix devient inestimable lorsqu'elles datent d'une époque qui, pendant dix siècles, est restée plongée dans la plus profonde obscurité.

Je vais essayer de dépeindre brièvement, d'après les indications malheureusement trop rares de Sedulius, l'état de Liège pendant cette époque.

Hartgar, qui succéda à l'évêque Pirard en 840 appartenait à la haute noblesse germanique et il semble même qu'il ait été allié à la famille carolingienne (89). C'était un prélat instruit et, comme tous les membres du haut clergé de son temps, passionné pour les arts et les lettres antiques. Au témoignage de Sedulius, il possédait trois langues (90), probablement le latin, l'allemand et le roman. Lorsque notre poète vint à la cour d'Hartgar (c'est-à-dire entre 840 et 851), l'évêque ne devait pas être fort âgé encore: c'est du moins me que permettent de supposer les épithètes que lui adresse son panégyriste: si amateur d'antiquité qu'il fût, et même justement à cause de cela, il n'eût certes point salué du nom de Daphnis un prélat qui eût compté les années d'Anchise ou de Nestor (91). Sedulius nous a d'ailleurs laissé le portrait de son protecteur et malgré l'exagération et les flatteries trop apparentes dont est surchargé ce portrait, il ne laisse pas cependant de présenter un certain intérêt historique. « Composez, dit le poète, composez an son de la cithare des vers qui charment les oreilles du noble Hartgar. Il est digne, ce pieux pasteur, des louanges d'un chant harmonieux, il est l'astre de l'Europe, il en est la gloire. C'est un rameau d'or couvert des fleurs de la vertu, ses moeurs, sa figure brillent d'un même éclat... Il gravit l'échelle qui conduit aux cieux, il instruit son troupeau de sa parole et de ses exemples. Toujours en éveil, comme un pasteur vigilant, il enlève ses brebis aux loups qu'il écarte. Sa poitrine resplendissante est embaumée des parfums de la sagesse et de sa bouche éloquente coulent des paroles de miel. L'éclat de la beauté brille sur son visage, mais son âme resplendit d'une beauté plus grande encore. En sa présence se taisent les rétheurs, et le poète bavard est muet quand il parle (92).

Hartgar ne demeura pas étranger à la politique de son temps. Chacun sait qu'il en fut de même de presque tous les évêques du IXe siècle et que certains d'entre eux, comme Hincmar et Agobard, se conduisirent en véritables hommes d'État. Hartgar joua un rôle beaucoup plus modeste: il se contenta d'être le conseiller et l'ami de Lothaire I. Une ambassade auprès du pape touchant les affaires de l'empire est tout ce que nous connaissons de sa carrière politique. Désigné, nous apprend Sedulius dans une pièce composée à ce sujet, désigné par la volonté du peuple et du sénat (93), il se mit en marche pour l'Italie avec une escorte dévouée (94). On était en hiver (95) et les voyageurs eurent à surmonter de grandes difficultés au passage des Alpes. On arriva pourtant à Rome sans encombre. Tout le monde tressaille d'allégresse, la grande Rome se réjouit, voici, crie-t-on, l'ange, le promulgateur de la paix (96). Les négociations entre le pape et l'évêque restèrent secrètes (97). Hartgar s'acquitta de sa mission avec succès (98) et revint au printemps dans son évêché.

Dans quel but Hartgar fut-il envoyé à Rome? Il serait difficile de le dire. Peut-être les différends survenus entre Lothaire et ses frères n'étaient-ils pas étrangers à sa mission. C'est du moins ce que laissent supposer les mots angelus atque sator pacis dont les Romains le saluent à son arrivée.

En citant plus haut les correspondants ou les protecteurs de Sedulius, j'ai cité les amis d'Hartgar. Éberbard, comte de Frioul, qui possédait en Hesbaye des propriétés considérables, paraît avoir été particulièrement lié avec l'évêque de Liège (99). Chose assez rare dans un temps où le goût des lettres n'était guère répandu que parmi le clergé, ce grand seigneur laïc fut, comme un prince du XVIe siècle, passionné pour les choses de l'esprit. Après ses expéditions contre les Sarrasins qui harcelaient les côtes de l'lialie, il aimait venir dans son château se reposer de la guerre par la lecture et l'étude. Il s'était formé une bibliothèque (100). Des recueils des lois, des ouvrages théologiques, des vies des saints, de nombreux écrits de saint Augustin composaient cette bibliothèque dont le catalogue nous est parvenu. Il est intéressant d'y trouver un livre de Sedulius, l'Expositio super epistolas Pauli (101) et le liber rei militaris dont Hartgar fit présent à Eberhard et qu'il lui envoya accompagné d'une pièce de vers de notre poète (102).

Une description détaillée du mouvement des études à Liège sous Hartgar, serait en grande partie une répétition des paragraphes qui précèdent. Faire connaitre Sedulius, c'est faire connaître, en effet, les tendances de ce mouvement. Il ne faudrait pas se figurer, toutefois, que Sedulius ait été à Liège à cette époque le seul érudit, le seul poète. Sans compter les écrivains nationaux qui pouvaient s'y trouver, on devait y voir quelques-uns de ses compatriotes: on se rappelle les deux amis qui l'accompagnaient dans son exil et qui furent comme lui recueillis par Hartgar. Peut­être aussi Dermoth et ses compagnons s'établirent-ils sur les bords de la Meuse.

Tous ces savants étrangers vivaient dans l'intimité de l'évêque et devaient faire ressembler sa cour aux cours des princes italiens du XVe et du XVIe siècle. Comme plus tard en Italic, les questions d'art et de littérature y étaient longuement traitées; on y déclamait, on y improvisait des vers, on y faisait des énigmes (103); on a su que les petites intrigues n'y étaient pas non plus étrangères (104).

Si Hartgar, comme l'archevêque de Cologne Gonthar, par exemple, n'était pas lui-même poète, au moins s'occupait-il activement à embellir sa ville épiscopale. Nous connaissons par Sedulius les monuments qu'il y fit élever. Malheureusement, selon son habitude, le poète s'est bien gardé d'en faire une description détaillée. Il faut se contenter de quelques mots qu'il laisse échapper çà et là et tant bien que mal les ajuster ensemble. Toutefois; nous en savons assez pour pouvoir dire de Liège ce que dit Ampère de l'Europe en général « le développement simultané des arts se joint à l'étude de l'antiquité pour achever de donner au IXe siècle tous les caractères d'une ère de renaissance (105).

Sans l'incendie de Liège par les Normands (881) au milieu duquel périt le palais épiscopal d'Hartgar, les écrivains des siècles postérieurs nous auraient sans doute transmis sur ce monument des notions plus précises et plus complètes que celles fournies par Sedulius. Cet édifice semble, en effet, avoir été tout à fait remarquable et bien digne d'une description détaillée. Le toit, comme celui de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle (106), paraît en avoir été, sinon revêtu d'or, au moins couvert en tuiles de diverses couleurs (107). Des fenêtres nombreuses et garnies de vitres répandaient dans les appartements intérieurs une lumière abondante (108). Sur les voûtes, un habile pinceau aurait prodigué les dessins les plus capricieux, les couleurs les plus vives et les plus fraîches (109). Des lambris ciselés (pulchrum laquear stigmate pictum) garnissaient les murailles décorées de nombreux tableaux (110), Enfin, les pentures de portes, les serrures et les clefs finement arrangées attestaient l'habileté des artisans liégeois (111).

Outre ce monument, Hartgar construisit encore une église dédiée aux saints Pierre et Paul, à la Vierge et à tous les saints (112). Sedulius en admire les peintures, mais il ne décrit pas l'édifice (113). Il nous apprend seulement que l'autel était pourvu de nombreuses reliques et (semble-t-il dire) surmonté d'une statue de la Vierge (114).

Les dernières années du règne d'Hartgar furent troublées par l'approche des Normands. Connaissant le sort réservé aux contrées que traversaient ces barbares, l'évêque voulut écarter de son diocèse les malheurs dont il le voyait menacé. Il y leva une petite armée, rencontra les Normands sur les rives du Rhin et les vainquit complètement dans une bataille où leur chef semble avoir perdu la vie. « Alors, s'écrie Sedulius, tomba le superbe Goliath, la colonne de la guerre; ses compagnons, comme des Cyclopes, rivalisaient de hauteur avec les plus grands cèdres (115).

Hartgar mourut en 855 et l'abbé de Lobbes Francon fut désigné pour lui succéder. A en croire Sedulius, il aurait été l'ami, sinon l'élève de l'évêque de Metz Drogon (116), et il appartenait à la famille carolingienne (117). C'est à peu près là tout ce que le poète nous apprend sur le successeur d'Hartgar. L'histoire de Francon qui passa la moitié de son règne à guerroyer contre les Normands est d'ailleurs assez bien connue. Je n'ai pas à la raconter ici (118).



(1) Voici comment il s'exprime: « Tricesirnnmus secundus sedit Fulcaricus. Tricesimus tertius Agilfridus ad quem Karolus Magnus, Desiderium Italiae regem Leodium misit in exilium. Cui successif tricesimus quartus Gerbaldus. Postque illum, tricesimus quintus suscepit episeopatum Walcaudus... Walcaudo successif Eirardus in sede tricesimus sextus. Tricesimus septimus Hargarius. » ANSELMI, Gest. Pontif. Leod., PERTZ, Mon. Germ. Hist., t. VII.

(2) « Sed quia gesta ejusdem Hircarii nondutn legi, ad obitum ejus trauseamus. » dit Gilles d'Orval, CHAPEAVILLE, t. I.

(3) Il est bien entendu que lorsque je parte du IXe siècle, c'est du IXe siècle liégois qu'il s'agit et seulement des cinquante premières années de ce siècle.

(4) Reginonis Chronicon, PERZ, t. 1. - Gesta Treverorum, PERTZ, t. VIII, FOLCUINI, Gesta abb. Lob., PERZ, t. IV. - ANSELMI, Geste ep. Leod., PERTZ, t. VII.

(5) Vita Sti Remacli, ACT. SS., Sept. 1, p. 705. « Non alia referam, dit l'auteur, nisi quae visu et Vera fidelium didici relatione. »

(6) ANSELMI, Gesta Pont. Leod., PERTZ, t. VII.

(7) « Cumque reuiteuti mihi, dit-il, quaedam historiarum exemplaria suis ostenderent concordantia dictis, de caetero illis quorum non cantemnendae videbautur personae mihi fidem facientibus, quod haec quae referebant, eadem olim tradita litteris fuerunt, sed insectatione Nortmannicae depopulationis deperierunt. » Vita St- Rictrudis. Prologus, MIGNE, Patrol. Lat., t. CXXXII, p. 829. V. encore RODULPHI, Gesta abbat. Trudon., PERZ, t. X. p. 228.

(8) Peut-être n'en était-il pas de même au XVIIe siècle, car Mabillon, qui a publié dans ses Vetera analecta quelques vers de notre poète (p. 388), nous apprend qu'il les a tirés d'un codex de l'abbaye d'Elnone.

(9) Archiv. der Gesellschafl für altere deutsche Geschichtskunde, VII, 1006, VIII, 536.

(10) Bull. de l'Acad. roy. de Bruxelles, 1e sér., t. VIII, 2' part., 1841 Notice d'un MSS. de la Biblioth. royale, p. 247.

(11) On verra plus loin que M. Dümmler a cru retrouver dans les Carmina medii aevi, publiées en 1877 à Berne par M. Hagen, quelques pieces de Sedulius.

(12) Ceterorum caret bellis populorum, dit, en partant de l'Irlande, le biographe de Sr Colomban. Vita Columbani, AA. SS., O. St Ben. Saec II, 5 (Ita).

(13) HAUREAU, Singularités historiques et littéraires. Les écoles d'Irlande.

(14) HAUREAU, ibid. - OZANAM, Civilisation chrétienne chez les Francs, ch. 4. - Hist. litt. de la France, t. III. - MABILLON, Annales ord. St Ben., t. I. 13, n°33, AA. SS. Ord. St Ben., t. II, p.664.

(15) « Ubi tunc vet ob frequentiam hostium externorum, vel ob negligentiam praesulam, religionis virtus pene abotita baberet. »

(16) Depping semble avoir ignoré complètement les incursions des Scandinaves en Irlande. Cette île ne fut cependant pas mieux traitée par eux que la France ou que la Germanie: on pourra s'en convaincre en jetant un coup d'oeil sur les chiffres suivants.

En 831 et en 960, monastère de Hathmuige, près de Dublin, pillé et détruit. - 832, abbaye et ville d'Armagh pillées trois fois en un mois. Nouveaux pillages en 839, 850 (ou 851 on 852), 873, 890, 895, 895, 919, 931, 943, 1012, 1016. - 864, abbaye d'Achard Finglass, près Leighlin, pillée. - 954, id., celle de St Mullin (comté de Carlow), 845 et 959, id., celle de Killachad (comté de Cavan). - 834, id., celle de Inniskeltair (dans une île du Shannon). - 816 et 853, id., celle d'Inniskatlery (dans une autre île du mème fleuve). Cette abbaye fut occupée par les Normands en 950 et pillée de nouveau en 1057 et 1076. - 822, 825, 838, 839, 910, 913, 915, 960, 970, 978, 1013, ville et abbaye de Corck pillées. 812, 818, 823, 956, id., abbaye de Bangor. - 940, 942, 988, 1015, 1040, 1069, id., abbaye de Down Patrik. - 832, 1071 et 1076, id., abbaye de Castelknock (comté de Dublin). - Le Monasticons Hibernicon, dont sont extraits ces détails, dit, en outre, qu'entre 824 et 835 la plupart des églises d'Irlande furent pillées par les Scandinaves.

(17) « Hospitalia Scotorum quae sancti homines gentis illius in hoc regno construxerunt. » - Capit. Synod. Epernay, 846, PERTZ, Leges, t. I, p. 390. - MULLINGER, The schools of Charles the Great, ch. IV.

(18) HAUREAU, Singularités historiques et littéraires. Les écoles d'Irlande. - WATTENBACH, Deutschlands Geschichtsquelle in Mittelaller, t. 1, pp. 168 et 188; 4e édit.

(19) C'est dans ce livre qu'il est pour la première foi fait mention de l'éléphant envoyé à Charlemagne par Harun. WATTENBACH, ouv. Cit., t. I, p. 126.

(20) WATTENSBACH, ouv. Cit., I. 1, pp. 125, 129; DUMMLER, Die handschriftliche ueberlieferung der lot latinischen Dichtungen aus der Zeit der Karolinger, Il; HAURÉAU, ouv. Cit.

(21) DOMMLER, Poetae aevi Corolini, pp. 149-160.

(22) Le surnom d'Exul prouve bien que les Irlandais du IXe siècle ont été chassés de leur patrie et que ce n'est pas volontairement qu'ils viennent sur le continent. EBERT, Allgemeine Geschichte der Litteratur des Mittelalters im Abenlande, t. II, 56-65. Hihernici exulis versus ad Karol. imp. Maï Classic. Auct., t. V, p. 405.

(23) HAUREAU, ouv. cit.

(24) A la vérité, ces derniers sont antérieurs à l'invasion de l'Irlande par les Normands.

(25) Fessis ergo favens, Hartgari, floride praesul,

Saphos Scottigenas suscipe corde pie.

Sedulii carmina Ed. Dümmler, I, v. 17, 18.

(26) Christe, tuo clipeo Dermoth defende, precamur,

Cumque suis sociis veniat hanc laetus in urbem.

Sedulii carmina Ed. Dummler, XIV, v. 1, 2.

(27) Quadrigae domini, Scottensis lumina gentias,

Vivite floriferis secla per ampla ciclis. Dummler, XVI, v. 25, 26.

(28) Egregioas fratres Fergum Blandumque saluta

Marcum Beuchellem, cartula dulce sonans,

Quorum forma decens, ut nostro pectore foret,

Sic magis atque magis gliscit et almus amor. Ibid., v. 1-4.

(29) Ces louanges exagérées étaient à la mode au IXe siècle: nous lisons dans Paul Diacre:

Dicor similis Homero, FIacco et Vergilio

Similior Tortullo sive Philoni memphitico,

Tibi quoque, Veronensis o Tibulle conferor.

Monum. Germ. Hist. - Poetae medii aevi: Poetae

Carolini Ed. Dummler, I, p. 49.

(30) Ferge, decus vatum, formosae gloria Musae,

Gaude thesaurso artis inire sacros.

Nec te nequiquam rutilo prospexit Olimpo

Cignea blandisonis Calliope modulis.

Glorificum Karoli decorasti carmine Sceptrum: 5.

Aureus ipse tuis fertur ad astra tropis.

Arte Maroneas vincit tua pagina Musas,

Fistula Nasonis, qua resonante silet.

Nec te parva manet pomposae gloria laudis

Pro tantis ausis, praeco beate, vale. 10.

Dummler, XVII.

(31) Ce Sedulius jouit pendant tout le moyeu âge d'une grande réputation. La Renaissance ne diminua pas sa renommée, car depuis la fin du XVe siècle jusqu'à celle du XVIIIe, il a eu quarante-deux éditions de ses oeuvres. Voyez HUMER, De Sedulii poetae vita et scriptis commentatio; LEIMBACH, Ueber den christlichen Dichter Caelius Sedulius und dessen Carmen paschale, Gostar, 1879; G. BOISSIER, Sedulius, Journal des savants, septembre 1881.

(32) AREVALUS, Prolégomènes aux oeuvres de Coelius Sedulius; MIGNE, Patr. Lat., t. XIX.

(33) ibid.

(34) Suscepit blandus fessosque loquacibus Austris

Eripuit ternos dapsilitate sophos. Dummler, I, v. 23, 24.

(35) Flamina nos Boreae niveo canentia vultu

Perterrent subitis motibus atque minis.

Tettus ipsa tremit nimio percutas pavore,

Murmurat et pelagus daraque saxa gemunt.

Aereos tractus Aquilo nunc vastat iniquus

Vocibus horrisonis murmuribusque sonans.

Lactea nubifero densantur vellera caelo,

Vetatur nivea marcida terra stola.

Labuntur subito silvoso vertice crines

Nec stat harundineo robar et omne mode...

Nos tumidus Boreas vastat miserabile visu,

Doctos grammaticos presbiterosque pios.

Namque volans Aquilo non ulli parcit honori

Crudeli rostro nos laniando suo. Dummler, I, 1-10. - 13-16.

Qu'on veuille bien me pardonner l'étrangeté et ta barbarie de traductions qui ne visent qu'a suivre le texte au plus près.

(36) «Anno dominicae incarnationis 851, obiit Hermingardis regina, conjux Hlotarii imperatoris, venerabilis et a Deo acceptabilis matrona... » Reginonis chronicon. PERTZ, I. - « 851 domina Herminigarda imperatris obiit 13 Kal. April Annalium laubacenssium pars secunda. » PERTZ, I.

(37) Quos necdum geminos ornant candore capilli,

Speramus niveos nos sed habere pilos. Dummler, VIII, 13, 14.

« Vulfingo cuidam ministeriali ejusdem imperatoris Lotharii », scripsit Hincmarus epistulas duas. (FLODOWARDI, Hist. Rem., III, c. 26.) Dummler. Sedulii Carmina, p. 2, note.

(38) Nostri tecta nigrant perpete nocte,

Intus nulla nitet gratia lucis

Pictae vesti abest pulchra venusta,

Clavis nulla regit ac sera nulla

Absis nonque micat compta tabellis,

Sed fuligo tholo haeret in alto

Si, Neptune, pluas imbribus atris,

Crebras rore gravi domata nostra

Eurus si reboet murmure saevo,

Haec quassata tremit aula vetusta...

Non haec apta domus crede sophistis

Qui splendentis amant munera lucis.

Sed haec apta domus nycticoraci

Talparumque gregi mansio digna.

Sedulii carmina Ed. Grosse, II, v. 11-20, - 28-31.

(39) Nos sitis atque fames conturbhat bestia duplex

Vulnificis rostris nos laceratque suis.

Nec nos oblectat praedives copia rerum,

Sed nos excruciat horrida pauperies.

Nec nos oblectant dulciflua dona Lyaei

Mellifluusque Medus domata nostra fugit...

O pater has geminas, obsecro, vince feras.

Large salutiferum contra vulnuscula, praesul,

Sedulio famulo da cataplasma tuo.

Grosse, IV, 1-6. - 24-26.

(40) Voyez la pièce intitulée De Tribus mullonibus. Dummler, p. 9.

(41) Je cite, pour leur curiosité, les premiers vers de la pièce qui nous apprend ces détails; le poète y décline le nom de son bientaiteur.

Bonus vir est Robertus, laudes gliscunt Roberti.

Chrisle, fave Roberto, longaevum fac Robertum.

Amen. Salve, Roberte. Christus sit cum Roberto...

Hoc mille tonant tonnaee puro plenae Lyaeo. Grosse, VI, 14. - 13.

(42) Ter centum fialas donaverat ipse poetae. Dummler, XVIII, v. 22.

(43) Aureus in primo color enitet ordine flagrans,

Gramineus sequitur veris honore virens.

Purpurum flagrat specimen mirabile visu,

Sapphirus ridens spargit in astra decus.

Emicat et vitreus supter supraque coruscus,

Glaucicomum pelagi gaudet habere modum.

Nobilis altithroni crucis exprimitur decus almum

Vitrea qua varium lana carpit iter. Grosse, XII, 7-15.

Ces deux derniers vers paraissent indiquer l'existence de vitraux ou tout au moins de peintures sur verre, dans l'édifice en question. Malheureusement, l'obscurité du texte de Sedulius ne permet sur ce point qu'une simple conjecture.

(44) Inclitus hinc fratrum coetus pia gaudia ducit

Hic das laetitiam, clare Lyace, novam.

Oscula das pacis, felicia pocula donans

Permulces sophicos, optime Bacche, viros...

Sex fratres modium sumant, nam grammate sene

Nobile conscriptum nomen habet modius.

Ast simpli fratres potent sextaria dupla,

Unusquisque bibax iambica metra sonet.

Senarium versum sex una voce canentes

Grosse, XII, 23-27, 35-40.

(45) Je ne fais que reproduire ici l'opinion de Dummler, adoptée aussi par Ebert, Allgemeine Geschichte der Litteratur des mittelalters, 2e vol. Leipzig, 1880.

(46) Voyez la pièce intitulée: Ad Gonthariuma Coloniensem episcopum.

Dummler, XXX.

(47) DUMMLER, Forschungen..., V, 394. Une piece de Sedulius à l'abbé de Fulda Hatto.

(48) Scriptor sum, fateor, sum masicus alter et Orpheus

Dummler, XXII, v. 9.

Ast ego maestificus tristabar musicus Orpheus.

Grosse XV, v. 11. Voyez encore v. 88.

(49) Tu Maro Leodii musigenumque comes.

Grosse, XV, v. 20.

(50) Pellis et exuviis sit kartula famaque perpes,

Nomen sparge polo pellis et exuviis.

Dummler, IV, v. 12, 13.

(51) Aut lego vet scribo, doceo scrutorve sophian

Obsecro celsithronum nocte dicque meum.

Vescor poto libens, rithmizans invoco Musas,

Dormisco stertens, oro deum vigilans.

Dummler, XXXIII, v. 1-5.

(52) Si tibi Leodium dulcescit seu pia mater.

Grosse, XV, v. 47.

Se fail-il dire par sa muse.

(53) Voyez la pièce XII de Dummler: « Hinc versus ad Ermingardem imperatricem conscripti in serico pallio de virtutibus Petri apostoli. »

(54) Voyez la pièce XI de Grosse et la pièce XVI des poésies inédites qui accompagnent ce travail.

(55) Astra fuscantur titubantque luce,

Sol et abscondit speciem choruscam

Nam ruis sidus, speciosa lampas,

Inclite pastor.

Aer enim imbres pluit atqae rivos,

Testis est nostri lacrimas stupendo.

Seutiunt tristem trepidantque lapsum

Cuncta elementa

Lilium pulchrum roseusque vultus,

Palma florescens viridansque cedrus,

Ecce marcescis subits ruina,

Heu, pater alme.

Heu mihi flenti misero poetae

Vix queo verbis resonare mestum

Corde conceptum miserum dolorem,

Heu bone Christe.

Dummler, IX, V. 15-25.

(56) Voyez Dümmler, pièce X.

(57) FOLCUINI, Gesta abbatum Lobiensium. - ANSELMI, Gesta ep. Leop.

(58) Pauperes, dites, laici potentes,

O coronate clericalis ordo,

Omnis actes decus atque sexus,

Plaudite cuncti

Brachium patris validum potentis

Ecce protrivit subita robellem

Strage Normannum, pietatis hostem,

Gloria patri. Grosse, lX, v. 17-25.

(59) Scottigenae resonent: optime praesul ave.

Dummler, III, v. 80.

(60) Scottiae tellus Italumque Roma

Mere Hartgari gemebunda easum...

Dummler, lX, v. 6.

(61) Personat Hebraeus, Graecus Scottusque celebrat.

Dummler, XI, v. 7.

(62) BOEHMER, Regesta Carolorum. - La pièce de Sedulius a été publiée par Dümmler, n° VII.

(63) Neues Archiv der Gesellschaft fur altere Deutsche Geschichtskunde: die handschriftliche ueberlieferunq aus der Zeit der Carolinger, 2.

(64) « Carmina medi, aevi maxirnam partem inedita ex bibliothecis helveticis collecta edidit. H Hagen. » Bernae, 1877. Les poésies que M. Dumnlter attribue à Sedulius sont les huit premières du volume; mais les n° I, Il et VII sont seuls adressés à Tado. Dans le n° VII, le poète s'intitule Irlandais.

Collige Scottigenas, speculator, collige sophos.

Hagen, VII, v. 23.

(65) Soit avec les trois compatriotes qui l'accompagnaient quand il vint en Austrasie, soit avec d'autres Irlandais de passage à Liège, comme, par exemple, Dermoth et ses compagnons. Voyez pp. 13 et 14.

(66) Voyez la pièce XV de Grosse.

(67) Tous ces ouvrages se trouvent dans le tome XIX de la Patrologia latina de Migne On n'en pourrait faire l'analyse sans posséder des connaissances théologiques assez approfondies: voilà pourquoi je n'en dis ici que ce qui intéresse l'éducation littéraire de Sedulius.

(68) En voici quelques-uns: Doxa - Tholo - Schemata - Domata - Agone - Sophos - Allophylos - Bachanes - Cosmi - Sophia - Cataplasma, etc. MONTFAUCON (Paleographia Graeca, p. 33), rapporte que la Bibliothèque de l'Arsenal Paris possède un psautier grec écrit de la main de Sedulius Scottus.

(69) MULLINGER, The schools of Charles the Great: Alcuin.

(70) Graïam nescio Ioquelam, ignore Hebraïcam;

Tres aut quatuor in scolis quas didici syllabas,

Ex his mihi est ferendus maniplus ad aream.

Monum. Germ. Hist. Poetae medii Aevi. Poetae

Carolini Ed. Dummler, t. I, p. 43.

(71) Graecula graecisans ore sonora modes.

Grosse, XV, v. 16.

(72) Te canet arcitenens Ethiopissa mea.

Dummler, XVI, v. 18.

(73) «Has autem paucas de multis, divinas et humanas historias percurrens, vestrae, domine rex, excellentiae commonitorias obtuli litteras, etc. Sic et apes ex diversis floribus mella in utilitatem dominorum transitura colligunt, quibus gratissimos favos artificiosa dispositione componunt. » De rect. Christ., ch. 20.

(74) HERMES, I, 45. Art. Haupt.

(75) Voyez la note 75 de la page précédente.

(76) Allgerneine Geschichte der Litteratur des Mittelalters, 2° vol. Leipzig, 1880. - « Trina autem regula in consiliis est observanda, prima, etc. De rect. Ch. VI. - Septem speciosiora sunt aliis creaturis Dei, coelum innubiale..., sol in virrute sua..., luna in integrilate nudataque facie... .ager fructuosus..., varietas maris..., chorus justorum... rex pacificus in gloria regni sui... Ch. IX. - Decet trinam observare regulam terrorem scilicet et ordinationem atque amorem Ch. Il.- Sunt octo columnae quae fortiter regnum justi regis sustineant. Prima columna veritas est in omnibus rebus regalibus. Seconda columna patientia in omni negotio. Tertia, largitas in muneribus. Quarta, persuabilitas seu affabilitas in verbis. Quinta, malorum correctio arque contritio. Sexta, honorum amicitia atque exaltatio. Septima columna, levitas tributi in populos. Octava, aequitas judicii inter divites et pauperes. Ch. X. - Trinam pacis regulam conservare oportet, hoc est supra se, in se, juxta se. Ch. IX.

(77) Il est curieux d'entendre ce que Paul Diacre dit de cette manière de composer, qui pourtant fut aussi la sienne, et de l'influence qu'elle exerça sur la littérature du temps.

Angustae vitae fugiunt consortia Musae,

Claustrorum septis nec habitare volunt,

Per rosulenta magis cupiunt sed ludere prata,

Pauperiem fugiunt, deliciasque calunt:

Quapropter nobis aversae terga dederunt,

Et comitem spernunt me vocitare suum.

Inde est quod vobis inculta poëmata mitto.

Monum. Germ. Hist. Poetae medii Aevi. Poetae

Carolini Ed Dummler, t. I, p. 43.

(78) En voici quelques-unes:

Namque ferunt Lunam lanarum vellua amasse:

Pan, deus Arcadiae, vellere lusit eam. Dummler, XIX, v. 35-36.

Conf. Pan deus Arcadias captant te, Luna, fefellit. Georg. III, 392.

- Unus sed fuerat veluti latrator Anubis. Dummler, XIX, v. 77.

Conf. Omnigenumque deum monstra, et latrator Anubis. Aen, VIII, 698.

- idcirco bini frondea tecta petunt. DummIer, XIX, v. 86.

... et frondea semper

Conf. Tecta petunt... Georg IV, 61, 62.

- Laudibus egregii arma virumque sonans. Appendice, II, v. 14.

Conf. Arma virumque cano.. Aen, I, 1.

Outre ces réminiscences de Virgile, on trouve encore dans le De rectoribus ces deux vers de Claudien (De tertio consulatu Honorii):

O nimis dilecte Deo, tibi militat Aether

Et conjurati veniunt ad classia venti.

Une réminiscence d'Ovide dans la deuxième pièce publiée par Dummler, vers 2:

Sed tamen in nostro pectore fixe manes.

Conf. Et plus in nostro pectore parte tenes. Tristes, IV, 3.

(79) Voyez page 33, note.

(80) Voyez la pièce I de Grosse in initio.

(81) Syrmate purpureo glaucisque venusta capillis

Oscula da labiis Sedulio roseis.

Musigenum plectro citharizans textito carmen

Permulcens aures nobilis Hartgarii. Grosse, 1. v. 4-9.

(82) Daphnis amoenus adest pastor bonus atque beatus; Dummler, IV, v. 5.

(83) II dit, en parlant de sa tristesse à propos de l'absence d'Hartgar

Ast ego maestificus tristabar musicus Orpheus,

Eurydice liquit me quias sponsa mea. Grosse, XV, v. 11, 12.

(84) An vos puniceis nobis avexerat alis

Splendides Aurorae currus amorque volans?

Te magis elegit, terrarum nobile sidus

Ac Tithona suum spernit amore tui. Grosse, I, v. 52-57.

(85) Agnus ut altithronus pro peccatoribus acrem

Gustavit mortem filius ipse Dei,

Carpens mortis iter, canibus laceratus iniquis:

Pro latrone malo sic, pie multo, perte.

Dummler, XIX, v. 116-121.

(86) En voici deux exemples curieux:

Rot - bone sint nobis per te solacia - berte.

Dummler, XVIII, v. 3.

Urbs colit es felix quam deus atque dea.

Dummler, XXXII, v. 14.

(87) On lit, par exemple, dans la pièce intitulée De adventu imperatoris Lotharii:

Corde gaudemus hilares sereno

Dum redit caesar lenis ac serenus

Conferens secum bonitate dulcis

Gaudia pacis.

Dummler, XXVI, y. 1-5.

Début qui se retrouve presque textuellement dans la pièce Ad Leutbertum episcopum

Corde laetamur hilares sereno

Dum redit praesul decus atque blandus

Conferens secum populo benignae

Gaudia pacis. Dummler, XXVIII, v. 1-5.

Comparez encore Grosse, I,15 av. VI, 20. - VIII, 27 av. V, 1. - (Ces deux pièces à Charles le Chauve). - Dummler, XXII, 3 av. XXVII, 23. - L'une de ces pièces à Hartgar, l'autre composée à l'occasion de ta fête de Pâques). - DummIer, XXXII, 31, 32 av. Grosse, XIV, 21, 22 (la seconde pièce à l'archevêque de Cologne Gonthar), etc.

Rosa.

« Sum soror Aurorae divis cognata supernis

Et me Phebus amat, rutili sum nuncia Phebi.

Lucifer ante meum hilarescit currere vultum,

Ast mihi virginei decoris rubet alma venustas.»

Lilium.

« Talia cur tumidis eructas verba loquelis,

Quae tibi dant meritas aeterno vulnere penas?

Nam diadema tui spinis terebratur acutis,

Eheu! quam miserum laniant spineta rosetum! »

Rosa.

« Ut quid deliras verbis, occata venustas,

Quae tu probra refers plena sunt omnia laude.

Conditor omnicreans spina me sepsit acuta

Muniit et roseos praeclaro tegmine vultus. »

Lilium.

« Aureoli decoris mihi vertex comitur almus

Nec sum spinigera crudelis septa corona.

Profluitat niveis dulci lac ubere mamnmis,

Sic holerum dominam me dicunt esse beatam. »

Poeta.

« Tune Ver florigera juvenis pausabat in herba,

Olli tegmen erat pictum viridantibus herbis,

Ipsius ad patulas redolebant balsams nares

Floripotensque capot sertis redimibat honoris. »

Ver.

« Pignora cara mei, cur vos contenditis? inquit,

Gnoscite vos geminas tellure parente sorores.

Num fas germanas lites agitare superbas?

O rosa pulchra, tace, tua gloria claret in orbe,

Regia sed nitidis dominentur lilia sceptris.

Hinc decus et species vestrum, vos laudat in aevum.

Forma pudiciciae nostris i osa gliscat in hortis

Splendida Phebeo vos lilia crescite vultu.

Tu rosa martiribus rutilam das stemmate palmam,

Lilia virgineas turbas decorate stotatas. »

Dummler, XL, v. 12-43.

(88) Grosse, I.

(89) Cette supposition est autorisée parce que nous savons des rapports entre l'empereur et l'évêque. Sedulius nous apprend que Lothaire I vint deux fois à Liège sous Hartgar: une fois pour célébrer la Pâque (Dummler, pièce XXV), l'autre fois après une victoire sur les Normands (Ibid, XXVI). Les Regesta de Bohmer ne parlent pas de ces deux passages de Lothaire à Liège.

(90) Aurea lingua cluit triplicis eui famine vocis. Grosse, t. I, v.27.

(91) Daphnis amoenus adest, pastor bonus atque beatus. Dummler, IV, v. 5.

(92) Musigenun plectro cithsrizans textito carmen

Permulcens aures nobilis Hartgarii.

Est pius ille melis condignus laude canoris,

Europae sidus nobitlitasque potens.

Aureus est ramus florens virtutibus almis

Egregiusque niet moribus et specie...

Ingreditur scalam quae surgit in alta polorum,

Moribus et verbis instruit ipse greges.

Qui pastorsli disponens omnia cura

Eripiens agnos arcet et ipse lupos.

Pectora cui redolent flaventia musta sophiae

Oreque doctiloquo mellea dona fluunt.

Cui micat in vultu vernantis gratis formae,

Spleudida sed menti gratia major inest.

Ipsius in facie linguosi rhetoricantes,

Strophosusque loquax quo resonante silet.

Grosse, I, v. 6-13. - 16-27.

(93) Nec non consensu populi magnique senatus

Ad hoc eligitur nobilis Hartgarius. Grosse, XV, v. 53, 54.

(94) Sint vestri comites protectoresque fideles

Caelicolum proceres, sancta caterva poli.

Dummler, II, v. 29, 30.

(95) Nos iter adripimus brumali tempore canum

Per niveos campos per vitreasqua vias.

Grasse, XV, v 65, 66.

(96) Exultant cuncti, laetatur maxima Roma

Pacis adest clamant angelus atque sator.

Grosse, XV, v. 99, 100.

(97) Tunc mox secretis Cephas nostarque loquellis

Angelica lingua mystica verba serunt.

Grosse, XV, y. 107, 108

(98) Urba remigramus transactis ordine rebus

Ver pictum ridet floreque purpureo.

Grasse, XV, y. 127.

(99) Voyez dans le Jahrbuch für Vaterländdische Geschichte (Wien, 1861), Fünf Gedichte des Sedulius Scottus an den Markgrafen Eberhard von Friaul, ed. E. Dummler.

(100) Il est fait mention dans le testament d'Eberhard (écrit en 887) des livres de la chapelle de ce personnage; il n'est pas sans intérêt, me semble-t-il, de donner ici ce catalogue d'une bibliothèque du IXe siècle. Sans compter les livres sacrés, bibles, psautiers, évangéliaires, etc., Eberhard possédait:

Liber St Augusti de verbis Domini. - Liber de lege Francorum et Lango bardorum et Alamannorum et Bavariorum. - Liber rei militaris (donné par Hartgar). Liber de diversis sermonibus qui incipit de Elia et Achab. - Liber de utilitate poenitentiae. - Liber de constitutionibus principum et edictis imperatorum. - Synonima Isidori. - Liber de quatuor virtutibus. - Liber bestiarum. - Cosmographia ethici philosophi. - Liber de civitate Dei. - Liber de verbis domini (St Aug.). - Gesta pontificum romanorum. - Gesta Francorum. - Libri Isidori, Fulgentii, Martini. - Liber Ephrem. - Synonima Isidori (2e exempl.). - Liber glossarum et explanationum et dierum. - Expositio super epistolas Pauli (par Sedulius). - Liber de verbis domini (2e exempl.). - Liber super Ezechielem prophetam. - Dictionarium de epistolis et evangeliis. - Vita St Martini. - Liber Aniani. - Volumen septem librorum magni Orosii Pauli. - Libri St Augusti. - Libri Hyeromini presbyteris. - Smaragdus. - Collectaneum. - Fulgentius. - Vita St Martini (2e exempl.). - Physionomia Loxi medici. - Ordo priorum principum. - Vitae Patrum. - Liber de docirina St Basilidis. - Apollonius. - Synonima Isidori (3e exempl). - Lex Langobardorum. - Liber Alguini ad Eridonem comitem. - Liber qui incipit a sermone St Augusti de ebrietate. - Liber de quatuor virtutibus (2e exempl.). - Enchiridion St Augusti. - Eberhard partage ces livres entre ses quatre fils Unruoch, Bérenger, Adaland et Rodulf et ses trois filles Ingeldrud, Judith et Herlvinch. - Spicilegium. Historia ecclesiae Cisoniencis, p. 876.

(101) Voyez la note précédente.

(102) Voyez la pièce intitulée Hartgarius episcopus ad Eberhardum. DUMMLER, Jahrbuch, 1, 184.

Chose curieuse! Le septième vers de cette pièce parait inspiré du fameux vers d'Ennius: At tuba terribili sonitu taratantara dixit

le voici: Hic tuba terribili sonitu clangore remugit.

(103) Voyez APPENDICE, n° XIX.

(104) Voyez page 26. (Une telle faveur ne manqua pas de susciter des envieux...)

(105) AMPÈRE, Hist, litt. de la France sous Charlemagne, ch. XIII.

(106) Vita Caroli magni auct. Einhardo, ch. XXXII « ... basilica, malumque aurum, quo tecti culmen erat ornatum. »

(107) Vestri tecta fluent luce serena

Florent arte nova culmina picta. Grosse, II, v. 1, 2.

(108) Mox glaucae vitreae sintque fenestrae. Ibid., v. 42.

(109) Rident atque tholo multi colorum. Ibid., v. 3,

(110) Sedulius dit de sa demeure en la comparant à celle d'Hartgar:

Absis nonque micat compta tabellis. Ibid., v. 15.

(111) Il demande de même pour sa maison, toujours en la comparant au palais d'Hartgar: Sit clavisque recens ac sera firma. Ibid., v. 41

(112) Haec in honore nitet Petri Paulique choruscans,

Virginis et Mariae hanc sacrum nomen honestat

Aedem ilucifluam sparso ceu flore refertam

Sanctorurn reliquusque chorus haec tecta sacravit.

Dummler, XX, y. 9-13.

(113) Hanc paradisiacam vernantis schematis aulam,

Florigeras species ista quas cernis in aede

Inclitus Harigarius, praesul lampabilis actu,

Aethereae Solimae sacro dum flagrat amore,

Hoc vario specimen jussit splendescere cultu.

Haec domus est domini vitreis oculata fenestris.

Dummler, XX, v. 1-7.

(114) In hoc altari sanctorum gloria pollet,

Quod sacros claudit thesauros reliquiarum...

Hanc aram decorat genetricis honorque Mariae

Virginis altithroni paradisi scaptra tenentis.

Dummler, XXI, v. 1-3, 4-7.

(115) Tuncque Golias obiit superbus

Magna qui belli fuerat columna

Ceteri cedros simulabant altas

More Cyclopum.

Testis est Rhenus fluvius bicornis

Grosse, III, v. 24-30.

(116) Stella venusta micat, Drogonis maxima cura.

Dummler, X, v. 13.

(117) Mitte, Mosella, virum nobis huc, mitte beatum,

Pulchrum Karoliden spemque decusque pium.

Grosse, XVI, v. 15, 16.

(118) Sedulius a chanté une victoire de Francon sur les Normands. Dummler, XXIX..

Voyez sur cet évêque FOLCUINI, Gesta abbat. Lobiens., ANSELMI, Gesta pontif. Leod. REGINONIS, Chronicon ad an. 881, 898 et Bertiniani Annales ad an. 865, 869, 870.

PLAN DU SITE