Quelques détails caractéristiques de réalisation
- La soufflerie et les porte-vents de D.J. Comblain placés dans une salle annexe furent abandonnés.
- De nouveaux soufflets cunéiformes furent construits sur un modèle du XVIIIe siècle trouvé dans les orgues du village voisin de Fraipont. Ils furent dotés à la fois de leviers et d'un ventilateur.
- Les fragments des porte-vents intacts munis de leur tremblant fort furent raccordés au départ des sections anciennes.
- Le tremblant doux fut reconstitué à l'ancienne.
- Les claviers furent reconstitués dans leur étendue originale en s'inspirant du modèle de Philippe Le Picard à Gronsveld et en tenant compte de l'abrégé conservé et des traces des anciens claviers sur les boiseries de la fenêtre.
- Le raccordement des vergettes fut rétabli, sans possibilité de réglage moderne et au moyen des fils de laiton recuits tournoyés comme le faisait Le Picard.
- Les tirants des registres furent rétablis au départ des glissières en conformité avec les modèles encore existants.
- La console fut complètement réorganisée en fonction des restaurations déjà effectuées.
- Les sommiers démontés furent complètement revus et toutes les fentes furent bouchées par le placement de flipots enchassés. On imprégna les gravures de colle froide et l'on testa leur étanchéité.
- La laye fut complètement rétablie à l'ancienne.
- La façade qui se compose des tuyaux graves des deux Prestant 4' fut nettoyée, polie et rétablie.
- Tous les tuyaux furent nettoyés, mesurés et remis au ton du diapason d'origine, la 3, à 411 Hz.
- Pour retrouver les tailles justes, tous les tuyaux coupés ont été soigneusement rallongés, voire les entailles supprimées.
- Il sembla tout indiqué de reconstituer le célèbre tempérament de Lambert Chaumont avec ses six tierces majeures justes.
- Tous les jeux disparus furent reconstitués dans leur taille d'origine dans l'alliage d'époque et martelés d'après le modèle de Le Picard.
- L'analyse des mesures des tuyaux inventoriés fera l'objet d'une publication ultérieure destinée à enrichir les connaissances de la facture d'orgues classique liégeoise.
- L'écho-récit a été reconstruit dans le soubassement, à l'arrière, et placé au-dessus du niveau des claviers, à son emplacement original.
- Une pédale de trois jeux a été placée au-dessus de la soufflerie, derrière le massif de l'orgue.
Pour satisfaire les inconditionnels d'une limitation stricte d'une restauration à l'état original, d'une part, et d'autre part les partisans des possibilités accrues offertes par un orgue doté d'une pédale indépendante pour l'interprétation d'un répertoire moins limité, on a d'une part reconstitué le pédalier-boîtier en tirasse à la française à son emplacement original, au niveau du plancher selon les modèles admirablement bien conservés aux orgues historiques de Flône et de l'Hôpital « La Volière », et d'autre part conçu un pédalier à l'allemande avec sa mécanique propre en dessous du plancher de manière à ne point altérer la substance originale de l'orgue Le Picard.
- Il convient également d'attirer l'attention sur une particularité étonnante que Philippe Le Picard avait déjà pratiquée en 1711 à l'orgue de Gronsveld dans le Limbourg hollandais (à proximité de la frontière de Visé) à savoir de combiner les sommiers du Grand-Orgue et du Positif au même niveau.
Epilogue 1738
« Ayant examiné très neuvement l'orgue faite par M. Jean-Baptiste Le Picard pour les dames Bénédictines sur Avroy à Liège, je l'ai trouvé dans toutes ses perfections tellement que pour les maîtres modernes je n'en connais point de plus capable. »
A Liège, le 26 mai 1738.
D. Raick,
organiste de Saint-Pierre à Louvain.
Epilogue 1980
« Ayant eu à guider la restauration de l'orgue J.-B. Le Picard faite par le maîtrefacteur d'orgues Georg Westenfelder et ses fidèles collaborateurs pour les dames Bénédictines sur Avroy à Liège, j'ose espérer que notre effort collectif portera ses fruits et que nos organistes modernes pourront retrouver dans ce nouvel instrument autant de perfections que Raick y voyait en 1738. »
A Liège, octobre 1980.
Hubert Schoonbroodt,
Professeur d'orgue au Conservatoire Royal de Musique de Liège.
«Mes plus vifs compliments à mon loyal partenaire, Georg Westenfelder, mes chaleureuses félicitations à la Mère Abbesse, Mère Bénédicte Dehin, et à toute la Communauté pour avoir eu le courage, et c'est un fait rare, d'avoir organisé la restauration sans solliciter le dernier public, mes remerciements aux soeurs Emmanuelle Pierson et Myriam Crahay pour leur accueil sans cesse courtois et délicat, ma reconnaissance à mon élève Ghislain Zeevaert pour avoir défendu avec vigilance notre oeuvre,
H. S.
Lettre ouverte à Jean-Baptiste Le Picard
par Georg Westenfelder,
Maître-Facteur d'Orgues de la Manufacture d'Orgues Luxembourgeoise
Mon très vénéré Maître Jean-Baptiste Le Picard,
Le contact prolongé que j'ai eu le privilège d'avoir avec votre orgue des Bénédictines sur Avroy m'encourage et m'incite à prendre la liberté de me manifester à vous par cet écrit.
En effet, nous fûmes appelés à rétablir votre orgue dans son état premier après qu'il eût subi au cours de deux cent quarante années passées une série de remaniements.
Aussi, je voudrais vous faire grâce de l'énumération de toutes les interventions irrespectueuses qui maltraitèrent votre orgue, car, comme le temps, les exigences et les habitudes d'écoute changent.
C'est ainsi, par exemple, qu'on accepte aujourd'hui plus difficilement qu'hier les bruits mécaniques. Ne tolériez-vous pas ces bruits au profit d'une promptitude plus vivace du toucher?
Votre idéal sonore, fait de robustesse et de sensualité, n'a-t-il pas dû céder le pas à une conception qu'on appelle volontiers plus « spirituelle » ou plus « religieuse » et qui donne une nette préférence aux sons des fondamentales, c'est-à-dire les sons graves?
De même, l'élargissement des possibilités tonales dans l'écriture musicale entraîna un abandon progressif de la mésotonie qui eut pour conséquence l'élimination systématique de tous vos nombreux jeux de tierce devenus trop dissonants dans le tempérament égal.
Les discussions certainement fréquentes déjà de votre temps à Liège autour de l'opportunité d'une pédale indépendante, pourtant déjà courante avant vous, cessèrent avec la construction de celle-ci.
Ce qui frappe d'emblée dans votre orgue, c'est la claire logique de sa conception technique et la rigueur intelligente avec laquelle vous aviez réalisé votre idéal sonore.
C'est ainsi que la division de votre sommier est à ce point rationnelle qu'elle permet une implantation des tuyaux quasi sans devoir faire appel aux postages et en limitant au plus les chapes gravées, chose tout aussi remarquable que la logique de vos tracés mécaniques.
Quant aux mensurations des tuyaux, vous n'avez pas hésité, tout en suivant rigoureusement la tradition française de vos prédécesseurs, d'infléchir leur progression lorsque, par exemple, un manque de place vous y contraignait comme dans la façade ou dans les fournitures.
Et je m'empresse d'ajouter que je trouve que vos mensurations des mutations simples sont proprement géniales. En effet, nous avons compris que pour conférer au médium des jeux de tierce cette opulence baroque, si étonnante, vous n'hésitiez pas non plus de leur faire subir des inflexions vers le milieu du clavier.
Une autre grande leçon pour nous a été de découvrir comment vous avez orienté votre harmonisation vers la plus grande intensité tout en garantissant une clarté exemplaire. Le signe caractéristique de cette orientation esthétique si passionnante, c'est sans doute la largeur des bouches de vos tuyaux (sauf pour les nazards et tierces ouverts) qui fait deux septièmes de la circonférence du tuyau.
Mais nous comprenons fort bien que vous aviez à lutter contre un emplacement de l'orgue pas tellement heureux.
Soit dit en passant, votre jeu accessoire, le « tremblant fort », fonctionne encore à merveille.
Vous avez eu une idée originale lorsque vous avez décidé de placer le « rossignol » sur une consolette joliment sculptée, à l'extérieur du buffet.
Bien sûr, je ne vous cacherai pas qu'il y a quelques détails frappants qui portent ombrage à votre réputation de génie, ce qui vous rend d'autant plus sympathique.
Vous avez dû vous emporter lorsque vous avez surpris vos nombreux collaborateurs (votre atelier devait être fort important à en juger par la quantité de vos productions) à imaginer des solutions de fortune, sur place, pressés sans doute par les délais convenus d'avance, après qu'on eût constaté quelque manque de précision préalable de vos plans comme, par exemple, un défaut d'alimentation dû à des postages trop étroits.
Des difficultés entre l'ordonnance des tuyaux sur les sommiers et la répartition de la façade vous ont même amené à réduire au silence un tuyau de la tourelle centrale, le numéro un du Prestant 4' du Grand-Orgue, et à déplacer les autres tuyaux d'un demi-ton.
Et, comble d'ironie (que doivent penser nos théoriciens modernes?), ce tuyau, alors qu'il ne devait jamais sonner, était déjà pourvu d'entailles dans le biseau.
Je me demande d'ailleurs si, pour vous, l'implantation des tuyaux par tierces sur le sommier avait suffisamment d'importance que pour être prêt à accepter des croisements complexes des postages de façade. A moins que ce ne soit dû aux différends entre vous et les artisans chargés de construire le buffet dans un autre atelier?
L'obsession du respect des délais a dû également être votre pain quotidien et, croyez-moi, rien dans ce contexte n'a changé depuis.
Ce qui a changé, par contre, c'est ma vision de l'orgue grâce à votre conception sonore que je considère géniale. Cela vaut certainement aussi pour mes collaborateurs qui ont assumé leur tâche avec une belle passion et une louable persévérance.
Vous vous souviendrez certainement du temps où vous et vos ouvriers travailliez ici à l'abbaye pour dire avec moi combien tout a été facilité par cet accueil chaleureux et tellement hospitalier des moniales. En cela non plus, je croirais volontiers que rien n'a changé.
Avec ma profonde reconnaissance,
votre disciple,
Georg Westenfelder.
Hubert Schoonbroodt
Né le 8 août 1941 à Eupen, il fit ses études aux Conservatoires de Verviers et de Paris ainsi qu'à l'Institut supérieur de musique sacrée (Institut Lemmens) et à la Schola Cantorum (Paris). Sa formation a été marquée de façon décisive par la personnalité de Pierre Froidebise à Liège et d'Antoine Geoffroy-Dechaume à Paris. Professeur d'orgue au Conservatoire Royal de Liège, Premier hautbois solo à l'Orchestre National de Belgique, Chef de choeur à l'Ensemble Vocal National Willy Mommer d'Eupen et aux Choeurs de l'Université de Liège, Directeur de l'orchestre de chambre « Camerata Leodiensis », il mène une carrière de musicien complet.
Depuis qu'il a pris la succession de Pierre Froidebise en tant que maître de chapelle et organiste du Grand Séminaire de Liège, en 1962, il n'a eu de cesse d'oeuvrer à la sauvegarde et à la promotion du patrimoine musical de notre pays.
Par ses nombreux enregistrements, il a fait connaître notamment l'oeuvre pour orgue de Lambert Chaumont, de Henri Du Mont et de Thomas Babou tandis qu'il menait une véritable campagne pour la sauvegarde des orgues historiques. Il a signé les restaurations de Clermont-sur-Berwinne, de Herve et maintenant, des Bénédictines de Liège.
Georg Westenfelder
Maître-facteur d'orgues à la Manufacture d'Orgues Luxembourgeoise., il est né à Stuttgart le 8 août 1935. Après un apprentissage chez le facteur d'orgues Weigle, il s'inscrit à l'institut de facture d'instruments à Ludwigsburg. Après ses brillantes études, il complète sa formation professionnelle en travaillant tour à tour à Hambourg, Kassel, Zurich avant de partir en Norvège, aux Etats-Unis, puis au Japon.
C'est en 1968 qu'il s'installa au Grand-Duché de Luxembourg pour diriger la Manufacture Luxembourgeoise. Parmi les orgues historiques restaurées par lui, citons les orgues de Neuenkirchen en Allemagne, de Saint-Michel et de Saint-Jean de Grund à Luxembourg, de Clermont-sur-Berwinne et de Herve, en Belgique.
De par sa compétence professionnelle parfaitement éclectique, Georg Westenfelder a rapidement acquis ses lettres de noblesse dans le domaine de la restauration, mettant tout son savoir au service de l'esthétique qu'il rencontre en l'assimilant pour mieux l'assumer!
Composition des mutations
Grand-Orgue |
C1 |
C2 |
C3 |
C4 |
|
C5 |
Sesquialter |
1 1/3' |
1 1/3' |
2 2/3' |
2 2/3' |
|
2 2/3' |
|
4/5' |
4/5' |
1 3/5' |
1 3/5' |
|
1 3/5' |
Cornet |
4' |
|
|
|
|
|
|
2 2/3' |
|
|
|
|
|
|
2' |
|
|
|
|
|
|
1 3/5' |
|
|
|
|
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Fourniture |
1 1/3' |
2' |
2 2/3' |
4' |
|
4' |
|
1' |
1 1/3' |
2' |
2 2/3' |
|
2 2/3' |
|
2/3' |
1' |
1 1/3' |
2' |
|
2' |
Cimbale |
C1 |
C2 |
C3 |
C4 |
F#4 |
C5 |
|
1/2' |
2/3' |
1' |
1 1/3' |
2' |
2' |
|
1/3' |
1/2' |
2/3' |
1' |
1 1/3' |
1 1/3' |
Positif |
C1 |
F#2 |
F#3 |
F#4 |
|
C5 |
|
|
|
|
|
|
|
Cimbale |
1' |
1 1/3' |
2' |
2 2/3' |
|
2 2/3' |
|
2/3' |
1' |
1 1/3' |
2' |
|
2' |
|
1/2' |
2/3' |
1' |
1 1/3' |
|
1 1/3' |
Récit-Echo |
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Cimbale |
1 1/3' |
+ I' |
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Cornet |
2 2/3' |
+ 13/5' |
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Méthode d'accorder le clavecin, de Lambert Chaumont, décrivant le tempérament utilisé lors de la restauration de 1980.
(D'après l'original conservé à la bibliothèque du Conservatoire Royal de Musique de Liège)