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GENS DE LIEGE

Les liégeoises du moyen-âge

par DEMARTEAU

Rappeler en détail les qualités aimables qui distinguent aujourd'hui les femmes liégeoises, ce serait, pour mes lectrices, répéter chose qu'elles ont souvent entendue, pour mes lecteurs prêcher des convertis. Peut-être me saura­t-on plus de gré de consacrer quelques pages à leurs aïeules. Il ne nous sera pas difficile d'en causer sans médisance: il y a six ou sept cents ans qu'on leur faisait la cour! Puis, les vertus qui les caractérisaient, la bonté, le courage, le dévouement, la piété sont de celles qui ne vieillissent pas et de celles aussi qu'on peut signaler dans le passé sans, par là, critiquer le présent.


I.

Est-il besoin de rappeler, en commençant, dans quel état d'infériorité la femme était tenue partout, avant la venue de Jésus-Christ? Chez les nations les plus civilisées, la plus grande partie des hommes - des femmes plus encore - étaient des esclaves, c'est-à-dire une chose dont le propriétaire payen faisait ce qui lui plaisait, séparant à son gré la fille de sa mère, la mère de ses enfants, l'épouse de l'époux, pour la livrer à un autre mari, puis à un autre encore, autant de fois qu'il en avait la fantaisie; pour l'employer comme une bête de somme, la vendre quand il en était mécontent, la laisser mourir de misère ou même, s'il n'imaginait plus d'en tirer d'autre parti, la jeter en nourriture à ces poissons féroces appelés des murènes.

Le sort des femmes libres ne valait guère mieux; excepté les courtisanes, elles n'avaient de libre que le nom! La philosophie la plus renommée prenait à témoin tous les faux dieux qu'elles étaient d'une nature bien inférieure à l'homme; leurs pères eurent longtemps droit de vie et de mort sur elles, leurs maris eurent toujours celui de les abandonner sous le plus futile prétexte. L'un des plus grands sages de Rome, Ciceron, renvoya, de la sorte, je ne sais combien d'épouses; et le plus célèbre orateur de la Grèce, Démosthènes, trouvait tout naturel de le constater « Nous avons une femme pour nous donner des enfants... d'autres pour nous donner du plaisir! »

Si telles étaient les nations civilisées, qu'on juge ce que devait être les nations barbares, et notre pays n'était habité que par des barbares quand Jésus-Christ vint relever la femme de cette abjection, enseigner qu'elle était l'égale de l'homme et dire à celui-ci: Tu lui dois plus de respect qu'à toi-même! Les apôtres répandirent cet enseignement nouveau dans l'univers entier, et dès le premier siècle, un envoyé de saint Pierre vint prêcher à nos aïeux, suivant les termes de saint Paul, d'aimer leurs femmes comme Jésus-Christ avait aimé l'Eglise, son épouse, sans l'abandonner jamais, en poussant la fidélité pour elle jusqu'à lui donner sa vie! La gloire de ramener à l'Evangile et à ses croyances sacrées les derniers payens de notre pays fut celle, de nos apôtres des débuts du VIlle siècle; la lutte, les efforts sauveurs de l'Eglise avaient donc duré six siècles!

Six siècles, ce n'est pas assez dire; pour implanter dans notre sol le respect dû à la femme et cette loi sacrée qui seule peut garantir ce respect, la loi de l'indissolubilité du mariage, il a fallu plus et mieux que six siècles: il a fallu des martyres! C'est, par exemple, pour avoir protégé la dignité de la femme contre les caprices honteux des puissants, - c'est pour l'avoir sauvée du retour de la servitude et des avilissements payens, que saint Lambert a péri, frappé par la vengeance de la concubine de Pepin de Herstal.

Aussi, quand, dans ces provinces wallonnes dont la nationalité a germé du sang de l'apôtre-martyr, une mère s'incline sur le berceau joyeux d'un nouveau-né, souriante et sans crainte, parce qu'elle sait qu'aucune puissance humaine ne peut maintenant arracher à la jeune famille cet époux, son chef et son soutien; - quand la blanche fiancée monte à l'autel, et place avec confiance sa main tremblante dans la main de l'époux, assurée qu'elle est de l'inviolabilité du lien qui va les unir, et que l'appui de cette main loyale ne lui sera jamais retiré, - la mère, la fiancée devraient toujours s'en souvenir: un glorieux martyr a conquis à la femme liégeoise cette sécurité triomphante: le martyr qui scella de son sang la page de l'Evangile où Dieu lui-même, mesdames, avait inscrit vos droits!

Or, le martyr catholique n'aide pas seulement au triomphe général de l'Eglise; - dans cette Eglise même, il assure une victoire décisive, une revanche plus éclatante, à celle des vertus chrétiennes, à celle des institutions de la foi, à celui des principes sauveurs, pour la défense desquels son sang généreux a coulé. Ce pontife a succombé pour la cause de l'indissolubilité du lien conjugal et de la dignité de l'épouse chrétienne: la mémoire de son immolation entretiendra parmi les générations qui vont se succéder au lieu de son supplice, un respect plus grand pour les femmes et les mères, - et parmi celles-ci mêmes une vertu plus haute, plus de mérite, plus de sainteté que nulle part ailleurs:

« Les femmes de Liège », - disait il y a trois siècles un écrivain, de Glen, qui s'occupait des modes cérémonies et façons de son temps, car on s'occupe de modes depuis notre mère Eve, - « les femmes de Liège méritent grand honneur, parce qu'elles ne sont pas trop curieuses de la beauté du corps, ou de se parer, farder, orner, déguiser, mais sont fort recommandables de pudicité et de chasteté, et très diligentes aux oeuvres pieuses et laborieuses, car elles gouvernent non-seulement les enfants et le ménage, mais encore la boutique, le trafic, achètent et tiennent registre des mises et des recettes, sont courageuses, endurcies au travail. »

Et en face des folies de la révolution française, qui ne fut l'oeuvre que des hommes, hélas! - un écrivain humoristique, le Troubadour liégeois, Delloye, résumait ainsi l'histoire de ces dames: Les dames liégeoises, sous tous les régimes et sous tous les rapports, ont montré plus de tête, plus de tact, plus de judiciaire, plus de perspicacité, plus d'activité, plus de courage, plus de vertu, enfin plus de vrai mérite que leurs barons, leurs bonshommes... ou leurs babaux! »

Inclinons-nous devant cet arrêt, et permettez-moi d'ajouter qu'il était juste, en tous cas, il y a six cents ans.

C'est au début de ca XIIIe siècle, en effet, que l'évêque Foulques de Toulouse, arrivé au pays de Liège pour y prêcher la croisade contre les Albigeois, ne se lassait point d'exprimer au cardinal Jacques de Vitry son admiration pour les vertus et la foi de nos aïeules: « J'ai quitté - lui disait-il, en comparant nos mères aux femmes de la France, son royaume, - j'ai quitté l'Egypte et traversé le désert pour trouver au pays wallon la terre promise des vertus féminines! »

Ce n'est pas à dire qu'alors tout fut parfait chez nos pères: non! Un des plus anciens règlements de police de la bonne ville de Liège - il date de 1349 - est connu sous ce titre: Lettre du prévôt touchant les rixes des femmes... Cette pièce a pour auteur le prévôt de la cathédrale de Saint-Lambert et parut - d'après son texte - « à l'occasion des batailles, contentions et rixes des femmes en ladite cité et dans les paroisses de Sainte­Foi, Saint-Thomas, Saint-Séverin, Saint-Servais et Saint-Remacle-au-Mont, » On y rappelle ou l'on y détermine la part attribuée soit à l'autorité ecclésiastique, soit à l'autorité communale, dans la répression de ces rixes... Désormais, les affaires où le sang aura coulé seront abandonnées à la police municipale; les calomnies, laids dits, battures sans épanchement de sang, se fût-on même empoigné et déchiré, seront déférés au prévôt de St-Lambert, au curé de la paroisse ou au tribunal des anciens choisis dans chaque paroisse par l'accord du curé et des fidèles! Ce n'était pas trop sans doute des forces réunies de l'Eglise et de la police pour mettre à la raison ces turbulentes commères.

Quant aux peines à leur appliquer, elles n'étaient pas tendres, et ce détail donne à croire qu'on ne devait pas souvent y recourir; c'étaient des amendes ou des pèlerinages, amendes élevées ou pèlerinages éloignés suivant l'importance du cas: dans les cas les plus graves, la victime battue avait le droit de désigner elle-même le pèlerinage; dans les autres cas, la batture sans épanchement de sang, mais avec empoignement et déchirure d'habits, s'expiait par un voyage à Vendomes; les laids dits, par une visite à Notre-Dame de Walcourt. Une femme n'était pas reçue à satisfaire la justice au lieu et place de son mari; par contre, à Liege, comme à Maestricht et ailleurs, on admettait galamment qu'un mari payât l'amende et fit le pèlerinage ou la prison pour sa femme.

On croyait naïvement dans ce temps qu'un peu plus de prières, une excursion aux graves réflexions ou une bonne retraite ne pouvaient être que chose fort utile pour ces pauvres maris.

Si la peine, d'ailleurs, n'était accomplie par aucun des époux, la délinquante se voyait priver des droits de bourgeoisie, exiler pour un temps du pays; et si elle s'aventurait à y rentrer avant le terme fixé, une loi, fort peu respectueuse pour le beau sexe, ordonnait tout simplement de lui couper une oreille! Une oreille, vous avez bien entendu! L'auteur d'un manuscrit inédit, jurisconsulte vieux garçon, fort envenimé, ce semble, par un célibat involontaire, prétend même qu'il fut question de retrancher la langue au lieu de l'oreille; mais le changement ne fut pas admis: On craignit, prétend-il, que, s'ils n'avaient vu leurs femmes exposées qu'à perdre la langue, les maris ne se fussent plus aussi facilement prêtés à subir la peine pour elles.

Il faut se souvenir, au reste, pour juger cette époque, qu'à l'inverse d'à présent, on avait plus d'égards alors pour l'âme dû prochain que pour son corps: mais en somme les usages de l'industrie, les moeurs et les lois traitaient la jeune fille, l'épouse, la mère, avec plus de respect qu'aujourd'hui.

On n'avait pas à discuter, en ce temps, l'inconvenance ou la nécessité d'employer les femmes dans la bure: elles n'étaient admises à prendre part dans les houillères qu'aux travaux de la surface. - Les ouvriers même veillaient à ce qu'aucune créature souillée, ne le fût-elle que par l'irrégularité de sa naissance, n'apparût parmi leurs honnêtes compagnes. Composés de gens du peuple, nos bons métiers n'en gardaient pas moins des traditions d'honneur délicat et de noblesse chrétienne: les tanneurs, par exemple, expulsaient de leur corporation et privaient du droit d'exercer le métier celui d'entre eux qui se laissait aller à épouser une femme d'origine incorrecte ou de mauvais renom, ils ne donnaient au déchu qu'un an tout juste à partir de cette union pour écouler ses marchandises.

La vivacité pratique des statuts de Maestricht allait plus loin; elle autorisait le premier venu à repousser d'un soufflet, pour l'écarter du chemin, tout ribaud en train de faire ou de dire chose malhonnête à une honnête femme.

Nos pères n'avaient pour l'immoralité publique aucune de ces tolérances qu'on proclame être les nécessités d'un siècle libéral! Ils enfermaient dans une maison de correction la femme dont l'inconduite devenait notoire; ils expulsaient de la terre de St-Lambert les victimes incorrigibles du concubinage; ils punissaient le rapt d'un banissement irrévocable et ils n'imaginaient point qu'une législation inique, inspirée parla révolution française, en viendrait à n'imputer qu'à l'un des deux coupables d'une faute commune, et au moins coupable souvent, la responsabilité, les suites de cette faute! La recherche du séducteur était l'un des premiers devoirs de leurs tribunaux ecclésiastiques, et quand ils avaient saisi ce coupable, ils exigeaient s'il était, dans une condition égale, arrivé à ses fins, par une promesse de mariage, que cette promesse fût tenue; - qu'en tout cas la malheureuse mère d'une famille sans chef ne fût pas condamnée seule, à l'expiation d'en supporter la charge.

Un dernier trait achèvera de rendre le caractère de leur Code pénal. Il y avait telle occasion où ils se faisaient une loi de laisser exercer par la femme ce droit de gracier les coupables que nous ne reconnaissons plus qu'à nos Rois: quand un condamné à mort rencontrait sur le chemin du supplice une jeune fille qui consentait à l'épouser, sa grâce était certaine: il n'avait plus, au lieu de marcher à l'échafaud, qu'à marcher à l'autel! D'où le jurisconsulte, célibataire envenimé, que je vous citais tout à l'heure, prend texte encore pour demander fort mal à propos: « Aurait-il advisé à nos pères que le mariage en maints cas est pénitence assez rude? « Daignent me pardonner mes lectrices: je ne citerai plus un mot de cet affreux juriste…

A vrai dire, la situation que le mariage faisait aux époux reflétait plus complètement qu'aujourd'hui des idées chrétiennes.

Sans doute, les coutumes de nos pères exigeaient peut-être de leurs épouses un peu plus de soumission qu'à présent; leur législation s'inspirait de leur théologie, qui expliquait fort bien que si la première femme a été tirée, non de la tête, ni des pieds du premier homme, mais de son côté, c'est qu'elle ne devait ni lui commander, ni être foulée sous lui, mais marcher sous sa protection, côte à côte, appuyée sur son coeur. En dehors de conventions spéciales, le mari liégeois du XIIIe siècle devenait donc le maître de la propriété commune; la femme ne conservait en propre, suivant l'expression de nos pères - que le ciel et son fuseau; les plus courtois ajoutaient et ses objets de toilette. Elle ne pouvait même, hors le cas de mort prochaine disposer par testament qu'avec l'autorisation du mari. En revanche, qu'il y eût ou non descendants du mariage, la femme, à la mort de l'époux, recueillait toujours toute la part mobilière de l'héritage avec tout l'usufruit des immeubles. Bien plus à défaut de stipulations formellement contraires, en cas de décès ab intestat du chef de la communauté, à la veuve aussi revenait la propriété des immeubles du défunt, qu'ils fussent acquets d'après le mariage ou patrimoine d'avant. Et dans le Code, les Assises, qu'un des plus célèbres enfants du pays donna au royaume qu'il avait conquis à Jérusalem, Godefroid de Bouillon résumait dans une phrase admirablement chrétienne la raison de cette préférence, accordée à la femme sur les parents, sur les fils mêmes du défunt: « Nul homme, disait-il, n'est aussi proche parent du mort que son épouse. »

N'allez pas croire, d'ailleurs, que ces lois aient sacrifié les enfants à l'avarice ou aux dissipations éventuelles d'une mauvaise mère: la veuve, toute propriétaire vraie qu'elle fût de l'héritage, n'en pouvait aliéner les immeubles que si cette aliénation était nécessaire à sa subsistance honorable. Assurée de cette subsistance, elle avait l'obligation de garder à ses enfants le patrimoine de leur père. N'était-ce pas là combiner et respecter tous les devoirs, tous les droits, et ce régime ne valait-il pas bien, pour assurer la dignité de l'épouse et l'autorité de la mère, les combinaisons alambiquées sorties de la grande cornue des législations modernes ?


II.

Quittons cependant ces régions vagues du droit pour pénétrer sous le toit de nos aïeules, les surprendre à leur foyer et saluer de plus près bourgeoises et châtelaines du temps.

La jeune fille atteignait sans doute plus rapidement alors qu'aujourd'hui l'âge nubile. Je pourrais dresser une longue liste de nobles jouvencelles et de saintes femmes mariées à 14 ans, mères de famille à 16. Il fallait être, et cet âge l'explique, femme suivant l'expression de nos pères, « femme du petit régiment », pour se marier contre l'avis des parents, - ou chose non moins réprouvée par les auteurs du temps « sans le conseil de ses amis ».

Quoi qu'on ait dit de la façon dont les nobles, en ces jours lointains, s'isolaient des bourgeois par leurs alliances, il y eut au pays de Liège - ou d'ailleurs la noblesse de l'époux ennoblissait la femme jusque dans le veuvage - bien des unions entre gens de classes diverses, unions inspirées souvent par des motifs qui n'ont pas perdu leur force aujourd'hui:

« En cas d'un gentilhomme, écrit un vieil auteur liégeois, nommé de Malte, s'il se trouvait nécessiteux et qu'il faille de l'argent pour redresser sa famille, qui succomberait peut-être sous le faix de ses créanciers, il aura fait une bonne et judicieuse alliance, s'il a l'adresse d'épouser une opulente bourgeoise, et ce sera en lui une marque d'esprit et de conduite, plutôt qu'une note d'infamie !»

« Au reste, - comme l'écrit ailleurs ce même auteur ­ en matière de mariage on y vient dans les formes; il y a, en toutes choses du monde des chemins qui mènent où l'on va, et tout ainsi qu'un bon joueur de luth ne peut rien faire d'harmonieux s'il n'éprouve si ses cordes se peuvent accorder; ainsi, pour bien réussir en mariage, la vue fréquente, c'est-à-dire la conversation est un point nécessaire pour reconnaître l'union des esprits, et sans ce prélude, la pièce qu'on joue est souvent sans accord. »

L'accord parfait s'établissait parfois, au XIIIe siècle comme au XIXe, sans qu'on y songeât de part ni d'autre. A preuve l'histoire du mariage dont devait sortir la noblesse de Hesbaye. Le vieux Jacques de Hemricourt, son historien du XIV siècle, raconte que Libert de Warfusée avait épousé, dans les premières années du XIIe siècle, Agnès, héritière d'Hermalle, des Awirs et d'Engis: « Ces conjoints, poursuit-il, s'aimèrent loyalement et furent tellement fortunés qu'ils acquirent ensemble seigneuries sur seigneuries et plus de douze cents bonniers de terre, dans le terroir de ces seigneuries. » Le Ciel ne leur donna qu'un enfant, une fille du nom d'Alix. Alix était bien jeune encore quand elle perdit sa mère, ce dont le mari eut si grande détresse de coeur qu'il faillit en mourir de deuil. Aussi quand les supplications de ses amis et de sa fille surtout, qu'il aimait à l'excès et qui tendrement le réconforta, lui eurent rendu quelque courage, il promit de ne plus porter les armes, mais de se faire prêtre et de prier, tout son vivant, pour l'âme de sa femme. Il se fit donc ordonner et célébrait souvent la messe et l'office divin, soit dans la chapelle de son castel de Warfusée, soit dans quelqu'un de ses châteaux, mais ne diminua en rien pour la cause le train de sa maison. Il continua de recevoir force visites, comme étant le chef de son lignage, et il garda même telle charge de chiens et d'oiseaux, que c'était merveille de voir ce qu'il pouvait dépenser et ce qu'il donnait pour Dieu, en charités.

« Il faisait aussi, par maîtresses spéciales, élever sa fille en grand état, et lui faisait apprendre tous les ébattements que nobles demoiselles doivent savoir: ouvrer l'or et la soie, lire heures et romans de bataille, jouer aux échecs et aux tables (dames). Elle était endoctrinée et enseignée d'ailleurs en toutes autres bonnes vertus, à ce point qu'on ne pouvait aisément trouver sa pareiIle; belle de plus, et gracieuse de toutes façons; aussi son père l'aimait-il tendrement et recevait-il d'elle grande récréation de ses douleurs.

« Il y avait, en ce même temps, un noble chevalier, nominé Raes à la Barbe, père du comte de Dammartin, en Gaule: ce chevalier encourut, je ne sais pour quel forfait, l'indignation du roi Philippe de France, fut banni et expulsé du royaume. Il en partit avec très-grand avoir, garni de grand nombre de joyaux, de chevaux, de domestiques, et s'en vint séjourner à Huy. Là, il menait grand train, avait chasseurs, fauconniers, chiens, oiseaux à plantée, et pour se délasser allait souvent à la pèche ou en chasse. Il advint donc qu'un jour qu'il s'était mis de bon matin à la poursuite du gibier sur les terres de Warfusée, il entendit, sur l'heure presque du dîner, sonner la clochette de l'élévation dans la chapelle du château; il chevaucha devers ce côté pour révérer le sacrement, mit pied à terre et pénétra dans la chapelle; le chapelain du seigneur de Warfusée y célébrait la messe, et le sire se tenait moult révérencieusement dans sa stalle, en grande dévotion.

« L'élévation achevée, le sire regarda de côté, aperçut le chevalier étranger, et l'envoya prier à dîner avec lui, ce que l'autre octroya. Après la messe, le sire de Warfusée s'en fut prendre son invité par la main, lui fit accueil moult honorable en s'enquérant de son état, et tout parlant le reconduisit dans l'intérieur de son château; là, il ordonna de dresser les tables et qu'on lui amenât, pour fêter l'hôte étranger, cette belle Alix qui faisait toute sa joie. La demoiselle vint aussitôt, au commandement de son père, et bien enseignée qu'elle était se dirigea vers le chevalier, lui souhaita gracieusement la bienvenue et lui tint compagnie mûrement et sagement, en fille bien endoctrinée. Le bon sire de Warfusée les fit asseoir l'un près de l'autre à table et fêta largement de ses provisions et de la grande joie de son coeur le chevalier étranger et sa suite, émerveillés de cette hospitalité.

« Après qu'on se fût, au sortir de table diverti à plusieurs sortes d'ébattements, messire Raes remercia le seigneur de Warfusée et sa fille de l'honneur et de la bonne compagnie qu'ils lui avaient faits, prit congé d'eux et se disposa courtoisement à partir. Au départ toutefois, le bon seigneur pria son hôte de lui rendre visite chaque fois que ses chemins le porteraient de ce côté, car on ne pouvait, disait-il, lui faire mieux plaisir qu'à le visiter et à lui tenir société. Et lui, déjà surpris de l'amour de la belle damoiselle Alix, accepta de grand coeur, et tant revint-il à Warfusée qu'après qu'on se fut informé l'un de l'autre le mariage se fit entre le dit Monseigneur Raes à la Barbe de Dammartin, en Gaule, et la dite damoiselle Alix. »

Et l'on ne sera pas surpris que de ces deux conjoints soit descendue à peu près toute la noblesse de la Hesbaye du XIlle siècle quand on saura qu'un seul de leurs petits­fils, messire Raes, seigneur de Warfusée, vécut jusqu'à 100 ans et porta le dernier de ses fils au baptême, pré­cédé d'une escorte de 49 autres; - qu'un autre seigneur, Gilles Polarde, put le premier dimanche de carême de l'an 1221 compter à sa table 22 enfants bien portants et de bon appétit; qu'en ce temps dame Ive de Montferrant n'allait en visite qu'accompagnée de ses 11 filles et sut trouver à chacune un mari noble et riche. Le moyen, s'il vous plaît, de ne pas se rendre maître d'un pays quand on s'entend pour le peupler de la sorte?

Les mères de famille de ce temps devaient être, comme le rapporte leur histoire, « femmes vaillantes et de grand gouvernement. » Tandis que leurs nobles époux couraient les tournois, guerroyaient soit pour leur compte, soit au service des rois étrangers et, dépensant autant d'écus qu'ils ramassaient de gloire, engageaient même, pour payer les frais de l'expédition, « agrafes de grand prix, pierres fines, boutonnières de perles, vaisselle d'argent, » voire terres et châteaux, - leurs dames avaient fort à faire au logis pour tenir le ménage en ordre et le budget en équilibre. Ne vous représentez pas les châtelaines du XIlIe siècle dans le nonchaloir d'une fainéantise aristocratique: aux jours de fêtes, elles savaient apparaître dans le brocart et les pierreries; aux jours ordinaires, elles étaient femmes d'affaires et fermières entendues... Permettez-moi de vous présenter, par exemple, à la noble dame de Gilles Mauclere d'Hem­ricourt.

Son époux était l'un des plus rudes chevaliers de l'époque; c'est lui qui, assailli par surprise, renversé et désarmé, entendit le Vilain de Jardegnée, son vainqueur, lui adresser cette demande: « Je vous conjure par M. Saint-Georges de dire ce que vous feriez de moi si j'étais en votre pouvoir comme vous êtes au mien? Par le même serment que tu m'as conjuré, répondit Mauclere, tu mourrais de cette main qui en immola bien d'autres! - A Dieu ne plaise, reprit aussitôt le Vilain, que périsse un si vaillant homme. » Et il le releva lui demandant son amitié.

« Mauclerc mit donc - raconte son histoire en un langage naïf et pittoresque - toute son entente à chercher en tous pays les occasions de signaler son courage et y dépensa grands trésors; mais si grand argent qu'il perdit sa femme en son absence en savait épargner plus; c'était une fière ménagère et qui s'entendait surtout à élever de beaux troupeaux. Elle avait en maints endroits de Hesbaye bêtes à laine sans nombre et bestiaux à l'engrais, - ce dont ne savait rien son mari: aussi, quand il voulait s'en aller à l'étranger ou aux tournois, il engageait terre, joyaux, vaisselle d'argent, et madame sa femme y consentait, afin qu'il hésitât dans la suite à faire d'autres emprunts et qu'il ne s'aperçut pas comme elle le gouvernait. Le bon sire d'Hemricourt ne savait donc payer au jour fixé le rachat de ses terres et joyaux et croyait souventes fois les avoir perdus; mais la bonne dame racquérait le tout, et, quand pensait être le sire tout dépouillé de son avoir, il se trouvait, à son insu, multiplié en honneur et richesse! Or, il arriva une fois que ce bon sire revint par Maestricht d'un tournoi qui avait été donné entre Juliers et Alden-Hove. Se prenant à remonter le Geer pour raller à Hemricourt, il aperçut sur les pâturages d'Oreye un beau troupeau de brebis et s'enquit au berger à qui elles appartenaient: - « A Mme de Hemricourt! » Et le sire en fut bien surpris. Chevauchant plus avant, vers Moumale, il en trouva un autre aussi beau; semblablement arainat le berger, et semblablement en reçut la reponse: « A Mme de Hemricourt ! »

« Adonc se prit à considérer le sire que puisqu'il avait d'aventure, rencontré sur sa route deux troupeaux à sa femme, elle en pouvait avoir plantiveusement en beaucoup d'autres lieux. - De quoi il s'émerveilla fort. Et de là, quand il revint à son hôtel, arainat-il madame sa femme de la sorte: « Ah ça, madame, j'ai dépensé tout le mien, ce me semble, mais ainsi n'avez-vous pas fait; vous faites achats, vous avez le nom d'être riche, et moi d'être un pauvre homme tout endetté ! »

« Fort peinée et fort effrayée de ce langage, la bonne dame qui l'aimait beaucoup et le craignait un peu, lui répondit: - Cher doux sire, Dieu nous a gardé de dettes et de pauvreté: louange à Lui! Mais vous ne pouvez être pauvre sans moi, ni moi riche sans vous! » Sur quoi, le sire la voyant triste et désolée, lui dit, riant pour la remettre: « Dame, j'ai tantôt trouvé sur mon chemin deux beaux troupeaux de brebis qui sont vôtres, m'ont dit les bergers; mais comme ils ne m'ont mêlé en rien à cette propriété, je dois bien vous remontrer que je ne veux pourtant pas en perdre ma part! »

« Quand la bonne dame vit que la parole tournait ainsi à rierie:

- « Ah! cher sire, dit-elle à son mari, d'abondance de coeur, - vous n'avez pas encore vu tout ce qu'il y en a; n'ayez plus souci de soutenir votre rang: vous ne a fûtes jamais riche autant que l'êtes. Je ray en mains tous les héritages que vous aviez engagés, et tous vos joyaux; j'ai racheté, de plus, vaches et brebis à foison: acquérez donc vous l'honneur, coûte que coûte !

« J'ai plaisance à partager votre gloire, et puisque vous en recueillez les plaies et le travail, c'est justice que mon ménage en fournisse au moins les dépenses. »

« Ainsi, pour la première fois, comprit le bon sire d'Hemricourt, comme il était gouverné, et quelle était l'adresse de madame sa femme; il ne lui en marqua que plus d'affection et de confiance, - et en devint meilleur mari que jamais! »

C'est depuis lors, dit-on, ce qui arrive partout, des maris bien gouvernés comme lui.

L'histoire de nos aïeules n'offre point que ces idylles. Ce temps était, par excellence, celui de la chevalerie. Engagés dans des rangs ennemis, nos chevaliers s'attaquaient sans pitié; la paix faite ou la trêve conclue, et l'Eglise avait multiplié ces trêves presque à l'infini, les adversaires d'hier, les lutteurs de demain, se retrouvaient en face pour jouter en amis, dans les tournois, sous le regard des dames. Comment celles-ci auraient-elles eu pour les coups d'épée la sainte horreur de nos temps pacifiques? Femmes, filles, soeurs, elles excitaient leur père, leur époux, leurs frères à soutenir dignement l'honneur du nom et la cause opprimée: ce n'est pas elles qui pour dernier adieu auraient jeté à leurs chevaliers la parole de cette citadine moderne, épouvantée de voir partir pour la répression d'une grève son mari, garde civique: « N'aie pas peur surtout, mon ami, n'aie pas peur de te sauver! »

Veuves, elles essayaient par les prières, les larmes, les présents, par un nouveau mariage même, de susciter des vengeurs à l'époux immolé; mères, elles remettaient aux mains de leurs fils la lance paternelle; jeunes filles, elles furent plus d'une fois la cause et l'enjeu de la lutte, ainsi cette Hélène liégeoise qui mit aux prises durant tant d'années, les Grecs d'Awans et les Troyens de Waroux. Plus heureuses d'autres fois, elles scellèrent par leur mariage, la paix conclue entre deux partis hostiles. Ainsi se termina cette guerre même des Awans et de Waroux. Ainsi finit aussi la lutte de deux frères aïeux de Mauclerc d'Hemricourt, contre le chevalier brabançon Heyneman de Hottebrugge; ils avaient eu la malechance de tuer ce seigneur: ils sollicitèrent la paix de ses gens, en s'offrant pour épouser deux des six filles qu'ils avaient rendues orphelines: ils obtinrent de la sorte et la paix et les héritières! Quoi d'étonnant qu'en pareil temps tant de coeurs virils aient battu sous des poitrines de femmes ?

En 1213, lors du pillage de Liège par les Brabançons nombre de femmes, au rapport du cardinal J. de Vitry, n'hésitèrent pas à se précipiter dans les flots pour se. soustraire aux hontes que leur réservaient les vainqueurs. Une d'elles est poursuivie jusque sur les eaux et ramenée par les soudards dans la barque où ils se sont jetés pour la sauver; elle leur échappe encore et, en se lançant de nouveau dans le fleuve, renverse cette barque criminelle; la rivière vengeresse n'emporte au gouffre que ces misérables et laisse leur victime regagner, saine et sauve, la rive de la délivrance.

Au milieu des horreurs de ce même pillage, quatre scélérats envahissent soudain, au bas de la Sauvenière, la demeure où ils surprennent seule, n'osant fuir et n'osant rester, la jeune et belle épouse du noble Arnould Maillart. Les infâmes exigent d'elle plus que ses biens, plus que sa vie... Une inspiration d'héroïsme dicte aussitôt sa réponse à la vaillante Liégeoise: « Suis-moi! » dit-elle au premier des soudards. Et quand, dans la chambre conjugale, elle ne se trouve plus qu'en présence d'un seul homme, saisissant la hache d'armes de son époux absent: « Vierge sainte, s'écrie-t-elle, soutiens ta chevalière! » Et d'un coup surhumain elle fend la tête à l'infâme! La hache s'abattit trois fois encore sur d'autres fronts, et quand Guillaume longue-Epée, l'un des chefs des assaillants, vint heurter sur ce seuil quatre cadavres entassés, saisi lui-même d'admiration et d'effroi, il ordonna de les promener à travers la ville au pillage, en commandant aux vainqueurs, s'ils ne voulaient périr sous pareils coups ou sous sa vengeance, de respecter au moins l'honneur des femmes liégeoises.


III.

Cette énergie que nos aïeules apportèrent dans la défense de leur honneur, elles la firent briller d'un éclat plus pur et plus général dans la pratique de leur foi, dans la poursuite de la sainteté. - La valeur d'un siècle, d'une race, d'une nation, n'a pas de mesure plus sûre que celle-là si les saints y abondent, avec eux abonderont la vertu la force, l'honneur, la charité, et cette fidélité aux lois de Dieu qui sera toujours le moyen le plus certain, le seul mode efficace d'assurer le bonheur des hommes. Le VIIe siècle, le siècle de la dernière et triomphale invasion des missionnaires catholiques dans le pays wallon, le VIlle siècle a été pour nous, le siècle des saints par excellence; par excellence aussi le XIIe est celui des saintes. C'est le siècle où de véritables villes saintes s'élèvent sous le nom de béguinages, où une nouvelle et splendide végétation de monastères de vierges recouvre notre sol; où il n'est plus de villes dans les limites d'alors de notre diocèse qui n'ait son héroïne à porter sur l'autel: Ode, Ida, Catherine, Marguerite, à Louvain; - Marie d'Oignies, à Nivelles; - Ivette, à Huy; - Elisabeth d'Herkenrode, à Hasselt; - Lutgarde, à Tongres; - Christine, à Saint-Trond; - à Liege, Julienne, avec son cortège de saintes, Agnès, Sapience, Isabelle et la bien­heureuse Eve.

L'enfant Jésus vient, au jour de la Noël, reposer dans les bras de la béguine Diedela; la Vierge apparaît à la comtesse Ermesinde pour lui de mander de bâtir Claire­fontaine; - à une fillette juive de 8 ans, la petite Rachel, pour l'envoyer trouver la foi dans la retraite d'un cloître; le père juif cherche, poursuit, découvre son enfant: ébranlé par ses instances, l'évêque de Liège fait comparaître l'un et l'autre à son tribunal, mais Rachel répond avec une si admirable science, qu'il est impossible de ne point la laisser au Dieu qu'elle a choisi.

Marguerite est une autre enfant, de 12 ans: à peine a­t-elle pu revêtir l'habit des nonnes de la Ramèe, que Dieu s'en vient la cueillir et qu'une autre sainte, Isabelle de Léau, la voit monter aux cieux!

Ermedis appartient à la plus noble famille de Liège, les de Prez: elle confie au vent du ciel le soin d'emporter au lieu où doit s'élever le monastère que Dieu lui a commandé de bâtir, les clefs qu'elle lance en l'air; et le souffle miraculeux les porte à l'endroit qui sera Robermont!

Une veuve pénitente, Osilie, s'enferme en recluse, à l'ombre de l'église de Saint-Séverin; elle s'était chargée, pour expier les erreurs de sa vie, de chaînes, et d'un carcan de fer; le jour ne tarda pas à venir où Dieu lui marqua qu'elle était rentrée dans sa grâce, en faisant soudain voler en éclats ces chaînes et ce carcan qui tombèrent à ses pieds. C'est l'éternelle histoire du repentir des hommes et de la miséricorde de Dieu!

Marguerite ne remplit à Louvain que les fonctions obscures d'une servante d'auberge; elle meurt victime de la violence, fidèle jusqu'au dernier souffle à la défense de la sainte pudeur, et nulle tombe en ce temps n'est ennoblie de plus de miracles!

Ivette de Huy et Maria d'Oignies ont été mariées toutes deux, avant 15 ans; toutes deux entraînent leur époux dans une vie plus parfaite, à se vouer, comme elles, au culte de Dieu, dans les malheureux les plus abandonnés, les lépreux! Ivette fait des saints de ses fils, puis s'enterre en recluse, dans la prison volontaire où elle vivra trente-six ans; Marie s'enfuit vainement au monastère d'Oignies; sa parole, ses miracles ne cessent d'appeler, de fixer autour d'elle les prédicateurs fameux, les illustrations de son siècle, avides de recueillir la lumière de ses conseils et de ses révélations.

Et ne pensez point qu'il y ait jamais des innovations dans l'Eglise; il n'y a que des proclamations plus solennelles de vieilles vérités, des manifestations nouvelles des mêmes grâces divines!

Lutgarde de Tongres est une fiancée de 13 ans; elle hésite cependant entre le monde et Jésus! Mais ce Jésus lui apparaît et lui découvrant son coeur ouvert par le fer: « Là seulement, lui dit-il, tu dois chercher le bonheur! De là seulement peut couler sur le monde la source de tous biens. » Et la devancière de Marguerite-Marie est dès ce moment tout à Jésus! La Vierge Marie, à son tour, vient se plaindre à elle comme aux enfants de la Salette de voir les mauvais chrétiens crucifier de nouveau son fils, et Dieu s'apprêter à punir; elle demande à Lutgarde d'expier pour le monde, et c'est par des macérations incroyables que Lutgarde rachète les âmes et sauve les peuples, - au nom du Sacre-Cœur!

Vous félicitez la Belgique de posséder une Louise Lateau; on ne saurait dire combien, au XIIIe siècle, le pays de Liège en comptait. Christine de St-Trond, Elisabeth d'Herkenrode, Ida de Louvain, entre autres, semblent se transmettre la merveilleuse et sanglante livrée du service le plus intime du divin Crucifié!

Ida obtient par ses prières qu'un nouveau miracle, en lui enlevant ces stigmates, vienne la soustraire à la pieuse curiosité des foules catholiques; Elisabeth se soumet, dans son humilité, à la constatation des prodiges que Dieu opère en elle. Nous avons le procès-verbal d'une de ces reconnaissances officielles, et si on ne le savait de la main de l'abbé Philippe, un des successeurs de saint Bernard à Clairvaux, et daté de plus de 600 ans, on croirait entendre le récit des prodiges d'hier au Bois d'Haine:

« Comme je parcourais la Belgique, dit-il, pour visiter les maisons de notre ordre, j'entendis raconter, au sujet d'une certaine fille du nom d'Elisabeth, beaucoup de choses qui ne me paraissaient pas dignes de foi: je résolus de les examiner par moi-même, et j'ai trouvé que la renommée était même au-dessous de la vérité. D'abord, il est hors de doute qu'elle porte sur son corps les stigmates de la passion du Sauveur, d'où il sort du sang comme si c'était une plaie récente: cela arrive surtout le jour du vendredi. Les plaies des mains et des pieds sont rondes; celle du, coté est oblongue. J'étais avec d'autres abbés et des moines: nous avons vu de nos yeux, à plusieurs heures du jour et de la nuit, le sang qui découlait de ces plaies, en si grande abondance que les linges qui les couvraient en étaient tout inhibés. Nous avons vu aussi, un vendredi, le sang découler par la plaie du côté: il n'était pas tout à fait pur, mais il était comme mélangé d'eau; enfin, nous avons vu plusieurs fois le sang découler entre les ongles et la chair des doigts: ce qui peut être arrivé au Sauveur, en suite de ce que ses liens étaient trop serrés.

« L'évêque de Liège avait confié la direction de cette fille à Guillaume, abbé de St-Trond, homme d'une grande vertu, d'une réputation intacte et qui jouissait d'une haute autorité. Il nous servait d'interprète, lorsque nous voulions poser une question à la stigmatisée. Il nous raconta que le Vendredi-Saint de l'année 1266, à un moment de la journée où elle ne ressentait pas ordinairement de douleurs, elle fut subitement atteinte d'un mal de tête si violent, qu'elle ne pouvait rester un moment dans la même position. Sa mère et ses soeurs examinèrent sa tête avec soin, et elles y aperçurent des espèces de piqûres d'épines en forme de couronne.

« Un jour que l'abbé Guillaume lui demandait comment elle pouvait supporter tant de douleurs: « Qu'est-ce que cela, dit-elle, en comparaison de ce que souffre une fille du nom de Marie? » Elle dépeignit ensuite les douleurs de cette fille, comme si elle la connaissait particulièrement, tandis qu'elle ne l'avait jamais vue et qu'elle n'en avait jamais entendu parler. Elle ajouta qu'il arrivait fréquemment qu'elles se trouvaient dans le même moment en extase et qu'alors elles se voyaient et se reconnaissaient mutuellement. J'ai pu, dans la suite, ajoute l'abbé Philippe, constater l'exactitude de ces faits, lorsque j'ai visité les monastères des Flandres. »

L'existence de Christine de Saint-Trond est plus admirable encore: elle meurt à 32 ans pour ressusciter soudain au milieu de ses funérailles. Dans la mort, Dieu lui a fait voir les souffrances horribles des âmes du purgatoire: pour les abréger, il n'est plus de mortifications, plus d'héroïques folies qui puissent coûter à la sainte: elle passe des nuits plongée dans l'eau glacée de la Meuse ou suspendue au gibet des condamnés; on l'enferme comme une insensée; elle ajoute au supplice de ses fers celui de la faim et de la soif; force est de la laisser retourner aux austérités cruelles, horriblement merveilleuses, dont son dernier jour seul marquera la fin!


IV.

Le souvenir des belles châtelaines ou des vaillantes héroïnes de notre XlIIe siècle ne se conserve plus que dans quelques livres rares ou quelques parchemins poudreux; il finira par se dissiper avec la poussière de ces ouvrages! Celui de nos saintes ne périra pas! L'Eglise, en faisant entrer dans ses annales l'histoire de leurs vertus a, de la sorte, associé leur mémoire à sa propre immortalité! Mais, de même que leur gloire efface celle de leurs nobles contemporaines les plus célèbres et les plus admirées, de même une figure douce et forte apparaît, au premier rang de ces saintes, dans le nimbe d'or d'une plus brillante auréole! La plus illustre des liégeoises de ce siècle devait appartenir plus directement que Marie d'Oignies, Lutgarde de Tongres, Ida de Louvain ou Christine de Saint-Trond à ce sol qu'arrosa le sang de saint Lambert

Voyez-vous, sur la colline qui domine la cité, ce groupe de religieuses fugitives, gravir, tremblantes, épouvantées, le chemin alors à peu près solitaire qui les conduit à Saint-Martin? - La populace égarée de cette ville si chrétienne pourtant, vient de l'expulser par force de l'asile hospitalier où ces femmes héroïques se vouaient au soin des malheureux! Ce ne sont pas, hélas! les seules religieuses qu'on verra chasser des hospices liégeois.

Devancières des Soeurs de saint Charles, que la bienfaisance civile repoussait naguères de l'orphelinat public, les fugitives du XIIIe siècle s'en vont chercher un asile dans l'étroite cellule d'une amie, obscure comme elles, pauvre recluse dont le pauvre ermitage s'aperçoit à peine à l'ombre de la grande tour de Saint-Martin. Quelle oeuvre durable attendre de ces faibles femmes, ainsi chassées, traquées, abandonnées?

Depuis vingt ans cependant, celle qui les guide porte dans son âme la pensée de Dieu; depuis vingt ans elle est chargée d’une mission sans égale! A elle d'acquitter la dette que la femme liégeoise doit à la sainte Eglise!

La sainte Eglise a jadis sacrifié, pour la défense de cette femme, la vie d'un de ses plus illustres pontifes! Elle a payé le maintien des droits de cette femme du sang de saint Lambert!

Rachetée par ce sang, élevée par sa vertu d'honneurs en honneurs, de destinée sainte en destinée sublime, la femme liégeoise est arrivée à s'appeler Julienne de Retine, Julienne de Cornillon, Julienne de Saint-Martin, et en retour des inestimables bienfaits qu'elle a reçus de l'Eglise, elle vient rendre à l'Eglise l'éclat sacré de la Fête­Dieu!

Car, bien que d'apparence tout semble contraire aux desseins dont Dieu même a commis la réalisation à Julienne, en réalité, tout est prêt pour les seconder.

Les violences de cet ouragan passager qui l'a chassée de Cornillon vont obliger les chefs du diocèse à juger la sainte, à proclamer sa vertu, à reconnaître sa mission; son exil resserrera les liens d'amitié qui l'unissent aux compagnes providentiellement désignées pour lui servir d'appui: la pieuse Isabelle de Huy, la bienheureuse recluse Eve; leur séjour à Saint-Martin ne leur permettra plus d'oublier un instant la vision merveilleuse qui, dans cette église même, fit assister l'une d'elles aux délibérations de la cour céleste sur la solennité nouvelle; - il les rapprochera de ce prêtre étranger, de ce Pantaléon que le ciel a envoyé séjourner à Liège pour y recevoir la confidence de ces révélations et que le Ciel appellera ensuite à monter sur le trône de saint Pierre, pour y promulguer, sous le nom d'Urbain IV, la Fête-Dieu, la fête de Julienne.

Liege, le pays liégeois, le monde entier ne sont pas moins prêts pour le grand oeuvre. Aux développements qu'ont pris parmi nos ancêtres, dans toute la chrétienté l'architecture, l'art, l'alliance de la foi et des libertés publiques, les oeuvres saintes et la piété, il ne manque plus que ce couronnement, à poser par la main de la femme liégeoise!

Les premiers pas que Julienne, née en 1193, morte en 1258, avait portés dans Liège, n'avaient pas manqué de la conduire devant les ruines de la basilique incendiée de St-Lambert; puis elle avait vu relever l'auguste cathédrale, et le jour où la sédition vint la chasser de la cité, elle avait pu, en la quittant, saluer d'un dernier regard la fière toiture de plomb doré du plus vaste temple qu'ait jamais connu notre pays et sa tour tout près d'être achevée; du même coup d'oeil, elle avait pu embrasser les murs nouveaux du choeur de la basilique qui devait un jour succéder à Saint-Lambert, notre cathédrale St-Paul, et compter dix églises élevées ou reconstruites dans Liège depuis les jours de son enfance: celles, entre autres, de Saint-Gangulphe, Saint-Léonard, Sainte-Catherine, Saint-Jean-Baptiste, Saint-Antoine, Saint-Pholien et Saint-Christophe dans la vaste et majestueuse simplicité qu'essaient de lui rendre aujourd'hui ses restaurateurs.

Sur les dernières copies des manuscrits dans lesquels la docte sainte lisait avec une égale facilité, ou les écrits en langue vulgaire, ou les oeuvres latines d'Augustin et de Bernard, elle avait pu admirer les débuts ravissants de cet art des miniatures cultivé avec tant de succès dans les monastères liégeois; sur les vitraux de nos sanctuaires elle avait pu contempler les premiers de ces tableaux dont la science moderne n'a pu retrouver les mystérieuses couleurs et le charme plus mystérieux encore; née à Liège, elle y eût reçu le premier sacrement chrétien à Notre-Dame-aux-Fonts, dans cette cuve baptismale qui fait encore l'admiration des artistes, reste précieux de nos fameuses dinanderies.

Nos industries nationales étaient alors dans leur plein essor; nos drapiers, nos tanneurs rivalisaient avec les plus célèbres; la découverte de la houille venait donner une activité nouvelle, et, ce semble, impérissable à nos ferronniers, et les corps puissants des métiers conquéraient dans l'Etat un rang d'honneur et une large influence au travail.

L'année même de la naissance de Julienne avait vu monter sur le trône épiscopal et princier de Liege, Albert de Cuyck, l'évêque populaire une charte de sa main, antérieure à cette grande charte anglaise, point de départ de la Constitution de la Grande-Bretagne, avait définitivement établi parmi nos pères les meilleures de ces libertés politiques que la Révolution française se targua de découvrir cinq siècles plus tard et qu'elle ne fit que vicier: l'inviolabilité du domicile, le vote des lois et des impôts par les délégués des trois ordres de la nation, le gouvernement du pays par un prince irresponsable tout à la fois souverain et empêché de mal faire, l'abolition des confiscations de patrimoine, l'interdiction de saisir un bourgeois sans jugement, de l'arracher à son juge naturel, ou d'enlever ce juge à son siège; des franchises communales enfin dont s'effraierait notre âge.

Rarement pareille efflorescence de bonnes oeuvres a germé de notre sol: la charité liégeoise venait à peine d'ouvrir Cornillon, qu'elle fondait les hôpitaux de St­Mathieu à la Chaîne, de St-Michel des pauvres, de St­Abraham en Féronstrée, et c'était pour le service, l'instruction ou l'évangélisation des pauvres que, sous les yeux de Julienne, Dominicains, Franciscains, Mineurs, Augustins, religieux Ecoliers, Croisiers, pieuses béguines, ouvraient dans nos murs ces temples, ces couvents, ces écoles qui abritèrent tant de savoir et tant de vertu.

Dans le diocèse, quelle couronne de saintes autour de la sainte liégeoise: recluses admirables, hospitalières héroïques, martyres stigmatisées! Dans la chrétienté tout entière, quelle foi et quelle vitalité puissante!

C'est le siècle où l'art chrétien, parvenu à son apogée, martelle ou taille dans le bronze, l'argent, l'or, pour abriter le pain des anges, les délicates merveilles de son orfèvrerie adresse dans les cieux ses cathédrales les plus splendides pour servir de tente au Dieu vivant; - ouvre sur les places publiques, aux processions triomphales, ses porches les plus fiers peuplés de légions de bienheureux!

C'est le siècle où, d'un vol pareil, la poésie chrétienne et la science théologique atteignent les plus hauts sommets sur lesquels il leur ait été donné de reposer leurs ailes; le siècle où le puissant génie à qui Dieu lui-même a dit un jour: Tu as bien parlé de moi, Thomas d'Aquin, a pu les voir descendre vers lui, se tenant chastement et fraternellement embrassées, pour lui inspirer cet office du Saint-Sacrement, dans lequel on ne sait ce qu'il faut admirer le plus de la magnificence du poète ou de la précision sublime du docteur angélique!

C'est le siècle où le trait caractéristique des saints est de nourrir pour le Sacrement de l'autel une dévotion plus tendre et plus active; le siècle où les relations entre l'homme de plus en plus relevé par la grâce, et la divinité de plus en plus inclinée vers lui par l'amour, semblent avoir été les plus affectueuses et les plus intimes; où Notre-Dame et l'Emmanuel se plaisent à redescendre, visibles, sur la terre; où les Vierges vouées à la contemplation de Jésus rapportent de leurs ravissements les glorieux et douloureux stigmates du Vendredi-Saint!

C'est le siècle, enfin, où les corporations ouvrières, unissent maîtres et travailleurs, où saint Louis règne, légifère et combat et où les nations semblent le mieux préparées pour une nouvelle transfiguration du Christ

Ah ! certes, la violence, les passions, les luttes toujours sanglantes de la liberté politique et des pouvoirs publics désolaient encore le monde: elles le désoleront aussi longtemps qu'il y restera des hommes et que dans les veines de ceux-ci coulera le sang corrompu de la faute originelle! Ce temps et ce pays avaient pourtant atteint le point resté jusqu'alors, - jusqu'aujourd'hui peut-être, - le plus élevé de la civilisation chrétienne, parce que la société tout entière était catholique: reconnaître, adorer Jésus-Christ était la première de ses lois, et sur celle-là se réglaient les autres

« Voyez, Seigneur, pouvait dire à Dieu le peuple chrétien, voyez si nous avons fidèlement monté vers vous, par toutes les ascensions qui peuvent porter au Ciel: l'art, la poésie, le savoir sacré, les législations catholiques, la piété, l'extase! Jamais nation ne s'est plus rapprochée de vous que la patrie liégeoise du XllIe siècle. Le Ciel ne s'abaissera-t-il pas vers la terre comme la terre s'est élevée vers lui; ne répondra-t-il point par une nouvelle effusion de miséricorde à cette effusion de foi et d'amour? »

Et Julienne n'a eu d'autre mission que de nous apporter la réponse du Ciel à ce peuple chrétien:

« Il y aura désormais un jour de l'année qui sera le triomphe de la présence réelle de Dieu parmi les siens, un jour où bientôt il ne suffira plus à ce Dieu d'attendre, dans l'immobilité mystérieuse du tabernacle l'adoration de ses enfants pour les payer de retour de ses grâces; il y aura chaque année un jour où le Christ reconnaissant voudra rendre à tous les sujets de cette société qui l'a proclamé son Roi, une royale et triomphale visite, où la Divinité descendra dans vos rues et parcourra vos champs pour y bénir châteaux et chaumières, humbles boutiques et fiers hôtels; où de tous les chemins de votre patrie, il n'en restera plus un qu'elle n'ait parcouru, sanctifié; où, dans la pompe d'une cérémonie auguste, au milieu de l'encens, des fleurs, des chants sacrés, de la prière publique, de toutes les émotions, de toutes les larmes de l'amour et de la foi, je me porterai moi-même, répandant le salut, à la rencontre de chacun de vous, de ceux-là même qui me fuient ou ne peuvent m'approcher encore, du plus obstiné des pécheurs, ou du plus faible des petits enfants ! »

La mission de notre Julienne fut de transmettre à la terre cette réponse du Ciel, d'en faire en un mot une institution immortelle, dont Voltaire en personne était contraint d'admirer la majesté tout en la dénigrant avec son persifflage habituel et son accoutumance de prendre le Pirée pour un nom d'homme: « Il n'y a guères » écrit le célèbre impie au chap. 63 de son Essai sur les mœurs, « il n'y a guères dans l'Eglise de cérémonie plus noble, plus pompeuse; plus capable d'inspirer la piété aux peuples, que la fête du Saint-Sacrement. L'antiquité n'en eut guères dont l'appareil fut plus auguste. Cependant qui fut la cause de cet établissement? Une religieuse de Liège, nommée Mont-Cornillon (sic) qui s'imaginait voir un trou à la lune! »

Ainsi le philosophe jugeait l'oeuvre de la sainte. Rien d'étonnant dès lors si nos prélats désireux d'obtenir pour la Belgique cette gloire sacrée qui nous a fait défaut jusqu'à cette heure, de voir étendre à toute l'Eglise la fête obligatoire d'un saint national, ont présenté sur l'initiative de leur vénéré métropolitain, la sainte liégeoise du moyen-âge, la promotrice de la Fête-Dieu, comme la plus digne de cet honneur. Rien d'étonnant si notre pieuse reine a joint, au lendemain même de la mort d'un enfant bien-aimé, ses instances à celles de nos pontifes dans cette lettre, admirable de sens chrétien, de foi et de piété:

« Très-Saint Père,

« Marie-Henriette d'Autriche, reine des Belges, le coeur brisé par les plus douloureuses épreuves, ne veut pas oublier ce qu'elle doit à Dieu et ce qui peut contribuer à son service et à sa gloire. Elle s'empresse donc d'appuyer auprès de Votre Sainteté la demande de l'archevêque de Malines relative à l'extension à l'Eglise universelle de la fête de sainte Julienne, promotrice de la Fête-Dieu.

« Elle désire cette faveur du Saint-Siège comme fille des Habsbourg et comme Reine. Elle la désire comme fille des Habsbourg, parce que depuis Rodolphe 1er, empereur d'Allemagne, si célèbre par sa piété envers l'auguste Eucharistie, sa famille s'est toujours montrée fidèle à la foi de cet illustre ancêtre. Elle la désire comme Reine des Belges, parce que la Belgique, si féconde en saints, n'en compte cependant aucun jusqu'ici qui soit honoré d'un culte public dans toute l'Eglise, honneur qui semble surtout dû à une sainte, dont l'action sur l'Eglise a été universelle.

« C'est la grâce que je supplie Votre Sainteté d'accorder à sa Fille, avec sa bénédiction apostolique et paternelle.

MARIE-HENRIETTE.

Bruxelles, 7 avril 1868.

Fête de saint Gaetan de Tiennes.

Grâce à ces instances augustes, un office de sainte Ju­lienne a été approuvé par le St-Père pour l'Eglise universelle, et Pie IX a décidé que la célébration de cet office et de la messe de la sainte serait d'abord accordée à tous les évêques qui en feraient la demande. La décision plus absolue, sollicitée par l'épiscopat belge, serait déjà prise sans doute, si la brusque interruption du Concile du Vatican n'avait empêché l'autorité suprême de donner suite à la supplique nouvelle que lui adressèrent alors 161 évêques, chefs de diocèses d'Europe, d'Asie et d'Amérique, dans lesquels on ne fêtait pas encore la bienheureuse Liégeoise. Pour être retardée, celte décision n'en viendra pas moins à son jour: Léon XIII, au temps de sa nonciature en Belgique, a voulu vénérer, à Saint­Marlin, les reliques de sainte Julienne; il saura s'en souvenir et faire célébrer dans I'Eglise universelle le souvenir de la promotrice d'une fête universelle. Ainsi seront consacrés pour jamais devant tous la sainteté des Liégeoises du moyen âge et l'honneur réservé à l'une d'entre elles pour les récompenser toutes, honneur que nulle de son sexe n'a peut-être obtenu depuis: l'honneur de compléter l'oeuvre de l'Esprit saint; l'honneur d'introduire dans l'Eglise une impérisable solennité; l’honneur d'avoir, par la manifestation la plus éclatante de la royauté sociale de Jésus-Christ, réalisé cette demande sacrée que Dieu lui-même a prescrit à l'homme de lui adresser: Adveniat regnum tuum! Que votre règne nous advienne, Seigneur, au jour de l'éternité, dans votre paradis; aux jours du temps, dans la société tout entière !...

Voyez cependant, mesdames, le chemin parcouru par vous depuis les siècles où la barbarie de nos ancêtres vous piétinait dans la fange payenne, jusqu'à l'heure où Julienne apparaît radieuse, aux côtés du Christ, associée à sa gloire, dans la transfiguration de la Fête-Dieu, sur le Thabor de Saint-Martin! - Voyez, voyez ce que ce Christ et son Eglise ont donné de considération, de dignité aux plus humbles, de noblesse aux plus pauvres de vos devancières, ce qu'ils ont su ajouter d'attrait à la grâce des plus charmantes, de vaillance à l'énergie des plus fortes, de charité, d'héroïsme à la sainteté des plus pieuses. Reconnaissez une fois de plus, reconnaisser votre privilège inestimable, mesdames, de voir croître ou diminuer le respect autour de vous dans la même proportion qu'il diminue ou grandit pour l'Eglise et pour Dieu - et dites-moi si ceux qui rêvent de vous émanciper de cette Eglise et de ce Dieu ne poursuivent pas contre vous le plus sinistre des complots, ne conspirent pas à vous arracher, avec la foi, tout ce qui a fait dans le passé, fait aujourd'hui, fera pour jamais à l'impérissable beauté, l'honneur sans tache et la grandeur sainte de la femme sous tous les soleils, sous le soleil surtout de notre cher pays

J. de Hémricourt: Miroir des nobles de Hesbaye; Jean des Preis, dit d'Outremeuse: Le myreur des histors; de Malte: Les nobles devant les tribunaux; B. Fisen: Flores Ecclesiae leodiensis; Sohet: Instituts de droit, pour les pays de Liege, Luxembourg, Namur et autres; Raikem, Polain et S. Bormans: Coutumes du pays de Liège; Crahay: Coutumes de la ville de Maestricht; E. Poullet: Essai sur l'histoire du droit criminel dans l'ancienne principauté de Lièqe; S. Bormans: le Bon métier des Tanneurs de la cité de Liège, etc., etc.

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