I. - AU MONASTÈRE D'AVROY.
Ce jour là - c'était le 10 novembre 164o - un chanoine du chapitre liégeois de Saint-Denis, Charles de Neufforge de Warge, en acquit d'une mission lui confiée par le seigneur Jean-Ernest de Surlet, grand vicaire - OU vicaire général - de l'évêque de Liège, avait à se rendre au monastère des Bénédictines reformées d'Avroy lez-Liége. Il sortit de la ville, par la porte et le pont d'Avroy sans doute, obliqua vers la gauche, en laissant à sa droite l'hôpital Saint-Jacques, et prit le chemin qui remontait, parallèle à la Meuse, vers Fragnée: après quelques centaines de pas, il rencontrait cette ruelle dite alors des Benekenne, aujourd'hui des Bénédictines, qui bornait, vers la ville, la propriété du monastère de la Paix-Notre-Dame. Cette propriété, pour le reste, s'étendait de la Meuse jusqu'au faubourg Saint-Gilles, par derrière les premières maisons de ce faubourg, et se trouvait d'autre part limitée vers Fragnée, par les jardins des Augustins et de quelques particuliers.
C'était encore la campagne que ce quartier. Aussi les trois bonniers acquis par nos religieuses, en 1628, avaient-ils été pendant des siècles, une dépendance, la maison des champs, de l'hôpital liégeois de Saint-Mathieu à la Chaîne. En 1640, ils n'étaient toujours enclos que de haies. Un oratoire provisoire venait d'y être érigé entre d'anciens bâtiments agricoles et les quelques chambres édifiées en hâte pour les religieuses.
Cet oratoire avait été construit à la place même où s'élève encore aujourd'hui, à côté de leur église, le choeur des religieuses.
A peine entré dans la sacristie-parloir, le chanoine de Neufforge vit se présenter à lui « à la treille » - à la grille, une postulante d'âge plus mûr qu'à l'ordinaire. C'était « Antoinette Desmoulins, fille légitime et naturelle de Jean Desmoulins, bourgeois et peintre, en la ville de Mons en Haynault, et de damoiselle Hélaine Hennault, sa femme.»
Le représentant du vicaire général avait à se rendre compte de la vocation de cette postulante: examen d'autant moins malaisé que la jeune fille atteignait, au dire de sa supérieure, « l'âge d'environ 28 ans »
Aussi le digne chanoine, sa tâche achevée, put-il écrire au Livre de l'examen des filles avant la vestition: « L'ayant examinée sur sa vocation, pressentie et si c'était d'une libre volonté, elle a répondu: c'est sa pure et libre volonté, poussée simplement de la grâce de Dieu, par un grand dessein de le servir en cet habit et règle. Ayant eu la dite volonté passé environ 12 ans, ce qu'avons signé tous deux ! »
Et Antoinette Desmoulins d'apposer dans un genre d'écriture coulée dont la clarté faisait contraste avec l'ordinaire gribouillis de l'époque - son nom très lisible à côté de celui de l'examinateur.
Le surlendemain, le 12 novembre, elle recevait l'habit de l'ordre des mains de son examinateur, avec le nom de dame Aldegonde. Du coup aussi, dans le registre des receptions, son âge d'environ 28 ans la veille, se trouva être de 29 ans tout net.
Elle devait donc être née vers 1611 et avoir songé au cloître dès sa dix-septième année.
On se fiançait, on se mariait fort jeune à cette époque; de même était-on reçue jeune au couvent. A l'âge de quinze ans on pouvait être admise à prendre l'habit, à entrer au noviciat des Bénédictines, noviciat que précédait d'habitude un séjour de quelques semaines au moins, en vêtement civil, en tablier, dans la maison. Il ne semble pas qu'Antoinette Desmoulins ait été soumise, à Liège, à cette première épreuve; peut-être l'avait-elle subie à Mons.
Le noviciat lui-même pouvait ne durer qu'un an, au terme duquel on était reçue à profession, à l'émission des voeux solennels. On le prolongeait, en cas de doute ou d'hésitation sur la vocation en cause. Il dura quinze mois pour la fille du peintre montois. Craignait-on qu'à son âge, presque trentenaire, elle ne put s'accoutumer à la règle aussi aisément que la plupart des autres novices, qui souvent avaient débuté par être plusieurs années élèves pensionnaires du couvent? Ne faut-il attribuer cette prolongation qu'à des motifs extérieurs, indépendants de la volonté de l'intéressée? Toujours est-il que quinze mois après sa prise d'habit, le directeur de la maison, Monseigneur le vicaire-général de Surlet, se rendait en personne au cloître d'Avroy, pour un nouvel et dernier interrogatoire:
Estant par moy examinée sy c'est de sa pure et libre volonté et intention qu'elle entend ce jour d'huy faire sa profession au cloistre des religieuses Bénédictinnes réformées lez-Liége, m'at répondu qu'ouy et eu signe de véritez, avons, moy, avec elle soubserit la présente ce 20 feburier 1642
JAN DE CHOKIER,
Vicair général de Liége.
(élait signé)
Soeur ALDEGONDE DESMOULINS.
Quelles circonstances avaient amené notre professe à suivre à LiÈge, et non pas en sa ville natale de Mons, cette vocation religieuse?
Nous ne pouvons répondre que par des conjectures
Mons ne comptait guère autant d'institutions de moniales que l'agglomération liégeoise. Aussi au début de l'année même de l'arrivée d'Antoinette à LiÈge, en 164o, un petit essaim de la ruche d'Avroy était allé se fixer à Mons pour y établir un nouveau cloître.
Par ces religieuses, la fille du peintre montois, si désireuse d'entrer en religion, avait pu connaître l'institution bénédictine. Si elle ne se fixa pas dans le couvent fondé en sa ville natale, n'est-ce peut-être pas qu'une question de dot ou de rang social décida la préférence donnée à LiÈge?
De fait la vêture et la profession d'Antoinette devaient se faire dans des conditions particulièrement modestes.
A nous en tenir à ce que nous savons des nonnes qui, au cours d'un demi-siècle, ont vécu avec elle, les dots des Bénédictines reformées de Liège variaient de quelques centaines à huit milliers de florins. Une seule de ces dots atteignit 8,336 florins; ce fut celle d'une postulante de 3o ans, n'ayant plus ni père ni mère. Ces dots se payaient soit en capital, soit en rente, soit partie d'une façon et partie de l'autre. La rente était calculée on rachetable, en général, au denier 15, soit un florin de revenu pour un capital de quinze; vers la fin du XVIIe siècle seulement, ce fut au denier 20. Le capital se payait soit partiellement le jour de la prise d'habit on d'entrée au noviciat et le reste plus tard, soit plus souvent an moment de la profession, de l'émission des voeux de la novice, ou par après.
Celles qui, ayant même pris l'habit, ne persévéraient point dans leur premier dessein, n'avaient à solder que les frais modestes d'un court séjour.
En retour du versement de ces capitaux ou de ces constitutions de rente, les jeunes nonnes en entrant en religion renonçaient à l'héritage attendu des parents. Par contre, les parents ne se piquaient point toujours de tenir les engagements pris envers la communauté.
A défaut d'argent, la famille s'acquittait parfois en nature, en marchandises. Ainsi, la première reçue en Avroy, après notre Antoinette, entra au même cloître avec une cargaison d'armes « à trouver marchand pour la valeur de 10 à 1200 cents florins ». Cette postulante, Anne Chargeux, qui devait mourir abbesse de la maison, était fille d'un armurier du faubourg St-Léonard, à Liège. Son apport guerrier ne valut que frais d'entretien au monastère: après cinquante-un an d'attente, en 1693, le marchand était encore à trouver. Si du moins on avait gardé le fourniment jusqu'à nos jours, le Musée d'armes de Liège en eût fait bon profit!
On comprenait parfois dans la dot, d'autres fois on réglait à part, les frais du trousseau de la nouvelle religieuse et quelques dépenses accessoires.
Ce trousseau, désigné d'ordinaire sous le nom d'accomodements, comportait, par exemple: 4 paires de linceuls, 8 tiques d'oreiller, 2 douzaines de chemises, 4 douzaines de serviettes, 12 draps de main, une belle nappe pour l'église - nappe de communion; de livres de choeur ou bréviaires, les vêtements monastiques d'usage, un gobelet d'argent avec cuiller id.; parfois en plus: couteau et fourchette; d'autres fois, comme extra, deux chandeliers d'argent.
On avait commencé par demander aux postulantes de payer la cellule qu'il fallait construire pour elles; dans la suite, on se contenta de les inviter à la meubler, depuis les ustensiles du foyer jusqu'aux courtines du lit. La table du noviciat était, pour l'année de probation, évaluée de 15o à 2oo florins brabant.
Les familles les plus généreuses ne se faisaient pas faute d'ajouter aux accomodements, soit en espèces, soit en meubles ou ornements, quelque don pour l'église: une souscription pour une cloche, un beau tapis, des tableaux, une pièce d'argenterie, des burettes avec bassin d'argent, un reliquaire, un voile avec perles pour le calice, un bijou pour le Vénérable - ou le Saint-Sacrement, etc,
Et comme, dans la cérémonie de la vêture, la postulante - on la nomme même parfois la mariée - arrivait en grande toilette, c'était souvent de cette toilette - robe ou jupe de velours, de damas ou de tabis bleu, de satin blanc, de satin rouge à fleurs d'or, de brocart à fleurs d'or - qu'on tirait, pour la sacristie, une chasuble et deux tuniques de couleurs assorties.
Ainsi que toutes noces bien ordonnées, celles-ci n'allaient pas sans honoraires, frais de musique, et repas de fête. Il devint d'usage d'offrir au prélat qui présidait la cérémonie, un souverain d'or, aux deux prêtres assistants des mouchoirs de prix; aux parents et invités un banquet qui se donnait à la grille (au parloir). Les musiciens appartenaient à la maîtrise, tantôt de la cathédrale Saint-Lambert, tantôt d'une collégiale: Saint-Paul ou Saint-Jean; ils se faisaient bien payer et se régalaient volontiers. La cérémonie amenait devant la maison jusqu'à une quinzaine de carosses. L'envahissement profane de ce jour-là n'allait point non plus sans frais de police ou de garçons d'église.
Comment n'aurait-on pas, au surplus, fait entrer dans la réjouissance une « honnête récréation » pour la communauté dans laquelle la nouvelle soeur venait prendre place? A cette récréation de bienvenue s'ajoutait parfois, aux frais de la famille, la constitution d'une petite rente pour les douceurs, pour permettre à la religieuse d'associer ses compagnes à la célébration de sa fête patronale. Quelques tarte, figues et raisins, quelques bouteilles de vins de Bar, de Bourgogne ou du pays, voire de la Chive-d'or, suffisaient ordinairement aux frais de ces modestes agapes. Mais les gaufres, les galettes tournées, la couque de Verviers ou de Venlo n'étaient pas dédaignées dans ces goûters où n'apparaît pas encore le café.
Ni dot, ni fondation de réjouissances intimes ne signalèrent cependant l'entrée d'Antoinette Desmoulins au monastère de la Paix-Notre-Dame.
C'était l'obligation de l'abbesse de tenir note des conditions financières dans lesquelles s'effectuaient ces entrées
Voici ce que dame Natalie Gordinne, première abbesse de la Paix-Notre-Darne à Liège, a consigné pour Antoinette, dans son Registre de réception des filles
« Elle a estez reçeu sans dote en considération de son rare et extraiordinair belle Esprit. Elle savoit escrire tout les sorte de lettre en perfection composer lettre d'or (?); pindre, faire les fleurs à la gomme et en un mot, tout ce qu'elle entreprenoit elle en sortoit, et toujours avec bone manière. Et elle a apporté tout ses habit et linge, un peu de meuble, tout son attelage de pindre. Ayant perseveré par la grace de Dieu, elle a faiet sa profession à Monsigneur le grand vicaire, notre supérieur, sans solennité de musique. Mais les religieuses ont fait le devoir en toute gravité... »
A quoi l'abbesse ajoute que « M. Herlaixh (?) chanoine de Saint-Paul lui fit présent d'un legat de 95 florins brabant - sans doute pour lui permettre de mettre aussi quelque peu en fête, la communauté où elle allait vivre.
Dans cette communauté, la vie monastique de la nouvelle professe devait pendant plus de 5o années, s'écouler toute entière sous le gouvernement de deux abbesses: la première, celle qui l'avait reçue, dame Nathalie Gordinne (1627-1657), la seconde, dame Lambertine Counotte (16571695), femme d'intelligence et d'initiative, administrateur d'élite, qui eut à présider à l'érection de l'église et sut conduire sa maison à la pleine prospérité.
En entrant au cloître de la Paix-Notre-Dame, la fille du peintre montois y avait trouvé pour compagnes, venues de Namur, Dinant ou Liège, d'autres Gordinne, des Henry, Huart, Sclessin, Aux Brebis, Hers, Bierset, Goyé, Bouille, Van de Wayre, Lombart, une de Lannoy de Tournai, une de Marotte, une d'Omalius, une fille du bourgmestre de Liège, Pierre Bex.
Elle y vit entrer Anne Chergeux, Louise Candidus, Jeanne Braas d'Avernas, Pétronille Buren, Pétronille Judon, Marie et Elisabeth Libert, Jeanne Le Roy, Agnès et Jeanne Gourdinne, Barbe Lahaye, Angeline Gruysen, Anne de Villenfagne, Anne de Bincken, de Ramioulle; Catherine et Marguerite de Liverlo, Barbe de Nuvolara, Ida de Loncin, Catherine de Charneux, Anne et Marguerite de Rosen, Jeanne Van den Steen, Catherine de Potesta, Louise de Ville, de Huy, Agnès de Noville, JeanneGertrude et Jeanne-Marie de Méan, filles de Pierre et petites filles du jurisconsulte; Anne Natalis, fille de Henri, peut-être nièce de Michel; Anne de Wansoulle enfin.
Il s'est, on le voit, rencontré peu de cloîtres, où la vieille bourgeoisie et l'aristocratie de Liège, furent mieux représentées an XIlle siècle, qu'au monastère bénédictin d'Avroy. Des familles dont sont issues toutes ces moniales, peut-être n'en est-il pas trois qui n'aient donné des, magistrats, bourgmestres ou échevins, à la Cité.
Filles de Chiroux et filles de Grignoux faisaient là bon ménage en soeurs, priant au même autel pour leurs frères ennemis, travaillant d'un même coeur pour leur commun asile. On ne vivait pas au couvent que de sa dot: la maison avait son quartier du labeur, sa salle de travail, où les unes s'attachaient aux ouvrages de main, les autres à la peinture de pieuses images; telle se consacrait au jardin, telle à la culture intellectuelle et morale des jeunes pensionnaires.
De ce chef encore, nobles et bourgeoises, abbesse ou simples nonnes n'eurent pas à regretter de s'être donné, dans la novice hennuyère, une soeur et une compatriote.
Je n'en veux pour preuve que la note, dont un demisiècle après l'entrée d'Antoinette Desmoulins, sa seconde abbesse, dame Lambertine Counotte, faisait suivre la mention du décès:
« Le 5 decembre 1692, notre chère sour, dame Aldegonde Desmoulins, a rendu son âme a son créateur un vendredy environ les septs heures du soir, apres avoir reçeu tous ses sacremens. Elle estoit agée de 81 ans, professe de 51. Elle a vescu tres religieusement et exactement. Elle estoit très humble, et douée de belles qualitez spirituelle; elle avoit un esprit universel; elle a apportez l'art de peindre tant en figure, fleurs et mignature, elle faisoit tres parfaietement l'or brunty sur le bois et sur le velin, ce qui a servy de grand ornement à notre maison; elle a mis aussi la broderie tant à l'or qu'à la soie en leur perfection, ayant designé (dessiné) tous les ouvrages, qui ont estez fait de son teins tant pour (la maison) que pour ailleurs. Elle excelloit dans l'escriture, le faisant de plusieurs sorte de manières dans la perfection, et d'un seul trajet de plume faisoit toute sorte de figure.
Elle estoit si bonne et cordialle qu'elle apprenoit avec plaisir tous ses secrets aux autres, et les encourageoit dans les difficultez, les portant de tout son pouvoir, scachant que c'estoit l'utilité de la maison. Quel ouvrage qu'elle eut entrepris elle en venoit a bout.
Elle composoit en vers, ayant fait plusieurs vies des saints pour représenter nos pensionnaires avec un esprit admirable.
Elle s'entendoit à l'architecture, elle a dirigé le batiment du costé du labeur, fait le plan de notre église et a veillé aux ouvriers infatigablement.
Elle avoit eu grand coeur pour le profit de la maison et ne s'épargnoit en rien agissant toujour avec un grand zele iusque au moment qu'elle a tombé d'apoplexie ... »
II. UNE HROSWITA WALLONNE.
Que nous reste-t-il des oeuvres littéraires de cet « esprit universel? » Aucune composition d'elle n'est arrivée à nous sous son nom; rien ne s'est retrouvé jusqu'ici de ses biographies de saints en action théâtrale. Mais d'autres mentions confirment la notice nécrologique rédigée par l'abbesse.
Ainsi le Registre de profession nous apprend que le 27 février 1669, à l'occasion des voeux de Catherine de Charneux, de Visé, « il y avait une très belle musique... après le Te Deum, il se chanta une belle chanson en Francoy par les musiciens, composée par Dame Aldegonde ».
On peut, ce semble, attribuer au même auteur cette autre « belle chanson chantée après le Te Deum par les musiciens et composée par une de nos religieuses ». C'était cette fois pour la profession, le 15 juin 1676, de JeanneLouise de Ville, fille du bourgmestre de Huy.
Ces belles chansons du cloître - et bien d'autres sans doute, car « qui a chanté chantera », - ont été emportées au vent des Révolutions. Des compositions de dame Aldegonde rien n'est-il donc venu jusqu'à nous?
On trouve au deuxième volume des Bulletins de la Société liégeoise de littérature wallonne la reproduction partielle d'une pièce dialoguée en vers français et vers wallons, arrangée à la façon mixte de certains de nos vieux noëls, mais plus étendue, mi-sérieuse et mi-plaisante, mi-pieuse et mi-satirique, visiblement écrite pour une maison d'éducation de filles: le texte est accompagné de notes contemporaines qui indiquent jusqu'à la prononciation wallonne, la place à prendre et les gestes à faire par les jeunes actrices; il montre aussi que le public auquel on s'adressait devait appartenir à la classe riche ou aisée. Le nom de burlesque donné à la partie wallonne, appliqué même à l'orthographe de cette partie, n'est pas pour démentir cette attribution.
De quand date cette pièce? Son éditeur, Bailleux, nous apprend seulement qu'elle est postérieure à l'année 1623: elle pourrait donc avoir eu « l'esprit universel » de dame Aldegonde pour auteur. Et la conjecture s'appuie sur des données assez sérieuses.
Qui nous avait conservé ce texte? Un poète wallon, l'auteur de la Copareie, Ch. Simonon, habitant du quartier d'Avroy comme les bénédictines.
Au milieu du XVIIe siècle s'occupait-on de théâtre dans nos couvents? Oui, sans doute, et beaucoup. Les rhétoriciens du Collège des Jésuites, les Jésuites mêmes ne se faisaient pas faute d'essayer du drame chrétien, en latin ou en français. Ailleurs, c'était en dialogues wallons qu'on aimait de fêter en famille, avec quelques pointes d'affectueuse malice bien wallonnes aussi, les événements heureux pour une communauté. Ainsi, au temps même où la chanson célébrait, chez les nonnes d'Avroy, la profession d'une nouvelle soeur, une pasqueille plaisante nous fait entendre Piron et Pentcosse, gens du service de l'abbaye des Bénédictins de Saint-Jacques, se divertir gaiement de l'élection et de la bénédiction de leur nouvel abbé, Hubert Hendricé, le 24 mars 1675. Pourquoi n'en aurait-on pas usé de même dans la maison de ces Bénédictines d'Avroy, qu'un bras de Meuse séparait à peine de Saint-Jacques? Si l'abbesse prend soin de nous indiquer dans ses notes que telle chanson de 1668 était rédigée en français, n'est-ce pas qu'on en composait aussi en un autre idiome?
Dans aucun autre couvent de femmes de l'époque on ne nous signale à Liège une poétesse comme celle-ci; aucune autre religieuse liégeoise, pour rimer chansons et scènes de sainteté, à l'usage des pensionnaires, comme dame Aldegonde. Encore que Montoise, la modestie même de son origine, son long séjour à Liège, la charge qu'elle a si bien remplie d'être en rapports constants avec les ouvriers et sans doute aussi avec les filles du peuple instruites par charité dans ce cloître où elle a vécu plus de cinquante ans, - n'était-ce pas plus qu'il n'en fallait pour permettre à la religieuse hennuyère d'apprendre à fond le parler liégeois, et au bel esprit qu'elle était, de rimer en ce parler chansons et dialogues?
La petite composition dramatique de théâtre de collège, que nous croyons pouvoir lui attribuer, traitait, à la façon des débats ou moralités du moyen âge, de la vanité des plaisirs mondains et du sérieux du mariage.
A juger de l'ensemble par ce qui nous est resté, l'auteur discourait de ce sujet à la fois avec un droit bon sens et une piété toute pratique sans bégueulerie et sans vouloir pousser la généralité aux vocations exceptionnelles de la perfection évangélique.
Bailleux n'avait copié, chez Simonon, et malheureusement n'a pu reproduire au Bulletin de la Société liégeoise de littérature wallonne que la partie wallonne de l'oeuvre, l'acte burlesque. L'autre, la première, était rédigée exclusivement en vers français: elle mettait en scène le monde, l'âme et l'ange et leurs débats aboutissaient à la conversion d'une jeune mondaine à la sagesse.
La seconde partie, la farce après la moralité, l'acte burlesque, répétait le même enseignement en nous faisant entendre, en wallon, une discussion entre mère et fille du peuple, discussion à laquelle l'ange gardien de la jeune fille apporte, en français, la conclusion chrétienne. C'était au même auditoire de pensionnaires de bonne maison que s'adressait dès l'abord en wallon la fillette, et cette jeune maîtresse, dont elle s'entretenait longuement, était celle-là même à la conversion de laquelle on venait d'assister, dans la première partie de la pièce.
Donnons ici le début et quelques extraits de cette pièce dans l'orthographe purement phonétique de l'auteur:
Bonsoir, lè brave et damoiselle
Quinnè ma l' bon Dieu voulou fez belle,
Galante et rigg', comme vos estez;
0m' freut les honneur to costez,
Ensi qu'al' fèye di nos madame,
Qui arreu treuze ou quatt' bouname
Sill en' aveu mesty d'ottan.
llla dè guaudieux galants
Quil ly mostret d' l'affection.
Ginne seez s'cest à qwanze ou to d' bon
Men seyuzu to d' bon ou è qwanze,
Todi l' zatelle ass bien séance:
Dé gro, dès grave, de grand, dè p'ti
Morre doot ! Poquoy n' soghe nen ensi ?
Ho, si j'aveu le patacon
J'attraireu le coeur dè guarcon.
Et la rustique fillette d'exprimer sa surprise de voir sa jeune maîtresse renoncer au jeu de la coquetterie:
Gi la stu r’quoirri baicoo d' feye
Divin dé certaine et q'pagneye
Quiss fet dell nutt, au carnaval; -
Sigge tin ben, on lè loume dè bal.
Li ten sy passe à fer l'amour,
A dansez lè pas et lè tour.
Magny lè souque et beur li ven
Ginne scez son zi est tot conten,
Men siette, si j'esteu rigg, g'ireu
Pour fer cajoliez d'let monsieu.
Si pense gu qu'im trou vin jolleye
Pour veu quigge fouhe appinperneye
Comme baicco d'damoiselle el son.
Kirmin dans-reu après l' violon?
Gi seez bien lè quatt pas d' la dance,
Le tricottet, la finne cadance,
Men mademoiselle ni sy trouve pu!
Il ni paroll qui d' la vertu.
Aux occasions il dit todi:
«Viquan comme nos voirrin moori »
Quellet loignreye ! Qu'inne sogge ess plesse!
Gitt freu fringottez la jeunesse
Mi mère mi prêche la dévotion,
Men c'est d'vant l'ten et hors saison.
Gri porreu cor bin quangyi d'veye
Quan g' sierret ossi vyle qui Ieye !
Naturellement, comme en toute bonne comédie, la mère de notre jeune paysanne se trouve aux écoutes, puisqu'on parle en mal d'elle, et ne se retient plus, sur les derniers mots de l'évaporée, d'entrer en scène pour lui faire la leçon:
« ... Quan g' sierret ossi vyle qui leye?
- Joone sotte ravalle on poo t' caquet:
Qu'y t'assure qui tell divairet?
Les meilleurs conseils n'ont pas de prise sur la fillette
Gi crive encor soven d'arrège
Di nesse qu'une baselle di viegge
Di n'aveur oote rente qui mè bresse
Po esse servante ou ouverresse,
Et dinn poleur trovez moyen
De plaire monde qui m'agrèe ben.
La mère a beau protester avec une croissante énergie
Parolle ootmen,
mal avizaye, Ou gitt donret deu treu tartaye...
LA FILLETTE
Von' voliez don nin q'gim' marrèye ?
LA MÈRE
La vertu n'èpaiche nin l' mariègge!
Au contraire: ill donn dè corègge
Po poirtez, à l'occasion,
Avec bonne résignation
Lé creu, Iè pôones et lé toumen
Qu'on zy trouve ordinairernen.
Men possy mett di bonne manire,
Inn faa nin s'pargny lè priire
On n'y sarreu bin reussi
Sen d'mandez l' grace de St-Esprit.
LA FILLETTE
Binameye mère, j'eym tant Paquay?
LA MÈRE
Eh bin, voci ko l' joône huzai!...
Qui voirreuse fer d' soulla, poove droye,
I n'a nin pu d'ame qui nos poye.
Sin voleur rimette gins a biesse
I n'a nin pu d'bon sens èsse tiesse
Ni pu d'prière, ni d' devotion
Qu'atou dé torai J'han Krikquion
Tu sez bin même qui poitte li bru
D'aveur fay I' fay don malostru.
LA FILLETTE
Mèn mère, il est si gracieux,
Si bai, si guaye, si gaudieux!...
La discussion se poursuit sans que la mère y gagne rien. Aussi la bonne femme finit-elle par appeler du Ciel à son aide, l'ange gardien de sa fille. L'ange arrive aussitôt, embrasse l'enfant, la prêche à son tour, en alexandrins français plus corrects que poétiques:
Ma très chère pupille, écoutez votre mère
Respectez humblement son tendre ministère.
C'est un commandement que la loi du grand Dieu
VOous prescrit d'observer en tout temps, en tout lieu.
II est même le seul pour lequel sa clémence
Promet dès ici bas une ample récompense.
Si l'amour maternel butte à votre bonheur
Secondez ses projets en tout bien et honneur
Ange et mère développent le même thème et emportent la conversion de la fillette. Cette conversion acquise, l'ange s'adresse à l'auditoire, le prie d'excuser « ces petits brouillons ».
Daignez en excuser l'enfantin badinage.
et conclut qu'il faut consulter le céleste gardien en tout cas:
Et singulièrement pour le choix d'un état.
Trouverez-vous dans les débuts écrits de notre idiome local, rien qui vaille mieux que ce premier essai dramatique d'une moralité de pensionnat? Le sujet, la mise en scène, les pensées ne sont-elles pas bien d'une religieuse éducatrice? N'avait-on pas au monastère de la Paix-Notre-Dame une dévotion particulière pour l'ange gardien, comme en témoigne encore une des vieilles statues du choeur? A qui l'oeuvre pourrait-elle dès lors se rapporter aussi bien qu'à cette Antoinette Desmoulins, bel esprit que nous savons avoir composé là des chansons et des dialogues de l'espèce pour les élèves de la maison? Si pittoresque et si expressif que soit le wallon de l'auteur, une expression trop française ne trahit-elle pas, de ci de là, que ce wallon n'était pas son parler habituel? Comment, dans ces conditions, ne pas attribuer, jusqu'à preuve d'erreur, à la bénédictine liégeoise, Antoinette Desmoulins, notre plus ancien dialogue en vers wallons?
III. AIGUILLES, PLUMES ET PINCEAUX.
Au témoignage de son abbesse, dame Aldegonde ne s'est pas contentée d'être le poète de sa maison. Il ne lui a pas suffi non plus d'exceller dans l'écriture, de faire d'un seul trait de plume toutes sortes de figures, d'apporter au monastère l'art de peindre en figures, fleurs et miniatures. Elle a mis aussi la broderie tant à l'or qu'à la soie en leur perfection et dessiné tous les ouvrages qui ont été faits de son temps, tant pour la maison que pour ailleurs.
Où trouver les preuves de ce dire?
Tout d'abord dans un cahier conservé aux Archives de l'Etat à Liège, et qui nous donne le relevé, avec évaluations, des diverses sortes de travaux manuels exécutés à l'aiguille, à la plume ou au pinceau dans la maison de la Paix-Notre-Dame, pour le vieux monastère de SaintLaurent, à Liège.
De bonne heure, en effet, des relations de pieuse confraternité et de mutuelle assistance s'étaient établies, dans la famille liégeoise de saint Benoît, entre les Bénédictines d'Avroy et les Bénédictins de l'abbaye de Saint-Laurent. Ceux-ci aidaient à la célébration des services religieux chez celles-là, et celles-là veillaient à l'entretien de la lingerie et de la sacristie des autres. Ces relations s'étendirent encore lorsque dom Guillaume Natalis devint, en 1659, abbé de Saint-Laurent. Une de ses nièces, Anne Natalis, était pensionnaire d'Avroy et devait y entrer comme novice, en 1665 : nous l'y rencontrerons parmi les collaboratrices de dame Aldegonde Desmoulins. Une autre, Marie, y fut reçue à la même date « en considération des bonnes volontés qu'il (l'abbé) témoignait avoir pour nous faire avoir une église » écrit l'abbesse du lieu. Cette seconde Natalis n'y devait rester qu'un an, faute de santé. C'est vers le temps de son entrée que l'échange des bons offices est le plus étendu entre les deux maisons: pendant une dizaine d'années nos bénédictines se chargent gracieusement du soin de blanchir, de réparer, parfois de fournir le linge de l'abbaye et de l'abbé, d'entretenir et de compléter la garde-robe de leur église.
Le cahier des Archives aligne donc, sous diverses rubriques, la nomenclature détaillée de tout ce qui s'est confectionné au couvent d'Avroy pour celui de SaintLaurent: mouchoirs, serviettes, grandes naples, aubes, rochets, amicts, corporaux, purificatoires, voiles de calice, palmes, cordons, rubans, franges, dalmatiques, tuniques à floches; chasubles nombreuses, à franges ou autres, chasubles de camelot blanc ou rouge, de tabis, de tabis aurore, de demi-soie blanche, de satin bleu, noire simple ou noire à fleurs; chapes de camelot blanc, de satin rouge, de satin damassé, de brocart, chape noire, avec ou sans tête de mort; devant d'autel de calicot, de camelot blanc ou rouge, ou de demi-soie blanche; paire de « gourdinnes » de damas avec les rabateau, pour l'image de la Vierge et celle de saint Laurent, avec grandes et petites franges; - huméral de damas blanc avec dessins et nom de Jésus brodés; - et pour l'usage particulier du prélat: paires de mules chamarrées, de bas de tabis blanc, rouge on violet, de gants de soie rouge avec pieuses initiales brodées en perles; des aunes de franges d'or liées avec un fil de soie violette; une écharpe de tabis blanc à frange d'or; cinq mitres brodées à la main, et dont la façon d'une a coûté 250 florins. Inutile de rappeler de qui devaient en venir les dessins.
A la confection d'un très grand nombre de ces vêtements ou ornements se mêlent la peinture ou la broderie des armoiries de l'abbé, et l'envoi de nombreux cadeaux.
Il ne sera pas sans intérêt d'indiquer sommairement ici les artistiques et féminines industries dont l'on s'aidait au couvent soit pour vivre, soit pour réunir les ressources nécessaires à l'érection de l'église. Quelques extraits d'une assez longue liste de ces cadeaux montreront la variété des talents de celle que nous entendrons qualifier « notre religieuse peintre », en fait de broderie, peinture, fleurs artificielles même, écriture, copie et illustration de manuscrits. Nous citons:
1658. Une peinture représentant une teste de Sauveur, avec la mollure fl. Bb |
8 |
Deux petits portraits, l'un représentant le prince Ernest et l'autre le duc de Bouillon |
38 |
Deux beau écritoire de pierre de jaspe |
8 |
Une bourse travaillée de petit poinet |
1,18 |
1659. Congratulez au jour St Guilleaume une paire de pot d'oeillet de soie avec les pots dorez |
24 |
Au mesme jour lui donnez ses armes peintes fort curieusement sur du vaillin par notre Religieuse peindre |
4 |
166o. Luy fait présent dun Aube de Cambray brodée d‘or avec une dentelle d'or très riche, qui a été estimée |
400 |
Item Luij fait présent, au jour de sa Bénédiction, d'une belle Carme (?) faite d'un trait de plume par notre R. peindre. Elle peut valoir |
100 |
1661. Estreinez un Jésus peint au naturel de la hauteur de deux tierre et de la valeur |
12 |
Congratulez au jour de la fête St Guilleaume, encore une paire de pot de fleurs de soye avec les pots dorez d'or bruntij de la valeur |
24 |
1662. Au jour S Guilleaume Luy donnez un cheval sur vailhin avec son homme trompant sur ledit cheval, fait d'un trait de plume par une de nos religieuses |
4 |
1664. Au jour St Guilleaume fait présent d'une paire de gand de soie blanche, avec des noms de Jésus brodez avec de l'or et perle |
20 |
1667. Le jour St Guilleaume Luy donnez une bourse faite au petit mestier, d'or et soie, de la valeur de |
6,10 |
1668. Estreinez un scapulaire de petit poin travaillé au petit mestier violet et or, portant |
8 |
Au jour St Guilleaume, en juinde la même année Luy félicité une Ste Barbe en molure dorée et joliment accomodée |
5,10 |
1669. Estreingnez une paire de gand de soie blanche de la valeur de |
16 |
Au jour S Guilleaume en février Luy félicité un très beau nom de Jésus, d'un trait de plume sur du vailin. |
3 |
A la feste St Guilleaume en juin Luy avoir félicité une très belle Vierge de bois, de Foy (N.-D. de Foi) fort bien dorrée et accomodée, joliment avec un cristal et pied bien industrieux. Le tout de la valeur de |
18 |
167o. Au nouvel an un jolys tabernacle, d'ouvrage de notre religieuse, avec une très belle Notre Dame |
6,19 |
Item au jour Ste Scholastique félicitez monseigneur de deux beaux petits tableaux à moulure d'argent, avec un nom de Jésus et Marie dorez sur satin au millieu. |
4,13 |
Détachons aussi quelques extraits d'une note dressée par nos Bénédictines pour le même couvent de Saint-Laurent:
En may1663. Avoir fait deux titre de livre servant à Monsgr avec les grosses lettres, le tout décorez d'or bruntij et peint curieusement |
48 |
Deux registres pour les dit livres y comprint quantité des boutons appliquez au feuilles |
4,10 |
En 9bre Avons renvoyez la chappe brodée. La facon d'icelle et extraordinaire ne se peu bonnement exprimer.
Nous en espérons une église. |
|
1664. Renvoyez la belle mitre, brodée à la maison.
La façon pour |
250 |
1664 avril. Avoir noircit les molures pour les tableaux des douze apostre et embellis et racomodez ceux des douze sibilles, et puis les cloux |
6 |
7bre. Un devant de demy soie blanche pour le grand autel de St Laurent, avec une grande armoirie |
18,2 |
9bre. Fait un missel pontifical avec le tiltre et grosse lettre le tout décorez d'or brunty et peint curieusement. |
60 |
1665 avril. Noircit 22 molures de tableau tant petit que grand et ajancez les images dedans |
6,10 |
De tous ces objets pieux ou profanes, de ces miniatures mêmes que le célèbre moustier de Saint-Laurent, jadis célèbre par ses peintres ou ses écrivains, allait, au XVIIe siècle, demander à des nonnes, une seule pièce a-t-elle résisté aux destructions du temps? Nous n'oserions le dire.
D'autres oeuvres du moins subsistent.
Nous l'avons vu, le genre littéraire cultivé par notre bénédictine tenait tout ensemble, et des compositions du moyen âge, et de la prosodie, des procédés de son dix septième siècle. Ainsi en fut-il de son talent de miniaturiste. Dans ses cartouches ornementés, ses cadres fleuris ou dorés, ses cornes d'abondance débordantes de fruits, ses bouquets et ses lettrines enluminées, l'artiste garde, mêlée au style de Louis XIV, quelque chose de la touche, de la délicatesse minutieuse des ors et de la couleur éclatante d'une époque plus ancienne.
Une oeuvre, en effet, nous est restée, signée d'Aldegonde Desmoulins, en même temps que de plusieurs de ses compagnes. C'est un bréviaire en trois volumes in-4° conservé encore au cloître de la Paix-Notre-Dame et dont les Bénédictines se servaient solennellement au choeur. II peut sans doute nous donner une idée de la façon dont furent traités les livres et le missel pontifical écrits et illustrés, en 1663 et 1664, pour l'abbé de Saint Laurent.
Il est copié tout entier, à la plume, en caractères d'imprimerie, enrichi de gravures du même format, empruntées à des livres liturgiques du temps. Des cartouches fleuris décorent l'entête des offices principaux de l'Eglise et de l'Ordre; des majuscules illustrées, l'entête des principaux paragraphes de ces offices. A la fin du recueil, avant l'office de sainte Rolende, tout particulièrement honorée au monastère d'Avroy, une page est remplie par cette inscription. où nulle n'est oubliée de celles qui ont aidé au travail, sous la direction sans doute de la première nommée:
Les compagnes de dame Aldegonde Desmoulins ici désignées à sa suite ne sont pas tout à fait inconnues.
Se souvenant sans doute des avantages que le monastère avait trouvés à accepter comme dot très suffisante pour cette dernière son attelage de peintre, l'abbesse avait accueilli parmi ses nonnes, dans des conditions semblablement généreuses, en 1660, une jeune fille du quartier d'Avroy, Pétronille Buren, vu « le grand coeur qu'elle avoit témoigné avoir pour la pinture. Un homme, estant encore chez elle, l'allait tous les jours apprindre à désigner. Par malheur, ce goût là ne tint pas, pas autant du moins qu'on l'avait espéré: « Estant professe, a témoigné beaucoup de répugnance à la pinture, et n'y avait du coeur, ayant employé trois ans a l'aprindre et perte beaucoup de temps. Elle disoit avoir mal à la teste. »
Cette note de l'abbesse a-t-elle été rédigée peu après la profession de Pétronille Buren, on après sa mort en 1691?
Toujours est-il qu'admise à 18 ans au cloître en ce quartier d'Avroy où elle était née, elle comptait 38 ans, dont 20 de vie religieuse, quand l'inscription de notre Bréviaire nous fait voir en elle la première assistante de dame Aldegonde.
En tout cas, si elle recula devant les pinceaux, elle ne le fit point devant la mort. Au terme d'une longue et douloureuse maladie, elle était à l'agonie « Après avoir dit trois fois: Deus, in adjutorium meum intende d'une voix claire, étendant les bras elle dit: Allons! et rendit son âme à Dieu! »
Anne Natalis, ancienne pensionnaire de la maison, entree en religion à 15 ans, en 1665, était fille d'un Henri Natalis, époux de Catherine Latour, et originaire de Longdoz lez-Liège. Elle avait pour oncle paternel Guillaume Natalis, abbé de Saint-Laurent, qui fut le directeur spirituel de la communauté d'Avroy; elle appartenait sans doute, comme cet abbé, à la famille de ce célèbre graveur liégeois, Michel Natalis qui s'en vint mourir, en Avroy aussi, dans le voisinage immédiat de la propriété des Bénédictines. Anne Natalis elle-même mourut, aveugle, à 81 ans, en 1731.
Le nécrologe du couvent ne nous dit rien de ses talents de miniaturiste, pas plus qu'il ne nous parle de ceux de, dame Hélène-Constance Van den Steen, la plus jeune de nos quatre copistes. Nous y voyons seulement qu'originaire de Huy, orpheline, et d'abord pensionnaire de la Paix-Notre-Dame, cette Van den Steen entra au cloître en 1670 à l'âge de 18 ans, mais n'y vécut qu'une dizaine d'années, obsédée, dit son abbesse, de « scrupules qui la rendaient inhabile à tout ».
Quant aux deux dernières coopératrices du bréviaire, Dame Hiltrude, était une Van der Wayre, de Saint-Gilles lez-Tongres; admise au monastère à 15 ans, en 1640, quelques mois avant Antoinette Desmnoulins, elle devait la précéder de deux ans au tombeau. Encore qu'attachée aux humbles fonctions de jardinière et de fruitière « elle scavoit pertinement » - nous dit le nécrologe de la communauté, - « l'or matte et brunty, et peindoit les image en bosse, et autre avec grand profit et perfection. »
Dans dame Mechtilde enfin, nous retrouvons cette fille d'armurier liégeois, orpheline accueillie au cloître 17 ans avec une cargaison d'armes de guerre. C'est après un an d'abbatiat qu'elle devait mourir, en 1695.
Antoinette Desmoulins n'eut, ce semble, pas besoin d'autant de collaboratrices pour un autre manuscrit, dont sa modestie n'a pas fait connaître expressément l'auteur. Ce manuscrit est un mince in-folio, également conservé chez nos Bénédictines, reproduisant, comme le bréviaire, à la plume et en caractères d'imprimerie, les formules du cérémonial religieux et des prières liturgiques de la prise d'habit, de la profession des voeux, et de la célébration du jubilé des filles de saint Benoît. La décoration de ce volume est tout à fait identique à celle du bréviaire; peutêtre même plus soignée. Et cette parfaite ressemblance, comme les enjolivements du texte au moyen de ces arabesques compliquées que dame Aldegonde Desmoulins excellait à enrouler d'un seul trait de plume, équivalent, en somme, à une signature.
Le lecteur, au surplus, ne pourra que me savoir gré de laisser à l'amitié et à la parfaite compétence de M. Joseph Brassinne, sous-bibliothécaire de l'Université de Liege, le soin de décrire et d'apprécier de plus près, l'oeuvre artistique des calligraphies et miniaturistes d'Avroy au XVlIme siècle (Cette étude paraîtra prochainement dans le Bulletin de la Société des bibliophiles liégeois.)
Ce qui étonne cependant, c'est de ne point voir associée à la confection de ces miniatures, une Liégeoise encore,
Barbe Lahaye, qui avait fait profession à la Paix-NotreDarne, le 2 octobre 167o: « C'était aussi, - écrit d'elle son abbesse, quand Barbe mourut le 1o juillet 1690, - «un esprit universeI, à tout faire, principalement à la peinture qu'elle imitait si bien que l'on avoit de la peine à décerner l'original d'avec la copie, et faisoit cela avec tant de facilité, comme si elle auroit joué. Elle a faict tous les paysage et beaucoup d'autres comme on peut voir par la maison, aussi les six vierges et tapisseries du a choeur, et faisoit encore très parfaitement des fleurs et fruit, enfin c'estoit la plus belle voix du choeur, et la meilleur écrivainte de la maison ».
Ne serait-il point resté d'oeuvre de cette Barbe Lahaye parmi les tableaux, copies du XVIIe siècle, que garde encore cette maison d'Avroy; devenue en ce temps là une petite école de modestes artistes? De nouvelles études pourront seules nous l'apprendre.
Ce qu'il faut constater maintenant, c'est qu'en mai 1678, au moment où dame Aldegonde Desmoulins, son grand bréviaire achevé, déposait sa plume et son pinceau, un autre travail, plus notable, était commencé, dont elle devait être le principal artisan: la construction de l'église de sa communauté, au boulevard d'Avroy.
IV. L'ARCHITECTE ET LA CONSTRUCTION DE L'ÉGLISE DES BÉNÉDICTINES D'AVROY.
Dès leur établissement, en 1629, au faubourg champêtre d'Avroy, les Dames Bénédictines, après une installation toute sommaire, ajoutant chambre à chambre selon que se présentaient les novices, avaient songé d'abord à se clôturer mieux que par des haies. En 1642, elles avaient commencé à remplacer ces haies par un vaste mur d'enceinte. Les vieilles bâtisses rurales et le premier et tout provisoire oratoire qu'on y avait joint ne pouvaient non plus suffire aux développements de la communauté.
Aussi, ce chanoine de Saint-Denis, Charles de Neufforge de Warge, que nous avons vu examiner, en 1640, la vocation d'Antoinette Desmoulins et qui mourut le 2 février 1649, avait-il constitué les Benedictines ses héritières, en vue de leur procurer une installation plus complète. Mais, nous dit le Livre des anniversaires de la maison, « ses parents ont saisi et réclamé le principal, ce qui a empêchez le bon dessein qu'il avait de faire notre église ».
On se souvient que la propriété acquise le 14 juillet 1628 pour la communauté s'étendait du bras de la Meuse (qui longeait alors le quartier de Saint-Jacques, sur l'actuel emplacement du boulevard d'Avroy), jusqu'au revers central du faubourg Saint-Gilles. La grande voie, que borde maintenant l'église de Notre-Dame de la Paix, n'était alors qu'un chemin peu régulier. Ce chemin coupait en deux la propriété, en séparant du gros de celle-ci la moindre partie, celle qui touchait immédiatement à la Meuse et qui comportait un « cortil et place vuide et deux demeurages ». Ils furent cédés à la Cité pour former « le Kay qui s'y trouve a présent, ainsi que le constatait le résumé des titres de propriété du monastère, résumé dressé en 1758 par l'abbesse Catherine de Micheroux. L'acte de cession de ce rivage avait été apostillé par le Conseil privé de Son Altesse le prince-évêque, le 26 février 1666.
Le terrain enclos, restreint et disposé de la sorte, on pouvait songer à y ériger une église définitive.
Mais de qui se flattait-on d'obtenir cette érection ?
Et pourquoi ces nombreux, gracieux ou riches cadeaux envoyés à l'abbé Natalis, soit au renouvellement de l'année, soit à sa fête patronale ou à l'occasion de quelque solennité? Plusieurs de ces présents, oeuvres délicates de dame Aldegonde, « notre religieuse peindre », ont été signalés déjà: on ne ménage au prélat ni les bibelots artistiques « une boulle de senteur d'argent doré... » par exemple, ni les pieuses fantaisies, ni les parfums ou les confitures « un vaire de conserve méslangée de rose, sauge, romarin et bétoine - un vaire de conserve d'oeillet - une livre de tablette d'iris; » plusieurs envois de « conserve de rose de provence et de conserve de citron - grande taille de gellée de coin - boites de confitures - un cent ou des quartrons de noix confites », etc. On joignit bien un jour, en cadeau pour le vénérable abbé, au linge qu'on lui retournait blanchi et empesé « une demidouzaine de bonné de nuit en forme de bendon, avec dentelles » - ce que l'on nomme ailleurs « bendon à la mode » - et jusqu'à des « linges pour barbier ». A cette date l'auteur de Vert vert n'avait pas encore enseigné que
Les petits soins, les attentions fines
Sont nés, dit-on, chez les Visitandines.
Mais Boileau était tout près de composer son Lutrin.
Eh bien, ce renouvellement des gracieux rapports des moniales de sainte Radegonde avec Fortunat, le poète épiscopal de Poitiers, n'avait qu'un but pour nos Bénédictines: arriver à la construction de leur église. Sous l'artistique direction de dame Aldegonde elles y sacrifièrent bien plus que bonnets de nuit, confitures ou parfums: pendant plus d'un an, au cours de 1662 et 1663, les plus habiles peintres et brodeuses de la maison avaient consacré leurs journées, partie même de leurs, nuits, à la confection de cette chape qu'on déclarera supérieure à toute évaluation, et dont, nous l'avons vu, « on espérait une église». Une promesse de l'abbé Natalis avait enflammé les bonnes soeurs d'une inextinguible ardeur.
Il semble qu'entre le vicaire général, chargé d'abord de la direction spirituelle de la communauté de Notre-Dame de la Paix, et le Révérendissime prélat de Saint-Laurent, dans le rayonnement d'action et de propriété duquel se trouvait la maison d'Avroy, une certaine émulation s'était établie, pour le bien.
Le vicaire général, baron de Surlet, ayant témoigné l'intention de bâtir et payer par annuités l'église nouvelle, le prélat de Saint-Laurent avait détourné ces dames d'accepter l'offre, et promis de fournir lui-même les ressources nécessaires pour la bâtisse. Les cadeaux redoublèrent; aucune note à payer ne lui fut envoyée pour le blanchissage, pour les confections sacrées destinées à son moustier. Il n'attendait, avait-il dit, que l'achèvement de cette chape admirable pour se mettre à l'oeuvre. La chape envoyée, rien n'arriva du secours promis pour l'église: on finit par lui rappeler les services rendus, par lui adresser des notes de frais tout en protestant qu'on aimerait bien mieux recevoir église que paiement. Rien ne va plus. N'obtenant plus de réponse de l'abbé, ce fut au prieur qu'on s'adressa. Copie d'une de ces lettres est gardée aux Archives de Liege:
Si sa Seigneurie a trouvé nos prétentions grandes, ses promesses nous avaient fait espérer bien davantage, et l'acquit des promesses nous serait bien plus advantageux que la satisfaction de nos demandes, lesquelles sembleront petittes si on a la bonté de considérer la fin pour laquelle nous avons faict tant de travaille non sans notre grand intérest spirituelle et temporelle; car pour faire l'ouvrage de la chappe avec tranquillitez il auroit fallu 3 ans de terme, ce que l'on a faict en 13 mois, non sans préjudice de la régularité et faute de plusieurs, qui s'en ressent jusqu'à présent, pour avoir travaillé avec trop d'assiduité, depuis les 4 heures du matin jusqu'à 9e heure soir et davantage, tant les bonnes religieuses désir d'avoir l'église qu'on leur avait promis au bout de leur ouvrage.
Et ce qui est affligeant est que dans ce mesme tems Monssar l'archid. de Surlet, présentoit de la faire et de donner tous les ans mille patacons jusque un entier finissement, lequel l'auroit achevé passé longterns, si Monsgr le Prélat ne nous avait obligeez à Le remercier, assurant qu'il n'attendoit que cela pour commencer. Voilà comment on nous a amusez et nous laissez avec rien, car pendant les 13 mois que nous avons travaillé en silence pour votre maison nous avions tant d'occupations tant au ... (?) qu'au Liège que nous avons esté obligées de refuser tout autre ouvrage qui se présentoit, pour gagner quelque chose. Tellement qu'a présent personne ne nous apporte plus rien à travailler. Cependant nous sommes assez restrainte, ayans fait notre bastiment sur notre petite espargne ...
Ecrit au prieur de St Laurent le 25 janvier 1672.
Quelle réponse fut donnée à cette réclamation? Nous ne le savons pas avec précision. D'une part, une note consacrée par l'abbesse à celle des nièces du prélat qui ne put rester au couvent, porte qu'il « n'a rien fait de ce qu'il avait promis ». D'autre part, un brouillon de lettre de la même abbesse nous montre qu'on en était venu cependant à réclamer d'elle la note de ce qu'il pouvait devoir aux religieuses, pour les travaux commandés par lui. Ce brouillon porte qu'on lui demanda 2000 patacons pour la chape inappréciable, en plus du paiement d'une note lui envoyée et qui pouvait se monter au moins au millier de florins. Il solda ces notes ce semble et le produit sans doute fut réservé pour servir à l'édification de l'église. Toujours est-il qu'il mourut en 1679, alors qu'on commençait à peine à s'approvisionner des premiers matériaux nécessaires à la construction, mais la dernière parole que nous trouvons prononcée à son sujet au livre des commemoraisons des bienfaiteurs de la maison, est cette mention, toute de paix et d'actions de grâces, datée de 1679: « Le 2 de septembre est mort le Revd Prelat de St-Laurent, dom Natalis, lequel nous a fait beaucoup de charité spirituelle et corporelle. Requiescat in Pace. »
Il serait intéressant de connaître les autres ressources dont le monastère disposa pour la construction de son église et des dépendances de celle-ci. Peut-être trouva-t-il quelque assistance dans cette dévotion spéciale que les premières bénédictines venues de Namur à Liège avaient apportée au couvent d'Avroy: le culte de sainte Rolende, de Gerpines, invoquée contre la gravelle et la pierre. Plusieurs guérisons extraordinaires furent attribuées à son intercession, guérisons dont la sacristie conserve encore les témoignages dans des pierres rejetées par des malades, et dont un livre liégeois, dédié à l'abbesse même qui construisit l'église, Lambertine Counotte, nous relate les détails. Les offrandes des pèlerins et des malades reconnaissants ne durent-elles pas, à l'occasion, contribuer à donner au culte de la sainte un plus vaste local ?
Ce que nous pouvons le mieux entrevoir, par les échappées que nous ouvre le registre des vêtures et des professions, c'est que dans l'érection du temple sont entrées pour bonne part les dots, signalées plus haut, que les familles nobles ou les mieux partagées de l'époque, assignaient à leurs filles entrées en religion. Ainsi lisons-nous, à propos de Marie de Méan, reçue comme postulante en mai 1689, que « Messieurs ses parents ont eu prestez, long tems auparavant que leur fille feroit son entrée, la somme de 4ooo florins, pour nous en servire en cas de besoing à la poursuite de l'achevemen de l'église ». Ce prêt se trouva de la sorte transformé plus tard en moitié de la dot de la jeune novice.
A. cette construction ont contribué aussi sans doute: le produit des pensions payées par dames ou jeunes élèves hospitalisées ou instruites dans la maison; le produit du travail des religieuses dames du pinceau, de la plume, de l'aiguille ou soeurs fileuses de toile, et les épargnes que leur permettait l'habituelle austérité de leur vie; les libéralités enfin des familles amies on parentes des nonnes mêmes, libéralités qu'attestent encore quelques inscriptions conservées dans les verrières de la maison.
En tout cas, à suivre l'histoire du couvent, il est manifeste qu'avant et durant l'érection de son église, la communauté ne se livra à nulle acquisition étrangère à cette érection: ce qu'elle reçut, ce qu'elle produisit reste debout sous nos yeux dans le sanctuaire d'Avroy…
Enfin l'emplacement de cette église est déterminé - le registre des décès en fait foi - à partir au moins de 1675. Les mentions funéraires se succèdent dès lors - telle celle de Catherine Potestat en 1678 - pour nous indiquer quelles défuntes sont « ensepulturées du côté de l'église future ».
Ce n'avait pas dû être mince besogne que d'arrêter, en même temps que les plans de cette église, les dispositions les meilleures pour les convenances et besoins auxquels l'ensemble des constructions devait pourvoir, à la fois pour le présent et pour l'avenir. Le temple projeté ne devait pas être de trop petites dimensions; le reste avait à répondre à des destinations fort diverses. Il fallait accorder, dans un simple mais confortable arrangement, les exigences d'un culte parfois public et la régularité des exercices monastiques, le libre accès de certaines dépendances avec les obligations d'une vie cloîtrée; l'instruction et l'éducation de jeunes pensionnaires et de jeunes novices avec l'hospitalisation de personnes d'âge mûr, soucieuses avant tout de s'assurer, auprès des religieuses, vie paisible, piété facile et soins attentifs.
Pour répondre à des besoins aussi variés, il ne fallait rien moins qu'une femme entendue à l'architecture, intelligente, instruite et active. Il paraît bien que dame Aldegonde Desmoulins, encore que septuagénaire, fut tout cela, jusqu'à l'heure où la maladie vint la frapper au travail.
Le plan de l'ensemble des bâtiments de la Paix-NotreDarne ne différa guère, d'ailleurs, des vieilles dispositions adoptées pour les plus anciennes bâtisses bénédictines: autour du carré d'une cour centrale, les cloîtres allaient s'étendre en quadrilatère; de trois côtés, réfectoire, dortoirs, ouvroir, salles diverses de la communauté ou des pensionnaires se succéderaient derrière et au-dessus de ces cloîtres. Du quatrième côté, vers la Meuse et la voie publique, c'étaient les parloirs et les deux églises.
Deux églises, dis-je, car dans l'ensemble des constructions dont dame Aldegonde Desmoulins a fait le plan, deux vaisseaux aboutissent en angle droit au même sanctuaire. Le premier, le plus ancien, est le choeur des religieuses, dit simplement le choeur et construit en même temps que les cloîtres. Orienté suivant les vieilles traditions liturgiques, tout bordé de stalles à l'intérieur, avec au fond les orgues et le jubé, il mesure 11 m 50 de longueur sur 8 m 7o de largeur et 11 de hauteur. Il aboutit à la grille qui forme, pour les profanes, pour les regardants venus du dehors, le côté gauche du sanctuaire commun appelé le choeur des prêtres. L'autre église, la seule où peuvent être admis les laïcs, est érigée dans l'axe même de ce sanctuaire, élevée de 17 mètres, et deux fois plus large que longue: 16 mètres sur 7 m 50. Le choeur des prêtres, avec l'autel monumental qui en remplit le fond, constitue, au point de rencontre des deux vaisseaux, une sorte de carré de 8 m 50 sur 8.
On comprend que, plus nécessaire et d'un usage plus fréquent pour la communauté que l'église accessible aux fidèles, le choeur des religieuses ait été construit le premier.
Nous en avons les preuves minutieuses dans un registre conservé au dépôt de ces archives de l'Etat dont M. Léon Lahaye a la garde, à Liège, registre sur lequel il a eu l'obligeance d'attirer notre attention. C'est le « Memorial de ce que nous avons achetez pour servir au Bastiment de notre église, quand il plaira à Dieu, commençant en l'an 1677. » C'est l'histoire mathématique, par dates, achats et paiements effectués de 1677 1692, de la construction non seulement de l'église, mais de la partie des bâtiments monastiques, cloître, tour, sacristie et dépendances immédiates érigés autour de l'église et en même temps, ou peu s'en faut, que celle-ci.
C'est aussi la preuve que l'abbesse Lambertine Counotte n'a pas exagéré en signalant l'importance de la part prise à ces travaux par l'architecte bénédictine, Antoinette Desmoulins.
Tout ce que le monastère d'Avroy eut à payer pour ces bâtisses est soigneusement relevé. Aucune mention cependant d'honoraires d'architecte; aucune mention de plans ou dessins d'origine étrangère au couvent, sauf à propos de la décoration du frontispice. Manifestement, ce sont les religieuses elles-mêmes, qui par la main de la fille du peintre montois, dressèrent le plan de leur construction; ce sont elles qui s'en firent les entrepreneurs, et veillèrent en personne à la bonne exécution des travaux.
Ainsi les verrons-nous employer la durée d'un siege de Troie, à préparer le grand oeuvre, à s'approvisionner du nécessaire avant de commencer les travaux; acquérir successivement, à plusieurs années de distance, bois, ardoises, briques, moellons, pierres de sable, plomb, fer carré, gros fer, fer d'agrape, fer de Chastelet, clous même, sable et chaux, granit et marbre, pour les livrer, suivant les besoins, aux charpentiers, menuisier, scailleurs, maçons, plomquier, serrurier, vitrier, marbrier ou tailleur de pierre. Elles paient ces fournisseurs ou travailleurs, selon les circonstances ou les contrats conclus, à la journée ou à l'entreprise, que d'ailleurs le travail s'exécute soit à pied d'oeuvre soit à domicile.
Les annotations du mémorial débutent en 1677 par la mention de l'achat fait, le 4 août « au sieur Gilles Bouxhon, marchand demeurant à Namur de 5.800 pieds de planches et 1.000 cartier et environ un mil de mauvaises et fauteuses. Il en doit livrer 13.200 pour en avoir 12.000, payables a 18 escus le mil. » Le 3o décembre la livraison des 12.000 était achevée et « payée entierement à Bouxhon, la somme de 869 florins brabant ».
Deux ans et demi après, le 29 mars 1680, c'est 100.000 ardoises qu'on achète, à 6 florins brabant 10 patar le mil. A dix liards le mil, on paiera au total 12 florins « aux botteresses pour les porter dedans ».
Le 4 mai, c'est 650 pieds de ferrure qu'on acquiert d'un marchand voisin, Maître Gérard Le Roy. Le 6 mai: « 3.258 livres de plom en rolle à 16 ffl. 10 le cent, à M Jean Counard et sa femme marchands plomquière ».
Puis voici le 27 septembre l'acquisition de cinquante mil de brique, à 4 ff. bb. 10 p le mil.
Deux ans s'écoulent derechef: en octobre 1682, nouvelles acquisitions de bois. Puis nouvelle suspension des achats.
En avril 1685 arrivent enfin les premières pierres pour fondations, achetées à Marguerite de Gehet.
Pour commencer les travaux, il faut encore de la chaux: Maître Jean du Chesne, de Chokier, la livre à 4 ff. bb le muyd à partir de janvier 1686 et vient la déverser au rivage des Augustins.
Là aussi sont déchargés les moellons d'Hubert Pietteur, les pierres taillées de Nicolas Cramion pour les fenêtres des cloîtres, les blocs de sable de Jean Smeets, tandis qu'on reçoit d'autre part, de Lucie de Soumagne, veuve de Jean Nocé, des provisions de diverses espèces de clous: clous d'ardoises, clous de rondelet, plus tard ce sera clous de latte, et nombre d'autres sortes.
Les provisions de fer ont continué par l'intermédiaire du voisin Gérard Le Roy; les dalles de pavé seront commandées à Dinant puis remises aux ouvriers liégeois pour être polies à domicile.
Au mois d'août de l'année 1686 on avait cuit, dans le jardin même du monastère, une fournée de 105.500 briques dont coût 3 fl. 5 patars le mil. Cette fabrication autochtone s'épuisa vite. La continuer dans l'enclos d’un couvent parut-il offrir plus d'inconvénients que de profit? Toujours est-il que dès le 22 février suivant, 1687, « marché et accord était conclu avec Jeanne Bosset et son fils, Gaspard Billet, maître et dame des briqueteries au Pala, qu'elle devra livrer toutes les briques que nous avons besoin pour nostre bastiment, conformes en grandeur à celles de nostre bastiment dont nous lui avons donné les formes... toutes bonnes briques luisantes, sans aùcune... (?) des parois ni mal cuitte... livrées sur le lieu de l'ouvrage, parmi luy payant 5 flor. brab, de chaque mil fidèlement livrées et comptées ».
Le Pala ou Palais en cause n'était pas celui du prince: on désignait ainsi, dans le quartier, un vaste terrain, dont le nom passa à une rue dite du Palais, devenue de nos jours la rue Henkart, et qui, du faubourg Saint-Gilles, conduisait en Chevaufosse. Il n'était pas bien éloigné de l'extrémité du jardin du monastère, ni de la ruelle des Bénédictines, et il avait déjà sans doute fourni ses briques aux maisons construites, un peu avant cette époque, dans le bas du faubourg.
Les livraisons du Palais commencent dès la mi-mars 1687: on est décidément à l'oeuvre!
La façade de la nouvelle église est énergiquement entreprise. Cette façade doit-elle s'asseoir dans un sol à peine conquis sur le lit ancien d'un bras de la Meuse et tout aquatique encore? Nous voyons là piloter rudement, à 14 hommes « 34 pilots à pointes de fer dans une place; dans la deuxième 41: à chacune de ces places, il y a dessus les pilots 5 pièces de bois de 5 ou 6 pouces épais, longs de 8 pieds; en l'espace du milieu on a mis un sommier de 29 pieds scié en deux. » Et ce n'est pas tout. Bref une dépense de ce chef de 458 florins brabant.
L'attention de dame Aldegonde, appelée, comme on nous l'a dit, à surveiller du côté du labeur le bâtiment dont elle avait dressé les plans, aurait-elle donc fléchi, à propos de cette façade? Une faute aurait-elle été commise par ses ouvriers à l'insu de l'architecte et poussée trop avant, pour qu'on pût la faire disparaître? Le sol trop mou sur lequel devaient reposer les assises du frontispice, aurait-il trompé l'espérance des travailleurs et les aurait-il entraînés à se porter trop avant sur un point? Ou bien encore des exigences édilitaires auraient-elles imposé, après la sortie de terre des murs d'enceinte, un alignement imprévu de la façade sur le chemin public?
Il est visible que cette façade n'est pas établie tout juste dans l'axe de l'édifice, et que, régulièrement posée pour la route, elle ne l'est plus au regard de l'intérieur de l'église: de cet intérieur on peut remarquer la discordance d'épaisseur des fenêtres du frontispice; du dehors, du côté de l'entrée latérale, le raccord de maçonnerie s'aperçoit qui répare obliquement, sans la masquer, la faute commise.
Au cours de 1687 le travail se poursuit cependant, avec activité.
Maître Nicolas Cramion, tailleur de pierres, en fournit, à tours de bras, le plus qu'il peut: comme maître Jean Smeets, des pierres de sable. Maître Gilles et ses maçons, en plein travail, passent du cloître, aux sacristies, à la chambre-chauffoir; du choeur des religieuses, à l'église; du sanctuaire, au frontispice. Ils gagnent le chef, 30 patars à la journée; les palettes, ou maçons, de 26 à 27; les manoeuvres, de 19 à 20; les porte-bacs, de 9 à10.
Dès le début de juin 1687, ils ont enfoncé au jardin les fondements de la tour; le 16, ils en sont à monter les fenêtres du cloître voisin du choeur jusqu'à la voûte: en octobre « on recommence à hausser la tour ». Si quelque pierre attendue fait défaut, c'est au rivage de Hongrée qu'on va lui quérir en hâte une remplaçante.
Bref, à l'automne, les palettes ont si bien manoeuvré, qu'il est temps de songer au pavage de l'église. Arrangement est pris, le 24 septembre, avec maître Gouvy, mignon, « pour polir et bien adjusté les pavements noirs de 2 pieds de long, parmi lui payant 4o ffl, de 100 pièce. Ils les polira au moulin, en sa maison, mais il les viendra adoucir sur place et retrancher parfaitement. S'il se trouve quelque manque et ne se trouve point présent pour les réparer, on prendra un ouvrier à ses frais, pour l'adjustez. »
Une partie de ces dalles avaient été commandées à Dinant. D'autres arriveront, le 2 avril 1688 de Moha: 2000 pavés de 6 pouces à 5 fl. le cent. Encore faudra-t-il pour les transporter du rivage de Meuse à pied d'oeuvre, payer 11 liards le cent à Barbe, la botteresse, et à ses compagnes de bot.
A la reprise des travaux de 1688, maître Gilles et ses aides ont élevé les 25 pieds de haut de maçonnerie que l'achèvement de la tour réclamait.
Ils ont démoli les vieux fourneaux de la brasserie, et les vieilles étables, pour les reconstruire à neuf; un canal de maçonnerie est établi ou élargi, qui conduira la surabondance des eaux du jardin à la Meuse, en traversant, le choeur des religieuses, la courette, la rue même, et la « place vuide» cédée à la Ville.
Pierre Bataille, le serrurier, a reçu le fer nécessaire pour ouvrer l'armature des fenêtres: la grande ronde du frontispice, les 4 grandes fenêtres de 13 pieds de haut et les 6 petites rondes du choeur des religieuses, à 4 florins chacune. On s'est, le 4 février 1668, accordé avec maître Mathieu, le verrier: « Il doit faire la façon de celles que nous avons en nos cloîtres, que Madame (l'abbesse) agréera. Accordé pour chaque pied carrez six patars et demi... un bon et solide ouvrage de bon verre et de bon plomb.»
Vienne l'an 1689: la grosse maçonnerie est terminée partout, ou bien peu s'en faut. Nous en sommes au placement des pavés sur le sol, des fers aux fenêtres, et les maçons sont devenus des placqueurs. Une centaine de dalles de marbre blanc de 18 pouces ont été acquises à un florin 10 p. la pièce. Le 11 février, une marchande de Dinant, Marie Tassier s'engage à fournir le noir pavement; chaque pièce de 2 pieds longue et un pied de large, doit être amenée « a notre rivage » et cela au prix de 3o fl. les 100 pieds de Saint-Lambert: on finira par compter, « dans le choeur, de pavements polis noirs et blancs, 2064; dans la sacristie des prêtres, 86o; » - trois milliers en somme que le marbrier aura polis et recoupés à 20 fl. le %.
Le serrurier-verrier Mathieu a opéré en février, mars, avril, à la tour, au choeur, où le 24 avril il installe ses 6 fenêtres; - le 21 mai c'est la grande ronde verrière du frontispice qu'il insère dans l'oeil central de la façade de l'église.
Le 15 mars 1689 on a commencé et le 23 avril fini de blanchir le choeur; on entreprend aussitôt après les chapelles latérales et la voûte de l'église; le 20 juin on arrive en dessous des corniches et dès le 30 août, on peut passer aux dépendances du temple. Maître Gilles, qui s'adonne lui-même et préside à ce travail, reçoit par journée 28 patars; ses plafonneurs 26, et leurs petits aides 9.
L'année 1690 signalera tout à la fois l'achèvement du grand oeuvre - et celui hélas! de la carrière intellectuelle et artistique de son architecte.
Dès le début de cette année, le ciseau des tailleurs de pierre termine le rajustage de quelques pilastres; on en est à donner leur dernier poli aux marches de marbre de l'autel, et surtout aux derniers travaux de menuiserie et de sculpture portes, lambris ou balustrades. Des vitres sont placées dans les verrières de la façade du temple, de ses chapelles et tout d'abord du choeur des religieuses.
Les inscriptions tracées sur ces vitres concordent avec les renseignements du registre des dépenses. C'est qu'il fut longtemps d'usage à Liège, lorsqu'un ami édifiait maison nouvelle, d'aider à la décorer en fixant dans les fenêtres le souvenir de l'affection commune au moyen d'un petit vitrail, avec nom et inscription, blason, date ou sujet commémoratifs.
Plusieurs inscriptions de cette sorte se rencontrent encore dans les cloîtres d'Avroy où elles ont pu indiquer l'année au cours de laquelle telle ou telle partie de ceux-ci fut construite: Madame Gertrude de Méan, Dame D'oulrelouxhe St Jean - Strée, etc., relicte de feu Mon. de Haxhe, Jadis eschevin de Liége, 1672 - Révérende Dame Marie de Walle, abbesse du Val-Benoit, Dame temporelle à Heur le Romain, etc., 1672 - Madame Isabelle de Mean, Dame de Nandrin 1672 - Mr Jean Michel, marchand bourgeois de Liége 1688.
Malheureusement dans la partie de ces cloîtres, qui longe le choeur des religieuses, ce n'est que lors d'une restauration récente qu'on a inséré au milieu des fenêtres quelques fragments venus d'ailleurs; ainsi tout d'abord ce Pax Virginis, anno 1645.
Dans les fenêtres rondes du choeur des religieuses, nous lisons, inscriptions sans blason: Mademoiselle Barbara Walkener 1690; c'est le nom d'une dame pensionnaire de la maison - Mademoiselle Isabele de Nuvolara 1690 - et ces deux noms de parentes de religieuses: Mademoiselle Jenne de Selis 1690 - Mademoiselle fille de Monsieur le baron de Ville 1690.
Dans les grandes fenêtres du même choeur, quatre inscriptions armoriées; deux de 1690: Madame Jenne d'Awans, abbesse du monastère de Terbecq et Noble dame, Madame de Selis. abbesse de Robermont et dame d'Amerière, auxquelles s'ajoutèrent dans la suite: Noble seig. Jean Maximillian Bounam, chevalier, Lre Sr Rycholt, seigneur des bancs de Gulpen et Margraten, etc., & noble dame Anne de Valzolio, sa compagne, anno 1692 - Mademoiselle Stoppe A. V. de Namur 1694.
Dans l'église même, la baie supérieure de gauche portait naguère encore avec les armoiries, la devise et le nom de cet abbé bénédictin de Saint-Jacques, grand protecteur de nos Bénédictines et dont la nomination avait fait le sujet d'un de nos plus anciens dialogues wallons: Reverendus .... dominus Hubertus Henrice, abbas mnrij sancti Jacobi Leodii anno 1690. En face, baie de droite, la devise Cruce dulcescunt curae, comme les trois soucis et le poisson du blason, avec la date 1690, ne permettaient de reconnaître, comme donateur, que Godefroid de Salme, abbé du Val-StLambert. A ces deux viendront s'ajouter plus tard, en 1694, l'écu à trois maillets d'Arnoldus Francescus A. Bartholomeï et le casque avec lambrequins de Franciscus Tabolet, Ecclesiae Cathedralis cannonicus, abbas Dionantensis et Dominus in Nandryn Et Frayneux, etc., anno 1694 (Les comptes de la maison nous apprennent qu'elle paya au verrier, en 1693, cinq armoiries pour 10 fl. bb.; en 1694, trois armoiries aux fenêtres de l'église et deux au choeur.)
Et puisque nous en sommes aux inscriptions, indiquons d'un mot comment il a pu se faire que dans ces verrières, placées en 1690, se rencontrent aux fenêtres de la nef de droite, trois petites rondelles en grisaille, de la première moitié du XVIe siècle. L'une, sous un écusson chiffré, représente un musicien assis dans un paysage Georges Jos... n at doné ceste voerier l'an Nr Sr 1537; l'autre, sous un écu portant une branche fleurie, nous offre un groupe de voyageurs: Remacle delle Reid a fait faire ceste voerire ano Dni 1537; la troisième comporte un double tableau: d'une part deux femmes, retirées dans une sorte de grotte devant croix et livres de prière; d'autre part un homme chassé, nuitamment, ce semble, d'une maison par deux femmes; le tout est surmonté des armoiries et de la devise de Saulcy: En l'ombre du Saulcy et entouré de l'inscription: Maistre Johan de Saulcy, Sr d'Oupey, Vivengnis, licenties et eschevin. Ce Jean de Saulcy, mort en 1542, se trouvait le neveu d'Albert de Limbourg, prieur de l'hôpital de Saint-Mathieu.
Ces menues verrières, trop petites pour les fenêtres qu'elles décorent, ornaient sans doute la principale chambre de la ferme d'Avroy de cet hôpital Saint-Mathieu à la Chaîne quand les Bénédictines achetèrent cette ferme. Les derniers restes de cette maison n'ayant été détruits qu'en 1691, après l'achèvement de l'église et des dernières parties du nouveau couvent, on n'aura rien trouvé de mieux que de reporter ces grisailles, pour profanes qu'elles fussent, dans les fenêtres trop peu décorées de l'église.
Ce transfert, la pieuse architecte ne l'a guère pu voir, pas plus que les travaux exécutés après le printemps de 1690 dans l'édifice dont elle avait dressé le plan.
L'épreuve qui termine souvent l'existence des plus intelligents et de l'activité la plus dévouée, ne devait pas lui être épargnée.
A « veiller infatigablement aux ouvriers », comme l'écrit son abbesse, la vaillante septuagénaire « ne s'épargnoit en rien jusqu'au moment qu'elle a tombé d'apoplexie » au champ d'honneur du travail. Ce coup fatal, ajoute le nécrologe « l'a fait rester demi an au lit. En étant guérie, elle a encore vescu deux ans langoureuse et imbécille. Enfin elle est aller recevoir la récompense de ses travaux et jouyr de ce qu'elle souhaitoit ardemment avec la grace de Dieu ». C'était le 5 décembre 1692.
A s'en rapporter à ces indications, c'est vers le mois de mai ou le début de juin 1690 que l'apoplexie la renversa. Elle ne put voir terminer le temple auquel elle avait consacré l'activité suprême de sa vieillesse. La fille d'une des familles qui avaient aidé le plus à la construction, de cette église, Jeanne-Marie de Méan, âgée de 18 ans, après plusieurs années de pensionnat dans la maison, le 26 juillet 1690, fut « la première, écrit l'abbesse du temps, qui a fait professe en notre église, n'ayant lors que le choeur des prêtres et celuy des religieuses achevés, dans lequel on a fait les cérémonies religieuses aux grilles, très solennellement et gravement. » L'architecte du nouvel édifice avait pu voir un an auparavant cette jeune postulante déposer « l'habit du jour de la vesture qui estoit de brocart à fleur d'or », pour la robe bénédictine. Elle ne put lui entendre « rendre ses voeux à Monseigneur l'archidiacre de Surlet; accompagné des tréfonciers Blisia et Wansoulle dans le nouvel édifice.
L'abbesse ne signale point cette fois qu'une musique ait accompagné la cérémonie. Fut-ce par égard pour l'infirme que la maladie venait de frapper?
Après cela, les bruits confus de l'ameublement final, et du placement des autels de l'église arrivèrent-ils encore jusqu'à la chambre où gisait la malade?
Une postulante de ce temps là, Marguerite de Rosen, avait reçu l'habit le 10 août 1689: « Ayant achevé son année de probation, elle a fait sa profession en la grande église, avec les solennités requises et rendu ses voeux avec grande ferveur. » Ce devait être vers août 1690 - et cette fois là peut-être dame Aldegonde Desmoulins put de son lit d'incurable percevoir quelque chose dé la « solennelle musique » et de la « grande assemblée » qui inauguraient pour le culte public, son église des Bénédictines d'Avroy.
Elle ne put s'y traîner quelque temps encore que « langoureuse et imbécille, » incapable peut-être d'en admirer l'heureuse disposition, les belles proportions, la parfaite unité de style.
D'autres le faisaient pour elle, et sans doute devançant l'avis de l'auteur des Délices du pays de Liége, ils proclamaient, comme lui, « l'église de dame Aldegonde la plus jolie de toutes celles des monastères de filles de la ville et des faubourgs de Liege: on ne peut rien voir de plus propre, de plus éclairé ni de plus orné, La galerie qui règne tout autour, ses fenêtres élevées et d'une largeur proportionnée à leur élévation ne sont pas les pièces les moins dignes de l'attention des curieux. »
Le 5 mars 1691, les Voirs-Jurés du Cordeau de la Cité de Liège venaient se rendre compte de l'état périclitant de ce qui subsistait, dans la propriété bénédictine, des anciennes bâtisses rurales, dépendances de l'antique hôpital liégeois de Saint-Mathieu à la Chaîne. A la suite de leur examen, il fallut démolir et réédifier de fond en comble ces dépendances. Après quoi, si la pauvre vieille infirme était encore capable de s'associer aux chants de ses soeurs dans l'office du Saint-Sacrement, l'artiste, la poétesse et l'architecte du temple ne l'était plus sans doute de se rendre compte de l'appropriation de l'hymne de saint Thomas à l'oeuvre qu'elle avait dirigée:
Recedant vetera, nova sint omnia
Corda, voces et opéra!
Le 5 décembre 1692, ... enfin, « elle est allée recevoir la récompense de ses travaux ». La communauté s'imposa pour elle, comme d'usage pour simples soeurs ou abbesse, la dépense de trois florins, cinq patars pour deux pauvres cercueils, d'un florin pour l'inhumation, et d'une douzaine de messes pour le repos de son âme. Ses restes mortels furent déposés au columbarium souterrain de la maison: « Elle est ensepulturée (c'est le mot de la fin, de son abbesse) dans la dernière tombe d'en liant - du costé de l'Eglise! » Du côté de l'église: c'était bien là, aux fondements de son édifice, que devait reposer l'architecte bénédictine.
Sa dernière poussière achève de s'y consumer aux chants du choeur, sous les parfums bénis de l'encens, tandis que continue, depuis plus de deux siècles, à se poursuivre au-dessus d'elle, autour de cette église, son véritable monument, l'oeuvre d'instruction et de travail, de foi, d'espoir et de charité, au service de laquelle elle usa humblement sa vie!
V. LE SCULPTEUR ARNOLD DU HONTHOIR.
On a, depuis un siècle, contesté à dame Aldegonde Desmoulins l'honneur d'avoir dressé les plans si pas de l'église, tout au moins de la façade de Notre-Dame de la Paix.
Au sujet d'un chartreux liégeois de la même époque, l'auteur de La sculpture et les arts plastiques an pays de Liége s'est fait l'écho le plus récent de cette contestation:
« Le baron de Villenfagne, écrit Jules Helbig (op. cit., p. 161), dit que Henrard était architecte à l'occasion; c'est lui qui aurait construit la façade de la chapelle placée sous le vocable de Notre-Dame de la Paix, au couvent des Bénédictines à Liège ».
Avant Jules Helbig, le ciseleur Dartois, mort en 1849, avait consigné déjà le même racontar sur le même homme dans ses Notes sur quelques artistes liégeois:
Arnold, frère chartreux, était non seulement bon sculpteur, mais encore architecte habile. Il est l'auteur du frontispice des Bénédictines sur Avroy; ce portail peut être cité pour un chef-d'oeuvre (Cf. Bulletin de l'institut archéologique liégeois, t. VIII, p. 237.).
On ne s'étonnera pas que, répétant ces auteurs, J.-S. Renier, dans son Inventaire des objets d'art de la ville de Liége, ait écrit plus nettement encore:
« Un chartreux, F.-Robert-Arnold Henrard, de Dinant, sculpteur, élève de Duquesnoy et maître de Jean Delcour, construisit la façade de cet édifice, en style ionique pour la base et corinthien pour la partie supérieure ».
Erreur complète d'attribution et dont l'inexactitude ressort de deux faits: le frère chartreux, mis en cause, est décédé le 18 septembre 1676 (J HELBIG, op. cit., p. 162) et la bâtisse de l'église des dames Bénédictines ne fut commencée, on l'a vu, que plus de dix ans après la mort du bon frère. D'autre part, il résulte des comptes de la construction de cette église qu'en dehors du couvent un seul homme a fourni non point le plan, mais des dessins pour ce frontispice.
Et c'est un tout autre Arnold que notre chartreux. Car, - et de là sans doute est provenue l'erreur, - deux Arnold ont été sculpteurs dans la seconde moitié du XVIIe siècle, à Liège, et tous deux, comme les sculpteurs de ce temps, ont pu y faire de l'architecture.
L'un est bien le chartreux, de son nom d'origine Robert Henrard, mais désigné aussi fréquemment sous son nom de religieux: frère Arnold.
L'autre est un honnête père de famille, Arnold du Honthoir, dont la femme faisait à l'occasion les recettes, et dont la fille, Catherine, épousa Jean-François Louis, l'élève de son père (J. HELBIG, op. Cit., p. 185).
La ressemblance du nom propre de maître Arnold du Honthoir avec le nom de religieux de Frère Arnold de la Chartreuse aura produit, dans l'esprit de Villenfagne, de Dartois et peut-être d'autres, la confusion signalée.
Qui cependant était ce maître Arnold du Honthoir?
« On ignore, nous dit J. Helbig, la date de naissance de cet artiste ... il parait qu'il vit le jour à Liége vers 163o.» La date est vraisemblable il mourut le mai 1709.
D'où serait-il originaire? On petit se demander si ce n'est pas du pays de Dinant, comme tant d'autres de nos vieux tombiers ou tailleurs de pierre. Les plus nombreuses mentions faites de lui, dans des pièces du temps, le qualifient simplement maître Arnold: il réserve le complément « du Honthoir » pour ses actes plus solennels, et ce pourrait bien n'être qu'une ajoute employée comme désignation d'origine.
Honthoir est un hameau dépendant de cette petite commune, d'un demi-millier d'âmes: Sommière, dont les habitants vivent encore en partie de l'exploitation de leurs carrières de pierre à bâtir, à une bonne lieue de Dinant. Et le premier en date des sculpteurs liégeois du XVIIe siècle, Jean Thonon, qui travaillait ici en 164o, n'était-il pas précisément un dinantais?
Maitre Arnold n'a pas été toutefois le premier à signer du nom du hameau indiqué. Quelques années avant qu'il ne fût appelé à travailler chez les dames d'Avroy, une mère de famille avait déjà porté ce nom, intéressée qu'elle était, par une rencontre curieuse, dans la propriété de deux petites maisons des plus proches du couvent de la Paix-Notre-Dame. Ces maisonnettes n'en étaient séparées que par la rue même des Bénédictines, et se trouvaient si rapprochées de ce couvent, qu'elles furent la première acquisition de la communauté aussitôt qu'après l'achèvement du temple elle put acquérir quelque chose.
Un acte de 168o nous signale l'intervention dans des difficultés dont ces maisons étaient l'objet, de « Jeanne Ernotte, relicte en premières noces de feu Lambert du Honthoir. » - Quinze ans plus tard, dans la vente des mêmes maisonnettes aux Bénédictines, nous voyons apparaître les descendants de cette veuve de Lambert du Honthoir. Ce sont « Arnol Hontoir partie faisant tant pour soi que Bolseye, marit à Marguerite de Hontoir sa soeur, et Charles Hontoir partie aussi faisant que pour Grégoire de Thoroulle mari à Anne-Lorence Honthoir. »
Si comme la chronologie le suggère, cet Arnold Hontoir est le maître sculpteur, aîné de sa maison, il aurait donc eu un frère du nom de Charles, et deux soeurs Marguerite et Anne-Lorence, mariées à Bolseye et Grégoire de Thoroulle,
On peut se demander dès lors si notre Honthoir n'habitait pas tout proche des Bénédictines, et ce fait expliquerait d'autant mieux les relations fréquentes et rapides de l'artiste avec le couvent. Ainsi qu'en témoigne notamment d'autre part un contrat reproduit par l'historien de la sculpture liégeoise, maître Arnold était, au temps même de la construction de l'église de Notre-Dame de la Paix, le sculpteur du vicaire général de Surlet, ami et protecteur traditionnel de la maison d'Avroy et s'engageait par acte du 22 février 1688 à exécuter un mausolée en marbre blanc pour ce prélat.
Qu'apprenons-nous cependant sur les rapports de maître Arnold avec notre maison d'Avroy dans les comptes de cette église? Voici, suivant l'ordre chronologique, les annotations que nous avons relevées, dont la plus ancienne annonce, en le qualifiant par sa profession, l'entrée en scène d'un fournisseur de fraîche date:
- Nous avons euz chez maître Arnold 4 ff de plâtre pour les agrape des cornices.
Item encore 3 ff.
Et l'an 1688, 8 ff.
Payez ensemble à la femme maître Arnold pour les 15 ff. de plastre si dessus marqué.
3 ff. le 2e juin1689.
- 1688 Payez à maître Arnold le sculpteur pour la grande notre Dame et pour tous les services et har... ? qu'il a fait pour le frontispice de notre Eglise, dessein des sculptures et enseignement des Crampion, tailleur de pierre, pour les chapiteaux, etc. pour le tout
25 escus payez.
- Le 8 janvier 1689 marchandé avec maître Arnold pour la sculpture des portes du choeur et de celle qui sont aux deux costés de la grille qui seront travaillée a deux costes comme aussi la grande frize et le reste des ornement de la balustrade et du cindre, et de même du costez de la sacristie, la frize icy d'un costez seulement. De plus il sera obligez de faire la sculpture requisse dans la porte de l'église et l'entrée du portaille, en suitte du dessein. Le tout bien parfaitement travaillé et nettement achevez. Il sera aussi tennu de tailler le consolle de sable dans les voutes des fenestres et autre et les 8 coin de sable qui sont dans les chapelle.
Item. une belle rose dans la clef de voute du costez de la porte et de l'autre un beau rayon sur bois avec un St Esprit de plain relief et il devera avoir achevez le tout parfaitement pour la Pentecoste, parmy Luy payant - 200 ff. ainsi l'a accordé, présent maitre Pierre Gilta notre menuisier. Signez comme tesmoing avec le dit maitre.
Arnold du Hontoir.
- Le 10 janvier payez, à bon compte, à maître Arnold - 40 ff.
- Le 29 janvier 1689 marchandé avec maître Arnold pour livrer une bordure de jaspe, bien polly et adjustez, pour le Choeur des prestres, ou de l'autel, parmy luy payant la somme 220 ff. Il en doit livrer environ 164 pied long d'onze pouce de large. S'il en faut moins on deffalquera à l'advenant payez - 2oo ff.
En april, payez encore à bon compte 40 ff.
- Le 4e may payé à maître Arnold pour l'embellissant qu'il a fait à la naissance des voutte du choeur 10 escus.
Le, même jour marchandé avec maître Arnold pour faire la grande frize descendant aux deux costés de la grille taillez double, et du coté des sacristie simple, le tout de belle façon et beau raport, parmy luy payant 13 patagon pour achever le tout parfaitement. Ainsi la il promis et accordez.
Le 13 april 1689 maître Arnold est venu un demy jour travailler à la naissance des voutes du choeur pour l'enrichir et donner bonne grace, à quoy le dit maître Arnold a venu tenir la main de haux (?)
- Le 29 janvier 1689 marchandé à maitre Arnold la bordure de jaspe bien poly et adjustez de onze pouce large et longue comme portera la mesure de la place, il en devoit avoir 164 pied. S'il y en a moins, on le défalquera à l'advenant. Il a accordé à - 220 fl. bb.
Le 23 juillet 1689 payé à maître Arnold à bon compte la somme de 200 fl.
Le 10 aout 1689 paye à bon compte à maître Arnold 40 ff.
Le 3o octobre payez à bon compte à maître Arnold 40 ff.
- Le 10 8bre 1689 accordé avec maistre Arnold, pour toute la sculpture, qu'il faudra, dans les lambris, porte, frize, etc., pour la somme de 52 flor. brab. Ainsi l'a accordez temoing sa signature.
Le même jour compté tous les ouvrages particulier qui n'etaient pas specifiez expressement dans le marché precédent. Le tout a monté à la somme de flr. 37.
Et douze florins qui reste à payer sur tout ce qu'il a faict - porte ensemble
101 fl.
40
reste 61
Le 17 octobre payé à maistre Arnold à compte sur la somme ci dessus marquée 4o f.
Icy tout est payé à maitre Arnold, aussi le marché des lambris.
- Au commencement de l'an 1690 marchandé avec maître Arnold pour toutte la sculpture des lambris de notre église, aux deux costés (les chapelles avec les quatre porte et retour qui y interviennent avec les ornements du balustre du petit docsalle. Il doit faire le tout parfaitement achevez, parmy Luy payant 52 ff. bb.
Le 29 juillet 1690 payé à bon compte à maître Arnold 4o ff.
Le lecteur n'aura pas manqué de le remarquer, au simple parcours de ces notes confusément enregistrées dans le « Memorial de ce que nous avons achetez pour servir au Bastiment de notre Église »: les achats et préparatifs de construction commencent à partir du 4 avril 1677, Or, il n'est fait mention d'un compte quelconque avec maître Arnold qu'au moins dix ans plus tard, alors que déjà les bâtisses ont monté si haut qu'on en est aux corniches. Encore Arnold n'apparaît-il d'abord là - ou plutôt sa femme - que pour une mince fourniture de plâtre.
Il est si peu l'auteur du plan de l'édifice qu'avant l'ameublement intérieur, il n'a manifestement travaillé que lorsqu'on en est arrivé à sculpter, après érection, le frontispice de l'église. Pour ce frontispice même, point question ni mention d'un projet d'ensemble qui lui serait dû; il semble bien qu'on ne lui ait demandé que la statue de Notre-Dame pour dominer la façade, et les détails d'exécution qui intéressaient la sculpture: modèles fournis ou leçons sur place données au tailleur de pierre pour l'exécution des chapiteaux soit ioniques soit corinthiens des colonnes, ou pour la décoration sculptée des fenêtres et de la baie circulaire du fronton, peut-être aussi de palmes aux côtés de la Vierge au-dessus de cette sorte de rose. Peut-être encore des indications de l'espèce ontelles été données par l'artiste aux mouleurs de plâtre ou au tailleur Crampion pour l'intérieur de l'église. On voit toutefois qu'Arnold, bien qu'en cette année il s'occupe de terminer le mausolée du vicaire général de Surlet, se charge lui-même ou par ses meilleurs ouvriers de ce qui, dans le travail intérieur de l'église bénédictine, se rattachait à la sculpture, pour aider à donner bonne grâce à l'édifice.
Le Saint-Esprit et la rose, encore aujourd'hui aux clefs de voûte du temple, la balustrade qui en couronne toujours le pourtour supérieur, les consoles des retombées, les lambris qui revêtent les murs, les bordures de jaspe du sanctuaire, la porte d'entrée et les portes de communication tant de l'église que du choeur des religieuses, les frises ou ornementations de tous genres de ces portes ou de ces ouvertures - la garniture enfin de la vieille sacristie, travail le plus profane mais le plus archaïque aussi, peut-être le plus original de tous: voilà l'oeuvre du sculpteur Arnold.
On sait de reste que, comme il avait taillé pour l'église de Saint-Jacques deux statues en marbre blanc représentant saint Benoît et sainte Scholastique, il en tailla deux de même, restées de garde aux côtés du grand autel du sanctuaire d'Avroy. Ce vaste autel de chêne entourant de sa colonnade et de son entablement un tabernacle et deux tableaux l'un au-dessus de l'autre remplit encore de sa majesté le fond du sanctuaire. En rétablissant en marbre français décoré de bas-reliefs de marbre blanc la table même d'autel, - on vient d'y rétablir dans son état primitif ou peu s'en faut, la base qu'avait donnée sans doute Arnold du Honthoir: « Un autel - de lui - en marbre de Saint-Remy avec un bas-relief en marbre blanc se trouvant dans une chapelle - de Saint-Lambert, nous dit Jules Helbig - était considéré comme un des meilleurs travaux de l'artiste. (Op. cit., p. 183).
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En somme, Antoinette Desmoulins ou Dame Aldegonde, de la maison des Bénédictines réformées d'Avroy, restera l'une des figures de nonne les plus intéressantes de Liège au XVIIe siècle. La fille de l'obscur peintre de Mons en Hainaut, devenue liégeoise par le séjour de son choix, par l'esprit, par l'action, et, ce semble, jusque par le langage populaire, ne se consacra pas seulement chez nous, durant plus d'un demi-siècle, à l'oeuvre de piété, d'éducation et de charité générale que nous voyons encore poursuivie par ses soeurs. Elle contribua par l'afflux des leçons et de l'exemple, à élever le niveau littéraire français autour d'elle, à relever aussi celui du wallon dans la société liégeoise, en même temps qu'à y développer le goût et la pratique des beaux-arts. Elle fut l'instauratrice de la dernière petite école de miniaturistes d'une communauté religieuse dans la cité de saint Lambert. Elle nous a laissé enfin, dans l'église à la construction de laquelle elle a fourni ses plans, et dont elle a surveillé l'érection jusqu'aux jours de l'ameublement, un monument sans prétention, de proportions modestes, mais à la fois grave, élégant et pur dans son style, aussi bien qu'approprié avec succès à sa destination multiple. Et ce monument, non point conçu, ni en tout ni en partie, mais complété, décoré par un autre artiste professionnel de mérite, le sculpteur Arnold du Honthoir, reste en somme la meilleure église, bâtie depuis le XVIIe siècle, dans ce quartier de Liège. L'honneur en soit désormais rendu et laissé, à l'humble et laborieuse architecte, fille de saint Benoît.